Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
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CONFERENCE 1
LA CONSCIENCE, NŒUD DU MONDE, LA MEMOIRE ET LE LANGAGE
L’expérience consciente est le résultat des fonctionnements propres à chaque cerveau
individuel. Elle ne peut se partager par observation directe à l’instar des objets qu’étudie un
physicien. Les études portant sur le cerveau ne peuvent par elles-mêmes exprimer ce qu’est
le fait d’être conscient. Comment la conscience est-elle le résultat de processus neuronaux
particuliers et d’interactions entre le cerveau, le corps et le monde ? Comment ces
processus neuronaux rendent-ils l’expérience consciente ? Alors que chaque état conscient
est unifié et en même temps invisible, chacun d’entre nous peut choisir parmi un nombre
considérable d’états conscients différents. Dans un premier temps nous tenterons de
comprendre la nature de la conscience, qui en tant que nœud du monde, est tantôt
envisagée comme un paradoxe philosophique, tantôt comme un objet scientifique. Nous
nous arrêterons sur le problème spécifique que pose la conscience. Puis, nous verrons
comment, en tant que mécanisme de la conscience, la mémoire se définit, et quels sont les
liens entre la perception et la mémoire. Enfin, nous verrons comment les mécanismes de
conscience, responsables de nos formes de mémoire, mènent au langage et à la construction
du soi.
Faisons un petit tour des différentes théories de la conscience…..
Les paradoxes philosophiques de la conscience
- La conscience est un sujet qui a toujours attiré l’attention des hommes. Longtemps
réservée au domaine des philosophes, elle est devenue également celui des
psychologues et plus récemment des neuroscientifiques.
- Pour Descartes comme pour William James, être conscient est synonyme de
« penser ». L’un comme l’autre reconnaissent le caractère central de la conscience
tant du point de vue ontologique, c’est-à-dire ce qui est que du point du vue
épistémologique c’est-à-dire ce que nous savons et comment nous le savons.
- Pour Descartes, il y avait une absolue distinction entre les substances mentales et
matérielles : Pour lui, la caractéristique principale de la matière était l’étendue, le fait
d’occuper l’espace et donc la possibilité de se prêter à des explications physiques. La
caractéristique de l’esprit était d’être conscient donc de penser. La substance mentale
existait sous forme d’esprits individuels.
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Descartes a ainsi instauré le dualisme (l’esprit et la matière). Mais cette position n’est
pas satisfaisante d’un point de vue scientifique.
Depuis Descartes, d’autres versions du dualisme ont été proposées :
- L’attitude épiphénoménaliste de Thomas Huxley qui veut que les événements
mentaux et les événements physiques soient différents, et que les seules vraies causes
des expériences mentales soient des événements physiques, l’esprit n’étant qu’un
produit dérivé inefficace.
- L’attitude matérialiste : Les philosophes matérialistes soutiennent que l’esprit et la
conscience sont identiques aux opérations du cerveau, en tout cas à certaines d’entre
elles. Certains matérialistes vont jusqu’à dénier toute validité ontologique ou
épistémologique à la conscience. Pour eux, il n’y a rien à expliquer d’autre que le
fonctionnement des circuits du cerveau.
Ces postions soulignent qu’il n’existe pas de substance consciente distincte de la substance
cérébrale.
- Pour beaucoup de philosophes, quoi que fassent les scientifiques, les points de vue
de la première et de la troisième personne chez les individus conscients ne pourront
pas se réconcilier car le problème de fond, à savoir la genèse des sensations, des
états phénoménaux et vécus, nés de l’activité des neurones, ne pourra se résoudre.
Comment les scientifiques, expliquent-ils la conscience ?
- La psychologie a toujours eu du mal à faire entrer dans un schéma théorique
acceptable le sujet central qu’est la conscience. Il s’est donc développé une théorie
de l’introspection qui était en fait la traduction psychologique des positions
philosophiques de types idéalistes ou phénoménologiques sur la conscience : Cette
théorie s’efforce de décrire la conscience telle que l’individu la voit de l’intérieur.
- Beaucoup des tenants de l’introspection sont des psychologues atomistes, que l’on
pourrait comparer à certains neurophysiologistes qui postulent que la conscience est
faite d’éléments que l’on peut cataloguer.
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- A l’inverse, les psychologues bihavioristes tentent de totalement éliminer la
conscience de leur discours.
- Quant aux psychologues cognitivistes, ils conçoivent la conscience comme un
module spécifique ou comme un échelon dans le tracé hiérarchique qui suit le
traitement des informations.
- Plusieurs modèles de fonctions associées à la conscience ont été formulés : ils
s’inspirent de la psychologie cognitive, de l’intelligence artificielle, ou s’appuient sur
des métaphores empruntées à l’informatique, comme celle d’unité centrale ou de
système d’exploitation.
Toutes ces approches de la conscience en termes de processus informationnel et d’un
point de vue strictement formaliste nous informent peu sur le fait que la conscience
semble impliquer l’activité des substrats neuronaux spécifiques. Or, ce sont ces
substrats neuronaux qui sont l’objet central des neuroscientifiques.
On doit alors se demander par quelle transformation, l’éveil des neurones situés à un
endroit du cerveau ou dotés d’une propriété biochimique spécifique, devient-il une
expérience subjective alors que ce n’est pas le cas des autres neurones ?
La conscience est un objet scientifique très spécial
La spécificité de la conscience réside dans le fait qu’elle n’est pas un objet mais un
processus, et par ce biais, elle représente un sujet scientifique.
- Il s’agit d’identifier et de caractériser les neurones, mais également les processus
neuronaux qui rendent compte des propriétés clés de l’expérience conscience. On
tente de relier une description de ce qui est dehors, c’est-à-dire le cerveau, avec ce
qui est dedans, c’est-à-dire une expérience subjective, notre expérience individuelle
propre, qui nous apparait à nous, observateurs conscients.
Nous savons ce que c’est qu’être nous, mais nous voudrions expliquer pourquoi nous
sommes conscients, pourquoi il y « quelque chose » qui est nous, autrement dit,
expliquer comment les qualités subjectives, vécues peuvent apparaître.
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Dès lors…
- Il s’agit de savoir s’il est possible de découvrir une voie permettant d’avancer de
façon à la fois théorique et expérimentale vers la résolution des paradoxes de la
conscience.
Que faut-il alors comprendre ?
- A la différence de tous les autres objets offerts à la description scientifique, le
processus neuronal que nous tentons de caractériser quand nous étudions les bases
neuronales de la conscience, renvoie à nous-mêmes (c’est nous-mêmes) en tant
qu’observateurs conscients. Nous ne pouvons donc pas nous exclure de
l’observation, comme nous le faisons pour tous les autres objets d’observation
scientifique.
Avec la conscience nous sommes ce que nous décrivons de façon scientifique. Et ce jugement
se fonde sur le statut épistémologique du « ce que nous savons » et du « comment nous le
savons », qui est ici particulier.
Trois présupposés sont proposés pour observer la conscience :
a) Le présupposé physique : Il stipule que seuls, des processus physiques classiques
sont requis pour parvenir à une explication satisfaisante de la conscience. On
suppose que la conscience est une forme particulière de processus physique qui
apparaît dans la structure et la dynamique de certains cerveaux. Le fait que
l’expérience consciente soit intégrée, les états conscients ne peuvent être
subdivisés en composants indépendants, et le fait que la conscience soit
hautement différenciée, permet de vivre des milliards d’états conscients
différents.
b) Le présupposé évolutionniste : Il stipule que la conscience a évolué par suite de
la sélection naturelle en vigueur dans le règne animal. Cela implique donc que la
conscience est associée à des structures biologiques, et qu’elle dépend de
processus dynamiques engendrés par une morphologie donnée. Dans la mesure
où cette morphologie est le produit de la sélection évolutive, la conscience n’en
est pas seulement le produit, elle influence également des comportements qui
sont eux aussi sujets à la sélection naturelle ainsi qu’à certains événements au
cours de la vie de l’individu. La conscience est efficace car elle est un produit
récent de l’évolution et elle n’est pas partagée par toutes les espèces.
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c) Le présupposé des qualia : Il stipule que les aspects qualitatifs et subjectifs de la
conscience étant privés, ils ne peuvent être communiqués directement par le
truchement d’une théorie scientifique. Les qualia sont des formes
multidimensionnelles de différenciations portées par un cerveau complexe. On
doit se demander pourquoi, la localisation dans une aire donnée du cerveau, ou
la possession d’un caractère biochimique ou anatomique confère à l’activité de
certains neurones le privilège de permettre au possesseur de ce cerveau de
goûter une expérience subjective, laquelle est dotée des propriétés distinctives
que les philosophes appellent les qualia. (nous aborderons le phénomènes de
qualia dans la prochaine conférence)
La conscience est une unité constante et une variété infinie
- La conscience est notre théâtre privé, elle se caractérise par une unité constante et
une variété infinie : La nature privée des événements conscients est immédiatement
liée à leur unité et à leur intégration.
- L’unité de l’expérience consciente est intimement associée à la cohérence des
événements perceptifs : En effet, nos états conscients ne sont pas seulement
conscients, ils sont aussi cohérents en eux-mêmes, dans le sens où l’apparition d’un
certain état perceptif empêche qu’un autre ne survienne simultanément.
- L’unité, la cohérence et le caractère privé de la conscience comptent parmi les traits
phénoménologiques généraux les plus frappants : Cette unité de conscience crée un
goulot d’étranglement pour le choix et l’action, ainsi qu’une suite inévitable d’états
de conscience.
- C’est par nécessité que nous formons des scènes conscientes cohérentes : Elles se
forment à partir d’éléments en apparence disparates, et cette cohérence joue à
plusieurs niveaux et dans toutes les modalités de la conscience.
- L’unité et la cohérence de la conscience sont liées à ce qu’on appelle une limitation
de capacité : c’est le fait de ne pouvoir garder à l’esprit plus d’une chose à la fois en
même temps.
- C’est grâce aux capacités limités et au caractère séquentiel des états de conscience
que ceux-ci sont intégrés, c’est-à-dire qu’ils ne se réduisent pas à une simple somme
de composants indépendants.
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