Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2012 " LE HANDICAP, SOCIALISATION OU EXCLUSION "
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CONFERENCE 9
LES NEURONES MIROIRS :
DES NEURONES VISUO-MOTEURS, A L’ORIGINE DU LANGAGE
Faire quelque chose et imaginer le faire ne reviennent pas au même. Et pourtant ! Il se pourrait que,
pour notre cerveau, faire une action et la voir exécuter ait un patrimoine commun. Voilà ce que
révèlent Giacomo Rizzolatti et son équipe qui ont découvert des neurones singuliers : ils s’activent
lorsqu’on effectue une action main/bouche, mais aussi lorsqu’on voit quelqu’un d’autre réaliser cette
même action. La découverte de neurones miroirs intrigue, elle constitue une découverte majeure
dans le domaine neuroscientifique. Même si les expériences ne sont effectuées qu’avec des
macaques, il semblerait que ce qui correspond chez l’homme au système miroir se situe dans l’aire
de Broca, aire dévolue à l’articulation du langage, dont l’architecture anatomo-fonctionnelle se
caractérise par la présence de représentations motrices variées, qui permet de supposer que la
communication inter-individuelle s’est développée par ces modalités motrices, et que, sans
l’apparition des neurones miroirs, la verbalisation serait restée limitée. Nous avons la preuve, à
travers notre travail personnel que cette supposition n’est pas qu’une hypothèse. En effet,
l’information sensorielle et l’information motrice peuvent être ramenées à un format commun, et
l’origine du développement du langage, à une origine gestuelle.
QU’EST-CE QUE LES NEURONES MIROIRS ?
L’identification des neurones miroirs en 1992, est due à l’équipe du professeur Giacomo Rizzolatti,
directeur du département de neurosciences de la faculté de médecine de Parme. Elle a découvert
que certaines aires contiennent des neurones qui s’activent en relation non à de simples
mouvements mais à des actions motrices finalisées (saisir, tenir, manipuler un objet). Ces neurones
répondent sélectivement aux formes et aux dimensions des objets, aussi bien lorsque nous
sommes sur le point d’interagir avec eux que lorsque nous nous limitons à les observer.
Actuellement, l’étude des neurones miroirs concerne principalement des expériences faites avec des
macaques, et ces neurones codent en situation de préhension et de portage à la bouche. Il s’agit
donc de saisir de la nourriture et de la porter à la bouche. On s’est aperçu que lorsque le singe
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accomplissait cet acte ou regardait son partenaire faire ce même acte, une même zone s’allumait
dans le cerveau : la région F5.
- Ces neurones se révèlent capables de discriminer l’information sensorielle en la sélectionnant sur
la base des possibilités d’action qu’elle offre, indépendamment du fait que ces possibilités puissent
être réalisées ou non.
- Ces neurones montrent comment la reconnaissance des autres, de leur action, voire de leur
intention, dépend en première instance, de notre patrimoine moteur.
- L’équipe italienne de Giacomo Rizzolatti et Vittorio Galese, a donc constaté qu’en situation de
préhension par la main et de portage à la bouche, cette même zone F5 s’allumait, que l’animal agisse
ou regarde agir. Ils en ont donc déduit que cette région F5 comportait les neurones de l’empathie,
autrement dit, de la capacité à pouvoir se mettre à la place de l’autre et ils les ont nommé « les
neurones miroirs ».
La découverte des neurones miroirs a profondément modifié la conception du
système moteur
- Les recherches neuroscientifiques de ces vingt dernières années ont profondément modifié
la conception du système moteur. En effet, il est de plus en plus évident que le système
moteur possède une telle multiplicité de structures et de fonctions qu’on ne peut plus le
confiner au rôle de simple exécuteur passif, avec des commandes ayant leurs origines
ailleurs.
-
Le système moteur n’est aucunement périphérique, mais consiste en une trame complexe
d’aires différenciées par leurs localisations et par leurs fonctions et il contribue de manière
décisive à réaliser ces transformations sensorielles dont dépendent l’identification, la
localisation des objets et la réalisation des mouvements.
Quel est le rôle du système moteur ?
- Le système moteur n’est pas uniquement connecté automatiquement aux aires corticales
responsables des activités cérébrales impliquées dans les pensées et les sensations, il possède en fait
de nombreuses fonctions, lesquelles ne sauraient être enfermées dans le cadre d’une cartographie
purement exécutive.
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- Le cortex moteur est formé d’une constellation de régions différentes, dans différentes aires
anatomiques.
Que se passe-t-il dans le cerveau pour que la main puisse réellement saisir un
objet ? :
1) Le cerveau doit disposer d’un mécanisme capable de transformer l’information sensorielle
relative aux propriétés géométriques de l’objet que l’on veut saisir.
2) Le cerveau doit être en mesure de contrôler les mouvements de la main, des doigts, pour
effectuer la prise désirée.
Par exemple : Si l’on prend une tasse à café, cela implique deux processus indépendants :
atteindre et saisir. On a le sentiment que le premier processus précède le second, en réalité cela
ne se passe pas comme ça : les deux processus se déroulent en parallèle
En effet
- La région F5 contient des représentations motrices de la main et de la bouche
- L’aire F5 possède les caractéristiques requises pour avoir un accès direct à l’information
visuelle et transformer les propriétés géométriques des objets en configurations motrices
opportunes.
- Ces deux représentations sont en partie superposées.
- La plupart des neurones de l’aire F5 ne codent pas pour des mouvements particuliers mais
pour des actes moteurs, donc des actes coordonnés par une finalité spécifique.
On peut d’ailleurs répartir les neurones F5 en classes spécifiques :
1) Les neurones « saisir-avec-la-main-et-avec-la-bouche »
2) Les neurones « saisir-avec-la-main »
3) Les neurones « tenir »
4) Les neurones « arracher »
5) Les neurones « manipuler »…
- Les neurones F5 présentent une certaine sélectivité des différentes configurations des doigts
pour un même genre de prise. Ils codent également le type de conformation que la main doit
adopter pour exécuter cet acte.
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- Les neurones F5 varient en fonction des différentes phases de l’acte moteur
- On a donc remarqué chez le singe que les mouvements de la bouche et de la main accomplis
au cours de l’exécution de certains actes, autres que la préhension, avec la main et le
portage à la bouche, n’activaient pas les neurones F5,
Mais…
- Ces mêmes neurones F5 répondent quand le singe exécute un mouvement différent que
celui de la préhension avec la main, pour atteindre le même objectif à savoir prendre de la
nourriture.
- Une partie des neurones F5 répondent sélectivement à des stimulations visuelles : En effet,
une moitié décharge uniquement durant les mouvements relatifs à la préhension (ce sont les
neurones moteurs), tandis que l’autre moitié répond de manière sélective à la présentation
des objets aussi bien lorsqu’elle est suivie d’une prise que lorsque la prise n’a pas lieu (ce
sont les neurones visuo-moteurs).
Donc
- Il y a bien un lien entre la sélectivité motrice pour un type déterminé de préhension et la
sélectivité visuelle pour des objets, qui, tout en ayant des formes et des dimensions
différentes, sont unis par la même prise codifiée au niveau moteur.
- L’information sensorielle (ici visuelle) et l’information motrice peuvent donc être ramenées à
un format commun : cela suggère qu’au-delà de l’organisation de nos comportements
moteurs, certains processus habituellement considérés comme étant d’ordre cognitif,
comme la perception et la reconnaissance des actions d’autrui, l’imitation et les formes de
communication gestuelle et vocale peuvent renvoyer au système moteur et avoir un
substrat neural qui lui soit propre.
Quelles fonctions ont les neurones de ces aires dans le formatage de l’information visuelle
en commande motrice requise pour l’exécution d’un acte ?
- En ce qui concerne les voies de la préhension : une des propriétés fondamentales des
neurones à dominante oculaire et des neurones visuo-moteurs, est de répondre
sélectivement à des stimuli tridimensionnels.
- En ce qui concerne les voies de la vision : On a supposé que le système visuel se compose de
deux régions fonctionnellement différentes : la « voie du où ? », voie dorsale et « la voie du
quoi ? », voie ventrale.
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L’interprétation de F5 en termes de « vocabulaire d’actes » :
- Des neurones particuliers de F5, sélectionnent un certain type d’actes : A l’intérieur de ces
actes, il existe une sélectivité de certaines modalités d’exécution particulières et de temps
d’activation déterminé.
D’où l’idée que……
L’aire F5 contient une sorte de « Vocabulaire d’actes » moteurs dont les mots seraient
représentés par des populations de neurones :
Certaines de ces populations de neurones indiquent
- Le but général de l’acte (saisir, tenir, arracher).
- La façon dont l’acte est spécifique pour être exécuté (précision de la prise, quel type de prise
et avec quels doigts).
- La segmentation temporelle de l’acte dans les mouvements élémentaires qui le composent
(ouverture/fermeture de la main).
- Ces neurones répondent donc à des actes moteurs spécifiques ce qui pourrait expliquer
pourquoi nous interagissons toujours de la même manière avec un objet.
- L’acte potentiel évoqué, comporte une référence à un type d’objets déterminés caractérisés
par leurs opportunités visuo-motrices.
- Le fait que les neurones F5 répondent également aux présentations d’objets indiquerait que
la façon dont les aspects sensoriels des objets sont codés est la même : donc la vue ne
saurait qu’une forme préliminaire d’action.
- On comprend alors que : Les interactions continues entre perception et action, jouent un
rôle décisif dans la constitution du sens des objets.
On pourrait alors définir la perception comme une préparation implicite de l’organisme à
répondre et à agir. L’analyse des transformations sensori-motrices montre que c’est dans ces
actes, qu’ils soient effectivement exécutés ou potentiellement évoqués, que prennent corps
ces activités d’orientation, de préhension, ces chaînes d’intervention motrices qui contribuent
à configurer le monde comme un milieu praticable. La constitution d’un tel monde ne dépend
pas seulement du fait que nous prenons tel ou tel objet, mais de notre propre capacité à
bouger, à nous orienter dans l’espace environnant et à saisir les actions et les intentions
d’autrui.
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