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Les Fables de Starewitch
Author : Emmanuel Didier
Date : 15 février 2011
On connaît de Starewitch ses ingénieux trucages, ses stop-motions mettant aux prises
marionnettes et macchabées d’insectes. On les connaît souvent de nom, de réputation, au
gré d’une vidéo volée sur YouTube ou d’une recommandation bien inspirée. Aujourd’hui,
on peut les voir sur grand écran, durant quelques petites semaines, après avoir pu
apprécier il y a quelques années – toujours grâce au même distributeur, Les Acacias – le
programme intitulé Les Contes de l’horloge magique réunissant quelques-uns de ses plus
audacieux essais. Les Fables de Starewitch se concentrent sur son travail durant les
années 1920 et 1930 autour des fables de La Fontaine.
Starewitch est ce drôle d’animateur qu’on a un temps comparé à Walt Disney et que l’Histoire a
peu à peu englouti, quelques avaries de production le condamnant à un suspect scepticisme. Les
hasards et la volonté de quelques personnes font ressurgir de temps à autres le génie de cet
homme et de son œuvre. Starewitch se fait engager au tout début du siècle dernier dans un musée
de Lituanie abritant un département spécialisé sur les insectes ; et c’est amusé ou fasciné par ces
drôles de cadavres noirs et poilus que Ladislas se met en tête de jouer au pédagogue. Réanimant
image par image, avec des ficelles, ces corps brinquebalants, il tente d’expliquer et d’analyser la
vie des bêtes, il en fera d’ailleurs son premier vrai film en 1911 avec la première version de La
Cigale et la fourmi, et se confronte à un premier échec : loin d’aider les petites têtes blondes à
assimiler leur leçon de biologie, il les distrait, il les émerveille. Il ne pourra plus se dévêtir de ce
don.
Poussé vers la sortie par la révolution bolchévique comme nombre de cinéastes russes (il pousse
même le vice jusqu’à se déclarer libéral), il émigre en région parisienne en 1920. De là, il va écrire
et réaliser ses plus beaux films, Le Roman de Renart en 1930 bien sûr mais aussi quelques courtsmétrages pas piqués des hannetons. Parmi ceux-ci, on retrouve ceux qui façonnent le programme
des Fables. La Cigale et la fourmi renvoie à la fable de La Fontaine mais en plus acide encore, nul
insecte n’en sortira grandi : la cigale est une artiste bohème, égotiste, libre mais sans attention
pour le monde, tandis que la fourmi est bien ce Schtroumpf à lunettes insupportable. Ce tronçon du
programme est le seul à partager avec les films russes précédents l’utilisation des insectes morts
qui réapparaissent à la vie, dégingandés, comme aspirés par un souffle invisible. Cette aspiration
démiurgique à petite échelle est assez fascinante, si ce n’est inconfortable. Car rien n’est donné
pour acquis chez Starewitch, le tempo, la narration et les choix formels ne prémâchent rien : le
public est tout autant acteur que les ectoplasmes morbides projetés devant lui, il faut faire l’effort
de s’imprégner de l’atmosphère. Les autres films du programme mettent en scène des cinémarionnettes, rejoignant par là une tradition moins ambiguë de l’animation.
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Le Lion et le moucheron renoue ainsi avec une volonté burlesque assez rafraîchissante, collant de
très près à la fable d’origine mais se permettant quelques envolées lyriques grâce à l’expression
des marionnettes et à leur animation saccadée. Le lion est un roi décadent, ses moustaches frisent
comme des fils mâchouillés, ses gigotements le rendent tout autant ridicule qu’attachant, et
s’installe alors une poésie toute particulière, à l’instar de l’irruption d’un chat terroriste parmi une
fête jazzy préparée par deux rongeurs dans Le Rat de ville et le rat des champs. Si on sent ici et là
poindre un propos politique qui peut paraître suspect aujourd’hui – la vision du peuple qu’a
Starewitch dans Les Grenouilles qui demandent un roi est assez méprisante – il faut replacer cela
dans un contexte qui nous échappe de nos jours, et se contenter (c’est déjà beaucoup)
d’apprécier le plaisir fascinant procuré par ces êtres de papier et de chloroforme qui s’agitent pour
réinvestir la comédie humaine.
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