
bénéfiques pour la communauté locale, sous la forme de création normative, ne sont pas
immédiatement saisissables. Le débat oppose à nouveau ceux qui voient dans le contentieux
un bien public, légitimant la disponibilité inconditionnelle de ressources publiques dans
l’intérêt de la collectivité, à ceux qui voient « adjudication as a private good » (Posner),
justiciable dans une certaine mesure d’une logique marchande7. A la sacralisation du droit
d’accès au juge on oppose le risque d’instrumentalisation du service public de la justice par
les acteurs privés, s’en servant à des fins stratégiques sans utilité réelle pour la communauté.
La justice de droit international privé est-elle donc indiscutablement un bien public ? Notons
que les termes dans lesquels, outre-Atlantique, les juridictions fédérales américaines abordent
cette question sont très crûs : la doctrine du forum non conveniens part d’une présomption
contre l’exercice de compétence nationale au profit des demandeurs étrangers, pour des
raisons de finances publiques.
8. Il ne s’agit absolument pas d’approuver cette orientation - qui ne correspond d’ailleurs en
aucune façon à celle de la Cour de cassation - mais seulement d’attirer l’attention sur le
foisonnement de questions auquel conduit la prise de conscience tant du coût du contentieux
international pour le contribuable que de la capacité d’accueil limité des tribunaux face à
l’extranéité des litiges8. Au delà du problème, que je viens d’évoquer, de la mesure dans
7 Une étude doctorale récente (Ilona Nurmela, ph D Cambridge, 2006) consacrée aux exigences d’économie de
la justice dans le contentieux international recherche le moyen de désencombrer les tribunaux d’un certain
nombre de contentieux internationaux B2B, qui tendent à gaspiller les ressources publiques sur de purs litiges
d’ « ajustement », par opposition à ceux qui portent sur des points juridiques sérieux et contribuent ainsi
effectivement à l’évolution du droit. Les premiers, pense l’auteur, doivent être canalisés si possible vers des
mécanismes privés de règlement des litiges, améliorant ainsi l’efficience économique (le coût pour le budget
public et d’ailleurs pour les parties elles-mêmes) et processuelle (réduction de la charge des tribunaux). La
proposition, qui n’ignore pas la difficulté de dessiner la ligne de partage, consiste à introduire une norme de
gestion judiciaire, qui comporterait entre pour le juge le devoir d’inciter les parties en début de procédure à
procéder à une étude prospective et contradictoire des coûts du procès, et à les inviter le cas échéant à se tourner
vers d’autres modes de règlement dès lors qu’il lui paraît que le coût global en est disproportionné ou le litige de
pur ajustement. A défaut, il mettrait en œuvre une procédure allégée dite fast track.
8 Ces questions donnent une idée de l’angle sous lequel j’ai voulu aborder la question de la politique de la Cour
de cassation en matière de droit international privé. Le thème est un sous-ensemble d’un sujet plus vaste qui est
celui de l’analyse économique du droit international privé. En éliminant ce qui n’en relève pas spécifiquement,
on pourra cerner le sujet de plus près.
*Je vais m’intéresser au coût du contentieux international mais pas au coût du droit international en général, ou
plutôt, pas aux mauvaises règles de droit international privé comme facteur de coût. La jurisprudence récente en
fournit un exemple notoire qui est celui de la loi applicable aux sûretés réelles prise sur des meubles (et des
créances) situés à l’étranger. La solution du conflit de lois en cas de déplacement du bien vers la France revient à
neutraliser la sûreté et est clairement un facteur de coût dissuasif des investissements financiers etc. En
modifiant la solution actuellement pratiquée, notamment en appliquant la loi de la source (au lieu de la loi de
situation), on aboutirait à un allégement des coûts de transaction. La voie semble ouverte d’ailleurs indirectement
par l’ordonnance de 2006, dans la mesure où l’hostilité ancienne à l’égard des sûretés étrangères était liée à la
crainte qu’inspiraient les gages sans dépossession. La question est très intéressante, mais elle touche au coût des
transactions davantage qu’au coût de la justice.
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