ET DE
LA
SCIENCE JURIDIQUE 123
mis
entre«
les
emportements populaires
et
l'absolutisme monarchique »
20
, le
doyen de Toulouse -jusqu'alors
connu
pour
ses
analyses de droit adminis-
tratif-
révèle que
le
pouvoir
se
conjugue avec la liberté, qu'«
il
n'y a plus de
principe de séparation des pouvoirs, c'est une idée surfaite et, au surplus, une
idée fausse »
21
, que
le
plus judicieux serait d'établir une distinction entre
pouvoir «juridictionnel »
et
pouvoir « politique » etc. Voilà aussi pourquoi
on
a trop considéré la lecture de Maurice
Hauriou
comme difficile, car elle
bouscule. Elle bouscule
les
idées reçues, enseignées depuis Esmein. I.:œuvre
constitutionnelle
du
Doyen n'aurait
donc
pas eu l'écho qu'elle méritait en
raison de son irrévérence par rapport à la pensée
du
père fondateur de la dis-
cipline22.
Il
est vrai que
la
réhabilitation de !'Exécutif propre au «modèle
néo-monarchien » écartait
Hauriou
du
constitutionnalisme révolutionnaire
23
et contribuait à l'aimanter au pôle antirépublicain. I.:écho que certaines de
ses
analyses trouvera chez
le
très controversé Carl Schmitt -
notamment
dans
son«
décisionnisme politique »
24
-n'était évidemment pas de nature à inver-
ser
la
tendance. Porteur
d'une
pensée constitutionnelle trop ambiguë, trop
déviante par rapport aux canons de la discipline,
on
préféra ne pas
se
référer
à Hauriou.
Il
faut
le
regretter tellement l' œuvre constitutionnelle
du
doyen de Tou-
louse renouvelle la discipline constitutionnelle
par«
!'abondance
et
par l' origi-
nalité des points de vue »
25
, par la richesse des matériaux utilisés (histoire
20 D. Chagnollaud, «Préface» à
la
réédition
des
Éléments
de
droit constitutionnel français et
comparé
(Sirey,
8'
éd. 1928), L.G.D.J., Panthéon-Assas, 2001.
21
M. Hauriou,
Précis
de
droit constitutionnel,
op.
cit.,
1929,
p.
348.
22 Un même phénomène affecte
la
mémoire de Boris Mirkine-Guetzévitch, voir notre étude
à paraître (premier trimestre 2005) intitulée «
Les
idées constitutionnelles de Boris Mirkine-
Guetzévitch » in
C.
M. Herrera (dir.),
Les
juristes
face
au Politique, Paris, éd. Kimé.
23
Voir
S.
Rials,« Une doctrine constitutionnelle française?»,
Pouvoirs,
n°50, 1989, pp. 81-
95.
Il
est vrai qu'avec Maurice Hauriou,
la
tendance est aussi (comme dans
le
constitutionna-
lisme « néo-monarchien »)d'opérer« un dépassement inventif de
la
contradiction de l'Ancien et
du Nouveau, de marier
les
acquis
de
la
Révolution
avec
les
nécessités supposées éternelles du
Pouvoir»
(p.
90).
24
Sans rentrer dans
le
détail d'une pensée pour
le
moins foisonnante,
il
faut simplement
dire qu'aucun cadre juridique préalablement conçu n'est, selon Schmitt, capable de cantonner
la
politique au silence. O. Beaud (Voir
la
préface -«Carl Schmitt ou
le
juriste engagé» -à
la
réédition
de
l'ouvrage de l'auteur allemand
Théorie
de
la
Constitution, Léviathan,
P.U.F.,
1993,
p.
31) évoque son « penchant» à
se
tourner
vers
«
le
cas
d'exception
»,
lequel ressort« dès que
les
éléments posés en dehors du contenu de
la
loi positive ébranlent
la
pratique». Dans
ces cas
limites, apparaît «dans toute
sa
pureté»
la
nécessité
de
la
décision. Finalement,
la
force
d'un
système ne
se
mesure
pas
à
la
rigidité
de
ses
normes, mais à
sa
capacité de réaction devant l'im-
prévu. Cela revient à disposer
d'un
organe qui, pour reprendre l'expression
de
M. Hauriou,
«possède
la
synthèse de
la
conception, de
la
décision et de l'exécution»
(Précis,
op.
cit.,
2'
éd.
p.
385).
On
concédera à Olivier Beaud que
le
rapport Hauriou I Schmitt a été mis au jour
récemment, qu'il n'a donc pu obstruer
la
mémoire du Doyen pendant
la
majeure partie
du
XX"
siècle.
On
admettra aussi que
la
révélation de
ce
lien n'est
pas
de nature à réhabiliter
la
valeur
du
Précis
de
droit constitutionnel auprès des jeunes générations de constitutionnalistes.
25
Cf.
L.
Rolland, «Analyses et comptes rendus»,
R.D.P.,
1924,
p.
490.