Chapitre XI Les liens entre les agrégats de la comptabilité nationale 1. LE MODELE ET LE MULTIPLICATEUR KEYNESIENS Les relations de comptabilité nationale que nous avons établies dans les chapitres précédents vont nous permettre de construire un modèle de l’économie, c’est-à-dire une représentation simplifiée du fonctionnement du système économique. Quelques précisions terminologiques s’imposent tout d’abord. 1.1. Les composantes d’un modèle Les relations de comportement permettent d’établir un lien fonctionnel entre plusieurs variables du modèle. Ces relations décrivent le comportement de différents agents dans leur activité de production ou de consommation. Les identités comptables définissent une variable comme la somme (ou la différence) d’autres variables. Par exemple l’investissement est égal à la somme des investissements des ménages, des entreprises et des administrations publiques. Les variables endogènes sont des variables du modèle qui sont définies à partir d’autres variables du modèle, soit via des identités comptables, soit à partir de relations de comportement. Les variables exogènes sont définies extérieurement au modèle, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas déterminées par le modèle. Les paramètres (ou coefficients) ne sont pas variables. Ce sont des éléments des relations de comportement. Il s’agit par exemple de la propension marginale à consommer, c, ou encore de la propension marginale à importer, m. 1.2. Le modèle L’équivalence de la comptabilité nationale selon les trois optiques nous permet de construire un premier modèle simplifié de l’économie. Développé par l’économiste J.M. Keynes, ce modèle repose sur l’hypothèse que l’économie est en équilibre lorsque la demande finale domestique est égale au produit national. Tout ce qui est produit intérieurement est acquis par les différentes unités institutionnelles grâce aux revenus issus de la participation des facteurs de production à ce produit : Dfinale = Cfm + CfISBLSM + Cfap + I + X - M Pour simplifier, en incluant la consommation finale des ISBLSM dans celle des ménages et en reprenant la terminologie G pour la consommation finale des administrations publiques, nous écrirons : Dfinale = Cfm + G + I +X - M où I, les investissements sont égaux à la formation brute de capital fixe plus les variations de stock : I = FBCF + ΔStock L’équilibre macroéconomique sur le marché des biens est réalisé lorsque la demande finale est égale au produit intérieur : Df = PIB = Y où Y est le revenu intérieur brut, égal au produit intérieur brut. On peut donc écrire : Y = Cfm + G + I + X - M Cette relation est la relation d’équilibre de notre modèle. Par ailleurs, nous avons établi plusieurs relations liant composantes de la demande finale et revenu. La consommation finale des ménages est fonction du revenu disponible, celui-ci étant égal au revenu moins les impôts nets des transferts et les importations sont fonction du revenu. Les impôts nets des transferts sont fonction du revenu, via t, le taux de taxation nette. Cm = a + cYd Yd = Y – T T = tY M = mY Nous avions également établi que les investissements étaient fonction des variations du revenu. Pour simplifier notre modèle, nous considérerons ici que les investissements sont exogènes, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas fonction du revenu. Les exportations sont fonction du revenu du reste du monde ; elles sont donc également fixées, c’est-à-dire considérées comme exogènes au modèle. La consommation finale des administrations publiques, G, est également exogène. C’est notamment en faisant varier le niveau de G et le taux de taxation t, que les pouvoirs publics peuvent intervenir sur les équilibres macroéconomiques. _ II _ GG _ XX La relation d’équilibre peut donc s’écrire : _ _ _ Y a cYd G I X mY _ _ _ Y a c(Y tY) G I X mY _ _ _ _ _ Y c(Y tY) mY a G I X _ Y(1 c ct m) a G I X Y 1 1 c ct m _ _ _ (a G I X) Dans le membre de droite ne se retrouvent que les variables exogènes et les coefficients du modèle. A gauche, on retrouve la variable finale du modèle, le revenu intérieur d’équilibre. Cette dernière relation est ce qu’on appelle la forme réduite du modèle, la forme structurelle étant composée de l’ensemble des relations et identités comptables que nous avons définies ci-dessus et que nous avons utilisées pour arriver à cette forme réduite. Lorsque nous utilisons cette forme réduite, on raisonne souvent en termes de variation : que se passe-t-il si les exportations se réduisent d’un montant ΔX ? Dans ce cas, et en supposant que toutes les autres variables exogènes ne sont pas modifiées, la dernière relation devient : 1 ∆ ∆ 1 ce qui nous permet de calculer immédiatement l’effet d’une variation de X sur le revenu d’équilibre. Le même raisonnement peut être fait en supposant une variation de la consommation des administrations publiques ou des investissements. Le rapport 1/1 – c + ct + m est ce qu’on appelle le coefficient multiplicateur. Associé à une variation des exportations, on parlera du multiplicateur des exportations, à une variation de la consommation publique, du multiplicateur de la consommation publique. Ce que nous avons fait mathématiquement en résolvant le modèle pour arriver à sa forme structurelle, c’est en fait reproduire la boucle macroéconomique : une variation de X a un premier effet sur le revenu d’équilibre équivalent à cette variation. Ce premier effet va être amplifié par l’intermédiaire de la fonction de consommation : l’effet sur le revenu va se traduire en un effet positif sur la consommation des ménages (via c et ct) et sur les importations (via m), qui à leur tour vont à nouveau modifier positivement le revenu (à cause de la hausse de consommation) et négativement (à cause de la hausse des importations). Cette nouvelle hausse du revenu (la propension marginale à consommer est supérieure à la propension marginale à importer) va à nouveau induire une hausse de la consommation et des importations… La succession de ces accroissements, de plus en plus faibles puisque c et m sont inférieurs à 1, va tendre vers 0, moment où se termine la boucle macroéconomique. Le coefficient multiplicateur permet de calculer cet effet final sur le revenu d’équilibre d’une modification d’une des variables exogènes du modèle. Graphe 63 Le multiplicateur keynésien C I G X ‐M ΔX Dépenses ΔX a ΔY Y Graphiquement, l’équilibre macroéconomique est réalisé lorsque la droite représentant les différents éléments de la demande finale coupe la droite représentant l’ensemble des points où le revenu intérieur est égal à la demande finale. Ce dernier droit est la bissectrice du cadran formé par les deux axes : sur cette droite, Cf + G + I + X –M = Y. L’équilibre macroéconomique est à l’intersection des deux droites et donne la valeur de C + I + G + X – M qui réalise l’équilibre. En-deçà du point d’intersection, la demande finale est supérieure à la production intérieure ; au-delà, la production intérieure est supérieure à la demande finale. Les grands modèles macroéconomiques utilisés par le Bureau du Plan belge pour ses prévisions macroéconomiques permettent de la même manière d’obtenir une série de multiplicateurs qui, associés à diverses hypothèses sur l’évolution du contexte international, sur les décisions économiques des pouvoirs publics en termes de dépenses ou de recettes, fourniront une estimation de l’effet de ces hypothèses sur le revenu d’équilibre. Ce genre d’exercice permet aux agents économiques à la fois d’avoir une idée de ce que sera l’évolution de l’économie à court et moyen terme (entre 1 an et 7-8 ans) et de mesurer l’effet attendu de variations de variables exogènes ou de paramètres du modèle. Des outils similaires existent dans la plupart des pays et au niveau des institutions internationales. Leur conception, leurs bases théoriques diffèrent mais leur objectif reste identique : décrire et reproduire le fonctionnement du système économique, réaliser des prévisions en fonction de scénarios divers.