CASSANDRE, LE DOCTEUR PANGLOSS ET SIX ENJEUX ÉCONOMIQUES DU QUÉBEC Notes pour une présentation au congrès 2004 de l’ASDEQ Québec, 6 mai 2004 Pierre Fortin Université du Québec à Montréal Pour discuter de la prospérité future du Québec, il faut d’abord s’entendre sur un diagnostic de la situation économique actuelle. Il y en a deux en circulation : un diagnostic à la Cassandre, cette figure mythologique selon laquelle tout va mal et va continuer d’aller mal, et un autre à la docteur Pangloss, ce personnage de Voltaire selon lequel tout va toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mon propos va chercher à démontrer que les Cassandre noircissent exagérément la situation, mais que, néanmoins, les docteur Pangloss ont tort d’affirmer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes au Québec. Je vais organiser ma critique des Pangloss en abordant six enjeux économiques concrets du Québec. Les exagérations des Cassandre Les Cassandre font tout d’abord remarquer que le PIB par habitant du Québec est parmi les plus bas en Amérique. Mais ils oublient de tenir compte que les prix, eux aussi, sont plus bas aux Québec que partout ailleurs et qu’il y a, par conséquent, plus de vrai « stuff » dans 1 milliard de biens et de services au Québec qu’en Ontario. Ce qui coûte 1 dollar à Montréal coûte 1,15 dollar à Toronto. Si on fait le calcul correctement, la productivité est à peu près la même au Québec qu’en Ontario. Le fait que l’Ontario et le Québec soient tous les deux au 40e rang des États d’Amérique du Nord en productivité doit aussi être souligné. La faible productivité est un problème canadien, pas exclusivement un problème québécois. Ce qui abaisse notre PIB réel par habitant sous celui de l’Ontario, ce n’est pas une différence de productivité, mais d’heures travaillées : les Québécois travaillent moins d’heures par semaine, moins de semaines par année et moins d’années dans leur vie active que les autres Nord-Américains. A-t-on raison de s’en scandaliser ? À mon humble avis, si les gens décident librement de travailler moins et d’encaisser une baisse de revenu afin de prendre plus de bon temps avec leurs enfants, leurs conjoints, leurs amis et de s’adonner plus aux loisirs culturels, sportifs ou autres, ça les regarde. L’objectif de la société est de maximiser le bien-être, pas les revenus monétaires. Il y a sans doute des lois et des règlements qui exagèrent notre propension au loisir et à la retraite hâtive. Il est important de les identifier et de les corriger. Mais ériger en principe que le bonheur est dans plus de travail ne mènera nulle part. 1 Les Cassandre brandissent ensuite le faible taux de croissance de l’emploi au Québec comme preuve de la sous-performance économique du Québec. On dirait qu’ils n’ont jamais entendu parler de la chute dramatique de la natalité au Québec depuis 40 ans. Évidemment que, si la population de 15 à 64 ans n’augmente que de ½% par année au Québec et de 1,5% en Ontario, l’emploi lui aussi devrait normalement progresser trois fois moins vite au Québec! Mais, justement, ce n’est pas le cas. En proportion de la population, l’emploi augmente plus vite au Québec qu’en Ontario depuis 20 ans. En 1982, le retard du taux d’emploi du Québec sur celui de l’Ontario était de 15%. Aujourd’hui, il n’est plus que 5%. Ce n’est pas encore la parité, mais on s’y dirige. Les Cassandre rétorquent que, si l’emploi allait si bien au Québec, notre flux migratoire s’améliorerait. Ils ont parfaitement raison, et justement, il est en train de s’améliorer. Mais cela prend du temps, et il faut admettre qu’à performance économique égale notre langue et notre culture françaises imposeront toujours une limite à l’immigration au Québec. C’est vrai depuis des siècles. La confusion démographique des Cassandre se poursuit lorsqu’ils déplorent que le poids du Québec dans l’investissement total au Canada soit plus faible que le poids du Québec dans l’ensemble de la population canadienne. Ils n’ont pas l’air de comprendre que, si les jeunes sont moins nombreux à entrer dans la population active au Québec qu’ailleurs, moins d’investissement est nécessaire pour les équiper. La faiblesse relative de notre investissement est de nature essentiellement démographique. Elle ne freine pas notre croissance économique par habitant. En fait, si on gratte un peu dans les statistiques, on constate immédiatement que, bien qu’encore en retard sur le reste du pays, le stock de capital productif par habitant augmente plus vite au Québec qu’ailleurs au Canada depuis 15 ans. C’est comme pour l’emploi : on est en arrière, mais on rattrape peu à peu. La complaisance du docteur Pangloss Bon, OK, j’arrête, à la fois parce que je considère la plupart des Cassandre parmi mes amis et parce que, dans le fond, nous poursuivons tous le même objectif : accélérer le développement économique du Québec. Je suis en désaccord avec leur stratégie de noircissement pour deux raisons. La première en est une de principe : ne pas dire la vérité n’est jamais une bonne stratégie – je tiens ce précepte de ma mère. La seconde raison est pratique : répéter sans arrêt que la performance économique du Québec est « poche » dans toutes ses dimensions va décourager nos concitoyens d’agir plutôt que les inciter à l’action. La bonne stratégie à mes yeux est de reconnaître que le Québec a grandement progressé depuis 20 ou 40 ans, mais qu’il a encore des croûtes à manger et qu’il doit prendre les moyens d’aller plus vite non plus pour rattraper l’Ontario, mais pour rejoindre ses grands partenaires économiques du nord-est des États-Unis. La reconnaissance des progrès accomplis est précisément ce qui justifie l’espoir que la tâche soit effectivement réalisable. Je vais donc passer le reste du temps qui m’est imparti à jeter des pierres dans le jardin des docteur Pangloss – tout en admettant que plusieurs d’entre eux sont aussi mes amis. 2 1) Les méga-subventions aux alumineries Tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes au Québec. À commencer par notre réflexe de république de bananes, hérité de Taschereau et de Duplessis, qui nous porte à faire des méga-cadeaux aux multinationales des ressources naturelles. Le dernier exemple en ligne est celui du projet d’expansion d’ALCOA à Deschambault. Suivant machinalement la pratique des gouvernements précédents (libéraux comme péquistes), le gouvernement Landry a promis à cette compagnie une subvention d’une valeur totale de 2 milliards si elle investit 1 milliard pour créer 250 emplois dans Portneuf. Il y a deux problèmes. Le premier, c’est qu’une subvention de 2 milliards pour un investissement de 1 milliard, ce n’est pas fort comme effet de levier. Le second problème, c’est qu’une subvention de 2 milliards pour créer seulement 250 emplois, ce n’est pas fort non plus, quand on sait qu’en moyenne, au Canada, un montant de 2 milliards en investissement manufacturier est capable de soutenir 20 000 emplois, soit 80 fois plus. En d’autres mots, 20 000, c’est le nombre d’emplois que nous pourrions créer en investissant les 2 milliards ailleurs. Ça n’a tout simplement pas de bon sens de gaspiller la richesse des Québécois en méga-subventions à des multinationales qui ne créent presque pas d’emplois et qui, au surplus, bouffent chaque année des milliards de kilowatt-heures au moment même où Hydro-Québec commence à flirter dangereusement avec les limites de sa capacité. 2) L’immobilisme en santé Passons au problème national numéro un, la santé. Nous avons perdu le contrôle de la situation dans ce secteur. La multiplication des nouvelles molécules et les progrès de la chirurgie font augmenter les coûts à la vitesse des bottes de sept lieues. Le vieillissement des babyboomers nous en promet encore plus d’ici 10 ans. Au rythme de croissance actuel, carrément insoutenable, la santé bouffera dans 20 ans les ¾ du budget du Québec. Il restera encore quelques polyvalentes à transformer en hôpitaux, et plus rien pour aucun autre ministère. Tout cela est parfaitement prévisible. Face à cette contradiction évidente, la seule stratégie apparente de nos gouvernements consiste à attendre l’argent fédéral (le déséquilibre fiscal engendre l’immobilisme), à brasser un peu les bureaucraties médicale, syndicale et administrative, et à affamer tout le reste du secteur public pour financer la croissance en santé. La simple addition de 1 milliard au budget de la santé cette année équivaut à une fois et demie le budget total du développement économique. Pourtant, plusieurs vieux pays ont connu ce type de stress bien avant nous et ont trouvé la solution : un système dual public-privé qui garantit l’accès aux soins tout en réprimant les excès de la demande. Pourquoi, au Québec, juge-t-on que le secteur privé est permis et fait du bon travail en éducation, mais qu’il est interdit et dangereux en santé ? Je reconnais que le problème est tout autant canadien que québécois. Il y avait, la semaine dernière, quelque chose de tout à fait pathétique à voir le ministre Pettigrew être forcé de manger ses bas en public simplement pour avoir dit une vérité que personne ne voulait entendre : que le secteur public ne pourra tout faire seul. 3 3) L’abolition suggérée des cégeps Maintenant, l’éducation et, pourquoi pas, les cégeps. Vulnérable aux groupes d’intérêts, le gouvernement, qui a faim d’argent, se laisse présentement tenter par une mesure radicale récemment avancée par la Fédération des commissions scolaires et dont nous savons tous qu’elle sourirait aussi aux dirigeants universitaires : abolir le secteur préuniversitaire de deux ans des cégeps et le remplacer par une sixième année au secondaire et une année supplémentaire au 1er cycle universitaire. La Fédération est allée jusqu’à prétendre que ce brassage de structure ferait économiser 1 milliard par année au Québec, soit l’équivalent de 80% de la subvention du MEQ aux cégeps. Non seulement cette prétention est-elle une impossibilité mathématique, mais c’est son contraire qui est vrai. Former un élève coûte beaucoup plus cher à l’université qu’au cégep, de sorte que transférer 75 000 étudiants des cégeps vers le secondaire et l’université coûterait plus cher, pas moins cher, à la société québécoise – probablement 175 millions de plus par année à long terme, sans compter les coûts de transition à court terme. Ce n’est pas tout. Ajouter une sixième année au secondaire donnerait 12 mois de plus aux jeunes du Québec pour décrocher, alors que la province affiche déjà le plus haut taux de décrochage du Canada. La vérité est que, grâce aux cégeps, presque 70% des jeunes Québécois acquièrent aujourd’hui un diplôme postsecondaire par comparaison à 60% ailleurs au Canada, et que notre niveau de scolarisation est le plus élevé du pays avec celui de l’Ontario, soit 15,2 années d’études à la médiane. C’est notamment au Québec que le plus de jeunes sont formés dans la filière professionnelle et technique au Canada. Il y a certainement beaucoup à améliorer dans cette filière en particulier et dans les cégeps en général. Le point que je veux faire valoir ici n’est pas que tout est parfait au Québec, mais simplement que c’est pire ailleurs et qu’il serait illogique de remplacer notre système par un autre qui est moins performant. Par ailleurs, bien qu’on convienne facilement que beaucoup d’enfants de familles riches et éduquées seraient allés à l’université avec ou sans cégep, il n’en va pas de même pour les enfants d’origine plus modeste. Sans cégep, ils seraient très nombreux à être immobilisés durant toute leur vie avec en poche un simple diplôme du secondaire. C’est exactement ce qu’on observe dans le reste du Canada. Bref, abolir les cégeps tels que nous les connaissons nous ferait perdre sur tous les plans : ce serait une mesure coûteuse, déscolarisante et inéquitable. Alors qu’on se conforte avec le statu quo dans le secteur où il serait urgent d’agir, la santé, on se prépare à prendre un virage radical et dangereux pour l’économie et la société dans un autre secteur, l’éducation, où construire à partir du système actuel serait ce qu’il y a de plus intelligent à faire. 4) La crise perpétuelle du logement locatif Au Québec, nous avons l’habitude de bloquer les prix de divers biens ou services pour toutes sortes de raisons, principalement d’équité. La sous-tarification est évidente pour les garderies, l’électricité, les frais de scolarité collégiaux et universitaires, l’eau, l’usage des ponts et des routes, les logements locatifs, etc. Tout cela part d’un bon naturel, et il n’est pas interdit de croire que le combat contre les inégalités sociales justifie 4 plusieurs de ces interventions, du moins jusqu’à un certain point. Mais il y a des exagérations. Afin de conserver les précieuses minutes qui me sont accordées, je me limiterai à un seul exemple, celui du logement locatif. À prime abord, le problème paraît désespérément simple. Pour être rentable à construire, un logement de 4 pièces et demie doit se louer 800 dollars par mois, alors que le loyer moyen soumis aux règles de la Régie du logement n’est que 550 dollars. Tout ce que vous avez appris en microéconomie à l’école s’ensuit. L’offre est restreinte, la demande est forte, les chercheurs de logements jouent à la chaise musicale, les gros se trouvent une chaise facilement (parfois en payant sous la table), les petits ont le cul à terre, c’est la crise à chaque 1er juillet, et les associations de locataires exigent la construction de plus de logements sociaux par le gouvernement…lequel acquiesce, mais ne peut répondre à la commande parce qu’il est sans le sou. Les causes du déséquilibre sont faciles à comprendre. Le mode actuel de fixation des loyers permet les baisses de loyer, mais limite les hausses. Ça va bien dans une période d’offre excédentaire comme 1988-1998, mais la remontée des loyers est bloquée lorsque la demande se rétablit ensuite. En attendant, les codes de la construction résidentielle accumulent les réglementations qui augmentent le coût de construire. Les solutions sont faciles à trouver. Il suffirait de laisser le marché déterminer le loyer chaque fois qu’un logement se libère (tout en conservant le contrôle pendant la durée d’une occupation) et d’éliminer ou atténuer les réglementations inutiles ou abusives dans la construction résidentielle. D’autres États l’ont fait, et ça marche. Transformer l’État en grand entrepreneur et gestionnaire immobilier n’est pas la seule solution possible à notre crise permanente du logement. 5) Le coût et le risque croissants d’investir au Québec En matière de croissance économique, l’investissement est le nerf de la guerre. Mais, pour avoir lieu au Québec, l’investissement doit être plus rentable à faire ici qu’ailleurs. Or, premièrement, il est de plus en plus coûteux d’investir au Québec parce que les coûts de construction sont plus élevés et plus imprévisibles qu’ailleurs. Est-il normal qu’une grande surface coûte 10% plus cher à construire à Trois-Rivières qu’à Etobicoke, alors que le salaire moyen est 10% plus bas au Québec qu’en Ontario ? Est-il normal que les grands projets finissent par coûter systématiquement deux fois plus cher1 que prévu au départ ? Y a-t-il une stratégie pour ausculter notre industrie de la construction, briser l’omerta qui l’entoure et comprendre ce qui ne marche pas dans le système ? Est-ce qu’une autopsie du flop de la Gaspésia va suffire ? Est-ce que ce flop résulte seulement des malversations de quelques mauvais garçons ou des erreurs d’un gestionnaire incompétent, ou est-il la conséquence d’un système qui est à revoir au complet ? 1 Un collègue de relations industrielles qui en a vu d’autres me fait part d’une nouvelle loi économique dans le secteur de la construction au Québec : la loi de π. Elle énonce que le coût final d’un projet de construction au Québec est égal à π fois l’estimation de coût initiale ! (Rappel : π = 3,1416…) 5 La question, en fait, a une portée beaucoup plus générale que le secteur de la construction. Il s’agit de nous interroger sérieusement sur notre complaisance passée à accorder beaucoup de pouvoir économique à certains groupes pour diverses raisons et s’imaginant que ces groupes, et leurs successeurs, vont utiliser ce pouvoir pour le bienêtre de la collectivité plutôt qu’à leur avantage propre. Il n’y a pas beaucoup de principes fondamentaux en science économique, mais il y en a un qui domine tous les autres : le monopole est intrinsèquement pervers, et la concurrence lui est toujours préférable pour protéger la société contre les abus. Revenons à la rentabilité d’investir. Il est, deuxièmement, de plus en plus coûteux et imprévisible de transporter des marchandises à travers le Québec parce que le réseau routier n’a pas été entretenu et développé normalement, et qu’à l’ère du « juste à temps » les régions éloignées sont mal connectées aux grandes autoroutes continentales. Avezvous déjà essayé de respecter un horaire en roulant à la queue-leu-leu entre Amqui et l’Isle-Verte ou entre Grand-Remous et Labelle ? Quel degré d’atrophie de notre activité manufacturière en région et quel degré de concentration à Montréal cela prendra-t-il avant qu’on en prenne note ? Troisièmement, en matière de fiscalité, on prévoyait financer une réduction générale du fardeau fiscal des entreprises en coupant l’aide ciblée. Qu’est devenu ce plan de match ? Les subventions et les crédits d’impôt sélectifs ont bien diminué, mais le fardeau fiscal n’a guère bougé. La stratégie a-t-elle changé ou s’agit-il plutôt d’un report en raison du manque d’argent ? Ma crainte ici est qu’on supprime le second volet de la stratégie sous prétexte qu’alléger la fiscalité des entreprises équivaudrait à abaisser les impôts des riches. Pourtant, les entreprises sont de pures machines à créer de l’emploi, et c’est dans cette optique qu’il faut envisager leur fiscalité propre. Des entreprises moins taxées investissent plus et créent plus d’emploi et de richesse. On peut toujours rattraper les riches à l’impôt sur le revenu. De toute façon, je n’ai pas besoin de vous faire de dessin pour vous convaincre qu’au Québec, les riches, on les rattrape d’aplomb. 6) Le budget du Québec : fragile et menacé par le vieillissement Puisqu’on est à Québec, je m’en voudrais d’oublier les finances publiques. Les finances du Québec sont confrontées à deux grands problèmes, l’un de court terme, l’autre de long terme. Les deux commandent une révision majeure de nos stratégies. Le premier problème, celui de court terme, est que le Québec gère constamment son budget sur la corde raide. Le plan budgétaire du printemps vise toujours un déficit exactement égal à zéro. Avec une stratégie ainsi campée sur le fil d’un rasoir, la moindre détérioration de la conjoncture économique, la moindre chute des transferts fédéraux ou la moindre baisse des revenus des sociétés d’État peuvent faire dérailler le plan en cours d’année, plongeant le gouvernement dans la crise financière – habituellement à l’automne ! Pour sortir le budget des crises à répétition, il n’y a que deux moyens disponibles : mieux gérer les risques et planifier un surplus budgétaire plutôt qu’un solde nul. À cette fin, il faut diminuer la vulnérabilité du service de la dette aux variations des taux d’intérêt et des taux de change (donc il faut réduire la dette elle-même), sortir les revenus instables des sociétés d’État du périmètre comptable du gouvernement et ne garder qu’un flux 6 régulier de dividendes, travailler ardemment à régulariser les transferts fédéraux, et créer une réserve pour éventualités protégée comme Ottawa le fait depuis quelques années. Le second grand problème des finances du Québec, celui de long terme, est associé au vieillissement de la population. L’effondrement de la natalité et la retraite des babyboomers vont finir par coûter autour de 10 milliards par année au gouvernement en dollars d’aujourd’hui. C’est un ordre de grandeur : 5 milliards en baisse de revenus fiscaux découlant de la chute du nombre de travailleurs, et 5 milliards en hausse nette des dépenses découlant du vieillissement. Pour affronter une telle demande financière, il n’y aura même pas assez de dépenses à couper dans tous les ministères autres que la Santé, l’Éducation et la Solidarité. La seule option, si on veut éviter un massacre fiscal à nos enfants dans 10 ou 15 ans, est de créer l’espace budgétaire nécessaire en réduisant la portion occupée par le service de la dette. Deux façons de le faire sont d’accélérer le remboursement de la dette ou de constituer une caisse-santé bien protégée des vautours. Cet objectif doit tellement dominer les priorités gouvernementales qu’il faut mettre de côté tout plan de réduction majeure et immédiate des impôts et taxes et porter à 2 milliards par année la réserve pour éventualités qui servira à rembourser la dette en temps normal. L’objectif est simple : étaler dans le temps et partager équitablement entre les générations la hausse incontournable du fardeau fiscal que va entraîner le vieillissement, plutôt que de l’absorber tout d’un coup dans 15 ans et de la faire payer uniquement par nos enfants. Bref, l’état des finances du Québec ne laisse pas de place pour le jovialisme. Sortir des crises annuelles à répétition et passer à travers notre vieillissement collectif va exiger une solide prise de conscience collective de nos problèmes, ce qui est encore loin d’être fait. Nous avons besoin de leaders politiques qui ressemblent moins à Pinocchio et plus à Winston Churchill. On peut toujours dire non au redressement, continuer à dépenser les revenus qu’on n’a pas, réduire immédiatement les impôts de 5 milliards, laisser le budget de la santé augmenter de 1 ou 2 milliards par année, détruire le reste du secteur public, prétendre que le déficit est nul bien que la dette augmente et, pourquoi pas, suivre l’exemple de Washington (ou de Toronto) et se remettre à faire des déficits. Le problème, c’est qu’à force de pelleter la neige par en avant, nous allons finir par nous faire bloquer la route par un immense banc de neige. Ou plutôt, ce seront nos enfants qui seront pris avec. Ils auront le choix de l’avaler ou de s’enfuir à l’étranger. Après tout, ni l’anglais ni la mondialisation ne leur font plus peur. 7