Rencontre Infirmier et acteur de cinéma Il est le héros du film Marius et Jeannette : le gardien de cimenterie qui boite. Gérard Meylan l’est aussi dans A l’attaque, le nouveau film de Robert Guédiguian. Infirmier depuis 26 ans, l’acteur travaille dans un service de pneumologie de Marseille. M L’histoire aborde des thèmes comme la toxicomanie, la présence du Front National à Marseille, les liens enchevêtrés entre la politique et la mafia. Il y a une intrigue, mais ce n’est pas un polar. La trame, plus sociale, aborde l’engagement politique. Il s’agit plus de montrer la vie côté réalité... telle qu’elle est.» © 1997-Agat Films & Cie arseille. A gauche du vieux port, en regardant la mer, se succède un chapelet de calanques. A droite, des kilomètres de docks et de zones portuaires débouchent, tout au bout, sur le quartier de l’Estaque. Au Bar de la Rade, nous avons rencontré Gérard Meylan entre deux tournages. Infirmier depuis vingtsept ans, c’est la première fois, après avoir tourné une douzaine de films, qu’il a pris une disponibilité de six mois, laissant Film : Marius et Jeannette. 4 de côté l’hôpital, pour tourner deux nouveaux films avec Robert Guédiguian. Le premier, intitulé A l’attaque vient de sortir. Gérard Meylan y joue le rôle d’un garagiste qu’un patron, délocalisant son entreprise sans le payer, “met sur la paille” et pousse au kidnapping. « Le deuxième film doit s’appeler La ville est tranquille, dit Gérard Meylan. On s’en doute, ce n’est pas tranquille du tout ! J’y joue le rôle d’un tueur à gages. Soins et cinéma Parce qu’une “copine” est infirmière, Gérard Meylan choisit de faire l’école d’infirmière à dix-sept ans. « J’avais, par élan, envie de faire quelque chose d’utile et efficace », dit-il. Quelques années et un diplôme infirmier plus tard, il commence sa carrière, avec des horaires de jour, dans le service de chirurgie digestive de l’HôtelDieu, à Marseille. Ensuite, il exercera en service de traumatologie, puis, de nuit, en pneumologie. Quant à la rencontre avec le cinéma, elle a lieu parce que le cinéaste Robert Guédiguian et Gérard Meylan étaient amis d’enfance à l’Estaque. Jeunes, subjugués par le grand écran, ils hantent les cinémas d’art et d’essai de Marseille et dévorent les films néoréalistes italiens. Puis la vie les sépare. Robert Guédiguian “monte” à Paris finir ses études de sociologie. Sa femme, Ariane Ascaride (qui a joué Jeannette, et travaille au garage Moliterno dans leur dernier film), y fait le Conservatoire. Le copain resté dans le Sud reçoit un coup de fil de son ami en 1980. Il lui propose de jouer dans son premier film, Dernier été, qui retrace l’histoire de quatre gars de l’Estaque confrontés à la difficulté de vivre aujourd’hui. Le personnage joué par Gérard Meylan fait un casse chez un brave petit vieux qui défend ses biens et lui tire dans le dos. Depuis, Gérard a fait une douzaine de films longs métrages, quelques moyens métrages et des téléfilms. Une clause du règlement de l’Assistance PubliqueHôpitaux de Marseille permet à ses agents d’avoir une activité de créateur, qu’il s’agisse de peinture, de cinéma ou de tout autre moyen d’expression. Ils peuvent avoir un autre revenu que celui de la fonction publique hospitalière. Jusqu’en 1999, notre infirmier a fait du cinéma sur ses temps de repos annuels et ses repos compensateurs. Restrictions vers la qualité des soins. Effectifs à marée basse Gérard Meylan n’en fait pas trop devant une caméra. Il présente un jeu réaliste, sobre, quasi minimaliste. Et puis, le moment venu, bang !... il vous balance de l’émotion “gros comme ça” pour dire l’amour, le malheur ou l’indignation. Robert Guédiguian lui écrit des rôles comme il le voit dans la vie : un homme confronté au quotidien, plutôt contemplatif, mais pouvant se révéler combatif ou militant. C’est d’ailleurs sa passion qui frappe lorsque Gérard Meylan parle de l’hôpital. « Nous assistons à d’importantes restructurations dans ce secteur ! dit-il. A Marseille, la construction d’un méga-hôpital à vocation universitaire est envisagée dans le quartier du Prado, assortie de la fermeture des hôpitaux de la Conception, de la Timone et de Sainte-Marguerite. Avec le parc splendide de ce dernier, j’entends déjà les promoteurs immobiliers J’ai dû écrire une lettre à mon chef de service pour que l’on puisse avoir des pompes à morphine à proposer aux patients qui souffrent.» Son service ne disposait pas de hotte à flux laminaire pour prévenir les risques lors de la préparation des traitements anticancéreux. « Des infirmières du service attrapaient des dermatoses, dit-il. L’une d’elles, qui effectuait ces préparations, se grattait de plus en plus. Elle perdait ses cheveux. Tout le monde connaissait la solution – il faut de telles hottes au-dessus du plan de travail – mais personne ne disait rien. Il a fallu en réclamer ! » Le service finit par obtenir une hotte d’occasion lorsqu’un autre chef de service parvient à en acquérir une neuve. Ces économies finissent par revenir cher, en termes de santé, pour la Sécurité sociale. « Je frémis quand j’entends parler de coût de la santé, dit-il. Dans un tel domaine, nous devrions pouvoir nous payer le luxe de gaspiller ! La Sécu n’a jamais eu pour vocation de faire des profits... Comment ne pas s’emporter quand on nous parle de maîtrise des dépenses de santé si l’on sait le prix d’un seul missile utilisé en Yougoslavie ! Il nous arrive de descendre dans la rue pour notre Sécu ou nos retraites... Mais pas assez ! » A l’hôpital comme dans les contes cinématographiques de l’Estaque de Robert Guédiguian, une action collective et solidaire rendrait chacun plus fort. « Elle devrait aider à se sentir moins seul, dit-il. Lorsqu’on a une idée d’amélioration, il faut oser la soumettre à son patron. Mais, de nos jours, tout le monde a peur. Dans les entreprises, la première des peurs, c’est celle de la précarité. Même à l’hôpital public, de plus en plus de soignants sont embauchés en CDD. Les infirmières ont peur parce que le mari a peur, parce que les enfants ont peur, parce que la société a peur. Nous vivons trop dans la crainte du lendemain. » Gérard Meylan travaille cinq nuits de dix heures d’affilée. A 6 h 15, le matin, il attend l’équipe de jour et la surveillante au lieu de s’en aller. « Lorsqu’ils arrivent, nous discutons, dit-il. En abordant des difficultés, nous pouvons avancer des solutions. Mais tout le monde est apeuré dès qu’il s’agit d’aller les proposer à la direction. » Plus on éloigne les personnes les unes des autres, moins on leur donne la possibilité de trouver les solutions dont elles ont besoin ! « Dans le service de pneumo où je travaille, on assiste à une déliquescence du lien entre médecins, soignants, agents de service et aides-soignantes, dit-il. Beaucoup s’hyperspécialisent dans leurs coins, y compris les infirmières. » Cela contribue à cette dégradation actuelle. « A l’hôpital comme pour tout travail, je préfère qu’une personne milite à n’importe quel syndicat plutôt que de ne rien faire, © 1997-J. Riboud-Agat Films qui s’aiguisent les ongles. On propose des préretraites aux infirmières afin d’en diminuer le nombre, ici comme ailleurs en France. Où vat-on ? Nous allons perdre des locaux hospitaliers, des lits, des soignants et des lieux d’apprentissage ! Tout cela pour faire une grande usinehôpital ! » Les gouvernements successifs prétendent qu’il y a trop de lits. Gérard Meylan ne comprend pas. « Nous refusons des malades aux urgences parce qu’il en manque !, dit-il. En pneumologie, il m’arrive de transférer des malades en ambulance vers des établissements privés parce que nous n’avons pas assez de lits de réanimation ! Il est délicat de renvoyer et promener ainsi des malades dans un état grave ! » A ses yeux, nous manquons de lits, mais aussi de chirurgiens, d’anesthésistes et d’infirmières. Le taux idéal, le jour, serait d’un infirmier pour huit malades à l’hôpital. Au lieu de cela, on compte souvent une infirmière pour vingt malades. « Avec trente malades sur les bras, la nuit, je suis seul dans le service, dit-il. Un effectif plus adapté nous permettrait d’avoir plus de temps pour faire tomber les barrières et parler aux malades. Il devrait y avoir à peu près le même nombre d’infirmiers la nuit que le jour. Comment donner à un malade les explications nécessaires avant son départ si le soignant est seul et qu’on l’appelle ailleurs ? » La durée moyenne de séjour des malades ne cesse de diminuer. « Les protocoles de chimiothérapie, notamment pour les mésothéliomes, doivent s’effectuer en cinq jours, ajoute-t-il. Or, nous sommes obligés de les pratiquer en quatre jours pour libérer des lits. Généralement, les malades ont à peine le temps de se stabiliser avant de partir. » Le roulement des effectifs n’est pas la seule difficulté. « Je dois parfois me battre pour obtenir des calmants dans le service, dit-il. On ne peut laisser souffrir un malade ! lance-t-il. J’ai été délégué syndical ! Les infirmières venaient me trouver pour me dire : alors qu’est-ce que tu fais ? Rien ne bouge ? Mais rien ne bouge du fait d’un seul individu. Qu’il s’agisse d’éducation du patient, d’amélioration des conditions de travail des soignants ou de qualité des soins, il ne faut pas avoir peur d’argumenter et d’insister. Il y a des choses dont on doit faire des étendards de lutte ! » Film : A l’attaque. Marc Blin 5