Conf. n°1 - Barbara DONVILLE

publicité
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
CONFERENCE 1
LA CONSCIENCE, NŒUD DU MONDE, LA MEMOIRE ET LE LANGAGE
L’expérience consciente est le résultat des fonctionnements propres à chaque cerveau
individuel. Elle ne peut se partager par observation directe à l’instar des objets qu’étudie un
physicien. Les études portant sur le cerveau ne peuvent par elles-mêmes exprimer ce qu’est
le fait d’être conscient. Comment la conscience est-elle le résultat de processus neuronaux
particuliers et d’interactions entre le cerveau, le corps et le monde ? Comment ces
processus neuronaux rendent-ils l’expérience consciente ? Alors que chaque état conscient
est unifié et en même temps invisible, chacun d’entre nous peut choisir parmi un nombre
considérable d’états conscients différents. Dans un premier temps nous tenterons de
comprendre la nature de la conscience, qui en tant que nœud du monde, est tantôt
envisagée comme un paradoxe philosophique, tantôt comme un objet scientifique. Nous
nous arrêterons sur le problème spécifique que pose la conscience. Puis, nous verrons
comment, en tant que mécanisme de la conscience, la mémoire se définit, et quels sont les
liens entre la perception et la mémoire. Enfin, nous verrons comment les mécanismes de
conscience, responsables de nos formes de mémoire, mènent au langage et à la construction
du soi.
Faisons un petit tour des différentes théories de la conscience…..
Les paradoxes philosophiques de la conscience
1
-
La conscience est un sujet qui a toujours attiré l’attention des hommes. Longtemps
réservée au domaine des philosophes, elle est devenue également celui des
psychologues et plus récemment des neuroscientifiques.
-
Pour Descartes comme pour William James, être conscient est synonyme de
« penser ». L’un comme l’autre reconnaissent le caractère central de la conscience
tant du point de vue ontologique, c’est-à-dire ce qui est que du point du vue
épistémologique c’est-à-dire ce que nous savons et comment nous le savons.
-
Pour Descartes, il y avait une absolue distinction entre les substances mentales et
matérielles : Pour lui, la caractéristique principale de la matière était l’étendue, le fait
d’occuper l’espace et donc la possibilité de se prêter à des explications physiques. La
caractéristique de l’esprit était d’être conscient donc de penser. La substance mentale
existait sous forme d’esprits individuels.
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
Descartes a ainsi instauré le dualisme (l’esprit et la matière). Mais cette position n’est
pas satisfaisante d’un point de vue scientifique.
Depuis Descartes, d’autres versions du dualisme ont été proposées :
-
L’attitude épiphénoménaliste de Thomas Huxley qui veut que les événements
mentaux et les événements physiques soient différents, et que les seules vraies causes
des expériences mentales soient des événements physiques, l’esprit n’étant qu’un
produit dérivé inefficace.
-
L’attitude matérialiste : Les philosophes matérialistes soutiennent que l’esprit et la
conscience sont identiques aux opérations du cerveau, en tout cas à certaines d’entre
elles. Certains matérialistes vont jusqu’à dénier toute validité ontologique ou
épistémologique à la conscience. Pour eux, il n’y a rien à expliquer d’autre que le
fonctionnement des circuits du cerveau.
Ces postions soulignent qu’il n’existe pas de substance consciente distincte de la substance
cérébrale.
-
Pour beaucoup de philosophes, quoi que fassent les scientifiques, les points de vue
de la première et de la troisième personne chez les individus conscients ne pourront
pas se réconcilier car le problème de fond, à savoir la genèse des sensations, des
états phénoménaux et vécus, nés de l’activité des neurones, ne pourra se résoudre.
Comment les scientifiques, expliquent-ils la conscience ?
2
-
La psychologie a toujours eu du mal à faire entrer dans un schéma théorique
acceptable le sujet central qu’est la conscience. Il s’est donc développé une théorie
de l’introspection qui était en fait la traduction psychologique des positions
philosophiques de types idéalistes ou phénoménologiques sur la conscience : Cette
théorie s’efforce de décrire la conscience telle que l’individu la voit de l’intérieur.
-
Beaucoup des tenants de l’introspection sont des psychologues atomistes, que l’on
pourrait comparer à certains neurophysiologistes qui postulent que la conscience est
faite d’éléments que l’on peut cataloguer.
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
-
A l’inverse, les psychologues bihavioristes tentent de totalement éliminer la
conscience de leur discours.
-
Quant aux psychologues cognitivistes, ils conçoivent la conscience comme un
module spécifique ou comme un échelon dans le tracé hiérarchique qui suit le
traitement des informations.
-
Plusieurs modèles de fonctions associées à la conscience ont été formulés : ils
s’inspirent de la psychologie cognitive, de l’intelligence artificielle, ou s’appuient sur
des métaphores empruntées à l’informatique, comme celle d’unité centrale ou de
système d’exploitation.
Toutes ces approches de la conscience en termes de processus informationnel et d’un
point de vue strictement formaliste nous informent peu sur le fait que la conscience
semble impliquer l’activité des substrats neuronaux spécifiques. Or, ce sont ces
substrats neuronaux qui sont l’objet central des neuroscientifiques.
On doit alors se demander par quelle transformation, l’éveil des neurones situés à un
endroit du cerveau ou dotés d’une propriété biochimique spécifique, devient-il une
expérience subjective alors que ce n’est pas le cas des autres neurones ?
La conscience est un objet scientifique très spécial
La spécificité de la conscience réside dans le fait qu’elle n’est pas un objet mais un
processus, et par ce biais, elle représente un sujet scientifique.
-
Il s’agit d’identifier et de caractériser les neurones, mais également les processus
neuronaux qui rendent compte des propriétés clés de l’expérience conscience. On
tente de relier une description de ce qui est dehors, c’est-à-dire le cerveau, avec ce
qui est dedans, c’est-à-dire une expérience subjective, notre expérience individuelle
propre, qui nous apparait à nous, observateurs conscients.
Nous savons ce que c’est qu’être nous, mais nous voudrions expliquer pourquoi nous
sommes conscients, pourquoi il y « quelque chose » qui est nous, autrement dit,
expliquer comment les qualités subjectives, vécues peuvent apparaître.
3
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
Dès lors…
-
Il s’agit de savoir s’il est possible de découvrir une voie permettant d’avancer de
façon à la fois théorique et expérimentale vers la résolution des paradoxes de la
conscience.
Que faut-il alors comprendre ?
-
A la différence de tous les autres objets offerts à la description scientifique, le
processus neuronal que nous tentons de caractériser quand nous étudions les bases
neuronales de la conscience, renvoie à nous-mêmes (c’est nous-mêmes) en tant
qu’observateurs conscients. Nous ne pouvons donc pas nous exclure de
l’observation, comme nous le faisons pour tous les autres objets d’observation
scientifique.
Avec la conscience nous sommes ce que nous décrivons de façon scientifique. Et ce jugement
se fonde sur le statut épistémologique du « ce que nous savons » et du « comment nous le
savons », qui est ici particulier.
Trois présupposés sont proposés pour observer la conscience :
a) Le présupposé physique : Il stipule que seuls, des processus physiques classiques
sont requis pour parvenir à une explication satisfaisante de la conscience. On
suppose que la conscience est une forme particulière de processus physique qui
apparaît dans la structure et la dynamique de certains cerveaux. Le fait que
l’expérience consciente soit intégrée, les états conscients ne peuvent être
subdivisés en composants indépendants, et le fait que la conscience soit
hautement différenciée, permet de vivre des milliards d’états conscients
différents.
b) Le présupposé évolutionniste : Il stipule que la conscience a évolué par suite de
la sélection naturelle en vigueur dans le règne animal. Cela implique donc que la
conscience est associée à des structures biologiques, et qu’elle dépend de
processus dynamiques engendrés par une morphologie donnée. Dans la mesure
où cette morphologie est le produit de la sélection évolutive, la conscience n’en
est pas seulement le produit, elle influence également des comportements qui
sont eux aussi sujets à la sélection naturelle ainsi qu’à certains événements au
cours de la vie de l’individu. La conscience est efficace car elle est un produit
récent de l’évolution et elle n’est pas partagée par toutes les espèces.
4
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
c) Le présupposé des qualia : Il stipule que les aspects qualitatifs et subjectifs de la
conscience étant privés, ils ne peuvent être communiqués directement par le
truchement d’une théorie scientifique. Les qualia sont des formes
multidimensionnelles de différenciations portées par un cerveau complexe. On
doit se demander pourquoi, la localisation dans une aire donnée du cerveau, ou
la possession d’un caractère biochimique ou anatomique confère à l’activité de
certains neurones le privilège de permettre au possesseur de ce cerveau de
goûter une expérience subjective, laquelle est dotée des propriétés distinctives
que les philosophes appellent les qualia. (nous aborderons le phénomènes de
qualia dans la prochaine conférence)
La conscience est une unité constante et une variété infinie
5
-
La conscience est notre théâtre privé, elle se caractérise par une unité constante et
une variété infinie : La nature privée des événements conscients est immédiatement
liée à leur unité et à leur intégration.
-
L’unité de l’expérience consciente est intimement associée à la cohérence des
événements perceptifs : En effet, nos états conscients ne sont pas seulement
conscients, ils sont aussi cohérents en eux-mêmes, dans le sens où l’apparition d’un
certain état perceptif empêche qu’un autre ne survienne simultanément.
-
L’unité, la cohérence et le caractère privé de la conscience comptent parmi les traits
phénoménologiques généraux les plus frappants : Cette unité de conscience crée un
goulot d’étranglement pour le choix et l’action, ainsi qu’une suite inévitable d’états
de conscience.
-
C’est par nécessité que nous formons des scènes conscientes cohérentes : Elles se
forment à partir d’éléments en apparence disparates, et cette cohérence joue à
plusieurs niveaux et dans toutes les modalités de la conscience.
-
L’unité et la cohérence de la conscience sont liées à ce qu’on appelle une limitation
de capacité : c’est le fait de ne pouvoir garder à l’esprit plus d’une chose à la fois en
même temps.
-
C’est grâce aux capacités limités et au caractère séquentiel des états de conscience
que ceux-ci sont intégrés, c’est-à-dire qu’ils ne se réduisent pas à une simple somme
de composants indépendants.
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
-
Si la conscience peut disparaître ou encore se diviser, elle ne tolère aucune
interruption dans sa cohérence.
-
L’état de conscience a plusieurs propriétés fondamentales :
a) L’aspect privé, unifié et cohérent de l’état de conscience permet son intégration
b) L’extraordinaire degré de différenciation et d’informativité de la conscience.
Donc…..
-
Il est important de bien comprendre ce que signifie l’aptitude à faire des différences
au sein d’un vaste répertoire de possibilités que représente l’information, dans la
mesure où celle-ci sert à réduire les incertitudes.
En effet….
-
La discrimination consciente représente l’information qui fait la différence au sens où
l’apparition d’un état de conscience donné peut conduire à des conséquences qui
sont différentes en termes de pensée et d’action, de celles que pourraient avoir
d’autres états de conscience.
-
L’apparition d’un état de conscience est extraordinairement informative, au sens où
cela le distingue de milliards et milliards d’autres états de conscience possibles.
-
La conscience est liée à certains aspects de la mémoire telle la mémoire immédiate
et la mémoire de travail : La mémoire est une composante centrale des mécanismes
cérébraux produisant la conscience. On considère en général qu’elle correspond à
l’inscription et au stockage d’informations.
Qu’est-ce qui se trouve stocké dans la mémoire ? Un message codé ? Quand on la
déchiffre et quand on se le remémore est-elle toujours la même ?
Ces questions renvoient au postulat selon lequel ce qui est stocké prendrait forme de
représentations.
6
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
La mémoire, une aptitude non représentationnelle
-
La mémoire non représentationnelle est la thèse défendue par Edelman : Pour lui, il
s’agit d’une aptitude d’un système dynamique façonné par la sélection qui n’est plus
capable de répéter ou de de supprimer un acte mental ou physique.
En effet…
-
Le fonctionnement du cerveau repose sur des propriétés :
a) La variabilité
b) L’amplification différentielle
c) La dégénérescence et la valeur
-
Pour ce qui est des fonctions cognitives, le cerveau a fondamentalement à voir avec
des représentations : ce que l’on stocke dans la mémoire a également à voir avec des
représentations. La mémoire est l’enregistrement plus ou moins permanent de
changements, qui, quand ils sont traités correctement, permettent de ressaisir une
représentation et d’agir sur elle. Les actes appris sont donc la conséquence de
représentations qui stockent des procédures et des stocks bien définis.
Le problème auquel est confronté le cerveau est le suivant :
-
Les signaux issus du monde ne forment pas de code : Ces signaux peuvent donc être
ambigus et dépendent du contexte. Ils ne sont pas nécessairement marqués par des
jugements a priori portant sur leur signification.
Cependant…..
-
Un sujet doit catégoriser ses signaux dans sa perception comme dans sa mémoire
pour pouvoir s’adapter : pour que ces signaux vécus dans le présent soient clairs, le
sujet doit associer cette catégorisation avec les expériences qu’il a vécues dans le
passé des mêmes formes de signaux ( c’est justement ce qui ne se produit pas dans
l’autisme).
En effet….
-
7
Du fait d’un nombre considérable de combinaisons différentes possibles, accomplir
ces opérations au moyen de système de stockage par réplication ou par code
demanderait sans cesse des corrections.
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
Mais…..
-
Rien ne prouve en fait que la structure du cerveau, puisse être le support de telles
aptitudes. Ces aptitudes mathématiques ne sont pas représentées directement dans
le cerveau mais ont émergé dans la culture humaine par le fait des interactions
linguistiques et de l’usage de la logique.
-
Une représentation implique une activité symbolique : cette activité est certainement
au centre de notre aptitude sémantique et syntaxique au langage.
En fait….
-
Même pour évoquer une action qui fait déjà partie de notre expérience afin de la
répéter, le cerveau ne convoque pas de représentations car il n’y a pas de message
codé au préalable dans le signal, pas de structures capables de prendre des décisions
quand il le faut.
Pour toutes ces raisons, la mémoire cérébrale ne peut être représentationnelle
Donc….
Un souvenir n’est pas une représentation : un souvenir reflète la façon dont le cerveau a
modifié sa dynamique pour permettre la répétition d’un acte.
8
-
La mémoire résulte de la correspondance sélective entre l’activité neuronale
dispersée et constante et les signaux variés qui proviennent du monde, du corps, et
du cerveau lui-même.
-
Les altérations synaptiques qui s’en suivent affectent les réponses futures du cerveau
individuel face aux signaux identiques ou différents. Ces changements se reflètent
dans l’aptitude à répéter un acte physique ou mental au bout d’un certain temps,
bien que le contexte ait changé, par exemple en rappelant une « image ».
-
Pour Edelman l’acte est une séquence ordonnée d’activités cérébrales dans le
domaine de la perception, du mouvement ou de la parole qui donne un résultat
neuronal particulier au bout d’un certain temps.
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
Donc….
C’est l’aptitude à recréer un acte séparé par une certaine durée des signaux originaux
qui est caractéristique de la mémoire.
-
La mémoire est une recatégorisation : C’est la recatégorisation constructive qui
permet de mentionner que le contexte a changé, c’est une propriété clé de la
mémoire. La mémoire n’est jamais une réplication précise des séquences antérieures
-
Pour qu’il y ait recatégorisation, il faut qu’il existe des structures cartographiques
cérébrales : il s’agit de cartographies globales.
-
Pour étayer cette idée, Edelman a fondé une Théorie de la Sélection des Groupes
Neuronaux(TSGN). Cette théorie stipule que cette tâche de recatégorisation est
assurée par une structure appelée cartographie globale qui relie le mouvement d’un
sujet et des informations sensorielles diverses à l’action de l’hippocampe, des
ganglions de la base et du cervelet, lesquels sont reliés au cortex cérébral.
-
Une cartographie globale est donc une structure dynamique : elle contient de
multiples cartes locales réentrantes (à la fois motrices et sensorielles) lesquelles
interagissent avec les régions non encartées.
L’activité d’une cartographie globale traduit le fait que la perception dépend de
l’action qui y conduit.
-
Par exemple : Quand quelqu’un bouge la tête pour suivre une cible qui se déplace,
le réajustement est continuel entre les parties motrices et sensorielles d’une
cartographie globale.
En effet…..
9
-
Il n’y a pas seulement la catégorisation dans l’aire sensorielle corticale qui exécute
ensuite un programme pour activer un résultat moteur. Les résultats de l’activité
motrice continue sont considérés comme des parties essentielles de la
catégorisation perceptive. Les cartographies globales qui assurent cette
catégorisation doivent donc contenir des éléments à fois sensoriels et moteurs.
-
La sélection des groupes de neurones dans les cartographies locales passe par une
boucle dynamique qui ajuste continuellement gestes et postures aux multiples
formes de signaux sensoriels.
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
Donc….
-
La structure dynamique d’une cartographie globale est maintenue, réactualisée et
modifiée par l’activité motrice continue.
Les cartographies globales sont un substrat indispensable pour relier catégorisation et
mémoire : Les cartographies globales mettent en jeu une grande partie du système
nerveux. Les changements à long terme de la force des synapses tendent à favoriser
l’activité réentrante des groupes dont l’activité a été corrélée entre plusieurs cartes
différentes durant le comportement passé.
-
Ce sont les changements synaptiques antérieurs qui fournissent la base de la
mémoire : la mémoire n’est pas un magasin d’attributs fixes ou codés qu’on
convoque et assemble de façon répétitive. La mémoire est un processus de
recatégorisation continuelle.
Ce sont les cartographies globales qui contribuent le plus aux actes inconscients dans
le cerveau.
Les capacités sélectives de la mémoire
On peut se demander quelles caractéristiques du cerveau peuvent donner naissance
à la mémoire dynamique sans représentation codée ?
10
-
ce sont les caractéristiques qui se trouvent dans un système sélectif qui peuvent
donner naissance à l’aspect dynamique de la mémoire : il s’agit d’un ensemble de
circuits neuronaux dégénérés constituants un répertoire très diversifié, un moyen de
modifier les populations synaptiques lorsqu’elles reçoivent des signaux entrants et
un ensemble de contraintes de valeurs qui contribuent à accroître la probabilité de la
répétition d’informations sortantes adaptées, quel que soit le circuit dégénéré qui est
utilisé.
-
Les signaux en provenance du monde extérieur ou d’autres parties du cerveau
contribuent à sélectionner certains circuits parmi les diverses possibilités. Il y a
sélection au niveau des synapses par altération de leur efficacité ou de leur force. Le
fait que telle synapse soit altérée dépend de l’expérience antérieure.
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
-
Ainsi….
Le déclenchement de n’importe quel ensemble de circuits donnant un ensemble de
réponses sortantes assez semblables à celles qui auparavant permettaient une
adaptation, fournit une base pour repérer un acte mental ou une performance
physique.
La mémoire est engendrée de façon dynamique
-
La mémoire est engendrée par des sous-ensembles de circuits sélectionnés.
L’activation de n’importe quels d’entre eux peut donner lieu à la répétition de
certaines informations sortantes déterminées.
-
Par exemple : Un souvenir déterminé s’identifie par un ensemble spécifique de
changements synaptiques : Le changement synaptique est essentiel à la mémoire.
C’est la propriété de dégénérescence des circuits neuronaux qui permet les
changements des souvenirs particuliers lorsque surviennent de nouvelles
expériences ou que le contexte change. Cette propriété de dégénérescence assure la
stabilité de la mémoire.
Dans un système sélectif dégénéré, la mémoire est recatégorique, et non strictement
réplicative. Ces changements dynamiques reliant un ensemble de circuits à un
autre au sein des répertoires neuroanatomiques très variés du cerveau lui permettent
de créer un souvenir.
-
Le cerveau comprend des milliers de systèmes mnémoniques, ils vont de tous les
systèmes perceptifs de modalités différentes, aux systèmes gouvernant le
mouvement intentionnel ou effectif, aux systèmes linguistiques qui organisent les
sons et la parole.
-
La mémoire est une propriété systémique : Elle est le résultat de dynamiques
d’interactions de tous les facteurs agissant ensemble et servant à sélectionner une
sortie qui répète une performance ou un acte.
Un souvenir est un présent remémoré
-
11
L’expérience consciente requiert l’apparition d’une mémoire catégorielle
responsable de la valeur, ainsi que de l’activité de réentrée, qui constitue le
mécanisme intégrateur fondamental des cerveaux supérieurs. Lorsque la valeur et la
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
réentrée sont mis en place, un sujet devient capable de construire un présent
remémoré, c’est-à-dire une scène qui lie les circonstances immédiates ou imaginées
de façon adaptée à l’histoire passée des comportements orientés par des valeurs
chez le sujet.
Quelles sont les conditions nécessaires pour élaborer un modèle de la conscience primaire ?
-
On doit distinguer la conscience primaire et la conscience supérieure :
a) La conscience primaire permet d’engendrer des scènes mentales dans lesquelles
une grande quantité d’informations sont intégrées afin de diriger le
comportement immédiat.
b) La conscience de niveau supérieur est bâtie sur les fondements de la conscience
primaire et engendre le sentiment de soi et l’aptitude, en période de veille, à
construire explicitement des scènes du passé et de l’avenir, ainsi qu’à les
connecter entre elles.
Il y a quatre grands processus complexes d’interactions dans la conscience primaire :
a) La catégorisation perceptive : C’est une aptitude qui permet de découper le
monde des signaux en catégories utiles dans un environnement physique qui suit
ses lois physiques mais qui ne contient pas lui-même ces catégories. C’est le
processus le plus fondamental du système nerveux vertébré. Cette
catégorisation résulte d’une signalisation réentrante dans diverses aires du
cerveau prises dans des cartographies globales. Elle a lieu en général de façon
simultanée dans un grand nombre de modalités comme la vue, l’ouïe, le
toucher, ainsi que pour une gamme de sous-modalités ( par exemple, au sein de
la modalité visuelle, la couleur, l’orientation, le mouvement).
b) Le développement des concepts : Il s’agit de la capacité à combiner différentes
catégories perceptives liées à une scène ou à un objet, à construire un
« universel », lequel reflète l’abstraction d’un trait commun à divers percepts
(par exemple différents détails de différents visages). On a émis l’hypothèse que
ces concepts seraient le résultat de la cartographie par le cerveau lui-même de
l’activité de différentes aires et régions du cerveau. C’est de cette façon qu’on
pourrait abstraire les aspects communs à différents signaux (Par exemple les
traits généraux d’une forme donnée de mouvement d’objet pourraient être
obtenus de façon abstraite lorsque le cerveau peut enregistrer un trait
particulier).
12
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
c) La mémoire : C’est l’aptitude à répéter ou à supprimer de façon spécifique un
acte mental ou physique. Cette aptitude provient de combinaisons d’altérations
synaptiques dans les circuits réentrants qui élaborent des recatégorisations.
d) La valeur : Parce qu’un système nerveux sélectif n’est pas programmé, il exige
des contraintes de valeur pour développer des réponses catégorielles adaptatives.
On sait que les systèmes de valeurs ascendants du cerveau sont abondamment
connectés aux régions du cerveau qui forment les concepts, notamment le
cortex frontal et préfrontal. Ces régions affectent la dynamique des souvenirs
individuels, lesquels se fixent ou non, selon les réponses de valeurs positives ou
négatives.
Le rôle essentiel de la réentrée dans la conscience
-
La réentrée est le troisième pilier de la Théorie de la Sélection des Groupes Neuronaux
(TSGN) : C’est un processus continu de signalisation parallèle et récursive qui a lieu
entre des cartes cérébrales distinctes et passent par des connexions anatomiques
massivement parallèles et pour la plupart réciproques. Ce processus de réentrées est
essentiel à une grande variété de processus qui vont de la catégorisation perceptive à
la coordination motrice et à la conscience elle-même.
En effet…..
-
L’organisation de notre cortex cérébral est telle, que même au sein d’une seule
modalité, comme par exemple la vision, il existe une multitude de cartes isolées du
point de vue spécialisé ou fonctionnel qui sont dédiées à différentes sous-modalités
(la couleur, le mouvement et la forme).
Or…..
13
-
Malgré cette diversité nous avons conscience d’une scène perceptive cohérente :
Quand nous voyons cette scène, nous n’avons pas conscience des couleurs, des
mouvements et des formes qui sont en fait séparées, alors que nous relions ces trois
phénomènes pour constituer une forme reconnaissable.
-
Notre aptitude à agir de façon cohérente en présence de stimuli divers et souvent
conflictuels exige un processus d’interaction neuronale qui joue à différents niveaux
d’organisation sans carte coordinatrice le guidant.
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
-
Il peut donc y avoir liaison entre des groupes divers de neurones pour le même
domaine : c’est le cas par exemple des regroupements perceptifs au sein de cartes
impliquées dans le sens des couleurs ou dans celui du mouvement. A un niveau
supérieur, un lien peut se faire entre des cartes différentes dont chacune est isolée
ou séparée de façon fonctionnelle. Ce lien assure l’intégration des réponses
neuronales à un contour d’objet particulier avec sa couleur, sa position et la direction
de son mouvement.
Comment a lieu ce lien, puisqu’il n’y a pas de carte coordinatrice ?
-
Ce lien peut résulter d’une réentrée entre une carte cérébrale qui établit des
corrélations et crée une synchronisation entre l’activité de groupes de neurones très
espacés dans les différentes cartes.
Ainsi….
-
Les neurones de ces groupes se réveillent en même temps : un grand nombre de
circuits dynamiques sont aussi corrélés en fonction des contraintes de valeurs pour
donner un résultat cohérent.
Ce principe de lien, rendu possible par la réentrée se répète à plusieurs niveaux
d’organisation cérébrale et joue un rôle central dans les mécanismes donnant lieu à la
conscience.
Qu’en est-il du présent remémoré, par la conscience primaire ?
A partir des mécanismes de réentrée, des notions de catégorisation perceptive, de
formation des concepts et de mémoire catégorielle et axiologique, on peut formuler
un modèle de la façon dont apparaît la conscience primaire au cours de l’évolution :
14
-
Cette forme de connexion réentrante produite par l’évolution s’est implantée dans
plusieurs grands systèmes : Les interactions réentrantes comprennent des structures
qui sont des noyaux spécifiques qui sont connectés de façon réentrante avec le
cortex cérébral.
-
Des groupes de neurones fortement interactifs qui changent et se différencient les
uns des autres peuvent ainsi être intégrés. Ce sont les interactions des neurones qui
font émerger l’aptitude à construire une scène.
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
L’aptitude d’un sujet à connecter les événements et les signaux dans le monde, qu’ils
soient de façon causale ou bien simplement factuels, par le biais d’une réentrée avec
un système mnésique catégoriel et axiologique, mais également à construire une
scène qui est liée à son histoire acquise est la base de l’émergence de la conscience.
L’aptitude à construire une scène consciente est l’aptitude à construire un souvenir
conscient.
Donc, sans réentrée que se passerait-il pour le sujet ?
a) Il ne pourrait pas lier les événements et les signaux entre eux pour former une
scène complexe, élaborant ainsi une relation fondée sur une histoire unique de
ses propres réactions axiologiques.
b) Il ne pourrait pas imaginer des scènes, et ne parviendrai souvent pas à fuir
certains dangers complexes.
c) C’est l’émergence de cette aptitude qui donne lieu à la conscience.
Une fois ce processus en place, un sujet est capable, du moins dans le souvenir
présent, de planifier et de relier des circonstances de façon élaborée et adaptative
en fonction de son histoire passée et de ses comportements axiologiques. On
comprend alors la nature dynamique de l’intégration fonctionnelle imposée par la
réentrée entre les systèmes perceptifs et les systèmes mnésiques. Le soi apparaît
chez les humains capables de conscience de niveau supérieur, lorsqu’un nouvel
ensemble de connexions réentrantes a été rétabli entre les centres du langage et
ceux du concept.
Le langage, une émergence de la conscience supérieure due à des
modifications neuronales
-
15
Edelman soutient que derrière l’émergence de la conscience de niveau supérieur,
certaines modifications neuronales donnent lieu au langage : Une fois que la
conscience de niveau supérieur commence à émerger, un soi s’édifie à partir des
relations sociales et affectives. Ce soi, (qui permet le développement d’un agent
conscient de lui-même, d’un sujet), va bien au-delà de l’individualité à base
biologique caractéristique d’un sujet doté d’une conscience primaire. L’émergence
du soi conduit à raffiner l’expérience phénoménologique, et elle lie les sentiments à
la pensée, à la culture, aux croyances. Elle libère l’imagination et ouvre la pensée au
champ symbolique. La connaissance immédiate constante, la construction
d’histoires, de plans et de fictions peuvent se comprendre si on se dote d’une image
conjointe, la conscience primaire et secondaire.
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
16
-
Ces concepts ont émergé lorsque les aptitudes sémantiques sont apparues, à savoir
la capacité à exprimer des sentiments et à se référer à des objets et à des éléments
au moyen de symboles.
-
Lorsque les aptitudes narratives sont apparues et ont affecté la mémoire linguistique
et conceptuelle, l’individu a pu enfin faire l’expérience et se souvenir d’un monde
nouveau rempli d’intentionnalité, de catégories et de spécifications, faisant surgir
concepts et pensées.
-
Il a d’abord fallu l’émergence de la conscience primaire, qui est l’aptitude par le
présent remémoré, à élaborer une scène dans laquelle les objets ou les événements
à fois liés et non liés entre eux, mais pris ensemble, ont un sens au regard des
valeurs et des souvenirs influencés par l’histoire de ce sujet individuel.
-
Puis, dans une seconde étape l’émergence de la conscience supérieure : c’est avec
l’émergence de la conscience de niveau supérieur que sont apparues les connexions
réentrantes entre les structures et les aires du cerveau responsables de la formation
des concepts.
-
Avant le langage, les concepts dépendent de l’aptitude à élaborer des universaux
par le biais des cartographies de niveau supérieur de l’activité des cartes cérébrales,
perceptives et motrices.
-
Certaines aires du cerveau doivent répondre à des vocalisations, les catégories pour
connecter le souvenir à leur signification symbolique, aux concepts, aux valeurs et
aux réponses motrices. La valeur tient au souvenir des événements qui résulte des
connexions réentrantes entre les aires qui médiatisent la mémoire pour les symboles
de paroles et les concepts du cerveau.
-
Dans l’échange linguistique, la relation fondamentale comporte deux participants
essentiels, un symbole et un objet. C’est la stabilité de cet objet et la dégénérescence
des réseaux sélectifs dans chaque cerveau qui permettent ensemble l’édification
d’un lexique stable pourvu de sens.
-
L’apparition d’une syntaxe à partir d’une protosyntaxe, liée à la gestuelle et
connectant des actions et des objets pour former des séquences d’actes moteurs a
donné l’aptitude à catégoriser les mots. Cette aptitude a sans doute demandé la
sélection de vastes répertoires dans certaines aires du cortex comme l’aire de Broca
et l’aire de Wernicke.
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
http://barbara.donville.free.fr
-
Bien des aspects de la parole passent par des routines inconscientes. Ces routines
ainsi que la conscience du sens des mots donnent lieu à un nouveau système
mnésique extrêmement riche qui est en partie médiatisé par ces aires du langage.
Bien qu’elles ne soient pas responsables de la pensée, leurs interactions réentrantes
avec les aires conceptuelles permettent de créer un grand nombre de constructions
symboliques.
Bibliographie :
-
17
Comment la matière devient conscience, Gérald M. Edelman et Giulio Tononi,
Editions Odile Jacob 2000
A la recherche de la mémoire, une nouvelle théorie de l’esprit, Eric Kandel, Editions
Odile Jacob 2007
L’homme neuronal, Jean-Pierre Changeux, Editions Fayard, 1983
Le geste et la parole, André Leroi Gourhan, Editions Albin Michel 1964
Gödel, Escher Bach, les brins d’une guirlande éternelle, Douglas Hofstadter Editions
Dunod 2001
Le sentiment même de soi, Antonio Damasio, Editions Odile Jacob, 1999
Recherches phénoménologiques pour la constitution, Edmund Husserl, Editions des
PUF, collection Epiméthée 1982
Actions et événements, Donald Davidson, Editions des PUF, collection Epiméthée
1993
Humain, une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies,
Monique Atlan et Roger-Pol Droit, Editions Flammarion 2012
Tous droits réservés : aucune reproduction sans autorisation écrite de Barbara DONVILLE
Téléchargement