c - Gestion et Finances Publiques

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Chronique
de jurisprudence administrative
Jean-Luc PISSALOUX
Professeur à l’Université de Bourgogne
Vice-Président du Conseil scientifique du GRALE (GIS CNRS)
Contrats – Contentieux contractuel
Contentieux de l’exécution du contrat
CE, 19 janvier 2011, Syndicat mixte
pour le traitement des résidus urbains
(SMTRU), req. n° 332330
(décision à mentionner aux tables du Recueil Lebon)
(extraits)
Considérant, en troisième lieu,
que
lorsque les parties soumettent au juge
un litige relatif à l’exécution du contrat
qui les lie, il incombe en principe à celuici, eu égard à l’exigence de loyauté des
relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans
le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère
illicite du contrat ou à un vice d’une
particulière gravité relatif notamment
aux conditions dans lesquelles les parties
ont donné leur consentement, il doit
écarter le contrat et ne peut régler le
litige sur le terrain contractuel ; qu’ainsi,
lorsque le juge est saisi d’un litige relatif
à l’exécution d’un contrat, les parties à
ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le
juge le relever d’office, aux fins d’écarter
le contrat pour le règlement du litige ;
que, par exception, il en va autrement
lorsque, eu égard d’une part à la gravité
de l’illégalité et d’autre part aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le
fondement de ce contrat ; qu’en vertu
des dispositions de l’article L. 1411-1 du
code général des collectivités territoriales, les délégations de service public
des personnes morales de droit public
relevant de ce code sont soumises par
l’autorité délégante à une procédure de
publicité permettant la présentation de
plusieurs offres concurrentes ; que la
méconnaissance de ces dispositions
constitue un manquement aux règles de
passation de ces contrats ; (….)
Note
Avec l’arrêt Syndicat mixte pour le traitement des résidus urbains du 19 janvier
2011, le Conseil d’État fait une application coordonnée des jurisprudences
Commune de Béziers (CE, ass., 28 décembre 2009, req. n° 304802) et Manoukian
(CE, 12 janvier 2011, req. n° 338551) aux
conventions de délégation de service
public conclues sans mise en concurrence préalable.
En l’espèce, le Conseil d’État, saisi d’un
litige opposant un syndicat mixte (le
Syndicat mixte pour le traitement des
résidus urbains (SMTRU)) à une entreprise chargée de l’exploitation d’une
unité de traitement et de valorisation
des déchets ménagers (la société Auxiwaste Services), juge dans cette décision
que la cour administrative d’appel de
Lyon a commis une erreur de droit en
soulevant d’office le moyen tiré de l a
nullité de la convention d’exploitation en
raison de la seule méconnaissance des
règles de passation des délégations de
service public prévues à l’article L. 14111 du code général des collectivités territoriales.
Comme on l’a déjà indiqué, cette décision s’inscrit dans le prolongement des
Gestion & Finances Publiques / N° 8-9 - Août Septembre 2011
jurisprudences Commune de Béziers et
Manoukian appliquées à une convention
de délégation de service public.
Selon l’arrêt d’assemblée Commune de
Béziers, « lorsque les parties soumetten t
au juge un litige relatif à l’exécution du
contrat qui les lie, il incombe en principe
à celui-ci, eu égard à l’exigence de
loyauté des relations contractuelles, de
faire application du contrat » ; « toutefois, dans le cas seulement où il constate
une irrégularité invoquée par une partie
ou relevée d’office par lui, tenant au
caractère illicite du contenu du contrat
ou à un vice d’une particulière gravité
relatif notamment aux conditions dans
lesquelles les parties ont donné leur
consentement, il doit écarter le contrat et
ne peut régler le litige sur le terrain
contractuel » .
L’arrêt Manoukian a quant à lui précisé
« qu’ainsi, lorsque le juge est saisi d’un
litige relatif à l’exécution d’un contrat, les
parties à ce contrat ne peuvent invoquer
un manquement aux règles de passation,
ni le juge le relever d’office, aux fins
d’écarter le contrat pour le règlement du
litige ; que, par exception, il en va autrement lorsque, eu égard d’une part à la
gravité de l’illégalité et d’autre part aux
circonstances dans lesquelles elle a été
commise, le litige ne peut être réglé sur le
fondement de ce contrat ».
Pour appliquer ces solutions dans l’arrêt
Syndicat mixte pour le traitement des
résidus urbains du 19 janvier 2011 aux
conventions de délégation de service
public, le Conseil d’État considère « qu’en
jugeant que la convention (…) était entachée de nullité au seul motif qu’elle avait
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été conclue sans la mise en concurrence
préalable prévue à l’article L. 1411-1 du
code général des collectivités territoriales, et qu’une telle circonstance faisait
obstacle à ce que les stipulations du
contrat soient invoquées dans le cadre du
litige dont elle était saisie, sans vérifier ,
eu égard à l’exigence de loyauté des
relations contractuelles, si ce vice était
d’une gravité telle que le juge doive écarter le contrat et qu e le litige qui oppose
les parties ne doive pas être tranché sur
le terrain contractuel, la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur
de droit ».
En l’espèce, le juge d’appel avait certes
pris en compte les circonstances dans
lesquelles les irrégularités avaient été
commises, mais ne s’était pas –conformément à la jurisprudence Manoukian–
interrogé sur la gravité de ces irrégularités. Par conséquent, des irrégularités
commises dans la passation du contrat,
comme le non respect des procédures de
mise en concurrence, ne peuvent servir
à écarter systématiquement un contrat.
Avec cette décision, le Conseil d’État
confirme l’absence d’automaticité de
l’annulation d’un contrat comme une
convention de délégation de service
public sur le seul fondement d’irrégularités commises lors de la passation dudit
contrat.
Contrats – Contentieux contractuel
Référé contractuel – Recevabilité
Moyens invocables
CE, 19 janv. 2011, Grand port maritime
du Havre, req. n° 343435
(décision à paraître au Recueil Lebon)
(extraits)
Considérant qu’aux termes de l’article
L. 551-13 du code de justice administrative : « Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut
être saisi, une fois c onclu l’un des
contrats mentionnés aux articles L. 551-1
et L. 551-5, d’un recours régi par la présente section » ; qu’aux termes de l’article L. 551-14 de ce code : « Les personnes
habilitées à agir sont celles qui ont un
intérêt à conclure le contrat et qui sont
susceptibles d’être lésées par des manquements aux obligations de publicité et
de mise en concurrence auxquelles sont
soumis ces contrats, ainsi que le représentant de l’État dans le cas des contrats
passés par une collectivité territoriale ou
un établissement public local. / Toutefois,
le recours régi par la présente section
n’est pas ouvert au demandeur ayant fait
usage du recours prévu à l’article L. 551-1
ou à l’article L. 551-5 dès lors que le pou-
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voir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice
a respecté la suspension prévue à l’article
L. 551-4 ou à l’article L. 551-9 et s’est
conformé à la décision juridictionnelle
rendue sur ce recours » ; qu’aux termes
de l’article L. 551-15 : « Le recours régi
par la présente section ne peut être
exercé ni à l’égard des contrats dont la
passation n’est pas soumise à une obligation de publicité préalable lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice
a, avant la conclusion du contrat, rendu
publique son intention de le conclure et
observé un délai de onze jours après cette
publication, ni à l’égard des contrats
soumis à publicité préalable auxquels ne
s’applique pas l’obligation de communiquer la décision d’attribution aux candidats non retenus lorsque le pouvoir
adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a
accompli la même formalité. / La même
exclusion s’applique aux contrats fondés
sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique lorsque le pouvoir
adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a
envoyé aux titulaires la décision d’attribution du contrat et observé un délai de
seize jours entre cet envoi et la conclusion du contrat, délai réduit à onze jours
si la décision a été communiquée à tous
les titulaires par voie électronique. » ;
qu’aux termes de l’article L. 55 1-18 du
même code : « Le juge prononce la nullité
du contrat lorsqu’aucune des mesures de
publicité requises pour sa passation n’a
été prise, ou lorsque a été omise une
publication au Journal officiel de l’Union
européenne dans le cas où une telle
publication est prescrite. / La même
annulation est prononcée lorsque ont été
méconnues les modalités de remise en
concurrence prévues pour la passation
des contrats fondés sur un accord-cadre
ou un système d’acquisition dynamique. /
Le juge prononce également la nullité du
contrat lorsque celui-ci a été signé avant
l’expiration du délai exigé après l’envoi de
la décision d’attribution aux opérateurs
économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l’article L. 55 1-4 ou à
l’article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance
de ces obligations a privé le demandeur
de son droit d’exercer le recours prévu par
les articles L. 55 1-1 et L. 55 1-5, et les
obligations de publicité et de mise en
concurrence auxquelles sa passation est
soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du
recours d’obtenir le contrat. » ; qu’aux
termes de l’article L. 551-19 : « Toutefois,
dans les cas prévus à l’article L. 55 1-18,
le juge peut sanctionner le manquement
soit par la résiliation du contrat, soit par
la réduction de sa durée, soit par une
pénalité financière imposée au pouvoir
adjudicateur ou à l’entité adjudicatrice,
si le prononcé de la nullité du cont rat se
heurte à une raison impérieuse d’intérêt
général. / Cette raison ne peut être
constituée par la prise en compte d’un
intérêt économique que si la nullité
du contrat entraîne des conséquences
disproportionnées et que l’intérêt économique atteint n’est pas directement lié au
contrat, ou si le contrat porte sur une
délégation de service public. » ; qu’enfin,
selon l’article L. 551-20 : « Dans le cas où
le contrat a été signé avant l’expiration
du délai exigé après l’envoi de la décision
d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature
ou une offre ou pendant la suspension
prévue à l’article L. 55 1-4 ou à l’article
L. 551-9, le juge peut prononcer la nullité
du contrat, le résilier, en réduire la durée
ou imposer une pénalité financière. » ;
Considérant, d’une part, qu’il résulte de
ces dispositions que sont seuls rec evables à saisir le juge d’un référé contractuel, outre le préfet, les candidats qui
n’ont pas engagé un référé précontractuel, lorsque le pouvoir adjudicateur ou
l’entité adjudicatrice n’a pas communiqué la décision d’attribution aux candidats non retenus ou n’a pas observ é,
avant de signer le contrat, un délai de
onze jours après cette communication et,
s’agissant des contrats non soumis à
publicité préalable et des contrats non
soumis à l’obligation de communiquer la
décision d’attribution aux candidats non
retenus, lorsque le pouvoir adjudicateur
ou l’entité adjudicatrice n’a pas rendu
publique son intention de conclure le
contrat ou n’a pas observé, avant de le
signer, ce même délai, ainsi que ceux qui
ont engagé un référé précontractuel,
lorsque le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas respecté l’obligation de suspendre la signature du
contrat prévue aux articles L. 551-4
ou L. 551-9 du code de justice administrative ou ne s’est pas conformé à la
décision juridictionnelle rendue sur ce
référé ;
Considérant, d’autre part, qu’en ce qui
concerne l’ensemble des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5,
les manquements susceptibles d’être
utilement invoqués dans le cadre du
référé contractuel sont, comme les sanctions auxquelles ils peuvent donner lieu,
limitativement définis aux articles
L. 551-18 à L. 551-20 du même code ;
qu’ainsi, le juge des référés ne peut prononcer la nullité mentionnée à l’article
L. 551-18 - c’est-à-dire annuler le
contrat - ou, le cas échéant, prendre les
autres mesures prévues aux articles
L. 551-19 et L. 55 1-20, que dans les
conditions prévues à ces articles ;
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Chronique de jurisprudence administrative
Considérant que, s’agissant des marchés
passés selon une procédure adaptée, qui
ne sont pas soumis à l’obligation, pour le
pouvoir adjudicateur ou l’ent ité adjudicatrice, de notifier aux opérateurs
économiques ayant présenté une offre,
avant la signature du contrat, la décision
d’attribution, l’annulation d’un tel
contrat ne peut, en principe, résulter que
du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l’article
L. 551-18, c’est-à-dire de l’absence des
mesures de publicité requis es pour sa
passation ou de la méconnaissance des
modalités de remise en concurrence
prévues pour la passation des contrats
fondés sur un accord-cadre ou un
système d’acquisition dynamique ;
Considérant que le juge du référé
contractuel doit également annuler un
marché à procédure adaptée, sur le fondement des dispositions du troisième
alinéa de l’article L. 551-18 du code de
justice administrative, ou prendre l’une
des autres mesures mentionnées à
l’article L. 551-20 dans l’hypothèse où,
alors qu’un recours en référé précontractuel a été formé, le pouvoir adjudicateur
ou l’entité adjudicatrice n’a pas respecté
la suspension de signature du contrat
prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9
ou ne s’est pas conformé à la décision
juridictionnelle rendue sur ce référé ;
Considérant qu’il ressort des pièces du
dossier soumis au juge du référé
contractuel que le Grand port maritime
du Havre a lancé une procédure adaptée
en vue de l’att ribution d’un marché
portant sur la réfection et l’entretien de
la porte d’une écluse ; qu’à l’issue de
cette procédure, il a, après avoir écarté
l’offre de la société Philippe Lassarat,
attribué le marché à la société T ravaux
Industriels Maritimes et Terrestres (Timt)
; que le contrat a été signé le 30 juin
2010 ; que, par l’ordonnance attaquée, le
juge des référés du tribunal administratif
de Rouen, statuant en application de
l’article L. 551-13 du code de justice
administrative, a, à la demande de la
société Philippe Lassarat, prononcé la
nullité du marché ;
Considérant que, pour ce faire, après
avoir relevé, d’une part, qu’en n’ayant
pas rendu publique son intention de
conclure le marché et observé un délai
de onze jours après cette publication, le
Grand port maritime du Havre n’avait
pas permis à la société Philippe Lassarat
d’engager un référé précontractuel
et, d’autre part , qu’en retenant une
offre non conforme au règlement de
la consultation, il avait commis un man-
quement à ses obligations de mise en
concurrence ayant affecté les chances de
la société Philippe Lassarat d’obtenir le
contrat, le juge des référés en a déduit
que les conditions posées par les dispositions du troisième alinéa de l’article
L. 551-18 du code de justice administrative étaient remplies ; qu’en statuant
ainsi, alors qu’il résulte de ce qui a été
dit plus haut que l’annulation d’un
marché à procédure adaptée ne peut être
prononcée sur le fondement de ces
dispositions et dans ces conditions que
si le pouvoir adjudicateur n’a pas
respecté la suspension de signature du
contrat prévue aux articles L. 551-4 ou
L. 551-9 du code de justice administrative ou n’a pas respecté la décision
juridictionnelle rendue sur le référé précontractuel, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a commis une
erreur de droit ; que par suite, et sans
qu’il soit besoin d’examiner les autres
moyens du pourvoi, l’ordonnance du juge
des référés du tribunal administratif de
Rouen du 6 septembre 20 10 doit être
annulée ;
Considérant que dans les circonstances
de l’espèce, il y a lieu, en application de
l’article L. 821-2 du code de justice
administrative, de régler l’affaire au titre
de la procédure de référé engagée par la
société Philippe Lassarat ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les manquements dont se prévaut la société Philippe Lassarat ne se
rattachent à aucune des hypothèses
dans lesquelles le juge du référé contractuel peut exercer son office ; que, par
suite, sa demande tendant à ce que soit
prononcée la nullité du marché ne peut
qu’être rejetée ; (….)
Note :
Avec l’arrêt Grand port maritime du
Havre du 19 janvier 20 11, le Conseil
d’État a réduit de façon notable les cas
d’annulation d’un marché à procédure
adaptée (MAPA) par le biais d’un référé
contractuel.
En l’espèce, le Grand port maritime du
Havre avait lancé une procédure adaptée
en vue de l’att ribution d’un marché
portant sur la réfection et l’entretien de
la porte Q3 de l’écluse Qui nette de
Rochemont. A l’issue de cette procédure,
l’offre de la société Philippe Lassarat
avait été écartée, et le marché attribué
à la société T ravaux Industriels Maritimes et T errestres (Timt). Le contrat
a été signé le 30 juin 20 10. La société
Philippe Lassarat a alors formé un recours
Gestion & Finances Publiques / N° 8-9 - Août Septembre 2011
en référé contractuel, procédure introduite par l’ordonnance du 7 mai 2009
relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande
publique et codifiée à l’article L. 551-13
du code de justice administrative (CJA).
Le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, par une ordonnance
du 6 septembre 20 10, a déclaré nul le
marché attribué à la société Timt «après
avoir relevé, d’une part, qu’en n’ayant pas
rendu publique son intention de conclure
le marché et observé un délai de onze
jours après cette publication, le Grand
port maritime du Havre n’avait pas
permis à la société Philippe Lassarat
d’engager un référé précontractuel et,
d’autre part, qu’en retenant une offre non
conforme au règlement de la consul tation, il avait commis un manquement à
ses obligations de mise en concu rrence
ayant affecté les chances de la société
Philippe Lassarat d’obtenir le contrat (…)
il en a déduit que les conditions posées
par les dispositions du troisième alinéa
de l’article L. 551-18 du code de justice
administrative étaient remplies »1. Mais
le Conseil d’État, par son arrêt du 19 janvier 2011, a annulé l’ordonnance du juge
du fond en estimant qu’il avait commis
une erreur de droit dans l’interprétation
des nouvelles dispositions du CJA et des
possibilités d’annulation des MAPA dans
le cadre d’un référé contractuel.
La mise en œuvre de la procédure du
référé contractuel suppose de répondre
aux deux questions suivantes, lesquelles
–au demeurant– ne concernent pas seulement les procédures adaptées :
. il convient d’abord de s’interroger sur le
sort que la jurisprudence réservera à la
violation de la clause dite de stand still
prévue à l’article 80 du code des marchés
publics (CMP) : est-ce qu’un délai raisonnable entre la décision de c onclure le
contrat et sa signature sera reconnu
pour les procédures échappant à l’article
80 du CMP, notamment pour les contrats
prévus à l’article 28 dudit code ?
. se pose en outre la question de savoir
si le juge du référé contractuel peut être
saisi de tout manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ou seulement des manquements
les plus graves définis par l’article L. 55118 du CJA.
S’agissant de la première question
concernant la reconnaissance d’un
« délai raisonnable » entre la décision de
conclure le contrat et sa signature pour
les contrats non soumis à l’article 80 du
1
Cf. CE, 19 janv. 2011, Grand port maritime du Havre, req.
n° 343435.
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Chronique de jurisprudence administrative
CMP, force est de constater des prises de
position radicalement opposées de la
part de différentes juridictions du fond :
ainsi, à titre d’exemples, le juge du référé
du tribunal administratif de Lyon reconnaît un délai raisonnable2, alors que
celui du tribunal administratif de Lille a
adopté une solution inverse3.
Dans son arrêt du 19 janvier 2011, le
Conseil d’État ne prend pas position à cet
égard.
En revanche, s’agissant de la seconde
question, la Haute Juridiction adopte une
solution pour le moins rigoureuse, « extrêmement respectueuse des textes, en ce
sens que les juges du P alais-Royal prennent soin de ne pas ajouter aux dispositions existantes »4, qui cependant « n’est
pas sans susciter des interrogations »5.
Les MAPA, prévus par l’article 28 du
CMP, sont en effet des marchés pour
lesquels le pouvoir adjudicateur et l’autorité adjudicatrice ne sont pas soumis à
l’obligation de notifier aux opérateurs
économiques non retenus avant la
signature du contrat la décision d’attribution de ce marché 6 ; se pose alors la
question de leur faculté de former un
référé précontractuel. Par ailleurs, l’avis
d’intention de conclure le contrat et le
délai de onze jours qui l’accompagnent
ne sont qu’une formalité permettant la
fermeture de la voie du référé contractuel
et ne constituent en aucun cas une obligation susceptible d’entraîner la nullité
de ce contrat.
2
TA Lyon, 26 mars 20 10, Société Chenil service, req.
n° 1001293 ; AJDA 2010, p.1423, note J.-D. Dreyfus.
3
TA Lille, 22 juin 2010, Société application concept, req.
n°1003569.
4
Cf. J.-D. Dreyfus, MAPA : cas d’ouverture et office du juge
du référé contractuel ; AJDA 2011, p. 800.
5
Idem.
6
Art. 80 du CMP.
7
CE, 19 janv. 2011, Société du grand port maritime du
Havre.
8
Article L. 551-14 du CJA :
« Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un
intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles
d'être lésées par des manquements aux obligations de
publicité et de mise en concurrence auxquelles sont
soumis ces contrats, ainsi que le r eprésentant de l'État
dans le cas des contrats passés par une collectivité
territoriale ou un établissement public local.
Toutefois, le recours régi par la présente section n'est pas
ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu
à l’article L. 551-1ou à l'article L. 551-5 dès lors que le
pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté
la suspension prévue à l'article L. 55 1-4 ou à l'article
L. 551-9 et s'est conformé à la décision juridictionnelle
rendue sur ce recours ».
Adde : CE, 10 nov. 2010, France Agrimer, AJDA 2011,
p.51, note J.-D. Dreyfus, pour la transformation en cours
d’instance d’un référé précontractuel en référé contractuel lorsque le contrat a été sig né avant la s aisine du
juge mais que le requérant l’ignorait par la faute de
l’administration.
584
Mais les seuls cas retenus par le Conseil
d’État comme pouvant entraîner l’annulation du contrat sont « s’agissant des
marchés passés selon une procédure
adaptée, qui ne sont pas soumis à l’obligation, pour le pouvoir adjudicateur ou
l’entité adjudicatrice, de notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une
offre, avant la signature du cont rat, la
décision d’attribution, l’annulation d’un
tel contrat ne peut, en principe, résulter
que du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l’article L. 551-18, c’est-à-dire de l’absence
des mesures de publicité requises pour sa
passation ou de la méconnaissance des
modalités de remise en concurrence
prévues pour la passation de s contrats
fondés sur un accord-cadre ou un
système d’acquisition dynamique »7.
Le Conseil d’État fait donc une lecture
littérale des textes, ce qui le conduit à
considérer que l’annulation des MAPA ne
peut résulter que des trois cas de figure
prévus par l’article L. 551-18 du CJA. Or,
alors que les cas d’ouvertures prévus par
l’article L. 551-14 du CJA semblent plutôt larges8, les cas de nullité du contrat
sont volontairement restreints et limitativement énumérés à l’article L. 55 1-18
du CJA9. On peut dès lors se demander si
la solution adoptée dans l’arrêt Grand
port maritime du Havre ne revient pas à
limiter les cas d’ouverture du recours au
référé contractuel aux cas de nullité du
contrat. Dans ce cas, le juge opérerait un
« amalgame entre les cas d’ouverture du
référé contractuel et les cas de nullité du
contrat »10 et « sauterait une étape du
raisonnement »11. Cette position rigoureuse, couplée à l’absence d’imposition
Article L. 551-18 du CJA :
« Le juge prononce la nullité du contr at lorsqu'aucune
des mesures de publicité requises pour sa passation n'a
été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union eur opéenne dans le cas où une
telle publication est prescrite.
La même annulation est pr ononcée lorsqu’ont été
méconnues les modalités de r emise en concurr ence
prévues pour la passation des contr ats fondés sur un
accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique.
Le juge prononce également la nullité du contrat
lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai
exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature
ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article
L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le
recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les
obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues
d'une manière affectant les chances de l'auteur du
recours d'obtenir le contrat ».
10
Cf. J.-D. Dreyfus, AJDA 2011, op. cit.
11
Idem.
12
Ibid.
13
CE, Ass., 16 juil. 200 7, Société Tropic travaux signalisation ; RFDA 2007, p.696, concl. D. Casas ; p. 923,
comm. D. Pouyaud.
9
d’un « délai raisonnable » avant la signature du contrat qui ferme alors la voie du
référé précontractuel, aboutirait à priver
« pour une large part le référé contractuel
de son intérêt » 12 en lui accordant une
utilité minimale ; le requérant devrait
alors se retourner vers le recours en
contestation de validité dit « Tropic »13. Il
faut donc espérer une évolution jurisprudentielle en la matière, sinon le référé
contractuel risque de perdre tout intérêt.
Contrats – Contentieux de l’exécution
du contrat – Office du juge – Pouvoirs
du juge du contrat contre une mesure
de résiliation – Action à fin de reprise
des relations contractuelles
CE, sect., 21 mars 2011, Commune de
Béziers, req. n° 304806
(décision à paraître au Recueil Lebon)
(extraits)
Considérant qu’il ressort des pièces du
dossier soumis aux juges du fond que,
dans le cadre d’un syndicat intercommunal à vocation multiple qu’elles
avaient créé à cette fin, les communes
de BEZIERS et de Villeneuve-lès-Béziers
ont mené à bien une opération d’extension d’une zone industrielle intégra lement située sur le territoire de la
commune de Villeneuve-lès-Béziers ;
que, par une convention signée par leurs
deux maires le 1 0 octobre 1986, ces
collectivités sont convenues que la
commune de Villeneuve-lès-Béz iers
verserait à la commune de Bézi ers une
fraction des sommes qu’elle percevrait
au titre de la taxe professionnelle, afin
de tenir compte de la diminution de
recettes entraînée par la relocalisation,
dans la zone industrielle ainsi créée,
d’entreprises jusqu’ici implantées sur le
territoire de la commune de Béziers ; que,
par une délibération du 14 mars 1996,
le conseil municipal de la commune d e
Villeneuve-lès-Béziers a décidé que la
commune ne devait plus exécuter la
convention de 1986 à compter d u 1er
septembre suivant et que, par lettre du
22 mars 1996, le maire de la commune
de Villeneuve-lès-Béziers a informé le
maire de la commune de Béziers de la
résiliation de la convention ; que la
commune de Béziers se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 12 février 200 7
par lequel la cour administrative d’appel
de Marseille a rejeté l’appel qu’elle a
formé contre le jugement du 25 mars2005
par lequel le tribunal administratif de
Montpellier a rejeté sa demande dirigée
contre cette mesure de résiliation ;
Sans qu’il soit besoin d’examiner les
autres moyens du pourvoi ;
N° 8-9 - Août Septembre 2011 / Gestion & Finances Publiques
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Chronique de jurisprudence administrative
Considérant qu’en vertu des dispositions
de l’article 2-I de la loi du 2 mars 1982
relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions,
désormais codifiées à l’article L. 2 131-1
du code général des collectivités territoriales : « Les actes pris par les autorités
communales sont exécutoires de plein
droit dès lors qu’il a été procédé à leur
publication ou à leur notification aux
intéressés ainsi qu’à leur transmission au
représentant de l’État dans le département
ou à son délégué dans le département » ;
que l’absence de transmission de la délibération autorisant le maire à signer un
contrat avant la date à laquelle le maire
procède à sa signature constitue un vice
affectant les conditions dans lesquelles la
commune a donné son consentement ;
que, toutefois, eu égard à l’exigence de
loyauté des relations contractuelles, ce
seul vice ne saurait être regardé comme
d’une gravité telle que le juge doive
annuler le contrat ou l’écarter pour régler
un litige relatif à son exécution ;
Considérant, dès lors, qu’en jugeant que
la convention conclue le 10 octobre 1986
entre les communes de Villeneuve-lèsBéziers et de Béziers devait être « déclarée
nulle » au seul motif que les délibérations
des 29 septembre 1986 et 3 octobre 1986
autorisant les maires de ces communes à
la signer n’ont été transmises à la souspréfecture que le 16 octobre 1986, pour
en déduire que la demande dirigée contre
la résiliation de cette convention était privée d’objet et rejeter son appel pour ce
motif, la cour administrative d’appel de
Marseille a commis une er reur de droit ;
que, par suite, la commune de Béziers est
fondée à demander l’annulation de l’arrêt
qu’elle attaque ;
Considérant que, dans les circonstances
de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire
au fond en application des dispositions
de l’article L. 821-2 du code de justice
administrative ;
Considérant que la commune de Béziers
soutient que le tribunal administratif de
Montpellier ne pouvait rejet er comme
irrecevables ses conclusions dirigées
contre la résiliation de la convention du
10 octobre 1986 au motif que les conditions dans lesquelles la résilia tion d’un
tel contrat intervient ne sont susceptibles d’ouvrir droit qu’à indemnité ;
Sur les voies de droit dont dispose une
partie à un contrat administrati f qui a
fait l’objet d’une mesure de résiliation :
Considérant que le juge du contrat, saisi
par une partie d’un litige relatif à une
mesure d’exécution d’un contrat, peut
seulement, en principe, rechercher si
cette mesure est intervenue dans des
conditions de nature à ouvrir droit à
indemnité ; que, toutefois, une parti e à
un contrat administratif peut, eu égard
à la portée d’une telle mesure d’exécution, former devant le juge du contrat un
recours de plein contentieux contestant
la validité de la résiliation de ce contrat
et tendant à la reprise des relations
contractuelles ; qu’elle doit exercer ce
recours, y compris si le contrat en cause
est relatif à des travaux publics, dans un
délai de deux mois à compter de la date
à laquelle elle a été informée de la
mesure de résiliation ; que de telles
conclusions peuvent être assorties d’une
demande tendant, sur le fondement des
dispositions de l’article L. 521-1 du code
de justice administrative, à la suspension
de l’exécution de la résiliation, afin que
les relations contractuelles soient provisoirement reprises ;
Sur l’office du juge du contrat saisi d’un
recours de plein contentieux tendant à la
reprise des relations contractuelles :
Considérant qu’il incombe au juge du
contrat, saisi par une partie d’un recours
de plein contentieux contestant la validité d’une mesure de résiliation et t endant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu’il constate que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa
régularité ou à son bien-fondé, de déterminer s’il y a lieu de faire droit, dans la
mesure où elle n’est pas sans objet, à
la demande de reprise des relati ons
contractuelles, à c ompter d’une date
qu’il fixe, ou de rejeter le recours, en
jugeant que les vices constatés sont
seulement susceptibles d’ouvrir, au profit
du requérant, un droit à indemnité ; que,
dans l’hypothèse où il fait droit à la
demande de reprise des relations contractuelles, il peut décider, si des conclusions
sont formulées en ce sens, que le requérant a droit à l’indemnisation du préjudice que lui a, le cas échéant, causé la
résiliation, notamment du fait de la nonexécution du contrat entre la date de sa
résiliation et la date fixée pour la reprise
des relations contractuelles ;
Considérant que, pour déterminer s’il y a
lieu de faire droit à l a demande de
reprise des relations contractuelles, il
incombe au juge du contrat d’apprécier,
eu égard à la gravité des vices constatés
et, le cas échéant, à celle des manquements du requérant à ses obligations
contractuelles, ainsi qu’aux motifs de la
résiliation, si une telle reprise n’est pas
de nature à porter une atteinte excessive
à l’intérêt général et, eu égard à la
nature du contrat en cause, aux droits du
titulaire d’un nouveau contrat dont la
conclusion aurait été rendue nécessaire
par la résiliation litigieuse ;
Gestion & Finances Publiques / N° 8-9 - Août Septembre 2011
Sur l’office du juge du contrat saisi de
conclusions tendant à la suspension de
l’exécution d’une mesure de résiliation :
Considérant, en premier lieu, qu’il incombe
au juge des référés saisi, sur le fondement de l’article L. 52 1-1 du code de
justice administrative, de conclusions
tendant à la suspension d’une mesure de
résiliation, après avoir vérifié que l’exécution du contrat n’est pas devenue sans
objet, de prendre en compte, pour apprécier la condition d’urgence, d’une part les
atteintes graves et immédiates que la
résiliation litigieuse est susceptible de
porter à un intérêt public ou aux intérêts
du requérant, notamment à la situation
financière de ce dernier ou à l’exercice
même de son activité, d’autre part
l’intérêt général ou l’intérêt de tiers,
notamment du titulaire d’un nouveau
contrat dont la conclusion aurait été
rendue nécessaire par la résiliation litigieuse, qui peut s’attacher à l’exécution
immédiate de la mesure de résiliation ;
Considérant, en second lieu, que, pour
déterminer si un moyen est propre à
créer, en l’état de l’instruction, un doute
sérieux sur la validité de la mesure de
résiliation litigieuse, il incombe au juge
des référés d’apprécier si , en l’état
de l’instruction, les vices invoqués paraissent d’une gravité suffisant e pour
conduire à la reprise des relations
contractuelles et non à la seule indemnisation du préjudice résultant, pour le
requérant, de la résiliation ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui
vient d’être dit que c’est à tort que le
tribunal administratif de Montpellier a
jugé que les conclusions de la commune
de Béziers dirigées contre la mesure de
résiliation de la convention du 10 octobre 1986 étaient irrecevables au motif
que les conditions dans lesquelles la
résiliation d’un tel contrat intervient ne
sont susceptibles d’ouvrir droit qu’à
indemnité ;
Considérant toutefois que, ainsi qu’il a
été dit ci-dessus, le recours qu’une partie
à un contrat administratif peut former
devant le juge du contrat pour contester
la validité d’une mesure de résiliation et
demander la reprise des relat
ions
contractuelles doit être exercé par elle
dans un délai de deux mois à compter de
la date à laquelle elle a été informée de
cette mesure ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction
que la demande de la commune de
Béziers dirigée contre la résiliation, par
la commune de Villeneuve-lès-Béziers,
de la convention du 1 0 octobre 1986
a été enregistrée au greffe du tribunal
585
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Chronique de jurisprudence administrative
administratif de Montpellier le 2 mars
2000 ; que la commune de Béziers ne
peut sérieusement contester avoir eu
connaissance de cette mesure au plus
tard par la lettre du 22 mars 1996, reçue
le 25 mars suivant, par laquelle le maire
de la commune de Villeneuve-lès-Béziers
a informé son maire de la résiliation de
la convention à compter du 1 er septembre 1996 ; qu’aucun principe ni aucune
disposition, notamment pas les dispositions de l’article R. 421-5 du code de justice administrative, qui ne sont pas
applicables à un recours de plein contentieux tendant à la reprise des relations
contractuelles, n’imposent qu’une mesure de résiliation soit notifiée avec
mention des voies et délais de recours ;
que, dès lors, la demande présentée par
la commune de Béziers devant le tribunal administratif de Montpellier était
tardive et, par suite, irrecevable ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui
précède que la commune de Béziers n’est
pas fondée à se plaindre de ce que, par le
jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté comme irrecevables ses conclusions dirigées contre la
mesure de résiliation de la convention du
10 octobre 1986 par la commune de
Villeneuve-Les-Béziers ; (….)
Note
Après l’arrêt d’assemblée Commune de Béziers du 28 décembre 2009, dit "Béziers 1",
qui a renouvelé les pouvoirs du juge dans
le plein contentieux contractuel et consacré l’action en contestation de validité
contractuelle, l’arrêt de section du même
nom en date du 2 1 mars 20 1114, dit
"Béziers 2", fait quant à lui évoluer l’office
du juge saisi d’un recours contre une
mesure de résiliation.
Il n’est pas inutile de rappeler les faits et
les différentes procédures engagées dans
cette affaire complexe.
En l’espèce, dans le cadre d’un syndicat intercommunal à vocation multiple créé spécialement, les communes de Béziers et de
Villeneuve-lès-Béziers avaient mené à bien
une opération d’extension d’une zone industrielle intégralement située sur le territoire de la commune de Villeneu ve-lèsBéziers ; afin de compenser la diminution
de recettes entraînée par la relocalisa tion
–dans la zone industrielle ainsi créée–
d’entreprises jusque là implantées sur le
territoire de la commune de Béziers, il avait
été convenu, par une convention signée
pour une durée illimitée par les deux
14
CE, sect., 21 mars 20 11, Commune de Bézier s, req.
n° 304806, concl. Mme E. Cortot-Boucher , à paraître
au Recueil Lebon.
586
maires le 10 octobre 1986, que la commune de Villeneuve-lès-Béziers verserait à
la commune de Béziers une fract ion des
sommes qu’elle percevrait au titre de la
taxe professionnelle ; mais par une lettre
du 22 mars 1996, le maire de Villeneuvelès-Béziers devait informer le maire de
Béziers de son intention de résilier cette
convention à compter du 1er septembre 1996.
La commune de Béziers a alors enclenché deux types d’actions contentieuses.
Dans le cadre d’une action en responsabilité contractuelle, elle a d’abord saisi le
tribunal administratif de Montpellier, lequel, par un jugement du 25 mars 2005,
a rejeté sa demande formée auprès de la
commune de Villeneuve-lès-Béziers de
l’indemniser du préjudice résultant selon
elle de la résiliation du contrat. P ar un
arrêt du 12 février 200 7, la cour administrative d’appel de Marseille, après
avoir annulé pour irrégularité le jugement du tribunal administratif de Montpellier, a jugé que la convention du
10 octobre 1986 devait être « déclarée
nulle » en application de la jurisprudence
Préfet de la Côte d’Or 15, et a également
rejeté la demande de la com mune de
Béziers. À la suite du pourvoi en cassation déposé par la commune de Béziers
contre cet arrêt d’appel, le Conseil d’État,
par son arrêt d’assemblée précité du 28
décembre 2009, a abandonné la jurisprudence Préfet de la Côte d’Or, annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de
Marseille en tant qu’il avait rejeté la
demande de la commune de Béziers, et
renvoyé l’affaire devant cette même
cour : avec cet arrêt d’assemblée, la
Haute juridiction a renouvelé l’office du
juge du contrat administratif saisi par les
parties en lui reconnaissant une large
palette de pouvoirs, surtout bien évidemment lorsqu’il est saisi dans le cadre
d’une action en contestation de validité.
Mais la commune de Béziers a également contesté la lettre du 22 mars 1996,
par laquelle le maire de la commune de
Villeneuve-lès-Béziers avait informé le
maire de la commune de Béziers de la
résiliation de la convention de 1986,
ainsi que la délibération du 14 mars
1996, aux termes de laquelle le conseil
municipal de Villeneuve-lès-Béziers avait
décidé de ne plus exécuter cette convention à compter du 1 er septembre 1996.
Cette demande dirigée contre la mesure
de résiliation a été rejetée par un jugement du 25 mars 2005 du tribunal
administratif de Montpellier confirmé en
appel par la cour administrative d’appel
de Marseille par un arrêt du 12 février
15
CE, sect., 10 juin 1996, Préfet de la Côte d’Or , req.
n° 176873, Rec. p. 198.
2007, contre lequel s’est pourvue en
cassation la commune de Béziers.
Le Conseil d’État, dans son arrêt de section du 21 mars 2011, annule cet arrêt
d’appel en reprenant le même raisonnement que celui développé dans l’arrêt du
28 décembre 2009, mais, réglant l’affaire
au fond en application des dispositions
de l’article 821-12 du code de justice
administrative (CJA), rejette la requête
présentée par la commune de Béziers en
raison de son caractère tardif . Ce qui
amène la Haute Juridiction à revenir sur
une jurisprudence –classique et bien
établie– concernant les mesures d’exécution des contrats administratifs, et à
introduire le recours à fin de reprise des
relations contractuelles.
Comme le rappelle le Conseil d’État dans
sa décision du 21 mars 2011, le tribunal
administratif de Montpellier avait rejeté
comme irrecevables les conclusions de la
commune de Béziers dirigées contre la
résiliation de la convention du 10 octobre 1986 « au motif que les conditions
dans lesquelles la résiliation d’un tel
contrat intervient ne sont susceptibles
d’ouvrir droit qu’à indemnité ».
Selon une jurisprudence classique en
effet, les mesures d’exécution des
contrats administratifs ne peuvent pas
être annulées par le juge du contrat saisi
par une partie au contrat. Cette règle est
par exemple parfaitement énoncée dans
le considérant de principe de l’arrêt de
section Société des ateliers de nettoyage,
teinture et apprêts de Fontainebleau de
197216 : « le juge des contestations relatives aux marchés administratifs n’a pas
le pouvoir de prononcer l’annulation des
mesures prises par l’administration à
l’encontre de son cocontractant » ; « il lui
appartient seulement de rechercher si ces
actes sont intervenus dans des conditions
de nature à ouvrir au profit de celui-ci un
droit à indemnité ».
Aux termes de ce considérant, cette règle
s’applique à toutes les mesures d’exécution des contrats administratifs, et donc
non seulement aux mesures d’application du contrat mais aussi aux mesures
de modification et aux mesures de résiliation du contrat, étant rappelé que
celles-ci peuvent être prises –de façon
unilatérale– non seulement lorsque la loi
ou le contrat le prévoit mais également
en l’absence de texte en vertu d’une
règle générale applicable aux contrats
administratifs17.
Cf. CE, ass., 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval,
Rec. p. 246.
16
CE, sect., 24 novembre 1972, Société des ateliers de nettoyage, teinture et apprêts de Fontainebleau , Rec.
p. 753.
17
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Chronique de jurisprudence administrative
Le juge administratif contrôle certes que
les mesures de résiliation prises par l’administration respectent bien les c onditions de forme et de fond prévues pour
leur prononcé ; en effet, en dehors des
hypothèses expressément prévues par le
contrat ou la loi, l’administration ne peut
exercer son pouvoir de résiliation unilatérale que lorsque son cocontractant a
commis une faute ou lorsqu’elle peut
invoquer un motif d’intérêt général,
sinon sa mesure de résiliation est considérée comme irrégulière18. Mais au regard
de la jurisprudence classique, le juge,
lorsqu’il constate une mesure de résiliation illégale, ne peut pas l’annuler ; il ne
peut –et encore à condition au demeurant d’avoir été saisi de conclusions en
ce sens– qu’indemniser le cocontractant
de l’administration en réparation du préjudice subi. Les pouvoirs du juge du
contrat saisi d’une demande en annulation d’une mesure de résiliation sont donc
selon la jurisprudence classique pour le
moins limités.
Cette règle, qui à l’origine ne visait que
des marchés publics en vertu d’un arrêt
Goguelat de 186819, s’est progressivement appliquée, sauf cas particuliers, à
tous les contrats administratifs comme
l’a par exemple rappelé l’arrêt Leclert de
197620, tout en comportant des exceptions notables concernant notamment
les contrats de concession21, les conventions d’occupation du domaine public 22,
les anciens marchés d’entreprise de
travaux publics (METP)23 ainsi que les
contrats conclus entre deux personnes
publiques et ayant pour objet l’organisation du service public24.
Cette règle, avant tout justifiée par l’idée
de préserver la liberté contractuelle de
l’administration25 mais aussi par des
considérations d’ordre pratique26, était à
la fois contestable et contestée. Elle était
contestable, dans la mesure où, d’abord,
elle consacrait –à l’évidence– une importante limitation des pouvoirs du juge du
contrat saisi d’un recours cont re une
mesure de résiliation, et où, en outre, sur
le plan même des principes, il n’était
guère satisfaisant que l’administration
puisse se séparer à sa convenance (quels
qu’en soient les motifs –y compris illégaux–, et/ou dans des conditions irrégulières) d’un cocontractant à condition
CE, 27 janvier 1937, Ville de Quesnoy-sur-Deule, Rec.
p. 125.
19
CE, 20 février 1868, Goguelat, Rec. p. 198, rendu à propos
d’un marché public de travaux.
20
CE, 17 mars 1976, Leclert, Rec. T. p. 1008. Cet arrêt
reprend la formule précitée de l’arrêt Société des
ateliers de nettoyage, teinture et apprêts de Fontainebleau, mais en visant non point le « juge des contestations relatives aux marchés administratifs » mais le
« juge des contestations relatives aux contrats administratifs ».
18
simplement d’être prête à en payer le
prix, ce qui au demeurant ne constituait
pas également une heureuse incitation à
gérer au mieux les deniers publics. Aussi,
cette règle était-elle contestée, et depuis
longtemps, non seulement par la doctrine27 mais aussi par de nombreux commissaires du gouvernement28.
Le Conseil d’État semble avoir été –enfin–
sensible à ces critiques dans son arrêt de
section du 21 mars 2011 ; mais il l’a sans
doute été aussi en raison du décalage de
la jurisprudence Goguelat par rapport à
l’évolution jurisprudentielle récente de
l’office du juge du contrat administratif.
La Haute juridiction ne pouvait pas en
effet continuer à ne pas tenir compte de
l’évolution –pour le moins significative–
de sa jurisprudence concernant l’office
du juge saisi de contestations dirigées
contre le contrat, évolution marquée par
les deux décisions d’assemblée Société
Tropic Travaux Signalisation de 200729,
par abréviation "Tropic", et Béziers 1 de
2009. Ces deux décisions, on le sait, ont
reconnu au juge du contrat une large
palette de pouvoirs ainsi qu’une certaine
latitude pour mettre en œuvre en opportunité ces nouveaux pouvoirs.
Sans doute pour toutes ces raisons –une
jurisprudence certes classique et bien établie mais contestable et contestée, une
évolution jurisprudentielle récente et pour
le moins significative de l’office du juge
du contrat–, le Conseil d’État a donc
décidé, dans son arrêt de section du 2 1
mars 2011, de franchir le pas et de consacrer un nouveau recours : le recours à fin
de reprise des relations contractuelles .
Plus précisément, la Haute Juridiction
élargit donc les voies de droit ouvertes à
une partie à un contrat ayant fait l’objet
d’une mesure de résiliation, et consacre
un nouvel office du juge du contrat.
Dans son arrêt de section Commune de
Béziers du 21 mars 2011, la Haute juridiction ne rompt pas totalement avec sa
jurisprudence classique relative au
contentieux des mesures d’exécution des
contrats : elle revient –mais en partie
Depuis l’arrêt Pasquet (CE, 8 février 1878, req. n° 50726,
Rec. p. 128, concl. Romieu), cette exception a été
confirmée à plusieurs reprises (voir à titre d’exemples :
CE, 20 janvier 1905, Compagnie départementale des
eaux et services municipaux c/ ville de Langres, Rec.
p. 54 ; -, sect., 21 janvier 1944, Société d’entreprise et
de construction en béton armé, Rec. p. 23).
22
Cf. CE, sect., 13 juillet 1968, Société Établissements
Serfati, req. n° 73 161, publié au Recueil Lebon ; -,
1er mars 1978, Association Maison des Jeunes et de la
Culture Paris-Charonne, req. n° 05588, mentionné aux
tables du Recueil Lebon.
23
CE, sect., Société industrielle municipale et agricole de
fertilisants humiques et de récupér ation (SIMA), Rec.
p. 123, concl. M. Gentot.
24
CE, 13 mai 1992, Commune d’Ivry-sur-Seine, Rec. p. 197.
25
Celle-ci doit pouvoir se défaire comme elle l’entend
d’un cocontractant dont elle ne veut plus du moment
qu’elle est prête à l’indemniser.
seulement– sur le principe issu de la
jurisprudence Goguelat. En effet, comme
on l’a déjà souligné, l’arrêt du 2 1 mars
2011 rappelle d’abord que « le juge du
contrat, saisi par une partie d’un litige
relatif à une mesure d’exécution d’un
contrat, peut seulement, en princi pe,
rechercher si cette mesure est intervenue
dans des conditions de nature à ouvrir
droit à indemnité » . Mais l’arrêt admet
immédiatement ensuite « que, toutefois,
une partie à un contrat administratif
peut, eu égard à la portée d’une telle
mesure d’exécution, former devant le
juge du contrat un recours de plein
contentieux contestant la validité de la
résiliation de ce contrat et tendant à la
reprise des relations contractuelles ». En
d’autres termes, les mesures de résiliation d’un contrat administratif ne sont
plus désormais insusceptibles de recours
par les parties au contrat. La raison alléguée pour justifier ce revirement partiel
–ou, pour être plus précis, cette atténuation de la règle issue de la jurisprudence
Goguelat– est la portée d’une me sure
de résiliation ; mais, comme on l’a déjà
souligné, ce n’est certainement pas la
seule raison expliquant cette évolution.
Curieusement, l’arrêt Béziers 2 se refuse
à employer le terme d’ annulation : il
évoque « un recours de plein contentieux
contestant la validité de la résiliation de
ce contrat et tendant à la reprise des
relations contractuelles ». Il est certes
heureux que le juge ne se borne point à
constater l’illégalité éventuelle d’une
mesure de résiliation et à prononcer dès
lors l’annulation de celle-ci, mais qu’il en
tire des conséquences sur la poursuite
des relations contractuelles, ce qui –en
pratique– est évidemment le plus important pour les parties au contrat, et pas
seulement du reste pour celle qui a
engagé le recours contre la mesure de
résiliation. Mais cette reprise des relations contractuelles ne peut que faire
suite à l’annulation de la mesure de
résiliation : reprise des relations contractuelles et annulation de la résiliation
sont évidemment liées. Pourquoi dès lors
n’avoir pas clairement évoqué l’annulation de la mesure de résiliation ?
21
Gestion & Finances Publiques / N° 8-9 - Août Septembre 2011
Étaient également soulignées les conséquences bien
souvent limitées de l’annulation contentieuse d’une
mesure d’exécution, et en particulier d’une mesure de
résiliation : en effet, en raison des délais de jugement
et des conditions pour le moins restrictives autorisant
–avant l’entrée en vigueur du référé-suspension–
l’octroi du sursis à exécution, le terme du contrat résilié
était fréquemment atteint avant le prononcé de
l’annulation de la mesure de résiliation.
27
Cf. R. Chapus , in Droit administratif général, Précis
Domat Montchrestien, tome I, § 1377.
28
Cf. M. Denis-Linton, dans ses conclusions sur l’arrêt
Commune d’Ivry-sur-Seine (CE, 13 mai 1992, Rec.
p. 197) ou, plus récemment, M. Boulouis dans ses
conclusions dans un arrêt Commune de Saint-Pol-surTernoise (CE, 30 septembre 2009, req. n° 326230).
29
CE, ass. 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, req. n° 291545, Rec. p. 360, concl. D. Casas.
26
587
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Chronique de jurisprudence administrative
L’arrêt Béziers 2 apporte en outre deux
précisions essentielles pour les requérants,
concernant respectivement le délai de
recours et la possibilité d’assortir celui-ci
d’une requête en référé-suspension.
En premier lieu, la partie au contrat engageant un recours contestant la validité
de la résiliation « doit exercer ce recours,
y compris si le contrat en cause est relatif
à des travaux publics , dans un délai de
deux mois à compter de la date à laquelle
elle a été informée de la mesure de résiliation ». En fait, le délai pour exercer un
tel recours n’est fixé par a ucun texte.
Reprenant –en l’adaptant– sa formulation
de l’arrêt Tropic, la Haute juridiction, suivant à cet égard les conclusions de son
rapporteur public, le fixe –là encore de
façon prétorienne– à deux mois à compter
de la date à laquelle la requérante a été
informée de la mesure de résiliat ion, y
compris en matière de travaux publics.
En second lieu, comme dans l’arrêt Tropic
s’agissant des requêtes contestant la
validité d’un contrat, des conclusions
contestant la validité de la résiliation
peuvent être assorties d’une demande
tendant, sur le fondement des dispositions de l’article L. 52 1-1 du CJA, à la
suspension de l’exécution de la résiliation, afin par conséquent que les relations contractuelles soient provisoi rement reprises. Cette possibilité ainsi
ouverte au requérant contestant la validité d’une mesure de résiliation est
parfaitement logique et justifiée en
opportunité : en cas d’annulation de la
mesure de résiliation, le r equérant n’a
véritablement de chances d’obtenir la
reprise des relations contractuelles que
s’il agit vite (d’où le délai de recours de
deux mois) et s’il obtient –à titre provisoire– du juge des référés la suspension
de la mesure de résiliation contestée et
ainsi la reprise du contrat.
Après avoir élargi les voies de droit dont
dispose une partie à un contrat administratif ayant fait l’objet d’une mesure de
résiliation, et donc après avoir en vérité
élargi la palette des pouvoirs du juge du
contrat, le Conseil d’É tat, dans son arrêt
de section du 21 mars 2011, précise l’office de ce juge, en distinguant la question
de la reprise des relations contractuelles,
d’une part, puis celle de la suspension de
la mesure de résiliation, d’autre part.
S’agissant de la reprise des relations
contractuelles, la première question que
doit se poser le juge du contrat est de
déterminer, comme le souligne à juste titre
Béziers 2, si elle n’est pas sans objet, ce qui
est notamment le cas si, à la date à laquelle
le juge statue, le contrat est arrivé à
échéance ou s’il a été entièrement exécuté.
Dans l’hypothèse où cette reprise des relations contractuelles n’est pas devenue
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sans objet, l’arrêt invite le juge à opérer
une sorte de bilan comme dans les arrêts
Tropic et Béziers 1 : il doit en effet
commencer par déterminer si la mesure
de résiliation contestée est effectivement entachée de vices relatifs à sa
régularité ou à son bien-fondé ; et pour
décider s’il y a lieu ou non de faire droit
à la demande de reprise des relations
contractuelles, il doit apprécier, au regard
d’abord et avant tout de la gravité des
vices constatés mais aussi –le cas
échéant– au regard de la gravité des
manquements du requérant à ses obligations contractuelles ainsi que des motifs de la résiliation, si une telle reprise
n’est pas de nature à porter une atteinte
excessive à l’intérêt général et, eu égard
à la nature du contrat en cause, aux
droits du titulaire d’un nouveau contrat
dont la conclusion aurait été rendue
nécessaire par la résiliation litigieuse.
On le voit, la reprise des relations contractuelles n’est pas acquise. Le juge du contrat
peut fort bien décider de rejeter le recours
en jugeant que les vices constatés sont
seulement susceptibles d’ouvrir –au profit
du requérant– un droit à indemnité : on
retombe alors sur la jurisprudence classique. Il peut donc aussi faire droit à la
demande de reprise des relations contractuelles, à compter d’une date qu’il fixe, et
qui –dans la plupart des cas– devrait être
celle du jugement ou postérieure à celleci, et qui –en tout état de cause– tiendra
compte des circonstances de l’espèce, et en
particulier de la durée du contrat restant à
courir ; au demeurant, la formulation de
l’arrêt ne semble pas interdir e une date
antérieure à celle du jugement, qui pourrait
être à la limite celle de la mesure de résiliation, ce qui pourrait permettre par
exemple la prise en compte d’une poursuite
de fait des relations contractuelles malgré
la mesure de résiliation intervenue. Mais
même dans l’hypothèse où il fait droit à la
demande de reprise des relations contractuelles, le juge du contrat peut décider , si
des conclusions sont formulées en ce sens,
que le requérant a droit en outre à l’indemnisation du préjudice que l ui a –le cas
échéant– causé la résiliation, notamment
du fait d e la non exécution d u contrat
entre la date de sa résiliation et la date
fixée pour la reprise des relations contractuelles.
L’arrêt Béziers 2 précise également l’office du juge du contrat saisi de conclusions tendant à la suspension de l’exécution d’une mesure de rés iliation. Il
était en effet nécessaire d’adapter l’office du juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 52 1-1 du CJA :
l’arrêt du 21 mars 2011 a non seulement
passé outre la difficulté posée par le
texte de cet article qui ne vise que les
requêtes en annulation ou en réformation de décisions administratives, mais il
consacre aussi des tempéraments dans
l’interprétation des deux conditions cumulatives permettant la suspension.
C’est ainsi, en premier lieu, que pour apprécier la condition d’urgence, le juge du
référé-suspension, après avoir vérifié que
l’exécution du contrat n’est pas devenue
sans objet, devra prendre en compte,
d’une part « les atteintes graves et immédiates » –alors que la jurisprudence classique exige seulement une atteinte
« suffisamment grave et immédiate »–
« que la résiliation litigieuse est susceptible de porter à un intérêt public ou aux
intérêts du requérant, notamment à la
situation financière de ce dernier ou à
l’exercice même de son activité », et d’autre part « l’intérêt général ou l’intérêt de
tiers, notamment du titulaire d’un nouveau contrat dont la conclusion au rait
été rendue nécessaire par la rési liation
litigieuse, qui peut s’attacher à l’exécution immédiate de la mesure de résiliation ». Aussi, l’urgence ne devrait-elle
être a priori que rarement retenue30.
Pour déterminer, en second lieu, si un
moyen est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la validité
de la mesure de résiliation litigieuse, le
juge du référé-suspension devra apprécier
si, en l’état de l’instruction, les vices invoqués paraissent d’une gravité suffisante
pour conduire à la reprise des relations
contractuelles et non à la seule indemnisation du préjudice résultant –pour le
requérant– de la résiliation. Comme le
juge du contrat, le juge du référé-suspension sera donc conduit à procéder à un
véritable bilan en l’état de l’instruction.
Au total, les chances d’obtenir une
suspension de la mesure de résiliati on
apparaissent tout de même fort minces.
En conséquence, dans la mesure où la
suspension sera dans la très grand e
majorité des cas un préalable indispensable pour que le juge puisse accueillir la
demande au principal, « il y a fort à parier
que la voie de droit qu’il vous est proposé
d’élargir et de rénover ne permettra d’ordonner la reprise des relations contractuelles que dans des cas relativemen t
rares », comme le souligne avec une
parfaite lucidité le rapporteur public,
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, dans
ses conclusions sur l’arrêt Béziers 131. De
sorte que « dans les autres hypothèses ,
c’est sur le terrain de la réparation du
préjudice subi par le cocontractan t de
l’administration que la contestation
éventuelle continuera à se régler »32.
L’urgence a toutes chances d’être retenue lorsque la
résiliation met en péril la survie économique du cocontractant originaire de l’administration et lorsque celleci n’a pas eu le temps de s’attacher les services d’un
nouveau cocontractant.
31
Cf. E. Cortot-Boucher, conclusions p. 15.
32
Idem.
30
N° 8-9 - Août Septembre 2011 / Gestion & Finances Publiques
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