VI. ANALYSE DIMENSIONNELLE ET SIMILITUDE VI.1 Introduction Jusqu’à maintenant nous avons traité les méthodes analytiques pour solutionner les problèmes de mécanique de fluide. Pourtant dans la pratique, ces méthodes ne sont pas toujours satisfaisantes pour les raisons suivantes : (1) souvent des simplifications sont nécessaires pour résoudre les problèmes; (2) une analyse détaillée peut être chère. La méthode alternative est d’utiliser la méthode expérimentale et de dériver des corrélations applicables aux tous les cas rencontrés du même type de problème. Pour mener à bien une telle étude et analyse, il faut planifier et organiser bien les procédures expérimentales ; si non, on aura (a) des difficultés techniques, (b) de perte de temps, (c) un coût élevé. Ce-ci sera surtout le cas puisqu’on utilise souvent des modèles dans les conditions expérimentales et certaine fois des fluides différents. L’analyse dimensionnelle nous offre une procédure pour éviter les problèmes éventuels et assurer d’obtenir des corrélations sans dimension qu’on peut utiliser dans les conditions pratiques et d’une façon quasi universelle, i.e. dans les conditions dynamiques similaires incluant avec d’autre fluide qu’on a obtenu ces corrélations. La procédure principale de l’analyse dimensionnelle peut être résumée comme suit : (1) compiler une liste de variables pertinentes soit dépendante ou indépendante pour le problème considéré, (2) en utilisant une technique appropriée, identifier le nombre et la forme des paramètres adimensionnels. Une de ces techniques utilisée est du théorème Pi de Buckingham, que nous allons étudier la suite. VI-1 VI.2 Théorème Π de Buckingham Nous allons faire les définitions suivantes: n = le nombre de paramètres indépendants du problème ; j’ = le nombre de dimensions de base trouvées dans les n paramètres ; j = le nombre de dimensions de base nécessaires à considérer simultanément ; k = le nombre de termes Π indépendants qui peut être identifié pour décrire le problème, k = n – j Les étapes à suivre pour l’analyse dimensionnelle sont : 1. Lister les n paramètres du problème 2. Exprimer les dimensions de chaque paramètre en utilisant les dimensions 3. 4. 5. 6. de base, (M, L, t, θ). Compter le nombre des dimensions de base utilisé, j’, dans l’ensemble des paramètres considérés Ttrouver le nombre j en supposant initialement j = j’ et chercher les paramètres répétés qui ne forment pas un produit Π. Si ce n’est pas possible, réduire j par un et répéter la procédure Choisir j paramètres répétés qui ne forment pas le produit Π En choisissant les paramètres non répétés, un par un, et mettant ensemble avec les paramètres répétés, former les Π ; trouver algébriquement les puissances de chaque paramètre répété pour faire les Π sans dimension Écrire la combinaison de Π ainsi trouvé dans une forme de fonction : Πk = f( Π1, Π2, …Πi) Exemple 1 Nous considérons le problème de l’écoulement visqueux dans un conduit rond. Nous cherchons à trouver la chute de pression sans dimension en fonction des autres paramètres sans dimension. Les paramètres de ce problème sont : ∆P = chute de pression, V = vitesse moyenne, D = diamètre, L = longueur, ρ = densité, µ = viscosité, ε = rugosité. Donc, nous avons ∆P = paramètre dépendant et (V, D, L, ρ, µ, ε) = paramètres indépendants. Suivant la procédure discutée ci haut, nous aurons : Solution : 1. Le nombre de paramètres indépendants : n = 7 VI-2 2. La liste des paramètres et leurs dimension en utilisant (M,L,t,θ) : Paramètre ∆P V D L ρ µ ε Dimension ML-1t-2 Lt-1 L L ML-3 ML-1t-1 L Nous avons le nombre de dimensions de base (M,L,t), i.e. j’ = 3. 3. Choisir j = j’ =3 et les paramètres répétés comme V, D, ρ. Ces paramètres ne peuvent pas former un produit Π sans dimension. En effet, aucune combinaison de ces trois paramètres peut éliminer la masse M de la densité et le temps t de la vitesse. 4. Cette étape est la même que l’étape 3 ; les paramètres répétés sont V, D, ρ et j = 3. Donc, k = n – j = 7 – 3 = 4. Nous allons trouver 4 Π indépendants. 5. Obtenir les Π Π1 = VaDbρcµ1 = ( Lt-1)a Lb (ML-3)c ( ML-1t-1 )1 Pour que la dimension de Π1 soit sans dimension il faut que la puissance de chaque dimension de base soit zéro. Donc, en prenant la somme des puissances de chaque dimension de base, nous pouvons écrire : M: t: L: c + 1 = 0, c = -1 -a - 1 = 0, a = -1 a + b – 3c -1 = 0, b = -1 Nous avons donc, Π1 = µ/ρVD Nous pouvons l’écrire sans perdre la généralité comme : Π1 = ρVD/µ = Re (le nombre de Reynolds) Nous pouvons répéter la même opération pour le paramètre L : Π2 = VaDbρcL1 = ( Lt-1)a Lb (ML-3)c L1 Nous aurons : M: c=0 VI-3 t: L: -a = 0 a + b -3c + 1 = 0, b = -1 Donc : Π2 = L/D (le rapport de longueur à diamètre) Maintenant, nous faisons pour ε : Π3 = VaDbρcε1 = ( Lt-1)a Lb (ML-3)c L1 Nous aurons : M: t: L: c=0 -2a = 0, a = 0 a + b – 3c + 1 = 0, b = -1 Π3 = ε/D (la rugosité relative) Finalement, pour le paramètre principal, ∆P : Π3 = VaDbρc∆P 1 = ( Lt-1)a Lb (ML-3)c (ML-1t-2)1 M: t: L: c=0 -a – 2 = 0, a = -2 a + b -3c -1 = 0, b = -1 Π4 = ∆P/ρ V2 (le coefficient de pression) 6. On obtient pour la combinaison de ces paramètres : ⎧ ρVD L ε ⎫ ∆P , , ⎬ = f⎨ 2 ρV ⎩ µ D D⎭ ou { CP = f Re, L, ε } Nous voyons que le coefficient de chute de pression dans un écoulement visqueux dans un conduit avec rugosité est une fonction de (1) nombre de Reynolds, (2) la longueur sans dimension du conduit, (3) la rugosité sans dimension du conduit. VI-4 Problème 1 : Un fluide s’écoule dans un conduit rond horizontal avec une vitesse moyenne V. Une plaque avec orifice de diamètre de d est placée dans le conduit. On désire étudier la chute de pression à travers de l’orifice, ∆P. En supposant ∆P = f(D,d,ρ,V) , déterminez la chute de pression sans dimension en fonction des autres Π. Rép. : ∆P/ρV2 = f(d/D) Problème 2 : Soit donnée une hélice de diamètre D en rotation avec une vitesse angulaire, ω dans un fluide (avec ρ, µ) qui est en mouvement avec une vitesse V. Développez une expression sans dimension pour la poussée développée par cette hélice. Rép. : τ/ρV2D2 = f(ρVD/µ, ωD/V) Problème 3 : Un conduit horizontal avec diamètre D a une contraction brusque à un diamètre d. Le fluide avec (ρ,µ) est en mouvement avec une vitesse V dans le conduit. On désire établir la chute de pression sans dimension en fonction des autres paramètres du problème. En supposant ∆P = f(D,d,ρ,µ,V), déterminez la chute de pression sans dimension. Rép. : ∆P/ρV2 = f(ρVD/µ,d/D) Problème 4 : On a un tube capillaire ayant un diamètre D. Le fluide monte à une hauteur h. En supposant h = f(D,γ,Y) et en prenant les paramètres répétés comme D, γ trouvez une expression sans dimension pour h. Rép. : h/D = f(Y/D2γ) Problème 5 : Une plaque plane de dimension w(longueur) et h(largeur) est en mouvement linéaire dans un fluide avec une vitesse V dans sa direction de sa longueur. En supposant le frottement F = f(w,h,ρ,µ,V), déterminez un Π convenable pour étudier ce problème expérimentalement. Rép. : F/w2V2ρ=f(w/h,ρVw/µ) La table 1 montre quelque nombre adimensionnel rencontré dans le domaine de mécanique de fluide. VI-5 Table 1 : Analyse dimensionnelle et similitude Paramètre Définition Explication Nombre de Reynolds Nombre de Mach Re=ρVD/µ Nombre de Froude Fr=V2/gL Force d’inertie/force visqueuse Vitesse d’écoulement/vitesse sonique Force d’inertie/force gravitation Nombre de Weber We=ρV2L/ Υ Rapport de capacité thermique Rugosité adimensionnelle γ=cp/cv Coefficient de pression Coefficient de portance Coefficient de frottement Ma=V/a Importance dans mécanique de fluide toujours Écoulement compressible Écoulement surface libre Force d’inertie/tension surfacique Enthalpie/énergie interne Écoulement surface libre ε/L Rugosité/longueur caractéristique p − p∞ 1 ρV 2 2 L CL = 1 ρV 2 A 2 Pression statique/pression dynamique Portance/force dynamique Écoulement turbulent/surface rugueuse Aérodynamique hydrodynamique Aérodynamique Hydrodynamique Portance/force dynamique Aérodynamique hydrodynamique Cp = CD = D 1 ρV 2 A 2 Deux éléments importants dans une étude expérimentale sont : (a) Conception d’un modèle (b) Spécification de conditions d’expérimentation. Ce que nous étudierons dans la suite. VI-6 Transfert thermique VI.3 Similitude L’exigence est d’avoir similitude entre le modèle et ses conditions expérimentales et le prototype et ses conditions d’opération. Dans ce contexte la similitude est définit comme ‘tous les nombres sans dimension ont les mêmes valeurs pour le modèle et le prototype.’ La similitude en mécanique de fluide est classifiée en trois : (1) Similitude géométrique, (2) Similitude cinématique, (3) Similitude dynamique. Similitude géométrique : toutes les dimensions linéaires du modèle correspondent à celles du prototype défini par un facteur d’échelle constante, SFk. Considérons le profile montré à la figure 6.1 : SFk = rm/rp = Lm/Lp = Wm//Wp = .. Fig. 6.1 : Similitude géométrique dans l’expérimentation Dans la similitude géométrique, on les mêmes angles, les mêmes directions d’écoulement, la même orientation par rapport à l’environnement, i.e. l’angle d’incidence est identique pour le modèle et le prototype. VI-7 Similitude Cinématique Elle est définie comme les vitesses aux points correspondants sur le modèle et le prototype sont dans la même direction ; elle est différante seulement par un facteur d’échelle constant SFk. En conséquence, les écoulements doivent avoir le même motif de lignes de courant et le même régime d’écoulement. Considérons deux écoulements autour des objets semblables géométriquement, montrés à la figure 6.2 : les vitesses à chaque point sont proportionnelles par un facteur d’échelle constant, β. Fig. 6.2 : Deux écoulements avec similitude cinématique Similitude Dynamique La similitude dynamique est achevée si le rapport des forces aux points semblables sur le modèle et le prototype est identique à un facteur d’échelle constant. C’est illustré à la figure 3 pour le cas de l’écoulement à travers la porte d’écluse. VI-8 Fig. 3 : Similitude dynamique dans une porte d’écluse Nous avons la similitude dynamique dans les conditions suivantes : 1. 2. 3. 4. Écoulement incompressible sans surfaces libres : Rem = Rep Écoulement incompressible avec surfaces libres : Rem = Rep, Frm = Frp Écoulement compressible : Rem = Rep, Mam = Map, γm = γp Écoulement avec tension surfacique : Rem = Rep, Wem = Wep En résumé : • Nous aurons la similitude géométrique si l’échelle linéaire est la même. • Nous aurons la similitude cinématique si les échelles linéaires et de temps sont les mêmes, i.e. l’échelle de vitesse est la même. • Nous aurons la similitude dynamique si les échelles linéaires, de temps et de force sont les mêmes Exemple 2 Le frottement sur un prototype sonde doit être estimé en utilisant les données obtenues avec un modèle dans le tunnel à vent. Les données et les caractéristiques du prototype sont montrées dans la table suivante. Déterminez la vitesse expérimentale Vm nécessaire pour avoir la similitude et le frottement sur le prototype Fp. VI-9 Paramètre Géométrie D Prototype Sphère 0.30m Modèle Sphère 0.15m V F ρ ν 2.5m/s À trouver 1000kg/m3 1.307E-6m2/s Inconnu 25N 1.2kg/m3 1.5E-5m2/s Solution De l’analyse dimensionnelle : CD = f(Re) ou (F/D2)/(ρV2) = f(VD/ν) Pour le prototype, on a le nombre de Reynolds : Rep = (2.5m/s)(0.30m)/1.307E 6m2/s) = 5.74E5 On aura donc, Rem = Rep = (VD/ν)m donne Vm = (5.74E5)(1.5E-5)/0.15 = 57.4m/s Le frottement sur le prototype est déterminé comme suit : CD)p = CD)m donne Fp = Fm (ρp/ρm)(Vp/Vm)2(Dp/Dm)2 = 158N Problème 6 : Un dirigeable a une longueur de Lp et il est en mouvement avec une vitesse de Vp = 6 m/s dans l’air ayant ρair = 1.205 kg/m3, µair = 1.8E-5 kg/m.s. En utilisant un modèle de Lm = Lp/30, on fait une étude expérimentale dans l’eau ayant ρeau = 998 kg/m3, µeau = 1.0E-3 kg/m.s. (a) Déterminez la vitesse Vm (b) On mesure le frottement sur le modèle Fm = 2700N. Calculez le frottement estimé sur le prototype Fp, (c) Calculez la puissance nécessaire en kW pour motoriser le prototype. Rép. : (a) Vm = 12.1m/s, (b) Fp = 725N, (c) Pp = 4.4kW VI-10 Problème 7 : On veut déterminer expérimentalement la chute de pression par mètre dans un pipeline ayant un diamètre de 10 cm, utilisé pour transporter l’essence. Pour se faire, on fait un essai avec le même conduit dans le laboratoire mais en utilisant de l’eau. Pour une vitesse de l’essence de 2 m/s, (a) déterminez la vitesse de l’eau, (b) on mesure la chute de pression par mètre comme 3.4 N/m2 ; déterminez la chute de pression par mètre dans le pipeline avec essence. ρ(essence) = 680 kg/m3, µ(essence) = 2.92E-4 kg/m.s, ρ(eau) = 1000 kg/m3, µ(eau) = 1.307E-3 kg/m.s. Rép. : (a) 0.608m/s, (b) 25.02N/m2 VI-11