La Cour de cassation et les réflexions sur la simplification de

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La Cour de cassation et les réflexions sur
la simplification de la répartition des compétences
des juridictions sociales
Par Jacques HÉDERER,
Conseiller honoraire à la Cour de cassation
Jacques HÉDERER, nommé juge en 1974, a présidé pendant quatre ans une commission de
première instance de Sécurité sociale. Nommé président de plusieurs tribunaux de grande
instance puis premier président d’une cour d’appel, il a, enfin, siégé pendant huit ans à la Cour de
cassation, dans la section de Sécurité sociale de la deuxième chambre civile, dont il est depuis fin
août 2014 doyen honoraire.
Si le contentieux de la Protection sociale est réparti entre plusieurs catégories de juridictions, la plus grande
part est jugée par les juridictions de l’ordre judiciaire.
Au sein de la Cour de cassation, juridiction supérieure de l’ordre judiciaire, une des trois sections de la deuxième
chambre civile se consacre exclusivement à ce contentieux, ce qui permet à ses membres d’avoir, grâce à
cette spécialisation, une assez bonne vision d’ensemble de cette matière, malgré sa complexité et sa rapide et
constante évolution.
Mieux connaître le rôle de la Cour de cassation permet de comprendre comment elle s’efforce d’apporter des
solutions à la fois réalistes et conformes au droit, mais aussi de mesurer les limites de son action.
Constatant les lenteurs et les incohérences résultant de l’accumulation des textes et de la multiplication des
juridictions compétentes pour en connaître, les magistrats de cette Cour participent activement aux réflexions
pouvant déboucher sur des aménagements ou des réformes permettant une simplification des procédures et
un meilleur accès des citoyens au droit et à la justice.
Le rôle de la Cour de cassation, son importance et ses limites
La Cour de cassation a vocation à unifier l’application du droit.
Ce rôle de cour régulatrice se traduit au premier chef par des arrêts indiquant son interprétation des textes. La
Cour donne aussi, en petit nombre et dans une forme laconique, des avis en réponse à des questions de droit
émanant des juridictions. Elle assure la transmission au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de
constitutionnalité, posées devant les juridictions ou devant elle-même, qui lui paraissent sérieuses. Enfin, son
rapport annuel contient des analyses de l’évolution de la jurisprudence ainsi que des propositions de réforme
des textes.
Composée d’environ 200 magistrats du siège ainsi que de magistrats du parquet général, la Cour de cassation
connaît de la totalité du droit privé.
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L’expérience et la qualité des magistrats qui y sont nommés, mais surtout ses principes de
fonctionnement - notamment, la collégialité enrichie par l’apport du parquet général et du
service de documentation, le strict respect de l’éthique professionnelle, un souci permanent de
la cohérence de la jurisprudence, des relations suivies avec les facultés de droit ainsi qu’avec les
diverses juridictions nationales et européennes- assurent la valeur de ses décisions et assoient
son autorité.
Ce rôle prépondérant s’exerce, cependant, dans un cadre strict qui tend à limiter l’influence de
la Cour.
Les limites tenant à l’objet du litige dont la Cour est saisie
En France, les juridictions ne peuvent se saisir elles-mêmes. C’est aux parties, personnes privées
ou publiques, qu’il appartient de formuler une demande et d’introduire l’instance en justice. Cette
prérogative appartient également aux magistrats du Ministère public, à titre principal au pénal,
dans une mesure plus restreinte en matière civile. Comme le procès est « la chose des parties »,
la Cour de cassation - fût-elle la plus haute juridiction de l’organisation judiciaire - ne peut se
prononcer que sur les litiges faisant l’objet de pourvois en cassation et sur les questions qui lui
sont posées ou transmises.
L’analyse statistique confirme, dans le domaine de la Protection sociale, les limites de son
champ d’action. Ainsi, la reconnaissance de l’origine professionnelle d’une lésion consécutive
à un accident du travail ou une maladie professionnelle, l’existence d’une faute inexcusable et
la réparation du préjudice corporel en résultant, l’opposabilité à l’employeur des décisions des
caisses représentent une très grande part de l’activité des juridictions judiciaires de Sécurité
sociale et, corrélativement, donnent lieu à un grand nombre de pourvois en cassation alors qu’il
ne s’agit que d’une fraction bien modeste de l’ensemble du droit de la sécurité sociale.
En revanche, d’autres domaines ne donnent presque jamais lieu à saisine de la Cour de cassation, soit
en raison du faible enjeu financier, soit en raison du très petit nombre des litiges, soit même parfois
en raison de la prudence des organismes de sécurité sociale et des avocats des parties, qui mesurent
les risques d’une évolution jurisprudentielle contraire à leurs souhaits et préfèrent transiger.
Les limites tenant au moyen juridique qui est soumis à la Cour
Non seulement la Cour de cassation ne statue que sur les affaires dont elle est saisie mais elle ne
peut dire le droit que sur les « moyens » qui sont proposés par les parties.
En effet, pour essayer d’obtenir la cassation de la totalité ou d’une partie d’une décision de
justice, le demandeur doit, d’abord, citer la disposition qu’il critique et la motivation des juges
qui la justifie, ensuite, indiquer le texte juridique qui a été violé, enfin, expliquer en quoi cette
motivation constitue une méconnaissance ou une fausse interprétation de ce texte juridique.
Telle est la définition du « moyen » sur lequel la Cour de cassation se prononce, en statuant « sur
le moyen, tout le moyen et rien que le moyen ».
Le respect de ce principe fondamental empêche la Cour de casser un arrêt pour un vice de
motivation non expressément invoqué par le mémoire déposé par l’avocat du demandeur.
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Il en résulte qu’un arrêt non conforme aux règles de droit, méconnaissant la jurisprudence,
insuffisamment ou faussement motivé, entaché de contradictions, etc., pourra être maintenu si le
demandeur à la cassation n’a pas articulé un « moyen » susceptible de justifier la cassation.
Toutefois, ce principe n’est pas absolu. Selon l’article 620 du code de procédure civile, la Cour de cassation
peut, sauf disposition contraire, casser la décision attaquée en relevant d’office un moyen « de pur droit ».
Cette exception n’est mise en œuvre qu’après avoir recueilli l’avis des parties et avoir vérifié que ce moyen « de
pur droit » relevé d’office s’inscrit exactement dans le cadre de la saisine de la Cour de cassation et que son
application ne nécessite l’interprétation d’aucun fait.
Cette substitution du moyen contenu dans les mémoires des avocats aux Conseils par un moyen relevé
par la Cour n’est opérée que dans une faible proportion des arrêts de cassation, d’une part, en raison de la
bonne qualité des travaux de ces avocats, d’autre part, en raison de l’éthique de la Cour de cassation qui lui
recommande de ne recourir à une telle exception qu’avec prudence et dans le plus strict respect des conditions
de forme et de fond.
Les limites tenant à l’inflation des textes
Assurer la sécurité juridique, impliquant une certaine stabilité de la jurisprudence, a toujours été une des
préoccupations majeures de la Cour.
Les rapides changements législatifs ainsi que la complexité des lois et règlements viennent battre en brèche
cet objectif. Il arrive fréquemment que la Cour soit saisie de difficultés d’application d’un texte qui a déjà été
abrogé, modifié ou remplacé. Le caractère très détaillé des lois et la volonté du législateur d’intervenir dans
tout le champ de l’activité sociale rendent difficiles la construction de jurisprudences stables et la définition de
principes généraux. Qui plus est, il n’est pas exceptionnel de constater qu’un revirement de jurisprudence est
rapidement suivi par une modification législative ou réglementaire en annulant les effets.
Néanmoins, la relative variété des questions posées par les pourvois permet d’élaborer une doctrine et une
réflexion sur nombre de sujets importants tant par leur enjeu financier que par leurs conséquences sur la santé
et le bien-être des assurés.
Les magistrats composant la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, notamment ceux de la section
de sécurité sociale, mais aussi ceux de la section chargée de la procédure civile, sont fréquemment amenés à
constater -et à déplorer- l’émiettement du contentieux de la protection sociale entre plusieurs catégories de
juridictions et les complications et le manque de clarté en résultant.
Les difficultés résultant de l’organisation des juridictions et de la répartition
des compétences
Les juridictions compétentes dans le domaine de la Protection sociale et de l’action sociale relèvent les unes, de
l’ordre judiciaire, les autres, de l’ordre administratif.
Dans chaque ordre, les litiges sont soumis soit à des juridictions de droit commun, soit à des juridictions
spécialisées. Cette répartition des compétences, fondée sur des dispositions législatives et sur des interprétations
jurisprudentielles, est source de difficultés récurrentes.
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Le contentieux de la Sécurité sociale est réparti entre des juridictions
judiciaires et administratives
Les juridictions du contentieux général de la Sécurité sociale, à savoir en première instance le
tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) et en appel la chambre sociale de la cour d’appel,
sont des juridictions spécialisées de l’ordre judiciaire.
Le pourvoi en cassation contre les décisions de ces juridictions (décisions rendues, en principe,
par la cour d’appel, mais aussi par le tribunal des affaires de sécurité sociale s’il a statué en
dernier ressort, dans les litiges dont le montant est inférieur à 4 000 euros) est jugé par la Cour
de cassation.
Ces juridictions connaissent de l’ensemble des différends intéressant l’application des lois et
règlements en matière de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole qui ne relèvent pas,
par leur nature, d’un autre contentieux, comme, par exemple, les questions touchant l’état des
personnes, qui sont de la seule compétence des juridictions civiles, ou les infractions pénales,
relevant exclusivement des juridictions répressives.
La jurisprudence limite la compétence du contentieux général aux litiges à caractère individuel
en matière d’assujettissement, d’assiette et de recouvrement des cotisations et d’attribution et
de paiement des prestations et ce, quelle que soit la nature de l’organisme social, y compris ceux
des régimes spéciaux des agents publics dont, cependant, la gestion relève des attributions d’une
personne publique.
D’autres exceptions découlent soit de textes, soit de la logique processuelle.
C’est, par exemple, un texte, l’article L. 2333-69 du code général des collectivités territoriales,
qui prévoit que le versement de transport est recouvré par l’URSSAF et que son contentieux
relève du tribunal des affaires de Sécurité sociale alors qu’il s’agit d’une imposition et non d’un
prélèvement social.
C’est la logique des mises en cause et des appels en garantie en cours de procès qui amène devant
le tribunal des affaires de sécurité sociale, saisi d’un litige de faute inexcusable, des entreprises
qui n’ont pas de lien contractuel avec la victime d’un accident du travail.
Il s’agit souvent des entreprises utilisatrices ayant contracté avec une entreprise de travail
temporaire - qui conserve toujours la qualité d’employeur de la victime. Ce sont aussi les
assureurs de ces entreprises.
Ces extensions de compétence résultent indirectement de textes concernant le travail temporaire,
notamment, l’article L. 412-6 du code de la sécurité sociale prévoyant que l’entreprise utilisatrice
est regardée comme substituée à l’entreprise de travail temporaire.
La même solution est retenue pour les employeurs successifs d’une même victime (Cass. 2
e
civ.,
7 avr. 2011 (pourvoi n° 09-17.285), lorsque la victime a été exposée au risque dans plusieurs
entreprises (Cass. 2
e
civ., 14 mars 2013 (pourvoi n° 11-26.459) ou encore, en cas de prêt de main-
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d’œuvre (Cass. Soc., 18 juin 1959 (pourvoi n° 57-51.107) (Bull. civ. V, p. 616) ; Cass. 2
e
civ., 8 nov.
2007 (pourvoi n° 07-11.219).
Même en l’absence de relation contractuelle entre l’employeur et l’entreprise où est survenu l’accident, le
recours de l’employeur contre un tiers est possible :
Cass. Soc. 18 janvier 1996 (pourvoi n° 93-15.675) (Bull. 1996 V n° 18) :
En cas de partage de responsabilité d’un accident du travail avec un tiers, l’employeur, auteur d’une faute
inexcusable, ou son assureur, est en droit d’obtenir le remboursement par ce tiers de la fraction, correspondant à
sa part de responsabilité, de la cotisation complémentaire d’accident du travail qui lui a été réclamée à la suite de
l’accident, en application de l’article L. 452-2, alinéa 6, du code de la Sécurité sociale.
Il en va de même s’agissant d’un dommage causé par un fournisseur :
Cass. Soc. 11 janvier 2000 (pourvoi n° 97-16.605) (Bull. 2000 V n° 7) :
En l’état d’un accident du travail causé par une machine non conforme aux normes de sécurité, la faute pénale de
l’employeur, condamné pour homicide involontaire, interdit de mettre à la charge du fabricant du matériel l’entière
responsabilité de l’accident, les fautes de l’employeur et du fabricant ayant, toutes deux, contribué à la réalisation
de l’accident.
Quant à l’assureur de l’employeur, il ne sera entendu que dans sa défense relative à l’existence de la faute
inexcusable et à la réparation du préjudice corporel en découlant. S’il veut soulever une exception de non-
garantie découlant, par exemple, de la nullité du contrat d’assurance souscrit par l’entreprise responsable de
l’accident, le TASS se déclarera incompétent et le tribunal de grande instance devra être saisi de cette question.
Les juridictions du contentieux technique de la Sécurité sociale, à savoir en première instance le tribunal du
contentieux de l’incapacité (TCI) et en appel la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance
des accidents du travail (CNITAAT), sont des juridictions spécialisées de l’ordre judiciaire.
La CNITAAT juge également en première et dernière instances les litiges de tarification de l’assurance des
accidents du travail.
Le pourvoi en cassation contre les décisions de cette Cour est jugé par la Cour de cassation.
Les conséquences financières très importantes pour la victime comme pour l’employeur expliquent la
multiplication des recours. Or, les recours concernant la même personne victime d’un même accident, sont
jugés, selon la nature du litige, par deux catégories de juridictions, d’une part, le TASS et en appel la chambre
sociale de la cour d’appel, d’autre part, le TCI et en appel, la CNITAAT.
L’articulation entre les compétences du TCI et celles du TASS est déterminée par l’article R. 143-2 du code de
la Sécurité sociale, lequel prévoit que le premier doit surseoir à statuer sur le taux d’incapacité permanente
partielle dans l’attente de la décision du second sur le caractère professionnel de la lésion.
Il n’est pas rare que la CNITAAT soit saisie d’un appel contre la fixation du taux d’incapacité d’une victime
par le jugement d’un TCI, tandis qu’une cour d’appel est saisie d’un appel contre le jugement du TASS sur
l’opposabilité à l’employeur d’une décision de la caisse primaire concernant la même victime.
Les affaires sont examinées par la CNITAAT, qui a son siège à Amiens, le plus souvent en l’absence des
parties, selon les règles de la procédure orale. Pour remédier aux difficultés de procédure sanctionnées par
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