L’existence d’une “personnalité préalcoolique” ne peut pas être
retenue, mais certains travaux insistent sur l’existence chez l’en-
fant d’un déficit neuropsychologique, nommé “syndrome d’hy-
peractivité” avec troubles déficitaires de l’attention, ou de traits
de caractère chez le jeune,tels la recherche de sensations, l’im-
pulsivité ou la dépressivité, considérés comme étant des facteurs
prédictifs de l’évolution ve rs la dépendance. D’autres re l è v e n t
l’existence d’un mode de pensée particulier centré sur le concret,
avec difficulté de représentation mentale des émotions (mode de
pensée nommé alexithymie).
Les troubles de la personnalité les plus fréquents sont la person-
nalité psychopathique ou antisociale,la personnalité limite et la
personnalité hystérique (18). Les formes d’alcoolisme associées
à la psychopathie se caractérisent principalement par leur âge de
début plus précoce,leur plus grande sévérité et la présence de
t ro u ble s du comport e m e n t , notamment vo l s , f u g u e s , mu l t i p l e s
m a n i fe s t ations d’hétéro agre s s ivité. Ces conduites, s p o ra d i q u e s
et parox y s t i q u e s , impliquent l’ab s o rption massive d’alcools fo rt s ,
isolément ou en association à certaines drogues. Le parcours de
ces patients se fait vers la déviance et la marginalisation. La per-
sonnalité limite s’ex p r ime aussi par des alcoolisations impul-
sives, massives, fréquemment associées à des troubles du com-
portement alimentaire (boulimie), des tentatives de suicide ainsi
qu’à d’autres comportements impulsifs. La personnalité hysté-
rique, notamment dans sa forme “passive-dépendante”, est aussi
fréquemment exposée aux conduites d’alcoolisat i o n , s o u ve n t
associées à des conduites toxicophiles de tous ordres.
Une place doit être faite aux modifi c ations de la personnalité liées
à l’évolution de la dépendance. L’alcoolodépendant, après plu-
sieurs années d’évolution, présente une organisation psychopa-
thologique spécifique décrite par Fouquet, l’apsychognosie, qui
se traduit par une inconscience de l’état morbide avec perte de
la capacité de se voir,de se juger, de se jauger par rapport aux
autres et à soi, un défaut de maîtrise émotionnelle et instectuelle,
entraînant des perturbations caractérielles et relationnelles, et un
maintien des apparences dans la routine professionnelle. Cet état
est progre s s ivement réve rs i ble après le sev rage, mais il nuit gra n-
dement à la prise de conscience nécessaire à la démarche théra-
peutique. Les attitudes de régression affective et la méconnais-
sance des conséquences de l’alcoolisation s’associent aux
troubles cognitifs, qui passent longtemps inaperçus.
Le rep é r age de ces tro u bles de la personnalité associés aux
conduites d’alcoolisation a des implications thérapeutiques : la
compliance est souvent médiocre, les ch i m i o t h é rapies doive n t
être utilisées avec prudence et vigilance en raison du risque de
l ’ é t ablissement de dépendances, et l’ori e n t ation psych o t h é ra-
pique doit être recherchée. De plus, la fréquence et la gravité du
retentissement familial et professionnel des troubles demandent
une approche psychosociale au sens large.
En concl u s i o n , il est admis que le traitement de l’alcoolisme, q u ’ i l
s’associe ou non à des tro u bles mentaux, peut impliquer le re c o u r s
successif ou simultané à des praticiens de disciplines diverses.
L’existence d’une comorbidité psychiatrique doit être prise en
compte pour établir un projet global de soins, notamment en ce qui
c o n c e r ne la place et les modalités d’un sev rage. Elle impose une
p rise en ch a rge intégrée et simultanée des pat h o l ogies psych i a t r i q u e s
et add i c t i ves. L’ i n t e r vention du psych i at r e sera plus part i c u l i è re-
ment indiquée en fonction de la gravité des tro u bles associés,q u ’ i l s
soient dépre s s i f s , a n x i e u x , p s y chotiques ou de la personnalité. Po u r
c o n cl u re, nous souhaitons recommander à tous les praticiens la
re ch e rche systématique de tro u bles psych o p at h o l o giques chez les
sujets présentant des mésusages d’alcool, et la re ch e rche systéma-
tique de mésusages d’alcool chez les sujets présentant des tro u b l e s
de la conduite, de la personnalité ou des tro u bles psych i at riques.
■
M o t s - c l é s .
Alcoolodépendance - Dépression - Anxiété -
Schizophrénie - Troubles de la personnalité.
Key wo rd s .
Alcohol dependence - Depression - Anxiety -
S c h i z o p h r enia - Psychopathology.
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La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 2 - vol. VII - mars-avril 2004
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DO S S I E R T H É M A T I Q U E