581-588-PISSALOUX:Mise en page 1 23/08/11 15:32 Page581 Chronique de jurisprudence administrative Jean-Luc PISSALOUX Professeur à l’Université de Bourgogne Vice-Président du Conseil scientifique du GRALE (GIS CNRS) Contrats – Contentieux contractuel Contentieux de l’exécution du contrat CE, 19 janvier 2011, Syndicat mixte pour le traitement des résidus urbains (SMTRU), req. n° 332330 (décision à mentionner aux tables du Recueil Lebon) (extraits) Considérant, en troisième lieu, que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celuici, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ; qu’ainsi, lorsque le juge est saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d’office, aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d’une part à la gravité de l’illégalité et d’autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ; qu’en vertu des dispositions de l’article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, les délégations de service public des personnes morales de droit public relevant de ce code sont soumises par l’autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes ; que la méconnaissance de ces dispositions constitue un manquement aux règles de passation de ces contrats ; (….) Note Avec l’arrêt Syndicat mixte pour le traitement des résidus urbains du 19 janvier 2011, le Conseil d’État fait une application coordonnée des jurisprudences Commune de Béziers (CE, ass., 28 décembre 2009, req. n° 304802) et Manoukian (CE, 12 janvier 2011, req. n° 338551) aux conventions de délégation de service public conclues sans mise en concurrence préalable. En l’espèce, le Conseil d’État, saisi d’un litige opposant un syndicat mixte (le Syndicat mixte pour le traitement des résidus urbains (SMTRU)) à une entreprise chargée de l’exploitation d’une unité de traitement et de valorisation des déchets ménagers (la société Auxiwaste Services), juge dans cette décision que la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit en soulevant d’office le moyen tiré de l a nullité de la convention d’exploitation en raison de la seule méconnaissance des règles de passation des délégations de service public prévues à l’article L. 14111 du code général des collectivités territoriales. Comme on l’a déjà indiqué, cette décision s’inscrit dans le prolongement des Gestion & Finances Publiques / N° 8-9 - Août Septembre 2011 jurisprudences Commune de Béziers et Manoukian appliquées à une convention de délégation de service public. Selon l’arrêt d’assemblée Commune de Béziers, « lorsque les parties soumetten t au juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat » ; « toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel » . L’arrêt Manoukian a quant à lui précisé « qu’ainsi, lorsque le juge est saisi d’un litige relatif à l’exécution d’un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d’office, aux fins d’écarter le contrat pour le règlement du litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d’une part à la gravité de l’illégalité et d’autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat ». Pour appliquer ces solutions dans l’arrêt Syndicat mixte pour le traitement des résidus urbains du 19 janvier 2011 aux conventions de délégation de service public, le Conseil d’État considère « qu’en jugeant que la convention (…) était entachée de nullité au seul motif qu’elle avait 581 581-588-PISSALOUX:Mise en page 1 23/08/11 15:32 Page582 Chronique de jurisprudence administrative été conclue sans la mise en concurrence préalable prévue à l’article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, et qu’une telle circonstance faisait obstacle à ce que les stipulations du contrat soient invoquées dans le cadre du litige dont elle était saisie, sans vérifier , eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, si ce vice était d’une gravité telle que le juge doive écarter le contrat et qu e le litige qui oppose les parties ne doive pas être tranché sur le terrain contractuel, la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit ». En l’espèce, le juge d’appel avait certes pris en compte les circonstances dans lesquelles les irrégularités avaient été commises, mais ne s’était pas –conformément à la jurisprudence Manoukian– interrogé sur la gravité de ces irrégularités. Par conséquent, des irrégularités commises dans la passation du contrat, comme le non respect des procédures de mise en concurrence, ne peuvent servir à écarter systématiquement un contrat. Avec cette décision, le Conseil d’État confirme l’absence d’automaticité de l’annulation d’un contrat comme une convention de délégation de service public sur le seul fondement d’irrégularités commises lors de la passation dudit contrat. Contrats – Contentieux contractuel Référé contractuel – Recevabilité Moyens invocables CE, 19 janv. 2011, Grand port maritime du Havre, req. n° 343435 (décision à paraître au Recueil Lebon) (extraits) Considérant qu’aux termes de l’article L. 551-13 du code de justice administrative : « Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi, une fois c onclu l’un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d’un recours régi par la présente section » ; qu’aux termes de l’article L. 551-14 de ce code : « Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumis ces contrats, ainsi que le représentant de l’État dans le cas des contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local. / Toutefois, le recours régi par la présente section n’est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l’article L. 551-1 ou à l’article L. 551-5 dès lors que le pou- 582 voir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l’article L. 551-4 ou à l’article L. 551-9 et s’est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours » ; qu’aux termes de l’article L. 551-15 : « Le recours régi par la présente section ne peut être exercé ni à l’égard des contrats dont la passation n’est pas soumise à une obligation de publicité préalable lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication, ni à l’égard des contrats soumis à publicité préalable auxquels ne s’applique pas l’obligation de communiquer la décision d’attribution aux candidats non retenus lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a accompli la même formalité. / La même exclusion s’applique aux contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a envoyé aux titulaires la décision d’attribution du contrat et observé un délai de seize jours entre cet envoi et la conclusion du contrat, délai réduit à onze jours si la décision a été communiquée à tous les titulaires par voie électronique. » ; qu’aux termes de l’article L. 55 1-18 du même code : « Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu’aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n’a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l’Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. / La même annulation est prononcée lorsque ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique. / Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l’article L. 55 1-4 ou à l’article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d’exercer le recours prévu par les articles L. 55 1-1 et L. 55 1-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat. » ; qu’aux termes de l’article L. 551-19 : « Toutefois, dans les cas prévus à l’article L. 55 1-18, le juge peut sanctionner le manquement soit par la résiliation du contrat, soit par la réduction de sa durée, soit par une pénalité financière imposée au pouvoir adjudicateur ou à l’entité adjudicatrice, si le prononcé de la nullité du cont rat se heurte à une raison impérieuse d’intérêt général. / Cette raison ne peut être constituée par la prise en compte d’un intérêt économique que si la nullité du contrat entraîne des conséquences disproportionnées et que l’intérêt économique atteint n’est pas directement lié au contrat, ou si le contrat porte sur une délégation de service public. » ; qu’enfin, selon l’article L. 551-20 : « Dans le cas où le contrat a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l’article L. 55 1-4 ou à l’article L. 551-9, le juge peut prononcer la nullité du contrat, le résilier, en réduire la durée ou imposer une pénalité financière. » ; Considérant, d’une part, qu’il résulte de ces dispositions que sont seuls rec evables à saisir le juge d’un référé contractuel, outre le préfet, les candidats qui n’ont pas engagé un référé précontractuel, lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas communiqué la décision d’attribution aux candidats non retenus ou n’a pas observ é, avant de signer le contrat, un délai de onze jours après cette communication et, s’agissant des contrats non soumis à publicité préalable et des contrats non soumis à l’obligation de communiquer la décision d’attribution aux candidats non retenus, lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas rendu publique son intention de conclure le contrat ou n’a pas observé, avant de le signer, ce même délai, ainsi que ceux qui ont engagé un référé précontractuel, lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas respecté l’obligation de suspendre la signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 du code de justice administrative ou ne s’est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé ; Considérant, d’autre part, qu’en ce qui concerne l’ensemble des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, les manquements susceptibles d’être utilement invoqués dans le cadre du référé contractuel sont, comme les sanctions auxquelles ils peuvent donner lieu, limitativement définis aux articles L. 551-18 à L. 551-20 du même code ; qu’ainsi, le juge des référés ne peut prononcer la nullité mentionnée à l’article L. 551-18 - c’est-à-dire annuler le contrat - ou, le cas échéant, prendre les autres mesures prévues aux articles L. 551-19 et L. 55 1-20, que dans les conditions prévues à ces articles ; N° 8-9 - Août Septembre 2011 / Gestion & Finances Publiques 581-588-PISSALOUX:Mise en page 1 23/08/11 15:32 Page583 Chronique de jurisprudence administrative Considérant que, s’agissant des marchés passés selon une procédure adaptée, qui ne sont pas soumis à l’obligation, pour le pouvoir adjudicateur ou l’ent ité adjudicatrice, de notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une offre, avant la signature du contrat, la décision d’attribution, l’annulation d’un tel contrat ne peut, en principe, résulter que du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l’article L. 551-18, c’est-à-dire de l’absence des mesures de publicité requis es pour sa passation ou de la méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique ; Considérant que le juge du référé contractuel doit également annuler un marché à procédure adaptée, sur le fondement des dispositions du troisième alinéa de l’article L. 551-18 du code de justice administrative, ou prendre l’une des autres mesures mentionnées à l’article L. 551-20 dans l’hypothèse où, alors qu’un recours en référé précontractuel a été formé, le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas respecté la suspension de signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 ou ne s’est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé ; Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du référé contractuel que le Grand port maritime du Havre a lancé une procédure adaptée en vue de l’att ribution d’un marché portant sur la réfection et l’entretien de la porte d’une écluse ; qu’à l’issue de cette procédure, il a, après avoir écarté l’offre de la société Philippe Lassarat, attribué le marché à la société T ravaux Industriels Maritimes et Terrestres (Timt) ; que le contrat a été signé le 30 juin 2010 ; que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant en application de l’article L. 551-13 du code de justice administrative, a, à la demande de la société Philippe Lassarat, prononcé la nullité du marché ; Considérant que, pour ce faire, après avoir relevé, d’une part, qu’en n’ayant pas rendu publique son intention de conclure le marché et observé un délai de onze jours après cette publication, le Grand port maritime du Havre n’avait pas permis à la société Philippe Lassarat d’engager un référé précontractuel et, d’autre part , qu’en retenant une offre non conforme au règlement de la consultation, il avait commis un man- quement à ses obligations de mise en concurrence ayant affecté les chances de la société Philippe Lassarat d’obtenir le contrat, le juge des référés en a déduit que les conditions posées par les dispositions du troisième alinéa de l’article L. 551-18 du code de justice administrative étaient remplies ; qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte de ce qui a été dit plus haut que l’annulation d’un marché à procédure adaptée ne peut être prononcée sur le fondement de ces dispositions et dans ces conditions que si le pouvoir adjudicateur n’a pas respecté la suspension de signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 du code de justice administrative ou n’a pas respecté la décision juridictionnelle rendue sur le référé précontractuel, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a commis une erreur de droit ; que par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rouen du 6 septembre 20 10 doit être annulée ; Considérant que dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée par la société Philippe Lassarat ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les manquements dont se prévaut la société Philippe Lassarat ne se rattachent à aucune des hypothèses dans lesquelles le juge du référé contractuel peut exercer son office ; que, par suite, sa demande tendant à ce que soit prononcée la nullité du marché ne peut qu’être rejetée ; (….) Note : Avec l’arrêt Grand port maritime du Havre du 19 janvier 20 11, le Conseil d’État a réduit de façon notable les cas d’annulation d’un marché à procédure adaptée (MAPA) par le biais d’un référé contractuel. En l’espèce, le Grand port maritime du Havre avait lancé une procédure adaptée en vue de l’att ribution d’un marché portant sur la réfection et l’entretien de la porte Q3 de l’écluse Qui nette de Rochemont. A l’issue de cette procédure, l’offre de la société Philippe Lassarat avait été écartée, et le marché attribué à la société T ravaux Industriels Maritimes et T errestres (Timt). Le contrat a été signé le 30 juin 20 10. La société Philippe Lassarat a alors formé un recours Gestion & Finances Publiques / N° 8-9 - Août Septembre 2011 en référé contractuel, procédure introduite par l’ordonnance du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique et codifiée à l’article L. 551-13 du code de justice administrative (CJA). Le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, par une ordonnance du 6 septembre 20 10, a déclaré nul le marché attribué à la société Timt «après avoir relevé, d’une part, qu’en n’ayant pas rendu publique son intention de conclure le marché et observé un délai de onze jours après cette publication, le Grand port maritime du Havre n’avait pas permis à la société Philippe Lassarat d’engager un référé précontractuel et, d’autre part, qu’en retenant une offre non conforme au règlement de la consul tation, il avait commis un manquement à ses obligations de mise en concu rrence ayant affecté les chances de la société Philippe Lassarat d’obtenir le contrat (…) il en a déduit que les conditions posées par les dispositions du troisième alinéa de l’article L. 551-18 du code de justice administrative étaient remplies »1. Mais le Conseil d’État, par son arrêt du 19 janvier 2011, a annulé l’ordonnance du juge du fond en estimant qu’il avait commis une erreur de droit dans l’interprétation des nouvelles dispositions du CJA et des possibilités d’annulation des MAPA dans le cadre d’un référé contractuel. La mise en œuvre de la procédure du référé contractuel suppose de répondre aux deux questions suivantes, lesquelles –au demeurant– ne concernent pas seulement les procédures adaptées : . il convient d’abord de s’interroger sur le sort que la jurisprudence réservera à la violation de la clause dite de stand still prévue à l’article 80 du code des marchés publics (CMP) : est-ce qu’un délai raisonnable entre la décision de c onclure le contrat et sa signature sera reconnu pour les procédures échappant à l’article 80 du CMP, notamment pour les contrats prévus à l’article 28 dudit code ? . se pose en outre la question de savoir si le juge du référé contractuel peut être saisi de tout manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ou seulement des manquements les plus graves définis par l’article L. 55118 du CJA. S’agissant de la première question concernant la reconnaissance d’un « délai raisonnable » entre la décision de conclure le contrat et sa signature pour les contrats non soumis à l’article 80 du 1 Cf. CE, 19 janv. 2011, Grand port maritime du Havre, req. n° 343435. 583 581-588-PISSALOUX:Mise en page 1 23/08/11 15:32 Page584 Chronique de jurisprudence administrative CMP, force est de constater des prises de position radicalement opposées de la part de différentes juridictions du fond : ainsi, à titre d’exemples, le juge du référé du tribunal administratif de Lyon reconnaît un délai raisonnable2, alors que celui du tribunal administratif de Lille a adopté une solution inverse3. Dans son arrêt du 19 janvier 2011, le Conseil d’État ne prend pas position à cet égard. En revanche, s’agissant de la seconde question, la Haute Juridiction adopte une solution pour le moins rigoureuse, « extrêmement respectueuse des textes, en ce sens que les juges du P alais-Royal prennent soin de ne pas ajouter aux dispositions existantes »4, qui cependant « n’est pas sans susciter des interrogations »5. Les MAPA, prévus par l’article 28 du CMP, sont en effet des marchés pour lesquels le pouvoir adjudicateur et l’autorité adjudicatrice ne sont pas soumis à l’obligation de notifier aux opérateurs économiques non retenus avant la signature du contrat la décision d’attribution de ce marché 6 ; se pose alors la question de leur faculté de former un référé précontractuel. Par ailleurs, l’avis d’intention de conclure le contrat et le délai de onze jours qui l’accompagnent ne sont qu’une formalité permettant la fermeture de la voie du référé contractuel et ne constituent en aucun cas une obligation susceptible d’entraîner la nullité de ce contrat. 2 TA Lyon, 26 mars 20 10, Société Chenil service, req. n° 1001293 ; AJDA 2010, p.1423, note J.-D. Dreyfus. 3 TA Lille, 22 juin 2010, Société application concept, req. n°1003569. 4 Cf. J.-D. Dreyfus, MAPA : cas d’ouverture et office du juge du référé contractuel ; AJDA 2011, p. 800. 5 Idem. 6 Art. 80 du CMP. 7 CE, 19 janv. 2011, Société du grand port maritime du Havre. 8 Article L. 551-14 du CJA : « Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumis ces contrats, ainsi que le r eprésentant de l'État dans le cas des contrats passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local. Toutefois, le recours régi par la présente section n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l’article L. 551-1ou à l'article L. 551-5 dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l'article L. 55 1-4 ou à l'article L. 551-9 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours ». Adde : CE, 10 nov. 2010, France Agrimer, AJDA 2011, p.51, note J.-D. Dreyfus, pour la transformation en cours d’instance d’un référé précontractuel en référé contractuel lorsque le contrat a été sig né avant la s aisine du juge mais que le requérant l’ignorait par la faute de l’administration. 584 Mais les seuls cas retenus par le Conseil d’État comme pouvant entraîner l’annulation du contrat sont « s’agissant des marchés passés selon une procédure adaptée, qui ne sont pas soumis à l’obligation, pour le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice, de notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une offre, avant la signature du cont rat, la décision d’attribution, l’annulation d’un tel contrat ne peut, en principe, résulter que du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l’article L. 551-18, c’est-à-dire de l’absence des mesures de publicité requises pour sa passation ou de la méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation de s contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique »7. Le Conseil d’État fait donc une lecture littérale des textes, ce qui le conduit à considérer que l’annulation des MAPA ne peut résulter que des trois cas de figure prévus par l’article L. 551-18 du CJA. Or, alors que les cas d’ouvertures prévus par l’article L. 551-14 du CJA semblent plutôt larges8, les cas de nullité du contrat sont volontairement restreints et limitativement énumérés à l’article L. 55 1-18 du CJA9. On peut dès lors se demander si la solution adoptée dans l’arrêt Grand port maritime du Havre ne revient pas à limiter les cas d’ouverture du recours au référé contractuel aux cas de nullité du contrat. Dans ce cas, le juge opérerait un « amalgame entre les cas d’ouverture du référé contractuel et les cas de nullité du contrat »10 et « sauterait une étape du raisonnement »11. Cette position rigoureuse, couplée à l’absence d’imposition Article L. 551-18 du CJA : « Le juge prononce la nullité du contr at lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union eur opéenne dans le cas où une telle publication est prescrite. La même annulation est pr ononcée lorsqu’ont été méconnues les modalités de r emise en concurr ence prévues pour la passation des contr ats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat ». 10 Cf. J.-D. Dreyfus, AJDA 2011, op. cit. 11 Idem. 12 Ibid. 13 CE, Ass., 16 juil. 200 7, Société Tropic travaux signalisation ; RFDA 2007, p.696, concl. D. Casas ; p. 923, comm. D. Pouyaud. 9 d’un « délai raisonnable » avant la signature du contrat qui ferme alors la voie du référé précontractuel, aboutirait à priver « pour une large part le référé contractuel de son intérêt » 12 en lui accordant une utilité minimale ; le requérant devrait alors se retourner vers le recours en contestation de validité dit « Tropic »13. Il faut donc espérer une évolution jurisprudentielle en la matière, sinon le référé contractuel risque de perdre tout intérêt. Contrats – Contentieux de l’exécution du contrat – Office du juge – Pouvoirs du juge du contrat contre une mesure de résiliation – Action à fin de reprise des relations contractuelles CE, sect., 21 mars 2011, Commune de Béziers, req. n° 304806 (décision à paraître au Recueil Lebon) (extraits) Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le cadre d’un syndicat intercommunal à vocation multiple qu’elles avaient créé à cette fin, les communes de BEZIERS et de Villeneuve-lès-Béziers ont mené à bien une opération d’extension d’une zone industrielle intégra lement située sur le territoire de la commune de Villeneuve-lès-Béziers ; que, par une convention signée par leurs deux maires le 1 0 octobre 1986, ces collectivités sont convenues que la commune de Villeneuve-lès-Béz iers verserait à la commune de Bézi ers une fraction des sommes qu’elle percevrait au titre de la taxe professionnelle, afin de tenir compte de la diminution de recettes entraînée par la relocalisation, dans la zone industrielle ainsi créée, d’entreprises jusqu’ici implantées sur le territoire de la commune de Béziers ; que, par une délibération du 14 mars 1996, le conseil municipal de la commune d e Villeneuve-lès-Béziers a décidé que la commune ne devait plus exécuter la convention de 1986 à compter d u 1er septembre suivant et que, par lettre du 22 mars 1996, le maire de la commune de Villeneuve-lès-Béziers a informé le maire de la commune de Béziers de la résiliation de la convention ; que la commune de Béziers se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 12 février 200 7 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel qu’elle a formé contre le jugement du 25 mars2005 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande dirigée contre cette mesure de résiliation ; Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi ; N° 8-9 - Août Septembre 2011 / Gestion & Finances Publiques 581-588-PISSALOUX:Mise en page 1 23/08/11 15:32 Page585 Chronique de jurisprudence administrative Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article 2-I de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, désormais codifiées à l’article L. 2 131-1 du code général des collectivités territoriales : « Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès lors qu’il a été procédé à leur publication ou à leur notification aux intéressés ainsi qu’à leur transmission au représentant de l’État dans le département ou à son délégué dans le département » ; que l’absence de transmission de la délibération autorisant le maire à signer un contrat avant la date à laquelle le maire procède à sa signature constitue un vice affectant les conditions dans lesquelles la commune a donné son consentement ; que, toutefois, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, ce seul vice ne saurait être regardé comme d’une gravité telle que le juge doive annuler le contrat ou l’écarter pour régler un litige relatif à son exécution ; Considérant, dès lors, qu’en jugeant que la convention conclue le 10 octobre 1986 entre les communes de Villeneuve-lèsBéziers et de Béziers devait être « déclarée nulle » au seul motif que les délibérations des 29 septembre 1986 et 3 octobre 1986 autorisant les maires de ces communes à la signer n’ont été transmises à la souspréfecture que le 16 octobre 1986, pour en déduire que la demande dirigée contre la résiliation de cette convention était privée d’objet et rejeter son appel pour ce motif, la cour administrative d’appel de Marseille a commis une er reur de droit ; que, par suite, la commune de Béziers est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ; Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ; Considérant que la commune de Béziers soutient que le tribunal administratif de Montpellier ne pouvait rejet er comme irrecevables ses conclusions dirigées contre la résiliation de la convention du 10 octobre 1986 au motif que les conditions dans lesquelles la résilia tion d’un tel contrat intervient ne sont susceptibles d’ouvrir droit qu’à indemnité ; Sur les voies de droit dont dispose une partie à un contrat administrati f qui a fait l’objet d’une mesure de résiliation : Considérant que le juge du contrat, saisi par une partie d’un litige relatif à une mesure d’exécution d’un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité ; que, toutefois, une parti e à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d’une telle mesure d’exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles ; qu’elle doit exercer ce recours, y compris si le contrat en cause est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de la mesure de résiliation ; que de telles conclusions peuvent être assorties d’une demande tendant, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l’exécution de la résiliation, afin que les relations contractuelles soient provisoirement reprises ; Sur l’office du juge du contrat saisi d’un recours de plein contentieux tendant à la reprise des relations contractuelles : Considérant qu’il incombe au juge du contrat, saisi par une partie d’un recours de plein contentieux contestant la validité d’une mesure de résiliation et t endant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu’il constate que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé, de déterminer s’il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n’est pas sans objet, à la demande de reprise des relati ons contractuelles, à c ompter d’une date qu’il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d’ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité ; que, dans l’hypothèse où il fait droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il peut décider, si des conclusions sont formulées en ce sens, que le requérant a droit à l’indemnisation du préjudice que lui a, le cas échéant, causé la résiliation, notamment du fait de la nonexécution du contrat entre la date de sa résiliation et la date fixée pour la reprise des relations contractuelles ; Considérant que, pour déterminer s’il y a lieu de faire droit à l a demande de reprise des relations contractuelles, il incombe au juge du contrat d’apprécier, eu égard à la gravité des vices constatés et, le cas échéant, à celle des manquements du requérant à ses obligations contractuelles, ainsi qu’aux motifs de la résiliation, si une telle reprise n’est pas de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse ; Gestion & Finances Publiques / N° 8-9 - Août Septembre 2011 Sur l’office du juge du contrat saisi de conclusions tendant à la suspension de l’exécution d’une mesure de résiliation : Considérant, en premier lieu, qu’il incombe au juge des référés saisi, sur le fondement de l’article L. 52 1-1 du code de justice administrative, de conclusions tendant à la suspension d’une mesure de résiliation, après avoir vérifié que l’exécution du contrat n’est pas devenue sans objet, de prendre en compte, pour apprécier la condition d’urgence, d’une part les atteintes graves et immédiates que la résiliation litigieuse est susceptible de porter à un intérêt public ou aux intérêts du requérant, notamment à la situation financière de ce dernier ou à l’exercice même de son activité, d’autre part l’intérêt général ou l’intérêt de tiers, notamment du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse, qui peut s’attacher à l’exécution immédiate de la mesure de résiliation ; Considérant, en second lieu, que, pour déterminer si un moyen est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la validité de la mesure de résiliation litigieuse, il incombe au juge des référés d’apprécier si , en l’état de l’instruction, les vices invoqués paraissent d’une gravité suffisant e pour conduire à la reprise des relations contractuelles et non à la seule indemnisation du préjudice résultant, pour le requérant, de la résiliation ; Considérant qu’il résulte de tout ce qui vient d’être dit que c’est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a jugé que les conclusions de la commune de Béziers dirigées contre la mesure de résiliation de la convention du 10 octobre 1986 étaient irrecevables au motif que les conditions dans lesquelles la résiliation d’un tel contrat intervient ne sont susceptibles d’ouvrir droit qu’à indemnité ; Considérant toutefois que, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, le recours qu’une partie à un contrat administratif peut former devant le juge du contrat pour contester la validité d’une mesure de résiliation et demander la reprise des relat ions contractuelles doit être exercé par elle dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de cette mesure ; Considérant qu’il résulte de l’instruction que la demande de la commune de Béziers dirigée contre la résiliation, par la commune de Villeneuve-lès-Béziers, de la convention du 1 0 octobre 1986 a été enregistrée au greffe du tribunal 585 581-588-PISSALOUX:Mise en page 1 23/08/11 15:32 Page586 Chronique de jurisprudence administrative administratif de Montpellier le 2 mars 2000 ; que la commune de Béziers ne peut sérieusement contester avoir eu connaissance de cette mesure au plus tard par la lettre du 22 mars 1996, reçue le 25 mars suivant, par laquelle le maire de la commune de Villeneuve-lès-Béziers a informé son maire de la résiliation de la convention à compter du 1 er septembre 1996 ; qu’aucun principe ni aucune disposition, notamment pas les dispositions de l’article R. 421-5 du code de justice administrative, qui ne sont pas applicables à un recours de plein contentieux tendant à la reprise des relations contractuelles, n’imposent qu’une mesure de résiliation soit notifiée avec mention des voies et délais de recours ; que, dès lors, la demande présentée par la commune de Béziers devant le tribunal administratif de Montpellier était tardive et, par suite, irrecevable ; Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la commune de Béziers n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté comme irrecevables ses conclusions dirigées contre la mesure de résiliation de la convention du 10 octobre 1986 par la commune de Villeneuve-Les-Béziers ; (….) Note Après l’arrêt d’assemblée Commune de Béziers du 28 décembre 2009, dit "Béziers 1", qui a renouvelé les pouvoirs du juge dans le plein contentieux contractuel et consacré l’action en contestation de validité contractuelle, l’arrêt de section du même nom en date du 2 1 mars 20 1114, dit "Béziers 2", fait quant à lui évoluer l’office du juge saisi d’un recours contre une mesure de résiliation. Il n’est pas inutile de rappeler les faits et les différentes procédures engagées dans cette affaire complexe. En l’espèce, dans le cadre d’un syndicat intercommunal à vocation multiple créé spécialement, les communes de Béziers et de Villeneuve-lès-Béziers avaient mené à bien une opération d’extension d’une zone industrielle intégralement située sur le territoire de la commune de Villeneu ve-lèsBéziers ; afin de compenser la diminution de recettes entraînée par la relocalisa tion –dans la zone industrielle ainsi créée– d’entreprises jusque là implantées sur le territoire de la commune de Béziers, il avait été convenu, par une convention signée pour une durée illimitée par les deux 14 CE, sect., 21 mars 20 11, Commune de Bézier s, req. n° 304806, concl. Mme E. Cortot-Boucher , à paraître au Recueil Lebon. 586 maires le 10 octobre 1986, que la commune de Villeneuve-lès-Béziers verserait à la commune de Béziers une fract ion des sommes qu’elle percevrait au titre de la taxe professionnelle ; mais par une lettre du 22 mars 1996, le maire de Villeneuvelès-Béziers devait informer le maire de Béziers de son intention de résilier cette convention à compter du 1er septembre 1996. La commune de Béziers a alors enclenché deux types d’actions contentieuses. Dans le cadre d’une action en responsabilité contractuelle, elle a d’abord saisi le tribunal administratif de Montpellier, lequel, par un jugement du 25 mars 2005, a rejeté sa demande formée auprès de la commune de Villeneuve-lès-Béziers de l’indemniser du préjudice résultant selon elle de la résiliation du contrat. P ar un arrêt du 12 février 200 7, la cour administrative d’appel de Marseille, après avoir annulé pour irrégularité le jugement du tribunal administratif de Montpellier, a jugé que la convention du 10 octobre 1986 devait être « déclarée nulle » en application de la jurisprudence Préfet de la Côte d’Or 15, et a également rejeté la demande de la com mune de Béziers. À la suite du pourvoi en cassation déposé par la commune de Béziers contre cet arrêt d’appel, le Conseil d’État, par son arrêt d’assemblée précité du 28 décembre 2009, a abandonné la jurisprudence Préfet de la Côte d’Or, annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille en tant qu’il avait rejeté la demande de la commune de Béziers, et renvoyé l’affaire devant cette même cour : avec cet arrêt d’assemblée, la Haute juridiction a renouvelé l’office du juge du contrat administratif saisi par les parties en lui reconnaissant une large palette de pouvoirs, surtout bien évidemment lorsqu’il est saisi dans le cadre d’une action en contestation de validité. Mais la commune de Béziers a également contesté la lettre du 22 mars 1996, par laquelle le maire de la commune de Villeneuve-lès-Béziers avait informé le maire de la commune de Béziers de la résiliation de la convention de 1986, ainsi que la délibération du 14 mars 1996, aux termes de laquelle le conseil municipal de Villeneuve-lès-Béziers avait décidé de ne plus exécuter cette convention à compter du 1 er septembre 1996. Cette demande dirigée contre la mesure de résiliation a été rejetée par un jugement du 25 mars 2005 du tribunal administratif de Montpellier confirmé en appel par la cour administrative d’appel de Marseille par un arrêt du 12 février 15 CE, sect., 10 juin 1996, Préfet de la Côte d’Or , req. n° 176873, Rec. p. 198. 2007, contre lequel s’est pourvue en cassation la commune de Béziers. Le Conseil d’État, dans son arrêt de section du 21 mars 2011, annule cet arrêt d’appel en reprenant le même raisonnement que celui développé dans l’arrêt du 28 décembre 2009, mais, réglant l’affaire au fond en application des dispositions de l’article 821-12 du code de justice administrative (CJA), rejette la requête présentée par la commune de Béziers en raison de son caractère tardif . Ce qui amène la Haute Juridiction à revenir sur une jurisprudence –classique et bien établie– concernant les mesures d’exécution des contrats administratifs, et à introduire le recours à fin de reprise des relations contractuelles. Comme le rappelle le Conseil d’État dans sa décision du 21 mars 2011, le tribunal administratif de Montpellier avait rejeté comme irrecevables les conclusions de la commune de Béziers dirigées contre la résiliation de la convention du 10 octobre 1986 « au motif que les conditions dans lesquelles la résiliation d’un tel contrat intervient ne sont susceptibles d’ouvrir droit qu’à indemnité ». Selon une jurisprudence classique en effet, les mesures d’exécution des contrats administratifs ne peuvent pas être annulées par le juge du contrat saisi par une partie au contrat. Cette règle est par exemple parfaitement énoncée dans le considérant de principe de l’arrêt de section Société des ateliers de nettoyage, teinture et apprêts de Fontainebleau de 197216 : « le juge des contestations relatives aux marchés administratifs n’a pas le pouvoir de prononcer l’annulation des mesures prises par l’administration à l’encontre de son cocontractant » ; « il lui appartient seulement de rechercher si ces actes sont intervenus dans des conditions de nature à ouvrir au profit de celui-ci un droit à indemnité ». Aux termes de ce considérant, cette règle s’applique à toutes les mesures d’exécution des contrats administratifs, et donc non seulement aux mesures d’application du contrat mais aussi aux mesures de modification et aux mesures de résiliation du contrat, étant rappelé que celles-ci peuvent être prises –de façon unilatérale– non seulement lorsque la loi ou le contrat le prévoit mais également en l’absence de texte en vertu d’une règle générale applicable aux contrats administratifs17. Cf. CE, ass., 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval, Rec. p. 246. 16 CE, sect., 24 novembre 1972, Société des ateliers de nettoyage, teinture et apprêts de Fontainebleau , Rec. p. 753. 17 N° 8-9 - Août Septembre 2011 / Gestion & Finances Publiques 581-588-PISSALOUX:Mise en page 1 23/08/11 15:32 Page587 Chronique de jurisprudence administrative Le juge administratif contrôle certes que les mesures de résiliation prises par l’administration respectent bien les c onditions de forme et de fond prévues pour leur prononcé ; en effet, en dehors des hypothèses expressément prévues par le contrat ou la loi, l’administration ne peut exercer son pouvoir de résiliation unilatérale que lorsque son cocontractant a commis une faute ou lorsqu’elle peut invoquer un motif d’intérêt général, sinon sa mesure de résiliation est considérée comme irrégulière18. Mais au regard de la jurisprudence classique, le juge, lorsqu’il constate une mesure de résiliation illégale, ne peut pas l’annuler ; il ne peut –et encore à condition au demeurant d’avoir été saisi de conclusions en ce sens– qu’indemniser le cocontractant de l’administration en réparation du préjudice subi. Les pouvoirs du juge du contrat saisi d’une demande en annulation d’une mesure de résiliation sont donc selon la jurisprudence classique pour le moins limités. Cette règle, qui à l’origine ne visait que des marchés publics en vertu d’un arrêt Goguelat de 186819, s’est progressivement appliquée, sauf cas particuliers, à tous les contrats administratifs comme l’a par exemple rappelé l’arrêt Leclert de 197620, tout en comportant des exceptions notables concernant notamment les contrats de concession21, les conventions d’occupation du domaine public 22, les anciens marchés d’entreprise de travaux publics (METP)23 ainsi que les contrats conclus entre deux personnes publiques et ayant pour objet l’organisation du service public24. Cette règle, avant tout justifiée par l’idée de préserver la liberté contractuelle de l’administration25 mais aussi par des considérations d’ordre pratique26, était à la fois contestable et contestée. Elle était contestable, dans la mesure où, d’abord, elle consacrait –à l’évidence– une importante limitation des pouvoirs du juge du contrat saisi d’un recours cont re une mesure de résiliation, et où, en outre, sur le plan même des principes, il n’était guère satisfaisant que l’administration puisse se séparer à sa convenance (quels qu’en soient les motifs –y compris illégaux–, et/ou dans des conditions irrégulières) d’un cocontractant à condition CE, 27 janvier 1937, Ville de Quesnoy-sur-Deule, Rec. p. 125. 19 CE, 20 février 1868, Goguelat, Rec. p. 198, rendu à propos d’un marché public de travaux. 20 CE, 17 mars 1976, Leclert, Rec. T. p. 1008. Cet arrêt reprend la formule précitée de l’arrêt Société des ateliers de nettoyage, teinture et apprêts de Fontainebleau, mais en visant non point le « juge des contestations relatives aux marchés administratifs » mais le « juge des contestations relatives aux contrats administratifs ». 18 simplement d’être prête à en payer le prix, ce qui au demeurant ne constituait pas également une heureuse incitation à gérer au mieux les deniers publics. Aussi, cette règle était-elle contestée, et depuis longtemps, non seulement par la doctrine27 mais aussi par de nombreux commissaires du gouvernement28. Le Conseil d’État semble avoir été –enfin– sensible à ces critiques dans son arrêt de section du 21 mars 2011 ; mais il l’a sans doute été aussi en raison du décalage de la jurisprudence Goguelat par rapport à l’évolution jurisprudentielle récente de l’office du juge du contrat administratif. La Haute juridiction ne pouvait pas en effet continuer à ne pas tenir compte de l’évolution –pour le moins significative– de sa jurisprudence concernant l’office du juge saisi de contestations dirigées contre le contrat, évolution marquée par les deux décisions d’assemblée Société Tropic Travaux Signalisation de 200729, par abréviation "Tropic", et Béziers 1 de 2009. Ces deux décisions, on le sait, ont reconnu au juge du contrat une large palette de pouvoirs ainsi qu’une certaine latitude pour mettre en œuvre en opportunité ces nouveaux pouvoirs. Sans doute pour toutes ces raisons –une jurisprudence certes classique et bien établie mais contestable et contestée, une évolution jurisprudentielle récente et pour le moins significative de l’office du juge du contrat–, le Conseil d’État a donc décidé, dans son arrêt de section du 2 1 mars 2011, de franchir le pas et de consacrer un nouveau recours : le recours à fin de reprise des relations contractuelles . Plus précisément, la Haute Juridiction élargit donc les voies de droit ouvertes à une partie à un contrat ayant fait l’objet d’une mesure de résiliation, et consacre un nouvel office du juge du contrat. Dans son arrêt de section Commune de Béziers du 21 mars 2011, la Haute juridiction ne rompt pas totalement avec sa jurisprudence classique relative au contentieux des mesures d’exécution des contrats : elle revient –mais en partie Depuis l’arrêt Pasquet (CE, 8 février 1878, req. n° 50726, Rec. p. 128, concl. Romieu), cette exception a été confirmée à plusieurs reprises (voir à titre d’exemples : CE, 20 janvier 1905, Compagnie départementale des eaux et services municipaux c/ ville de Langres, Rec. p. 54 ; -, sect., 21 janvier 1944, Société d’entreprise et de construction en béton armé, Rec. p. 23). 22 Cf. CE, sect., 13 juillet 1968, Société Établissements Serfati, req. n° 73 161, publié au Recueil Lebon ; -, 1er mars 1978, Association Maison des Jeunes et de la Culture Paris-Charonne, req. n° 05588, mentionné aux tables du Recueil Lebon. 23 CE, sect., Société industrielle municipale et agricole de fertilisants humiques et de récupér ation (SIMA), Rec. p. 123, concl. M. Gentot. 24 CE, 13 mai 1992, Commune d’Ivry-sur-Seine, Rec. p. 197. 25 Celle-ci doit pouvoir se défaire comme elle l’entend d’un cocontractant dont elle ne veut plus du moment qu’elle est prête à l’indemniser. seulement– sur le principe issu de la jurisprudence Goguelat. En effet, comme on l’a déjà souligné, l’arrêt du 2 1 mars 2011 rappelle d’abord que « le juge du contrat, saisi par une partie d’un litige relatif à une mesure d’exécution d’un contrat, peut seulement, en princi pe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité » . Mais l’arrêt admet immédiatement ensuite « que, toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d’une telle mesure d’exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles ». En d’autres termes, les mesures de résiliation d’un contrat administratif ne sont plus désormais insusceptibles de recours par les parties au contrat. La raison alléguée pour justifier ce revirement partiel –ou, pour être plus précis, cette atténuation de la règle issue de la jurisprudence Goguelat– est la portée d’une me sure de résiliation ; mais, comme on l’a déjà souligné, ce n’est certainement pas la seule raison expliquant cette évolution. Curieusement, l’arrêt Béziers 2 se refuse à employer le terme d’ annulation : il évoque « un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles ». Il est certes heureux que le juge ne se borne point à constater l’illégalité éventuelle d’une mesure de résiliation et à prononcer dès lors l’annulation de celle-ci, mais qu’il en tire des conséquences sur la poursuite des relations contractuelles, ce qui –en pratique– est évidemment le plus important pour les parties au contrat, et pas seulement du reste pour celle qui a engagé le recours contre la mesure de résiliation. Mais cette reprise des relations contractuelles ne peut que faire suite à l’annulation de la mesure de résiliation : reprise des relations contractuelles et annulation de la résiliation sont évidemment liées. Pourquoi dès lors n’avoir pas clairement évoqué l’annulation de la mesure de résiliation ? 21 Gestion & Finances Publiques / N° 8-9 - Août Septembre 2011 Étaient également soulignées les conséquences bien souvent limitées de l’annulation contentieuse d’une mesure d’exécution, et en particulier d’une mesure de résiliation : en effet, en raison des délais de jugement et des conditions pour le moins restrictives autorisant –avant l’entrée en vigueur du référé-suspension– l’octroi du sursis à exécution, le terme du contrat résilié était fréquemment atteint avant le prononcé de l’annulation de la mesure de résiliation. 27 Cf. R. Chapus , in Droit administratif général, Précis Domat Montchrestien, tome I, § 1377. 28 Cf. M. Denis-Linton, dans ses conclusions sur l’arrêt Commune d’Ivry-sur-Seine (CE, 13 mai 1992, Rec. p. 197) ou, plus récemment, M. Boulouis dans ses conclusions dans un arrêt Commune de Saint-Pol-surTernoise (CE, 30 septembre 2009, req. n° 326230). 29 CE, ass. 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, req. n° 291545, Rec. p. 360, concl. D. Casas. 26 587 581-588-PISSALOUX:Mise en page 1 23/08/11 15:32 Page588 Chronique de jurisprudence administrative L’arrêt Béziers 2 apporte en outre deux précisions essentielles pour les requérants, concernant respectivement le délai de recours et la possibilité d’assortir celui-ci d’une requête en référé-suspension. En premier lieu, la partie au contrat engageant un recours contestant la validité de la résiliation « doit exercer ce recours, y compris si le contrat en cause est relatif à des travaux publics , dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de la mesure de résiliation ». En fait, le délai pour exercer un tel recours n’est fixé par a ucun texte. Reprenant –en l’adaptant– sa formulation de l’arrêt Tropic, la Haute juridiction, suivant à cet égard les conclusions de son rapporteur public, le fixe –là encore de façon prétorienne– à deux mois à compter de la date à laquelle la requérante a été informée de la mesure de résiliat ion, y compris en matière de travaux publics. En second lieu, comme dans l’arrêt Tropic s’agissant des requêtes contestant la validité d’un contrat, des conclusions contestant la validité de la résiliation peuvent être assorties d’une demande tendant, sur le fondement des dispositions de l’article L. 52 1-1 du CJA, à la suspension de l’exécution de la résiliation, afin par conséquent que les relations contractuelles soient provisoi rement reprises. Cette possibilité ainsi ouverte au requérant contestant la validité d’une mesure de résiliation est parfaitement logique et justifiée en opportunité : en cas d’annulation de la mesure de résiliation, le r equérant n’a véritablement de chances d’obtenir la reprise des relations contractuelles que s’il agit vite (d’où le délai de recours de deux mois) et s’il obtient –à titre provisoire– du juge des référés la suspension de la mesure de résiliation contestée et ainsi la reprise du contrat. Après avoir élargi les voies de droit dont dispose une partie à un contrat administratif ayant fait l’objet d’une mesure de résiliation, et donc après avoir en vérité élargi la palette des pouvoirs du juge du contrat, le Conseil d’É tat, dans son arrêt de section du 21 mars 2011, précise l’office de ce juge, en distinguant la question de la reprise des relations contractuelles, d’une part, puis celle de la suspension de la mesure de résiliation, d’autre part. S’agissant de la reprise des relations contractuelles, la première question que doit se poser le juge du contrat est de déterminer, comme le souligne à juste titre Béziers 2, si elle n’est pas sans objet, ce qui est notamment le cas si, à la date à laquelle le juge statue, le contrat est arrivé à échéance ou s’il a été entièrement exécuté. Dans l’hypothèse où cette reprise des relations contractuelles n’est pas devenue 588 sans objet, l’arrêt invite le juge à opérer une sorte de bilan comme dans les arrêts Tropic et Béziers 1 : il doit en effet commencer par déterminer si la mesure de résiliation contestée est effectivement entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé ; et pour décider s’il y a lieu ou non de faire droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il doit apprécier, au regard d’abord et avant tout de la gravité des vices constatés mais aussi –le cas échéant– au regard de la gravité des manquements du requérant à ses obligations contractuelles ainsi que des motifs de la résiliation, si une telle reprise n’est pas de nature à porter une atteinte excessive à l’intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse. On le voit, la reprise des relations contractuelles n’est pas acquise. Le juge du contrat peut fort bien décider de rejeter le recours en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d’ouvrir –au profit du requérant– un droit à indemnité : on retombe alors sur la jurisprudence classique. Il peut donc aussi faire droit à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d’une date qu’il fixe, et qui –dans la plupart des cas– devrait être celle du jugement ou postérieure à celleci, et qui –en tout état de cause– tiendra compte des circonstances de l’espèce, et en particulier de la durée du contrat restant à courir ; au demeurant, la formulation de l’arrêt ne semble pas interdir e une date antérieure à celle du jugement, qui pourrait être à la limite celle de la mesure de résiliation, ce qui pourrait permettre par exemple la prise en compte d’une poursuite de fait des relations contractuelles malgré la mesure de résiliation intervenue. Mais même dans l’hypothèse où il fait droit à la demande de reprise des relations contractuelles, le juge du contrat peut décider , si des conclusions sont formulées en ce sens, que le requérant a droit en outre à l’indemnisation du préjudice que l ui a –le cas échéant– causé la résiliation, notamment du fait d e la non exécution d u contrat entre la date de sa résiliation et la date fixée pour la reprise des relations contractuelles. L’arrêt Béziers 2 précise également l’office du juge du contrat saisi de conclusions tendant à la suspension de l’exécution d’une mesure de rés iliation. Il était en effet nécessaire d’adapter l’office du juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 52 1-1 du CJA : l’arrêt du 21 mars 2011 a non seulement passé outre la difficulté posée par le texte de cet article qui ne vise que les requêtes en annulation ou en réformation de décisions administratives, mais il consacre aussi des tempéraments dans l’interprétation des deux conditions cumulatives permettant la suspension. C’est ainsi, en premier lieu, que pour apprécier la condition d’urgence, le juge du référé-suspension, après avoir vérifié que l’exécution du contrat n’est pas devenue sans objet, devra prendre en compte, d’une part « les atteintes graves et immédiates » –alors que la jurisprudence classique exige seulement une atteinte « suffisamment grave et immédiate »– « que la résiliation litigieuse est susceptible de porter à un intérêt public ou aux intérêts du requérant, notamment à la situation financière de ce dernier ou à l’exercice même de son activité », et d’autre part « l’intérêt général ou l’intérêt de tiers, notamment du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion au rait été rendue nécessaire par la rési liation litigieuse, qui peut s’attacher à l’exécution immédiate de la mesure de résiliation ». Aussi, l’urgence ne devrait-elle être a priori que rarement retenue30. Pour déterminer, en second lieu, si un moyen est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la validité de la mesure de résiliation litigieuse, le juge du référé-suspension devra apprécier si, en l’état de l’instruction, les vices invoqués paraissent d’une gravité suffisante pour conduire à la reprise des relations contractuelles et non à la seule indemnisation du préjudice résultant –pour le requérant– de la résiliation. Comme le juge du contrat, le juge du référé-suspension sera donc conduit à procéder à un véritable bilan en l’état de l’instruction. Au total, les chances d’obtenir une suspension de la mesure de résiliati on apparaissent tout de même fort minces. En conséquence, dans la mesure où la suspension sera dans la très grand e majorité des cas un préalable indispensable pour que le juge puisse accueillir la demande au principal, « il y a fort à parier que la voie de droit qu’il vous est proposé d’élargir et de rénover ne permettra d’ordonner la reprise des relations contractuelles que dans des cas relativemen t rares », comme le souligne avec une parfaite lucidité le rapporteur public, Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, dans ses conclusions sur l’arrêt Béziers 131. De sorte que « dans les autres hypothèses , c’est sur le terrain de la réparation du préjudice subi par le cocontractan t de l’administration que la contestation éventuelle continuera à se régler »32. L’urgence a toutes chances d’être retenue lorsque la résiliation met en péril la survie économique du cocontractant originaire de l’administration et lorsque celleci n’a pas eu le temps de s’attacher les services d’un nouveau cocontractant. 31 Cf. E. Cortot-Boucher, conclusions p. 15. 32 Idem. 30 N° 8-9 - Août Septembre 2011 / Gestion & Finances Publiques