Barbara DONVILLE - Conférences EHESS 2013 " EMOTIONS ET CONNAISSSANCE DE SOI "
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CONFERENCE 5
LES EMPREINTES CEREBRALES DE LA L’ECRITURE ET DE LA LECTURE
UN EXEMPLE DE TROUBLE DU SCHEMA CORPOREL :
LE CERVEAU DYSLEXIQUE ET LE PROBLEME DE LA SYMETRIE DANS LA LECTURE
En nous appuyant principalement sur les travaux de Stanislas Dehaene, qui a publié des
travaux sur les neurones de l’écriture, mais également de Jean-Pierre Changeux, et de Jean-
François Démenet qui travaille actuellement avec son équipe au CHU de Purpan à Toulouse
sur l’aire D’Exner, qui est l’aire dévolue à l’écriture, et sur laquelle il existe très peu de
travaux. Nous tenterons d’approcher le fonctionnement neuronal qui mène à
l’apprentissage de l’écriture et de la lecture, nous en étudierons les empreintes cérébrales.
Puis, nous comprendrons ce qui se passe au niveau des processus cérébraux, lorsque
l’apprentissage de la lecture et de l’écriture est impossible dans la mesure où il y a
effectivement une atteinte du schéma corporel qui correspond à un trouble de base dont
les conséquences s’expriment très diversement et ont des répercussions sur les empreintes
cérébrales. Pour illustrer notre propos nous nous arrêterons particulièrement sur le
cerveau dyslexique et plus spécifiquement la dyslexie visuelle, nous étudierons les processus
cérébraux du phénomène de la symétrie dans la lecture.
«L’art figuratif est, à son origine, directement lié au langage, et beaucoup plus près de
l’écriture au sens le plus large, que de l’œuvre d’art. Pour le signe comme pour le mot,
l’abstrait correspond à une adaptation progressive du dispositif moteur d’expression, ainsi
qu’à des sollicitations cérébrales de plus en plus nuancées » André Leroi-Gourhan Le Geste et
la Parole
Les empreintes cérébrales de l’écriture, un processus de recyclage neuronal
- Ecrire suppose des prédispositions innées, et des propriétés de plasticité
épigénétiques, caractéristiques du système nerveux en développement.
L’écriture se définit comme une trace dans un matériau stable qui rassemble des
signes et détient un sens pour celui qui en possède le code.
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- L’idée de l’écriture aurait été construite en exploitant les formes élémentaires innées
qui servent à l’identification des objets, cela constitue donc l’équivalent d’un code.
- Il s’agit d’une opération de recyclage neuronal : Cette forme d’apprentissage reflète
les contraintes de notre cerveau. Ce seraient les circuits cérébraux qui vont de la
vision vers les aires du langage, qui auraient été recyclés pour s’adapter à l’écriture
car ils sont suffisamment plastiques.
- Si notre organisation cérébrale impose des limites aux variations culturelles, on
observe, à travers l’ensemble des systèmes d’écriture que l’humanité a inventés, de
nombreuses caractéristiques communes qui trahissent les contraintes de notre
appareil cérébral.
Ce n’est pas le cerveau qui a évolué pour l’écriture mais le système culturel de l’écriture qui a
évolué pour s’adapter au cerveau.
Comment ce processus de reconversion se répète-t-il ?
- Notre organisation cérébrale impose des limites et des contraintes à notre appareil
cérébral, c’est pour cela que nous observons, à travers l’ensemble des systèmes
d’écritures, des caractéristiques communes.
- Il est possible que l’alphabétisation de nos cultures ait fait perdre des compétences
notamment dans la reconnaissance visuelle de certaines catégories d’objets. En effet,
il y a eu compétition au sein du cerveau entre cette fonction d’alphabétisation,
fonction culturelle nouvelle, et les fonctions plus anciennes héritées de notre
évolution. Cette compétition a eu des conséquences sur nos anciennes capacités. Si
le cerveau est plastique, il n’est pas extensible.
La forme des différents caractères écrits présente certains traits communs, reflet de
notre architecture cérébrale
a) Toutes les écritures présentent une haute diversité de traits contrastés, souvent
noirs sur fond blanc. Cette présentation optimise la quantité d’information que
notre rétine et nos aires visuelles peuvent transmettre à chaque fixation.
b) Toutes les écritures utilisent un petit répertoire de formes de base, dont la
combinatoire hiérarchique génère des sons, des syllabes et des mots. Cette
organisation hiérarchique s’ajuste étroitement à la pyramide des aires corticales
qui composent notre système visuel dont les neurones utilisent un principe
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combinatoire similaire afin de reconnaître des unités de taille et d’invariances
croissantes.
c) Toutes les écritures considèrent comme acquis que la taille et la position absolues
des caractères n’ont pas d’importance. Dans toutes les écritures, les caractères
doivent toujours être orientés dans le même sens, ainsi notre cortex visuel n’a
pas besoin de dédier des neurones à chacune des vues séparées d’un angle de
plus de 40 degrés.
d) Toutes les écritures dénotent à la fois des éléments de son et de sens comme si
leurs inventeurs avaient implicitement observé que les connexions du cortex
visuel ventral permettaient de servir de plaque tournante et d’alimenter à la fois
les régions temporales supérieures associées au traitement auditif et les régions
temporales moyennes et antérieures associées à la sémantique des mots.
- Même s’il y a une variabilité entre les écritures, il existe toujours une corrélation
entre l’écrit et l’oral : la taille et l’unité sonore peut aller du mot ou de la syllabe tout
entière jusqu’au phonème ou même au trait phonétique isolé. La physiologie
cérébrale ne prescrit rien dans ce domaine, mais le choix qui est fait, contraint le
nombre de symboles requis.
- On retrouve toujours environ trois traits dans toutes les formes de calligraphies : Il
existe 115 systèmes d’écritures. Presque tous les caractères sont formés d’environ
trois traits qui représentent des courbes que l’on peut dessiner sans lever le crayon.
Ces trois traits ne sont pas le fruit du hasard, ils correspondent aux taux
d’accroissement de complexité des neurones visuels. A chaque étape les champs
récepteurs augmentent d’un facteur 2 ou 3, et l’invariance et la taille des unités
représentées s’accroît également ce qui permet une stabilité de représentation.
Chaque caractère a une forme optimale reconnaissable, par un neurone unique.
Comment l’écriture s’est-elle adaptée à la structure du cerveau ?
- Dans l’organisation des systèmes d’écriture, il existe des traces de contrainte du
système nerveux sur l’apprentissage. Les croisements de traits sont très présents
dans l’écriture, certaines formes sont plus fréquentes que d’autres.
- Il y a une distribution identique de toutes ces traces dans tous les systèmes
d’écritures : Par exemple la forme T ou L, est beaucoup plus fréquente que la forme
F. Ces formes fréquentes se retrouvent dans les objets de notre environnement. Le
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système visuel des primates s’est donc adapté à ces régularités présentes dans
l’environnement, grâce à des neurones spécialisés dans leur reconnaissance.
- Dans le cerveau la préférence des neurones varie de façon régulière et forme une
carte de formes, Un dictionnaire cortical des formes élémentaires se révèle : Des
neurones voisins sur la surface du cortex ont tendance à coder pour des formes
similaires. On trouve par exemple toute une région du cortex dédiée à des variantes
de la forme de T et d’autres secteurs dévolus à des formes en 8, en étoile, ou au
profil élémentaire d’un visage.
- Le cerveau a donc développé des prédispositions pour la reconnaissance des objets :
les neurones propres à l’écriture seraient à la naissance déjà spécialisés dans
l’analyse des formes d’objets ou d’êtres vivants et leur reconnaissance, quelle que
soit leur taille (éloignement ou rapprochement des objets) et leur position, dans
l’espace. Ces fonctions sont nécessaires au sujet qui doit analyser son environnement
et en évaluer les aspects positifs et négatifs.
Le cerveau sélectionne des formes qui requièrent un minimum de reconversion
cérébrale.
Donc….
- L’invention de l’alphabet correspond à l’évolution de l’écriture vers un jeu de
caractères susceptibles d’être immédiatement reconnus par les neurones simplifiés
du cortex occipito-temporal ventral.
Comment l’homme a-t-il déterminé les formes de ses lettres ?
- Pour essayer de comprendre on a simulé le processus cérébral de l’écriture : En
partant de formes complexes, comme une tête de taureau par exemple, on a
progressivement simplifié les traits pour obtenir des formes minimales adaptées à
notre système nerveux. Notre système visuel s’est donc adapté aux images naturelles
pour que nos neurones en détectent les configurations caractéristiques.
En effet….
- Les plus anciennes grottes comme la grotte Chauvet présentent déjà des formes très
sophistiquées d’art graphique, l’image reconnaissable d’un objet ou d’un animal.
L’invention de l’écriture a joué un rôle essentiel dans la mesure où elle a permis de
ne pas reproduire en trois dimensions la forme que l’on souhaite évoquer.
Effectivement, la plupart des cellules de la rétine sont sensibles aux à-plats de
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couleurs et répondent aux contrastes, que celles-ci soient évoquées par un simple
trait ou par la jointure de deux surfaces. Par la gravure et le dessin, l’humanité a donc
inventé une première forme « d’autostimulation » de son système visuel.
- Les premières écritures font appel, pour les signes écrits, à l’ensemble des formes
simples que les physiologistes ont associées à des représentations neuronales
localisées dans le cortex temporal ventral. L’évolution culturelle semble avoir
exploré systématiquement l’espace des représentations du cortex visuel. Elle a donc
convergé vers un jeu minimal de symboles doté d’une très forte affinité avec notre
appareil cérébral, à la fois parce que notre cortex occipito-temporal ventral apprend
aisément à les reconnaître, mais aussi parce que cela a établi une connexion directe
avec le codage des sons de la langue dans le cortex temporal supérieur gauche.
L’aire d’agraphie d’Exner, (GMFA, Graphemic/ Motor Frontal Area) une
petite aire indispensable à l’écriture
- Il s’agit d’une toute petite aire, découverte en 1881 par Sigmund Exner, physiologiste
autrichien, qui est impliquée dans la graphie. Elle se situe dans le cortex prémoteur,
jouxtant l’aire de Broca : chez les personnes qui écrivent de la main droite, cette aire
est située dans l’hémisphère gauche, comme la zone du langage et celle qui contrôle
le mouvement de la main. Chez les gauchers, pour lesquels ces deux zones ne sont
pas forcément du même côté, l’aire se balade.
- Dans les diverses tentatives d’étude des troubles de l’écriture on distingue les
dysgraphies pures et les dysgraphies associées à d’autres manifestations cliniques
comme des troubles du langage oral, désordre praxique, déficits spatiaux ou
intentionnels. Les dysgraphies pures ont été identifiées à la suite des travaux d’Exner
par l’atteinte d’un centre de l’écriture, situé au pied de la deuxième circonvolution
frontale gauche, à côté de l’aire de Broca, ce qui pourrait expliquer les troubles de
l’oralité associés aux troubles du graphisme que l’on peut parfois observer.
- Les travaux d’Exner ont été repris par le professeur Jean-François Démenet de
l’université Paul Sabatier de Toulouse et ont confirmé les travaux d’Exner : Il existe en
effet une implication du cortex pré-moteur dans la partie orthographique du
langage. L’importance du cortex pré-moteur dans la production du geste d’écriture
est avérée, ainsi que la mise en jeu des représentations allographiques visuelles.
Certains dyslexiques pourraient coder le signal de la parole en fonction d’indices
acoustiques n’appartenant pas au système phonologique de leur langue maternelle.
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