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Avec le recul, quel regard portez-vous sur le processus
d’ouverture à la concurrence mis en place depuis 25 ans?
En 1986, les esprits n’étaient pas totalement prêts à la rupture
avec l’économie administrée. C’est la raison pour laquelle les
choses se sont faites par étapes. Ce qui est frappant, pour autant,
c’est que, depuis lors, le processus de construction
a été continu, sans retour en arrière. Les gouver-
nements et les majorités parlementaires qui se
sont succédé, de gauche ou de droite, ont apporté
leur pierre à l’édifice, afin de renforcer progressi-
vement le dispositif et d’accroître à la fois son
efficacité et sa légitimité.
Aujourd’hui, l’Autorité de la concurrence fait partie
des autorités les plus actives et les plus inno-
vantes en Europe. C’est également une de celles
les mieux dotées du point de vue des outils et des
procédures. Sa mission est acceptée et personne
ne remet en cause sa nécessité. Consubstantielle à l’économie de
marché, elle en apparaît comme le contrepoint nécessaire: sans
règles du jeu entre les mains d’un arbitre capable d’en stopper les
dérives ou les abus, comment les entreprises et les citoyens pour-
raient-ils accorder leur confiance à l’économie dont ils sont les
acteurs ?
Les bénéfices de l’ouverture à la concurrence ont-ils été
objectivement perçus?
La perception de ces bénéfices a été quelque peu brouillée en
France pour deux raisons. D’une part, les débats les plus vifs ont
concerné les industries de réseau (télécoms, énergie, rail, poste,
etc.). Dans la droite ligne des idéaux de la Résistance et de la
Constitution de 1946, monopole, entreprise publique et statut
protégé du personnel étaient associés dans un même triptyque.
Mettre fin au monopole revenait, pour beaucoup, à remettre en
cause le caractère public de l’entreprise ou la protection du per-
sonnel. Souvent combattue, l’ouverture à la concurrence a été
ainsi assimilée à la privatisation du statut et non perçue comme
une incitation des entreprises publiques à “faire mieux”. D’autre
part, la justification de l’ouverture à la concur-
rence s’est davantage appuyée, en France, sur
la contrainte juridique bruxelloise que sur un
argumentaire économique d’opportunité. Les
gouvernements successifs qui ont ouvert les
secteurs à la concurrence à la suite de direc-
tives européennes ont peu expliqué en quoi
les entreprises et les citoyens pourraient béné-
ficier de tarifs moins chers, de produits inno-
vants, de meilleure qualité et d’un choix plus
large. Cela a certainement contribué à instiller
le doute à l’égard de la concurrence et parfois
à renforcer la méfiance à l’égard de l’Europe,
accusée de “casser” un modèle de “service public à la française”.
Aujourd’hui les choses sont en train de changer et plus personne
ne songe à remettre en cause de telles évolutions. Comme le montre
l’étude que nous venons de faire réaliser par TNS-SOFRES, les Français
ont compris ce que la concurrence pouvait leur apporter dans leur
quotidien et l’ont intégrée dans leur comportement d’achat.
La France serait donc un cas un peu “à part” en Europe?
Moins par ce qui a été fait que par ce qui a été perçu. La marche
vers la concurrence a suscité une adhésion plus vacillante qu’ailleurs.
Prenons l’exemple du Royaume Uni: ce pays n’a pas eu besoin de
l’Europe pour faire évoluer son modèle. La concurrence a été d’em-
blée un choix national pour dynamiser les opérateurs publics et les
25 ans de progrès
ininterrompus
Bruno Lasserre,
président de l’Autorité de la concurrence
Introduction ///
Que de chemin parcouru en 25 ans… Un chemin jalonné de réformes qui ont permis à la
jeune institution de gagner en légitimité et en efficacité, au service de l’intérêt général.
Bruno Lasserre, président de l’Autorité, revient sur les leviers qui ont permis avec
indépendance, ténacité et courage parfois, de faire de la concurrence une réalité dont les
Français commencent désormais à s’emparer.
Consubstantielle
à l’économie de
marché, l’Autorité de
la concurrence en
apparaît comme
le contrepoint
nécessaire