foucault - Cours de Philosophie de Terminale par Jean Leveque

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Michel FOUCAULT doit tenir compte du progrès des sciences humaines qui, chacune, dans son domaine, -biologie, économie, linguistique- développent
un savoir « positif » concernant l'homme réel : celui qui vit, qui travaille et qui parle ; Mais, ce n'est pas l'objectivité de ces “disciplines” qui, en elle-même,
pose problème : chacune, en un sens, explore son domaine d'être. Le problème surgit lorsque la réflexion philosophique, s'interrogeant sur le fondement
de ces ontologies “régionales” prétend, sur la base de ces disciplines - acquérant le statut de sciences, énoncer une vérité sur l'homme.
" Les thèmes modernes d'un individu vivant, parlant et travaillant selon les lois d'une économie, d'une philologie et d'une biologie mais qui par une sorte
de tension interneet de recouvrement aurait reçu par le jeu de ces lois elles-mêmes le droit de les connaître et de les mettre entièrement à jour, tous ces
thèmes familiers (sont) liés à l'existence des sciences humaines. "
Ce qui est mis en cause, c'est la portée des sciences humaines qui, à travers la prétention à l’objectivité de la connaissance, impliquent la possibilité
d’une explication matérialiste de l’humain.
Mais cette mise en cause du matérialisme qui est le ressort de la démarche de Michel FOUCAULT ne peut s'opérer que par un long détour :
Si l'apparition et le développement de chacune de ces sciences répondent à une exigence historique, théorique ou pratique (comme le souligne Foucault
dans le texte cité), ne faut-il pas conclure que ces disciplines développent un savoir objectif, une connaissance “scientifique” des réalités qui constituent
leur objet ?
Pour répondre à cette interrogation, Foucault opère le renversement qui constitue toute sa démarche : pour qu'il y ait des sciences humaines, explique-t-il,
il faut que l'homme soit apparu dans l'espace du savoir. Or, c'est là un évènement qui ne peut s'expliquer par le progrès des connaissances objectives,
puisqu'il s'agit d'une mutation qui fonde une redistribution complète de l'ordre de la connaissance, de cet ensemble cohérent de représentations ou de
significations, qu'il désigne sous le terme d'épistémè.
" Il ne fait pas de doute, certes, que l'émergence historique de chacune des sciences humaines se soit faite à l'occasion d'un problème, d'une exigence, d'un
obstacle d'ordre théorique ou pratique ; il a certainement fallu les nouvelles normes que la société industrielle a imposées aux individus pour que,
lentement, au cours du XIXème siècle, la psychologie se constitue comme science ; il a aussi fallu sans doute les menaces qui depuis la Révolution ont
pesé sur les équilibres sociaux et sur celui-là même qui avait instauré la bourgeoisie pour qu'apparaisse une réflexion sociologique ... Mais le fait nu que,
pour la première fois, depuis qu'il existe des êtres humains, l'homme soit devenu objet de science, cela ne peut être considéré ni traité comme un
phénomène d'opinion : c'est un évènement dans l'ordre du savoir.
Cet évènement s'est lui-même produit dans une redistribution générale de l'épistémè. "
Le sens de la démarche mise en œuvre dans Les Mots et les Choses apparaît clairement: Montrer que l'objectivité des connaissances ne doit pas se
comprendre comme connaissance d'une réalité objective, mais comme l'exploration de “ champs épistémologiques ”qui sont des structures ou
configurations du savoir.
Dès la préface du livre, c’est cette démarche qu'il désigne sous le terme d'Archéologie du savoir.
" Une telle analyse, écrit-il, ne relève pas de l'histoire des idées ou des sciences ... Il ne sera pas question de connaissances décrites dans leur progrès vers
une objectivité dans laquelle notre science d'aujourd'hui pourrait se reconnaître ; ce qu'on voudrait mettre au jour, c'est le champ épistémologique,
l'épistémè où les connaissances, envisagées hors de tout critère se référant à leur valeur rationnelle ou à leurs formes objectives , enfoncent leur positivit
é et manifestent ainsi une histoire qui n'est pas celle de leur perfection croissante mais celle de leurs conditions de possibilité .
En ce récit, ce qui doit apparaître, ce sont, dans l'espace du savoir, les configurations qui ont donné lieu aux formes diverses de la connaissance
empirique. Plutôt que d'une histoire au sens traditionnel du mot, il s'agit d'une archéologie ".
Le terme d’analyse employé n’est pas innocent : Cette démarche a les vertus de l'Analytique Kantienne : Les “empiricités”, les réalités concrètes, qui font
l'objet de tel ou tel domaine du savoir, ne prennent leur sens que par leur appartenance à “des espaces d'ordre”, à des "systèmes de représentation", à
"des ensembles significatifs" : Ce sont les corrélations à l'intérieur du système qui constituent le sens de chacun des phénomènes.
Dans chaque système, il s'agit d'analyser le langage tel qu'il est parlé, les être naturels tels qu'ils sont perçus, les échanges tels qu'ils sont pratiqués pour
découvrir "des cohérences composées de ressemblances qui se suivent de proche en proche ou se répondent en miroirs". Dans toute culture, ces
"modalités de l'ordre" constituent le socle positif des connaissances empiriques, telles qu'elles se déploient dans la grammaire et la philologie, dans
l'histoire naturelle et la biologie, dans l'étude des richesses et l'économie politique.
Ainsi, quand on passe de la grammaire à la philologie, de l'histoire naturelle à la biologie, de l'étude des richesses à l'économie politique, on ne saurait
expliquer ce passage comme un progrès des connaissances approfondissant leur objet mais il faut l'interpréter comme le passage d'une culture à une autre :
C'est le savoir qui change de sens en passant d'un système à un autre et chaque système constitue une "totalité" isolée, un ensemble de significations.
D'une configuration à l'autre, il y a discontinuité. Les principes "organisateurs" de ces empiricités sont l'analogie et la succession.
En voulant donner une explication historique, l'on est victime d'un mode de penser qui est une des modalités de la culture du XIXème siècle, au cours
duquel l'histoire devient le mode d'être fondamental du savoir, à partir duquel sont pensées toutes les empiricités (les réalités concrètes).
Michel FOUCAULT nous présente, dans "Les Mots et les Choses" l'analytique des trois systèmes de la culture occidentale : le XVIème siècle, monde
des similitudes, le XVIIème siècle où le monde se constitue en un système de représentations, et la modernité qui est le moment de la déchirure et de
l'historicité .A l'intérieur de chacun de ses systèmes, Michel FOUCAULT analyse les trois modes de corrélations qui correspondent aux trois activités
principales de l'homme, qui vit, qui parle et qui travaille . L'Archéologie du savoir ou Analytique a pour objet d'explorer les structures du savoir qui
constituent le sens "analogique" de ces expériences que sont la vie, le langage et les échanges.
Cette analytique, qui prend sa source dans la critique Kantienne, trouve ses concepts dans la phénoménologie et le structuralisme mais en étend la
portée:
- Il ne s'agit pas seulement d'affirmer avec Kant que le sujet, qui n'est jamais donné à l'expérience, détermine dans son rapport à un objet transcendantal =
X toutes les conditions à priori de l'expérience possible, de sorte que tout dépassement de l'expérience est "métaphysique" : En procédant ainsi, par le
compromis que l'on sait, KANT limite la portée de la science pour laisser place à la croyance, mais il garantit en même temps son objectivité
- Il ne s'agit pas non plus de reprendre la tâche, sans doute impossible, de la phénoménologie de découvrir dans la subjectivité transcendantale l'horizon
implicite de tous les concepts empiriques.
- Enfin, il ne faut pas confondre, comme le structuralisme en ethnologie, les "ensembles significatifs" qui constituent "des espaces de savoir", des
"configurations de sens" avec des "structures" mises à jour par les sciences comme autant d'infrastructures constituant les supports inconscients, les
raisons sous-jacentes d'une réalité concrète, qui risque bien de n’être qu’une manifestation, une apparence.
Ni la critique Kantienne, "qui marque le seuil de notre modernité", ni la phénoménologie qui s'est perdue dans la description du vécu, ni le structuralisme
qui n'est qu'un rationalisme des essences ne peuvent rendre compte de ce monde exploré par l'Archéologie du savoir.
Pour Michel FOUCAULT, il s’agit de mettre à jour "le sens" : non pas l’essence qui expliquerait le phénomène mais l'ensemble des relations qui font de
tout système culturel une totalité significative.
Dans les trois systèmes culturels qu'il analyse (XVème et XVIIème siècles, puis la modernité), Michel FOUCAULT montre comment dans les trois
secteurs principaux de l’expérience (la vie, le travail, le langage) les mêmes concepts, les mêmes exigences, les mêmes corrélations se retrouvent.
En prenant pour exemple le système culturel du XVIIème siècle, l’analyse nous révèle que la " splendeur du Monde classique" se présente comme "un
espace d'ordre étalé" composé de relations externes entre des natures simples, selon l'idéal cartésien de la mathématique universelle : Cette structure
analytique du monde se retrouve dans les trois secteurs de corrélations :
- Le langage classique est un discours analytique et univoque : Les signes séparés dans la proposition se déploient dans l'espace pour constituer une
grammaire rationnelle.
- L'histoire naturelle décrit le visible ; il structure et ordonne la diversité en espèces identifiables.
- Le domaine des richesses, tel qu’il est analysé par exemple par les physiocrates, est représenté, selon le même mode que les représentations, comme un
système d'échanges, dont la monnaie est le signe conventionnel, universel, qui permet l'échange circulaire ."
Pour illustrer la méthode de l’Archéologie, on pourrait analyser"l'Histoire de la Folie ", Michel FOUCAULT montre le lien entre un phénomène social :
"le grand internement", l'enfermement des fous avec les oisifs et les libertins, (c'est-à-dire l'isolement de tout ce qui est l'Autre), et l'avènement d'une raison
qui, par ses propres forces, exclut l'hypothèse du Malin Génie et conduit l'individu à la saisie d'une vérité valable pour tous les êtres raisonnables.
Dans le début du chapitre II : le grand enfermement, Foucault pose le problème de la folie, à côté de toutes les formes d’erreurs, telles que les erreurs des
sens et le rêve. Il écrit « pour trompeurs qu’ils soient, les sens ne peuvent altérer que ‘‘les choses fort peu sensibles et fort éloignées.’’ » La force de leurs
illusions laisse toujours un résidu de vérité « que je suis ici, au coin du feu vêtu d’une robe de chambre. »
Quant au rêve, il peut comme l’imagination des peintres représenter des « sirènes ou des satyres », mais il ne peut ni créer ni composer de lui-même ces choses. Ni le sommeil peuplé
d’images, ni la claire conscience que les sens se trompent ne peuvent porter le doute au point extrême de son universalité. Admettons que les yeux nous déçoivent, ‘‘supposons
maintenant que nous sommes endormis’’, la vérité ne se glissera toute entière dans la nuit, c’est à dire que la vérité ne disparaîtra pas toute entière.
Pour la folie il en est tout autrement …, ce n’est pas la permanence d’une vérité qui garantit la pensée contre la folie, comme elle lui permettrait de se déprendre d’une erreur ou
d’émerger d’un songe, c’est une impossibilité d’être fou essentielle non à l’objet de la pensée, mais au sujet qui pense. … On ne peut supposer, même par la pensée que l’on est fou,
car la folie justement est condition d’impossibilité de la pensée. …Ainsi, le péril de la folie a disparu de l’exercice même de la raison.
Le cheminement du doute cartésien semble témoigner qu’au XVII° siècle, le danger se trouve conjurer et que la folie est placée hors du domaine d’appartenance où le sujet détient
ses droits à la vérité. Ce domaine -pour la pensée classique- est la raison elle-même. Désormais la folie est exilée. Si l’homme peut toujours être fou, la pensée comme exercice de la
souveraineté d’un sujet qui se met en devoir de percevoir le vrai ne peut pas être insensée.
Le phénomène social de l’enfermement et la démarche philosophique de Descartes, qui exclut la possibilité du Malin génie appartiennent à la même épistémè.
2) Le problème
Explorant ces espaces d'ordre que sont les systèmes culturels où le sens se constitue à partir des corrélations et des ressemblances, Michel FOUCAULT
rencontre le problème de la discontinuité :
- Comment dans le temps -historique- passe-t-on d'un système à l'autre ? - La mutation du sens peut-elle se comprendre sans faire appel à la genèse du
sens, sans recourir à la temporalité humaine c'est-à-dire à l'histoire ?
- La discontinuité des systèmes de sens ne doit-elle pas nécessairement conduire à réintroduire à la fois l'histoire et l'homme ?
- Ou bien : comment doit-on comprendre l'émergence de l'homme et du temps pour échapper à ces déviations de la pensée moderne que sont les deux
excroissances jumelles de l'humanisme et de l'historicisme ?
Tels sont les termes de la question à laquelle Michel FOUCAULT doit répondre.
La mutation est telle qu'il faut poser le problème. Il faut citer intégralement la réflexion de Michel FOUCAULT au moment où, passant de l'analyse du
XVIIème siècle : Age de la représentation, il aborde la culture moderne : l'Age de l'histoire.
" D'où vient brusquement cette mobilité inattendue des dispositions épistémologiques, la dérive des positivités les unes par rapport aux autres, plus
profondément encore l'altération de leur mode d'être ? Comment se fait-il que la pensée se détache de ces plages qu'elle habitait jadis -grammaire
générale, histoire naturelle, richesses- et qu'elle laisse basculer dans l'erreur, la chimère, dans le non-savoir cela même qui, moins de vingt ans
auparavant, était posé et affirmé dans l'espace lumineux de la connaissance ? A quel évènement ou à quelle loi obéissent ces mutations qui font que
soudain les choses ne sont plus perçues, décrites, énoncées, caractérisées, classées et sues de la même façon, et que dans l'interstice des mots ou sous leur
transparence, ce ne sont plus les richesses, les êtres vivants, le discours qui s'offrent au savoir, mais des êtres radicalement différents ? "
La réponse de Michel FOUCAULT à cette question, qui est l'objet même de la démarche mise en oeuvre dans " Les Mots et les Choses", est ainsi
annoncée :
" Pour une archéologie du savoir , cette ouvertureprofonde dans la nappe des continuités, si elle doit être " analysée", et minutieusement, ne peut être
"expliquée" ni même recueillie en une parole unique. Elle est "un évènement radical" qui se répartit sur toute la surface visible du savoir et dont on peut
suivre pas à pas les signes, les secousses, les effets. Seule la pensée se ressaissant elle-même à la racine de son histoire pourrait fonder sans aucun doute
la vérité solitaire de cet évènement ".
En quoi consiste donc le changement lorsque l'on passe d'un ordre du savoir à l'autre ? Quelle est la dérive que subissent les positivités les unes par
rapport aux autres et quelle est cette altération du mode d'être de la positivité , quand on passe des sciences naturelles à la biologie, de la grammaire à la
linguistique, de l’étude des échanges à l’économie politique?
Et voici la réponse :
" Il a bien falluun évènement fondamental ( c'est nous qui soulignons), un des plus radicaux sans doute qui soit arrivé à la culture occidentale pour que
se défasse la positivité du savoir classique et que se constitue une positivité dont nous ne sommes pas encore sortis. Cet évènement, sans doute parce que
nous sommes encore prisonniers de son ouverture nous échappe pour une grande part ...Son ampleur, les couches profondes qu'il a atteintes, toutes les
positivités qu'il a pu bouleverser et recomposer, la puissance souveraine qui lui a permis de traverser, et en quelques années seulement, l'espace entier de
notre culture,tout ceci ne pourrait être estimé et mesuré qu'au terme d'une enquête quasi infinie qui ne concernerait ni plus ni moins que l'être même de
notre modernité. La constitution de tant de sciences positives, l'apparition de la littérature, le repli de la philosophie sur son propre devenir, l'émergence
de l'histoire à la fois comme savoir et comme mode d'être de l'empiricité, ne sont qu'autant de signes d'une rupture profonde."
La présentation est tout à fait habile : on ne peut mieux décrire la mutation de l'époque moderne : l'émergence de l'histoire à la fois comme savoir et
comme mode d'être de l'empiricité (entendons ; des réalités concrètes)qui s'accompagne de mutations dans le domaine des arts et s’exprime dans la
décadence de la philosophie idéaliste ("repli de la philosophie sur son propre devenir").
L'habileté consiste d'une part à mettre toutes ces mutations sur le même plan ; d'autre part, à les faire apparaître comme un changement à l'intérieur de
l'univers de la culture occidentale. Enfin, en désignant le progrès objectif des sciences non comme un approfondissement des connaissances mais comme
une nouvelle "positivité" du même "ordre" que la positivité du siècle précédent, tout se passe comme s'il n'y avait pas progrès mais simplement
remplacement d'un ordre par un autre.
Si le terme de positivité, que l'on rencontre ici, est un concept privilégié de Michel FOUCAULT, c'est qu'il connote le positivisme, avec lequel il est de
bon ton de confondre le matérialisme, et dont il a raison de dire que "nous ne sommes pas encore sortis" !
Il n'est pas d'autre moyen pour Michel FOUCAULT de dissimuler la portée de cette mutation de notre époque que de la "saisir" -dans son essencecomme l'être même de notre modernité.
Le chemin qui conduit à cette découverte ou à cette re-découverte (puisque Nietzsche est le précurseur) est un long détour. Et cela n'a rien pour nous
étonner : Les philosophies contemporaines ne sont plus des philosophies de la troisième voie, d'un compromis entre le matérialisme et l'idéalisme, deux
erreurs jumelles dont il suffirait de montrer qu'elles résultent d'une fausse position du problème.
Ce sont des philosophes du détour, parce qu'elles ne peuvent plus s'opposer de front au matérialisme, dans la mesure où le marxisme a développé une
conception globale des rapports de la pensée à l'être, une conception matérialiste de la dialectique et une conception dialectique de l'histoire.
Sous l'apparence d'une analyse des structures qui constituent notre savoir et notre culture -ce qu'il appelle épistémé- il va s’agir de
montrer que le rapport de l'homme (comme conscience) à l'Etre extérieur à lui-même, est à proprement parler "impensable"
3) La nécessité de dépasser l'existentialisme :
Pour repenser le marxisme en termes existentialistes, pour vider la dialectique de tout sens matérialiste en l'assimilant à la créativité de l'homme ou à la
négativité de la conscience, Jean-Paul Sartre a du commencer par interpréter la production matérielle de la vie comme objectivation de l'acte dans son
produit de façon que l'histoire apparaisse comme un processus d'aliénation développant dans un temps objectif la dialectique interne de la subjectivité ( qui
définit la condition humaine).
Pour discréditer le matérialisme historique et la dialectique, Michel FOUCAULT doit éviter l'écueil de l'existentialisme : il ne peut pas se contenter de
confondre la dialectique de l'histoire avec l'historicité du sujet concret : l'homme. Et, il ne peut pas non plus assimiler l'objectivité du monde à
l'objectivation d’une conscience qui constituerait le monde par la néantisation de l’en-soi : L'écueil de l'existentialisme, c'est de se dénoncer lui-même
comme un pur et simple retour à l'idéalisme.
La positivité des sciences implique que l'objectivité précède la conscience comme une réalité indépendante d'elle.
Kant "marque le seuil de notre modernité " ; mais on peut plus poser le problème dans les termes de la philosophie critique : On ne peut concilier la liberté
de l'homme avec la nécessité de la nature, ni sauver l'idée de l'homme tout en fondant l'objectivité de la science..
Dans la mesure où l'objectivité de la connaissance, - qu'il faut fonder - s'étend de la nature à tous faits humains, dans la mesure où l'homme lui-même
devient objet de science, le philosophe ne peut pas se contenter de comprendre la finitude comme limite de l'entendement pour laisser place à la dialectique
de la Raison, qui fonde la liberté et la morale. " En ce temps-là, écrit Michel FOUCAULT, il n'était pas possible que se dresse à la limite du monde cette
stature étrange d'un être dont la nature (ce qui le détermine, le détient et le traverse depuis le fonds des temps) serait de connaître la nature et soi-mêm e
par conséquent comme être matériel".
Si la réflexion philosophique part de l'homme comme de cet être concret qui vit, travaille et parle, pour rendre compte de l'objectivité des sciences et de la
dialectique de l'histoire, elle est nécessairement conduite à concevoir l'homme comme un être matériel, comme une sorte de "pli" de la matière, qui, au
travers du savoir, se reflèterait en lui
4) L'histoire ou : le nouveau mode d'être de la pensée moderne
Pour échapper au matérialisme, il n'est pas d'autre chemin que de montrer que l'histoire n'est pas une réalité (objective) mais un mode de penser qui
structure tout l'espace de la pensée moderne.
Aussi ne faut-il pas entendre l'histoire de façon empirique comme le recueil des successions de fait mais comme " le mode d'être fondamental des
empiricités". C'est un "évènement radical", une véritable "mutation" de notre culture
Pour comprendre la portée de cette mutation, il faut rappeler toutes les analyses qui précèdent et qui illustrent l'archéologie du savoir : chaque espace de
culture s'ordonne au travers d'un sens qui, pour ainsi dire, le constitue et qui s'exprime par des corrélations, des analogies dans tous les domaines du
savoir, dans les principaux secteurs : Ceux de la vie, du travail ou production des richesses, des discours et du langage.
Découvrir l'histoire, comme le mode d'être fondamental des empiricités, c'est dire qu'elle est "ce à partir de quoi" toutes les réalités concrètes (empiricités)
sont appréhendées : "affirmées, posées, disposées et reparties dans l'espace du savoir pour d'éventuelles connaissances et pour des sciences possibles "
Pour qu'on ne confonde pas cette mutation fondamentale avec un quelconque envahissement de notre culture par l'histoire au sens d'une connaissance
empirique, Michel FOUCAULT précise :
" Tout comme l'Ordre dans la pensée classique n'était pas l'harmonie visible des choses, leur régularité ou leur symétrie constatée mais l'espace propre
de leur être, ce qui -avant toute connaissance- les établissait dans le savoir, de même l'histoire, à partir du XIXème siècle, (ne doit pas être confondue)
avec une science empirique des évènements : (elle est) "ce mode d'être radical qui prescrit leur destin à tous les êtres empiriques et à ces êtres singuliers
que nous sommes ".
Quel est le sens de cette mutation ? Comment a-t-elle pu se produire ?
Paradoxalement, ce n'est pas parce que l'histoire est apparue comme le mode d'être fondamental de toute réalité concrète, naturelle ou sociale, que le mode
d'être de l'homme est apparu comme une histoire : celle de sa vie (biologique), de son activité productive ( le travail), de sa culture ( le langage). C'est au
contraire parce que l'homme, " vidé d'histoire " est entré dans le champ du savoir, comme cet être qui vit, travaille et parle, c'est-à-dire comme le sujet
concret de l'histoire que l'histoire est devenu le mode d'être fondamental de notre culture.
Autrement dit : l'idée d'une histoire objective qui serait le mode d'être de toute réalité naturelle ou sociale n'a rien à voir avec le progrès des sciences, des
connaissances empiriques qui ont découvert au XIXème siècle une historicité propre à la nature, un type d'adaptation du vivant à son milieu permettant de
définir un profil d'évolution, une histoire des modes de production, et des lois de l'évolution du langage.
L'idée d'une histoire objective n'est que le mouvement réflexif par lequel l'individu, vidé de toute histoire par le développement même des connaissances
positives, revendique sa subjectivité, son historicité propre.
Michel FOUCAULT : L’archéologie du savoir
Michel FOUCAULT doit tenir compte du progrès des sciences humaines qui, chacune, dans son domaine, -biologie, économie, linguistique- développent
un savoir « positif » concernant l'homme réel : celui qui vit, qui travaille et qui parle ; Mais, ce n'est pas l'objectivité de ces “disciplines” qui, en elle-même,
pose problème : chacune, en un sens, explore son domaine d'être. Le problème surgit lorsque la réflexion philosophique, s'interrogeant sur le fondement
de ces ontologies “régionales” prétend, sur la base de ces disciplines - acquérant le statut de sciences, énoncer une vérité sur l'homme.
" Les thèmes modernes d'un individu vivant, parlant et travaillant selon les lois d'une économie, d'une philologie et d'une biologie mais qui par une sorte
de tension interneet de recouvrement aurait reçu par le jeu de ces lois elles-mêmes le droit de les connaître et de les mettre entièrement à jour, tous ces
thèmes familiers (sont) liés à l'existence des sciences humaines. "
Ce qui est mis en cause, c'est la portée des sciences humaines qui, à travers la prétention à l’objectivité de la connaissance, impliquent la possibilité
d’une explication matérialiste de l’humain.
Mais cette mise en cause du matérialisme qui est le ressort de la démarche de Michel FOUCAULT ne peut s'opérer que par un long détour :
Si l'apparition et le développement de chacune de ces sciences répondent à une exigence historique, théorique ou pratique (comme le souligne Foucault
dans le texte cité), ne faut-il pas conclure que ces disciplines développent un savoir objectif, une connaissance “scientifique” des réalités qui constituent
leur objet ?
Pour répondre à cette interrogation, Foucault opère le renversement qui constitue toute sa démarche : pour qu'il y ait des sciences humaines, explique-t-il,
il faut que l'homme soit apparu dans l'espace du savoir. Or, c'est là un évènement qui ne peut s'expliquer par le progrès des connaissances objectives,
puisqu'il s'agit d'une mutation qui fonde une redistribution complète de l'ordre de la connaissance, de cet ensemble cohérent de représentations ou de
significations, qu'il désigne sous le terme d'épistémè.
" Il ne fait pas de doute, certes, que l'émergence historique de chacune des sciences humaines se soit faite à l'occasion d'un problème, d'une exigence, d'un
obstacle d'ordre théorique ou pratique ; il a certainement fallu les nouvelles normes que la société industrielle a imposées aux individus pour que,
lentement, au cours du XIXème siècle, la psychologie se constitue comme science ; il a aussi fallu sans doute les menaces qui depuis la Révolution ont
pesé sur les équilibres sociaux et sur celui-là même qui avait instauré la bourgeoisie pour qu'apparaisse une réflexion sociologique ... Mais le fait nu que,
pour la première fois, depuis qu'il existe des êtres humains, l'homme soit devenu objet de science, cela ne peut être considéré ni traité comme un
phénomène d'opinion : c'est un évènement dans l'ordre du savoir.
Cet évènement s'est lui-même produit dans une redistribution générale de l'épistémè. "
Le sens de la démarche mise en œuvre dans Les Mots et les Choses apparaît clairement: Montrer que l'objectivité des connaissances ne doit pas se
comprendre comme connaissance d'une réalité objective, mais comme l'exploration de “ champs épistémologiques ”qui sont des structures ou
configurations du savoir.
Dès la préface du livre, c’est cette démarche qu'il désigne sous le terme d'Archéologie du savoir.
" Une telle analyse, écrit-il, ne relève pas de l'histoire des idées ou des sciences ... Il ne sera pas question de connaissances décrites dans leur progrès vers
une objectivité dans laquelle notre science d'aujourd'hui pourrait se reconnaître ; ce qu'on voudrait mettre au jour, c'est le champ épistémologique,
l'épistémè où les connaissances, envisagées hors de tout critère se référant à leur valeur rationnelle ou à leurs formes objectives , enfoncent leur positivit
é et manifestent ainsi une histoire qui n'est pas celle de leur perfection croissante mais celle de leurs conditions de possibilité .
En ce récit, ce qui doit apparaître, ce sont, dans l'espace du savoir, les configurations qui ont donné lieu aux formes diverses de la connaissance
empirique. Plutôt que d'une histoire au sens traditionnel du mot, il s'agit d'une archéologie ".
Le terme d’analyse employé n’est pas innocent : Cette démarche a les vertus de l'Analytique Kantienne : Les “empiricités”, les réalités concrètes, qui font
l'objet de tel ou tel domaine du savoir, ne prennent leur sens que par leur appartenance à “des espaces d'ordre”, à des "systèmes de représentation", à
"des ensembles significatifs" : Ce sont les corrélations à l'intérieur du système qui constituent le sens de chacun des phénomènes.
Dans chaque système, il s'agit d'analyser le langage tel qu'il est parlé, les être naturels tels qu'ils sont perçus, les échanges tels qu'ils sont pratiqués pour
découvrir "des cohérences composées de ressemblances qui se suivent de proche en proche ou se répondent en miroirs". Dans toute culture, ces
"modalités de l'ordre" constituent le socle positif des connaissances empiriques, telles qu'elles se déploient dans la grammaire et la philologie, dans
l'histoire naturelle et la biologie, dans l'étude des richesses et l'économie politique.
Ainsi, quand on passe de la grammaire à la philologie, de l'histoire naturelle à la biologie, de l'étude des richesses à l'économie politique, on ne saurait
expliquer ce passage comme un progrès des connaissances approfondissant leur objet mais il faut l'interpréter comme le passage d'une culture à une autre :
C'est le savoir qui change de sens en passant d'un système à un autre et chaque système constitue une "totalité" isolée, un ensemble de significations.
D'une configuration à l'autre, il y a discontinuité. Les principes "organisateurs" de ces empiricités sont l'analogie et la succession.
En voulant donner une explication historique, l'on est victime d'un mode de penser qui est une des modalités de la culture du XIXème siècle, au cours
duquel l'histoire devient le mode d'être fondamental du savoir, à partir duquel sont pensées toutes les empiricités (les réalités concrètes).
Michel FOUCAULT nous présente, dans "Les Mots et les Choses" l'analytique des trois systèmes de la culture occidentale : le XVIème siècle, monde
des similitudes, le XVIIème siècle où le monde se constitue en un système de représentations, et la modernité qui est le moment de la déchirure et de
l'historicité .A l'intérieur de chacun de ses systèmes, Michel FOUCAULT analyse les trois modes de corrélations qui correspondent aux trois activités
principales de l'homme, qui vit, qui parle et qui travaille . L'Archéologie du savoir ou Analytique a pour objet d'explorer les structures du savoir qui
constituent le sens "analogique" de ces expériences que sont la vie, le langage et les échanges.
Cette analytique, qui prend sa source dans la critique Kantienne, trouve ses concepts dans la phénoménologie et le structuralisme mais en étend la
portée:
- Il ne s'agit pas seulement d'affirmer avec Kant que le sujet, qui n'est jamais donné à l'expérience, détermine dans son rapport à un objet transcendantal =
X toutes les conditions à priori de l'expérience possible, de sorte que tout dépassement de l'expérience est "métaphysique" : En procédant ainsi, par le
compromis que l'on sait, KANT limite la portée de la science pour laisser place à la croyance, mais il garantit en même temps son objectivité
- Il ne s'agit pas non plus de reprendre la tâche, sans doute impossible, de la phénoménologie de découvrir dans la subjectivité transcendantale l'horizon
implicite de tous les concepts empiriques.
- Enfin, il ne faut pas confondre, comme le structuralisme en ethnologie, les "ensembles significatifs" qui constituent "des espaces de savoir", des
"configurations de sens" avec des "structures" mises à jour par les sciences comme autant d'infrastructures constituant les supports inconscients, les
raisons sous-jacentes d'une réalité concrète, qui risque bien de n’être qu’une manifestation, une apparence.
Ni la critique Kantienne, "qui marque le seuil de notre modernité", ni la phénoménologie qui s'est perdue dans la description du vécu, ni le structuralisme
qui n'est qu'un rationalisme des essences ne peuvent rendre compte de ce monde exploré par l'Archéologie du savoir.
Pour Michel FOUCAULT, il s’agit de mettre à jour "le sens" : non pas l’essence qui expliquerait le phénomène mais l'ensemble des relations qui font de
tout système culturel une totalité significative.
Dans les trois systèmes culturels qu'il analyse (XVème et XVIIème siècles, puis la modernité), Michel FOUCAULT montre comment dans les trois
secteurs principaux de l’expérience (la vie, le travail, le langage) les mêmes concepts, les mêmes exigences, les mêmes corrélations se retrouvent.
En prenant pour exemple le système culturel du XVIIème siècle, l’analyse nous révèle que la " splendeur du Monde classique" se présente comme "un
espace d'ordre étalé" composé de relations externes entre des natures simples, selon l'idéal cartésien de la mathématique universelle : Cette structure
analytique du monde se retrouve dans les trois secteurs de corrélations :
- Le langage classique est un discours analytique et univoque : Les signes séparés dans la proposition se déploient dans l'espace pour constituer une
grammaire rationnelle.
- L'histoire naturelle décrit le visible ; il structure et ordonne la diversité en espèces identifiables.
- Le domaine des richesses, tel qu’il est analysé par exemple par les physiocrates, est représenté, selon le même mode que les représentations, comme un
système d'échanges, dont la monnaie est le signe conventionnel, universel, qui permet l'échange circulaire ."
Pour illustrer la méthode de l’Archéologie, on pourrait analyser"l'Histoire de la Folie ", Michel FOUCAULT montre le lien entre un phénomène social :
"le grand internement", l'enfermement des fous avec les oisifs et les libertins, (c'est-à-dire l'isolement de tout ce qui est l'Autre), et l'avènement d'une raison
qui, par ses propres forces, exclut l'hypothèse du Malin Génie et conduit l'individu à la saisie d'une vérité valable pour tous les êtres raisonnables.
Dans le début du chapitre II : le grand enfermement, Foucault pose le problème de la folie, à côté de toutes les formes d’erreurs, telles que les erreurs des
sens et le rêve. Il écrit « pour trompeurs qu’ils soient, les sens ne peuvent altérer que ‘‘les choses fort peu sensibles et fort éloignées.’’ » La force de leurs
illusions laisse toujours un résidu de vérité « que je suis ici, au coin du feu vêtu d’une robe de chambre. »
Quant au rêve, il peut comme l’imagination des peintres représenter des « sirènes ou des satyres », mais il ne peut ni créer ni composer de lui-même ces
choses. Ni le sommeil peuplé d’images, ni la claire conscience que les sens se trompent ne peuvent porter le doute au point extrême de son universalité.
Admettons que les yeux nous déçoivent, ‘‘supposons maintenant que nous sommes endormis’’, la vérité ne se glissera toute entière dans la nuit, c’est à
dire que la vérité ne disparaîtra pas toute entière.
Pour la folie il en est tout autrement …, ce n’est pas la permanence d’une vérité qui garantit la pensée contre la folie, comme elle lui permettrait de se
déprendre d’une erreur ou d’émerger d’un songe, c’est une impossibilité d’être fou essentielle non à l’objet de la pensée, mais au sujet qui pense. … On
ne peut supposer, même par la pensée que l’on est fou, car la folie justement est condition d’impossibilité de la pensée. …Ainsi, le péril de la folie a
disparu de l’exercice même de la raison.
Le cheminement du doute cartésien semble témoigner qu’au XVII° siècle, le danger se trouve conjurer et que la folie est placée hors du domaine
d’appartenance où le sujet détient ses droits à la vérité. Ce domaine -pour la pensée classique- est la raison elle-même. Désormais la folie est exilée. Si
l’homme peut toujours être fou, la pensée comme exercice de la souveraineté d’un sujet qui se met en devoir de percevoir le vrai ne peut pas être
insensée.
Le phénomène social de l’enfermement et la démarche philosophique de Descartes, qui exclut la possibilité du Malin génie appartiennent à la même
épistémè.
2) Le problème
Explorant ces espaces d'ordre que sont les systèmes culturels où le sens se constitue à partir des corrélations et des ressemblances, Michel FOUCAULT
rencontre le problème de la discontinuité :
- Comment dans le temps -historique- passe-t-on d'un système à l'autre ? - La mutation du sens peut-elle se comprendre sans faire appel à la genèse du
sens, sans recourir à la temporalité humaine c'est-à-dire à l'histoire ?
- La discontinuité des systèmes de sens ne doit-elle pas nécessairement conduire à réintroduire à la fois l'histoire et l'homme ?
- Ou bien : comment doit-on comprendre l'émergence de l'homme et du temps pour échapper à ces déviations de la pensée moderne que sont les deux
excroissances jumelles de l'humanisme et de l'historicisme ?
Tels sont les termes de la question à laquelle Michel FOUCAULT doit répondre.
La mutation est telle qu'il faut poser le problème. Il faut citer intégralement la réflexion de Michel FOUCAULT au moment où, passant de l'analyse du
XVIIème siècle : Age de la représentation, il aborde la culture moderne : l'Age de l'histoire.
" D'où vient brusquement cette mobilité inattendue des dispositions épistémologiques, la dérive des positivités les unes par rapport aux autres, plus
profondément encore l'altération de leur mode d'être ? Comment se fait-il que la pensée se détache de ces plages qu'elle habitait jadis -grammaire
générale, histoire naturelle, richesses- et qu'elle laisse basculer dans l'erreur, la chimère, dans le non-savoir cela même qui, moins de vingt ans
auparavant, était posé et affirmé dans l'espace lumineux de la connaissance ? A quel évènement ou à quelle loi obéissent ces mutations qui font que
soudain les choses ne sont plus perçues, décrites, énoncées, caractérisées, classées et sues de la même façon, et que dans l'interstice des mots ou sous leur
transparence, ce ne sont plus les richesses, les êtres vivants, le discours qui s'offrent au savoir, mais des êtres radicalement différents ? "
La réponse de Michel FOUCAULT à cette question, qui est l'objet même de la démarche mise en oeuvre dans " Les Mots et les Choses", est ainsi
annoncée :
" Pour une archéologie du savoir , cette ouvertureprofonde dans la nappe des continuités, si elle doit être " analysée", et minutieusement, ne peut être
"expliquée" ni même recueillie en une parole unique. Elle est "un évènement radical" qui se répartit sur toute la surface visible du savoir et dont on peut
suivre pas à pas les signes, les secousses, les effets. Seule la pensée se ressaissant elle-même à la racine de son histoire pourrait fonder sans aucun doute
la vérité solitaire de cet évènement ".
En quoi consiste donc le changement lorsque l'on passe d'un ordre du savoir à l'autre ? Quelle est la dérive que subissent les positivités les unes par
rapport aux autres et quelle est cette altération du mode d'être de la positivité , quand on passe des sciences naturelles à la biologie, de la grammaire à la
linguistique, de l’étude des échanges à l’économie politique?
Et voici la réponse :
" Il a bien fallu un évènement fondamental ( c'est nous qui soulignons), un des plus radicaux sans doute qui soit arrivé à la culture occidentale pour que
se défasse la positivité du savoir classique et que se constitue une positivité dont nous ne sommes pas encore sortis. Cet évènement, sans doute parce que
nous sommes encore prisonniers de son ouverture nous échappe pour une grande part ...Son ampleur, les couches profondes qu'il a atteintes, toutes les
positivités qu'il a pu bouleverser et recomposer, la puissance souveraine qui lui a permis de traverser, et en quelques années seulement, l'espace entier de
notre culture,tout ceci ne pourrait être estimé et mesuré qu'au terme d'une enquête quasi infinie qui ne concernerait ni plus ni moins que l'être même de
notre modernité. La constitution de tant de sciences positives, l'apparition de la littérature, le repli de la philosophie sur son propre devenir, l'émergence
de l'histoire à la fois comme savoir et comme mode d'être de l'empiricité, ne sont qu'autant de signes d'une rupture profonde."
La présentation est tout à fait habile : on ne peut mieux décrire la mutation de l'époque moderne : l'émergence de l'histoire à la fois comme savoir et
comme mode d'être de l'empiricité (entendons ; des réalités concrètes)qui s'accompagne de mutations dans le domaine des arts et s’exprime dans la
décadence de la philosophie idéaliste ("repli de la philosophie sur son propre devenir").
L'habileté consiste d'une part à mettre toutes ces mutations sur le même plan ; d'autre part, à les faire apparaître comme un changement à l'intérieur de
l'univers de la culture occidentale. Enfin, en désignant le progrès objectif des sciences non comme un approfondissement des connaissances mais comme
une nouvelle "positivité" du même "ordre" que la positivité du siècle précédent, tout se passe comme s'il n'y avait pas progrès mais simplement
remplacement d'un ordre par un autre.
Si le terme de positivité, que l'on rencontre ici, est un concept privilégié de Michel FOUCAULT, c'est qu'il connote le positivisme, avec lequel il est de
bon ton de confondre le matérialisme, et dont il a raison de dire que "nous ne sommes pas encore sortis" !
Il n'est pas d'autre moyen pour Michel FOUCAULT de dissimuler la portée de cette mutation de notre époque que de la "saisir" -dans son essencecomme l'être même de notre modernité.
Le chemin qui conduit à cette découverte ou à cette re-découverte (puisque Nietzsche est le précurseur) est un long détour. Et cela n'a rien pour nous
étonner : Les philosophies contemporaines ne sont plus des philosophies de la troisième voie, d'un compromis entre le matérialisme et l'idéalisme, deux
erreurs jumelles dont il suffirait de montrer qu'elles résultent d'une fausse position du problème.
Ce sont des philosophes du détour, parce qu'elles ne peuvent plus s'opposer de front au matérialisme, dans la mesure où le marxisme a développé une
conception globale des rapports de la pensée à l'être, une conception matérialiste de la dialectique et une conception dialectique de l'histoire.
Sous l'apparence d'une analyse des structures qui constituent notre savoir et notre culture -ce qu'il appelle épistémé- il va s’agir de montrer que le rapport
de l'homme (comme conscience) à l'Etre extérieur à lui-même, est à proprement parler "impensable"
3) La nécessité de dépasser l'existentialisme :
Pour repenser le marxisme en termes existentialistes, pour vider la dialectique de tout sens matérialiste en l'assimilant à la créativité de l'homme ou à la
négativité de la conscience, Jean-Paul Sartre a du commencer par interpréter la production matérielle de la vie comme objectivation de l'acte dans son
produit de façon que l'histoire apparaisse comme un processus d'aliénation développant dans un temps objectif la dialectique interne de la subjectivité ( qui
définit la condition humaine).
Pour discréditer le matérialisme historique et la dialectique, Michel FOUCAULT doit éviter l'écueil de l'existentialisme : il ne peut pas se contenter de
confondre la dialectique de l'histoire avec l'historicité du sujet concret : l'homme. Et, il ne peut pas non plus assimiler l'objectivité du monde à
l'objectivation d’une conscience qui constituerait le monde par la néantisation de l’en-soi : L'écueil de l'existentialisme, c'est de se dénoncer lui-même
comme un pur et simple retour à l'idéalisme.
La positivité des sciences implique que l'objectivité précède la conscience comme une réalité indépendante d'elle.
Kant "marque le seuil de notre modernité " ; mais on peut plus poser le problème dans les termes de la philosophie critique : On ne peut concilier la liberté
de l'homme avec la nécessité de la nature, ni sauver l'idée de l'homme tout en fondant l'objectivité de la science..
Dans la mesure où l'objectivité de la connaissance, - qu'il faut fonder - s'étend de la nature à tous faits humains, dans la mesure où l'homme lui-même
devient objet de science, le philosophe ne peut pas se contenter de comprendre la finitude comme limite de l'entendement pour laisser place à la dialectique
de la Raison, qui fonde la liberté et la morale. " En ce temps-là, écrit Michel FOUCAULT, il n'était pas possible que se dresse à la limite du monde cette
stature étrange d'un être dont la nature (ce qui le détermine, le détient et le traverse depuis le fonds des temps) serait de connaître la nature et soi-mêm e
par conséquent comme être matériel".
Si la réflexion philosophique part de l'homme comme de cet être concret qui vit, travaille et parle, pour rendre compte de l'objectivité des sciences et de la
dialectique de l'histoire, elle est nécessairement conduite à concevoir l'homme comme un être matériel, comme une sorte de "pli" de la matière, qui, au
travers du savoir, se reflèterait en lui
4) L'histoire ou : le nouveau mode d'être de la pensée moderne
Pour échapper au matérialisme, il n'est pas d'autre chemin que de montrer que l'histoire n'est pas une réalité (objective) mais un mode de penser qui
structure tout l'espace de la pensée moderne.
Aussi ne faut-il pas entendre l'histoire de façon empirique comme le recueil des successions de fait mais comme " le mode d'être fondamental des
empiricités". C'est un "évènement radical", une véritable "mutation" de notre culture
Pour comprendre la portée de cette mutation, il faut rappeler toutes les analyses qui précèdent et qui illustrent l'archéologie du savoir : chaque espace de
culture s'ordonne au travers d'un sens qui, pour ainsi dire, le constitue et qui s'exprime par des corrélations, des analogies dans tous les domaines du
savoir, dans les principaux secteurs : Ceux de la vie, du travail ou production des richesses, des discours et du langage.
Découvrir l'histoire, comme le mode d'être fondamental des empiricités, c'est dire qu'elle est "ce à partir de quoi" toutes les réalités concrètes (empiricités)
sont appréhendées : "affirmées, posées, disposées et reparties dans l'espace du savoir pour d'éventuelles connaissances et pour des sciences possibles "
Pour qu'on ne confonde pas cette mutation fondamentale avec un quelconque envahissement de notre culture par l'histoire au sens d'une connaissance
empirique, Michel FOUCAULT précise :
" Tout comme l'Ordre dans la pensée classique n'était pas l'harmonie visible des choses, leur régularité ou leur symétrie constatée mais l'espace propre
de leur être, ce qui -avant toute connaissance- les établissait dans le savoir, de même l'histoire, à partir du XIXème siècle, (ne doit pas être confondue)
avec une science empirique des évènements : (elle est) "ce mode d'être radical qui prescrit leur destin à tous les êtres empiriques et à ces êtres singuliers
que nous sommes ".
Quel est le sens de cette mutation ? Comment a-t-elle pu se produire ?
Paradoxalement, ce n'est pas parce que l'histoire est apparue comme le mode d'être fondamental de toute réalité concrète, naturelle ou sociale, que le mode
d'être de l'homme est apparu comme une histoire : celle de sa vie (biologique), de son activité productive ( le travail), de sa culture ( le langage). C'est au
contraire parce que l'homme, " vidé d'histoire " est entré dans le champ du savoir, comme cet être qui vit, travaille et parle, c'est-à-dire comme le sujet
concret de l'histoire que l'histoire est devenu le mode d'être fondamental de notre culture.
Autrement dit : l'idée d'une histoire objective qui serait le mode d'être de toute réalité naturelle ou sociale n'a rien à voir avec le progrès des sciences, des
connaissances empiriques qui ont découvert au XIXème siècle une historicité propre à la nature, un type d'adaptation du vivant à son milieu permettant de
définir un profil d'évolution, une histoire des modes de production, et des lois de l'évolution du langage.
L'idée d'une histoire objective n'est que le mouvement réflexif par lequel l'individu, vidé de toute histoire par le développement même des connaissances
positives, revendique sa subjectivité, son historicité propre.
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