5
qui s’aiguisent les ongles. On pro-
pose des préretraites aux infirmières
afin d’en diminuer le nombre, ici
comme ailleurs en France. Où va-
t-on ? Nous allons perdre des locaux
hospitaliers, des lits, des soignants
et des lieux d’apprentissage ! Tout
cela pour faire une grande usine-
hôpital ! »
Les gouvernements successifs
prétendent qu’il y a trop de lits.
Gérard Meylan ne comprend pas.
«Nous refusons des malades aux
urgences parce qu’il en manque !,
dit-il. En pneumologie, il m’arrive
de transférer des malades en am-
bulance vers des établissements pri-
vés parce que nous n’avons pas
assez de lits de réanimation ! Il est
délicat de renvoyer et promener
ainsi des malades dans un état
grave ! » A ses yeux, nous man-
quons de lits, mais aussi de chi-
rurgiens, d’anesthésistes et d’in-
firmières. Le taux idéal, le jour,
serait d’un infirmier pour huit
malades à l’hôpital. Au lieu de
cela, on compte souvent une in-
firmière pour vingt malades.
«Avec trente malades sur les bras,
la nuit, je suis seul dans le service,
dit-il. Un effectif plus adapté nous
permettrait d’avoir plus de temps
pour faire tomber les barrières et
parler aux malades. Il devrait y
avoir à peu près le même nombre
d’infirmiers la nuit que le jour. Com-
ment donner à un malade les expli-
cations nécessaires avant son départ
si le soignant est seul et qu’on l’ap-
pelle ailleurs ? »
La durée moyenne de séjour des
malades ne cesse de diminuer.
«Les protocoles de chimiothérapie,
notamment pour les mésothéliomes,
doivent s’effectuer en cinq jours,
ajoute-t-il. Or, nous sommes obli-
gés de les pratiquer en quatre jours
pour libérer des lits. Généralement,
les malades ont à peine le temps de
se stabiliser avant de partir. »
Le roulement des effectifs n’est
pas la seule difficulté. «Je dois
parfois me battre pour obtenir des
calmants dans le service, dit-il. On
ne peut laisser souffrir un malade !
J’ai dû écrire une lettre à mon chef
de service pour que l’on puisse avoir
des pompes à morphine à proposer
aux patients qui souffrent.» Son
service ne disposait pas de hotte à
flux laminaire pour prévenir les
risques lors de la préparation des
traitements anticancéreux. «Des
infirmières du service attrapaient
des dermatoses, dit-il. L’une d’elles,
qui effectuait ces préparations, se
grattait de plus en plus. Elle perdait
ses cheveux. Tout le monde connais-
sait la solution – il faut de telles
hottes au-dessus du plan de travail
– mais personne ne disait rien. Il a
fallu en réclamer ! » Le service finit
par obtenir une hotte d’occasion
lorsqu’un autre chef de service
parvient à en acquérir une neuve.
Ces économies finissent par re-
venir cher, en termes de santé,
pour la Sécurité sociale. «Je fré-
mis quand j’entends parler de coût
de la santé, dit-il. Dans un tel do-
maine, nous devrions pouvoir nous
payer le luxe de gaspiller ! La Sécu
n’a jamais eu pour vocation de faire
des profits... Comment ne pas s’em-
porter quand on nous parle de
maîtrise des dépenses de santé si l’on
sait le prix d’un seul missile utilisé en
Yougoslavie ! Il nous arrive de des-
cendre dans la rue pour notre Sécu
ou nos retraites... Mais pas assez ! »
A l’hôpital comme dans les contes
cinématographiques de l’Estaque
de Robert Guédiguian, une ac-
tion collective et solidaire ren-
drait chacun plus fort. «Elle de-
vrait aider à se sentir moins seul,
dit-il. Lorsqu’on a une idée d’amé-
lioration, il faut oser la soumettre à
son patron. Mais, de nos jours, tout
le monde a peur. Dans les entre-
prises, la première des peurs, c’est
celle de la précarité. Même à l’hôpi-
tal public, de plus en plus de soi-
gnants sont embauchés en CDD. Les
infirmières ont peur parce que le
mari a peur, parce que les enfants
ont peur, parce que la société a peur.
Nous vivons trop dans la crainte du
lendemain. »
Gérard Meylan travaille cinq
nuits de dix heures d’affilée.
A 6 h 15, le matin, il attend
l’équipe de jour et la surveil-
lante au lieu de s’en aller. «Lors-
qu’ils arrivent, nous discutons,
dit-il. En abordant des difficultés,
nous pouvons avancer des solu-
tions. Mais tout le monde est apeuré
dès qu’il s’agit d’aller les proposer à
la direction. »
Plus on éloigne les personnes les
unes des autres, moins on leur
donne la possibilité de trouver
les solutions dont elles ont be-
soin ! «Dans le service de pneumo
où je travaille, on assiste à une
déliquescence du lien entre méde-
cins, soignants, agents de service et
aides-soignantes, dit-il. Beaucoup
s’hyperspécialisent dans leurs coins,
y compris les infirmières. » Cela
contribue à cette dégradation
actuelle. «A l’hôpital comme pour
tout travail, je préfère qu’une per-
sonne milite à n’importe quel syn-
dicat plutôt que de ne rien faire,
lance-t-il. J’ai été délégué syndical !
Les infirmières venaient me trouver
pour me dire : alors qu’est-ce que tu
fais ? Rien ne bouge ? Mais rien ne
bouge du fait d’un seul individu.
Qu’il s’agisse d’éducation du patient,
d’amélioration des conditions de tra-
vail des soignants ou de qualité des
soins, il ne faut pas avoir peur d’ar-
gumenter et d’insister. Il y a des
choses dont on doit faire des éten-
dards de lutte ! »
Marc Blin
©1997-J. Riboud-Agat Films
Film :
A l’attaque.