Dom Juan,
Molière
Acte I, scène 2
I. Introduction
Séducteur impénitent volant de femme en femme, libertin dans ses mœurs
comme dans ses déclarations, Dom Juan, figure mythique du théâtre, se
voit ici mis en scène par un Molière inspiré par cette part d’humanité. La
scène 2 de l’acte I permet cependant une présentation plus fine du
personnage. Il serait dès lors intéressant d’étudier comme se noue un
personnage de libertin en s’attardant, dans un premier temps, sur la
représentation du libertin, puis, dans un second temps, sur la figure du
valet.
II. La représentation du libertin
La première scène de l’acte I nous permet déjà d’entrevoir quelques
particularités de Dom Juan, lorsque son valet, Sganarelle, se confie à celui
attaché au service d’Elvire, une conquête de Dom Juan, abandonnée. Mais
cette scène 2 s’attarde plus encore sur la présentation du libertin,
notamment en lui donnant la parole, lui permettant de mettre lui-même en
scène ses convictions.
!"
Dom Juan, un homme en mouvement
L’inconstance caractérise cet homme dont la vie entière semble être faite
de mouvements. Traversant le pays, évoluant de femmes en femmes et
papillonnant avec plusieurs d’entre elles au sein d’une même ville, il
apparaît comme la figure même du mouvement. Tourbillonnant
d’inconstance, il est présenté par son valet Sganarelle « il se plaît à se
promener de liens en liens, et n'aime guère à demeurer en place » par une
double structure binaire. La première proposition oppose en effet le verbe
« se plaire » à la promenade, entendue comme un lien à l’autre, tandis que
la seconde renvoie à l’idée de « ne [pas aimer] » rester fidèle en un lieu,
c'est-à-dire à une femme. Même inconstance dans la recherche de l’amour
puisque le plaisir réside en la multiplication des conquêtes, dans le
« changement », où la séduction se voit envisagée également comme un
mouvement. Notons le champ lexical dévolu à la femme et aux sentiments
fidèles puisque ceux-ci sont assimilés à une promenade lorsque les
sentiments sont volages et à un lieu, « en place », lorsqu’ils sont affirmés.
Mouvement et envolées caractérisent donc la personnalité, comme les
actions, de Dom Juan. Sa conception de la séduction s’en ressent.
!"
La séduction comme motif
Dès le début de son argumentation, il présente en effet la fidélité comme
une hypocrisie, « La belle chose de vouloir se piquer d'un faux honneur
d'être fidèle », en se moquant ainsi des déclarations qui ne sont que
d’intentions. Il affirme de même ne pas se reconnaître dans ce portrait de
l’homme fidèle, par une double négation marquant son mépris : « non, non,
la constance n'est bonne que pour des ridicules ». Détaillant sa propre
conception de l’amour, il en dévoile surtout le principal ressort : l’envie de
séduire, la possession en elle-même n’étant que secondaire « à forcer pied
à pied toutes les petites résistances qu'elle nous oppose ». Cette facette
de la séduction qui conçoit la femme à séduire comme un « objet » se
retrouve cependant dans sa conception de l’amour.
!"
L’inversion des valeurs :
Ce dernier est en effet vécu à l’inverse des valeurs traditionnellement
admises puisque l’amour, la rencontre de l’autre et la poursuite du lien, est
plutôt perçu comme une « mort dès sa jeunesse », expression oxymorique
que vient redoubler le verbe « ensevelir » puisqu’il rattache ainsi l’amour
au champ lexical de l’enfermement. La séduction, la poursuite des désirs
de l’autre à accorder aux siens, se voit, à l’inverse, assimilée à une
« naissance », cette dernière renvoyant à celle des sentiments et, par
extension, à la sensation de renaître. Plus étonnant encore est sa
conception de la séduction comme un état imposé par l’autre ou par
inclinaison naturelle, conception qui le place sous une volonté autre que la
sienne et le dispense de tout jugement.
Libertin de goût et de paroles, d’actions et de pensées, Dom Juan apparaît
comme celui qui se présente libéré de tous liens. Sa revendication des
plaisirs se voit pourtant opposée aux propos de son valet.
III. La figure du valet
Ce dernier apparaît en effet comme une parole de sagesse à l’expression
pourtant contrariée.
!"
La stabilité des sentiments
La parole de Sganarelle figure ainsi celle de la stabilité par rapport au
mouvement constitué par les incartades de Dom Juan. Ses propos sont
ceux de la mesure, du rappel de la constance et de la bienséance. Il
apparaît comme le représentant de la morale, comme de la peur du
châtiment divin. Son jugement reflète celui de la société bien-pensante
dans laquelle évolue Dom Juan.
!"
Une parole entravée
Son discours reste celui d’un valet qui s’exprime devant son maître. Il ne
peut donner son avis que parce que Dom Juan l’y autorise, ces
dérogations restant l’apanage du maître qui permet et donc maintient son
rang. Ses encouragements à poursuivre marquent d’ailleurs leurs limites
puisque Sganarelle est rapidement remis à sa place. Il doit donc ruser pour
tenter d’imposer son point de vue et il s’agit bien là d’un difficile exercice
que les interruptions de Dom Juan, en renforçant le comique, rendent
également ridicule.
!"
Une dénonciation
L’avis de Sganarelle est, dans un premier temps, discrédité dans cet
échange. Son argumentation se juge en effet défaillante devant
l’intelligence du maître, « vos discours m'ont brouillé tout cela », et c’est
par l’intermédiaire d’un subterfuge qu’il parvient à s’exprimer, en se lançant
dans un discours en direction d’un maître imaginaire. Son monologue
pointe toutefois une intéressante remarque quant au pourquoi de cette
attitude « certains petits impertinents dans le monde, qui sont libertins,
sans savoir pourquoi. ». En s’affranchissant de la peur du maître,
Sganarelle gagne un droit d’expression qui permet une réflexion quant aux
actions jugées immorales d’un maître. Paroles de sagesse qui peinent à
s’affirmer, les réflexions de Sganarelle offrent néanmoins un pendant à
l’attitude du maître.
IV. Conclusion
Cette présentation d’un libertin, libre de ses actions jusqu’à l’outrance,
acquiert une valeur autre par le regard du valet dont la parole est pourtant
entravée. Mais, si le comique de la scène permet de mettre en valeur Dom
Juan en dénonçant l’hypocrisie, la parole de Sganarelle, peu à peu libérée,
est néanmoins entendue.
Editeur : MemoPage.com SA © 2006 Auteur : Corinne Godmer Expert : Jacques Ménigoz
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