Origines, sens et destins du courant existentialiste
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© Groupe Eyrolles
Nous allons quitter Nietzsche, dont le choix est
d’ouvrir la voie au Surhumain* en vivant lui-même
jusqu’au bout, dans la souffrance et dans la joie, la
contradiction constitutive de la vie. Ce qui nous
intéresse, c’est la présentation de l’individu comme
le créateur de ses valeurs dans un monde sans Dieu.
Ce qui nous intéresse aussi, c’est l’idée que toute
vision du monde est interprétation subjective et que
le critère de la pensée authentique n’est pas la
vérité, mais la force avec laquelle son auteur adhère
à la force mystérieuse de la Vie.1
Les voies de l’existentialisme
Par leur œuvre et par le lien de leur œuvre avec leur
propre vie, Kierkegaard et Nietzsche inaugurent la
voie de la philosophie existentielle2. Tous deux font
le procès virulent de la démarche rationnelle qui
prétend à la vérité objective. Par leur relation pathé-
tique à l’écriture, tous deux prouvent que l’acte de
penser puise son suc dans la singularité de l’indi-
vidu concret. Tous deux répètent qu’ils sont autre
chose que des « philosophes ». S’engageant à penser
la complexité de l’existence, ils ne cessent de nous
signifier que la pensée ne saurait en résoudre le
mystère, mais seulement le pressentir.
Par leur rapport au christianisme, Kierkegaard et
Nietzsche sont opposés et, en même temps,
1. Les citations sont extraites du Livre du philosophe, d’Ainsi
parlait Zarathoustra et de Généalogie de la morale.
2. Le mot existence, au sens moderne de réalité individuelle,
apparaît avec Friedrich Schelling (1775-1854). Cf. Hannah
Arendt, La Philosophie de l’existence.