L’INCONSCIENT DANS LA PHILOSOPHIE DE BERGSON
Introduction
c’est-à-dire justement dans ce que cette seule trame logique constitue une pensée. Il cherche
en effet à mettre au jour, à travers l’étude souterraine de l’interaction des idées explicites de la
philosophie, un mécanisme inconscient de la pensée, qui fondera ultimement nous le verrons,
une nouvelle méthode. Il s’agit donc de réactualiser la philosophie, en lui accordant une
nouvelle liberté tout en la replaçant au coeur même du réel, à un moment où les découvertes
scientifiques l’imposent. Cette tâche, c’est entre autres en historien de la philosophie qu’il se
la donne, mais cela avant tout parce qu’il se voit obligé, en raison d’un moment qu’on a
souvent considéré comme « l’âge d’or de la mémoire », de revenir sur le problème de
« l’esprit » et d’en comprendre la genèse. C’est en tentant de voir ce qui a été perçu, mais non
mobilisé ou actualisé au sein de divers mouvements philosophiques, créant ainsi des
habitudes mentales dont la répétition rétrécira le champ de conscience, que Bergson explore la
face cachée des choses, ou plutôt des faits de conscience dans toute leur variété pour ainsi
comprendre le fonctionnement du psychisme. En ce sens, il est légitime de dire que Bergson
ne se contente pas de critiquer les représentations des idéalistes ou des matérialistes, ni des
associationnistes ou neurologues, mais plutôt de les réinterpréter et de toujours les étudier
relativement à leurs enjeux philosophiques. C’est pourquoi parallèlement, Bergson accorde
une place considérable à l’étude des pathologies et plus particulièrement aux aphasies, études
qui entre autres, confirmeront ses intuitions.
Si nous étudions l’inconscient, c’est donc bien parce qu’en comprendre le
fonctionnement à travers la philosophie de Bergson, est à notre sens une manière de
comprendre le raisonnement philosophique lui-même, et celui de la science par la même
occasion. C’est ce qui permet, supposons-nous, à Bergson, de ne pas être lui-même pris au
piège par les mécanismes vitaux du psychisme dans l’élaboration même d’une philosophie.
Ceci tient principalement, et c’est d’ailleurs ce qui lui a valu sa renommée, en ce qu’il accorde
à la durée une pensée particulière, sans laquelle on retombe dans une méthode proprement
scientifique, que la philosophie a pris inconsciemment comme modèle. Mais se concentrer sur
la notion d’inconscient, c’est aussi comprendre le contenu même de la philosophie de
Bergson. La structure de notre travail tentera à la fois d’éclairer la méthode originale que le
philosophe préconise, mais par là, de nous conduire à une pensée de la métaphysique de
l’inconscient, précisément expérimentale ou positive. C’est pourquoi cette étude aura pour
point de départ une phénoménologie de l’inconscient et s’achèvera en une ontologie de
l’inconscient. Il s’agira d’étudier les manifestations inconscientes à la lumière des avancées
scientifiques et sous le prisme de l’entreprise psychologique : en-deça, une phénoménologie
du pur senti, au-delà, une réflexivité méta-rationnelle. Trois plans de conscience, deux pôles
entre lesquels oscillent les divers systèmes de « connaissance ». Et pour justifier l’audace
d’une phénoménologie bergsonienne de l’inconscient, nous ne dirons rien de plus qu’à notre
sens, ce dernier n’atteint jamais que des phénoménalités, qui sont certes érigées en faits
scientifiques, mais le sont par des voies parentes, et si cette philosophie est intuitive, elle ne se
résout pourtant jamais à l’objet en soi, pas plus qu’au sujet en soi, pour nous offrir plutôt une
pensée des termes par lesquels ils se nouent. C’est bien là notre thème, nous en conviendront.
Voici donc, pour ce qui est du choix de notre sujet et de son rapport à la philosophie.
Quelle définition Bergson donne-t-il, en premier lieu, de l’inconscient ? Nous dirions,
le texte à l’appui, qu’ « en psychologie, inconscience signifie impuissance ». Il faudrait alors
le définir comme passivité, ce qui n’étonnerait en rien le sens commun. Seulement au fil de la
lecture, force est de constater que le philosophe n’en offre pas toujours la même acception, et
qu’on se doit alors d’élargir notre champ d’étude, n’oubliant ni la « lacune agissante », ni l’
« imperçu » , n i « l’endormissement » o u e n c o r e l a « torpeur » , « l’instinct »,
l’ « automatisme » mais aussi le « mécanisme » ou l’ « habitude », bref, autant d’appellations,
dont la liste n’est bien sûr pas complète, et qu’il s’agit de considérer chacune en leur