Cours III - 18 septembre 2007 THÈME I - THÉORIES DU DÉVELOPPEMENT ET DU SOUS-DÉVELOPPEMENT 1.1 Analyses privilégiant les causes internes • Théories de la modernisation • Autres théories privilégiant causes internes – Théorie de la recherche de rentes – Néo-patrimonialisme – Néolibéralisme Aperçu et chronologie des principales théories sur le sous-développement Deux écoles dominantes: la modernisation et la dépendance Modernisation Dépendance et néo-marxisme Thé Théorie du systè systèmemonde Thé Théorie des rentes et né néopatrimonialisme Post développement Période 1945-‘ 1945-‘70s 1950s-‘ 1950s-‘70s Fin 1970s‘80s 1980s… 1980s… 1990s… 1990s… Origine principale États-Unis Amé Amérique latine États-Unis Etats-Unis, France Amé Amérique latine, Europe Accent sur causes… causes… Internes Externes Externes Internes Externes Thè Thème principal Tradition vs modernité modernité Centre vs périphé riphérie Hié Hiérarchie dans le systè systèmemonde Critique du rô rôle de l’é tat et des l’état structures sociales Critique du concept de développement Théories de la modernisation Contexte de l’émergence des théories de la modernisation Fin de la Seconde Guerre Mondiale: • Émergence des Etats-Unis comme superpuissance • Reconstruction de l’Europe et entreprise de modernisation politique de l’Allemagne et du Japon • Désintégration des empires coloniaux et indépendance des ex-colonies • Naissance de la Guerre Froide • Mise en place des institutions de Bretton Woods, de l’ONU et des programmes américains d’aide au développement Les théories de la modernisation • Vision holiste du développement - implique toutes les sciences sociales (sociologie, économie, science politique, histoire, démographie, psychologie…) • Perspectives communes: – Retard du Tiers-monde attribué à des structures sociales, économiques, politiques traditionnelles – Défi de ces nouvelles nations: • acquérir des valeurs culturelles modernes • se doter d’institutions économiques et politiques modernes favorisent progrès technique et économique et permettent de s’adapter aux changements Héritage intellectuel des théories de la modernisation (cf. texte de Alvin So du recueil) • Perspective évolutionniste La modernisation est un processus… – irréversible et souhaitable – qui se déroule en étapes et requiert du temps – qui entraîne la convergence, l’homogénéisation – qui consiste à imiter l’Europe et les Etats-Unis • Théorie fonctionnaliste La modernisation est un processus de transformation… – systématique : forme un tout cohérent – immanent : changement dans une sphère sociale entraîne changement semblable dans d’autres sphères Sociologie de la modernisation (ex: Parsons, Inkeless, Smelser) • Ensemble de travaux comparatifs entre sociétés traditionnelles et modernes - se distinguent par… – relations sociales affectives vs neutres – relations fonctionnellement diffuses vs spécifiques – orientation collective vs individuelle – statut social basé sur identité vs réalisations • «Hommes modernes» caractérisés par: – ouverture à de nouvelles expériences – indépendance face aux figures d’autorité – croyance en capacité de l’homme de dominer la nature Sociologie de la modernisation • Processus de modernisation implique une évolution des valeurs et structures sociales traditionnelles vers la sécularisation, la rationalité et l’individualisme. • Éducation, urbanisation, développement des médias = importants vecteurs de changement • Modernisation résulte en une différentiation structurelle: chaque institution sociale (ex: famille) se spécialise dans ce qu’elle fait mieux • Permet aussi passage d’un régime démographique traditionnel (mortalité et fécondité élevées) à moderne (mortalité et fécondité faibles) Sociologie de la modernisation Perspective largement partagée par chercheurs et institutions internationales de l’époque ex: «Measures for the Economic Development of Underdeveloped Countries» (ONU, 1951) : «…le progrès économique rapide est impossible sans des ajustements douloureux; les anciennes philosophies de vie doivent être éradiquées; les institutions traditionnelles doivent être désintégrées; …les collectivités qui ne seront pas prêtes à payer le prix du progrès, seront laissées pour compte et ne devront pas espérer une amélioration de leur sort… » -Rapporté par Peemans, J.-P. (2002) Perspectives économiques sur la modernisation Walt Rostow : les étapes de la croissance (1960) Propose modèle de croissance qui se veut universel 1. Société traditionnelle 2. Conditions préalables au décollage 3. Décollage 4. Marche vers la maturité 5. Ère de la consommation de masse Facteur critique au décollage = l’investissement Perspectives économiques sur la modernisation L’économie du développement • Voit le jour dans les années 1940-50 • Postulats: – industrialisation = principal défi du Tiers-Monde – échanges entre pays industrialisés et PED mutuellement bénéfiques • Affirme que – PED se distinguent des pays industriels • dualisme et surplus de main d’œuvre rurale • défis de l’industrialisation tardive – État a rôle à jouer dans modernisation économique Économie du développement Dualisme et surplus de main d’oeuvre Pays pauvres caractérisés par une économie duale – secteur traditionnel : • agriculture traditionnelle • activités informelles urbaines • orienté vers la subsistance • peu productif – secteur capitaliste : • activités manufacturières et minières • agriculture commerciale • orienté vers le profit Secteur informel: «ensemble d’unités d’intermédiation financière, de production de biens et services et de commercialisation qui échappent à tout contrôle de l’État» (Jacques B. Gélinas) Dualisme et surplus de main d’oeuvre • Selon Ragnar Nurske (1953), le dualisme génère un cercle vicieux de la pauvreté faibles revenus internes → faible demande + faible épargne ↑ faible productivité ↓ ← peu d’investissement • Pour d’autres (ex: Arthur A. Lewis), les inégalités entre ces deux secteurs favorisent la croissance : secteur rural offre main d’œuvre sous-employée au secteur capitaliste Économie du développement Les défis de l’industrialisation tardive (Alexander Gerschenkron, 1966) • Pays qui s’industrialisent plus tard font face à un environnement différent de celui des pionniers • Chaque pays suit une trajectoire unique: – rythmes de croissance – structures industrielles développées – rôle de l’état et d’institutions telles que les banques • L’arriération offre des avantages: usage immédiat de technologies plus efficaces développées ailleurs Perspectives politiques sur la modernisation (ex: Coleman, Almond, Lipset) • Premières versions: modernisation des mentalités, développement institutionnel, démocratisation et croissance économique se renforcent mutuellement • Almond et Coleman: notion de développement/modernisation politique – différentiation structurelle des institutions législatives, exécutives, judiciaires, administratives – sécularisation de la culture politique (égalité, universalisme) – augmentation de la capacité du système politique Perspectives politiques sur la modernisation Seymour Martin Lipset (1959, 1963) • Établit corrélation positive entre démocratie et développement (richesse, urbanisation, industrialisation, éducation) • Développement = précondition de la démocratie – augmente conditions de vie des pauvres ⇒ diminue attraction de l’extrémisme – classes moyennes forment organisations qui contrebalancent le pouvoir de l’état • Industrialisation trop rapide crée instabilité Perspectives politiques sur la modernisation • Milieu des années 60: vision différente émerge développement économique ⇒ instabilité • Samuel P. Huntington: «Political Order in Changing Societies» (1968) – identifie déséquilibres entre processus de modernisation sociaux, économiques et politiques – insiste sur importance du développement d’institutions politiques pour maintenir l’ordre – affirme que dans des «pays peu complexes et peu développés», les militaires peuvent assumer le rôle d’institution building (ex: Corée, Turquie, Pakistan) Critiques des théories de la modernisation • Conception théorique, linéaire et unidirectionnelle du développement • Vision réductrice de l’opposition entre valeurs «traditionnelles» et «modernes» – tradition et modernité coexistent dans toutes les sociétés – valeurs traditionnelles ne s’opposent pas nécessairement au développement • Néglige facteurs externes: relations de pouvoir existant dans l’environnement international • Constitue une forme d’ethnocentrisme, en posant l’Occident comme modèle à suivre Impacts et influence des théories de la modernisation • Discours de la modernisation adopté par ONU, IFI, aide bilatérale et élites de plusieurs PED • Notion d’ordre politique: a justifié soutien occidental à des régimes autoritaires • Plusieurs thèmes reformulés dans les années 80-90 – rôle des valeurs culturelles dans le développement – clientélisme et néopatrimonialisme – discours des IFIs sur les réformes de l’état • Quelques théoriciens toujours influents ex: Huntington, Coleman Autres théories mettant l’accent sur les causes internes Théorie de la recherche de rentes • «Rent-seeking» : terme forgé en 1973 par l’économiste Anne O. Krueger • Désigne «la recherche, par des individus ou entités, de situations où ceux-ci peuvent profiter de leur accès au pouvoir politique ou administratif pour manipuler l’environnement économique afin d’extraire des revenus sans accroître la production économique.» Théorie de la recherche de rentes • S’applique autant aux – entreprises, individus, groupes de pression: veulent emplois; licences d’importation; subventions publiques; avantages fiscaux – agents de l’état: offrent des rentes en échange de rémunérations monétaires ou soutien politique • Entraîne inefficacité et gaspillage Solution préconisée: – diminution des interventions de l’état – ouverture de l’économie Fondement conceptuel des réformes de «bonne gouvernance» prônées par BM et FMI Clientélisme et néo-patrimonialisme (ex: S. Eisenstadt, J-F Médard, R. Sandbrook) • Approche sociopolitique - années 1980-90 • Dans système néopatrimonial, pouvoir exercé via des réseaux informels qui lient «patrons» et «clients» – basés sur structures traditionnelles (famille, clan, région) – contournent règles et structures formelles • Distinction entre intérêt public et privé est effacée – cas extrêmes: état devient instrument privé des dirigeants (ex: Zaïre de Mobutu, Nigeria de Abacha) Clientélisme et néo-patrimonialisme • Légitimité des patrons fondée sur leur capacité à accorder des faveurs personnelles (emplois, licences, contrats) et non sur idéologie ou loi • Sape croissance économique et capacités de l’État: «…les responsables publics prennent des décisions à court terme ou concernant leur propre enrichissement, sans prendre en considération les conséquences économiques à long terme…» (Sandbrook, 1987: p. 24) • Grande adaptabilité – réseaux se réorganisent malgré réformes telles que la démocratisation ou la privatisation