THEME 5 LES FRANÇAIS ET LA RÉPUBLIQUE QUESTION 1 La République, trois républiques CHAPITRE 1 L’ENRACINEMENT DE LA CULTURE RÉPUBLICAINE (Les décennies 1880 et 1890). INTRODUCTION Définition du sujet : Depuis les Lumières au XVIIIème siècle et la Révolution, le sens du mot « République » a évolué et le régime républicain a eu du mal à s’installer. Au cours de la longue période révolutionnaire, la France est comme un laboratoire politique dans lequel se multiplient les expériences politiques, parmi elles, des républiques. La République apparaît alors comme un idéal à atteindre, une sorte d’aboutissement du progrès politique qui a eu du mal à s’imposer au début. La 1ere République erra entre l’expérience de la Terreur et la République bourgeoise, avant d’être remplacée par l’Empire. La 2nde République sut entreprendre d’importantes réformes sociales comme l’abolition de l’esclavage, mais elle fut éphémère et fut remplacée par le second Empire. La 3eme République fut proclamée le 4 septembre 1870 après le désastre militaire de la guerre franco-prussienne, mais à ses débuts elle était dominée par les Royalistes et ses chances de réussites semblaient compromises. Pourtant, c’est avec elle que le régime républicain s’est consolidé en France. En effet, même si la 3eme République n’a duré que 70 ans, dès lors, la France n’a plus cessé d’être une république, à part la parenthèse de Vichy entre 1940 et 1944. 1 Problématique : o Que signifie être républicain dans le dernier quart du XIXème siècle ? o Pourquoi le régime républicain est-il devenu majoritaire en France à cette époque ? o Quelles sont les limites de l’adhésion à la République ? Plan 1. La Troisième République fédère autour de valeurs. 2. Les Français deviennent républicains. 3. L’Affaire Dreyfus transforme la république. _______________________________________________________________ 1. La Troisième République fédère autour de valeurs. A- Les grandes lois des années 1880 LOI Sur la liberté de la presse Sur la liberté d’affichage Sur la liberté de réunion Sur l’enseignement primaire Sur la liberté syndicale Loi municipale ANNÉE 1881 DISPOSTIONS Loi plus libérale que celles qui existaient auparavant. 1881 Beaucoup de messages politiques passent par les affiches. 1881 Il ne faut plus d’autorisation du gouvernement pour tenir une réunion. 1881-1882 L’enseignement primaire devient gratuit, laïc et obligatoire. 1884 Des associations chargées de la défense d’intérêts professionnels, les syndicats, peuvent se constituer librement. 1884 Toutes les communes ont le même statut et élisent le conseil municipal. 2 En 1875, trois lois constitutionnelles sur le Sénat, sur l’organisation des pouvoirs publics et sur les rapports entre les pouvoirs sont votées. Elles établissent une République parlementaire bicamérale. Dans les années 1880’, une série de lois renforcent les valeurs démocratiques et les libertés fondamentales (Voir tableau). B- Le rite républicain se construit autour de pratiques. Les pratiques électorales : Le droit de vote est donné à tous les citoyens hommes français de plus de 21 ans. Avec la fin du suffrage censitaire, le rite électoral se construit autour d’objets qui permettent l’apprentissage de la démocratie, tels que la carte électorale et l’isoloir car le vote secret est introduit en Rance en 1913. Les symboles républicains 3 La République consolide les symboles hérités de la Révolution Française qui vont contribuer à l’enracinement dans la population française de ce régime politique qu’on ne peut alors dissocier d’un certain nombre de valeurs comme la démocratie et la laïcité. Ces symboles, omniprésents, sont la Marseillaise adoptée comme hymne national en 1879, la devise inscrite au fronton de toutes les mairies, la fête nationale établie au 14 juillet depuis 1880, « Marianne » allégorie de la République. Au moment de la célébration du 14 juillet 1880, le Président Jules Grévy remet aux troupes qu’il passe en revue le drapeau tricolore frappé du sigle RF (« République Française ») qui s’impose dès lors comme l’emblème de la République. La République se dote également de lieux de mémoire, comme le Panthéon. Dès 1791, la Première République avait déjà décidé d’utiliser cette église comme nécropole aux personnalités exceptionnelles qui contribueraient à la grandeur de la France. Finalement, á partir de 1885, à l’occasion du décès de Victor Hugo et de son inhumation au Panthéon, l’édifice perd sa fonction 4 religieuse et devient définitivement le lieu de repos des grands hommes honorés par la République. Donc, la République est une lente construction qui s’appuie sur l’enracinement de pratiques démocratiques et de symboles mobilisés à l’occasion de fêtes et de commémorations nationales. 2. Les Français deviennent républicains A- L’école au service de la République Extrait du manuel « Le tour de la Frnce par deux enfants », Edition de 1877. 5 L’école est au cœur de la politique de la 3eme République. Le budget qui lui est consacré quadruple entre 1879 et 1889. Jules Ferry est l’instigateur des lois du 16 juin 1881 sur la gratuité scolaire, du 28 mars 1882, établissant l’obligation et la laïcité de l’enseignement primaire du 30 octobre 1886. Parallèlement, le personnel enseignement est laïcisé. Un million d’élèves sont scolarisés entre 1880 et 1900. Dans chaque commune, le bâtiment de la mairie-école conquiert une place centrale, auparavant réservé à l’église paroissiale. Les programmes scolaires transmettent les mythes fondateurs de la République. Les instituteurs sont formés par des écoles normales implantées dès 1879 dans chaque département. L’histoire, la géographie, la littérature, tel le roman de G. Bruno, Le tour de France par deux enfants, sont mobilisés afin d’entretenir le patriotisme. Les cours de morale civique doivent enraciner les valeurs républicaines dans les esprits. 6 B- L’armée au service de la République D’une armée monarchiste et impériale, le nouveau régime compte faire une armée républicaine, une nation armée. En effet, l’idée est de confier l’armée au peuple et pour cela les modes de recrutement évoluent, notamment des 28.000 officiers qui encadrent cette armée de 500.000 hommes. Aux écoles de formation classiques comme Saint-Cyr, où l’origine sociale tient lieu de mode de sélection, il est décidé de substituer le principe de progression au mérite. Par ailleurs, l’instauration du service militaire universel et obligatoire en 1872 permet de faire entrer le peuple dans l’armée. Ces réformes ont deux conséquences : L’usage très répandu qui permettait à un fils de famille aristocrate d’atteindre un grade d’officier dans l’armée se perd. Ces réformes poussent une nouvelle classe d’officiers dans les Etatsmajors, des officiers souvent brillants et attachés aux valeurs républicaines. L’armée devient dès lors un instrument d’ancrage de la République dans la population française car elle permet la promotion sociale des enfants du peuple. L’école et l’armée sont les deux piliers de la construction républicaine. Ils sont des outils pour diffuser et enraciner les valeurs républicaines. Les citoyens se soudent autour de la République et de sa défense. 7 3. L’Affaire Dreyfus transforme la république. A- De l’accusation à l’Affaire. Le quotidien antisémite, La Libre Parole, annonce le 29 octobre 1894 l'arrestation d'un officier juif. Ce journal fait campagne pour sa condamnation. 8 En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus, juif d’origine alsacienne est accusé d’avoir prétendument livré des documents secrets français à l’Empire allemand. Cette affaire éclate sur fond d’antisémitisme et de haine de l’Empire allemand. Dès que les fuites sont détectées, le ministre de la guerre est violemment attaqué par la presse qui le juge incompétent. Celui-ci compte tirer parti de cette affaire pour rehausser son image. Il commande deux enquêtes, l’une administrative, l’autre judiciaire et restreint le cercle de recherche à un suspect, ce qui conduit à identifier un coupable idéal de confession juive, alsacien d’origine et issu de la méritocratie républicaine : le capitaine Alfred Dreyfus. Finalement, le 22 décembre 1894, Dreyfus est condamné à la peine maximale applicable pour trahison, a savoir, la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée, à la destitution de son grade et à la dégradation militaire. B- L’opinion publique divisée. 9 La condamnation de Dreyfus déclenche une crise politique majeure Entretenue par les Ligues nationalistes et la presse qui se fait l’écho de la campagne antisémite qui vise Dreyfus, en 1898, ce qui est devenu « l’Affaire » entraîne la mobilisation d’intellectuels tels Emile Zola et divise l’opinion publique. Aux dreyfusards qui luttent pour réparer une erreur judiciaire au nom de la justice et de la vérité, les antidreyfusards opposent la raison d’Etat et la nécessaire défense de l’armée. La France est réellement coupée en deux, mais aucune généralisation n’est possible : la communauté 10 juive s’engage peu, les intellectuels ne sont pas tous dreyfusards, les protestants sont partagés, quelques marxistes refusent de soutenir Dreyfus. Donc, le clivage transcende les religions et les milieux sociaux, comme l’illustre la célèbre caricature de Caran d’Ache « Un dîner en famille ». (VOIR IMAGE CI-DESSUS) C- La République confortée par l’Affaire. Finalement, l’Affaire Dreyfus conduit à une recomposition du paysage politique français, et conforte le régime républicain. Sous la pression de Dreyfusards, la Cour de assation déclare recevable la demande de révision du procès et procèdera à une instruction supplémentaire. Le 3 juin 1899, le jugement est cassé. Par cet arrêt, la cour de cassation s’impose comme une véritable autorité capable de tenir tête à l’armée et au pouvoir politique. Pourtant, la cour de cassation reconnait Dreyfus coupable, divisant encore davantage l’opinion publique française. Afin d’éviter un 3eme procès, le gouvernement décide en 1899 de gracier (mais pas innocenté) Dreyfus. Commence alors la lutte des Dreyfusards pour obtenir la réhabilitation de Dreyfus, obtenue en 1906. Finalement, l’Affaire Dreyfus a consolidé la République. En effet, l’opposition à Dreyfus, par son extrême violence, a servi l’ordre républicain. Les républicains ont été unis par l’excessive brutalité des partis nationalistes. 11 CONCLUSION Etre républicain au cours des deux dernières décennies du XIXème siècle, c’est non seulement adhérer à un régime politique mais aussi adhérer à des valeurs telles que la démocratie et la laïcité. L’école et l’armée sont les instruments principaux de l’ancrage de la République dans la population française. Même si la République est menacée, notamment par l’Affaire Dreyfus qui exacerbe les forces nationalistes anti républicaines, finalement celle-ci en sort grandie et renforcée. La République sera de nouveau menacée dans les années 1930 par les ultranationalistes antisémites et d’extrême droite. Toutefois, l’attachement des Français à la République acquis dès les années 1880 permettra de sauver le régime républicain. 12