Avant-Propos
Homère et Boèce désignent les frontières temporelles d'une grande
époque, où le mouton ne sévissait pas encore dans nos yeux, ni le robot –
dans nos esprits. Mais quel dommage, que ces frontières ne devinssent
pas aussi des frontières conceptuelles ! Car le langage poétique d'Homère
et la consolation philosophique de Boèce sont les deux thèmes les plus
nobles dans l'histoire de la littérature, tournée non pas vers l'actualité
racoleuse, mais vers l'éternité mystérieuse.
Les penseurs se consacrent à la recherche de certitudes et de tranquillités,
tandis que la seule chose atteignable reste un semblant de consolation - le
frisson : frisson face à la création, frisson face à la vie, frisson face à la
mort. Cultiver l'espérance, c'est justifier le frisson. Et dire que, jadis, la
consolation fut le genre principal des meilleurs philosophes, genre inconnu
des raseurs modernes. Dans l'Antiquité, la plus noble sagesse spirituelle
s'appelait pharmakon, l'art de guérir, de consoler.
Les Anciens apparaissent à mon horizon, auréolés de génie pur et de
profondeur abyssale, et ils me servent d'appui et de consolation. Mais plus
je vais, plus je me rends compte, qu'ils sont plus bêtes que nombre de
mes contemporains, que, pourtant, je méprise, - et la Terre reçoit soudain
une terrible secousse, et je me retrouve dans mes ruines primordiales,
sans aucun Atlas complice.
Ni l'art ni le savoir ni la puissance n'arrivent à libérer la vie de son
accompagnement d'absurdité ou d'angoisse. Même le livre, qui réunit ces
trois grandes illusions, finit par se lézarder ou s'écrouler. Seul l'amour
réussit à préserver un semblant de consolation ou satisfaction. Ç'aurait dû
être une grande victoire du Christianisme sur l'Antiquité. Mais seules les
défaites apportent de la durée à ce qui est noble. L'Antiquité cultivait le
beau, le Christianisme privilégiait le bon, la modernité se dévoue
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