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UNIVERSITE
MOULOUD MAMMERI
DE TIZI-OUZOU
THESE DE DOCTORAT EN COTUTELLE
DISCIPLINE : SCIENCES ECONOMIQUES
POUR OBTENIR LE GRADE DE DOCTEUR
THEME :
ETUDE DE L’IMPACT DU SYSTEME DE LA CORRUPTION A GESTION
CLIENTELISTE ET/OU CLANIQUE DANS LES PAYS EN DEVELOPPEMENT:
CAS DE L’ALGERIE
PRESENTEE PAR :
BELAID ABRIKA
Soutenue publiquement à l’UMMTO
Le 15 décembre 2013 devant le jury composé :
- CHERABI Abdelaziz, Professeur, Université de Constantine 2, Président du jury
- BIA Chabane, Professeur, UMMTO, Rapporteur
- CARTIER-BRESSON Jean, Professeur agrégé, UVSQ, Paris, Rapporteur
-Professeur FACCHINI François, Université Paris Sud
-GUENDOUZI Brahim, Professeur, UMMTO, Examinateur
-GERONIMI Vincent, MCF HDR, UVSQ, Paris
1
« L’université n’entend donner aucune approbation
ni improbation aux opinions émises dans les thèses :
ces opinions doivent être considérées comme propres
à leurs auteurs. »
2
I yemma
3
Remerciements
Ce travail de thèse n’aurait pas été possible sans le concours de nombreux soutiens qui m’ont précieusement aidé
durant plusieurs années. J’adresse très sincèrement mes remerciements à tous ceux qui ont contribué d’une
manière ou d’une autre à l’élaboration de la présente étude.
Mes premiers remerciements vont d’abord à mes deux directeur de thèse, Bia Chabane de (UMMTO) qui a
courageusement accepté l’encadrement du thème de ma présente thèse et Jean Cartier-Bresson (UVSQ) de
m’avoir fait l’honneur en acceptant de la codiriger dans le cadre de la convention de cotutelle, en
m’accompagnant tout au long de cette fructueuse aventure et en me transmettant la passion de la recherche, en
me fournissant des remarques, des conseils, des corrections et des interrogations pertinentes stimulant mes
réflexion aux cours de nos nombreuses séances de travail et ayant contribué largement tout en me laissant une
grande autonomie de décision et la liberté de penser à la réalisation de cette étude. Leurs critiques, orientations et
suggestions m’ont été enrichissantes et d’une grande utilité durant cinq années de dur labeur.
Mes remerciements vont être adressés aux deux rapporteurs, François Facchini et Abdelaziz Cherabi qui ont
manifesté un intérêt à examiner minutieusement ce travail en prodiguant leurs remarques, critiques et
suggestions dans leurs rapports d’expertise.
Mes remerciements vont aussi à Vincent Geromini et à Brahim Guendouzi qui ont accepté d’être des membres
invités et de m’avoir fait l’honneur de participer à mon jury de thèse.
Ma reconnaissance envers Djilali Hadjadj président de l’association algérienne de lutte contre la corruption pour
la documentation fournie qui m’ont été d’une grande utilité au début des travaux de ma thèse.
Merci beaucoup à Mohand Amara qui a lu le manuscrit et d’avoir apporté de nombreuses corrections dans la
langue de Molière.
C’est aussi le lieu de remercier chaleureusement les nombreuses personnes (pour éviter les omissions les noms
ne seront pas citées) qui ont mobilisés leurs réseaux multiples dans plusieurs wilayas (départements) ayant
contribué à réalisation de notre enquête de terrain. Ma reconnaissance va envers les personnes enquêtées, les
organisations de la société civile et les institutionnels sans qui ce travail n’aurait pu être entier et à Kamel
Moussaoui qui m’a fourni le logiciel SPSS 18 de traitement de données ainsi que Tassadit Khaiti qui a apporté
des remarques et critiques aux questionnaires.
Je tiens aussi à remercier tous ceux dont les noms ne sont pas cités sur cette liste qui ont soutenu ou contribué
directement à l’aboutissement de cette œuvre.
Je voudrais par la même occasion témoigner toute ma reconnaissance à ceux qui m’ont accordé beaucoup de leur
précieux temps pour répondre à nos questions lors des entretiens directes et semi-directs.
A mes collègues du bureau de l’équipe de recherche et tous les autres collègues et camarades de lutte qu’ils
trouvent ici l’expression et ma gratitude pour l’ambiance et le soutien manifesté.
Aux bibliothèques et centres de recherche qui m’ont permis de travailler avec leur fonds: bibliothèque de le
FASEGC de l’UMMTO, celle l’UVSQ, le centre de recherche de Lille.
Mes pensées d’adressent également à l’ensemble du corps des enseignants qui ont contribué à ma formation
ainsi que les personnel administratifs de la FASEGC de l’UMMTO et du CEMOTEV de l’UVSQ.
Enfin, je dédie ce travail à ma famille en particulier ma mère, les amis et les militants, en particulier ceux qui ne
sont plus de ce monde Maitre Mohand ISSAD et Boukhalfa moula, qui sans leurs soutiens, je ne serais jamais
parvenu à l’achèvement de cette thèse.
4
«Tous les hommes du pouvoir volaient.
Quiconque occupait des fonctions sans voler
créait un désert autour de lui ; il se rendait suspect.
A la première occasion, on se débarrassait promptement
d'un individu de ce genre : il gâchait le jeu.
Toutes les valeurs en arrivèrent ainsi à être renversées. »
Ryszard Kapuściński,
5
Le Shah.
6
Sommaire
Sommaire
INTRODUCTION GENERALE .............................................................................................. 1
PREMIERE PARTIE : Approche théorique du phénomène de la corruption .. 17
CHAPITRE 1 : Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon ....................... 19
SECTION I : Du milieu des investigations ................................................................................................... 21
SECTION II Présentation de l’échantillon ............................................................................................. 27
SECTION III Méthodologie et objectifs de l’enquête ......................................................................... 33
SECTION IV : Les bases de données ................................................................................................... 50
CHAPITRE 2 : Genèse et historique du phénomène de la corruption ........................... 61
SECTION I: Genèse ou aperçu évolutif .................................................................................................... 62
SECTION II: L’Algérie durant la période post-indépendance ........................................................... 75
SECTION III : Historiquement ................................................................................................................... 91
CHAPITRE 3 : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption .............. 103
SECTION I: Définitions juridique et socio-anthropologique de la corruption ............... 104
SECTION II: Economie politique de la corruption ....................................................................... 120
SECTION III: Typologies et stratégies corruptrices .......................................................................... 144
CHAPITRE 4: Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes
politico-administratifs ........................................................................................................ 159
SECTION I: Causes et conséquences de la corruption ..................................................................... 160
SECTION II: Les similitudes du phénomène de la corruption à celui de l’économie informelle
SECTION III : La question de la corruption dans les systèmes politico-économiques .............. 192
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
……………………………………………….211
Sommaire
DEUXIEME PARTIE : ANALYSE ET APPROCHE PRATIQUE DU PHENOMENE DE LA
CORRUPTION ……………………………………………………………………………………………………………………… 213
CHAPITRE 5 : ANALYSE DU PHENOMENE DE LA CORRUPTION DANS LE SECTEUR PRODUCTIF 215
INTRODUCTION ....................................................................................................................................................... 215
SECTION I : Dans l’entreprise ......................................................................................................... 217
SECTION II : Création des entreprises et corruption dans les dispositifs d’emploi des
jeunes
............................................................................................................................................................................ 236
SECTIONIII : La dynamique des entreprises et corruption .......................................................................... 250
SECTION IV : L’entreprise et l’environnement corruptible ....................................................................... 269
CHAPITRE 6 : Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif ................ 292
SECTION I : La corruption dans les milieux politiques ................................................................... 294
SECTION II: Administration et corruption ...................................................................................... 319
SECTION III : Étude et analyses sectorielles de la corruption ............................................................. 338
CHAPITRE 7: Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption .............. 364
INTRODUCTION ....................................................................................................................................................... 364
SECTION I: Les organisations et les expériences de la lutte anticorruption dans le monde
........ 366
SECTION II : La lutte anticorruption en Algérie ..................................................................................... 381
SECTION III : La nécessité de la volonté politique et de l’implication de la société civile ................ 413
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE...................................................... 441
CONCLUSION GENERALE ............................................................................. 444
ANNEXE I.................................................................................................................................................... 457
ANNEXE II .................................................................................................................................................................464
ANNEXE III ................................................................................................................ 465
BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................................. 467
TABLE DES MATIERES.................................................................................................................... 480
INTRODUCTION
GENERALE
INTRODUCTION GENERALE
INTRODUCTION GENERALE
Le système de corruption phénomène social se singularise par des caractéristiques
résultant à la fois des évolutions décrites dans les anciennes organisations de la société
traditionnelle considérée comme étant archaïque et du système de valeur constaté dans les
sociétés actuelles typiquement modelées par les apparences des Etats modernes dotés
d’institutions articulant les normes structurant les modes de fonctionnement des sociétés
contemporaines.
Le
regain
d’intérêt
des
institutions
internationales,
impliquant
des
chercheurs
multidisciplinaires, particulièrement depuis l’avènement de la mondialisation, envers la
question de la corruption est à insérer dans l’optique établissant les rapports de dépendance
du fléau de la corruption à travers les effets induits sur les niveaux de développement et de la
croissance économique à l'origine des récents rapports sociaux consécutifs aux nouvelles
normes régissant le fonctionnement des modèles des pays en développement confrontés aux
problèmes de la répartition des richesses et aux enjeux qu’imposent la corruption dans les
nouvelles configurations. Dans ce sens les nombreuses études élaborées depuis les années 80
sur la question de la corruption rendent inéluctable son association aux débats menés autour
des politiques de développement internationales. En général, les résultats de ces études
concluent sur les conséquences de la corruption, notamment en matière de la qualité de la
gouvernance. Des conclusions qui mettent souvent en relief la faiblesse de la progression du
niveau de développement des pays en développement. Par conséquent,
l’ensemble des
organisations internationales gouvernementales et non-gouvernementales spécialisées dans la
lutte contre la corruption simultanément se sont attelées à lancer des initiatives dans le cadre
des stratégies nationales, régionales et internationales anticorruption sous forme de
programmes, de directives, de normes, de conventions et d’accords.
La problématique de la corruption, concept polysémique, se pose sous un triptyque
intégrant à la fois une première approche économique, qui fera l’objet fondamental d’étude de
ce travail de recherche, illustrant certaines pratiques de la corruption courantes comme les
dons, pots-de-vin, les offres de marchés, etc. Dans ce sens, notre thèse fera l’objet d’analyse
de la corruption conjointement sur les plans microéconomiques et macroéconomiques ; suivie
d’une deuxième approche qui est culturelle et de développement analysant le phénomène
comme source ou cause du sous développement et de la culture vécue par la société, des
relations, des réseaux et des aspects de la tradition dominante face à ce fléau ; et enfin la
1
INTRODUCTION GENERALE
troisième approche qui est politique en déterminant le rôle du politique vis-à-vis de la
corruption et le problème qu'elle pose pour son contrôle, sa réduction, voir son éradication.
Le foisonnement des nombreuses définitions du phénomène de la corruption
complique la tâche de sa délimitation. Pour synthétiser la variété de ces définitions en
sciences humaines, J. Cartier Bresson (1997), en partant de la proposition de Heindenheimer
(1970, 1989), regroupe trois grandes catégories: ‘‘Une large majorité des auteurs suit la piste
d’une définition centrée sur les devoirs de l’administration. Un petit groupe discute de la
corruption par rapport à la notion d’intérêt public. Enfin, le troisième groupe développe une
définition économique à partir d’une analyse centrée sur le marché de la corruption. Il
convient de rajouter une quatrième définition formulée par Heidenheimer qui insiste sur la
perception du phénomène et enfin une cinquième définition élargissant l’approche au fait de
clientélisme’’.
Au-delà, de la contrainte de la définition du phénomène de la corruption multiformes,
dynamique dans le temps et l’espace, la thèse aborde les questions inhérentes aux causes, aux
conséquences et à la lutte contre la corruption, souvent, traitées depuis des décennies dans les
multiples travaux empiriques et les analyses théoriques à travers des approches
multidisciplinaires dépassant parfois les champs des sciences politiques, économiques,
sociologiques et anthropologiques pour impliquer finalement le domaine des sciences
juridiques.
Notre thèse traite de la corruption dans les pays en développement en général, en
centrant son contenu sur l’Algérie en particulier. La présente problématique traite de l’impact
du système rentier de corruption basé sur une gestion clientéliste et/ou clanique dans les pays
en développement illustrée par le cas de l’Algérie. Un pays qui a érigé un système de
corruption dans un régime qui se caractérise par l’autoritarisme et qui consacre la
centralisation du pouvoir décisionnel depuis son accession à l’indépendance. Un régime fondé
à partir de l’héritage des pratiques clientélistes aggravées par un système de gouvernance
totalitaire où prédomine la culture du régionalisme distinguant le fonctionnement du pouvoir
politique décisionnel.
Les questions principales qu’on essaye d’appréhender sont celles de savoir pourquoi la
corruption ?, quelles sont les déterminants de la corruption au regard des indicateurs de
mesure du niveau de la corruption de son ancrage, de son ampleur et de ses implications
(stabilité, progression ou régression), voire même de son imbrication avec le clientélisme et le
2
INTRODUCTION GENERALE
clanisme afin de définir les contours des approches stratégiques de la lutte anticorruption ? La
thèse essaye aussi de déterminer l’impact de la corruption sur la société algérienne, de
comprendre comment elle participe à freiner le développement ? En tenant compte des
pratiques clientélistes et leur prolongement néo-patrimonial -eu égard à l’amalgame entretenu
entre les sphères publiques et privées dans la gestion des déniées publics- comme facteur
explicatif fondamental du clanisme destructeur des valeurs humaines, retardant et manipulant
le processus de démocratisation, édifiant la mauvaise gouvernance instituant
les
comportements prédateurs, la captation des rentes étatiques et la généralisation du recours à
la corruption.
L’implication des chercheurs multidisciplinaires étudiant les diverses formes et les
pratiques variées de la corruption ne permet pas l’établissement d’une définition consensuelle.
Le recours pour la définition de la corruption, phénomène moral et social, en invoquant ses
propriétés, au domaine normatif (juridique) faisant référence à l'abus d'autorité publique pour
des avantages privés, n’implique pas systématiquement la fin de la complexité qui apparaît
lors de sa description et la classification selon son ampleur. Une limite confirmée dans les
travaux de J. Cartier Bresson (1997) qui considère que ‘‘même si les travaux quantifiés ne
donnent pas encore de résultats satisfaisants, il est évident que la corruption peut-être
endémique, c'est -à- dire marginale, épidémique, c'est -à- dire généralisé, systémique ou
institutionnalisée, ce qui suppose qu'elle est devenue un rouage de la reproduction du
système, ou enfin planifiée, ce qui implique qu'elle est un instrument vital pour la survie du
régime politique en tant que moyen de contrôle des divers segments de la population’’.
II est généralement admis que la corruption recouvre une variété d'activités allant des pots-devin aux violations des règles de l’éthique, aux contraventions à la réglementation, au
népotisme politique, en passant par le blanchiment de l'argent sale, les différentes opérations
de contrebande, le marché noir. La délimitation de la définition de la corruption simplement
par rapport à la violation des règles formelles, correspondant au non respect de la législation,
que détourne abusivement le consignataire de la délégation de responsabilité publique à son
profit, exclut de fait le problème inhérent à la nature du régime politique en termes de
représentation et de légitimation à l’origine du pouvoir d’influence et du clientélisme,
découlant des rapports de forces, entrainant la manifestation des différentes formes de
corruption. Selon NH. Leff, en 1964 : ‘‘la corruption est une institution extralégale, utilisée
3
INTRODUCTION GENERALE
par des individus, ou des groupes, pour gagner de l’influence sur la politique mise en œuvre
par l'administration. L’existence d'une telle corruption signifie simplement que ces groupes
participent plus intensément au processus d'élaboration des décisions, qu'ils ne l'auraient fait
autrement’’.
Le développement du système de corruption en Algérie est entretenu par le mode de
gestion des affaires politiques et économiques ainsi que des carrières et des postes obéissant à
la logique clientéliste. Selon J-F. Médard (2000) ‘‘le fonctionnement des institutions
démocratiques repose en effet sur la transparence et la responsabilité. Or c'est sur l'absence
de transparence et l'irresponsabilité politique que prospère la corruption. D'où l'idée de
démocratisation pour luter contre la corruption. La corruption régnant dans les régimes
démocratiques révèle ainsi précisément la faillite des mécanismes démocratiques’’. La
corruption n'est pas un phénomène statique, elle évolue dans un espace dynamique selon les
périodes à observer et à analyser.
Peut-on considérer la corruption comme un phénomène social systémique, perceptible
comme un problème structurel associé au système politique, socioéconomique et culturel ou
simplement comme des actes isolés causant un dysfonctionnement occasionnel découlant des
comportements adoptés par les agents agissants dans les rouages de l’administration ? Dans
cet esprit, il est question d’aborder et d’étudier les différentes formes de corruption qui se sont
développées dans un moment dominé par le secteur public, puis, durant la phase de transition
précédée par le plan de l'ajustement structurel instituant des mécanismes relatifs aux
opérations de privatisation et de déflation des activités relevant du secteur public. Les
pratiques de corruption entrainent des surcoûts qui se répercutent sur le prix de vente des
produits et des services, impliquant l’accélération de l’inflation.
Les effets pervers engendrés par la corruption enregistrés, durant les périodes de
transition engagées dans le cadre des programmes de libéralisation professant les «ouvertures
à la démocratie» dans les pays en développement, sont souvent assimilés à la faillite du
système économique, à la paupérisation, au désinvestissement, à la baisse de croissance, à
l'évasion fiscale, au clientélisme et à la dégradation de l'environnement...etc. Nous avons
écarté volontairement l’approche de l’économie de la guerre civile (qui a largement affecté
cette période tragique impulsant ou entretenant une forme de gouvernance par la violence où
le recours à la force est systématique dans le but d’assurer le contrôle des richesses et de la
rente des hydrocarbures) pour éviter le positionnement politique à l’origine des diverses
4
INTRODUCTION GENERALE
‘‘polémiques’’ qui peut, d’ailleurs, faire l’objet d’un sujet d’une thèse intégrant l’étude et
l’analyse des différents arguments des protagonistes. Ainsi, cette conjoncture de libéralisation
des économies des pays en développement est marquée par la violation des droits humains,
bafouant la charte des droits de l’homme ouvrant la voie aux passes droits où règne
systématiquement l’impunité. L’expansion de la corruption peut-elle être à l’origine du déclin
de l'activité économique en Algérie, la cause de la stagnation et de la régression culturelle
fragilisant les valeurs morales de la société?
La corruption existe sous diverses formes et à des degrés variés. L’appréciation prend
plusieurs configurations, elle peut être légale ou illégale en fonction des législations
spécifiques à chaque pays. Certaines pratiques sont universellement considérées comme de la
corruption et condamnées et d'autres qui relèvent constamment du domaine de la corruption,
sans qu’elles soient prohibées.
Enfin, il existe des pratiques tolérées qui peuvent être
considérées partiellement comme de la corruption. Ces dernières, même si elles sont
contraires à l’éthique, sont socialement et culturellement admises. Les déterminants de
l’approche du phénomène de la corruption résultent de la transgression des codes de conduite
énonçant les obligations des fonctionnaires de l'Etat, selon J.S. Nye (1967): ‘‘Un
comportement par rapport aux obligations normales d'un fonctionnaire pour des raisons
privées (famille, relations), pécuniaires ou de gains de statut ; ou qui viole les règles de
fonctionnement à la suite d’influences privées. Ceci implique l'acceptation de pots-de-vin
(don, patronage, attribués pour relations et non par mérite) ; d'une mauvaise allocation
(appropriation de ressources publiques à des fins privées)’’. Il est nécessaire d’indiquer
l’enchevêtrement entre la corruption législative liée à l’élaboration des textes de lois et la
corruption administrative inhérente à leur application.
Notre thèse est consacrée essentiellement à la corruption publique au sens large
développée par C. Delavallade (2007) reprenant AK. Jain (2001) qui fait allusion aux activités
pour lesquelles ‘‘des fonctionnaires, législateurs et hommes politiques utilisent les pouvoirs
qui leur sont délégués par la collectivité pour poursuivre leurs propres intérêts
économiques’’. Il est question de développer l’ensemble des arguments mettant en cause des
effets négatifs de la corruption (fragilisation de l’économie, instabilité des institutions de
l'Etat, discrédit des initiatives anticorruption, les retards, les pertes, les surcoûts... etc..), tout
en indiquant les aspects positifs développés chez certains chercheurs optimistes, accordant à
la corruption l’avantage d’être bénéfique en entretenant des raisonnements louant des vertus,
lui accordant le statut de facteur accélérateur de l’activité économique.
5
INTRODUCTION GENERALE
Notre thèse analyse le fonctionnement de l’appareil politique de l’Etat source de la
généralisation de l’ampleur de la corruption, en la focalisant particulièrement sur la dernière
décennie où nous argumentons cette ampleur à travers l’analyse de la qualité de la
gouvernance en Algérie. Dans le même sens, le fonctionnement de l'économie parallèle en
Algérie sera abordé; il s’agit de voir dans quelle mesure l’économie informelle, qui subsiste
en contournant les réglementations, pourrait-elle être assimilable à la corruption ou à une fuite
et évasion fiscale conséquemment à la corruption administrative? Il est constaté le
développement d’un discours à deux vitesses. D'un côté, il annonce la lutte contre la
spéculation, de l'autre coté, il permet à ceux qui sont dans les rouages des administrations de
fructifier leurs capitaux en tirant profit de leur statut d'appartenance à la caste des détenteurs
du pouvoir de décision et des capitaux.
La problématique du rôle de l’Etat comme acteur principal et de sa place stratégique
lors de l’élaboration et de la mise en place des politiques de développement se pose
implicitement en Algérie à la fois au niveau de l’action de surveillance d’arbitrage par le biais
des règles du jeu fixées formellement, et au niveau de son implication (capitalisme d’Etat)
directe et indirecte dans la vie économique et sociale en réalisant des programmes qu’il
soutien financièrement, en recourant à la manne financière des hydrocarbures. L’évaluation et
l’analyse de l’action de l’Etat sont étudiées dans le processus de l’édification de l’Etat-nation
concédé dans les dynamiques des transformations structurelles et institutionnelles de la
gestion des affaires de l’Etat notamment le processus de la captation des rentes redistribuées
par les réseaux de clientèles prédatrices incitant la propagation généralisant l’adoption des
comportements outre passant les législations en recourant aux pratiques de corruption,
exacerbées surtout en période de transition précédée par des crises multidimensionnelles.
La propagation du phénomène de la corruption rend inefficace l’action de l’Etat. Elle
affecte davantage l’ampleur de l’inefficacité des politiques publiques, traduit la faiblesse des
performances de l’action de l’Etat évoluant dans un environnement économique défavorable à
l’accroissement de l’investissement, entrainant des conséquences multiples : surcoûts, retards,
mauvaise qualité…etc. Paradoxalement, ce fléau s’est développé au sein du modèle de
développement économique choisi, entrainant les conséquences de la dépendance à plus d’un
titre de l’Algérie du marché extérieur (technologies, équipements industriels, alimentaire…),
entretenu essentiellement par les revenus de la rente pétrolière. Le degré élevé de la
corruption affaibli le niveau de la croissance entraînant de ce fait un frein au niveau du
développement. Est ce que l’augmentation de la rente génère de la corruption ou bien est ce
6
INTRODUCTION GENERALE
que la corruption ne constitue pas un frein à la croissance économique et à la gestion du
surplus économique?
Les énormes dégâts causés par la corruption dans les pays en développement biaisent
les efforts de quantification des organisations nationales, régionales et internationales,
gouvernementales et non-gouvernementales. Néanmoins, les différents mécanismes et les
techniques de perception de la corruption nous livrent une base de données à prendre avec
mesure. Pour les estimations au niveau international D. Kaufmann (2006) de l'institut de la
Banque mondiale énonce ‘‘le montant de 1 trillion de dollars relatif à la corruption annuel à
l'échelle mondiale comprend les pots-de-vin échangés entre les entreprises et les
fonctionnaires ou politiciens dans le monde industrialisé, et également ceux payés par les
entreprises multinationales des pays industrialisés au secteur public des économies en
développement. Il inclut également la concussion existant dans les pays en développement’’.
Alors que les hommes politiques algériens, souvent ayant occupé des postes importants dans
la hiérarchie de l'Etat, avancent des chiffres frappants et inimaginables. Quelle est la base des
estimations de ces sommes ahurissantes et quel est le degré de crédibilité à accorder à ces
déclarations publiques? Aussi, n’est-il pas nécessaire d’aborder l’évaluation de la masse
monétaire en mouvement dans les circuits non-officiels facilitant les échanges entre les
corrompus et les corrupteurs, pour aboutir à des conclusions réelles et établir les
conséquences causées sur le plan macroéconomique par l’économie parallèle. La monnaie
algérienne (le dinar) n’étant pas convertible, fait qu’une bonne partie du change de devises se
fait au niveau du marché parallèle imposant de la sorte un canal clandestin servant la fuite des
capitaux.
Cette thèse s’intéresse également à l’impact de la corruption sur la croissance
économique en termes d’investissement public ou privé, la gestion de la rente et des recettes
du budget de l’Etat ainsi que la gestion des biens immobiliers et des actifs de l’Etat privatisés.
Le type d'Etat à économie rentière des pays pétroliers pose la problématique de la corruption
spécifiquement. L'exemple de l'Algérie, qui a érigé un système rentier clientéliste, constitue
l'un des exemples expliquant les causes du sous développement. Notre interrogation cherche
d’un coté à déterminer s'il s'agit d'un facteur favorisant la propagation ou le ralentissement
des pratiques de la corruption et d’un autre coté à étudier l’évolution du phénomène de la
corruption lors
du passage de l’économie administrée de type soviétique entretenant le
régime de rente spéculative
vers l’économie de marché. Cette interrogation nécessite
d’aborder en premier lieu l’évolution du statut de la rente avant, pendant, et après les
7
INTRODUCTION GENERALE
mutations économiques engagées durant les périodes de transition vers l’économie de marché
conditionnées par le Plan de l’Ajustement Structurel engagé tardivement; de déterminer en
second lieu le degré de la causalité entre les dépenses publiques productives ou dépenses non
productives (gaspillages), la corruption et la croissance économique. L’accroissement des
dépenses publiques inopportunes aiguise les appétits des individus à la recherche
d’opportunités de rentes source de la propagation de la corruption. Quelle explication donner
à l’échec des projections d’une croissance économique en dehors du secteur des
hydrocarbures avec l’aisance financière enregistrée depuis l’année 2000. Les dépenses
publiques importantes, à ne pas confondre avec l’investissement public, engagées dans le
cadre des programmes de relances économiques ont obéi à une logique de gestion clanique
hyper centralisée irriguant leurs réseaux clientélistes.
Quel est le système d’organisation qui peut garantir l’efficacité d’une gestion transparente et
assurer le contrôle rigoureux des deniers publics ? La corruption s’épanouit- elle réellement
dans le mode d'organisation et de gestion d'un Etat centralisé et fortement déconcentré ou bien
dans un Etat décentralisé ? Faudra t-il axer son choix sur la monopolisation des pouvoirs
favorisant l'interventionnisme étatique gangrenant les institutions par les pratiques de la
corruption au niveau de l'appareil décisionnel de l'Etat ou bien au contraire accorder des
prérogatives et des pouvoirs aux institutions décentralisées pour
la gestion des affaires
publiques? Précisant que l'idée perçue sur la propagation de la corruption dans le cadre des
Etats centralisés bureaucratiques contrairement aux Etats où les structures sont libérales et
décentralisées ne semble pas faire l'unanimité. La décentralisation des pouvoirs par le
contrôle social, aux unités territoriales régionales peut engendrer la multiplication des
milieux et des réseaux propices au développement de ce phénomène. Dans une société
traditionaliste d’une culture à prédominance tribale considérant le fléau de la corruption
clientéliste basée sur la proximité fondée sur des relations sociales et de l’appartenance au
milieu, comme une chose banale associée à l’absence de transparence et de démocratisation
moderne gérée par des instruments de contrôle des deniers publics ne ferait que généraliser les
pratiques de la petite corruption déjà préexistante.
Dans la thèse, l’analyse du comportement des mandataires (élus et administrateurs) lors de la
gestion du patrimoine, de l’affectation des budgets et de l’octroi des marchés publics des
collectivités locales conclue sur la manifestation des pratiques de la corruption administrative
en faveur d’une clientèle appartenant aux clans coalisés autour des institutions étatiques,
actionnant leurs relais au niveau du pouvoir décisionnel central pour la promulgation de
8
INTRODUCTION GENERALE
législation en leur faveur sous la forme de la corruption législative. C’est ainsi que la
corruption politique, invitée tacitement au débat, fera l’objet d’une analyse de la thèse. En
examinant durant la période électorale les attitudes des candidats au pouvoir et de l'opposition
qui usent généralement de pratiques de corruption, il est constaté l’importance des moyens
financiers mobilisés pour l'organisation de la fraude ou l'achat des voix des électeurs. La
prépondérance de ce fléau dans le monde politique conforte la nature du régime politique
clientéliste. Pour assurer sa pérennité, ce dernier, alimente mutuellement directement ou
indirectement les organisations ou les acteurs politiques et les différents sponsors des
campagnes, afin de se maintenir, cela en accordant des prébendes en guise de récompense
aux fidèles. D’ailleurs, la lutte des clans autour de la captation de la rente apparait à
l’occasion du déballage dans les médias des grands scandales de la corruption impliquant les
hauts fonctionnaires de l'Etat, les hommes politiques, les partis politiques que l’appareil
judiciaire instrumentalisé protège. L’affaire Khalifa illustre parfaitement cet état de fait.
Depuis deux décennies la lutte contre la corruption est devenue une des
préoccupations majeures de la communauté internationale. La thèse évoque le contexte et les
facteurs qui ont entrainé l’intérêt accordé à cette lutte par les instances internationales
gouvernementales et non-gouvernementales, dont celle de l’ONG Transparency Internationale
(TI) qui s'est fixé pour mission d'amener les gouvernements à mieux rendre compte de leur
gestion et de freiner la corruption nationale et internationale. Des conventions aux niveaux
international, régional et national ont été ratifiées; ce qui a favorisé l’introduction d’un
ensemble de règles pour mener la lutte anticorruption. Cependant, cette avancé extraordinaire
des normes juridiques incriminant la corruption peut-elle suffire pour mener la lutte contre la
corruption ? En effet, l’absence de la volonté politique, la non vulgarisation de ces textes et
les pressions exercées sur les organisations de la société civile montre la limite et
l’instrumentalisation de lutte contre la corruption. N’est-il pas nécessaire d’envisager cette
lutte dans une alternative politique porteuse d’un changement du système de gouvernance ?
G. Blundo (2000) considère qu’on ‘‘ne peut résoudre les questions de corruption par un code
qui tracerait une fois pour toutes les limites du permis et du défendu. La corruption est un
système dynamique contre lequel on ne peut lutter que par un meilleur système’’.
En 2006, le parlement algérien a adopté et promulgué une législation pour la lutte
contre la corruption. Quelles sont les résultats de cet arsenal juridique, est t-il arrivé à
répondre aux attentes des citoyens et des opérateurs économiques touchés par les pratiques de
la corruption qui ont gangrené toutes les sphères des institutions de l'Etat? La mise en place
9
INTRODUCTION GENERALE
d’une stratégie opérationnelle adéquate face à ce fléau est à entrevoir pour le combattre
efficacement. Une politique d’ensemble qui peut agir sur les causes à travers les dispositifs
que prendront en charge les institutions. L’adoption d’une législation adéquate instituant des
organes et des instances étatiques crédibles chargées du contrôle, de la prévention et de la
répression de la corruption avec un pouvoir d'investigation et des sanctions, impliquant
l’appareil judiciaire.
La thèse relève les insuffisances des institutions et l’instrumentalisation de la lutte
contre la corruption en Algérie. Elle préconise des recommandations impliquant la
reconnaissance d’une volonté politique à travers une stratégie politique nationale de
prévention et de lutte contre la corruption adoptée par une coalition d’institutions et d’acteurs
mêlant la résolution et l'engagement des hommes politiques honnêtes et intègres, des
organisations politiques et de la société civile, des fonctionnaires de l'Etat, des médias lourds,
des chercheurs et des universitaires dans le cadre d’une coalition d’institutions et d’acteurs
autour d’une stratégie politique nationale de prévention et de lutte contre la corruption.
Ainsi, les analyses développées dans notre thèse ambitionnent de contribuer à la
compréhension de la dynamique historique de ce phénomène multiforme séculaire, d’exposer
le processus engageant la lutte anticorruption aux niveaux international, régional et national,
articulée autour des éléments composant la problématique que nous venons d’exposer et se
fixe l’objectif de conclure par des propositions porteuses de suggestions fondatrices d’une
véritable stratégie politique opérationnelle de prévention et de lutte contre la corruption en
Algérie.
Pour ce faire, sur le plan méthodologique la thèse combine d’un coté les aspects
théoriques, historiques décrits dans la littérature consacrée au thème de la corruption, et d’un
autre coté les bases de données empiriques commentées que nous retrouvons dans les travaux
d’enquêtes directes et indirectes menées par les organisations internationales (Banque
Mondiale, Transparency internationale) et nationales (AALCC, ligue des droits de l’homme et
sondage de la presse) soutenues par nos observations, les diverses données collectées, les
entretiens et les résultats du sondage que nous avons mené dans le cadre des travaux de
recherche de la présente thèse.
Les données qualitatives de nos investigations issues de la méthodologie de l’analyse de
narrations enregistrées lors des entretiens libres sur le thème de la corruption, ont servi pour
l’étude du phénomène de la corruption. En partant de la déduction considérant que la
10
INTRODUCTION GENERALE
corruption affecte tous les secteurs d'activité et l'ensemble des institutions de l'Etat, le choix
est porté sur le développement d’une approche plutôt systémique que sectorielle ou partielle à
l'aide d'une méthode d'approche directe lors de nos investigations, en abordant le thème sous
tous les angles possibles afin de saisir sa véritable dimension et arrêter une stratégie adéquate
pour combattre la corruption.
La thèse est construite sur la base d’un raisonnement descriptif. Le traitement de la
problématique de la corruption est empreint de la démarche académique pour l’étude de faits
sociaux, économiques et politiques fondant les comportements corruptifs ainsi que les
pratiques clientélistes intégrant dans son analyse ses multiples manifestations systémiques,
afin de saisir le fonctionnement dynamique de la corruption et de tracer une stratégie
opérationnelle dans une démarche normative, adoptant des politiques « anticorruption »
réalistes.
La travail de recherche s’appui sur les analyses de l’approche fonctionnaliste du
courant de pensé libéral focalisée sur les moyens à mettre en œuvre pour un capitalisme
libéral, ainsi que l’approche structuraliste qui porte ses choix sur l’intervention publique pour
la consolidation du développement social et économique. P. Meyer-Bisch (1997) se demande
dans quelle mesure il est possible de ranger en deux catégories les règles structurant le
fonctionnement du système et celles obéissant à une norme d’éthique. Parmi les règles
fonctionnelles, il a relevé en particulier ‘‘la transparence de l’information, une juste
rétribution de la créativité, une garantie de la propriété, la jouissance du temps indispensable
à la conception et à la cohérence de son activité, le respect de la libre concurrence’’. Et pour
les normes éthiques, il fait référence à l’ensemble des droits de l’homme, des droits
économiques et sociaux. Nous avons aussi fait appel d’un côté aux courants de pensée des
sciences économiques. La nouvelle économie politique (NEP) qui intègre l’analyse des
phénomènes politiques dans le champ de la science économique, en prenant en considération
le fait que la théorie économique appréhende la question de la corruption sous deux aspects
fondamentaux. Le premier considère la corruption comme un processus exogène à la politique
et le second considère au contraire que c’est un processus endogène. Et de l’autre coté aux
différentes théories : de la gouvernance, des groupes de pression, de la recherche de rente
intégrant sa forme de plus-values spéculatives, des jeux, du gaspillage bureaucratique et de
l’économie de l'information.
11
INTRODUCTION GENERALE
Notre thèse s’articulera à la fois entre les traitements théoriques soutenus sur des
théories de l’économie politique et les aspects pratiques des données collectées des enquêtes.
Elle est structurée autour des deux parties. Nous tenons à signaler que dans le texte de la thèse
nous employons de nombreux concepts qui renvoient à celui de la corruption comme ceux de:
clientélisme, mauvaise gouvernance, lobbying, prédation, captation, recherche de la rente,
pots-de-vin, piston, vol, détournement de fonds, absence de transparence, l’illégalité, l’abus
de confiance, l’immoralité, gain facile, malversation, patrimonial, néo-patrimonial…etc.
L’objet de la première partie de la thèse, intitulée approche théorique du phénomène
de la corruption, est de rechercher des arguments situant le phénomène de la corruption à
travers l’analyse et l’interprétation des aspects de la corruption constatés par des historiens ou
des analyses réalisées par les différents chercheurs. Elle comporte quatre chapitres.
Dans un premier temps, pour introduire le sujet, nous avons préféré dans le premier
chapitre introductif présenter les caractéristiques générales de l’espace territorial de l’Algérie.
Suivra par le développement de la méthodologie de notre recherche qui permet de décrire la
démarche et l’approche adoptées lors de l’investigation pour la collecte d’informations et les
données de base du sondage de notre enquête, avec une présentation succincte du
questionnaire, ainsi que les composantes des enquêtés. Dans un second temps la thèse traite
des méthodes d’estimation et de la perception de la corruption à travers les indicateurs
élaborés par les institutions internationales et les ONG pour mesurer la perception de la
corruption et déterminer le niveau et la qualité de la gouvernance.
La complexité du contexte de l’évolution de l’Algérie contemporaine exige de
recentrer la thèse sur l’étude des aspects historiques inhérents à ses différentes phases
marquant les manifestations des pratiques de la corruption. Il s’agit d’étudier la genèse
décrivant dans un ordre chronologique les influences en termes de gouvernance subie durant
les différentes occupations articulées à celles qui ont guidé le processus d’indépendance et
d’édification de l’Etat-nation. Le chapitre deux nous conduit à l’analyse de ces aspects dans
une optique basée sur une vision objective du phénomène de la corruption. Il met en évidence
la reconduction et le développement des pratiques clientélistes corruptibles héritées du passé
colonial et surtout depuis l’accession de l’Algérie à l’indépendance suivie par l’instauration
d’un système de gouvernance gangréné par ces pratiques,
cultivant par ailleurs le
comportement de recherche de rente des recettes pétrolières. Dans le prolongement du
premier chapitre, nous examinons le mode de gouvernance qui a prévalu depuis 1962 en
12
INTRODUCTION GENERALE
Algérie, mode basé sur la légitimité historique, le régionalisme, le clanisme, excluant l’esprit
critique et souffrant largement d’absence de crédibilité et légitimité politique. Des conditions
favorisant le développement des comportements prédateurs et de captation de la rente,
particulièrement en périodes de crises et de réformes.
Le troisième chapitre consacré aux cadres conceptuels, aux définitions et théories de la
corruption cherche, en mobilisant les multiples approches théoriques et pratiques, à apporter
des réponses à la complexité qui se pose lorsque l’on cherche à définir le phénomène de la
corruption
se manifestant partout sous diverses formes, avec des appréciations qui se
distinguent en fonction des législations et attitudes adoptées dans chaque pays. Il est question
de montrer les obstacles et les contraintes que l’on rencontre lorsque l’on définit la corruption
à travers ses multiples dimensions passives ou actives, grandes ou petites impliquant des
approches pluridisciplinaires (juridiques, sociologiques, anthropologiques, économiques et
culturelles). Aussi, son traitement d’un point de vue de l’économie politique nous a permis de
mobiliser les différentes références théoriques focalisées sur celles des rentes plurielles,
générant la recherche de la rente spéculative source de corruption fragilisant les institutions
étatiques. Dans le même sillage, après avoir évoqué les motivations déterminant l’apparition
des stratégies corruptrices, ce chapitre relève les grandes typologies qui peuvent caractériser
la définition de la corruption.
Le chapitre quatre complète en partie le chapitre trois en traitant des causes et
conséquences de la corruption en fonction des approches globales macroéconomiques ou
microéconomiques cernant et caractérisant les comportements corruptifs des individus
évoluant indépendamment, selon les contextes spatio-temporels, dans des environnements
façonnés par les différentes natures et les rôles de l’Etat.
Au-delà des formes, des déterminants, des causes et conséquences de la corruption, nous
étudions, aussi, les similitudes du phénomène de la corruption à celui de l’économie
informelle, plus précisément afin d’en déduire la manifestation des conséquences communes à
partir des points de leurs jonctions. D’expliciter comment les logiques de fonctionnement des
deux phénomènes se structurent en réseaux systémiques dans une dynamique concurrentielle
adaptative, parallèlement aux structures formelles de l’Etat, qui par conséquent se fragilise.
Par ailleurs, il est intéressant d’étudier la diversité des manifestations de la corruption dans les
systèmes politico économiques qu’ils soient de types soviétique (socialiste) ou libéral afin de
saisir les influences qu’a connu le modèle algérien en matière de pratiques de la corruption.
13
INTRODUCTION GENERALE
Mais aussi, de mettre en évidence la nature patrimoniale du régime algérien avant l’apparition
du Néopatrimonialisme entretenant la confusion entre les domaines privés et publics, à la
faveur de l’imposition d’un pouvoir décisionnel personnel tentaculaire confortant la
corruption systémique et généralisée.
La deuxième partie de la thèse abordée de façon empirique à la fois les pratiques du
phénomène de la corruption en Algérie et la genèse de la lutte anticorruption aux niveaux
international, régional et national, en proposant à la fin après l’analyse des faiblesses des
suggestions comportant des éléments militant en faveur de la prévention et de la lutte contre la
corruption en Algérie. Cette partie comprend trois chapitres illustrés par l’analyse des
résultats de nos enquêtes dont celle de la base des données de notre sondage.
Nous examinons dans le chapitre cinq, consacré au système productif, le
développement, l’expansion et les mutations des diverses formes de la corruption à l’échelle
microéconomique durant les phases de prédominance du secteur public administré par l’Etat
central et celle marquant la transition vers l’économie de marché à travers les politiques
économiques engagées par l’Algérie (politiques salariales, mode de recrutement, la
compétitivité…). Nous montrons comment la corruption affecte les entreprises productives,
en analysant les programmes et les politiques de privatisation et en étudiant surtout les
circuits des micro-entreprises créées dans le cadre des dispositifs de l’emploi des jeunes.
Nous appuyons nos résultats quantitatifs par des analyses concluant sur les entraves
empêchant l’instauration d’une économie productive, notamment: -la domination des logiques
corruptives rentières clientélistes dans le système productif national, les privilèges et l’opacité
dans la gestion que nous illustrons dans le dispositif ANSEJ ; - la prolifération de la
contrefaçon, entrainant une concurrence déloyale aux entreprises intègres, en particulier celle
du secteur public (exemple des entreprises publiques locales) poussées à la faillite dans le but
de les privatiser ; - et la démonopolisation du commerce extérieur au profit des barons du
système rentier et des groupes de pression privés imposant de nouveaux monopoles privés
segmentant le marché des importations. Nous déroulons dans ce dernier point le goulot
d’étranglement du système productif national sous-tendant l’économie de Bazar, facteur à
l’origine des blocages et du ralentissement des investissements productifs nationaux et
Investissement Directes Etangers (IDE) capable d’entrainer une croissance en dehors du
secteur des hydrocarbures.
14
INTRODUCTION GENERALE
Par notre traitement dans le chapitre six de la corruption dans le système politico
administratif, nous cherchons à apporter davantage d’éclairages sur la qualité du mode de
gouvernance et le fonctionnement institutionnel du système algérien qui s’est octroyé un
statut prédominant dans la gestion et la répartition des richesses nationales et des rentes y
afférentes. En effet, la présence quasi permanente des pratiques de la corruption politique
dans l’ensemble les milieux politiques durant toutes les étapes traversées (parti unique ou de
multipartisme « unique ») ne peut être perçu sans l’analyse de la dynamique manipulatrice du
pluralisme politique à travers l’imposition des règles régissant les partis politiques et les
compétitions électorales ayant entrainé implicitement la mise sous contrôle des différents
pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) discréditant et disqualifiant tacitement le processus
de démocratisation engagé en 1988.
Nous tâchons d’expliquer comment se propage la corruption dans les administrations et les
collectivités locales suite aux interférences entre les différents pouvoirs, en particulier
l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire causant l’impunité. La mutualisation des intérêts
des acteurs du monde politique inféodés aux hommes d’affaires (bailleurs de fonds) infantilise
la noblesse de l’action politique dépouillée de son soutien populaire au profit d’un système de
pouvoir discrétionnaire au service des privilégiés et des clientèles du régime. La thèse cherche
à apporter des réponses à la question de la moralisation de la vie politique et aux problèmes de
la dépendance du monde politique et des sphères financières occultes favorisant le recours aux
pratiques opaques dans la gestion des fonds mobilisés particulièrement durant les périodes
électorales.
Afin de saisir le fonctionnement du système de corruption dans sa complexité la thèse permet
d’analyser la conjonction d’intérêts impliquant les fonctionnaires et les élus locaux au niveau
des collectivités locales alimentant le système de corruption clientéliste avec ses
prolongements soutenus par des parrains produisant des législations facilitant la liquidation du
patrimoine immobilier de l’Etat. Le choix des secteurs des douanes, de la justice et de la santé
avec les lobbies du médicament étudiés abonde dans le même sens.
Enfin, nous montrons, en premier lieu, dans le chapitre sept lié aux stratégies et
politiques adoptées face au phénomène de la corruption, - à travers le long cheminement qu’a
connu la lutte contre la corruption au niveau international suscité par les initiatives des
organisations gouvernementales et non gouvernementales avant l’adoption des conventions
dans le cadre des structures des instances internationales, régionales et nationales -, les
15
INTRODUCTION GENERALE
motivations ayant poussé les différents groupements de pays à soutenir la démarche et à
s’impliquer dans la lutte contre la corruption ; en second lieu la place de l’Algérie dans cette
dynamique, en exposant l’évolution de sa position et en retraçant le traitement réservé à la
problématique de la corruption par les institutions de l’Etat depuis 1962. La thèse démontre
l’instrumentalisation des textes ratifiés par l’Algérie pour les utiliser dans le cadre des
règlements de compte ou de la protection des responsables et des proches du régime au niveau
interne et de soigner l’image de marque des gouvernants auprès des instances internationales.
En analysant les textes consacrant la lutte contre la corruption en Algérie nous concluons sur
le rapport de dépendance de l’appareil judiciaire et des organes chargés de cette mission
(Cours des Comptes, IGF…) vis-à-vis de la tutelle, de l’exécutif ou des dominateurs. Nous
développons de nombreux arguments soutenant cette thèse qui se déclinent par l’absence de
stratégie et de politique anticorruption (aucune résolution susceptible d’amorcer des initiatives
dans ce sens n’est engagée), le manque de volonté politique, la marginalisation de la société
civile, le musèlement des médias.
Au-delà des aspects normatifs de la lutte contre la corruption qui ne sont pas d’ailleurs
imperfectibles, nous terminons cette thèse par des propositions à matérialiser pour mener
positivement une stratégie et des politiques en faveur de la prévention et de la lutte contre la
corruption en Algérie. Pour cela il est question de proposer d’abord un ensemble de postulats
constituant des préalables dont ceux de la représentation, de la légitimité politique basée sur
un mode de gouvernance démocratique et l’existence d’une volonté politique loin des
amalgames ou des confusion; puis un programme d’action et de réforme aptes à entrainer des
coalitions impliquant toutes les franges de la société représentées dans les organisations de la
société civile au sens large et noble du terme, ainsi, que les institutions à tous les niveaux
cordonnées dans un cadre transparent protecteur les victimes et les dénonciateurs de la
corruption.
16
Première partie :
Approche théorique
du phénomène de la
corruption
Première partie : Approche théorique du phénomène de la corruption
INTRODUCTION
DE LA PREMIERE PARTIE
: APPROCHE
THEORIQUE DU PHENOMENE DE
LA CORRUPTION
Le fléau de la corruption est un phénomène à la fois complexe et multidimensionnel
qui caractérise toutes les sociétés. Il se manifeste tant dans les pays développés, comme il
affecte tous les pays en développement, d’ailleurs souvent stigmatisés, en particulier depuis la
prise de conscience sur les effets dévastateurs qu’il cause en terme de développement, en
affaiblissant l’impact des actions que mènent les gouvernements dans la lutte contre la
pauvreté et en aggravant les vulnérabilités des populations.
La tendance à la généralisation de l’usage du vocable de la corruption, à la mode, par les
théoriciens et praticiens, malgré son universalité, n’exclue pas les difficultés à trouver une
définition consensuelle contenant ses diverses formes traitées, ‘‘certains de ces traits sont
communs et peuvent se résumer dans quelques lois très simples, alors que d’autres aspects
sont spécifiques à l’environnement ou elle œuvre.’’ J. Cartier-Bresson (1994). Un obstacle
majeur à son appréhension en portant le choix entre une définition restreinte ou étendue.
Dans cette partie, consacrée à l’approche théorique du phénomène de la corruption,
nous nous fixons l’objectif d’analyser et d’interpréter à partir de la littérature abondante
traitant de notre sujet et des faits que relatent des historiens dans les travaux focalisés sur les
plans juridiques, sociologiques, anthropologiques… etc. Il s’agit de saisir les contours et les
enjeux particulièrement dans les pays en développement, afin de mieux appréhender le cas de
l’Algérie.
Dans ce sens, après la présentation dans le chapitre introductif de l’espace territorial, de la
méthodologie, de l’objectif et des approches adoptées dans la collecte des données de notre, il
sera question d’aborder dans trois chapitres successifs:
-en premier lieu, la question de la genèse et de l’histoire du phénomène de la corruption, de
voir son évolution en étudiant la complexité de ses transformations dans un ordre
chronologique, en mettant en articulation les différentes périodes historiques indispensables à
la compréhension de l’Algérie contemporaine ;
-puis, en second lieu, le cadre conceptuel consacré aux définitions et aux théories de la
corruption, en tenant compte de la multitude d’approches multidisciplinaires, traitant de son
ampleur variable à plusieurs facettes et de ses multiples manifestations, des dimensions
17
Première partie : Approche théorique du phénomène de la corruption
juridiques et socio-anthropologiques de la corruption, de l’économie politique de la
corruption, des typologies et des stratégies corruptrices ;
-et enfin, en troisième lieu, des causes et des conséquences de la corruption, de ses similitudes
au phénomène de l’économie informelle, de l’expression des pratiques de la corruption dans
les systèmes politico-économiques.
18
Chapitre I :
Présentation des
espaces
d’investigation et
de l’échantillon
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
Premier
chapitre: Présentation des
espaces
d’investigation et
de
l’échantillon
Introduction
La société algérienne a connu plusieurs mutations. La première phase remonte
à l'époque coloniale où des variables exogènes à la société traditionnelle autochtone sont
introduites, en transformant l'espace de vie de chaque territoire conquis ; la deuxième phase,
exogène, provient de la politique de développement économique et social touchant au modèle
de développement conçu durant les années 1970, introduisant les variables d'industrialisation
"moderne" face au modèle de système de production traditionnel, artisanal et retardataire.
Cette politique préconisée par l'industrialisation des espaces locaux a induit de nouvelles
tendances au sein de l'économie algérienne. Elle a connu deux phases essentielles : la
première est celle de la forte création d'emploi, où l'on a recruté des masses de main-d'œuvre
d'origine rurale (les sureffectifs), abandonnant le système de production traditionnel, se
substituant par des occupations dans les unités industrielles ; la seconde est celle de la
stagnation et du ralentissement de la création d’emplois et ce, durant la fin des années 80 et la
décennie 90, correspondant à la période de désinvestissement dans le secteur public, avec
comme conséquence directe la crise du chômage, laquelle entraînera subséquemment le
développement des comportements rentiers, l’avènement de l’économie de bazar et la
multiplication des pratiques corruptives.
L’objet de ce chapitre consiste à faire une présentation de l’espace territorial et les données de
l’enquête menée à ce propos. Le cadre méthodologique et les approches adoptées.
Nous allons, d'abord, voir dans la première section de ce chapitre l’espace territorial de
l’enquête. Nous présenterons, en premier lieu, les aspects liés à la population et à l’évolution
démographique ; en deuxième lieu, les caractéristiques du territoire notamment les données de
l’activité économique, quelques indicateurs économiques et de développement, l’emploichômage, le PIB, les programmes de relance économique et de croissance de la dernière
décennie, et puis les ressources de l’Algérie ainsi que leur répartition.
Ensuite, nous traiterons dans la deuxième et troisième section de l’échantillon et de la
méthodologie. Dans la présentation de notre échantillon, nous passerons en revue l’approche
adoptée pour le choix de l’échantillon et les caractéristiques du questionnaire, des individus
19
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
enquêtés et la répartition spatiale. Puis, nous allons voir la méthode et les objectifs globaux de
l’enquête, les conditions de son déroulement et les contraintes rencontrées, ainsi que les
supports exploités et la démarche suivie.
Dans ces deux sections, nous tâcherons de montrer l’image qui ressort des résultats de nos
enquêtes sur le sujet de la corruption à travers les choix méthodologiques et les contraintes de
terrain que nous avons cherché à surmonter durant nos enquêtes directes et indirectes.
Enfin, dans la quatrième section du chapitre, nous allons traiter des bases de données
existantes. Il s’agit de passer en revue la problématique des estimations et la perception de la
corruption en exposant quelques méthodes existantes que les institutions internationales et les
ONG utilisent pour la mesure de la corruption et de la gouvernance à travers des indicateurs
élaborés, notamment les indices composantes. Nous allons terminer par la présentation des
modes de gouvernance, les critiques et ses enjeux, en mettant en exergue l’introduction de la
perception de la corruption parmi les indicateurs de la bonne gouvernance.
20
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
SECTION I : du milieu des investigations
L’Algérie est peuplée à l’origine des Imazighen1. Elle a connu plusieurs invasions
successives qui occupèrent l'Afrique du Nord en général (les Phéniciens, les Grecs, les
Romains, les Vandales, les Byzantins, les Arabes, les Turcs, les Espagnols, les Italiens, les
Américains et les Français) qui ont eu tous leurs apports civilisationnels et leur part dans ce
que l'on appelait alors Tamazgha2. Ces apports se manifestent à travers les modes de vie, les
comportements, les rites, les croyances, les habitudes vestimentaires, l'organisation, le cadre
bâti, etc. Il est très difficile, à ce stade, de situer les niveaux d'influence des uns sur les autres.
1-1/ Territoire, espace et géographie
Le territoire de l’Algérie, deuxième pays d’Afrique, recouvre une étendue de
2 381 741 Km2. Il partage des frontières avec le Maroc, la Mauritanie, le Mali, le Niger, la
Tunisie et le Lybie. Le nord de l’Algérie où la plus grande partie de la population est
concentrée sur le long des côtes ne couvre que 381 000 Km2 du territoire.
1-1-1/ Population et démographie
Selon les estimations de l’office national des statistiques, au 1er janvier 2013 la
population résidente en Algérie a atteint 37,9 millions d’habitants et elle évoluera en janvier
2014 à 38,7 millions d’habitants avec 978 000 naissances vivantes et 170 000 décès annuels.
Le tableau suivant représente l’évolution de l’espérance de vie à la naissance durant la période
2006-2010.
Tableau n° 01 : Évolution de l’espérance de vie à la naissance (en années)
Années
2006
2007
2008
2009
2010
Hommes
74.7
74.7
74.8
74.7
75.6
Femmes
76.8
76.8
76.4
76.3
77.0
Ensemble
75.7
75.7
75.6
75.5
76.3
Sexe
Source : données de l’ONS.
1
2
Hommes libres, nom d'origine des habitants de l'Afrique du Nord.
Territoire de l’Afrique du nord, étendu de Siwa en Egypte jusqu’aux îles canaris de l’Espagne.
21
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
Le découpage administratif de 1984 a divisé l'Algérie en 48 wilayas. La wilaya
constitue une circonscription administrative déconcentrée, intermédiaire entre l’Etat central et
les collectivités locales. Elle est dotée d’une assemblée élue, en l’occurrence l'Assemblée
populaire de wilaya (APW), qui est placée sous l'autorité d'un Wali (préfet) nommé par le
président de la République. La Wilaya est composée de plusieurs Daïras. Chaque Daira
regroupe une ou plusieurs communes. Actuellement, le nombre de communes est de 1541.
Les élus constituent l’instance délibérante au niveau d’une mairie, qui élit l’exécutif
communal.
Tableau n° 02 : la répartition des habitants par wilaya en 2007.
Wilayas d'Algérie par habitants
N° Wilaya
Pop. (2007)
1 Adrar
396 047 habitants 25 Constantine
942 668 habitants
2 Chlef
1 013 655 habitants 26 Médéa
828 855 habitants
3 Laghouat
466 082 habitants 27 Mostaganem
746 451 habitants
N° Wilaya
Pop. (2007)
4 Oum-El-Bouaghi 643 662 habitants 28 M'Sila
988 185 habitants
5 Batna
1 126 809 habitants 29 Mascara
779 888 habitants
6 Béjaïa
915 819 habitants 30 Ouargla
549 781 habitants
7 Biskra
721 486 habitants 31 Oran
1 382 980 habitants
8 Béchar
271 748 habitants 32 El-Bayadh
229 208 habitants
9 Blida
1 009 752 habitants 33 Illizi
51 836 habitants
10 Bouira
694 030 habitants 34 Bordj-Bou-Arreridj 634 272 habitants
11 Tamanrasset
178 949 habitants 35 Boumerdès
795 019 habitants
22
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
12 Tébessa
650 760 habitants 36 El-Taref
411 756 habitants
13 Tlemcen
944 093 habitants 37 Tindouf
52 920 habitants
14 Tiaret
837 877 habitants 38 Tissemsilt
295 918 habitants
15 Tizi-Ouzou
1 119 646 habitants 39 El Oued
643 745 habitants
16 Alger
2 947 446 habitants 40 Khenchela
384 146 habitants
17 Djelfa
1 164 870 habitants 41 Souk Ahras
439 996 habitants
18 Jijel
634 412 habitants 42 Tipaza
617 661 habitants
19 Sétif
1 495 403 habitants 43 Mila
767 639 habitants
20 Saida
327 929 habitants 44 Aïn Defla
771 066 habitants
21 Skikda
904 131 habitants 45 Naâma
194 419 habitants
22 Sidi Bel Abbès
600 497 habitants 46 Aïn Témouchent
368 608 habitants
23 Annaba
639 816 habitants 47 Ghardaïa
373 688 habitants
24 Guelma
481 800 habitants 48 Relizane
732 294 habitants
Source : ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales (Algérie).
Plus de 80% de la population est établie au nord de l’Algérie. La wilaya d’Alger, la
plus peuplée du pays, compte à elle seule prés de 10% de la population globale. Alors que les
wilayas du sud, malgré l’attractivité économique des villes à l’industrie pétrolière et gazière
(Hassi Messaoud et Hassi R’mel), ne connaissent pas le même rythme dans leur peuplement.
Néanmoins, une partie de la population installée dans le Sud est nomade, elle entretient des
échanges commerciaux sur tout le long des frontières.
Selon les estimations de l’ONS, le taux d’analphabétisme en Algérie représentait 21,3% en
2007, soit 6,4 millions de citoyens ne sachant ni lire ni écrire. Les femmes sont les plus
touchées par l’analphabétisme, elles représentent deux fois le nombre par rapport à celui des
23
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
hommes. Les résultats du dernier RGPH de 2008 indiquent un taux d’alphabétisation de
74,9%. Ce qui réévalue le taux d’analphabétisme à la hausse pour atteindre 24,6%.
Selon les statistiques officielles, le chômage des jeunes serait passé de 45% à moins de 20%
entre 2003 et 2008, chiffre que beaucoup d’économistes considèrent comme étant largement
sous-estimé et ils le situent plutôt entre 30 à 40%. Le taux de chômage déclaré officiellement
en 2010 tourne autour de 12% de la population active.
1-1-2/ Territoire
L'Algérie est bordée au nord par la mer Méditerranée (le plus grand pays du pourtour
méditerranéen) avec plus de 1200 Km de côtes; à l'est par la Tunisie et la Libye ; au sud par le
Niger et le Mali ; au sud-ouest par la Mauritanie et le Sahara Occidental, et, à l’ouest par le
Maroc. Le sol et sous sol de l’Algérie contient des richesses diversifiées. Son territoire
possède les principaux gisements (localisés essentiellement dans la région du Sud pour le
pétrole et le gaz) parmi les plus importants dans le monde. En plus des hydrocarbures (le pays
est l’un des plus importants producteurs et exportateurs de gaz naturel et de pétrole), l’Algérie
dispose d’une exploitation minière très diversifiée, comprenant fer, sel, zinc, plomb, baryte,
marbre, or, tungstène, diamant et pierres précieuses. En plus du phosphate et de l’uranium, le
territoire algérien, sans compter ses parties non explorées, renferme d’importantes ressources
végétales réparties sur les côtes, les plaines, les montagnes, la steppe, le Sahara et autour des
points d’eau.
L’importance de ces richesses rend l’économie algérienne vulnérable. Elle l’a maintient sous
la dépendance de la rente, provenant des exportations des hydrocarbures, qui fluctue en
fonction des cours de change et des prix mondiaux. Un modèle économique qui continue, en
fait, d’entretenir l’illusion tant la rente pétrolière sert bien à couvrir les mauvais choix, les
détournements et les gaspillages des richesses, de même qu’elle permet de supporter les
factures faramineuses des importations qui ne cessent d’augmenter au détriment de la
production locale génératrice de valeur ajoutée, facteur indiquant le niveau de la croissance
économique. Une situation qu’illustre le tableau suivant de l’Office national des statistiques,
qui reprend le bilan des ressources et emplois de la nation en biens et services.
24
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
Tableau n° 03 : Bilan des ressources et emplois de la nation en biens et services 2000/2009
Source ONS.
La structure du PIB se caractérise par une prédominance des secteurs des
hydrocarbures suivis par les services et le secteur du BTP. De l’année 2000 à 2009, les
importations des biens et services ont été multipliées par 4, alors que le passage vers
l’économie de marché présupposait la substitution de la production locale aux importations
afin de réduire la dépendance alimentaire et amorcer une industrialisation. Et ce nonobstant la
forte croissance économique enregistrée dans le secteur du BTP, qui est due aux nombreux
projets inscrits et lancés dans le cadre des plans de relance économique. 4
La construction de logements, sociaux en particulier, est loin de répondre à la demande
dépassée par l'accroissement démographique et les faibles réalisations de logements cumulés
durant les décennies précédentes. Pour palier à ce déficit, des constructions sont réalisées à
‘‘la va-vite’’, dans des conditions financières souvent occultes, et ce, sans respecter les
normes qui s’imposent dans le secteur du bâtiment, devenu ainsi source de malversation.
Durant la période 2004-2009, un programme de soutien à la relance économique a été engagé
avec une enveloppe budgétaire de 60 milliards USD destinée à l'amélioration des conditions
25
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
de vie, le développement des infrastructures de base, le soutien au développement
économique, la modernisation du service public et le développement des nouvelles
technologies de communication. Dans ce cadre, les transferts sociaux de l’Etat ne cessent
d’accroitre.
En 2008, la part du budget de l’Etat au plan social (soutien aux familles défavorisées, aide à
l’habitat, subvention des prix des produits de première nécessité, accès à la santé…, etc.)
avoisine les 13% du PIB. Les programmes ambitieux sont inscrits dans ce quinquennat, sans
pour autant se soucier des surcoûts engendrés par la mauvaise gouvernance héritée du passé,
particulièrement de la décennie rouge du terrorisme. De ce fait, tous les grands projets se
retrouvent le plus souvent entachés de pratiques de corruption qui ternissent l’image et la
crédibilité des institutions de l’Etat et du personnel politique, comme l’atteste les scandales
rapportés la presse algérienne et étrangère. Les récentes révélations sur certains scandales,
ayant éclaboussé de hauts responsables de l’État, illustre à juste titre la dimension
pandémique des pratiques corruptives. Toute la direction de la Sonatrach, poumon de
l’économie algérienne, a démissionné et/ou est poursuivie en justice suite aux pots-de-vin
distribués dans près de 1600 contrats. Tandis que les contrats afférents à la construction de
l’autoroute Est-Ouest ont donné lieu à près de 530 millions de dollars (chiffre divulgué dans
les médias) de commissions.
Ainsi, dès lors que les rentes émanant des richesses de l’Algérie ne sont pas réparties
équitablement, la pauvreté touche de nombreuses couches de la société (près de 20% de
citoyens vivent en dessous du seuil de pauvreté au moment où le pays croule sous des tonnes
de réserves de devises). Malgré les immenses revenus générés par les exportations du gaz et
du pétrole, la société algérienne est confrontée à d’énormes problèmes en matière de
logement, d'emploi, d'éducation, de santé, de culture…, etc. Les revenus de cette rente ne
profitent, pour ainsi dire, qu’à quelques privilégiés faisant partie des cercles occultes du
régime et de sa clientèle.
26
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
SECTION II : Présentation de l’échantillon
2-1/ L’approche des enquêtes et de l’échantillonnage
Dans le but de pouvoir assurer une bonne représentativité de l'échantillon et garantir
une meilleure précision et une fiabilité des résultats globaux de l'enquête-sondage, nous avons
choisi a priori une démarche large non restrictive, ouverte à toutes les catégories et couches
sociales de la société. L'unité de l'enquête est l'individu, actif ou non actif au moment du
déroulement du sondage. Il s'agit de toucher un nombre important d’individus représentant un
large éventail d’activité. Le nombre d'individus de l'échantillon pour chaque wilaya intégrée
dans l’enquête n'est pas proportionnel à la population recensée.
Nous n’avons pas recouru totalement aux techniques probabilistes qui visent la constitution
d’un échantillon représentatif de la population dans le but de généraliser les résultats obtenus
à l’ensemble qui l’a compose. Nous n'avons pas pu prendre un échantillon au pourcentage, car
la base de données est très large, alors que les moyens matériels et humains dont nous
disposions sont très limités.
Le thème de notre recherche vise plutôt à discerner des déterminants aussi bien qualitatifs que
quantitatifs. En partie nous avons utilisé la technique d'échantillonnage stratifié. Cette
technique a permis de répartir le questionnaire en catégories socioprofessionnelles ou en souspopulations appelées "strates" présentant des caractères similaires.
Toutefois, nous avons utilisé les techniques non probabilistes, appelées aussi occasionnelles.
Plus précisément la technique non probabiliste d’échantillonnage accidentel (non pas
l’échantillonnage volontaire, par choix raisonné et par quotas) qui consiste tout simplement à
prendre les individus qui se présentent accidentellement, car dans ce mode d'échantillonnage,
il n'existe aucun moyen probabiliste permettant de garantir que chaque élément sera inclus
dans l'échantillon. Ces techniques ne visent pas à constituer des échantillons représentatifs.
Les résultats obtenus de ces échantillons constituent une base de données facilitant la
déduction pour tirer des idées, des intuitions, des appréciations, des perceptions, des
motivations relatives à notre thème de recherche.
Le choix de la technique pour la réalisation du travail d'enquête-sondage, est le résultat
de la combinaison des techniques probabilistes (techniques d'échantillonnage stratifié) que
nous avons exploitées pour stratifier la répartition du questionnaire par rapport au secteur
d’activités avec la technique non probabiliste (l'échantillonnage accidentel) qui nous a permis
27
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
d’atteindre le nombre de 657 individus enquêtés (qui ont répondu au questionnaire) de
l'échantillon que nous avons souhaité atteindre dès le départ.
Le second questionnaire, plus détaillé, nous a permis de mener des entretiens avec une
variété d’acteurs ayant occupé des fonctions dans les institutions de l’Etat, des universitaires,
des chercheurs, des journalistes d’investigations, des politiques qui ont eu à traiter le sujet de
la corruption directement ou indirectement dans leur travaux ou activités.
Une partie des individus enquêtés a eu à répondre par écrit au questionnaire élaboré dans ce
cadre, avant de se prêter à un entretien pour approfondir certaines réponses du domaine de
compétence de chacun des concernés. L’autre partie, avec qui nous avons organisé des
rendez-vous, a répondu directement aux questions posées. Il arrive parfois que les entretiens
se déroulent en deux séances lorsque l’on relève la nécessité de revenir sur certaines réponses.
Ces entretiens libres ont été soit faits avec une prise de note, soit enregistrés (avec
l’autorisation de l’intéressé) puis transcrits. Aussi faut-il préciser que les contenus ont été
adaptés au profil des acteurs enquêtés, selon leurs expériences et les données recherchées,
dans le cadre d’un anonymat total.
L’objectif de ce travail d’enquête qualitatif est de trouver les déterminants explicatifs des
causes et des effets relatifs aux pratiques de la corruption, afin de proposer une stratégie
adéquate à la lutte anti-corruption.
2-2/ Le questionnaire-sondage
L’enquête-sondage s’est déroulée durant 6 mois grâce à la contribution de prés de 50
personnes qui ont pris en charge la distribution, la collecte et le travail d’enquête de terrain.
2-2-1/ Des caractéristiques du questionnaire de l’enquête
Le questionnaire est composé des cinq rubriques suivantes (voir annexe I):
A – Identification : cette rubrique nous renseigne sur la position de l'enquêté, le sexe, l’âge,
l’activité et le lieu de son exercice, le statut de l’entreprise ou de l’entité, le niveau scolaire et
de responsabilité, l’ancienneté, le revenu, ainsi que sur la définition de l'activité principale, de
l'activité secondaire et l’appartenance aux organisations.
28
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
B – 4 Questions sur l’appréciation de la corruption.
C – 11 Questions sur la perception de la corruption.
D – 8 Questions sur les causes à l’origine de la corruption.
E – 4 Questions sur la dynamique des relations internationales et son impact sur l’économie
nationale.
F – 8 Questions sur les politiques anti-corruption.
Les questions en grande partie ont été élaborées dans un mode fermé. Certaines questions ont
été laissées ouvertes volontairement pour recueillir les appréciations qualitatives et combler
les subjectivités contenues dans le questionnaire.
2-2-2/ Répartition de l’échantillon enquêté
Nous allons présenter dans ce point les grandes tendances caractérisant les individus
enquêtés, et ce, à partir des résultats du dépouillement de notre échantillon.
A/ Au niveau spatial
L’espace territorial couvert par l’enquête a atteint 11 wilayas (département). Au
niveau du centre, autour de la capital, 115 individus pour Alger (la capital), Tipasa 25
individus et Boumerdes 28 individus. Au niveau de la région de la Kabylie, 234 individus à
Tizi-Ouzou (lieu de notre résidence), 36 individus à Bejaia et 27 individus à Bouira. La région
des Aures, 28 individus à Batna et 22 individus à Khenchela. La région de l’Est, 59 individus
à Constantine et 19 individus à Sétif. Et enfin la région de l’Ouest, 64 individus à Oran.
Le siège social des entités des individus enquêtés est parfois différent du lieu de
l’exercice de l’activité. Certaines entreprises choisissent, en effet, l’implantation du siège
social en fonction des impositions fiscales et parafiscales, soit sous une approche légale, et ce,
par rapport aux avantages offerts par la législation (il existe une nomenclature de
classification territoriale, en zones bénéficiant d’exonération allant de 5 à 20 ans), soit sous
une approche illégale, et ce, par rapport aux fonctionnaires chargés des impositions. C’est une
forme de recherche de paradis fiscaux.
29
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
B/ Selon âge et par genre
Tableau n°04: pyramide des âges des enquêtés
Ages
Valide
Effectifs
Moins DE 25 ANS
Pourcentage
51
7,8
DE 25 A 35 ANS
135
20,5
DE 35 A 45 ANS
186
28,3
DE 45 A 55 ANS
128
19,5
DE 55 A 65 ANS
51
7,8
PLUS DE 65 ANS
2
0,3
Total
553
84,2
Manquante Système manquant
104
15,8
Total
657
100,0
Source : résultats de notre enquête.
La majorité des enquêtés ont moins de 45 ans et dont 28,4%, soit 186 individus
enquêtés, qui ont moins de 35 ans.
Tableau n°05 : la répartition de l’échantillon selon le genre
Sexes
Valide
Manquante
Effectifs
Pourcentage
Féminin
168
25,6
MASCULIN
473
72,0
Total
641
97,6
16
2,4
657
100,0
Système manquant
Total
Source : résultats de notre enquête.
Les enquêtés par genre nous donnent 473 individus de sexe masculin, soit 72% des
enquêtés, ce qui représente le triple des individus de sexe féminin enquêtés.
C/ Par le niveau d’instruction
Plus de la moitié (56,8%) des enquêtés ont un niveau universitaire, soit 373 individus. Pour le
reste, soit ils n’ont pas de niveau scolaire et n’ayant aucune formation, soit ils ont atteint le
30
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
niveau scolaire moyen ou secondaire, qui représente la deuxième grande frange des enquêtés
avec 21,6% totalisant 142 individus enquêtés.
Tableau n°06 : niveau d’études des enquêtés
Niveau d’étude
Valide
Effectifs
Pourcentage
PRIMAIRE
15
2,3
COLLEGE
58
8,8
LYCEE
142
21,6
UNIVERSITAIRE
373
56,8
2
0,3
590
89,8
67
10,2
657
100,0
SANS NIVEAU
Total
Manquante Système manquant
Total
Source : résultats de notre enquête.
Malgré le nombre important d’universitaires, la majorité des enquêtés n’occupent
aucun niveau de responsabilité, soit 30,3%. Les grandes tendances de ceux qui ont une
fonction de responsabilité occupent des postes selon la répartition suivante : 15,2% : chef de
service ; 9,4% : premier responsable de direction ; 8,5% sont des gestionnaires ou cogestionnaires et 7,3% des cadres divers.
31
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
D/ Selon le poste occupé et revenus
Tableau n°07 : les revenus par apport au SNMG
Pourcent
Niveau des revenus
Effectifs Pourcentage
Valide
Manquante
Pourcentage
age
valide
cumulé
Moins DE 15 000 DA
56
8,5
11,3
11,3
15 000 à 30 000 DA
226
34,4
45,5
56,7
30 000 à 45 000 DA
117
17,8
23,5
80,3
45 000 à 60 000 DA
40
6,1
8,0
88,3
60 000 à 75 000 DA
26
4,0
5,2
93,6
PLUS DE 75 000 DA
22
3,3
4,4
98,0
CHOMEUR
10
1,5
2,0
100,0
Total
497
75,6
100,0
Système manquant
160
24,4
657
100,0
Total
Source : résultats de notre enquête.
La majorité des individus enquêtés ont un revenu qui dépasse le salaire national
minimum garanti (SNMG), dont 34 ,4% situés entre 15 000 et 30 000 DA et 17,8 % situés
entre 30 000 et 45 000 DA. Il y a 56 individus enquêtés, soit 8,5%, qui perçoivent un salaire
inférieur à 15 000 DA. Ces derniers constituent la catégorie la plus vulnérable au vu de la
faiblesse de leur pouvoir d’achat.
E/ Selon le secteur d’activité
La plupart des individus enquêtés appartiennent, par ordre de grandeur, au secteur
économique, administratif (fonctionnaire, enseignement…) et libéral (médecins, avocats…).
À noter que la majorité de cet échantillon ne dispose pas d’activité secondaire en plus de
l’activité principale.
F/ Autres caractéristiques de l’échantillon
La majorité des enquêtés appartiennent à des entités qui ont un nombre d’employés
inférieur à 50 salariés. Parmi ces entités 22,5% ont moins de 10 salariés et 20,4% ont entre 10
32
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
et 50 salariés. La troisième frange, la plus importante, a plus de 200 salariés et représente
23,9% constituée des entités appartenant au secteur administratif.
La date de début d’activité se situe à moins de 20 années pour près de 50% des enquêtés
tandis que 31,5% parmi eux capitalisent plus de 20 années d’existence. Ces derniers sont
constitués des fonctionnaires de l’administration publique.
La réticence à répondre à la question sur l’appartenance aux organisations de la société civile
et aux partis politiques est décelée dans le nombre des réponses manquantes qui regroupe 330
individus soit 50,2% des individus enquêtés. Le reste se répartit, selon l’ordre de grandeur,
comme suit : 19,6% pour les associations, 11,9% pour les partis politiques et 7,5% pour les
syndicats. Toutefois, il y a 2,7% qui sont adhérents à la fois aux partis politiques et
associations ; 1,1% adhérents aux partis et aux syndicats ; et 0,9% qui sont adhérents aux trois
organisations.
SECTION III : Méthodologie et objectifs de l’enquête
Afin de recueillir le plus de données exploitables pour notre sujet de recherche, nous
avons mis en œuvre une approche par questionnaire basée sur une méthodologie mixte. A la
fois quantitative et qualitative. L’approche qualitative se caractérise par l’importance de
l’objectif de description du phénomène de la corruption et les déductions découlant des
enquêtes quantitatives menées à l’occasion des entretiens. La méthodologie mixte possède
l’avantage de concilier les données quantitatives avec les interprétations et l’analyse des
résultats qualitatifs, permettant ainsi d’enrichir davantage harmonieusement et objectivement
les résultats de l’enquête.
Cette méthode est renforcée par les entretiens libres tenus avec les personnages maitrisant les
tenants et aboutissants de la question de la corruption, contrairement aux individus enquêtés
qui ne sont pas systématiquement des fins connaisseurs, aptes à distinguer les enjeux liés au
phénomène de la corruption, notamment le discernement entre la petite et la grande
corruption, celle des grands scandales politiques de celle du vécu quotidien où ils ont la
possibilité d’observer le phénomène, voire eux-mêmes recourir aux pratiques corruptives.
L’exploitation souvent tendancieuse et/ou aléatoire qui en est faite par les médias des
33
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
scandales de la corruption, s’accomplissant dans le secret et la clandestinité, fausse les
contours des débats, en déformant les faits et en détournant la vision des citoyens qui
subissent ainsi des influences sur la perception de la corruption.
Autrement dit, la perception de la corruption par définition est subjective. Ainsi, la mise en
place des indicateurs de perception de la corruption permet de collecter les données
subjectives, puisqu’elles sont construites sur des perceptions subjectivement et objectivement
orientées. A défaut d’avoir des données réelles et chiffrées des opérations de la corruption, qui
ne sont pas enregistrées vu leur caractère illégal, l’analyste se limite à produire uniquement
des estimations.
Il s’agit de collecter les données quantitatives et qualitatives suffisantes pour apprécier le
phénomène de la corruption et de proposer des remèdes. A travers le questionnaire, nous
recherchons à rendre disponible l’information publique, en la triant et en l’ordonnant pour la
rendre utile à la prise de décision.
L'objectif général du travail d’enquête est d’abord de constater l’ampleur du phénomène de la
corruption, les comportements relevant de son domaine. En deuxième lieu, il s’agit d'obtenir
les données quantitatives et qualitatives possibles, illustrées par des données statistiques et
structurées sous formes de tableaux ou de ratios. Et puis en troisième lieu, d’établir les liens
existants avec les aspects de la gouvernance, tels que les relations qu’entretiennent les entités
et les individus avec les fonctionnaires, l’administration et les institutions publiques.
Les objectifs principaux de l’enquête consistent en la recherche d’une représentation réelle et
objective la plus proche possible de la réalité, en dressant un diagnostic reflétant l’image et
l’ampleur de la corruption, en mettant en relief l’existence d’un impact et d’une
interdépendance avec la mauvaise gouvernance, ceci d’un côté ; et puis de proposer un cadre
définissant une stratégie de lutte contre la corruption basée sur la bonne gouvernance en
adéquation avec les valeurs de l’Algérie, d’un autre côté.
D’une façon générale l’enquête-sondage que nous avons menée auprès des individus a servi
essentiellement à recueillir des informations documentées sur l’appréciation et les perceptions
des citoyens à l’égard de la nature, de l’étendue et des manifestations du phénomène de la
corruption. Elle a permis de déterminer la régularité de la fréquence du phénomène de la
corruption et d’avoir une évaluation des coûts de la corruption pour la société.
Aussi, notre enquête, distingue dans la rubrique d’identification la catégorie des entreprises
par secteurs d’activité afin de saisir et d’évaluer l’attitude et la perception des responsables et
34
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
propriétaires des entreprises privées à l’égard de la corruption, notamment, son impact sur
l’activité économique, la croissance économique, le lien entretenu avec le monde des affaires
ainsi dans la mesure où elle est considérée comme facteur déterminant et interférant
directement dans l’environnement économique et le développement du secteur privé.
3-1/ Objectifs spécifiques
L’enquête menée a permis de collecter des informations selon le statut social, le genre, le
niveau d’instruction de l’enquêté et la région couverte par le sondage. Elle vise, par ailleurs,
les objectifs spécifiques suivants :
-
L’appréciation de la corruption : elle permet de déterminer l’attitude adoptée vis-à-vis
de la corruption et la place qu’elle occupe dans l’environnement socioculturel, en
distinguant la petite et la grande corruption.
-
La perception de la corruption permet :
A/ de cibler l’objectif de la classification des catégories concernées par le phénomène
de la corruption, son évolution depuis 10 années, soit la tendance générale de son
évolution dans le temps au sein des services qui sont les plus exposés au phénomène).
B/ de déterminer la qualité des relations entretenues avec les institutions selon les
secteurs d’activités, ce qui permet d’indiquer le type de gouvernance.
C/ d’apprécier les secteurs où la corruption est particulièrement importante dans
l’ordre de 4 grandeurs, allant de la rareté à la quasi fréquence du phénomène. Ceci tout
en identifiant les secteurs où la pratique de la corruption est déterminante.
D/ déterminer son importance à travers le nombre de personnes et les groupes de
personnes les plus vulnérables ainsi que les coûts inhérents à sa pratique et le taux de
l’évasion fiscale.
-
Les causes à l’origine de la corruption, en détectant les différents comportements, les
motivations de ceux qui s’adonnent à ses différentes pratiques. Un objectif qui passe
par la recherche des liens avec la nature du pouvoir algérien, le fonctionnement des
institutions économiques, sociales et culturelles et les origines historiques. Ainsi que la
qualité de l’environnement institutionnel, politique, administratif, fiscal, parafiscal et
le financement des activités politiques, et ce, sous le rapport des trafics d’influence
exercés par des lobbies et leur impact sur le processus électoral. Il s’agit, enfin, de
vérifier l’existence d’une influence affectant directement l’activité économique à
35
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
travers les entreprises, particulièrement celles relevant du secteur privé, tels que ceux
du Doing Business produits par la Banque Mondiale, notamment :
A/ les blocages liés aux investissements porteurs, à travers une législation instable,
floue et obéissant aux règles de l’informalité. Il s’agit de voir les rapports
qu’entretiennent les entreprises avec la corruption.
B/ son rôle dans la passation des marchés internationaux et le respect des normes lors
de l’exécution des contrats publics.
-
D’analyser l’impact des relations internationales sur l’économie nationale, notamment
les réformes préconisées par le FMI. Il s’agit d’établir des liens affectant la souveraineté
nationale à travers l’adoption des règles en faveur des grandes entreprises intervenant
mondialement. Et inversement, l’imposition des pratiques de la corruption comme règle
systématique, en quoi peut-elle constituer un frein à l’attraction des IDE ?
-
Proposer des politiques porteuses de stratégies de lutte anti-corruption. D’établir les
causes à l’origine de l’inefficience des politiques engagées pour la lutte anti-corruption et
d’élaborer une stratégie porteuse d’un déclic en faveur de la lutte contre ce phénomène
ravageur.
3-2/ Méthode des enquêtes
A partir des objectifs exposés précédemment, on peut conclure que la méthode
d’appréhension des activités relevant du domaine de la corruption nécessite la combinaison
d’une multitude d’approches, qui permettront de collecter des données et de prendre en
compte les points de vue des individus enquêtés, et, en particulier celui des différents acteurs
agissant dans la société. Ces derniers constituent un gisement d’informations englobant les
multiples dimensions du phénomène de la corruption ; lesquelles sont difficiles à appréhender
dans les enquêtes quantitatives classiques, condition sine qua non pour saisir son ampleur, ses
origines et les moyens adéquats à mettre en œuvre pour la combattre.
La méthode des enquêtes que nous avons poursuivie consiste à mobiliser les divers canaux
possibles pour collecter le maximum d’informations autour de notre thème de recherche.
Le premier volet, essentiel d’ailleurs, est centré sur l’enquête-sondage de terrain proprement
dite, très contraignante vu le sujet abordé, nécessitant de la persévérance, de la patience et la
gestion des personnes chargées de l’opération d’enquête, en faisant attention à la contrainte
temps. Ce volet est complété par l’enquête directe, qui est souvent précédée par l’envoie d’un
36
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
second questionnaire plus étoffé, avant de procéder à des entretiens libres préparés selon la
qualité des acteurs interviewés.
Le second volet, qui n’est pas des moindres, consiste en la recherche des informations
disponibles, sous toutes formes possibles, avant de procéder à des vérifications et à l’analyse
des faits et des affaires publiques (constituant des études de cas) rapportés particulièrement
dans la presse écrite francophone et arabophone (principalement 4 quotidiens : Liberté, El
Watan, Le Soir d’Algérie et Elkhabar) depuis au moins 10 années.
3-2-1/ Le sondage
Le processus de mise en place des enquêtes et de collecte des données constitue un des
points forts de notre travail de recherche. Dans ce cadre, l’enquête-sondage forme un des
aspects de son ossature, précédé par des pré-enquêtes, des allers-retours pour la construction
du questionnaire et le lancement de l’opération de l’enquête.
Au départ, nous avons employé la méthode classique, à savoir : remettre des
questionnaires aux enquêteurs pour les distribuer dans leur environnement. Cette méthode
nous a fait perdre quelques bonnes semaines de travail; plusieurs questionnaires distribués
n'ont jamais été restitués. Nous avons alors procédé autrement, en demandant aux enquêteurs
de superviser directement l’opération du remplissage des questionnaires et de les remplir
lorsque les personnes sondées ne peuvent pas répondre par écrit aux questions. Les entretiens,
selon les cas, durent entre trente et cent vingt minutes et sont réalisées de manière irrégulière
et discontinue. Près de 10% des individus qui ont répondu au questionnaire l’ont fait par mail.
A/ La durée et le contexte
L’enquête-sondage a duré 6 mois (du mois d’avril à septembre 2010), alors que
l’enquête avec entretiens libres, ciblant des acteurs préalablement sélectionnés, a débuté le
mois de septembre avec des fréquences discontinues selon la disponibilité des interviewés.
Le contexte choisi pour le lancement de notre enquête avait opportunément coïncidé
avec le moment où il y a eu un large étalage sur la place publique par les médias des affaires
de corruption affectant des ministères budgétivores et impliquant de hauts responsables au
niveau des institutions étatiques. À ce titre, plusieurs affaires ont été enrôlées au niveau des
instances judicaires, alors que des révélations internationales, telles que celles divulguées par
37
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
wikileaks, sur des dossiers sensibles mettant en cause des décideurs occupant des portefeuilles
de souveraineté.
B/ Conditions de l’enquête
En Algérie, il n'existe pas de traditions d'enquête de terrain, la moindre information
est considérée comme étant un secret l'Etat, surtout lorsque l'enquêteur se trouve "confrontée"
à une ou plusieurs personnes inconnues.3 De la méfiance et des hésitations ont été remarquées
tout au long de notre travail d'enquête, dues essentiellement au phénomène de l'exclusion et
les traditions qui s'y rattachent, y compris dans les centres urbains et les milieux
universitaires.4
En revanche, les enquêteurs ont été amenés, tant que de besoin, à expliquer aux
individus enquêtés, que l'information demandée devait servir à un travail de recherche
purement universitaire, une façon parmi tant d'autres de rassurer et d'écarter le soupçon d'une
inquisition ou des contrôles administratifs (inspection de travail, impôts, assurances ...).
Néanmoins, le résultat n'a pas toujours été fructueux, puisqu’un bon nombre n'a pas daigné
accorder la moindre attention aux sollicitations répétées, non sans chercher à se justifier
(indisponibilité, simulation, absence d'intérêt ...). Cet état de fait nous a obligé à recourir
beaucoup plus aux "connaissances personnelles" afin de toucher certains personnes, qui ont
cherché à avoir des garanties données par des intermédiaires5.
Enfin, certaines réponses données aux questions sont identiques au sein de certains groupes de
personnes (il y a eu des réponses groupés ou bien des appréciations concertées), à tel point
que d’aucuns développent des réponses presque répétitives, ce qui pousse les enquêteurs à
reposer les questions sous d’autres formes et avec d’autres mots pour avoir des réponses.
C/ Les contraintes
L’enquête de terrain est pleine de surprises, semée d’embûches qu’il faudra contourner
pour atteindre ses objectifs. Nous allons ci-après décrire certains problèmes rencontrés par les
enquêteurs.
3
C'est la répercussion d'une politique d'un Etat policier qui a infiltré tous les groupes de la société algérienne
durant les années 70.
4
Le thème traité est un phénomène de société qui touche directement ou indirectement chaque personne
enquêtée. La méfiance nous renseigne sur l’ampleur qu’a prise ce fléau durant la dernière décennie.
5
Cela constitue aussi un obstacle : les enquêtés ne voudraient pas que les enquêteurs soient au courant des
informations à donner.
38
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
- Problèmes de langue : l'utilisation de la langue française a posé des problèmes pour une
partie. Certains des individus enquêtés n’ont pas un niveau d’instruction suffisant pour la
compréhension des questions, de ce fait l’entretien se déroulait en langue parlée, soit le
Tamazight (kabyle pour la région de Kabylie et le chawi pour la région des Aures), soit
l’arabe populaire. Ainsi, un effort supplémentaire est fourni pour la traduction des réponses
transcrites dans les questionnaires.
- Problèmes liés à la durée de l'entretien : quelques entrepreneurs trouvent que la durée
accordée pour les questionnaires est très longue. De ce fait quelques-uns nous ont tout
simplement abandonnés avant d'avoir terminé l'enquête. Ce qui explique parfois les réponses
manquantes à certaines questions, en particulier dans l’identification où les enquêtés ne
veulent pas divulguer certains détails.
- Refus de répondre : cas constaté notamment pour les questions qui semblent heurter la
sensibilité de quelques interlocuteurs, se sentant concernés par certaines questions abordées,
touchant directement au secteur d’activité dont ils dépendent. D'autres, par contre, ont refusé
de répondre tant que sera utilisée la prise de notes (par écrit, cela s'entend), d'où un effort
supplémentaire pour mémoriser certains de ces entretiens de sorte à pouvoir reconstituer, par
la suite, les détails du questionnaire. Ceci a constitué la phase la plus délicate de notre
enquête.
- Problèmes spécifiques selon les enquêtés : La première catégorie qui pose les problèmes
pour notre enquête est celle des responsables. Plus le poste de responsabilité occupé est
important, moins il y a d’interlocuteurs qui acceptent de recevoir les enquêteurs ou de
répondre aux questionnaires. Ceux qui remplissent les questionnaires ne nous renseignent que
partiellement. Cependant, d’autres ont été très courtois et ont répondu totalement à nos
questions. La deuxième catégorie, c’est celle qui n’occupe pas de postes de responsabilité et
dont les éléments ne font pas en général de détours pour répondre et nous renseigner. Il est
clair que cette catégorie précitée, parce que n’étant pas impliquée dans des affaires de
corruption, elle développe un discours condamnant ce phénomène. Il se trouve que parfois
ceux qui sont sans responsabilité, mis pour divers motifs sur la voie de garage6, constituent un
gisement d’informations, vu l’animosité qu’ils entretiennent vis-à-vis des responsables en
poste.
6
Souvent les responsables remplacés dans des postes de responsabilité sont mis de côté, payés à ne rien faire, par
les nouveaux responsables, en guise de sanction ou par crainte d’être dénoncés en cas de mauvaise gestion.
39
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
D/ Le dépouillement
Le dépouillement des résultats s’est déroulé sur deux périodes. Celle du mois de juillet
et celle du mois d’octobre. Nous avons utilisé le logiciel SPSS 18 pour nous faciliter le travail
de classification et de croisement des données.
E/ Les insuffisances et les remarques
Cependant notre questionnaire comporte des insuffisances, parfois volontaires, comme
la présentation du doctorant. Etant un personnage public, nous ne voulions pas avoir de
l’influence dans un sens ou dans un autre, et ce, par souci d’objectivité.
Ce faisant, nous pouvons citer, entre autres, les insuffisances ou les remarques suivantes :
-la longueur du questionnaire ;
-l’imbrication de certaines questions que l’on aurait dû scinder en deux ;
-la catégorisation des réponses, ne laissant pas un autre choix intermédiaire aux enquêtés ;
-la non-intégration des sans-réponses était volontaire pour aiguillonner les enquêtés à donner
le maximum de réponses ;
- il n’y avait pas de question ayant trait directement à la définition de la corruption dans la
mesure où justement cela ne faisait pas partie de l’objet de notre enquête ;
-certaines catégories de réponses suggérées ont des qualificatifs similaires et difficiles à
classer.
3-2-2/ Enquête directe et semi-directe : entretien libre
La méthodologie privilégiée dans ce mode d’enquête répond aux préoccupations
arrêtées dans les principales caractéristiques de notre thème de recherche. Le sujet que nous
traitons revêt en effet une place capitale au niveau de l’opinion publique.
Les entretiens libres, centrés sur le thème de notre recherche, ont été menés auprès d’un
ensemble d’acteurs en tête à tête, souvent à Alger, à l’aide d’un petit manuel (plan /abrégé /
compendium / fascicule) préparé sous forme de questionnaire, mais plus élaboré et détaillé
40
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
que celui de l’enquête-sondage, que nous adaptons, d’ailleurs, à chaque fois au profil des
interviewés.
Ces enquêtes directes et semi-directes permettent, en fait, de renforcer l’étude qualitative de la
corruption à travers les entretiens libres effectués avec les personnes enquêtées. En ce sens,
d’après J.-P. Olivier de Sardan (2003), ‘‘l’entretien reste un moyen privilégié, souvent le plus
économique, pour produire des données discursives donnant accès aux représentants émiques
(emic), autochtones, indigènes, locales. Ce sont les notes d’entretien et les transcriptions
d’entretiens qui constituent la plus grosse part des corpus de donnée de l’anthropologie’’.
L’entretien libre offre un certain nombre d’avantages, notamment la possibilité de formuler de
nouvelles questions découlant des réponses données par l’interlocuteur ou bien même de
reformuler les questions selon la personne interviewée. Ce que ne permet pas le
questionnaire-sondage distribué par les enquêteurs. Néanmoins, ces derniers nous ont livré les
appréciations générales de l’enquête. Pour G. Blundo et J.-P. Olivier de Sardan (2007) ‘‘les
entretiens constituent, on le sait, la source principale (mais non exclusive) de l’enquête de
terrain, et le sont autant pour la corruption. Les interlocuteurs peuvent alors jouer un rôle de
consultant (qui exprime un savoir plus ou moins partagé sur les formes, les procédures, les
mécanismes, les sites, etc., de la corruption) ou de récitant (ils témoignent alors d’un vécu
personnel et de leur propre implication dans les transactions corruptives ou des interactions
sociales pouvant y conduire)’’.
A/ L’approche : types de questions et qualité des personnes interviewées
Les types de questions varient selon l’acteur enquêté. Nous avons, de manière
générale, procédé avant l’entretien à l’envoi d’un questionnaire structuré en cinq rubriques,
similaires à celles du questionnaire-sondage, pour la personne qui accepte de répondre
favorablement à notre enquête. Le nombre de questions s’est trouvé, de fil en aiguille,
multiplié presque par deux; la contexture en effet de ce questionnaire manuel nous a permis
de l’adapter au profil de l’enquêté. Ainsi les participants ont-ils le choix de renseigner le
questionnaire ou bien de passer directement à l’entretien. En l’occurrence, nous avons eu à
constater trois types de comportements. Les premiers répondent et acceptent de compléter
l’enquête en convenant de programmer des rencontres en vue des entretiens libres ; les
seconds demandent de passer directement à l’entretien ; et les troisièmes remplissent le
questionnaire sans qu’il y ait d’entretien libre.
41
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
Avant d’entamer l’entretien libre, nous préparons les points distinguant l’acteur enquêté selon
son profil déterminé par rapport à son statut, son activité et son expérience. Dans le cas où il a
déjà répondu au questionnaire, nous procédons à une première analyse pour détecter les
questions sur lesquelles nous devons focaliser l’entretien.
Les questions spécifiques sont souvent élaborées en tenant compte des caractéristiques
répondant à l’objet de notre sujet de recherche. Il s’agit pour nous de cibler les individus
« ressources », qui constituent une source d’informations qualitatives autour de la question de
la corruption et du fonctionnement de la société et des instituions étatiques.
Ainsi, la qualité des acteurs interviewés conditionne le type de questions abordées.
Nous avons dressé une liste de 60 personnes ciblées pour l’entretien libre. Nous n’avons pu
nous entretenir finalement qu’avec près de la moitié dont certains font partie des catégories
suivantes :
- les ex-hauts responsables politiques : Premier ministre, ministres et cadres
supérieurs ;
- des responsables de la société civile : défenseurs des droits de l’homme, syndicalistes
et des militants associatifs ;
- les entreprises : cadres et dirigeants d’entreprises, responsables de la chambre de
commerce et de l’industrie ainsi que le patronat ;
- les professions libérales : avocats, médecins etc. ;
- des victimes de la corruption : des cas connus et publics ;
- des médias : des journalistes d’investigation dans le domaine et des responsables
éditeurs de journaux;
- des responsables d’institutions : membres du CNES ;
- des élus aux niveaux local et national ;
- des universitaires : historiens, sociologues, juristes et économistes ;
- des responsables de partis politiques ;
- et les fonctionnaires pour les données sectorielles.
42
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
B/ Durées : l’enjeu du temps
Il est difficile de déterminer la durée d’un entretien. Le début d’un premier entretien
nous laisse toujours sur notre faim, il nécessite souvent un prolongement direct (par d’autres
rencontres) ou indirect par le biais de l’Internet, et ce, en vue d’un complément d’information
ou éventuellement la remise de documents évoqués durant l’interview. Par conséquent,
l’entame d’un entretien ouvre la porte à des opportunités d’accès à davantage de données
documentées pour l’enrichissement de notre sujet de recherche. En laissant l’entretien ouvert
pour d’éventuels compléments d’information, nous recevons des feedback et des attentes de la
part des acteurs enquêtés. C’est pour cela que l’on peut dire qu’un entretien peut durer des
heures et des jours, jusque parfois à s’étaler sur plusieurs mois, surtout lorsque les
interlocuteurs ne sont pas joignables facilement. Selon J.-P.Olivier de Sardan (2003),
‘‘l’enquête de terrain procède par itération, c'est-à-dire par allers et retours, va-et-vient. On
pourrait parler d’itération concrète (l’enquête progresse de façon non linéaire entre les
informateurs et informations), ou d’itération abstraite (la production de données modifie la
problématique qui modifie la production de données qui modifie la problématique)’’.
La forme de l’entretien libre et sa durée constituent un enjeu non négligeable concernant notre
sujet de recherche en l’abordant d’un point de vue pratique. Durant cette phase de recherche
de terrain, nous nous sommes attelés à l’analyse et à l’interprétation des données collectées
qui influencent implicitement notre problématique de recherche. Pour J.-P.Olivier de Sardan
(2003) ‘‘la phase de production des données peut être ainsi analysée comme une
restructuration incessante de la problématique au contact de celle-ci, et comme un
réaménagement du cadre interprétatif au fur et à mesure que les éléments empiriques
s’accumulent’’.
C/ Contraintes et remarques
Les contraintes de l’enquête de terrain par entretien diffèrent de celles de l’enquêtesondage que nous avons menée. Elle se distingue, en premier lieu, par la qualité ou le type
d’acteurs qui sont ciblés et interviewés. En second lieu, même si les données collectées
gardent le caractère anonyme, les interlocuteurs que nous avons interviewés nous ont
identifiés et catalogués selon leur convenance personnelle dès lors où nous avons mené nousmêmes l’ensemble des entretiens ; ceci, mises à part les fois où quelques personnes
intermédiaires nous ont collecté des données et documents, tout en se gardant de révéler notre
identité.
43
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
Outre les difficultés rencontrées pour arrêter des rendez-vous en vue de l’organisation des
entretiens, nous faisions face à la contrainte temps quant au choix des questions à aborder en
priorité avec les acteurs enquêtés et les efforts de synthèse qu’exige la nécessité, à chaque
fois, de ramener l’interviewé vers la question centrale que nous voulons aborder. Il s’agit
d’adapter et d’afiner les questions, selon leur pertinence, par rapport aux compétences des
personnes enquêtées. De même, fallait-il assurer une transition partant des questions d’ordre
trop général vers celles plus précises et à même d’accrocher les acteurs interrogés.
Les contraintes majeures liées aux entretiens peuvent être répertoriées suivant deux catégories
enquêtées. La première catégorie concerne les personnes qui ont procédé au remplissage du
questionnaire avant l’entame de l’entretien, et là nous avons relevé quelques décalages, voire
des contradictions même, entre ce qui est porté par écrit et les propos enregistré. Un constat
qui nous a amenés d’ailleurs à relancer l’entretien pour avoir une réponse précise et claire. Il y
a aussi parfois ceux qui évitent d’apporter davantage d’information autour de certaines
questions. Quant à la seconde catégorie, elle concerne les personnes qui ont répondu
directement à nos questions lors des interviews ; et où certains des acteurs abordés refusent de
s’exprimer, de façon directe, sur le domaine de leur compétence, mais se mettent plutôt à
donner des avis généraux en relation le plus souvent avec d’autres secteurs d’activité. Des
dérobades que nous n’avons pas pu éviter bien qu’ayant pris soin, au cours de notre recherche,
de marquer un temps d’abordage et de préparation avant d’entrer dans le vif du sujet, à savoir
l’examen direct du thème de la corruption. Il s’agit, pour ainsi dire, d’une sorte d’obligation
de réserve imposée aux fonctionnaires de l’Etat, même si ils ont quitté leur poste de
responsabilité ou tout en étant en retraite.7
De ce fait, si l’on veut avoir des données relevant du domaine de l’enquêté, il nous est apparu
mieux indiqué de se tourner vers d’autres personnes pour nous fournir les informations
nécessaires à notre sujet de recherche.
Enfin, nous devons faire remarquer que l’ensemble des personnes enquêtées ont
accepté l’enregistrement des entretiens. Ce qui nous a permis de diriger aisément l’enquête à
l’aide d’un magnétophone enregistreur, et puis aussi d’une prise de notes pour les propos que
nous jugeons être utile d’approfondir pour les besoins de notre analyse. Cependant, ce
procédé contient certains inconvénients, notamment le temps nécessaire pour écouter autant
7
Ce genre de fonctionnaires écartés des cercles du pouvoir pour diverses raisons, telle l’appartenance au clan
adverse, espèrent toujours un retour probable aux affaires de l’Etat. C’est pour cela qu’ils ne répondent pas à
certaines questions relevant de leur secteur d’activité.
44
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
de fois les enregistrements avant la transcription des réponses. La difficulté, en fait, réside
dans la lenteur et les détours qu’il faudra déceler afin de trouver la réponse correspondant à la
question posée. Le débordement des réponses sur les à-côtés de la question ne doit pas être
appréhendé sous une connotation négative bien au contraire quand il s’agit du contexte et de
l’environnement servant d’arguments pour les réponses, ces éléments complémentaires
contribuent à la compréhension et à l’analyse objective de la question étudiée.
3-2-3/ Enquête sur dossier : études de cas
Notre travail d’enquête de terrain quantitative et qualitative est soutenu par d’autres
sources d’informations matérialisées dans les divers documents que nous avons collectés.
L’enrichissement du traitement de notre thème de recherche s’est fait grâce aux sources
disponibles sous des formats papiers ou en version électronique. G. Blundo (2003) considère
qu’en ‘‘matière de corruption, les sources les plus courantes proviennent soit de recherches
documentaires (analyse de la presse, archives juridiques), soit d’enquêtes quantitatives
prenant la forme de sondage d’opinion. La domination du document d’archive et du
questionnaire, de l’écrit et du quantifiable, tient à la tradition empirique des disciplines qui
ont monopolisé la recherche sur ce phénomène, c'est-à-dire la science politique et
l’économie’’.
Cette seconde phase de notre enquête, réalisée sur la base de dossiers, a consisté en l’étude
des cas observés sur le terrain avant, pendant et après l’opération du sondage. L’analyse a
porté sur des études documentées dont certaines ont été rendues publiques, alors que d’autres
nous les avons obtenues via des réseaux informels et personnels. En fait, les sources écrites
sont très utiles pour le traitement de la question de la corruption. Elles ont servi comme une
entrée à notre matière de recherche notamment pour l’élaboration et la précision de la
problématique de notre recherche. Aussi, elles viennent confirmer et compléter notre enquête
de terrain, d’où nous avons extrait des cas pour illustrer notre travail.
Le recours à ce genre de source a permis de combler le manque ou l’absence presque totale
d’informations institutionnelles autour du sujet de la corruption. Dans ce cas, les rumeurs, les
indiscrétions et les données éditées par la presse écrite occupent le vide. Cette réalité constitue
un handicap pour notre travail de recherche. En effet, nous avons rencontré plein de
difficultés pour accéder aux divers documents sollicités. La bureaucratie, la nature de l’Etat
45
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
policier, l’incompétence, la désorganisation et le monopole des données statistiques de
certains services, la confiscation des documents et rapports écrits même archivés8 ne nous ont
pas permis d’exploiter ce genre d’informations.
A/ Dossiers reçus : étude de cas
Les études des cas ne nous confèrent pas le rôle d’un juge d’instruction acquittant ou
inculpant des personnes impliquées dans des affaires de corruption. Il s’agit pour nous plutôt
d’illustrer nos travaux de recherche empiriquement. C’est une combinaison entre l’enquêtesondage, les entretiens réalisés, les informations documentées, les affaires rendues publiques
et les acteurs impliqués. À ce titre, nous donnons comme exemples les dossiers documentés
suivants qui constituent aussi des études de cas.
-
Affaire Melouk : magistrats faussaires
L’affaire dite des magistrats faussaires fut révélée dans les médias par Melouk
Benyoucef, ancien combattant de la guerre de libération nationale et fonctionnaire au niveau
du ministère de la justice (affaire comparable au trafic de décoration de légion d’honneur en
France). Pour rappel, Melouk Benyoucef s’est vu confier, par le chef d’État de l’époque (le
défunt Mohamed Boudiaf), la délicate mission d’investigations sur la délivrance de fausses
attestations portant reconnaissance de la qualité d’ancien combattant de la guerre d’Algérie, et
c’est à l’issue de cette enquête, et plus précisément lorsqu’il décida d’en dévoiler quelques
contenus, que celui-ci deviendra l’homme à abattre du système. Depuis 1991, en effet, celuici n’a pas cessé de dénoncer le vaste trafic dont il a eu connaissance à la faveur de sa mission
d’enquête qui lui a permis de débusquer une cinquantaines de personnes faux résistants de la
guerre de libération nationale, notamment des magistrats, un ministre de l’intérieur ainsi que
de hauts responsables impliqués directement et indirectement dans cette affaire. Un dossier
qui révèle des cas d’usurpation de statut commise en vue d’accéder à des postes de cadres
supérieurs de l’État en usant d’actes de corruption, impliquant l’instrumentalisation de
l’appareil judiciaire. L’auteur de cette affaire subit à ce jour la cabale judicaire : condamné à
maintes reprises, malmené, menacé, licencié de son poste d’emploi et emprisonné plusieurs
fois ; il passe d’une position de dénonciateur à une victime d’un réseau de magistrats abusant
de leur pouvoir.
8
Pourtant certains documents devaient être rendus publics par le biais du journal officiel ; tels que les rapports
de la cour des comptes.
46
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
-
Affaire Bououni : prédation et dilapidation
Dans ce dossier, il s’agit de monsieur Achour Bououni, un cadre fonctionnaire et
syndicaliste dans une institution publique qui s’est opposé au « système », en dénonçant la
corruption et la prédation des biens d’une institution chargée du contrôle des navigations
aériennes. Une affaire qui concerne le détournement de deniers publics, de gros marchés
publics arrangés, d’abus d’autorité et d’extorsion de biens publics par l’usage de la force, et
ce, sous des prétextes d’ordre sécuritaire qu’agréer le contexte de non-droit connu
particulièrement durant la période de terrorisme. Le refus d’être le complice des prédateurs a
valu pour ce syndicaliste d’être séquestré avec sa famille dans son logement de fonction et
menacé de mort par des armes de guerre. Il aura aussi droit à des poursuites judiciaires, sur la
base de dossiers vides et d’affaires montées de toute pièce, et ce, dans l’objectif de l’écarter
de l’institution. Finalement, il sera mis à la retraite et c’est bien plus tard qu’il aura gain de
cause. Une affaire qui illustre les pertes causées par l’usage de la force en période de guerre
civile et la nature de l’institution militaire dans la gestion des aspects sécuritaires.
-
Dossier des privatisations : le bradage
Le processus de privatisation enclenché en Algérie, depuis près de deux décennies, est
plein d’opacité. Ainsi les quelques dossiers étalés sur la place publique ont suffi à révéler un
énorme braconnage sous forme de bradage des entreprises publiques cédées sous diverses
formes à des opérateurs privés. Nous allons ci-après traiter des cessions des entreprises
publiques entourées d’irrégularités telles que celles relevant des produits laitiers, des
cimenteries…etc. Pour exemple, le cas de « X » (témoin qui veut garder l’anonymat) qu’il
nous a été donné d’examiner en récupérant une copie du dossier y afférent, s’est avéré n’être,
et ce au vu des données comptables et financières compulsées par nos soins, qu’une cession
au dinar symbolique faite à l’avantage d’acquéreurs, servant en réalité de prête-noms pour des
hommes politiques.
-
Affaire BRC
L’affaire Brown et Root-Condor (BRC) démarre des relations entretenues avec le
ministre de l’Energie et des Mines. Ce dossier dépasse tout entendement, tous les projets
acquis sont surfacturés ; l’équipement, à titre d’exemple, des deux tours jumelles du Hamma à
Alger en 2010 est facturé à dix fois le prix du marché. Encore que cette surfacturation n’est
47
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
que la face caché du l’iceberg. Un dossier accablant qui pourtant n’a pas inquiété les
responsables impliqués directement et indirectement dans ces affaires de corruption.
-
Affaire Khalifa
Le dossier du groupe Khalifa, dirigé par le jeune Rafik Khalifa, fils d’un responsable
lié directement aux dirigeants du régime, concerne un groupe commercial et financier de
statut privé qui est parti de rien avant de devenir, en l’espace de trois années, un grand empire.
Cette affaire constitue le scandale le plus révélateur de l’ampleur de la corruption de la
dernière décennie en Algérie, dévoilant le laxisme des instituions de l’Etat et la complicité des
autorités hauts placées. À l’époque, le patron et propriétaire du groupe qui faisait partie de
l’entourage de la présidence de la république, était donné comme l’exemple de la réussite des
managers privés algériens, ceci avant bien sûr que le manège ne soit démantelé à l’étranger,
révélant une ‘‘arnaque’’ grotesque impliquant tout un réseaux de responsables de la
présidence de la république et des différents ministères en passant par des directeurs
centraux…, etc. Une grande manipulation instituant en fait un État parallèle où la substitution
aux institutions de l’État s’est faite en usant des pratiques de grande corruption, en soudoyant
de nombreuses personnalités sous le couvert d’opérations de sponsoring. Un dossier déjà jugé
en partie en 2008, mais qui reste ouvert entièrement, et ce, dans l’attente de l’extradition de
Rafik Khalifa condamné par contumace.
-
Les cadres emprisonnés : cas de ceux de la CNAN
Le flou entourant le dossier portant sur la « pénalisation aléatoire » des actes de
gestion a donné lieu à l’arrestation de nombreux cadres d’entreprises publiques. Une
opération cependant qui a été conduite sans discernement, mêlant la bonne à la mauvaise
graine. Des décisions qui livrent les entreprises publiques à des incompétences. De nombreux
cadres ont ainsi été emprisonnés, durant plusieurs années, avant d’être acquittés ; ils s’en
sortiront certes réhabilités, mais leur carrière et leur vie brisées à jamais. Dans ce dossier,
nous prendrons comme référence le cas des cadres de la CNAN.
-
Collectivité locale : cas de la mairie de Tizi-Ouzou
Les collectivités locales constituent le lieu par excellence où s’exerce le plus grand
nombre d’échanges d’affaires de corruption clientélistes. L’absence de contrôle et la mauvaise
gestion engendrent des pratiques douteuses s’accompagnant souvent de détournement des
deniers publics. Nous allons prendre l’exemple de la mairie de Tizi-Ouzou où nous avons
48
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
collecté des documents révélant des opérations de dilapidation du foncier, un procès a eu lieu
en 2010 sur ces opérations invraisemblables, des surfacturations, l’attribution opaque de
marchés, des trafics d’affluence, le détournement des fonds des œuvres sociales, les faux et
usage de faux, l’établissement de documents frauduleux…etc. À noter qu’aucun mandat,
depuis l’ouverture au multipartisme, n’est épargné par ces affaires.
B/ Dossiers divers
D’autres dossiers sont collectés autour notamment des affaires et des scandales liés à
la corruption en Algérie, il s’agit d’un large éventail de dossiers se rapportant à divers projets
et créneaux, entre autres : l’autoroute Est-Ouest, les œuvres universitaires, les ONG et les
fonds de solidarité, les entreprises, les privatisations, le foncier, les finances, la culture, la
bureaucratie, la politique, les marchés publics, le commerce extérieur, l’évasion fiscale, les
secteurs de l’agriculture, de l’éduction, de la santé, de la justice, les corps constitués
(pompiers et douanes avec l’affaires des D15) et l’enseignement supérieur.
C/ Documents publiés par la presse et les observations au quotidien
Les observations quotidiennes de terrain et l’analyse des informations et documents
publiés par la presse privée9 forment une source incontournable dans l’étude du phénomène
de la corruption, même si les journaux véhiculent souvent une image privilégiant le caractère
sensationnel dans le traitement des scandales liés à la corruption. Elle reflète la dimension des
actes de corruption dans la société en général et la sphère politique en particulier. L’analyse
du corpus de la presse retrace l’historicité et situe les enjeux des attitudes et des stratégies
adoptées à l’égard de notre objet d’étude.
Cependant, la collecte d’informations à partir des médias nécessite un travail de recoupement,
en dépouillant les données contenues dans les documents de telle sorte à pouvoir reconstituer
les faits ayant trait à la corruption dans leur contexte, loin des enjeux liés aux règlements de
comptes ainsi qu’aux pressions diverses pouvant venir des différents clans en interaction.
9
En Algérie la presse privée est souvent qualifiée d’une presse indépendante en référence à la presse publique et
gouvernementale. Elle est aussi cataloguée selon les lignes éditoriales arrêtées par les actionnaires majoritaires
de ces journaux. Nous distinguons au moins trois catégories de journaux privés. La première est
progouvernementale, elle est accréditée d’une faible influence et ne doit sa survie qu’à la publicité assurée par
l’ANEP (agence qui se charge de l’affectation aux journaux la publicité relevant du domaine public). La seconde
est partisane. Et puis, la troisième est celle qui change de ligne selon les responsables de la rédaction choisis par
les actionnaires.
49
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
Dans ce cadre précis, nous avons choisi de remonter la base de données des médias depuis
l’ouverture (de l’Algérie) aux médias privés. Nous avons sélectionné quatre quotidiens
d’information permanents qui ont un tirage et des ventes classés parmi les premiers, tout en
reprenant les informations diffusées dans les autres journaux, afin d’identifier plus clairement
les cas de corruption et les approches adoptées par la presse écrite. Les trois premiers titres
sont francophones, à savoir : Le Soir d’Algérie qui publie chaque lundi une page spéciale
corruption ; El Watan qui couvre les grands dossiers de la corruption, et puis Liberté qui
publie des dossiers économiques. Le quatrième est arabophone : El Khabar, le plus ancien de
la presse privée, connu pour sa tendance à traiter de dossiers délicats se rapportant à notre
thème de recherche.
En termes de conclusion, la diversité de notre enquête vise la combinaison de données
multiples dans le but d’avoir des résultats qualitativement objectifs. De ce fait, ces différents
types de données collectées directement et indirectement, et que nous venons de présenter
précédemment, constituent la particularité de notre enquête qui se veut la plus complète
possible.
SECTION IV : les bases de données
4-1/ Les estimations et perception de la corruption
Les estimations et la perception de la corruption posent un problème en tous points de
vue. Le phénomène de la corruption n’est pas ordinaire par définition, il incube des
comportements clandestins, répréhensibles et difficiles à appréhender. Son caractère caché et
secret ne permet pas de le mesurer objectivement. Il n’est pas évident de mesurer directement
ce phénomène qui est qualitativement complexe, dynamique et multiforme. Quel est
l’indicateur objectif et fiable qui permettra de mesurer avec exactitude son intensité ? D.
Compagnon (1997) décrit la difficulté en considérant qu’en ‘‘partie parce qu’il s’agit d’un
phénomène multiforme allant du bakchich au détournement de fonds publics en passant par
les passe-droits et privilèges indus accordés à des proches –népotisme, en partie parce que,
s’agissant le plus souvent d’activités illégales, une bonne partie de ces transactions sont
occultes’’.
En ce sens, d’ailleurs, les recherches dans le domaine de la corruption sont plutôt largement
descriptives qu’empiriques, et ce, compte tenu du fait que la mesure et l’étude du phénomène
50
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
présentent de réels obstacles, contrairement aux autres domaines d’étude relevant du
développement. L’imprécision de sa définition et l’invisibilité des actes de corruption ne
facilitent pas la tâche pour avoir une quantification objective, ce qui rend délicat la mission de
la mesure du phénomène. L’autre obstacle qui ne plaide pas en faveur de sa quantification est,
d’après R. Bnou-Noucair (2007), relatif à l’absence d’une unité de mesure qui prend en
considération trois dimensions à géométries variables : la petite et la grande corruption ; le
nombre de personnes qui s’adonnent à la corruption ; et enfin, la diversité des opérations ainsi
que l’importance des multiples flux transitant souvent par des réseaux clandestins.
Afin de contourner cette question relevant du domaine de l’impossible, L. Dartigues et
E. De Lescure (2000), les agences ont adopté une approche d’évaluation subjective et
estimative qui a donné lieu à une notation par pays souvent ayant des résultats proches les uns
des autres. D’après N. Chtourou (2004) ‘‘la corrélation entre indices des différentes agences
est très forte, ce qui laisse entendre que la plupart des observations s’accordent sur le degré
de la corruption apparente des pays’’.
4-1-1/ Méthodes existantes
Nous assistons à une floraison d’indices ou d’indicateurs mettant en avant des données
internationales par région et pays, et lesquels sont établis par des instances gouvernementales
ou non gouvernementales, des agences et des chercheurs, autour de la question de la
corruption et plus largement à propos d’une nouvelle trouvaille qu’est la gouvernance. La
dimension spatiale et la temporalité variables que couvrent les données produites ne dérogent
pas au principe commun de la notation et de classement des pays selon les indicateurs établis
et inhérents au phénomène de la corruption. Nous allons présenter trois indicateurs élaborés
par l’ONG internationale Transparency Internationale.
A/ L’indice de perception de la corruption (IPC)
Il s’agit d’un indice établi par l’ONG internationale Transparency International qui
s’est attelée à mener une lutte contre la corruption et à mesurer l’ampleur de ce phénomène
par pays. Elle a produit plusieurs indices à base de sondage dont l’indice de perception de la
corruption (IPC), à partir de 1993.
Cet indice de perception est construit à partir des estimations subjectives des données
collectées chez les experts et dans les milieux des affaires. Il mesure le degré de corruption
perçu dans les administrations et la classe politique (n’intègre que la corruption passive du
51
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
secteur public) ; de même qu’il définit aussi l’indice composite fondé sur 18 enquêtes et
sondages réalisés par 12 organismes indépendants auprès des milieux d’affaires auxquels se
sont joints des analystes de divers pays, y compris des experts résidents (TI 2005-2010).
Cet indicateur évolue au gré de la variation périodique des indices. Il est soumis
souvent à des critiques dans la mesure où il est sujet à une interprétation à double sens, et ce,
vu sa méthodologie complexe et partielle indexant les pays en développement. Cet indice
donne en effet soit une image positive d’un pays classé, soit il relève les insuffisances et les
manquements observés dans un pays très mal classé, présentant à l’occasion celui-ci comme
un mauvais exemple, dépréciant ainsi certains pays à l’avantage d’autres pays.
Les chiffres avancés périodiquement à travers l’IPC reflètent l’ampleur de la corruption qui
affecte l’ensemble des pays intégrés dans ce classement, particulièrement ceux parmi ces pays
qui dominent de par leur influence politique les débats qui suivent l’annonce des résultats ;
ceci nonobstant la non- intégration de la partie active ainsi que les corrupteurs opérant dans le
secteur privé, constituant en l’espèce une donnée spécifique au pays en développement
souvent mal classé. Comme son nom l’indique selon D. Dommel (2003) ‘‘l’IPC ne prétend
pas mesurer le niveau de corruption des différents pays qu’il couvre, mais seulement le
jugement que portent les gens sur le degré de corruption qui prévaut dans l’appareil politique
et administratif de ces pays’’.
B/ L’indice de corruption par les pays exportateurs (ICPE)
Cet indice est conçu, à partir de 1999, pour répondre aux critiques soulevées par l’IPC
notamment la limitation de l’analyse des résultats des enquêtes portant sur le comportement
des corrompus, qui ne prend pas compte de l’action corruptrice des plus grands pays
exportateurs versant des pots-de-vin en intervenant de l’étranger. Selon D. Dommel (2003)
‘‘TI a tenu à combler cette lacune en élaborant un indice de propension à corrompre ou
« indice de corruption des exportateurs » (ICPE)’’. Ce dernier est axé principalement sur les
enquêtes menées auprès des cadres d’entreprises du Forum Economique Mondial et les cadres
dirigeants basés dans 125 pays, autour des pratiques commerciales des entreprises étrangères
activant dans leurs pays respectifs, et ce, afin d’évaluer la corruption internationale en amont.
Il s’agit, en l’occurrence, de les questionner sur la propension des entreprises étrangères, les
plus actives dans leur pays, à recourir aux paiements occultes ou à verser des pots-de-vin (TI
2006). La réponse aux deux questions permet de mesurer la corruption par secteur d’activité.
52
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
C/ Baromètre mondial de la corruption
Dans le même souci de combler les manques et de répondre aux critiques faites à
propos de l’IPC, l’ONG Transparency internationale a lancé le Baromètre mondial de la
corruption. Il est conçu pour compléter les résultats obtenus sur la corruption dans le secteur
public et celui de l’ICPE. Ce baromètre a aussi pour objectif d’étudier les tendances portant
sur la perception du public à l’égard de la corruption. En 2009, le Baromètre Mondial de la
corruption (TI 2009) « présente les principales conclusions d’un sondage d’opinion publique
qui explore les points de vue du grand public sur la corruption, ainsi que les expériences de
la corruption dans le monde ». Ce dernier a inclus des questions sur le niveau de captation de
l’Etat et les payements versés pour l’accomplissement d’un service par les entreprises.
4-1-2/ Les autres indices et les indicateurs composites de perception de la corruption
Ces indices de perception de la corruption constituent une approche permettant de
faire une évaluation de la corruption, même considérée subjective, classant les pays dans une
courbe allant des moins touchés jusqu’aux plus affectés par la corruption. Il existe d’autres
indicateurs pour la mesure de la corruption, notamment :
-
L’indicateur de l’International Country Risk Guide (ICRG) du Political Risk Services
Group (PRSG), qui exprime la probabilité que les hauts fonctionnaires réclament aux
politiques des paiements à verser de façon illégale est un instrument mis en place par
une compagnie de consultation établie à New York de droit privé. Il publie un
classement pour 135 pays selon leur niveau de risque politique, économique et
financier estimé en construisant un système de notation de 24 aspects dont fait partie
la corruption. L’ICRG selon S. Briki ‘‘est un indice composite qui mesure la qualité de
la loi, le risque de dépossession d’un investissement privé et le risque de dénonciation
de contrats par le gouvernement. Cet indice et compris entre 0 (plus corrompu) et 6
(moins corrompu)’’.
-
Les six indicateurs mis en place par la Banque mondiale dont celui du contrôle de la
corruption (ICC) qui semble être proche de celui de l’IPC, permet de mesurer
l’étendue et le volume de la corruption ;
53
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
-
Il y a des enquêtes menées auprès des entreprises utilisées par les scientifiques et la
base Business Environnement and Entreprise performance Survey (BEEPS) réalisée
par la BERD et la Banque Mondiale ;
-
Les diverses enquêtes ménages.
Quelle que soit la méthode utilisée et les sources d’informations, au niveau macro ou
micro-économique, il s’avère qu’il y un coefficient de corrélation entre les différents
indicateurs. J. Svensson (2005) a démontré que le coefficient de corrélation est de 0,97
entre l’indice de contrôle de la Banque mondial en 2002 et celui de TI en 2003.
Cependant, le lancement des indices de perception de la corruption, à partir de 1995, a
apporté un saut qualitatif marquant le passage à une seconde génération (D. Dommel 2003)
avec à la clé une floraison d’analyses et d’études de juristes, d’économistes, de sociologues et
de politologues. Des travaux qui, en croisant les résultats et les domaines, ont rendu le thème
de la corruption comme un objet d’étude multidisciplinaire, aux niveaux international,
régional et local (par pays).
Au niveau international, à la fin des années 2000, des études ont porté sur la mesure de la
gouvernance et de la croissance qui cherche à déterminer l’appréciation de la gouvernance en
bonne ou mauvaise à partir d’un ensemble d’indicateurs qualitatifs fournis par onze
organismes distincts. Selon D. Dommel (2003) ‘‘elle attribue à chaque pays une fourchette
comprise entre un coefficient maximal et un coefficient minimal de contrôle de la corruption,
ce qui ne conduit pas à établir un véritable classement mais permet d’apprécier s’il s’agit
d’un pays sûr à risque ou en crise’’.
En plus de ces études menées au niveau mondial, il y a d’autres qui sont réalisées à l’échelle
d’un seul pays ou au niveau régional telles que celles de Global Barometer Network
procédant par des enquêtes associant des spécialistes de diverses régions, et ce, à travers
d’instituts intervenant dans une cinquantaine de pays ou encore celles menées par la Banque
mondiale avec la Banque Européenne pour le Reconstruction et le Développement (BERD)
dans les pays de l’Est, en 1999, sous la bannière de World Business Environment Survey
(WBES). Cette dernière étude avait pour objectif de mesurer deux phénomènes : ‘‘d’une
part, la fréquence de la corruption politique par laquelle les entreprises essaient d’infléchir
en leur faveur les décisions de la puissance publique, autrement dit la captation de l’Etat.(…)
54
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
D’autres part, le poids de la corruption administrative, étalonnée d’après le pourcentage que
représentent les dessous-de-table par rapport au chiffre d’affaire’’.
L’ensemble des indicateurs présentés font l’objet de critiques du fait de leurs
imperfections et insuffisances. Tel l’exemple de l’IPC de TI qui modifie continuellement sa
méthodologie, le contenu des indicateurs et les pays ciblés. Les reproches partent
essentiellement de la subjectivité des résultats obtenus de ces indicateurs, lesquels résultats
renvoient à des appréciations d’experts. Néanmoins, ces indicateurs de gouvernance en
général et ceux de la corruption en particulier contribuent à travers les débats qu’ils suscitent à
contraindre une partie des gouvernements à agir dans le sens d’une meilleure gestion des
affaires publiques en engageant les réformes adéquates.
4-2/ La gouvernance
Le concept de gouvernance fait son ‘‘irruption’’ en amorçant la réflexion dans le
champ des relations internationales par l’analyse des liens avec les pays en développement, et
ce, à partir du milieu des années 80. L’occasion de l’établissement de bilans sur les politiques
d’ajustement structurelles a offert à juste titre l’opportunité de son intronisation dans le
vocabulaire de la Banque Mondial, et ce, à l’issue du constat de carence fait par les
institutions internationales quant à l’impossibilité de tout régler par le marché. Autrement dit,
ces institutions ont, dans leurs déductions, mis le doigt sur l’inanité de certaines réformes
économiques édictées et qui sous-tendaient la minimisation du rôle de l’État dans le
développement à travers son intervention sur les plans politique et social.
La gouvernance, notion controverse, introduit une nouvelle donne qui fait réapproprier à
l’État son rôle dans la gestion des affaires publiques et lequel varie selon les conjonctures et
les régions. La Banque mondiale traduit la gouvernance comme ‘‘la manière par laquelle le
pouvoir est exercé dans la gestion des ressources économiques et sociales d’un pays au
service du développement.’’
Cependant, depuis près de trois décennies, la notion de gouvernance s’est graduellement
imposée pour appréhender les questions liées au développement dans le cadre de la
mondialisation. Le développement est perçu ici comme un processus évolutif, long et inscrit
dans le cadre d’une rupture profonde portant sur des changements majeurs ayant trait à tous
les niveaux de fonctionnement de la société. La gouvernance désigne d’après JC. Graz (2004)
55
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
‘‘la somme des différentes façons dont les individus et les institutions, publics et privés,
gèrent leurs affaires communes. C’est un processus continu de coopération et
d’accommodement entre les intérêts divers et conflictuels. Elle inclut les institutions
officielles et les régimes dotés de pouvoirs exécutoires tout aussi bien que les arrangements
informels sur lesquels les peuples et les institutions sont tombés d’accord ou qu’ils perçoivent
être de leurs intérêts’’. La gouvernance implique l’harmonisation des relations entre
individus, et entre groupes au sein de la société qui délèguent un pouvoir de régulation, exercé
par une autorité publique en leur nom afin de promouvoir leurs intérêts et leur bien-être
économique et social. D’après I. Guisnel (2003), la gouvernance renvoie à la manière dont
s’exerce l’autorité politique, économique et administrative dans la gestion des affaires ou au
processus par lequel une société se pilote et se dirige. C’est dans ce sens que le sujet de notre
thèse, eu égard à la référence du cas algérien, va au-delà de la question de la corruption pour
traiter succinctement du mode gouvernance et du clientélisme.
4-2-1/ Les indicateurs de la gouvernance
Les études portant sur la notion de gouvernance ont donné lieu à une floraison de
bases de données (plus de 140) subjectives permettant la mesure de ses composantes. Des
indicateurs de mesure ont été instaurés par des institutions internationales ou organisations
multilatérales telles que la Banque Mondiale (qui intègre l’indicateur de la corruption malgré
que son statut lui interdit de mener des actions explicitement politiques) ou encore des ONG,
à l’image de Transparency Internationale ou Freedom House, des agences privées de notation
de risque comme Political Risk service Group, des centres de recherche, offrant leurs services
gratuitement pour certains, des investisseurs internationaux, des chercheurs et analystes
universitaires, et puis les agences d’aides au développement. Nous avons précédemment déjà
développé les indicateurs relatifs à la mesure de la corruption, construits à l’instar de ceux de
la gouvernance à partir d’enquête et de sondage d’experts.
L’évolution des débats autour de la gouvernance a abouti à l’introduction d’indicateurs dits
de « deuxième génération ». Celle-ci comprend deux grandes catégories. Les indicateurs de
capacité des gouvernements à exécuter efficacement leurs fonctions et les indicateurs de
responsabilité. À partir de la base de données des « indicateurs mondiaux de la
gouvernance », il est procédé au regroupement de six indicateurs caractérisant les aspects de
la « bonne gouvernance » : ‘‘le caractère démocratique des institutions politiques,
l’instabilité politique et la violence, l’efficacité des pouvoirs publics, le poids des
56
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
réglementations, la primauté du droit, et la lutte contre la corruption’’. À ce titre, la question
de la corruption est devenue une des six composantes de la gouvernance. Ainsi, nous sommes
passés de la problématique spécifique de la lutte contre la corruption vers celle de la « bonne
gouvernance », plus large.
Selon C. Apaza (2008), les « indicateurs mondiaux de la gouvernance » ont fait l’objet de
critique principalement de la part de C. Arndt et C. Oman (2006), M. Kurtz et A. Shrank
(2007) et M. Thomas (2007). Ces critiques portent d’abord sur la méthode d’agrégation qui
pose la problématique de la réalisation des comparaisons en matière de gouvernance dans le
temps et par pays vu l’hétérogénéité des données (sources multiples) et les périodes
d’enquêtes qui ne sont pas identiques ; ensuite il y a également l’accessibilité et la
transparence des informations qui sont mises en cause ; et enfin la dernière critique revient sur
la question de l’objectivité des indicateurs. M H. Khan qui considère les indicateurs de
mesure de la qualité de la gouvernance comme subjectifs par nature, estime que « la
corruption, la démocratie, la stabilité des droits de propriété et même le degré de
‘‘distorsion’’ induit par la politique, sont mesurés par des indicateurs basés sur la
perception, le jugement, l’observateurs ‘‘ compétents’’ ».
La mesure de la gouvernance par ces divers indicateurs constitue un enjeu, notamment pour
les institutions internationales comme la Banque Mondiale qui dicte des règles de conduite
mettant en cause le manque d’éthique dans la gestion des affaires publiques par
l’administration, et ce, à l’occasion de la mise en place des programmes d’aide au
développement.
4-2-2/ De la gouvernance à la bonne gouvernance
La gouvernance est qualifiée par le vocable « bonne » lorsque les institutions de l’État
sont rationnellement administrées et leurs décisions orientées dans le sens de l’intérêt général
et du bien commun. En revanche, la gouvernance est considérée comme « mauvaise » lorsque
les principes de gestion des affaires publiques sont orientés dans le sens des préférences
individuelles et privatives et dans ce cas souvent la corruption devient mode de gouvernance.
Dans la mise en œuvre de cette classification, le mérite revient à l’équipe des précurseurs, à
savoir les D. Kaufmann, A. Kraay et M. Mastruzzi qui ont développé depuis 1999 six
indicateurs (Indicateurs mondiaux de la gouvernance)10 pour mesurer « la bonne
10
Disponible sur le site : govindicators.org
57
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
gouvernance ». Des indicateurs qui sont produits régulièrement et périodiquement et qui sont
construits à partir d’un catalogue de données auxquelles ils appliquent la méthode agrégative.
L’évaluation de l’évolution de la gouvernance n’est pas une chose aisée. Il n’est pas évident
que les six indicateurs évoluent dans le même sens sur une même période, ce qui rend un peu
délicat la mesure de son évolution. Selon J. Cartier-Bresson (2008), ‘‘ un pays peut réduire
son niveau de corruption sans enregistrer d’amélioration de ses performances globales en
termes de gouvernance, car d’autres variables peuvent se détériorer (par ex. le respect des
droits de l’homme, l’efficacité globale de l’administration à la suite d’une réduction
budgétaire)’’.
Les indicateurs de la bonne gouvernance varient en fonction des agences de notation. R.
Dallali (2009), dans l’étude comparative réalisée sur les trois pays du Maghreb (Tunisie,
Maroc, Algérie), distingue les indicateurs de gouvernance composites selon les deux aspects :
administratif et politique qu’ils englobent. Le premier aspect, administratif, regroupe trois
indicateurs (la moyenne arithmétique de ces indicateur détermine l’indice de gouvernance
administrative : GOVa) liés à la qualité de la bureaucratie, la corruption et le droit de
propriété. Le second aspect, politique, regroupe quant à lui deux indicateurs (la moyenne
arithmétique des deux indicateurs permet de définir l’indice de gouvernance politique :
GOVp) relatifs à la stabilité politique et la liberté civile.
58
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
Conclusion
Le développement limité qu’a connu le secteur moderne et l'importance des flux
migratoires vers les zones urbaines ont contribué au développement d'un secteur hybride dont
les principales vocations répondent au souci de la création d’emploi, à garantir des revenus et
la satisfaction des besoins spécifiques que le tissu productif moderne n'arrive plus à assurer.
La répartition inéquitable des richesses nationales et l’introduction de l’économie de bazar ont
engendré l’apparition des comportements rentiers, qui ont favorisé, à leur tour, l’émergence
des pratiques de la corruption à tous les niveaux.
Sur le plan de la méthodologie, nous avons opté pour la collecte d'informations sur le
terrain, à l'aide d’un questionnaire que nous avons confectionné au préalable. L'objectif du
travail d'enquête est d'illustrer nos conclusions à l'aide des données statistiques découlant du
traitement des résultats de l'enquête et ce, en procédant toujours à des recoupements pour
pouvoir avoir le maximum d'informations qualitatives. Ainsi, la technique adoptée pour la
réalisation de notre enquête-sondage découle de la combinaison, d’une part, de plusieurs
techniques (techniques d'échantillonnages stratifiés) que nous avons exploitées pour stratifier
la répartition du questionnaire ; et d’autre part la technique l'échantillonnage accidentel qui
nous a permis d’atteindre 657 individus enquêtés. Alors que le second questionnaire, plus
détaillé, nous a permis de mener des entretiens avec une variété d’acteurs ayant occupé des
fonctions dans les institutions de l’Etat, des universitaires, des chercheurs, des journalistes
d’investigation, des politiques qui ont eu a traiter le sujet de la corruption directement ou
indirectement au cours de leur carrière professionnelle. A cela s’ajoutent les multiples
documents sur divers supports et sous différentes formes (presses, rapports, enquêtes…etc.)
qui nous ont permis d’enrichir qualitativement notre travail de recherche.
L’approche par la « bonne gouvernance » constitue un enjeu de taille. Elle devient un
facteur influant sur les critères d’allocation des aides internationales. Or ces indicateurs
normatifs sont réputés pour être subjectifs. Aussi pouvons-nous, selon les pays pris en
référence, tailler cette approche en deux parties. Celle qui reprend les caractéristiques
objectives de gouvernance liées aux rôles et à l’implication des populations dans le processus
de prise de décision, ainsi qu’à la représentation que l’on peut observer périodiquement sur le
terrain et ce, évidemment en analysant leur degré en fonction des sociétés auxquelles nous
avons à faire. Puis celle qui fait référence aux indicateurs subjectifs de la gouvernance,
59
CHAPITRE PREMIER: Présentation des espaces d’investigation et de l’échantillon
souvent composites, élaborés à base des données subjectives car fondées sur les opinions
émises par des experts.
Mais, quand bien même les diverses notations des agences soient multiples et subjectives, il
s’avère qu’il existe une forte corrélation entre les différents résultats établis sur la base des
indices composant les indicateurs de la bonne gouvernance en général et le degré de
concordance de la perception de la corruption avec les appréciations des observateurs, en
particulier.
La mise en place d’indicateurs de mesure de la bonne gouvernance en général et de la
corruption en particulier – malgré le caractère subjectif et les diverses critiques objectives
développées à l’égard de ces instruments – permet de rendre compte plus au moins des
réalités sociales, économiques, politiques, sociologiques, culturelles et idéologiques des pays
en développement couverts par les enquêtes.
Cependant, la diversité des caractéristiques historiques, sociologiques, culturelles et les
richesses économiques spécifiques à chaque pays ne nous autorise
pas à généraliser
l’appréciation basée sur un canevas standardisé et ce, vu le nombre et le choix des indices
composant les indicateurs. En définitive, il s’agit de répondre à la problématique de la
pertinence des indicateurs utilisés par les différentes organisations pour la mesure de la bonne
gouvernance, en termes de concordance des formes de collectes des données de base d’un
pays à un autre et d’une région à une autre. De même qu’il faudrait démontrer le niveau
d’efficacité de ces indicateurs selon les objectifs recherchés, tout en établissant les liens
d’interaction et de causalité basés sur l’objectivité avec à la clé enfin la détermination de
l’opportunité des changements devant être mis en œuvre.
60
CHAPITRE II :
Genèse et historique
du phénomène de la
corruption
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
DEUXIEME CHAPITRE : Genèse et historique du phénomène de la corruption
Introduction
L’examen de la genèse et de l’histoire du phénomène de la corruption permettra la
compréhension de la situation actuelle qui n’est pas forcément différente des périodes
antérieures à l’accession de l’Algérie à l’indépendance. Certaines interrogations trouveront
ainsi leurs réponses, dans un sens où l’individu d’aujourd’hui est le produit d’un passé récent
et lointain. Et ce, à fortiori puisque la période postcoloniale ne peut être considérée comme un
moment de rupture, marquant l’acte de naissance, fondateur de l’Etat-nation. Quel sens peuton en fait donner aux pratiques corruptives leur extirpant l’espace et la temporalité ? C’est
ainsi, qu’il s’agira de voir dans quelle mesure la période contemporaine a subi les influences
des différentes occupations et surtout celles relatives aux choix opérés durant la période
postindépendance. Une hypothèse empreinte de la logique découlant de la dépendance au
sentier.
Aussi serait-il pertinent de chercher à articuler tous les liens possibles afin de comprendre les
mutations et la complexité des changements souvent contradictoires, ayant animé le pays
durant le processus d’indépendance et d’édification des institutions de l’État et qui
concomitamment ont produit des pratiques corruptives.
Ainsi ce chapitre consacré à la genèse et à l’histoire du phénomène de la corruption est
composé de trois sections, structurées dans un ordre chronologique et résultant, généralement,
des aspects et faits que l’on retrouve dans les travaux d’historiens. La première section intitulé
genèse ou aperçu historique traitera de la présence des pratiques de la corruption à travers les
modes de gouvernances durant les différentes périodes ayant jalonné l’histoire de l’Algérie
avant l’occupation des ottomans jusqu’à la colonisation par la France. La seconde section
consacrée à l’Algérie durant la période post-dépendance permettra de déceler les passerelles
établies au moment de la libération de l’Algérie. Il est question, en premier lieu, de traiter de
la reconduction et du développement du clientélisme et de la corruption lors de la constitution
de l’Etat-nation par l’intronisation du régime politique algérien instituant un système de
gouvernance gangréné par ces pratiques; puis, en second lieu, son évolution et son caractère
endémique en l’associant à l’apparition de la rente pétrolière. Dans la troisième section, nous
allons traiter historiquement de la problématique de la corruption au niveau des différents
échelons internationaux (ONU, Banque Mondiale et le continent Africain) et de ses origines
au niveau national durant les trois principales périodes de l’Algérie indépendante.
61
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
SECTION I : Genèse ou aperçu évolutif
1-1/ Aperçu avant les Ottomans
À travers cette brève rétrospective sur la période, souvent agitée, qui a jalonné les
espaces territoriaux de l’Algérie, laquelle naturellement n’a eu son existence en tant qu’Etatnation qu’après la décolonisation, nous n’entendons aucunement justifier par là l’origine du
phénomène de la corruption dans le continent africain en général, ni même en Afrique du
Nord en particulier, que beaucoup assimilent au monde arabe.1
La multiplicité des royaumes et des dynasties qui ont occupé le territoire de l’Afrique du
Nord, sur fond d’invasions multiples, constitue un faisceau d’éléments qui corroborent le fait
que la corruption était indissociable des fonctionnements tributaires du système inhérent aux
souverains de l’époque ; lesquels exerçaient leur domination en instituant des mécanismes et
des stratagèmes de pouvoir, assurant leur perpétuation et une extension de leur règne.
La culture du privilège soutiré ou accordé par un souverain et son entourage dans le but
d’accéder à des avantages préférentiels résulte de la contrepartie de la corruption, assimilable
au pot-de-vin d’aujourd’hui. D’après T. Dahou (2002), « la constitution des monopoles dans
le commerce de traite provenant essentiellement de la corruption des pouvoirs royaux. En
effet, l’établissement de diasporas commerçantes était rendu possible par l’achat des faveurs
du prince. Au sein des royaumes du Soudan central, des monopoles étaient concédés aux
commerçants étrangers insérés dans les réseaux de traite, après le paiement d’un lourd tribut».
L’accès aux postes des gratifiés tel que les conseillers, la trésorerie, l’impôt, la justice, les
commandements reposait sur la séduction et le versement de biens. L’appartenance à la cour
implique non seulement une rémunération considérable, mais surtout elle indique une position
de pouvoir et une large possibilité de soutirer des avantages auprès des administrés.
Les alliances entres personnes et les groupements de populations sont aussi régies par des
rapports de corruption, et ce, souvent lors des agressions internes tribales et particulièrement
lorsqu’il s’agit des occupations externes. C’est ainsi, selon T. Dahou (2002), que « Le
croissement des traites atlantique et saharienne a conduit au développement de rapport des
1
Il n’est pas aisé de traiter de la corruption, qui se traduit généralement par des pratiques clientélistes, en
reconstituant des périodes aussi lointaines les unes des autres. Chacune de ces longues périodes a eu son lot de
pratiques que l’on peut aujourd’hui apprécier différemment.
62
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
traites atlantique et saharienne entre les royaumes, rapport ne reposant pas forcément sur une
base communautaire mais sur des intérêts circonstanciés».
En l’an 105 av. J. –C., Rome a corrompu Bocchus (que le sénat éleva au statut d’ami et d’allié
du peuple romain) le vieux cousin de Jugurtha, qui a accepté de tendre un guet-apens à ce
dernier, et en contrepartie il reçut en guise de récompense l’autorité de gouverner l’espace
territorial d’une partie de la Numidie.
Les alliances réalisées sur fond de traîtrise et de guerres fratricides connues durant cette phase
de l’histoire de l’Afrique du Nord, se faisaient généralement en contrepartie d’un pouvoir
discrétionnaire avec à la clé un accès profitable à l’opulence et un à renforcement des
appartenances et des réseaux clientélistes.
La pratique de la corruption pour des desseins de domination servait souvent de substrat
structurant le mercenariat. Ainsi, les invasions de Afrique du Nord, en particulier à partir de
l’an1048, ont été exécutées par les tribus d’arabes bédouins notamment les Banu Hillal et
Banu Sulayman a qui le butin de guerre était promis sous forme de razzia2; et lesquels
envoyés par les Fatimide afin de réprimer les Zirides et les Hamadites, menaient des
incursions et des batailles, en pillant d’abord puis en détruisant tout sur leur passage et
laissant derrière eux la désolation.3
1-2/ Période des Ottomans
A l’appel au soutien des frères Barberousse par les notables Algériens afin de se
protéger particulièrement des incursions espagnoles, les Turcs occupèrent l’espace algérien,
malgré leur méconnaissance de la langue des autochtones, transformant cette position en un
rapport de domination, opposant à leurs coreligionnaires l’autoritarisme et les soumettant à
des charges d’impôts lourdes. H. El-Wartilani (1908) présentait les Turcs comme de
véritables exploiteurs, du fait qu’ils tiraient profit des revenus fiscaux pour mener une vie de
luxe. Aussi J.P. Laugier de Tassy (1724) considère que « L’on objecte que les turcs qui
gouvernent le royaume d’Alger sont des bandits, qui l’ont enlevé aux naturels du pays, par la
trahison, par la force et par le crime ; qu’ils y maintiennent leur pouvoir par la tyrannie ;
qu’un État gouverné par de telles gens, ne peut-être que très défectueux ».
2
Le terme qui signifie en langue arabe l’accaparement par le fait de tout rafler.
Iben Kheldoun en décrivant ces invasions dans La Mokadima, dit que là où ils passent, l’herbe ne repousse
plus et que même le sol change de couleur.
3
63
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
Pendant cette domination, qui a duré plus de trois siècles, les Turques ont façonné les
institutions traditionnelles dans le monde musulman. Ainsi, A. Koroghli (1988) faisant
référence à C. Bontemps (1976) décrit la mutation : « au régime communautaire de l’Ouma
succède une construction étatique fondée sur le double principe de la hiérarchie et des
privilèges ». Des pratiques que H. El-Wartilani décrivait et dénonçait d’après Y. Adli (2010)
du fait de « leurs méfaits et les vices qu’ils avaient introduits dans le pays, comme la
corruption et la vie ramollie ».
Les institutions Ottomanes ont connu une évolution de plusieurs hiérarchies, essentiellement
quatre qui se sont succédés : beylerbeys, pachas trennaux, aghas et deys. Ces mutations ont
abouti à l’établissement de l’oligarchie militaire pour le développement d’une administration
colonisatrice. Le dey régentait avec autoritarisme, il disposait de tous les pouvoirs, J.P.
Laugier de Tassy (1724) « il gouverne généralement tout le royaume, récompense et punit à
son gré, ordonne les camps et les garnisons, dispose des emplois et des grâces et ne rend
compte de sa conduite à personne ».
Ce régime tyrannique n’a pas cessé d’engendrer des violences, des pratiques dégradantes et
inhumaines, de la corruption s’accompagnant d’un dépérissement de la société. La
stratification sociale des ottomans et des autochtones produit des passe-droits tels que les
pillages ou le rançonnement des autochtones par les soldats et l’imposition souvent arbitraire
des habitants pour financer le corps des militaires, et ce, afin de faire face aux « révolutions de
palais » à l’intérieur du sultanat où les luttes sont menées en permanence pour le pouvoir et
l’accès aux privilèges qu’il confère. Une situation nuisible qui avait comme conséquence la
dégénérescence des aspects culturels, spirituels et civilisationnels qui rayonnaient en Afrique
du Nord avant l’avènement de la régence Turc.
L’usage du baqchich été monnaie courante chez les Turcs pour accéder aux postes de
fonctionnaires au niveau de la justice et de la perception de l’impôt, selon H. El-Wartilani
repris par Y. Adli (2010) « c’était l’usage dans de nombreuses villes comme Béjaia,
Constantine ou Biskra. Ce fléau n’est cependant pas l’apanage de la seule Régence d’Alger,
il est inhérent aux Turcs en général…. » Toutefois, au niveau de la justice, les lois étaient
puisées dans le Coran, sans que les gouvernants (dey, cadi) et les gens de loi ne puissent bien
les interpréter. Encore que ceux-là ne se donnaient même pas la peine de procéder à la
vérification de la véracité des faits des justiciables. Les délits sont châtiés sévèrement. Le
non-respect des lois et des statuts des institutions est condamné à la peine capitale. Selon H.
El-Wartilani repris par Y. Adli (2010) « D’autres fois, pour avoir mal régi et administré les
affaires du gouvernement, ou dissipé des fonds publics, et souvent par des cabales de gens
64
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
mal intentionnés qui les assassinent en trahison. D’autres, enfin, sont quelquefois assez
heureux pour prévenir par leur fuite cette rude catastrophe.».
L’héritage principal de la période d’occupation des ottomans fait référence à notion de Baylek
qui renvoie à l’État, au gouvernement central, au bien public par opposition aux biens privés.
Il s’agit d’un concept utilisé traditionnellement en Algérie, puis à l’indépendance il désigna
l’accaparement des « biens vacants français » et aujourd’hui il fait référence au pouvoir
central. Ce pouvoir autoritaire qui durant l’occupation turque impliquait les prélèvements
fiscaux, alors que durant la période de colonisation française il renvoyait à la puissance ou
l’administration publique, et enfin, actuellement ce concept signifie les services et les biens
appartenant ou concédés par les institutions publiques.
Le Baylek a des connotations négatives dans l’imaginaire du citoyen ; il permet l’éventualité
d’user de la chose dite publique illicitement sans que les concitoyens puissent intervenir.
Cette période explicite l’origine du comportement rentier de l’Algérien d’aujourd’hui, situant
les pratiques de corruption. Deux sphères s’affrontent, d’un côté celle de la classe politique, et
de l’autre celle de la société civile. La première est celle qui s’accapare du pouvoir en
imposant son autorité, en érigeant des clans, sans se soucier de l’intérêt général, et en
nommant sa clientèle qui accède ainsi donc aux privilèges et pille les richesses du pays. Et la
seconde est due au non-respect des règles régissant l’espace public, disloquant complètement
l’organisation sociétale.
L’étude de la période turque permet d’avoir une explication très significative pour la
compréhension de la situation caractérisant l’Algérie d’aujourd’hui. Le parasitage
bureaucratique, le mercenariat de l’armée, la pratique du bakchich, le monopole de l’État
ottoman sur le commerce... etc. constituent les éléments de similitude avec l’État colonial et
postindépendance.
1-3/ Période coloniale
1-3-1/ L’entrée des français
La prise d’Alger par les français en juillet 1830, l’accompagnât un grand scandale, à
savoir le pillage du trésor d’Alger4. L’occupation attira l’intention sur l’ampleur des
détournements et l’importance de la valeur de ce trésor de l’époque ottomane. La destination
des éléments de ce trésor reste floue, pour certains ils furent vendus, sans pour autant dévoiler
4
Les écrits de la période coloniale sont nombreux où il est fait la description des nombreuses pratiques de passedroits, de concussion et de clientélisme sévissant dans les allées de l’administration coloniale.
65
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
les acquéreurs ; pour d’autres, ils ont été transportés en France, à Toulouse, Mahmoud Bacha
(2005).
Pour mesurer la portée de ces actes, le commandant Persat déclare d’après P. Péan (2005):
« J’ai cité un bien petit nombre de nos braves de 1830 en Afrique ; j’en ai du regret, mais j’en
éprouve bien davantage de ne pouvoir signaler tous les intrigants et les pillages de cette
époque (…). Je dirai et certifierai que la Cassauba a été livrée au plus honteux pillage
pendant huit jours consécutifs, mais je ne nommerai pas les pillards, quoique je les connaisse
fort bien ; ayant en effet goûté assez souvent les prisons royales, je n’ai nulle envie d’y
retourner (…). Si l’on a toléré ce petit pillage, ce n’était que pour couvrir le grand, celui du
trésor, car les grands pillards raisonnaient ainsi : ‘‘laissons enlever le butin de la Cassauba,
afin de tromper et mettre en défaut nos accusateurs, etc.’’ ».
Ce laisser-faire explicite le détournement, impossible à estimer, vu les sommes
contradictoires avancées et les dissimulations annoncées, dont une bonne partie avait attiré
dans les caisses privées de Louis-Philippe, selon le rapport de police de 1862 découvert par le
professeur Marcel Emerit, repris par P. Péan (2005). Le trésor a profité aussi aux militaires,
aux fonctionnaires des finances, aux banquiers etc. Ce scandale pénible répandu par les
journaux de l’époque contraint le général Clauzel à la formation d’une commission d’enquête
chargée de constater la vérité sur les faits attribués à l’armée ayant mené l’expédition d’Alger.
La composante de cette commission n’a pas pu aller loin, E. PELLISSIER (1836), au point où
il a été reproché au général Clauzel « avec amertume quelques acquisitions d’immeubles
faites par lui pendant son commandement ». Du fait que l’argent du trésor de la régence
d’Alger devait permettre, selon P. Péan (2005), à Charles X de corrompre les consciences afin
de disposer d’une majorité qui accepterait le retour à la monarchie absolue.
1-3-2/ Mode de gouvernance colonial
Après avoir assuré le contrôle d’Alger, les français ont instauré un régime colonial sur
le reste du territoire de l’Algérie. Cette période se distingue par une forme de gouvernance
basée sur des passes droits notamment par l’usage de la force couvrant les nombreuses
pratiques corruptives atteignant les autochtones et les faubourgs de la régence turque.
Pour asseoir sa domination, l’État colonial a utilisé sa force militaire brutale. Il a fait des
campagnes de colonisation en direction des civils européens pour l’occupation des territoires
algériens. Il a instauré un code de l’indigénat correspondant au droit, appliquant des sanctions
aux autochtones non européens. Il a associé à cet appareil répressif et à l’arsenal juridique un
mode d’administration qui permet le développement de la corruption. Cette administration
coloniale n’était pas redevable devant les populations colonisées.
66
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
En érigeant l’État de non-droit, les colons pouvaient disposer graduellement des richesses et
ressources de l’Algérie. La suprématie du colon sur « l’indigène » crée une relation de
clientélisme entre les deux, où d’un côté le premier dispose du pouvoir de sanction, de
répression et d’administration discrétionnaire lui permettant de se servir en usant de son statut
pour obtenir des avantages à la faveur des services rendus aux administrés autochtones en
contrepartie de la jouissance de leurs ressources ; et puis, de l’autre côté le second en position
de dominé qui cherche à recourir à des stratégies permettant de contourner l’autorité de ce
pouvoir, vivant dans un climat de dissimulation à la recherche des voies et moyens permettant
l’évitement des contraintes et interdictions inhérentes à cet ordre colonial.
Ce rapport de dominant au dominé a produit des relations de types clientélistes, comme le
décrit T. Dahou (2002), « différents versements permettraient en effet aux sujets de passer
entre les mailles du filet des peines et corvées infligées par l’État. En outre, la concession du
pouvoir régalien, a fondé un ‘‘gouvernement privé indirect’’. Les passe-droits ainsi accordés
servaient à atteindre les impératifs de production et de rendement, mais avaient pour
conséquence la privatisation des ressources publiques.». L’absence de transparence et le
manque d’équité du dispositif colonial ainsi fait ne font qu’entretenir le lit de la corruption.
La politique française envers les Algériens a connu plusieurs facettes : il y a eu des
politiques de destruction, d’assimilation, de refoulement etc. L’indigénat se distingue par
l’usage des règles dans un système qui considérait le colonisé comme un sujet, c'est-à-dire un
sous-citoyen, et non pas comme un citoyen à part entière. D’après J. Pera (2002), « les lois y
sont fort peu nombreuses; en revanche c’est toute une broussaille de décrets, de dispositions
administratives, de circulaires et de mesures de guerre. L’illégalité y est fréquente ;
l’empirisme constant. Et – ce qui augmente encore le chaos – ces actes divers procèdent de
tendances différentes».
Ces textes juridiques expriment au niveau de la pratique quotidienne une discrimination en
matière de droits et devoirs entre les colons d’origines européenne et les indigènes algériens.
Les devoirs sont successivement accrus, surtout dans la durée du service militaire, mais la
contrepartie en droits est inférieure pour les algériens tel l’exemple des indemnités ou des
pensions d’invalidité de guerre.
Les droits politiques sont très dérisoires : pas de représentation au niveau du parlement ni au
niveau de l’assemblée locale, le statut d’électeur est accordé uniquement sous conditions
d’avoir un diplôme, d’être propriétaire ou d’être décoré. De ce fait les résidents d’Algérie
constitués majoritairement d’algériens sont exclus du processus de représentation.
67
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
L’administration de la justice dépendait des délits et des justiciables. La qualification du délit,
la sanction et la juridiction dépend des justiciables. Cette discrimination peut aboutir à la
qualification d’un fait illicite correctionnalisé chez un européen et pouvant être incriminé chez
un Algérien.
Le règlement des conflits obéissait à des pratiques corruptives, vue la politique
discriminatoire voire d’impunité, particulièrement lorsqu’il s’agit de litiges mettant aux prises
des Européens avec des Algériens. La soumission à des payements pour fuir les affres des
juridictions coloniales a été à l’origine de l’appauvrissement et de l’abandon de leurs biens
par des algériens.
Cependant, dans certaines tribus résistantes, qui ont renoncé ou négocié leur capitulation en
contrepartie d’avantages assimilables à de la corruption, comme le décrit A. Rey-Goldzeiguer
(1977) repris par F. Talahith (2000), «la corruption coloniale altère l’autorité des chefs de
tribus qui se voient confier, pour prix de leurs loyaux services, des pouvoirs exorbitants,
administratifs, judiciaires, fiscaux, inconnus jusqu’alors.»
1-3-3/ Emplois des fonctionnaires et la corruption
Les fonctionnaires coloniaux en poste en Algérie ont utilisé diverses méthodes de
corruption. Plus le poste occupé est important, plus les possibilités de multiplier les avantages
illicites, issus des actes de corruption, sont considérables. La petite corruption au quotidien
permet l’attraction de privilèges du vécu au niveau des échelons inférieurs au sein de
l’organisation administrative.
La composante des fonctionnaires locaux inclue des autochtones au degré inférieur de
l’administration en ce qui concerne les tâches qui ne peuvent être assurées par les Européens ;
et en le cas particulièrement lorsqu’il s’agissait de s’adresser aux Algériens dans leurs
langues, il est fait appel à des interprètes. Ces derniers soutirent souvent des avantages de la
position qu’ils occupent et les rapports qu’ils entretiennent dans l’administration coloniale. Ils
forment ainsi la quintessence sur laquelle se fondent les relations et les comportements
corruptifs. En effet, selon P. Sas et Y. Romanetti (1961), durant les années clinquantes, les
Caïds5 obtenaient des cartes d’identité aux autochtones, moyennant deux francs par document.
L’abus d’autorité des fonctionnaires de l’administration coloniale, entaché
d’irrégularité et de passe-droits, alimentait les comportements corruptifs. L’exemple du code
5
Un statut conféré aux algériens, il constitue l’équivalent de celui du fonctionnaire dépendant de
l’administration coloniale. Son rôle dépend de l’importance du territoire à sa disposition, en exerçant la fonction
de renseignement des autorités, d’aide au recouvrement de l’impôt et du contrôle administratif des activités ainsi
que les attitudes des autochtones.
68
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
de l’indigénat qui interdisait aux algériens de sortir de leur territoire local (village ou douar et
de la commune) sans permis de voyage, sorte d’autorisation fournie par l’administration6 est
illustratif. L’obtention de documents coloniaux a été souvent précédée par un don du
demandeur envers le fonctionnaire.
L’impunité accordée aux fonctionnaires permettait ainsi de couvrir par des actes
corruptifs les délits et les infractions passibles de sanctions diverses. Les actes illégaux ont du
reste encouragés pour que certains fonctionnaires civils ou militaires tirent des profits, à
l’encontre des algériens inoffensifs grevés par toutes sortes d’impositions. Plus encore, selon
E. PELLISSIER (1836) parfois on donnait des primes d’encouragement pour la dépossession
des algériens de leurs biens, et ce, en vue de satisfaire les besoins des troupes de
l’administration militaire, sous la couverture du « Bureau Arabe ». La violation du droit de
propriété était courante.
Les cas de concussion durant l’occupation coloniale ont fait ravage tel qu’illustré par
l’affaire Brossard, un général qui commandait la province d’Oran, accusé de s’être partagé
avec Ben Durand le produit d’un marché passé par l’intendance avec Abdelkader, pour la
fourniture des denrées repris par L. Aggoun (2010): « Abdelkader croyait avoir acheté des
prisonniers pour des denrées ; l’autorité française croyait avoir acheté des denrées pour
argent comptant et livré les prisonniers à titre de mesure politique et de générosité».
Le non-respect des lois dans le champs des espaces sociaux, consacrant l’absence d’égalité en
droits et devoirs d’une part, et les restrictions aux libertés notamment la liberté de circuler
d’autre part, produisant l’effacement de la liberté d’entreprendre et de s’occuper
continuellement en dehors de son espace local reconnu à la société paysanne de l’époque
coloniale – où les populations émigrés en basse saison pour travailler et compléter les maigres
revenues familiaux provenant en grande partie des moyens de subsistance temporaire tirés des
activités agricoles et artisanales – constituaient les logiques qui alimentaient la survie des
pratiques de la corruption.
La culture du bakchich était très répandue au niveau des fonctionnaires et même chez certains
employeurs du secteur productif. Les recrutements sont conditionnés par des versements de
pots-de-vin ou bien de recommandations par personnes interposées. P. Bourdieu (2008)
« Pour avoir une bonne place, il faut être pistonné (geste énergétique de la main) ! Il faut des
‘‘épaules’’ dures ! il faut user 40 000 ou 20 000 francs de bakchich ; … Si on connaît un
6
La loi de 1919 a supprimé du code de l’indigénat les cinq articles qui interdisaient les déplacements des
algériens sans permis de voyage.
69
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
copain, un parent, il peut aider à rentrer. Mais le plus fort, c’est le ‘‘piston-argent’’ qui
compte».
L’ancrage culturel dans la société algérienne (qui s’est davantage propagée a pris des formes
clientélistes durant la période postindépendance) du langage du piston (ktaf)7 ou bien des
connaissances (maaref)8 est à la fois cause et conséquence concomitantes aux pratiques
corruptives. Les recrutements se faisaient essentiellement par une forme de cooptation
sociétale, entre ceux qui occupaient les postes dans l’administration et ceux qui avaient une
position sociale supérieure. Ce n’est pas la qualité ou le diplôme qui est exigé, c’est plutôt la
notion de garantie et de service rendu qui l’emportait sur la compétence. P. Bourdieu (2008),
«la croyance en l’efficacité des protections et des relations personnelles est fondée dans la
réalité. 47,2% des enquêtés disent avoir obtenu leur emploi grâce à un parent (27%) ou à un
ami (19,2%) contre 14,5% par la recherche d’un emploi directe, 6,1% par l’établissement de
formation et 3,4% par le bureau d’embauche. ».
Ce procédé de recrutement couve, jusqu’à aujourd’hui, en lui les pratiques corruptibles et
entretient les relations clientélistes. Il est sous-jacent au protectionnisme des catégories de
personnes ayant un statut social inférieur provoquant en cela le sentiment de discrimination et
d’arbitraire, de favoritisme, de dépendance et de racket même.
Le recrutement des employés en général et des fonctionnaires en particulier qui obéissait aux
recommandations est considéré comme un type de clientélisme. Les liens clientélistes dans le
fonctionnement global de l’administration coloniale constituaient le fondement d’une
gouvernance des fidèles à la France coloniale, quelle que soit l’origine de la personne en
poste, européenne ou algérienne, et ce système de sélection à la promotion sociale s’articulait
sur le favoritisme impliquant des convoitises multiples tendant à tirer profit des rentes de
situation en entretenant des échanges en contrepartie de payements sous diverses formes.
Ce mode de recrutement particulièrement des fonctionnaires et l’attribution des postes
concouraient efficacement à protéger les corrompus. A. Rey-Goldzeiguer (1977) repris par F.
Talahith (2000) considère que « le règne de la recommandation sévit autant que les tentatives
de favoritisme et de corruption sous les formes les plus variées».
7
8
Ktaf dans le langage populaire algérien actuel signifie être épaulé ou être appuyé.
Maaref dans le langage populaire algérien actuel signifie avoir des connaissances.
70
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
1-3-4/ Quelques pratiques de la corruption
A l’avènement des colons français, la société algérienne était essentiellement
constituée de paysans attachés à la terre. Selon M. Bacha (2005), malgré les assurances
annoncées, notamment la convention du 5 juillet 1830 stipulant entre autres que : « la liberté
des habitants de toutes les classes, leur religion, leurs propriétés, leurs commerces et leurs
industries ne recevront aucune atteinte », les français ont procédé à l’appropriation des terres,
qu’elles soient habous9 – qui est dans les rites malikite une propriété inaliénable,
imprescriptible insaisissable et perpétuelle –, du beylek ou des biens privés, en établissant un
arrêté autorisant cette confiscation en septembre 1830, afin de les mettre à la disposition des
premiers colons qui viendraient s’installer en Algérie en tant que propriétaires féodaux.
Créant ainsi une occasion pour faire des affaires. Tout le monde tirait profit de cette rente de
situation, que ce soit parmi les civils ou les militaires. La course aux intérêts, à l’aisance et
l’enrichissement facile était ouverte à tous les colons qui arrivaient vers le nouvel eldorado à
travers le « business, fourbis et autres intrigues du gain facile.», M. Bacha (2005).
La dépossession des algériens par les colons s’est faite par la force de l’administration
coloniale en décrétant la confiscation et en procédant aux attributions aux colons qui mettaient
pied en Algérie. P. Hugon (1999) considère que « les droits de propriété coloniaux, n’en
déplaise à North10, ont été mis en place par la violence, difficilement réductible à la rareté
relative des facteurs de production. La question fondamentale de l’économie politique est
celle de l’asymétrie des droits, et non celle de l’information.». Ainsi, l’économie coloniale
s’était érigée sur des pratiques de corruption basées sur la rente foncière diverse, en
dépossédant et pillant, au départ, les richesses des algériens, puis en procédant à des octrois
aux colons. De ce fait certains colons ont acheté pour spéculer et non pour produire.
Le détour des procédures et l’alibi de l’absence d’actes légaux attestant des titres de propriété
des algériens, en conformité avec l’arsenal judiciaire colonial, ont permis à l’administration
coloniale de mener sa politique qui visait indéniablement l’appauvrissement des algériens en
les expropriant de leurs terres agricoles les plus riches.
9
Qui appartiennent aux fondations religieuses, selon Abou hanifa : « déclaration (du propriétaire) ‘‘par laquelle
la propriété d’une chose est retenue en la possession de Dieu, de telle sorte que le profit en résultant soit donné
aux créatures’’.
10
Selon A. PERDONCIN, in http://www.laviedesidees.fr/, en ‘‘parcourant10 000 ans d’histoire, Douglass North
et ses coauteurs insistent sur le rôle des institutions dans la pacification des rapports sociaux’’.
71
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
Instaurant de suite le régime des Khames Système du Khamassat (système de métayage au
cinquième)11, certains ont permis l’installation des familles des travailleurs sur les propriétés
moyennant des redevances annuelles. On peut à titre indicatif citer les terres les plus prisées,
à savoir celles de la Métidja, A. Amoura (2004), « en 1942, 105 000 hectares parmi les terres
agricoles les plus riches furent cédés aux européens. 60 000 hectares de la Métidja furent
extorqués à leurs propriétaires pour cause de non présentation de pièces justificatives de
propriété en temps opportun.»
La dépossession des algériens avait atteint plus tard les biens Habous. En ordonnant d’abord
la conversion des biens Habous publics au profit de l’administration coloniale, puis en
supprimant l’inaliénabilité des biens Houbous privés acquis au profit des nouveaux
acquéreurs européen. Mesure qui a été élargie quelques années plus tard aux acquéreurs
musulmans.
Ces mesures portant sur la désacralisation des biens Habous, collectifs et indivisibles, en
mettant en place des techniques juridiques, avait comme visée de soudoyer les autochtones
qui bénéficiaient des usufruits en leur permettant de tirer un avantage d’un bien collectif
inaliénable; ces derniers soit sous la contrainte – l’appauvrissement et les dettes contractés
chez les usuriers rendaient les algériens vulnérables –, ont accepté de brader ces biens au
profit des colons européens – qui soutiraient des rentes conséquentes à la faveur des
spéculations auxquelles ils s’adonnaient –, soit par imposture et dissimulations lorsqu’il s’agit
de plusieurs usufruitiers d’un bien, Barthélemy Prosper Enfantin (1843): « l’usufruitier et
quelquefois plusieurs usufruitiers d’un même bien Habous, leur vendaient (aux européens) ce
bien, que leur louait de son côté un ancien locataire de ce bien, et que leur vendait aussi
l’acquéreur à l’ana, et qui finissait par être réclamé, au moins en nue-propriété, par une
corporation».
L’opération de la francisation des biens des algériens a été contrainte à faire face aux défauts
des actes traditionnels, parfois imprécis ou carrément truqués, établis par la Régence avant
l’arrivée des français.
Plusieurs manœuvres ont été détectées, à l’exemple de l’établissement de deux actes relatifs à
une même parcelle de terre en jouant sur les dates, J-P. Charnay (1991). Ces fraudes sur les
biens immobiliers résultent directement de la complexité des nouvelles règles introduites par
le système coloniale, multipliant ainsi les pratiques corruptives multiformes, toutes assujetties
11
Khames signifie le cinquième. C’est le régime des khemassa qui accordait un cinquième de la récolte aux
algériens qui sont recrutés par les colons européens français, espagnoles, italiens etc. pour travailler sur leurs
terres confisquées précédemment.
72
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
à la captation du pouvoir formel et informel des administrations des services publics.
L’établissement des actes truqués et les fraudes de ce genre sont aujourd’hui des pratiques
courantes dans la gestion du foncier en Algérie. Et ce, notamment en matière d’enregistrement
au niveau des services du cadastre, des domaines et de la conservation fonciers.
La puissance publique française qui a favorisé la primauté des lois françaises sur les actes
établis antérieurement et la francisation décrétée des biens des algériens, ajoutés à la
prépondérance des administrateurs coloniaux qui exacerbé les Algériens, ont eu l’effet de
multiplier les actes délictueux.
Lors des litiges, la captation de l’autorité publique au service des colons a permis à certains
Algériens de tirer profit de leur position vis-à-vis de l’administration coloniale, s’accaparant
ainsi des biens acquis frauduleusement, moyennant des pots-de-vin.
Ces interférences
entravaient l’évolution ordinaire des affaires publiques. Elles chevauchaient gravement
l’éthique des règles instaurées et acquiesçaient l’émergence du favoritisme au bénéfice des
autorités coloniales notamment à l’avantage des collaborateurs autochtones.
La fiscalité française se faisait en monnaie bien avant l’abolition des vieux impôts arabes
datant de la domination turque. Moyen de contrôle et de perception des contributions aux
dépenses publiques et à la fois moyen de répression fiscale à l’encontre des fraudeurs, elle
représentait en fait une arme à double tranchant entre les mains de l’administration coloniale.
Elle pouvait selon J-P. Charnay (1991) d’un côté servir pour surimposer certains indociles et
d’un autre, à sous imposer et à organiser une fraude fiscale ou plutôt à donner lieu à la
fiscalité souterraine qui s’imposait aux musulmans désireux de se concilier le caïd, les agents
de l’administration, le cadi. Certains profitaient de l’avantage de ne pas payer l’impôt dans les
délais, en évitant de payer des pénalités de retard, comme cela ce faisait aux retardataires
européens en graissant la patte aux agents du fisc. Ces derniers, en collusion avec les
collaborateurs directs au sein de l’administration coloniale et indirects parmi les médiateurs,
courtisaient les populations imposables.
Les occupations successives du territoire de l’Afrique du Nord puis de l’Algérie ont eu
des impacts avérés sur la conduite des populations à des époques différentes. Des
répercussions négatives apparaissent alors dans le comportement de la société d’aujourd’hui
dans tous les domaines.
La colonisation française qui a démantelé l’organisation sociale, l’espace de production et les
activités économiques existantes à l’époque de l’occupation ottomane a instauré un mode de
domination arbitraire. Ainsi, l’Algérien à l’ère coloniale se caractérisait par un long processus
d’exclusion et de marginalisation frappant des populations entières, éprouvées par les
73
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
retombées de la dépossession et du démantèlement de l’économie locale traditionnelle tenue
par des petits producteurs. Un processus d’aliénation qu’accentuaient une dense délocalisation
des populations et une forte mobilité migratoire interne et externe durant la période de guerre
de libération, avec comme résultat la jugulation jusqu’à l’anéantissement de l’essor
économique après la deuxième guerre mondiale.
Le pillage des richesses, la bureaucratisation de la vie publique par des fonctionnaires véreux,
la spoliation des populations de leurs biens, particulièrement les paysans détenteurs des terres
agricoles, l’instauration d’un nouveau mode de production, l’imposition du code de
l’indigénat, la gestion par la gabegie et les passe-droits produisant et entretenant les pratiques
corruptives, ont étaient imités intensément durant la période postindépendance.
Ces effets néfastes ont eu raison de ceux qui ont accédé au pouvoir après avoir mené la guerre
d’Algérie pour la libération du pays. La pauvreté, la misère sociale, l’analphabétisme, les
diverses séquelles de la guerre qui a ruiné l’Algérie, la course à la prise du pouvoir et
l’héritage de la bureaucratie coloniale ont concouru à la reproduction et l’amplification du
passe-droit combattu durant la guerre de libération. G.Blundo et J.-P. Olivier de Sardan
(2007) expliquent comment « la bureaucratie coloniale, par ses distinctions, titres
honorifiques et privilèges accordés à ses fonctionnaires, engendre auprès du fonctionnaire
autochtone un désir d’émulation et de mimétisme vis-à-vis des anciens dominants (Price
1975), afin de surmonter les frustrations endurées sous la domination et de goûter aux fruits
jadis défendus du pouvoir (Tangri 1982) : il s’agit donc d’afficher un style de vie européen,
par l’adoption d’un mode de consommation de biens de luxe, dont une bonne partie est
importée et inaccessible pour des salaires qui n’ont pas été maintenus au niveau des
fonctionnaires coloniaux (Sarassoro 1979)».
A l’annonce du cessez-le-feu, les dirigeants de la révolution continuaient de
‘‘guerroyer’’ pour la prise de pouvoir. L’armée des frontières procéda au renforcement de ses
troupes en enrolant dans ses rangs de nouveaux soldats, ‘‘les Marsiens’’12, y compris parmi
ceux qui étaient hostiles à la guerre de libération, subtilisant ainsi les idéaux de la révolution
en corrompant les consciences. Cette armée dirigée par le colonel Boumediene a joué le rôle
d’arbitre dans la prise de pouvoir, c’est ce dernier qui appuiera Ben Bella pour devenir le
premier chef de l’État, avant qu’il s’en empare lui-même du pouvoir par un putsch.
12
L’ALN était truffée de combattants de la dernière heure engagés après le 19 mars 62 après être rentrés de
Tunisie ou du Maroc.
74
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
Section II : l’Algérie durant la période postindépendance
L’avènement de l’indépendance de l’Algérie a été précédé par des luttes pour
l’exercice du pouvoir. Des luttes dont l’issue a été en grande partie déterminée par, d’un côté
le poids des relations de la France coloniale avec l’Algérie indépendante et d’un autre côté par
les liens – de conspiration ou de rivalité – entre les différentes composantes ayant mené la
guerre de libération.
L’instauration de ces relations est assurée dans la confidentialité la plus totale par le système
dit de la Françalgérie sur un fond d’intérêts communs, tel que décrit par F. Gèze (2002), entre
Etats et surtout leurs dirigeants respectifs. Un système alambiqué dont tiennent une grande
place les échanges commerciaux qui se réalisaient à coups de prélèvements, par des
mécanismes occultes, sous formes de « commissions », devenues systématiques au profit de
ceux qui détiennent le pouvoir, il s’agit en l’espèce de la privatisation du commerce extérieur
malgré le monopole exercé par les organes de l’État.
L’Algérie alimentait en gaz et en pétrole la France et en contrepartie celle-ci fournissait à
l’Algérie les besoins en biens de consommation pour combler son économie complètement
sinistrée et dépendante des importations. Ce système a fonctionné secrètement sous forme de
réseau à base des relations étroites tissées entre les dirigeants algériens et français. L’Algérie
indépendante n’a pas échappé à la tentation de recourir à la corruption pour faire face à ses
difficultés économiques et à son déficit en matière de légitimité politique, entravant du coup
le processus de décolonisation. Selon J-F. Médard (1997) « Le chevauchement et
l’articulation entre ces divers réseaux officiels et officieux, institutionnels et personnels,
offrent à Foccart de considérables moyens d’action. Sur les réseaux Foccart, on peut
conclure avec Marion, ancien directeur du SDECE13, qu’ils ont contribué à perpétuer en
Afrique une situation néo-coloniale, ce qui était effectivement leur but, et à ‘‘l’installation de
régimes autoritaires et au développement d’un système généralisé de corruption.’’ ».
Au plan interne, la crise dite de l’été 1962 consacre la lutte des clans qui couvait tout le long
de la guerre de libération. On peut scinder principalement en deux les clans en concurrence à
l’époque pour le pouvoir. Il y a le clan de l’Est démuni sur le plan économique et social et le
clan de l’Ouest dont la base économique est très diversifiée.
Au congrès de Tripoli (mai – juin 1962) , lequel n’a jamais était clôturé, les conflits éclatent
au grand jour, non pas seulement pour la gestion du butin de guerre – si l’on ne sait plus qui
va remplacer les propriétaires ‘‘colons’’, les chefs d’entreprises et les fonctionnaires
13
Service de Documentation Extérieure et de Contre-espionnage.
75
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
européens, si l’on sait pas sur quoi l’autorité sociale va être fondée : est-ce sur l’appartenance
maraboutique, la compétence technique acquise dans les écoles du colonisateur, le titre
d’ancien combattant, l’adhésion à une idéologie ou bien la possession de moyens de
production, il n’est pas étonnant qu’on ne sache pas davantage à quel type de position et de
ressource serait attachée l’autorité politique – (J. Leca et J-C. Vatin 1975) et c’est ainsi donc
que la lutte des clans pour le contrôle et la prise du pouvoir a été inaugurée. Le régime après
la proclamation de l’indépendance s’est appuyé sur « le programme de Tripoli » traçant les
grandes lignes pour l’instauration et l’édification de la « République démocratique et
sociale ».
Ainsi, pour comprendre le cheminement des processus politiques de l’Algérie
postindépendance, donnant naissance et nourrissant les pratiques corruptives, il faut
décortiquer les orientations du système politique algérien, en n’omettant pas le contexte social
dans lequel s’est développé le mouvement de libération, la prise de pouvoir et les influences
de la France coloniale. Tout en mettant en relief la relation dialectique de l’évolution concrète
de l’économie et de la société algérienne et la ‘‘pagaille’’, les passe-droits, la consécration des
clans et du clientélisme comme mode de gestion et de gouvernance bureaucratique de la part
de la nomenklatura, voire le gaspillage des possibilités et des ressources mal exploitées durant
cette période.
2-1/ Constitution de l’État Nation
La mise en place d’institutions, après les longues périodes de dominations turque et
française, devait garantir une transition pour l’édification d’un État en Algérie dans le but de
promouvoir le développement de structures économiques adéquates conformément aux
principes énoncés par le CNRA14. La mise en place des mécanismes institutionnels devient un
impératif pour le développement économique. Le parti unique détient le monopole sur les
structures de l’État, il est à la fois le peuple, le parti et l’exécutif. De ce fait, il centralisait tout
les pouvoirs déterminants et réprimait toute opposition.
La légitimité historique, l’autoritarisme, le régionalisme et le clanisme sont le constituant
fondamental de l’ossature du régime qui a pris les destinés de l’Algérie indépendante, mettant
en place un mode de gestion des affaires de l’État comme des tontines, érigeant l’allégeance
et l’appartenance aux dignitaires du régime comme la règle permissive et clientéliste.
Toutefois, le peu qui restait, après l’indépendance, de l’élite formée dans l’administration et
l’enseignement a été repris dans les fonctions de l’État.
14
Conseil National de la Révolution Algérienne.
76
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
2-1-1/ Corruption et régimes politiques
Le manque de légitimité des dirigeants qui se sont succédés à la tête du régime
algérien fragilise leurs capacités
à stopper ou réguler la corruption devenue un mal
discréditant l’ensemble de la classe politique et les élites impliquées dans les centres de
décision. Bien que la question de la lutte contre la corruption ait été évoquée à maintes
reprises dans les discours politiques, l’évocation des responsables des dilapidations et
détournements ne dépasse pas le stade de dénonciation politique.
La nature du régime et l’idéologie pour laquelle a opté l’Algérie, le socialisme spécifique,
constituent les facteurs déterminants dans le processus d’appropriation et de pillage des
deniers publics. L’impunité accentue la lutte des clans au sein de la nomenklatura pour le
contrôle de la rente, la course à l’enrichissement illicite en usant des pratiques corruptives
devient dès lors systématique. Le régime algérien de la période postcoloniale s’adonnait aux
pratiques corruptives, tirant partie de la mainmise des budgets mis à disposition de leur
secteur d’activité D. Hadjadj (2001): « affaires étrangères, gendarmerie nationale, police,
agriculture, médicament, etc., ainsi que le révéla la cour des comptes en 1982 ».
Les différents dirigeants du régime politique algérien se sont singularisés par leur mode de
gouvernance autoritaire, populiste en période de disponibilités financières dues aux
fluctuations des prix des matières premières, et puis assurant une redistribution corruptive et
laxiste en période de crise. Lors du choc pétrolier de 1973 les pays occidentaux importateurs
de pétrole ont subi des pertes vertigineuses qu’ils ne tardèrent pas à regagner par des
exportations dans le secteur de l’armement. D. Hadjadj (2001) considère que « la conclusion
de ces marchés donna lieu à d’abondantes commissions qui vinrent alimenter les dictatures et
les réseaux de la corruption».
Ces pratiques ont porté un coup dur à l’économie nationale : certains projets de coopération
rejetés par les bureaux d’étude algériens ont été engagés malgré les réserves émises. C’est le
sabordage de l’appareil économique. La réalisation du complexe d’engrais azotés d’Arzew a
été confiée par Bélaid Abdeslem (ministre de l’industrie et de l’énergie de l’époque) à deux
entreprises françaises Technip et Creusot-loire, malgré les réserves des techniciens de la
Sonatrach. L. Aggoun (2010), « à peine achevé en 1969, le complexe connut toutes sortes de
problèmes d’ordre technique. Le choix de matériel était parfois inadéquat, certains
équipements étaient sous dimensionnés et le nombre de prototypes élevé (… résultats : ) le
taux d’utilisation de sa capacité de production n’a pas dépassé 15%, avant d’être mis
complètement à l’arrêt en 1975». Le régime politique entretenait des relations d’intérêts
occultes au niveau national et international ruinant l’économie algérienne au profit des
77
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
dirigeants, de leurs proches et collaborateurs directs qui tirent profit de leur position par des
pratiques corruptives.
2-1-2/ Système algérien et corruption : l’étatisme, bureaucratie, centralisme et
autoritarisme
Le système algérien, érigé suite à la crise de 1962, n’a pas cessé d’instituer des
mécanismes de légitimation – carence dont souffrait le régime –, et ce, en concentrant les
prérogatives et l’autorité entre les mains d’un pouvoir centralisé (unicité du pouvoir et
planification centralisée), lequel s’appuyait sur l’institution militaire héritière de l’ALN.
L’étatisme algérien s’étant constitué sur la base de l’idéologie autoritariste, volontariste et
totalitaire, l’usage de la corruption a été introduit comme mode de gestion face aux hommes
politiques engagés dans l’opposition. Le centralisme démocratique a produit le principal
marché politique de la bureaucratisation.
Le régime de Ben Bella utilisait le parasitage administratif comme instrument de corruption
afin de calmer ou contenir ses éventuels adversaires, en attribuant des responsabilités aux
membres du FLN et de l’ALN même peu instruits, les parachutant dans des postes
administratifs ou de gestion, juste pour justifier l’octroi à ces anciens militants des salaires
exorbitants. La précarité de ces emplois et l’incompétence de certains salariés poussent
nombre d’entre eux à prendre leur précaution en tirant profit des avantages de ces postes.
De ce fait l’option du parti unique, seul cadre politique, chargé d’enrôler les populations dans
une perspective d’un développement politique impliquant les acteurs sociaux et la société a
abouti au renforcement du clientélisme du régime, en écartant les élites et les compétences
peu nombreuse des postes de responsabilité, jusqu’à ce que les affaires de corruption
gangrènent l’ensembles des institutions de l’État. L’accès à ces postes a été conditionné
pendant la période du parti unique par l’article 12015 en plus de la légitimité historique dont
jouissaient certains impliqués dans le processus de décolonisation16.
Depuis l’ouverture démocratique cet article n’existe plus formellement, mais demeure
néanmoins implicitement applicable. Les règles de gestion militaro-administratives
souterraines sont quant à elles assurées informellement par la police politique. Tirant des
positions occupées dans les rouages de l’État, un pouvoir discrétionnaire, leur permettant
15
Article qui exige d’être un adhérent du parti pour postuler aux postes de responsabilité à tous les niveaux.
Une espèce de revanche ou de refoulement à conduit ces derniers à confondre les idéaux de la révolution au
favoritisme et aux privations décrites précédemment connues durant la période coloniale. Les mêmes pratiques
ont étaient reproduites durant la période poste indépendance. Ils furent les premiers à accepter de corrompre la
mémoire des martyrs, en concèdant le statut d’ancien combattant aux collaborateurs de l’Etat colonial, et cela
moyennant des privilèges multiples.
16
78
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
d’inculper des dirigeants honnêtes et d’innocenter des responsables corrompus, les
« actionnaires » du système se placent en maîtres absolus du jeu. Une situation oligarchique
donnant naissance ainsi à de multiples groupes d’intérêts et de pression autour du surplus
obtenu par la mise en valeur des hydrocarbures et où la finalité de chaque acteur est
d’engranger la plus grande part de la manne financière. C’est la captation du surplus de la
rente pétrolière.
L’usage fait de cette rente conforte la légitimité du régime algérien, G.Blundo et J.-P. Olivier
de Sardan (2007) : « se fondant sur une redistribution de type clientéliste, les chefs néopatrimoniaux ont réussi à assurer la survie de leur régime et à lui fournir une apparence de
légitimité, tout au moins tant que la rente –intérieure comme extérieure- n’a pas commencé à
tarir».
L’autoritarisme, le centralisme, la bureaucratie et l’étatisme béant et ambiant du système
algérien a fait de la corruption un moyen de contrôle, de recrutement, de gestion des élites, de
monopole des instituions politico-administratives et de régulation des activités économiques
et des réseaux sociaux d’échanges au plan national et international. Ces caractéristiques, en
perpétuel remodelage, ne semble pas être antinomique au clientélisme; loin s’en faut, B.
Hibou (1999) : « elles sont compatibles avec la centralisation et la consolidation du pouvoir
étatique, même si cette centralisation et cette consolidation se produisent par une
exaspération des conflits, une perte de légitimité, une diffusion de la violence et de son
exercice, etc».
2-1-3/ Processus démocratique et corruption
Les successives pénuries des produits alimentaires de base finissent par s’installer
dans le temps, et ce, en raison de la baisse sensible des importations fortement dépendantes
des recettes pétrolières qui venaient de connaître une chute vertigineuse.
Ainsi,
l’endettement, le déséquilibre de la balance commerciale, la dépendance économique et
alimentaire, le tout associé à la mauvaise gouvernance (ressentie aussi bien que la corruption
perceptible) ont précipité dans l’Algérie postindépendante l’avènement de la crise
économique. Une grave crise, éprouvée à travers l’érosion du pouvoir d’achat et le chômage
endémique, qui conduiront fatalement à une implosion qui s’est traduite par le soulèvement de
l’automne 1988 où les manifestants avaient exprimé le rejet du népotisme, de la corruption,
des dénis socio-économiques, et des politiques et culturels.
L’avènement de l’ère de la démocratisation, qui a poussé l’Algérie, durant les années 1990,
vers l’amorce d’un train de réformes d’ordre politique qui se sont traduites notamment par la
79
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
constitutionnalisation d’un pluralisme politique – avec le défaut congénital d’être hybride –, a
été hélas plombé par le lourd héritage légué par la décennie Chadli au pouvoir et durant
laquelle les problèmes du peuple n’ont fait que s’aggraver tandis que le pays était livré à une
caste détenant tous les leviers de l’économie nationale et généralisant la corruption à tous les
niveaux de responsabilité.
L’ouverture des médias, répondant aux aspirations populaires exigeant la transparence dans la
gestion des deniers et les affaires de l’État a permis de déballer certaines affaires de
corruption scrabbleuses. Les débats des politiques n’ont pas manqué de porter la
responsabilité sur l’ampleur de la corruption aux dirigeants connus sur la place publique et de
manière générale à l’appareil politique du parti du FLN.
Cependant, malgré les dénonciations tout azimut, en particulier par rapport aux monopoles
des marchés de l’importation, les spéculations n’ont pas connu pour autant un ralentissement.
La nouvelle législation engagée durant cette période, encourage la démonopolisation du
commerce extérieure en faveur de ceux qui avait pris l’habitude d’intercéder et d’orienter les
produits à importer.
Au moment où l’opinion publique réclamait des sanctions à l’encontre de certains dirigeants
symbolisant la corruption et exigeait des châtiments exemplaires aux responsables des crimes
économiques, les décideurs du système algérien ont accéléré les formules de libéralisation
accentuant ainsi l’économie de bazar qui faisait déjà ravage dans la société. L’objectif du
régime était de semer la confusion entre d’un côté l’exigence de moralisation de la vie
publique et la gestion des affaires dans un cadre d’institutions démocratiques et citoyennes ; et
de l’autre côté, les pulsions libertaires de la société, et ce, pour qu’en définitive laisser
percevoir la notion de liberté comme synonyme d’anarchie. Certains acteurs politiques du
régime écartés du pouvoir, tel que l’ex-chef du gouvernement Abdelhamid Brahimi17, se sont
mis de la partie, en faisant des déclarations sur la corruption, les détournements et les avoirs
des algériens à l’étranger.
La démocratie de façade18 associée aux programmes de privatisations, dans des institutions
déliquescentes, débridées et complètement discréditées n’a pas freiné la corruption, bien au
contraire dans la mesure où les opportunités qui se présentaient pour le redressement de
17
Il déclara qu’il y a eu plus de 26 milliards de dollars détournés pendant les vingt dernières années. Plus tard, il
afficha ses positions en faveur du projet islamiste.
18
L’ouverture en Algérie n’a pas été suivie d’un changement de régime. La démocratisation de 1988 s’est
effectuée avec les mêmes dirigeants qui ont été décriés pendant des décennies. Ils étaient les maîtres à bord, ils
fixaient les règles du jeu démocratique et politique. La compréhension de la démocratisation pour la majorité
des politiques algériens est relative à l’introduction et la légalisation du multipartisme. Cet amalgame a permis
de reproduire les pratiques antérieures corruptives, notamment celles du clientélisme durant les périodes
électorales.
80
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
l’économie algérienne en faillite ont constitué des occasions nouvelles aux prédateurs.
D’après D. Hadjadj (2001) «la mafia politico-financière, ancrée dans les institutions, était
prête à pactiser avec le diable non seulement pour protéger son butin et éviter d’avoir à
rendre des comptes, mais aussi pour se trouver encore aux premières portes lors de la
libéralisation de l’économie, source de nouveaux dividendes d’origine criminelle».
L’expérience faite dans le cadre du nouveau paysage politique, dit démocratique (tolérant et
l’égalisant le multipartisme à la faveur d’une nouvelle constitution), qui devait permettre aux
citoyens une implication dans le contrôle des collectivités locales et une gestion participative
dans la vie politique, notamment au niveau local (communal et wilayal), à travers les organes
décentralisés, n’a fait finalement qu’apporter davantage de discrédit à la nouvelle classe
politique qui a reproduit les mêmes pratiques clientélistes et corruptives connues de par le
passé.19
La légalisation de l’intronisation des islamistes et leur participation dans les compétitions
électorales exacerbent la crise algérienne. Une trame fatale, avec en filigrane une alliance
suspecte, qui a permis au régime décrié de déplacer le débat et d’écarter la perspective de son
renversement en hypothéquant le parachèvement du processus démocratique fragilisé,
condition sine qua non à l’établissement des comptes et au redressement de l’Algérie. L’arrêt
du processus électoral a mis entre parenthèse l’ouverture démocratique. Mohammed Boudiaf
appelé, suite à la démission de Chadli, pour présider le Haut Conseil d’État crée pour la
circonstance, s’aperçoit de l’étendue de la corruption impliquant les dirigeants du régime les
plus hauts placés. Croyant pouvoir sauver le pays, il s’attaqua ouvertement à la mafia politicofinancière sans mettre de gants, affichant par là sa détermination à lutter contre la corruption.
Il déclara (D. Hadjadj, 2001) : « Le peuple à raison de demander des comptes sur la gestion
des deniers et des biens de l’État. Il a le droit de savoir. Nous avons promis d’ouvrir ce
dossier. Nous tiendrons notre promesse.». Le 29 juin 1992, il fut assassiné à Annaba, en
emportant avec lui le processus démocratique et en laissant derrière lui ceux qui ont semé les
grains de la violence et le règne des corrompus.
2-1-4/ Du rôle de l’État
L’instabilité politique du système algérien a affaibli les institutions de l’État. Elle s’est
accrue dans une période qui a coïncidé avec les processus de remise en cause du rôle de l’État
19
Les citoyens ont étaient davantage frustrés par le comportement de ceux qui devaient changés les modes de
gouvernance. Les dilapidations, les détournements, les passe-droits, le favoritisme et tant d’autres de pratiques
relevées durant cette période d’espoir.
81
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
en tant acteur et initiateur principal de l’action publique et l’incapacité, voire l’impuissance
des institutions de l’État en pleine déliquescence. Des réformes engagent alors l’Algérie dans
une phase de transition qui la mène vers le libéralisme, et une économie de marché à laquelle
elle n’était aucunement préparée tandis que l’induction des principes de libéralisation et de
privatisation, marquant un désengagement brutal de l’État des sphères sociales et
économiques, enfonçait le citoyen algérien dans la paupérisation.
Par ailleurs, entre temps et à la faveur de cette crise économique qui a accentué la défaillance
de l’État – devenu incapable de jouer son rôle de prestataire de services –, les activités
relevant du domaine de la corruption se sont multipliées, avec tout ce que cela impliquait en
termes de prolifération des milieux d’affaires suspendus à la recherche de la rente et
l’aggravation de la mauvaise gouvernance. Selon M. Benachnou (1998) l’adoption de
l’économie de marché devient un moment de ‘‘blanchiment’’ des richesses acquises par la
corruption, et aboutit à un pillage encore plus intense des ressources, ‘‘l’encouragement à
l’initiative privée’’ devient un slogan particulièrement utile pour justifier les détournements
de fonds et la distribution indue du patrimoine national. L’Algérie est passé du socialisme
spécifique à une économie de marché spécifique en fonction des intérêts du moment de la
nomenklatura du régime.
Face à la multiplication des contraintes, issues du cumul des crises antérieures, les
mécanismes mis en place pour le rétablissement de l’ordre étatique se sont heurtées aux
stratégies multiples agissant dans le sens de l’accaparement des nouvelles prérogatives de
l’État, et ce, sur fond de stigmatisation du bilan de socialisme et de glorification des bienfaits
des privatisations. Aussi l’opération « privatisation » engagée par l’État n’est-elle pas une
résultante d’une stratégie face au constat établi auparavant en vue d’apporter des correctifs,
des consolidations et des changements à même d’insuffler le redressement institutionnel et de
corriger les imperfections et les mauvaises performances économiques, comme le décrit M H.
Khan (2003): « en l’absence de stratégie pour insuffler ce rôle à l’État, il est peu
vraisemblable d’avoir des progrès soutenus dans la fourniture services ». Mais bien au
contraire cette opération a obéi aux stratégies d’individus, de groupes et d’institutions
nationales et internationales pour capter, orienter, monopoliser, canaliser la future rente, et ce,
dans la ligne des logiques diverses décrites par Béatrice Hibou (1999) : « les stratégies de
guerre ; les logiques administrative, financière et missionnaire des bailleurs de fonds ; et, de
même, les logiques de résistance aux bailleurs de fonds ; les logiques d’enrichissement ; les
logiques clientélistes, les logiques d’extraversion ; etc. ».
Il est clair que si ces différents acteurs n’aboutissent pas forcément à l’affaiblissement de
l’État, ils soulignent en revanche sa désinstitutionalisation. De ce fait, il apparaît clairement
que ce processus qui devait permettre le redressement des institutions de l’État afin de
82
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
compenser la faillite de l’État et de contribuer au décollage de l’économie s’est heurté à ces
stratégies et logiques conduisant au détournement des ressources par des spéculateurs
profitant de l’anarchie totale.
N’est-il pas vrai que la réussite d’une telle entreprise de transformation, en passant d’une
économie administrée vers l’économie de marché, nécessite plutôt comme le développe M H.
Khan (2003) « davantage de capacités d’intervention de l’État que cela est envisagé dans le
consensus des marchés libéraux.».
2-1-4-1/ Instauration du capitalisme d’État
Le choix du système politico-économique de l’Algérie postindépendance a attribué à
l’État, durant les années 60, le contrôle de l’essentielle de l’activité économique. Le rôle de
l’État est capital, il est à la fois propriétaire, gestionnaire et contrôleur des moyens de
production. De ce fait la propriété de l’État des capitaux, ainsi que le monopole des moyens
de production et le contrôle de l’industrie et des activités des entreprises secrètent la nature
étatiste du régime qui dirigeait les institutions de l’Etat sur la base des règles soutenues pat
l’informalité. Partant, ces gouvernants réduisent l’institution de l’État en un simple pouvoir
d’appareil concentré entre leurs mains et dont ils s’assurent le total contrôle en s’adossant sur
la machine administrative.
Ce choix est assimilé au capitalisme d’État accumulateur des capitaux et où les décisions
économico-administratives sont centralisées au sommet de l’État. Ainsi, les principales
sources d’accumulation du capital et l’ensemble des activités économiques sont étatisées,
dans le cadre du socialisme spécifique20 ou plutôt du socialisme hybride, une jolie trouvaille
ayant permis l’ascension de groupes d’intérêts structurés autour de l’armée des frontières que
commandait Boumediene et de l’appareil du parti unique.
L’objectif de la transition vers le socialisme spécifique a été éclairé par la notion du
capitalisme d’État qui a permis l’émergence des technobureaucraties à prédominance
militaro-politique.
La gestion des richesses et l’appropriation des rentes, celles du pétrole en particulier, la
nationalisation des secteurs clés de l’économie, le contrôle administratif de toutes les formes
d’investissement et le monopole sur commerce extérieur, à l’origine d’une accumulation
intensive, sont autant d’options ayant consacré les dirigeants du régimes et leurs entourages
20
Selon A. Kouroughli (1988): ‘‘le contenu idéologique du « socialisme spécifique » algérien et la genèse et le
développement d’un capitalisme d’Etat au profit d’une « techno-bureaucratie » militaire et civile conduisent à la
mystification du pouvoir en place depuis le 19 juin 1965’’.
83
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
dans le statut d’intermédiaire auquel est dévolu incontestablement un pouvoir d’influence sur
les décisions politiques et les orientations économiques du pays. Ce statut permettait de
renforcer les liens claniques et de développer de clientélisme, au gré du poste politique occupé
ou des liens entretenus dans l’appareil administratif, économique et militaire de l’État. Il
s’agit, en fait, d’une organisation qui faisait du capitalisme d’État la meilleure source garantie
d’opportunités pour servir les intérêts des membres composant la nomenklatura bénéficiant de
la protection du régime Boumedinniste répressif.
Les avantages tirés de leurs positions, qu’ils soient dirigeants technocrates21 intervenant dans
le secteur public ou bien simples bureaucrates agissant dans l’administration, renforcent
l’orientation de la culture spéculative. Le développement de l’économie parallèle à l’ombre
des politiques publiques amenuisait la puissance de l’appareil de l’État, en contrariant les
stratégies mises en place notamment pour la réduction de la dépendance des importations,
particulièrement dans le secteur agricole. Une situation de carence qui avait comme effet de
conforter les spéculateurs, qui s’arrangeait à coups de pratiques corruptives, à s’approprier
une part importante de la rente sous différentes formes : des privilèges, corruption, pot de
vingt, détournement de fonds, dilapidations…etc.
C’est la confusion des intérêts privés avec ceux de l’État. Les liens mis en place créent une
communauté d’intérêts au niveau interne pour les autorisations de placement et au niveau
externe pour tisser des liens d’affaires.
L’accumulation des capitaux par ces bureaucrates prospérant dans le capitalisme d’État
conduit vers l’investissement dans le secteur privé, soit en faisant des placements à l’étranger
souvent dans l’immobilier, soit en se livrant à toutes sortes de négoce au niveau national, dont
une partie dans les créneaux du commerce et de l’industrie, (activités soumises aux
autorisations administratives et politiques) ; et une autre dans la spéculation immobilière en
employant des prête-noms ou en association avec des tiers. Ces pratiques ont fait que le
capitalisme d’État a produit les germes de sa remise en cause, puisque il ne tolère pas
l’investissement privé dépassant la petite entreprise. Tel que décrit par A. Kouroughli (1988)
reprenant M. Harbi (1980) sur le devenir du capitalisme d’État en Algérie demeurant
dépendant : ‘‘car la bourgeoisie privée a réussi à se subordonner, par la corruption une
partie de l’appareil de l’État, mais des membres en vue au Comité Central au Bureau
Politique du FLN et dans l’armée sont devenus eux-mêmes des partenaires d’affairistes’’.
21
Selon A. Kouroughli (1988): ‘‘La techno-bureaucratie constitue le support de l’Etat algérien tel que structuré
par le régime issu du 19 juin 1965. Le modèle de développement imposé par celui-ci a entraîné la naissance de
cette nouvelle catégorie rendue nécessaire par les exigences du développement « du capitalisme d’Etat ». Cette
catégorie est-elle une classe sociale particulière.’’
84
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
Les postes dans les sphères étatiques facilitaient, en effet, les opérations commerciales et les
placements des capitaux acquis dans le secteur privé : autrement dit, c’est avoir le beur et
l’argent du beur.
On peu conclure que le système économique et social mis en place, particulièrement durant le
règne de Boumediene et ses proches, a débouché sur l’instauration d’un pouvoir d’oligarque
bureaucratique, organisé et fonctionnant sur des modèles claniques, mettant à la disposition
des membres qui y sont « affiliés » et pour des fins privées l’essentiel des richesses du pays.
Faisant de ces « affiliés », ainsi, une force monopolisant les capitaux et les décisions
politiques, pour leurs usages.
2-1-4-2/ L’État, principal fournisseur des biens et des services
Après l’indépendance, les populations qui ont consenti des sacrifices énormes
espéraient améliorer leurs conditions de vie et les tenants du régime devaient relever des défis
monumentaux, tout en procédant, en premier, lieu au rétablissement de l’ordre, de la paix et
de la sécurité.
La couverture des besoins des populations faisait partie d’évidence des tâches primordiales
que s’est assignée le tout jeune État, dès lors que le régime en place cherchait d’ores et déjà
l’instauration d’une confiance dans l’autorité de l’État. Les nouvelles institutions de l’État
devaient donc assurer la fourniture des biens et des services. À ce titre, la relance de l’activité
économique dont celle de la production locale était du ressort de l’État, qui devait se faire en
portant les agencements nécessaires aux déficits affectant le marché, en approvisionnant et en
distribuant, en particulier, les produits de première nécessité aux populations. Faisant, ainsi,
de l’amélioration en termes de quantité, de qualité et d’équité la priorité des efforts que les
pouvoirs publics déployaient pour mieux répondre aux besoins des populations.
Il est évident qu’un déphasage entre les populations impatientes qui voulaient combler leurs
frustrations et les dirigeants qui étaient inefficaces, inexpérimentés et – souvent – incapables,
allaient poser le problème des liens de confiance. Ainsi, les défaillances dans les fournitures
des biens et services sont-elles endossées à l’État.
Face à son impuissance à mettre en place des infrastructures économiques et à la faiblesse du
secteur productif national, le régime qui avait crée les monopoles étatiques, a fini par porter
ses choix stratégiques sur un programme étatique basé sur l’industrie lourde, l’industrie
industrialisante et la nationalisation des grandes entreprises productrices. Et puis, afin de parer
aux besoins des populations le régime, disposant de la rente pétrolière, procédait aux
importations des biens et services. Les intermédiaires embusqués dans les rouages du régime
85
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
tiraient profit de cette situation, développaient les comportements de recherche de la rente et
tissaient des réseaux de création et de captation de la rente corruptrice ; comme le décrit M H.
Khan (2003): « la corruption est une recherche de rente illégale où celui qui cherche la rente
utilise un pot-de-vin pour influencer des membres de l’autorité publique». On constate de
plus en plus un mouvement allant des systèmes, processus et attitudes technobureaucratiques
en interconnexion vers la quête de nouveaux modes de la rente qui favoriseraient leurs
réseaux clientélistes.
L’appareil de l’État était dans l’incapacité d’assurer les besoins des populations, en comblant
l’offre insuffisante par rapport à la demande, et ce, dans la mesure surtout où les
technobureaucrates parasitaient les circuits étatiques. Par conséquent, le recours aux
fournisseurs étrangers pour l’alimentation des demandes excessives des produits alimentaires,
des biens de consommation, des biens d’équipements, des technologies, des médicaments a
été stimulé par les spéculateurs intermédiaires de l’État. Cette position de monopole de l’État
sur le commerce extérieur a donné naissance à l’enrichissement d’individus au sein du cercle
et/ou à ceux qui sont proches de la sphère décisionnelle, en leur offrant le statut
d’intermédiaire exclusif entre le marché mondial et les institutions algériennes. Ces derniers
disposant des budgets et des lignes de crédits ouvertes n’hésitaient pas à tirer profit de ce
statut en recourant à des pratiques corruptives, dont la plus courante est la négociation des
pots-de-vin, sous forme de commissions sur les appels d’offres internationaux.
2-1-4-3/ Le choix stratégique d’industrialisation des années 70
Le défi de la transformation de l’État postindépendance de l’Algérie répond à la
nécessité d’une mutation sociale de développement, par l’impulsion d’une batterie de
changements économiques et sociaux sans précédent en faveur des populations afin de sortir
du sous-développement, et en d’autres termes il s’agissait de jeter les bases matérielles de
progrès social et de la transformation de la société algérienne.
La nécessité incontournable de produire pour assurer et l’amélioration des conditions de vie
constituent l’un des arguments de l’industrialisation. Partant de la dichotomie d’un monde
bipolaire – le premier regroupe les sociétés industrialisées disposant de technologie
impliquant une croissance et la seconde c’est celle connaissant
un retard en matière
d’industrialisation –, le choix s’était porté sur l’industrialisation suggérée comme solution de
sortie du sous-développement.
86
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
Ce choix a mené l’Algérie vers l’importation d’équipement de production capitalistique qui
posait le problème de la maîtrise technologique, mais générant en revanche des emplois non
négligeables. Le coût social de la substitution technologique avait permis aux technocrates du
régime d’opérer des affaires, en corrompant les fournisseurs des équipements pour
l’industrialisation.
Les conséquences des contrats « arrangés » entre les différentes partenaires, scellés souvent
par des pots-de-vin versés en contrepartie, sont nombreuses. Sur le plan économique,
d’énormes gaspillages sont à déplorer; tandis qu’au plan industriel, la dépendance
technologique a été entretenue : lenteur, lourdeur, retards dans le processus de production et
pire encore, certains équipements étaient – au moment de la livraison – dépassés ; quant aux
répercussions sur le plan social, elles étaient d’un coût plus considérable dans le sens où la
main-d’œuvre n’était pas qualifiée, ceci ajouté à l’absence de mentalité industrielle faisant
que souvent l’obtention d’un emploi, d’un document administratif, d’un produit ou service
obéissait à des logiques de clanisme, de favoritisme et de clientélisme.
Un état de fait préjudiciable, mettant à mal la productivité et plaçant les unités productives en
position de sureffectif car assujetties à la politique du plein emploi ; et puis enfin dans le
domaine de la gestion, la défaillance était énorme dès lors où la nomination des dirigeants se
faisait exclusivement parmi les membres de l’appareil du parti unique ou des proches,
autrement dit dans le cercle des prédateurs à la recherche de postes d’enrichissement à
l’ombre du système. Les compétences, de surcroît celles animées d’un esprit contradictoire à
l’idéologie du régime en place, se trouvaient ainsi mises à l’écart.
2-1-4-4/ L’État : de la rente corruptible à la prédation
La nature du régime, trempée dans la rente et les diverses pratiques corruptives, ne
peut mener que d’un État rentier corruptible vers un État de prédation.
Le mode gouvernance – décrit précédemment – qu’a connu le régime durant les premières
décennies postindépendance de l’Algérie est la résultante de l’autoritarisme, le népotisme, le
clientélisme et le régionalisme qui a sévi durant la période de gestation du nouvel État.
L’institution d’un système rentier corruptible n’est que le produit de la conjonction de
plusieurs facteurs historiques, économiques et surtout des choix et des orientations politicoidéologiques séculaires. Alors qu’après l’indépendance, les efforts étaient centrés sur le
programme de progrès social tendant à la mutation de la société algérienne, les réformes
politiques, qui se sont succédées, devaient parachever l’action de la guerre de libération
87
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
nationale avec comme ultime finalité la démocratisation et l’implication des citoyens dans la
vie politique. Seulement, faisant face aux effets pervers de l’appareil bureaucratique rentier,
l’État s’est transformé en État prédateur, s’accaparant des espaces décisionnels et captant la
rente par la force ou la corruption. Comme le décrit M H. Khan (2003) « la corruption est une
recherche de rente illégale où celui qui recherche la rente utilise un pot-de-vin pour
influencer les membres de l’autorité publique».
2-2/ L’institution de la corruption en système rentier
Le système de gouvernance algérien est basé essentiellement sur des politiques
économiques et sociales régionalistes et clientélistes. En effet, les valeurs morales de l’intérêt
national, de sacrifice, d’engagement, de lutte pour un destin partagé, de justice, d’équité, de
mérite…etc. qui faisait le socle commun avant l’indépendance de l’Algérie ont laissé place
aux intérêts individuels et matérialistes, qui ont trouvé leur pleine expression dans un système
au service d’un pouvoir soudé autour d’une répartition régionaliste et clientéliste de la rente,
en procèdent à une appropriation privative des richesses naturelles et la nationalisation des
unités industrielles.
Le régionalisme est la résultante de la famille dite révolutionnaire, par l’antagonisme qui s’est
développée en son sein et mettant aux prises, d’un côté ceux qui ont pris part à la guerre de
libération, qui étaient mobilisés par l’ALN, particulièrement dans les frontière de Oudjda, de
l’autre côté les maquisards qui étaient dans les maquis. La lutte entre ces deux franges
régionalistes a été entretenue par le clientélisme dont ont fait usage jusqu’à ‘‘l’overdose’’ les
concurrents en quête du pouvoir.
A. Benali (1995) a recensé quatre grands ensembles de
rentes correspondants à quatre périodes de la vie politique algérienne.
-
La première, durant la première décennie 62-71 relative à la stabilité du pouvoir et où
il y a eu l’apparition de deux rentes : la rente révolutionnaire faisant référence aux
postes de responsabilités et aux privilèges accordés à ceux qui ont eu un passé
révolutionnaire durant la guerre de libération et la rente régionaliste, marquant une
ségrégation entre ceux des populations de l’Est du pays et ceux des populations du
centre et de l’Ouest du pays pour la répartition des portions des portefeuilles
ministériels du pouvoir.
-
La deuxième, durant la seconde décennie 72-79 relative à la période de croissance
économique et de la salarisation et où il y a eu une carence en matière de compétences,
donnant naissance à la rente des diplômes, devenant un instrument de régulation socioéconomique.
88
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
-
La troisième, durant la décennie 80-89 relative à l’ère des compromis et autres
concessions concédées lors de l’arrivée de Chadli au pouvoir et où il y a eu un
ensemble de logiques qui s’affrontaient autour de la rente dont : la rente des
technocrates; la rente diplomatique ; la rente administrative ; la rente élective ; la rente
de l’arabisation et la rente de la corruption.
-
Et enfin la dernière période à partir de 1989 relative à l’ouverture démocratique
donnant naissance au multipartisme qui engendra la rente politique et ses corollaires
dont : la rente de la jeunesse, la rente des femmes et la rente des corporations.
2-2-1/ Corruption endémique
La faiblesse des ressources de l’État en difficulté, l’endettement, l’inflation, la
dégradation du pouvoir d’achat, la spéculation, le marché parallèle… étaient des symptômes
d’une crise économique sans précédent qui couvait avant le soulèvement d’octobre 1988.
L’annonce des réformes, pour une transition d’un système économique bureaucratique
centralisé vers l’économie de marché, se fait alors sous l’effet d’une corruption endémique
affectant l’ensemble des institutions de l’État.
Les réformes
économiques engagées, en parallèle à l’instauration du multipartisme,
constituent une nouvelle opportunité pour l’expansion de la corruption et la spéculation,
agissant en système mafieux et s’articulant autour de la libéralisation des prix, du taux de
change, de la privation des quelques entreprises en faillite et de la démonopolisation du
commerce extérieur, et ce, au moment où le cadre institutionnel des réformes politiques
émergeant (transparence, élections, l’ouverture des medias…, etc.) fonctionnait an ralenti.
Cette période d’incertitude, d’instabilité et de transition a permis le renforcement des
positions des clans rentiers régionalistes qui, s’adaptant vite au nouvel environnement
économique, accumulaient les richesses en se mettant à profit cette confusion dans la conduite
des changements institutionnels qui s’opéraient sur les plans social, économique et politique.
Phase cruciale orientée vers des pratiques mafieuses. L. Ayissi (2008) considère que «lorsque
la corruption des pouvoirs publics est si endémique qu’elle affecte la justice, les forces de
l’ordre et toute la gouvernance, l’État apparaît comme un système mafieux».
Le fonctionnement d’un tel système ne peut s’accommoder des compétences au niveau des
différents rouages institutionnels de l’État. Les mécanismes de promotion et de gestion de
carrière dans les diverses postes administratifs sont discriminatoires. Les cadres et agents
compétents – mais sans « attache » politique – ne progressent pas au même rythme que le
personnel placé par le régime du parti unique. Cette catégorie obéit dans son évolution à des
89
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
critères hors normes. La nomination à de nouvelles fonction, affectation à un poste à
l’étranger, à un poste supérieur, changement de secteur ou de structures, mise en congé, mais
rarement de notification de fin de fonction, …etc., constituent les possibilités de mobilité
professionnelle qui s’offrent à ceux qui font partie d’un clan au pouvoir.
2-2-2/ Processus d’enrichissement dans le système :
La rente révolutionnaire citée précédemment avait comme soubassement le
monnayage des sacrifices consentis durant la guerre de libération en contrepartie de
l’acquisition de privilèges et d’avantages multiples. L’emprise sur les « biens vacants »
constituait le premier avantage. Le péage et l’occupation des biens vacants des colons étaient
confisqués après l’indépendance de l’Algérie. Des officiers de l’ALN et responsables de la
révolution au sein du FLN procédaient à l’occupation ou l’exploitation de ces biens (biens
immobiliers, voitures, usines et fermes), que beaucoup cédaient, par ailleurs, à certains
spéculateurs riches qui les rachetaient en seconde main à des prix dérisoires.
La deuxième opération à mettre sur le même registre, c’est la démobilisation des anciens
maquisards des wilayas et de quelques engagés de l’ALN âgés avec en guise de solde de tout
compte quelques compensations viagères, à savoir l’octroi de pension et de multiples droits
tel que les licences d’exploitation des débits de boissons, taxis..., etc.
Décortiquant le processus d’enrichissement au sein du système de gouvernance
postindépendance, A. BENALI (1995) décrit les cinq modes suivants :
-
le premier mode se décline à travers les fonctions occupées engageant les institutions
de l’État à assurer une prise en charge totale aux fonctionnaires, à sa familles et même
à ses proches ;
-
le second mode c’est le Bakchich soutiré grâce aux relations entretenues à travers le
poste occupé et la position vis-à-vis du parti et du clan ;
-
le troisième mode consiste en le transfert administratif de richesse à travers la
légalisation du patrimoine immobilier, la cession ou le bradage des « biens
vacants »22 ;
-
le quatrième mode, c’est la levée du blocage sur les réserves foncières à travers
l’octroi des lots de terrains à bâtir, le plus souvent distribués via les réseaux des
proches, de la famille et amis qui les revendent à des prix forts (de dix à vingt fois)
22
A propos du bradage des ‘‘biens vacants’’ D. Hadjadj (2001) les considèrent comme une « supercherie, dans
l’histoire, c’est que cette opération servit surtout aux membres de la nomenklatura à acheter pour une bouchée de
pain – dix à vingt fois moins que le prix du marché – les grosses villas dont ils disposaient en locataires (ils en
avaient parfois plusieurs) et les appartements qu’ils occupaient ou faisaient occuper par des tiers».
90
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
parfois allant jusqu’au bout de la dixième main pour qu’ils soient cédés; et le
cinquième mode, c’est le trabendo23 à travers la récession consécutive à la chute des
prix du pétrole et la dévaluation du dinar qui provoquèrent des pénuries au bénéfice
des marchés parallèles et des pratiques corruptives passives.
Ainsi, le parasitage des institutions, les interférences dans les circuits de distribution et surtout
l’influence qu’exerçaient certains réseaux sur les orientations des lois du marché économique
a produit l’effet d’une course sans précédent au profit, et ce, évidement sur le dos du peuple.
L’enrichissement systémique illicite par des pratiques de contournement et de détournement
des procédés administratifs nourrit les méthodes corruptives. Il est clair, en fait, que le mode
de régulation administratif est à l’origine de cette confrontation déchirante entre, d’une part
des logiques individualistes subjectives, et d’autre part celles s’inscrivant dans la collectivité
pour l’intérêt général.
Section III : Historiquement
3-1/ Au plan international
La problématique de la corruption a été posée et traitée, au départ, à l’échelle
inférieure, réservée aux pays retardataires. À cet égard, il faut distinguer la petite corruption
de la grande corruption. La première relève des pratiques de corruption quotidiennes
systématiques, considérées comme banales et qui se limitaient à un espace territorial, à un
secteur donné ou un domaine d’activité. La seconde peut être située à l’échelle supérieure, au
niveau infranational, et ce, à la faveur des contrats et des échanges internationaux et
intergouvernementaux permettant la gratification d’entreprises multinationales par des
transactions juteuses en contrepartie de pots-de-vin versés aux intermédiaires.
Le regain d’intérêt à l’approche de la dimension internationale de la corruption provient de
l’importance des transactions commerciales entre pays liées aux investissements, aux aides
publiques de développement. L’usage des pratiques illégales de fraudes et de détournements
attire l’attention des instances internationales.
Selon la Banque Mondiale durant l’année 2001-2002, les détournements représentent environ
3% des échanges mondiaux, soit le montant 1 000 milliards de dollars versés annuellement en
dessous de table. Ce qui explique les nombreuses études multidisciplinaires sur la scène
23
Mot d’origine espagnol, signifie le marché parallèle.
91
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
internationale. Ces chiffres ne sont évoqués qu’à titre indicatif, nous estimons que ce taux est
loin de la réalité dans le cas de l’Algérie.
Les échanges internationaux entre les pays obéissent à des relations d’influences, incluant
l’usage des pratiques corruptives, en ce sens où d’après B. Saber « dans le cadre des
transactions internationales, la corruption peut aussi prendre la forme de pressions politiques
pour l’achat de matériel ou l’attribution de marché ou encore la manipulation de la
formation des mois (state capture) pour en tirer profit». En l’occurrence, le programme de
relance économique de la décennie 2000-2010, qui a accordé un budget faramineux aux
travaux publiques en Algérie a dévoilé de grands scandales dont celui de la réalisation du
projet de l’autoroute Est-ouest impliquant de hauts responsables du secteur et le groupement
de chinois pour des versements chiffrés à des milliards de dinars.
3-1-1/ L’Organisation des Nations Unies
Partant du principe que le phénomène de la corruption n'est pas d’ordre local ou
régional, c'est-à-dire un mal national propre à chaque pays et Etat, mais plutôt un problème
transnational, dépassant toutes les frontières, l’ONU a abouti à l’adoption de la convention de
lutte contre la corruption en octobre 2003, et ce, suite à la création en décembre 2000 du
comité spécial qui était chargé d’élaborer un instrument juridique international efficace contre
la corruption. La convention est composée de 71 articles. Sa longueur, qui est due à l’effort de
synthèse fait de compromis entre les divers points de vue exposés durant les travaux
préparatoires et lors de sa rédaction finale, rend difficile la compréhension de son contenu.24
Cette convention, qui comporte sept chapitres, a notamment comme ambition le renforcement
et la promotion des mesures visant la prévention et la lutte contre la corruption de façon
efficiente; l’incitation à la promotion de la coopération internationale et l’assistance technique
en matière de lutte contre la corruption ; l’encouragement, la promotion de l’intégrité et la
bonne gestion des affaires et des biens publics.
3-1-2/ La Banque Mondiale
La Banque Mondiale dont l’objectif primordial est la contribution à la lutte contre la
pauvreté, en apportant des aides, des financements, des conseils et des orientations aux États
en difficulté ne s’est véritablement intéressée à la question de la corruption qu’à partir du
milieu des années 1990. Depuis, les choses ont changé et les procédures de la lutte contre la
24
D’après Michel Zirari, professeur de droit à l’Université Mohammed V, Rabat-Agdal et membre du conseil
National de Transparency Maroc.
92
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
corruption ont été enclenchées, incluant la mise en place d’organes et d’instruments, chargés
des audits et de la surveillance des sociétés et des entreprises, et qui ont pu déjà, à travers des
mécanismes d’enquête, déceler des affaires de corruption dans des projets nationaux financés
par la Banque mondiale.
En retenant cinq formes de corruption, les « dessous de tables », la « fraude », « l’extorsion »,
le « favoritisme » et le « détournement », la Banque Mondiale distingue la petite corruption
bureaucratique qui frappe l’administration publique de la grande corruption liée à la sphère
des décideurs politiques au niveau supérieur, ceux qui utilisent leur statut et leur position dans
les institutions de l’État à des avantages personnelles.
Ainsi, pour atteindre l’objectif du développement à travers la réduction de la pauvreté dans les
pays en développement – considérés vulnérables –, l’un des éléments les plus importants
introduit dans les programmes de la Banque Mondiale est celui de combattre la corruption et
d’améliorer la gouvernance. Une clause qui implique une double intervention, à savoir d’une
part, dans les procédures à instaurer pour la supervision et la transparence dans l’utilisation de
ses fonds ; et d’autre part, dans les programmes des réformes systémiques visant à améliorer
la gouvernance et la maîtrise de la gouvernance, dans le secteur public, particulièrement dans
les marchés publics où la corruption sévit et engendre des surcoûts faramineux.
J J. Daboub (2010), Directeur général de la Banque mondiale, a déclaré que ‘‘ réaliser les
objectifs de développement peut s’avérer très difficile dans un pays où la gouvernance n’est
pas satisfaisante, notamment en cas de corruption, de fraude ou de mauvaise gestion. Nous
devons garder à l’esprit les besoins des populations pauvres à toutes les étapes de notre
travail, du début à la fin”.25 Pour ce faire, elle a décidé d’instituer un guide pour combattre la
corruption, en plus des mécanismes permettant la divulgation des informations et la
transparence, suivi de la gestion des plaintes et des sanctions.
3-1-3/ Continent africain
Le continent africain est dans une situation invraisemblable. L’Afrique est
généreusement gratifiée par des richesses en termes de ressources naturelles et minières alors
que paradoxalement elle s’obstrue dans le sous-développement (faible croissance,
environnement économique instable, chômage endémique, faiblesse du niveau de
25
In site de la Banque Mondiale. Déclaration faite, en décembre 2010, lors de la célébration de la journée
annuelle internationale de la lutte contre la corruption.
93
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
l’éducation… etc.) caractérisé par l’extrême pauvreté, une mauvaise allocation des ressources
et redistribution inéquitable des richesses. Les diverses pratiques de la corruption affectant
tous les niveaux de la société et des institutions étatiques sont souvent avancées par les études
pour expliquer ce mal qui ronge ce continent. Les analyses portant sur la corruption africaine
prennent plusieurs trajectoires, souvent contradictoires des unes des autres, certaines
l’accablant tandis que d’autres lui attribuent des qualités tel que décrit par G.Blundo et J.-P.
Olivier de Sardan (2007) paraphrasant M.Mullan (1961) : ‘‘elle faciliterait les investissements
étrangers bloqués par les protectionnismes nationaux, permettrait de court-circuiter les
lourdeurs administratives qui sapent l’esprit d’entreprise, favoriserait l’intégration nationale
et accroîtrait la participation des citoyens aux affaires publiques’’. Faisant ainsi de l’étude du
phénomène de la corruption un des facteurs significatifs expliquant, de par ses diverses
dimensions, évolutions et manifestions, le fonctionnement des États du continent africain.
L’ampleur extravagante en effet de la corruption en Afrique affecte l’ensemble des segments
de la société. Sa profusion intègre l’espace culturel, au point où elle est stigmatisée souvent
par l’expression de culture de la corruption intégrant le vécu quotidien des populations,
allusion faite à son caractère pandémique et sa généralisation systémique.
Ce constat est confirmé par l’ONG Transparency Internationale dans l’index 2010 de la
perception de la corruption où les pays du continent africain d’une façon général occupent les
dernières places du classement, avec une note inférieure 5 points, c'est-à-dire en dessous de la
moyenne, avec un record de corruption pour le Somalie notée à 1,1 point. L’Organisation de
l’Union Africaine, consciente et inquiétée par ‘‘les effets négatifs de corruption et de
l’impunité sur la stabilité politique, économique, sociale et culturelle des pays africains, et
ses conséquences néfastes sur le développement économique et social des peuples
africains’’26, a décidé de lancer la convention africaine de lutte contre la corruption, afin
d’instituer des mécanismes préventifs et de lutte anticorruption incluant les infractions qui y
sont assimilées, et ce, sur tout le territoire du continent africain.
Cependant, deux approches contradictoires peuvent être identifiées pour expliciter cette
conclusion. La première, son existence remonte à une manifestation des pratiques anciennes
relevant des logiques traditionnelles du passé, que l’on peu qualifier de la survie de
« l’archaïsme » des valeurs sociologiques traditionnelles et sociales ancrées dans les
nouveaux États modernes et indépendants d’Afrique.
26
Convention de l'Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption adoptée par la 2e session
ordinaire de la Conférence de l’Union à Maputo, le 11 juillet 2003.
94
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
La seconde renvoie à la période coloniale et postindépendance des États de l’Afrique, laquelle
période a donné naissance à la corruption moderne, qui a tendance à ignorer son existence
antérieure, en mettant en avant une sorte d’intégrité.
Dans la réalité, la corruption est un phénomène connu historiquement dans toutes les sociétés
et qui est soumis aux interprétations à des époques différentes, conciliant la thèse de rupture et
celle de la continuité. Autrement dit G.Blundo et J.-P. Olivier de Sardan (2007) ‘‘ soit c’est
l’État moderne qui est corrompu par la culture traditionnelle, soit la culture traditionnelle
qui est corrompue par l’avènement de l’État moderne’’. La vision passéiste et positiviste
favorable aux logiques culturelles et traditionnelles qui revoient aux coutumes ancestrales ou
encore la vision moderniste, qui situe la corruption à ce stade, ne peuvent dépasser les
préjugés et les jugements de valeur. En effet, le facteur culturel constitue un des vecteurs
historiques témoins des contextes et des mutations sociopolitiques en matière de
comportements des populations. Comme le formule J-F. Médard en 1998 repris par G.Blundo
et J.-P. Olivier de Sardan (2007) : ‘‘si l’on n’explique rien par la culture, on ne comprend rien
sans elle’’. Néanmoins, le fait de centrer l’analyse ou l’étude sur le facteur culturel pour
expliquer les pratiques de la corruption ne déboucherait que sur la justification de son
caractère endémique en Afrique, en occultant du coup les aspects fondamentaux liés à la
modernité caractérisant les institutions des États africains.
3-2/ Au plan national
Les développements établis sur le continent africain intègre l’Algérie. Les pratiques
corruptives citées précédemment durant les périodes qui ont marqué l’Algérie avant son
indépendance ont eu des influences sur la période postindépendance. Dans ce point nous
allons traiter historiquement les origines de la corruption durant les trois principales périodes
de l’Algérie indépendante.
3-2-1/ Période des années 60-70
Dans cette période, il y a lieu de signaler que pendant cette phase le concept de
corruption n’occupait pas une place importante ni dans les écrits officiels, ni dans les discours
publics. C’est plutôt ses manifestations sous diverses formes qui sont usitées.
À ce titre, il est fait référence, en particulier dans la charte nationale de 1976, à la lutte contre
la déviation, les maux sociaux et surtout le phénomène de la bureaucratie – sans plus. Dans
95
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
cet ordre d’idées, la révolution culturelle d’alors avait pour objectif d’anéantir ces pratiques
induites par la personnalisation de l’autorité, qui existaient dans les institutions politiques,
économiques et administratives, et ce, en menant une lutte contre les gaspillages et les abus.
Ce qui est déclaré dans la charte nationale de 1976 : ‘‘Elle doit également combattre
l’opportunisme, l’irresponsabilité, l’arrivisme, la corruption, la démagogie, qui représentent
un état de délinquance avancée des valeurs révolutionnaires’’. Tout en reconnaissant, dans ce
texte, aussi, les effets pervers de la bureaucratie, il en est fait état en soulignant que la
bureaucratie représente une dégénérescence de la fonction administrative et du système de
gestion.
Pour assurer la stabilité et la paix sociale le régime de Boumediene avait procédé à la
domestication de la famille révolutionnaire par la rente et bâti ses assises par le pouvoir de
nomination et de corruption. La domestication s’est faite par la rente à travers les dispositifs
d’autorisations, de licences et de larges subventions attribuées à une catégorie appartenant à la
famille dite révolutionnaire. Les licences juteuses sont distribuées à ceux qui ont des postes
importants au niveau de l’appareil de l’État. L’exploitation ou la location (confiée à des
professionnels en contrepartie d’une appréciable redevance) d’une licence de débit de
boissons alcoolisées était une source de rente d’enrichissement et de stratification sociale
provenant des gains et avantages acquis. Comme les autorisations d’exploitation de ces
licences dépendaient de l’administration ou du pouvoir politique représenté par des commis
de l’État, les fonctionnaires en poste exigeaient des pots-de-vin pour les accorder.
La dimension économique de la corruption est ainsi établie de façon pérenne à travers ces
dispositifs. De grandes fortunes ont été accumulées à l’ombre de ce système politique et
rentier, en engraissant les différents intermédiaires du pouvoir politico-administratif,
constituant les béquilles de la corruption.
Ce procédé a atteint l’ensemble des secteurs. Les domaines du foncier, de l’immobilier et des
banques sont les plus ciblés. L’attribution du foncier et des biens immobiliers se faisait sur le
fondement de relations clientélistes, qui confèrent ainsi une légalité sans nuance aux
opérations spéculatives, de même qu’elles « couvrent » les crédits bancaires, octroyés par
canaux relationnels et informels, et qui restent souvent non remboursés, causant des déficits
préjudiciables au système bancaire; s’érigeant désormais en un mode de gestion corruptif.
Comme le décrit I. El Kadi (2008) : ‘‘le régime de Houari Boumediene a surtout utilisé le
crédit pour anciens moudjahidine influents pour tenter de neutraliser la forte contestation à
son pouvoir, notamment à ses débuts. Tous n’y ont pas cédé, beaucoup s’en faut. Les
96
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
montants attribués sont modulés et les poursuites pour non remboursement relèvent de la
gestion sécuritaire’’.
Le pouvoir de nomination devient une valeur marchande capitale. Les nominations dépendent
des prédispositions à marcher dans les combines des prédateurs aptes à faire et défaire des
responsables, en les déplaçant ou en mettant fin à leurs carrières. La soumission par la
corruption des subalternes joue un rôle capital. La position stratégique ne dépend pas des
grades et des titres acquis permettant l’accès à des postes de responsabilité, mais plutôt de la
fonction occupée ou des attributions dépendant de celle-ci, clé de voûte du système de
corruption algérien, hérité du régime militaire où la fonction supprime le grade.
Ce pouvoir de nomination, considéré à juste titre comme un capital de placements rapporteurs
et garantis, a ouvert les voies aux nominateurs pour entasser des richesses colossales à
l’ombre du système, grâce aux complicités des fonctionnaires indélicats marchant dans la
combine, en tirant des avantages de leur position. Nous assistant à cet égard à une situation de
collusion d’intérêts entre les nominateurs et les nominés. Si les nominateurs contrôlent leurs
clientèles en amont (les grands marchés), les nominés quant à eux interviennent en aval. Il
s’agit de la privatisation graduelle des marchés publics de l’État, comme décrit par D. Liabes
(1984), qui considère que la médiation se faisait dans le secteur du BTP, lieu de collusion
d’intérêts entre l’administration locale ou la bureaucratie centrale, d’une part, et le secteur
privé, d’autre part. Ainsi estime-t-il que ‘‘toutes les pratiques des soumissionnement à ces
marchés publics passent par les relations de clientèle ; d’une façon générale, le capital de
relations conditionne l’octroi de ces marchés, la consistance technique et financière de ces
derniers, leur localisation, les délais de réalisation, l’application (ou la non application) des
mesures coercitives en cas de retard ou d’arrêt des travaux’’.
En ce sens, les interférences dans les sphères d’accumulation de la rente distributive par les
pratiques corruptives consolident le système clientéliste, désorganisent les circuits
économiques et parasitent l’exercice du monopole, particulièrement en ce qui concerne le
commerce extérieur. Ce qui consolide les marchés spéculatifs parallèles de l’immobilier et des
biens de consommation large ou durable, et sapant ainsi toute politique régulatrice de l’État.
3-2-2/ Période des années 80-90
Cette période est marquée au plan national par l’avènement de Chadli Bendjedid à la
tête de l’État, et au plan international par la crise qui affectait les pays socialistes, suivie par
l’effondrement de ce bloc de l’Est durant les années 80. L’éclatement de l’ex-URSS amorça
97
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
une nouvelle ère de réformes politiques et économiques, touchant notamment l’Algérie
affectée par la crise économique, qu’accentuait la forte croissance démographique, et ce,
malgré la flambée des prix du pétrole. Une crise apparente sous le signe d’une stagnation
relevée à travers les indicateurs d'une économie en pleine récession : le taux de croissance
économique très faible, un chômage devenant endémique, une baisse sensible du pouvoir
d’achat, une inflation galopante, une dépendance alimentaire totale, etc... Ajouter à cela le
développement exponentiel de la dette extérieure et intérieure, à tel point que l’Algérie était
dans l’incapacité de rembourser non seulement le principal de la dette mais y compris le
service de la dette. La compréhension des causes de l’endettement, particulièrement interne
aux entreprises, nous amène à la gestion administrative des entreprises publiques, qui se
distinguait par le camouflage des déficits budgétaires, en recourant aux découverts bancaires.
Une politique qui privilégiait le financement de l’activité économique par la planche à billets,
provoquant la dévaluation monétaire. Le soutien des prix des produits de première nécessité
accentuait le déficit du budget de l’État.
Tel que ce présentait la situation économique de l’Algérie durant la décennie 80, où la
corruption avait déjà fini par gangrener l’ensemble des instituions de l’État, caractérisée par la
rareté des biens et services causant des pénuries entretenue et organisée, en permanence, par
des spéculateurs intégrés et introduits dans la nomenklatura du régime, les voyants étaient
tous au rouge. Toutes les conditions sont réunies pour que le pays explose. L’embrasement a
lieu en octobre 1988.
Ce soulèvement donna naissance à une phase de transition, après celle des années 6070 d’interventionnisme étatique, puis celle des années 80 marquée par le désinvestissement et
un début d’ouverture à l’investissement privé, et ce, avec la mise en chantier des quelques
réformes afférentes à l’ajustement structurel lancées en 1987-1988 sous la contrainte extérieur
due essentiellement à la baisse des recettes pétrolières, la détérioration des termes de
l’échange et à l’incapacité à rembourser la dette extérieure.
La période des années 90 était marquée par un long processus et multiformes de transition sur
les plans politique, économique, sociale et culturel. Les programmes d’ajustements structurels
retardataires se suivent durant cette période de transition, d’incertitude et d’instabilité
politique, aggravée par une violence inouïe (guerre civile) pour le renversement du pouvoir
des conservateurs du FLN par les islamistes sortis de la clandestinité. C’est la phase des
mutations diverses, de l’abandon de l’économie administrée pour l’économie de marché, ainsi
98
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
que de l’ouverture de l’économie au secteur privé, réduisant le rôle de l’État. Le goulot
d’étranglement pousse vers l’engagement des réformes dont l’orientation donnait la primauté
aux marchés conformes à orthodoxie capitaliste, qui s’appuie sur moins d’État au lieu
davantage d’État.
L’argumentaire accablant la dominance de l’État, à travers l’arsenal réglementaire et la
lourdeur bureaucratique décourageante, fut avancé pour justifier les dysfonctionnements et la
présence importante de la corruption. Considérer le marché comme le remède n’était-il pas un
raccourci simpliste ? ce que décrit P. Salama (1994) : ‘‘Au lieu d’opposer l’État au marché et
de se servir de cette opposition pour à la fois expliquer la corruption, la légitimer souvent, et
fonder les conditions de sa disparition, il serait plus judicieux de considérer que le marché et
l’État ne sont pas deux concepts vides d’Histoire’’.
Des réformes économiques libérales ont été engagées par les institutions internationales, en
l’occurrence la Banque mondiale et le Fond monétaire international, transformant la nature de
l’État en réduisant du coup son rôle. Pour la Banque mondiale, B. Hibou (1998),
‘‘l’émergence du capitalisme serait favorisé par la concentration des richesses et la montée
d’une bourgeoisie entre-prenariale.’’ Ce qui a permis à la bourgeoisie compradore, après
avoir ramassé des fortunes à l’ombre de l’économie administrée, de faire des placements et
des investissements. D’autres ont trouvé dans ces réformes une opportunité pour capter la
rente pétrolière.
Durant cette période de crise, la recherche de ressources économique financières,
indispensables au fonctionnement de l’économie nationale, a eu des conséquences néfastes
aux plans social, économique et politique. La refondation de l’État s’opérait à travers les
nouvelles politiques économiques engagées, entraînant des bifurcations et des ruptures au
niveau du mode d’accumulation. Selon B. Hibou (1998) ‘‘Ces réformes consciemment
apolitiques ont donc pour effet latéral de contribuer au renforcement de la position des élites
dans l’économie, mais un renforcement formel et informel. La répression et la condamnation,
par les nouvelles normes, de pratiques au cœur du jeu politique amènent les détenteurs du
pouvoir à déplacer leurs stratégies d’accumulation vers des modalités plus cachées. Les
réformes de libéralisation et de privatisation favorisent ainsi les réseaux et les structures
occultes de pouvoir : dans le contexte politique actuel, ils sont les seuls à maîtriser les
espaces (voire les interstices) de liberté, les marges de manœuvre entre exigences politiques
et les contraintes économiques.’’
99
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
3-2-3/ Période des années 2000
Après la période des industries industrialisantes en vogue dans les années 60-70 et
celle de la crise et de la désindustrialisation des années 80-90, une nouvelle phase, toujours en
cours, est marquée par l’arrivée au pouvoir de Bouteflika. Une phase qui se développe dans
un contexte économique favorable. Les caisses de l’État, en effet, regorgent de disponibilités
financières, provenant des l’augmentation des prix du pétrole.
La relance de l’économie nationale a été enclenchée en mettant en place des programmes de
dépenses publics à coups de milliards de dollars. Des programmes qui aiguisent les appétits
insatiables des clientèles du régime. La rente de situation devient objet de captation au niveau
national et international.
L’ensemble des grands projets est adjugé par des pratiques corruptives. De nombreux
scandales sont dévoilés quotidiennement, dans tous les secteurs économiques et
administratifs.
Les coûts de la corruption augmentent sans plafonnement aucun, en se
généralisant. Les malversations, les détournements, les pots-de-vin, toutes ces pratiques
impliquent les décideurs politico-administratifs et opérateurs économiques sous l’enseigne
d’une interconnexion d’intérêts. D’autre part, l’économie parallèle bat son plein.
100
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
Conclusion
Le traitement de la genèse et de l’historique, qu’ils soient d’un point de vue spatial ou
temporel du phénomène de la corruption en Algérie apporte un éclairage explicitant ses
interconnexions et les évolutions qu’il a connu, notamment durant la période de l’Algérie
indépendante fondatrice des institutions constituant l’édification de l’Etat-nation.
Nous avons constaté que la phase antérieure à l’accession de l’Algérie à son
indépendance, jalonnée par des invasions successives jusqu’à la colonisation française est
marquée par des pratiques clientélistes corruptibles, notamment durant la période des
ottomans marquée par de multiples interférences bureaucratiques, l’imposition du mercenariat
de l’armée, l’immixtion du bakchich, etc. comparables à celles de l’État colonial et
caractérisant même l’Algérie postindépendance, où les rapport de l’administration vis-à-vis
des administrés sont régis en dehors des normes.
Le traitement discriminatoire de l’administration de la justice, censée être neutre et équitable,
associé à un appareil répressif, constitue un exemple typique, source du développement de
comportements corruptifs. En effet, comme nous l’avons développé dans ce chapitre, le
règlement des conflits obéissait à des pratiques corruptives, lors de la qualification du délit, la
sanction et la juridiction qui changent en fonction des justiciables, y compris l’altération des
chefs de tribus indociles en recourant à l’application du code de l’indigénat aléatoirement aux
autochtones.
Le contexte social inextricable de l’Algérie indépendante a été frappé par la lutte des clans
entre les différentes franges du mouvement national et l’influence du poids des nouvelles
relations de l’ex France coloniale instaurant le système dit de la Françalgérie autour d’intérêts
communs.
La constitution de l’Etat-nation fut marquée par la prolongation des pratiques clientélistes et
corruptives comblant le déficit de légitimité politique substitué par un régime dont le mode de
gouvernance est basé sur la légitimité historique, l’autoritarisme, le régionalisme et le
clanisme, excluant, de fait, les compétences véhiculant des contradictions. La nature du
régime, trempée par la suite davantage dans les diverses pratiques corruptives (privilèges,
pots-de-vin, détournement de fonds, dilapidations…etc.) spéculant autour des rentes étatiques,
incite le développement des comportements prédateurs.
Les périodes de crises et d’instabilités socioéconomiques suivies par des réformes et des
transitions n’ont pas pu remettre en cause les positions des nantis du régime qui ont su
s’adapter au nouvel environnement qui s’opéraient sur les plans social, économique et
101
CHAPITRE II : Genèse et historique du phénomène de la corruption
politique, favorable au recours aux pratiques mafieuses. Ainsi, en désorganisant les circuits
économiques et en parasitant l’exercice des monopoles étatiques, de grandes fortunes ont été
amassées à l’ombre du système politique et rentier, par les pratiques corruptives consolidant
le système clientéliste. Le contexte économique actuel propice, où les caisses de l’Etat
regorgent des rentes financières issues de la flambée des prix du pétrole depuis le début des
années 2000, a démocratisé le phénomène de la corruption.
102
Chapitre III : Cadres
conceptuels,
définitions et théorie
de la corruption
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
TROISIEME CHAPITRE: Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
Introduction
L’aspect qui distingue la caractéristique de la corruption relève de sa complexité, voire
de la difficulté à saisir ses multiples facettes dans une seule définition consensuelle. Une
complication justifiée par la multitude d’approches, l’évolution des appréciations spatiales et
temporelles et la multidisciplinarité du phénomène. Selon P. Salama (1994) ‘‘La corruption a
de tout temps existé. Son ampleur est variable. Ses fluctuations sont liées à des facteurs
complexes et il est réducteur de lier son développement à l’excès d’État. Elle n’est pas une
scorie de la reproduction du système. Elle est comme un Janus à deux faces. Elle peut
faciliter la reproduction d’ensemble, elle peut la contrarier.’’
Sa nature et ses manifestations sont multiples. Des pratiques que connaissent toutes les
sociétés, n’épargnant aucun espace territorial ; elles sont sans frontières. Ce qui rend délicat la
définition du phénomène de la corruption. On lui attribue plusieurs facettes, ses lisières avec
le système législatif sont difficiles à cerner. Il peut, pour des raisons d’appréciations
législatives différentes, être observé et classé comme un crime dans un pays et ne pas être
considéré comme une infraction dans un autre pays.
Un phénomène dynamique, adaptatif et multiforme. Avec l’affaiblissement de l’État, les
réseaux de la corruption établissent des règles informelles outrepassant, par endroit, celles de
l’État ; il instaure un pouvoir tacite, de facto, parasitant les lois en vigueur dans les pays et
édifiant ainsi un système de gouvernance parallèle au système légale officiel. R. Lucchini
(1995) considère que ‘‘la corruption au quotidien est universelle. Mais elle prospère lorsque
l’État est perçu comme un simple instrument de domination sociale et d’enrichissement
personnel. Elle prospère aussi quant le rapport à l’État obéit à la logique du marché qui fait
du bien commun quelque chose d’appropriable. Or l’une des caractéristiques de cette
logique, est de considérer les principes d’éthique comme des externalités.’’
Nous allons traiter dans ce chapitre consacré aux cadres conceptuels, définitions et
théories de la corruption les trois sections suivantes:
-
Des dimensions juridiques et socio-anthropologiques de la corruption, en montrant les
contraintes et les obstacles à trouver un consensus autour d’une seule définition;
-
De l’économie politique de la corruption en faisant référence aux différentes théories ;
-
et des typologies et stratégies corruptrices.
103
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
Section I : Définitions juridique et socio-anthropologique de la corruption
Dans les pays en développement, l’étude de la corruption est un sujet d’analyse
depuis, particulièrement, l’accession aux indépendances. Mais son traitement avait fait l’objet
de réflexion, en premier lieu par les philosophes, depuis plusieurs siècles à travers la
description du vécu et des relations entretenues dans la vie de la cité. La production
scientifique multidisciplinaire des politologues, des sociologues, des juristes, des économistes
et des anthropologues sur la corruption est considérable ; donnant, tour à tour, chacun sa
définition de la notion sous l’angle conceptuel et pratique. Selon Jean Cartier-Bresson (1992)
‘‘ce sont les politistes qui dans les années soixante, franchissent le pas de la démoralisation
du sujet en acceptant d’étudier la corruption selon une grille de lecture individualiste,
utilitariste et fonctionnelle.’’ Alors que les économistes n’ont commencé à traiter la question
qu’à partir des années soixante-dix, Selon J. Cartier-Bresson (1992).
La recherche ou le choix d’une définition consensuelle est compliquée. Cela s’explique par un
ensemble d’éléments qui renvoient soit à la position adoptée vis-à-vis du pouvoir politique et
de la société, c'est-à-dire la distinction entre, d’une part, la sphère relevant de la chose
publique, et d’autre part de la propriété privée, soit de l’approche disciplinaire vu les
frontières indéfinies entre la corruption et les autres activités des domaines diverses. Sans
omettre d’ajouter, comme l’écrit R. Theobald (1990) repris par R.Lucchini (1995), le fait que
la corruption est inséparable de questions concernant la morale publique et la morale en
générale. Ainsi, Y. Mény (1996) propose d’intégrer dans l’objet d’analyse de la corruption
trois considérations : en premier lieu, le phénomène est général, universel dans sa dimension
spatio-temporel. En deuxième lieu, il n’est plus un problème national interne à un système
politique à dimension international. Et en troisième lieu, la sophistication de ses formes et de
ses modes.
Néanmoins, il est reconnu que la corruption recouvre des activités variées allant de la
transgression des règles de l’éthique de la société en général, aux infractions des législations
et des règles de droit, en passant par les modes de financement non conventionnels des
activités politiques, le népotisme des régimes politiques, les transferts et blanchiment des
capitaux acquis souvent illicitement et le parasitage de la vie économique infranationale et
transnationale …etc. Ainsi, J. Cartier-Bresson (1997) en considérant la proposition de A.
Heidenheimer (1970, 1989): ‘‘la variété de définitions de la corruption en sciences humaines
peut se regrouper en trois catégories. Une large majorité des auteurs suit la piste d’une
104
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
définition centrée sur les devoirs de l’administration. Un petit groupe discute de la corruption
par rapport à la notion d’intérêt public. Enfin, le troisième groupe développe une définition
économique à partir d’une analyse centrée sur le marché de la corruption. Il convient de
rajouter une quatrième définition formulée par A. Heidenheimer qui insiste sur la perception
du phénomène et enfin une cinquième définition élargissant l’approche au fait de
clientélisme.’’ Ce qui va faire l’objet de ce point consacré aux diverses approches.
1-1/ Juridiques
Les codifications juridiques relèvent du droit. Celui-ci définit des normes basées sur
des règles légales régissant les apports sociaux et le fonctionnement d’un État. Le mode de
gouvernance est régi par ses règles. Même si le phénomène de la corruption possède
plusieurs facettes, lesquelles l’on peut traiter et analyser différemment, sa définition sur le
plan juridique tente de contenir ses manifestations observées empiriquement, en codifiant des
dénominateurs communs, sans être ni trop restrictive, ni trop large. Il s’agit d’arrêter une
définition de la corruption, non pas de fixer les différentes infractions issues des
comportements des pratiques y afférent.
Dans ce cas, les juristes tracent la conduite à tenir face à la corruption. Ils tranchent et arrêtent
les règles de droit, en fixant ce qui est autorisé ou légale et ce qui ne l’est pas ou est interdit.
Selon J. Cartier-Bresson (2008), l’objectif de la définition juridique de la corruption est de
permettre une incrimination et une condamnation. Ainsi, pour cet auteur, quatre questions se
posent pour le juriste : ‘‘Quel est l’intérêt protégé ? Quel est le comportement incriminé ?
Quels sont les agents concernés ? La sanction est-elle dissuasive, juste et proportionnelle.’’
Les interprétations juridiques de la corruption dépendent des définitions figurant dans les
textes de lois adoptés dans les pays, notamment le code pénal et les codes de déontologie des
corporations, en vertu de quoi est déterminé ce qui est défendu et ce qui est autorisé, avec
l’énoncé des principes et des articles permettant cette distinction.
La mise en place de l’arsenal juridique définissant la corruption est consacrée essentiellement
à la détermination des cas de corruption et à la formulation des sanctions à appliquer.
J. Cartier-Bresson (1997) considère ‘‘la définition juridique de la corruption est évidemment
la plus simple, la moins ambiguë et la plus aisément utilisable. Elle se borne à étudier le
respect et l’application de la loi…’’. En d’autres termes, la corruption constitue un processus
dynamique d’injustice permettant d’avoir une mainmise ou de contrôler les biens et services,
grâce à la position occupée au sein des institutions et des liens entretenus dans la société.
105
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
1-1-1/Convention de l’ONU
Les initiatives antérieurement entamées, durant les années 70-80, sur la corruption par
l’ONU n’ont connu un aboutissement que vingt ans plus tard. Depuis, il est devenu un sujet
abordé par l’ensemble des institutions internationales intervenant dans les domaines politiques
et économique. Par la suite, en 2003, la communauté internationale sous l’égide de l’ONU
aboutit à déclencher une lutte à l’échelle mondiale contre la corruption, par la mise en place
de la convention internationale de lutte contre la corruption. Ce nonobstant, l’existence de
nombreuses conventions contre la corruption. Certaines sont très larges, elles débordent large
dans le champ de l’application et d’autres sont restrictives, limitant les mesures de lutte contre
la corruption.
La diversité des acteurs et d’institutions aboutissent plutôt à mettre en place pénalement des
conventions définissant des normes internationales incriminant la corruption. Par contre, pour
l’action publique les définitions de la corruption pullulent. Celle qui est la plus usuel renvoie à
« l’abus de fonctions publiques ou privés pour des bénéfices personnels », reconquérant les
activités affectées de corruption. La convention des nations unies contre la corruption reprise
dans le Glossaire de l’OCDE (2008) innove en combinant à la fois la définition, le large
éventail indexant la corruption, sa répression et surtout sa prévention, contrairement à
Transparency internationale qui définie la corruption comme une résultante ‘‘de la part
d’agents du secteur public, qu’il s’agisse de politiciens ou de fonctionnaires, qui
s’enrichissent, eux ou leurs proches, de façon illicite, à travers l’abus des pouvoirs publics
qui leur sont confiés.’’ Sur le plan opérationnel, c’est une définition qui est basée sur
l’utilisation du pouvoir conféré par les pouvoirs publics pour en tirer un avantage ou un gain
privé.
Cette convention, qui fait référence préalablement aux concepts terminologiques référentiels,
a opté pour une approche large dans sa définition, qui ne couvre que les personnes qui abusent
de leur influence. Elle permet de déterminer l’ensemble des opérations d’infractions reliées à
la corruption, des codes de conduites, des agents publics. Comme, aussi,
celle « des
passations des marchés publics et gestion des finances publiques, de l’incrimination, détection
et répression, trafic d’influence, abus de pouvoir, d’enrichissement illicite, du blanchiment, de
détournement, etc. »
106
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
1-1-2/ Convention de l’OCDE
Pareillement à la convention des Nations unies, la convention de l’OCDE, comme
d’ailleurs celle du Conseil de l’Europe, ne définissent pas la notion de corruption, mais elles
procèdent, plutôt, au recensement des infractions de corruption, en intégrant le délit de
corruption d’agents publics étrangers. Cependant, l’0CDE avait traité de la corruption
publique à travers la convention sur la corruption d’agents publics étrangers dans les
transactions internationales en 1997, définissant un pacte de corruption entre un agent public
et un agent privé.
1-1-3/Convention Africaine
Aussi, la convention de l’union africaine sur la prévention et la lutte contre la
corruption et infractions assimilées, adoptée 2003, ne donne aucune définition juridique de la
corruption, mais par contre, elle définit les infractions de corruption, dans le secteur public et
le secteur privé, tout comme elle fixe les actions de prévention, de répression, de coopération
et d’éducation dans ses contours. Les discussions et les travaux menés, lors des négociations
de la convention de l’ONU, ont suscité l’intérêt de certains pays d’Afrique pour traiter de la
problématique de la corruption à temps. Épisode ayant permis d’amorcer les négociations sur
l’élaboration de la convention africaine en vue de se mettre au diapason vis-à-vis exigences et
besoins de la conjoncture internationale et continentale.
Ainsi, dans l’article 1 de la convention africaine, il est considéré comme corruption « les actes
et pratiques, y compris les infractions assimilées, prohibés » dont, entre autres : le
détournement de fonds publics, le népotisme, les pots-de-vin, l’extorsion, le trafic d’influence,
la fraude, l’enrichissement illicite, le ‘‘pantouflage’’ et les actes d’omission.1
1-1-4/ La transposition des conventions en droit algérien
Malgré la ratification des conventions internationales portant sur la lutte contre la
corruption, notamment celles de l’ONU et de l’Union africaine, l’Algérie n’a pas transposé
dans les textes de lois intégralement le contenu de ces conventions, puisque ces dernières
scindaient les articles en deux parties, certains obligatoires et d’autres laissés au choix. Ainsi,
l’Algérie a adopté les conventions portant sur la prévention et la lutte contre la corruption au
niveau régional, africain2 et à l’échelle mondiale3. Puis elle a adopté une loi portant sur la
1
La convention de l’union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption et les infractions assimilées.
Décret présidentiel n° 06-137 du 10 avril 2006 portant ratification de la convention de l’union africaine sur la
prévention et la lutte contre la corruption, adoptée à Maputo le 11 juillet 2003, le JORAD n° 24 du 16 avril 2006.
2
107
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
prévention et la lutte contre la corruption4, définissant les actes constitutifs de corruption et le
champ d’application.
Une loi qui reprend l’architecture de la convention de l’ONU, faisant référence pour la
définition de la corruption à l’ensemble des infractions telles que l’enrichissement illicite, les
cadeaux, l’abus de fonctions, trafic d’affluence, la concussion et corruption dans les marchés
publics. Son objectif déclaré est « de renforcer les mesures visant à prévenir et à combattre la
corruption, de promouvoir l’intégrité, la responsabilité et la transparence dans la gestion des
secteurs public et privé, de faciliter et d’appuyer la coopération internationale et l’assistance
technique aux fins de la prévention et de la lutte contre la corruption, y compris le
recouvrement d’avoir ».
Cette approche, élaborée suite aux multiples négociations, aux plans international, régional et
national, prend en charge la configuration spécifique du système politique algérien, reflétant
l’équilibre des enjeux des contradicteurs. Sur le plan historique, la société algérienne
segmentaire est régie d’une façon générale par le droit coutumier. Ce droit codifie l’ensemble
des règles de conduite s’appliquant aux membres d’une communauté traditionnelle et
culturelle. Un modèle de société ancestral, soudé autour du droit coutumier, où il est fait
référence aux faits classés comme infraction et des sanctions correspondantes. Parmi elles,
figurent les infractions économiques. En plus du droit coutumier, il y a le droit religieux qui
joue un rôle prépondérant dans la traduction des faits relatifs à la corruption.
Ainsi, le terme corruption, selon la société algérienne qui est un mélange de culture et de
langue arabe populaire et amazigh, peut avoir comme équivalence El-Fassad en arabe
populaire et Yenza ou tidjaal en amazigh. Des vocables qui désignent la déréglementation de
la société. El-Fassad équivaut à la pourriture des intervenants, par contre Yenza renvoie dans
la société au fait de vendre son âme à autrui et se mettre au service d’un responsable honni
quel que soit le niveau de sa hiérarchie, il correspond au personnage corrompu moralement.
Tidjaal c’est la contre partie ou le pot-de-vin.
On peu considérer que dans le langage
populaire, la pratique de la corruption est d’abord et avant tout un acte immoral condamnable
par la société. Avec la désagrégation de la société traditionnelle, affectée par des
bouleversements socio-économiques, observant des mutations vers une société moderne et
3
Décret présidentiel n° 04-128 du 19 avril 2004 portant ratification, avec réserves, de la convention des nations
unies contre la corruption, adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies à New York le 31 octobre 2003,
le JORAD n° 26 du 25 avril 2004.
4
Loi n° 06-01 du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, publiée dans le
JORAD n° 14 du 8 mars 2006.
108
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
urbaine où les individus se résolvent dans la nouvelle société, la loi prend le dessus devenant
la référence principale.
Même si la loi fondamentale, la constitution algérienne, ne définit pas et n’indique pas
directement les actes de corruption, en ne citant dans son article 22 que l’abus d’autorité, le
code pénal dans l’article 126 détermine approximativement la notion de corruption en faisant
référence aux personnes justiciables sollicitant des offres ou des promesses, recevant des dons
dans le cadre de l’accomplissement de leurs missions. Ceci en plus des articles qui renvoient
aux trafics d’influence et abus d’autorité et de confiance.
1-1-5/Eléments des formes d’infractions de la corruption
Astreindre la définition de la notion de corruption au caractère juridique, sans
l’attacher aux différentes formes de corruption, dénaturerait la portée des liens que ce
phénomène entretient avec son environnement économique, social et culturel. Selon les
contextes, la corruption recouvre diverses pratiques correspondant aux représentations
sociétales. En effet, le vocable de la corruption n’est pas seulement polysémique, rendant
impossible son confinement dans une seule définition, mais implique aussi, à travers la
diversité des pratiques, une multitude d’acteurs et d’actes appréciés différemment. Pour
dépasser la contrainte de la définition nous allons traiter des éléments constitutifs des
différentes formes d’infractions de la corruption.
1-1-5-1/Pot-de-vin : il correspond à échange d’argent ou de faveur en contrepartie d’un
avantage indu. Il peut prendre plusieurs formes, l’article 15 de la convention de l’ONU
distingue « le fait de promettre, d’offrir ou d’accorder à un agent public, directement ou
indirectement, un avantage indu… » Du fait pour un agent public « de solliciter ou
d’accepter, directement ou indirectement, un avantage indu… ». Il s’agit du corrupteur et du
corrompu. Dans l’article 16.2, il est considéré comme tel, lorsque est commis
intentionnellement, par « un agent public étranger ou un fonctionnaire d’une organisation
internationale publique, qui sollicite ou accepte, directement ou indirectement, un avantage
indu… ».
1-1-5-2/Trafic d’influence : il est repris dans l’article 18 de la convention de l’ONU. Dans
l’article 128 du code pénal, il s’agit d’un acte incriminé. Il est considéré comme responsable
de trafic d’influence toute personne ou « agrée des offres de promesses, (qui) sollicite ou
reçoit des dons, présents ou autres avantages, pour faire aboutir ou tenter de faire obtenir
109
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
des décorations, médailles, distinctions ou récompenses, des places, fonctions ou emplois ou
des faveurs quelconques accordés par l’autorité publique ou avec une exploitation placée
sous le contrôle de la puissance publique ou, de façon générale, une décision favorable d’une
telle autorité ou administration, et abuse ainsi d’une influence réelle ou supposée. ».
1-1-5-3/La commission : résulte du service rendu illégalement, la commission correspond
souvent à une part qu’affecte le bénéficiaire à des tiers qui interviennent en dehors de la
réglementation. Un acte qui affecte, faut-il le souligner, les recettes ou les dépenses de l’État
directement.
1-1-5-4/La gratification : forme de remerciements, accordant un cadeau par exemple, pour
un travail fait dans les normes et pour lequel il perçoit son indemnité. La gratification se situe
à la lisière de la qualification d’un fait de corruption.
1-1-5-5/L’appui: assimilable au trafic d’influence, il s’agit d’acte de favoritisme dépendant
des relations des réseaux personnels, familiaux ou amicaux, en violation des critères
déontologiques et des préceptes de l’éthique. L’appui ou le ‘‘piston’’ usité dans le langage
populaire est un vocable souvent utilisé dans la société algérienne pour désigner les passedroits, la corruption qui affecte les rouages des administrations en particulier.
Les trois dernières formes de corruption distinguées ci-dessus, selon G. Blundo et J.-P.
de Sardan (2003), – en plus de la « rétribution indue d’un service public » gratuit qu’il défini
comme une forme de vente d’un acte ou « service » qui est normalement pris en charge par un
organisme donné – relèvent de transactions qui se chevauchent le plus souvent; ce qui n’est
pas le cas pour le tribut (« péage ») forme de racket, sans intermédiaire, qui représente des
formes d’extorsion ou d’appropriation privative ou bien de la « perruque » et le
« détournement ».
110
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
Le tableau n° 08 : les formes élémentaires de la corruption
Formes élémentaires de la Nature de l’interaction
Catégories juridiques
corruption
Gratification
Transaction spontanée
Corruption
Commission
Transaction négociée
Corruption
Piston, faveurs, népotisme
Transaction spontanée
Trafic d’influence
Rétribution indue
Transaction négociée ou extorsion
Concussion
Tribut
Extorsion
Concussion
Perruque
Appropriation
Détournement
de
biens
publics, abus de biens sociaux
Détournement
Appropriation
Détournement
de
biens
publics, abus de biens sociaux
Source : Rapport final de l’étude financée par la Commission des Communautés européennes et la Direction de
développement et de la coopération suisse (DDC). « La corruption au quotidien en Afrique de l’Ouest. Approche
socio-anthropologique comparative : Bénin, Niger et Sénégal ». octobre 2003. P 21.
La corruption a été traitée souvent sous l’angle des rapports entretenus entre les
pouvoirs publics et l’intérêt privé, alors qu’elle couvre aussi les aspects privés de la vie telle
que décrite précédemment dans les formes élémentaires de la corruption.
1-1-6/Analyse des définitions de la corruption en termes de violation de règles
L’analyse de la corruption à partir du principe de la violation des règles, nous entraîne
à tenir compte, dans le cadre de la législation en vigueur, des transgressions des règles
normatives classées comme faisant partie de l’intérêt général. Dans ce cas, la notion d’intérêt
général met en conflit la culture d’une société traditionnelle, fonctionnant en communauté à la
marge des règles de la société moderne régie par des normes différentes avec l’obligation
formelle à respecter les codes légaux édictés par les pouvoirs publics. La violation de ces
normes qui impliquera l’acte de corruption peut-il en réalité constituer le critère de
qualification au regard des antagonismes et des variations que peuvent véhiculer la perception
de l’intérêt général ?
On retrouve des similitudes dans cette approche à la société algérienne. Durant la période
postindépendance, la majorité des populations étaient paysannes et rurales, par la suite avec
l’avènement de la salarisation à travers les administratives et les politiques d’industrialisation,
il y a eu des mutations vers une société « industrialisée », fortement urbanisée avec l’exode
rural. Ce processus entraîna une évolution de la perception de l’intérêt général édicté par les
111
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
législateurs, en réglementant les devoirs ou obligations des citoyens. Ce faisant, le
fonctionnement institutionnel des différents pouvoirs, législatif et exécutif, a escamoté
sournoisement la notion du conflit d’intérêt.
L’approche juridique quant à la définition de la notion de la corruption nécessite l’étude au
préalable du fonctionnement des différentes composantes de la société, ainsi que l’analyse
dynamique de leurs évolutions, non sans aussi les mettre en concordance avec les normes
institutionnelles et collectives conçues dans le cadre de l’intérêt général, au niveau local,
régional et mondial. Le phénomène de la corruption couvre un large panel de pratiques, il
n’est pas statique, autour du délit de corruption, en fait, se greffe d’autres délits semblables,
dont certains ont été énumérés précédemment. La définition purement juridique de la
corruption ne doit pas soustraire de ses fondements les causes génitrices dont les valeurs
d’éthiques tacites. De ce fait, elle ne peut être pertinente et objective que si elle est évolutive,
adaptative et actualisée en permanence selon les mutations de la société observée et les
normes fondées sur le contenu accordé à la définition de l’intérêt général.
1-2/ Sociologique et anthropologique
L’accentuation principalement de la définition des différentes formes de la corruption
sur les aspects juridiques risque de nous faire perdre de vue son ampleur et surtout l’impact
fondateur à l’origine des dispositions pénales répressives.
Y. Mény (1996) considère que l’analyse sociologique des comportements peut faire
avancer la compréhension de la problématique de la corruption, en étudiant l’attitude des
citoyens et, plus spécifiquement, des élites à l’égard de la question. En effet, l’analyse
sociologique de la corruption est – subjectivement – très large, elle est liée à la morale ou
l’éthique entretenue par les individus en fonction des principes personnels, souvent en
divergence sur sa perception. Et pour ainsi dire, compliquant davantage la définition de la
corruption. Ce que distingue J. Cartier-Bresson (1997) en considérant ‘‘finalement, la grande
différence réside entre les définitions stricto sensu ou « objectives » (juridiques) et les
définitions élargies ou « subjectives ». Derrières la différence entre les définitions objectives
et subjectives émergent deux lectures du phénomène. Les définitions objectives impliquent de
percevoir la corruption comme une pathologie anormale concernant des individus, alors que
les définitions subjectives sont plus ouvertes à l’observation des fonctions de régulation
économique et sociale de cette institution assez particulière’’.
112
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
1-2-1/ Manifestations des pratiques de la corruption
Une grande partie des travaux traitant de la corruption émanent des politologues, qui
se penchent beaucoup plus sur l’étude de la grande corruption, des dossiers à scandales étalés
sur la place publique par les médias. Alors que la petite corruption au quotidien fait l’objet
d’analyses descriptives de la part des anthropologistes en particulier.
C’est dans la gestion des deniers publics et des ressources que les pratiques de la corruption
connaissent une manifestation intense. Les grands scandales étalés ces dernières années par la
presse écrite autour de mégaprojets dans divers secteur, en particulier dans le BTP,
notamment la réalisation de l’autoroute Est-ouest et le tramway d’Alger, illustre l’ampleur de
la grande corruption dans les dépenses publiques. Aussi, la gestion des deniers publics au
niveau des administrations locales ont connu une multiplication de faits et de pratiques de
corruption, qui se manifestent au niveau des dépenses publiques, ceci sans occulter la question
lancinante liée à la pertinence des choix opérés et de l’impact escompté au regard des
objectifs arrêtés.
Ces deux types de corruption, la grande et la petite, entretiennent des liens, tout en se
chevauchant. La petite corruption, apparente dans le vécu quotidien, affecte l’ensemble des
activités de la société, elle se manifeste par des pratiques multiples tel que la ‘‘chipa’’, le potde-vin, la rançon, le détournement, le trafic, la spéculation, la bureaucratie, le trucage, le
chantage, la gabegie, le gaspillage, le chantage, la dissimulation, l’influence... etc., il s’agit, en
somme, des compensations, de petits montants, accordées à des subalternes agissant au niveau
inférieur pour contourner les règles, les procédures et parfois les obstacles administratifs
incrustés par la bureaucratie.
La grande corruption détectable au niveau supérieur des hiérarchies au sein des
administrations centrales et sectorielles, à des dimensions dépassant l’imaginaire, suscitées
par les causes d’ordre à la fois sociale, politique, économique, administrative et judiciaire.
Elle est l’émanation de l'entrecroisement des acteurs agissants dans l’administration et des
décideurs politiques, elle se manifeste essentiellement dans les grands secteurs comme les
marchés publics ou les administrations fiscales et parafiscales à travers des pratiques de
corruption telles que la fraude, la sous-facturation, la non déclaration, le versement de potsde-vin, le détournement de fonds publics… etc.
La multiplicité des manifestations des pratiques de la corruption peut être explicitée
par l’abondance des formes et la multiplicité des cas de figures endossées par ce phénomène.
C’est un fléau qui implique au moins deux parties, le corrompu et le corrupteur. Le corrompu
dépositaire d’un pouvoir et d’une mission, lorsqu’il commet une infraction relevant des actes
113
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
de corruption, est considéré comme acte de corruption passive. Le corrupteur qui abuse de son
pouvoir d’influence sur le corrompu, pour l’obtention d’un avantage indu en usant des
pratiques corruptives, est qualifié d’acte de corruption active. Brigitte Henri (2008), dans le
cas, d’une entente préalable entre le corrompu et le corrupteur, il s’agira d’un pacte de
corruption.
1-2-2/ Les justificatifs de la corruption
Le sujet de la corruption est devenu incontournable dans les discours politique. Il est
devenu l’objet de débat ou d’évocation de l’ensemble des acteurs politiques, y compris ceux
qui gouvernent. La controverse, voire la justification, de la corruption développe plusieurs
arguments contradictoires :
- Il y a des attitudes fatalistes, campées par ceux qui pensent qu’il n’y a pas de possibilité de
changer quelque chose, ceux-là, ils adoptent un comportement d’indifférence et proscrivant.
- La deuxième catégorie tente de l’innocenter, en légitimant ces pratiques, en lui trouvant des
vertus, justifiant par là leur indulgence.
- La troisième catégorie entretient des positions dénonciatrices, prohibant ces actes et
condamnant les autres attitudes qui ont tendance à entretenir et justifier les pratiques
corruptives, en mettant en avant les aspects négatifs et effets pervers que ce fléau peut avoir
sur le comportement de la société et les blocages des programmes engagés dans le cadre des
politiques économiques publiques.
G.Blundo et J.-P. Olivier de Sardan (2007) reprennent les justificatifs légitimant l’insertion
de la corruption dans les pratiques ordinaires. ‘‘ L’argumentaire justificatif « archétypique »
englobe quelques « grands énoncés », où la corruption relèverait tantôt de la récupération,
tantôt des « bonnes manières », tantôt du privilège, tantôt de la pression fiscale, tantôt de la
redistribution, tantôt du mimétisme, tantôt du défi, tantôt de l’emprunt. Chacun de ces
« grands énoncés » inclut divers variantes’’. De cette multitude d’arguments on peut
considérer la corruption comme les deux faces d’une même pièce de monnaie : la première
revêt un caractère public et est souvent dénoncée et considérée comme étant illégale et
condamnable ; la seconde est orientée vers les aspects de sa fonction sociale lui accordant une
légitimité est une attitude tolérante.
114
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
1-2-2-1/ La corruption un droit compensatoire : mode de régulation sociale
L’attitude des fatalistes et des légitimateurs de la corruption a tendance à traduire
l’ampleur des comportements des citoyens dans la société.
Les pratiques corruptives, particulièrement la petite corruption quotidienne, est assimilé chez
certains, de facto, comme un droit. Ce droit permet des compensations ou le recouvrement de
la part de la rente redistribuée en dehors du circuit légal. Cette attitude a pris des dimensions
normalisant la corruption durant la période de l’érosion du pouvoir d’achat ayant marqué la
fin des années 80 et la décennie 90 où il y a eu le gèle des augmentations salariales. Une façon
de compenser les déficits dus à la faiblesse des salaires. Certains salariés, qui géraient et
manipulaient de gros projets dotés de budgets colossaux, se considéraient comme des
victimes, en usant des pratiques de la corruption ils pensent réparer l’injustice. D’autres
voyant l’apparition des richesses chez certains responsables, dépositaires d’un pouvoir au
niveau local ou national, justifient la corruption comme un moyen d’accéder à une part de la
rente.
La corruption comme mode compensatoire dissimule un mode de régulation social basé sur
un fonctionnement et des pratiques informelles tolérées tacitement. En adoptant ces attitudes
la société, toute entière, aboutit au dérèglement de son fonctionnement, mettant en péril ainsi
l’autorité de l’État.
1-2-2-2/ La corruption pour récompenser : liens sociaux
La société traditionnelle entretient des liens sociaux basés sur les règles de réciprocité
d’intérêts : don contre don, service pour service, l’entraide ; aussi concernant l’individu,
celui-ci se dissout dans la société, il fonctionne selon les liens sociaux établies et se doit de les
respecter. Les échanges d’amabilités influencent les liens sociaux entretenus entres les
membres de la communauté traditionnelle.
Les offres ou les aides attribuées dans ce cadre, pour des services rendus par un agent public,
ne se déclinent pas. Il s’agit de récompenses attribuées pour entretenir des liens sociaux. Un
mode de vie où il est difficile d’établir la frontière entre le service public, relevant du domaine
des pouvoir publics, et le rôle joué par l’agent chargé de ces missions dans la communauté.
Les liens familiaux, tribaux, amicaux l’emportent souvent lors de l’application de certaines
règles légales. Des comportements qui traduisent la place qu’occupe l’agent public dans son
environnement. La rigidité par exemple d’un receveur des contributions au niveau d’une
mairie est considérée comme une forme de fronde, une incorrection ou une malveillance. Par
115
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
contre, la tolérance et la souplesse adoptées par un autre receveur le gratifie du titre ou de
formules courtoises et gentilles, tel que d mis n tfamilt.5
Ainsi, des récompenses, sous diverses formes corruptives, peuvent être attribuées à cette
dernière attitude dans le cadre du tissage et du renforcement des liens sociaux. Dans les
sociétés traditionalistes, il existe une pression sociale pesante. Les interférences émanant des
réseaux familiaux, amicaux et corporatistes influencent beaucoup les agents publics pour
l’adoption de comportements flexibles et laxistes.
1-2-2-3/ La corruption et pouvoir social : prolongement des avantages
Plus le poste occupé est important de par les avantages qu’il permet, plus son
détenteur peut prolonger les potentialités d’en tirer des privilèges au niveau des autres
secteurs. Le poste occupé prend plus de valeur selon les attributions dont il dispose. Les
échanges de services offrent les opportunités à asseoir un pouvoir social, basé sur les
échanges de services indus, en contrepartie d’avantages matériels acquis. La corruption
devient synonyme des privilèges, source d’enrichissement injustifié, accordés dans le cadre
des attributions de l’agent public ou bien reçus indépendamment de sa fonction en relation
avec le statut que lui confèrent les prérogatives liées au poste occupé.
1-2-2-4/ La corruption comme redistribution : large partage des fruits
La généralisation de la corruption fait partie des arguments stimulant l’indulgence
adoptée à son encontre. Plus les corrompus, passif ou actif, élargissent la sphère des
redistributions, plus ils réduisent la gravité et la portée des actes de corruption commis. Les
grands détournements étalés sur la place publique sont perçus différemment. Tant au niveau
de l’opinion publique, la condamnation peut être unanime, tant au niveau de la sphère ayant
plus ou moins bénéficié des résultats de la corruption, les concernés adoptent une attitude
offensive, en minimisant la portée des actes de corruption. Et tant que sa redistribution affecte
essentiellement des personnes qui ne sont pas investie d’un pouvoir, qui ne tirent pas profit
directement des fruits de la corruption, la posture adoptée a plutôt tendance à banaliser ses
effets pervers.
5
Fils de bonnes familles.
116
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
1-2-2-5/ La corruption comme mimétisme : effet de la généralisation ou d’obligation
La généralisation de la corruption influe énormément sur les valeurs de probité. La
tendance à ériger les pratiques de la corruption comme la règle générale conduit vers le
renversement de l’échelle des valeurs d’honnêteté. La possibilité d’outrepasser la légalité met
les fonctionnaires devant un dilemme. Ce qui pousse certains à accepter les pratiques
corruptives malgré eux. La généralisation de la corruption, particulièrement lorsqu’elle affecte
le sommet de la hiérarchie gouvernementale, prend une allure d’une décentralisation soutenue
par les démembrements des organes de l’État.
L’effet de la généralisation de la corruption provoque une forme de mimétisme, au risque
d’être désavoué et indexé comme élément malveillant ou même d’écoper de sanctions de la
part de la hiérarchie supérieure. Le cas échéant, la corruption prend la tournure d’une
contrainte à plusieurs risques, entraînant l’imitation du cadre général.
La corruption par le
mimétisme devient, ainsi, une obligation. Selon G.Blundo et J.-P. Olivier de Sardan (2007)
‘‘Il s’agit de « faire comme tout le monde », pour ne pas être le dindon de la farce. L’exemple
de la corruption vient d’en haut, les gouvernants montrent le chemin et ils sont les plus
grands voleurs. Bien stupide serait donc celui qui ne ferait pas comme eux.’’
1-2-2-6/ La corruption, acte d’intelligence ou de bravoure
L’intégrité professionnelle et la probité, liées au point précédent, deviennent l’enjeu
des fonctionnaires. La concurrence aiguise le comportement des fonctionnaires corrompus. Il
s’agit, pour cela, de démontrer leurs capacités à tirer des avantages maximums d’un poste
juteux, en prenant les risques, sans pour autant se faire attraper. C’est mettre l’intelligence au
service du mal. Cette concurrence excède parfois, jusqu'à la caractérisation des personnes qui
réussissent à tirer le maximum de privilèges. Ceux qui ne profitent pas d’opportunités de ce
genre sont considérés comme des incapables, des peureux (parfois même lâches) et pas
serviables.
1-2-2-7/ La corruption, un abri : moyen de survie
Cette forme de légitimation est développée par ceux qui commettent les grands
détournements, en percevant des pots-de-vin conséquents en vue de préparer une planque
future. La corruption servira de moyen de survie pour un politicien qui peut perdre,
notamment lors des échéances électorales, son poste. Un moyen aussi pour entretenir son rang
ou son statut social. De ce fait ils justifient le recours à la corruption, comme un secours, pour
d’éventuelles activités futures. La justification de la corruption frise l’inimaginable chez
117
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
certains responsables, qui adoptent une attitude à travers un discours où ils ne cachent pas le
fait de s’être bien servis durant un moment, en disant « el moumen yesbaq fi rouhou »6 , avant
de servir les autres.
De même que durant les compagnes électorale, les élus qui viennent briguer un nouveau
mandat électoral avouent qu’ils se sont servis, mais en promettant que le prochain mandat sera
réservé exclusivement aux électeurs ; non sans avertir ces derniers qu’au cas où ils éliront de
nouveaux candidats, ceux-là feront comme eux. J. Van. Klaveren (1974) repris par J.G.
Padioleau (1975) met ainsi en relief les caractéristiques du marché des pratiques de
corruption, ‘‘un fonctionnaire corrompu considère son poste comme un commerce dont il
cherche (…) à maximiser les revenus (…)’’.
1-2-3/ Corruption par échange social
La difficulté d’avoir une définition consensuelle du phénomène de la corruption ne
réside pas uniquement dans le fait qu’elle recouvre une multitude de pratiques dans divers
secteurs, mais aussi par rapport aux liens complexes des échanges sociaux que l’on constate à
travers les formes de comportements des individus dans la société et les approches
moralisantes focalisées sur la condamnation des attitudes ou la conduite des individus
dépendant des normes sociétales. Selon J.G. Padioleau (1975) ‘‘ cette réaction est
malencontreuse car elle limite la représentation de la corruption à une faute morale et
néglige son aspect sociologique propre : un mécanisme d’influence d’un type particulier dans
les décisions politiques et administratives ; elle attribue la responsabilité à des individus sans
tenir compte du jeu des déterminations structurelles dans l’apparition des échanges de
faveurs’’.
Dans les sociétés traditionnelles, il y a des langages, des mots ou termes qui expriment
les pratiques de la corruption, sans pour autant qu’elles aient une influence importante vu son
ampleur insignifiante dans la société. Il s’agit de mécanismes sociaux basés sur des règles
tacites de répartition équitable des richesses de la communauté.
Les relations sociales en Algérie au niveau institutionnel ont tendance à être strictement
personnalisées. Les liens familiaux, amicaux, voire même parfois tribaux, qu’elles instaurent
entremêlent et dissimulent les pratiques corruptives. Tendant en ceci à réduire le phénomène
de la corruption aux aspects d’échange marchand, matériel et purement économique, en
occultant les fondements de la corruption par l’échange social. L’analyse des différents
mécanismes de la corruption ne peut être complète sans intégrer les relations sociales et les
6
Le croyant commence d’abord par se servir.
118
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
échanges diversement tissées en relation avec les instituions étatiques, produisant des
échanges de faveurs, qui sous-tendent la corruption sous sa forme d’échange social.
La corruption-échange social en Algérie est régulièrement observée. L’échange social, qui
peut apparaître comme un devoir moral, obéit aux logiques du népotisme qui consiste à faire
profiter les membres de la smala en priorité en leur accordant les privilèges sous diverses
formes.
Dans le même ordre d’idées, J. C. Scoot (1969) cité par J. Cartier-Bresson (1997), qui vise à
expliquer les formes de corruption selon les stades de développement, fait la distinction entre
la corruption issue des relations et la corruption marchande et revoit les liens d’amitié, le
clientélisme et les « rapports ethniques » à la corruption de proximité ou relationnelle. Ce
considère J. Cartier-Bresson (1997) comme ‘‘une situation ou seuls les liens de parenté,
d’affection, de caste, etc. déterminent l’accès aux faveurs des détenteurs du pouvoir, alors
que la corruption marchande signifie un processus impersonnel virtuel avec lequel l’influence
est accordée à ceux qui peuvent payer le plus, en dehors de qui ils sont’’.
1-2-4/ L’anthropologie de la corruption
L’étude du phénomène de la corruption par l’anthropologie ne peut être abordée en
dehors de son caractère éminemment social, voire son évolution historique telle que
déterminée, sous une approche socioculturelle, à travers le processus constitutif de l’Etatnation et la distinction de la sphère publique et privée. L’approche empirique socioanthropologique de la corruption porte davantage sur des pratiques, souvent dissimulées, qui
ne sont pas facilement justifiables.
Cette approche est orientée le plus souvent vers les aspects définitionnels face aux perceptions
culturelles, observables sur le terrain, adoptant des attitudes diversifiées vis-à-vis de la
corruption.
T. Dahou (2002), qui appréhende culturellement l’ancrage de la corruption au
niveau local, construit l’explication de la banalisation de la corruption sur ‘‘ la négociabilité
permanente des règles, les logiques de marchandage, de courtage et de cadeau, l’autorité
prédatrice, et enfin l’accumulation redistributice’’. La manifestation du phénomène de la
corruption ne peut se comprendre qu’en recourant aux études des références culturelles
historiquement observées. De ce fait, on ne peut pas analyser les pratiques corruptives en
dehors du contexte socioculturel dans lesquelles elles évoluent.
Même si l’approche socio-anthropologique de la corruption pose la problématique de
l’acceptation d’une explication en dehors de son objet, confondant toutes les définitions, elle
demeure dépendante des normes juridiques ou d’éthique. La transgression de ces règles peut
119
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
être interprétée comme une déviance. Dans ce cas, la définition de la corruption, G. Blundo
(2003) ‘‘est tributaire, explicitement ou implicitement, d’une conception particulière de ce
que devraient être une administration ou un système politique non corrompu…’’. La
corruption comme déviance peut être considérée conne une dérive publique, enfreignant la
norme sociale éthiquement et transgressant les règles de droit, dans le but de tirer profit
d’avantages indus.
Section II : économie politique de la corruption
Le phénomène de la corruption est un fait social associé à la morale qui se manifeste
sous de multiples formes, difficiles à cerner, dans le sens où il est devenu l’objet d’analyse
multidisciplinaire. Son approche socioéconomique se distingue d’une société à une autre et
d’un modèle économique à un autre.
Pour assurer une distribution équitable, claire et égalitaire des ressources, chaque
société adopte des normes basées sur des règlementations publiques orientant son économie.
Cependant, chaque modèle économique porte en lui les germes de faillibilité, permettant de
créer des occasions en faveur des pratiques corruptives, sous diverses formes, dépendant des
insuffisances du rôle joué par l’État dans le système économique.
Le système économique où l’État est régulateur principal procréé des situations de rentes qui
favoriseront des pratiques de corruption.
Cette situation n’est pas propre aux systèmes
économiques, considérés comme étant très sociaux, elle peut être aussi l’apanage du système
économique libéral où le poids du secteur public est très faible. La corruption est considérée
comme une forme particulière de recherche de la rente. La définition économique de la
corruption selon R. Tliman (1968) ‘‘permet de passer d’un modèle de formation des prix
administrés à un modèle de marché libre. Le mécanisme d’allocation centralise des
ressources, qui est l’idéal de l’administration moderne, peut s’écrouler à la suite de
l’apparition de sérieux déséquilibres entre l’offre et la demande’’.
Un bon nombre d’économistes, qui font référence à la théorie de l’agent principal, considère
la corruption comme étant une transaction illégale, reflétant la trahison d’un mandataire en
faveur d’un tiers et contre une victime, le mandant, intégrant implicitement et explicitement la
dimension morale des comportements des individus dans les activités socioéconomiques.
Cette approche est focalisée plutôt sur le pouvoir discrétionnaire ou monopolistique accordé
aux fonctionnaires ; or dans la réalité, la corruption est pratiquée dans le domaine privé, lors
120
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
des échanges économiques entres diverses parties privées. Elle ne se distingue pas des autres
phénomènes économiques comparables tels que la mauvaise gestion, le gaspillage, le
détournement qui sont définies comme une transgression des règles économiques définies
préalablement, obéissant à une logique liée à la rationalité économique et qui découlent d’une
forme d’incompétence. Dans une situation inverse, ces actes, contraires à la morale et à la
légalité, commis volontairement avec préméditation, constituent un abus de gestion, qui est
aggravé par les pratiques corruptives.
Au niveau économique deux logiques s’affrontent pour l’analyse de la corruption. L’une est
libérale, l’autre antilibérale.
La première logique fonde son analyse à la rationalité liée aux comportements des individus
dans la société, qui sont à la recherche d’un gain supplémentaire ou d’une rente émanant du
dysfonctionnement du marché.
Les opportunités de rente sont corrélées au rôle attribué à l’État. Plus les instituions de l’État
disposent de pouvoir discrétionnaire, plus les opportunités de rente se multiplient, engendrant
des occasions de redistribution de la rente par des mécanismes corruptifs. Son impact dépend
des monopoles existants sur le marché de la corruption où l’offre peut varier. Selon J. CartierBresson (1997), la définition de la corruption dans la logique économique retient l’existence
d’une offre et de la demande de la corruption sous contrainte et sanction. Il retient les six
hypothèses synthétiques suivantes :‘‘1- possibilités d’une offre de corruption = pouvoir de
monopole sur les clients et les fournisseurs dans l’offre de la rente (ex. décisions publiques) +
pouvoir de décision discrétionnaire + performance individuelle difficile à observer et à
évaluer grâce à l’asymétrie informationnelle et au coût des contrôles ; 2- objets d’une offre
de corruption = gains financiers personnels directs ou indirects (carrière, pantouflage) ;
gains financiers pour un parti politique, pour des campagnes électorales, pour une politique
clientéliste (ex. votes) ; 3- possibilités de demande de corruption = moyens financiers directs
(pots-de-vin, cadeaux) ou indirects (offre de futurs avantages, pantouflage, offre de votes,
d’emplois dans une circonscription) ; 4- objets de la demande de corruption = recherche
illégale de rente, de protection, de faveurs, et d’influence ; 5- coordination des offres et des
demandes (…) ; 6- les rapports de formes entre l’offre et la demande ; du point de vue de la
dynamique de la coordination (…)’’.
La seconde thèse renvoie à la logique basée sur le courant de pensée traditionnellement
socialiste, critiquant la propriété privée, sous la doctrine anticapitaliste. Cette tendance, très
critique des politiques libérales fondées sur l’économie de marché, avance des arguments
soutenant la généralisation de la corruption dans les sociétés capitalistes, individualistes où
121
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
l’utilitarisme prime, la perte de valeurs sociétales telles que la solidarité et l’éthique,
l’hégémonie de l’égoïsme animée par le gain facile et la spéculation qui constituent les
descriptifs de la société libérale.
Dans ce cas, la corruption est perçue comme un problème structurel inhérent de la nature du
système politique économique choisi déterminant le rôle de l’État, émetteur des règles
publiques restrictives ou régulatrices. Quelque soit le type d’intervention de l’État,
protectionniste en mettant des barrières à l’entrée ou bien par des subventions sous forme de
bonifications sectorielles, dans la sphère socioéconomique elle générera des situations de
rente, en contournant légalement ou illicitement la loi, qui favorisera ou engendrera les
pratiques de la corruption.
Le dilemme entre plus d’État et moins d’État dans le domaine économique pose la
problématique du contrôle et de la pertinence des dépenses publiques. L’examen en termes
d’économie de la corruption du phénomène, sans intégrer son statut social, voir juridique,
politique, sociologique et environnemental réduit analyse de son impact économique. La
corruption n’a de sens en dehors de la connaissance du fonctionnement social de la société.
L’approche de l’analyse économique de la corruption fait référence aux sources
(interne et externe), aux causes économiques de la corruption, à la recherche de la rente,
interprète les comportements déviants à travers des explications théoriques telle la théorie des
jeux, étudie le marché de l’offre et de la demande relatif à la corruption et sa compétitivité
dans les différentes activités économiques, y compris son impact sur le secteur privé et ses
caractéristiques dans les économies en transition ; ceci tout en faisant au niveau
macroéconomique des comparaisons entre les systèmes économiques et la recherche de la
corruption en vue d’avoir les influences sur le développement économique, et puis les coûts
qu’elle engendre ..., etc. N. Jacquemet (2006) considère que « dans le prolongement de la
tradition initié par Becker (1978, ch.1) l’analyse économique s’est en effet consacrée à
identifier les coûts et bénéfices inhérents aux situations de corruption, pour en identifier les
déterminants. Au rang des bénéfices, le détournement de pouvoir discrétionnaire, qui est au
cœur des situations de corruption, ajoute une dernière racine théorique provenant des
travaux consacrés à la recherche de rente (Krueger, 1974) ».
Cependant, l'analyse microéconomique de la corruption, qui prédomine fortement par
la richesse des études traitant de ce phénomène, semble utiliser les instruments fournis par les
nouvelles économies institutionnelles. Elle fait recours, souvent, à la théorie de l’agentprincipal et les modèles de la théorie des jeux.
122
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
Dans ce cadre définitionnel théorique, nous allons traiter les analyses qui examinent l'origine
de la corruption en référence aux théories de la recherche de la rente ; théorie des jeux ;
théorie
du
gaspillage
bureaucratique ;
les
théories
fonctionnalistes ;
le
courant
institutionnaliste ou la nouvelle économie politique ; et enfin l’approche systémique.
2-1/ Théorie de la recherche de la rente
La notion de la rente est un concept anciennement utilisé par les théories de la rente
économique, de la période de l’économie politique. La rente constitue le surplus dégagé après
avoir rémunéré les facteurs de production. Elle forme, dans la théorie économique classique,
l’excédent additionnel engrangé, une fois avoir couvert les coûts de production y compris la
rémunération des facteurs naturels tels que la rente foncière. La rente est définie, par la microéconomique standard comme étant ‘‘ l’excédent de profit que procure l’usage d’un facteur de
production par rapport à ce que ce facteur pourrait rapporter dans son meilleur usage
alternatif sur un marché concurrentiel.’’ (Clark, 1991 et R. D. Tollison 1982).
A. Smith, dans La richesse des nations (1776), considère la rente comme la récompense de la
nature après la déduction des composantes du produit, elle est alors assimilée à un écart par
rapport au prix du marché ou un prix de monopole. Par la suite, chez D. Ricardo (1817),
auquel en associe la théorie de la rente utilisée pour définir et quantifier les significations de
la valeur, considère, pour sa part, la rente comme un don du ciel, compte tenu de la rareté et
de la qualité différentielle de la terre. La rente était définie comme un revenu de même statut
que le salaire et le profit, conditionnant l’investissement du capital au profit moyen à obtenir.
Le développement de comportements rentiers ou de chasseurs de rentes est repris dans les
travaux de A. Marchall ; lequel considère que tout revenu tiré d’un actif ou d’un patrimoine
dont la quantité est limitée ou fixe s’apparente à de la rente qui est due à un blocage
momentané ou durable de la concurrence. Écartant, ainsi, la valeur travail qui constitue le
fondement de l’analyse de Karl Marx, et du coup, aussi la notion de plus-value conclue après
l’identification des similitudes de la nature de la rente et du profit. Pour K. Marx (1969), qui
traite dans le chapitre XLVI de la rente des terrains à bâtir, de la rente des mines et du prix des
terres, la rente différentielle se manifeste dans tous les espaces: ‘‘Partout où des forces
naturelles peuvent être monopolisées et assurer un surprofit à l'industriel qui les exploite,
qu'il s'agisse de chutes d'eau, de gisements miniers, d'eaux peuplées de poissons, de terrains à
bâtir, ce surprofit peut être réclamé, sous le nom de rente, au capitaliste exploitant par celui
qui a un titre de propriété sur ces forces naturelles’’. Elle peut découler d’un prix de
123
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
monopole indépendant des coûts de production, de la valeur marchande, mais plutôt de la
demande des clients due à la rareté de la rente. Marx estime qu’une rente de monopole peut
naître sur certaines terres qui donnent un produit exceptionnel, une opportunité rare.
Le renouveau de la définition de la rente bifurque de l’analyse fondamentalement
économique de la rente. Krueger (1974) s’intéresse aux rentes artificielles, celles découlant du
non-respect des normes réglementant les activités économiques. Dans les pays en
développement dont le système administratif, note Krueger, se caractérise par des formes de
clientélisme, de népotisme ou de corruption, l’État à travers son interventionnisme, en
émettant des législations, et les emplois qu’il pourvoie créer des opportunités de rente. ‘‘Les
théoriciens du Rent-sseking tendent à rapprocher voire à confondre les notions de rente,
profit, revenu (Bhagwati, Srinivasan, 1980). Ils attribuent à la rente un fondement extra
économique et en donnent une définition normative, en opérant – implicitement ou
explicitement – une distinction entre rentes légitimes et illégitimes.’’ F. Talahite (2006).
L’évolution du rôle dévolu à l’État, à travers les systèmes polico-administratifs et
économiques caractérisés par diverse formes de corruption, de clientélisme et les privilèges, a
modifié les rapports et les possibilités d’existence de rentes. Ces rapports entretenus par des
groupes d’individus qui s’attribuent des revenus, sans fournir aucun effort pour la production
des biens et services, sont formés autour de la recherche de la rente, en s’appuyant sur des
avantages offerts par le système économique en place.
Ainsi, la rente peut résulter des flux monétaires sous formes de revenus versés, d’une position
de monopole de pouvoir ou de marché, de l’extraction des produits du sol et du sous-sol et des
relations issues du commerce et revenus extérieurs…, etc.
La profusion dans l’utilisation du concept de la rente, qui prête par endroits à équivoque,
prend un sens péjoratif, voire même une tournure de jugement de valeur. Parfois, cette notion
de rente prend une connotation négative pour expliquer les dysfonctionnements, identifiés
comme causes des déséquilibres, en utilisant le qualificatif de l’économie rentière dans les
pays en développement, comme l’Algérie qui est fortement dépendante des rentes pétrolières.
D’autres fois, elle prend une signification en distinguant entre les différents flux directs et
indirects ; entre ceux qui sont prélevés par l’État à travers les impositions et les redevances
diverses et les transferts sociaux vers les différentes catégories sociales. L’intervention de
l’État constitue la source procréatrice des rentes de situations, objets d’accaparement des
chercheurs de rentes.
124
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
Ainsi, les pouvoirs publics, à travers les politiques législatives publiques, les réglementations
économiques, la segmentation du marché, les politiques de régulation sectorielle (barrières
douanières) et de protection des couches sociales (les transferts sociaux, le pouvoir d’achat,
les soutiens aux prix des produits de première nécessité ou des produits énergétiques comme
le gaz en Algérie), créent les conditions propices pour aboutir à l’apparition de la rente de
situation légale, source de népotisme et de ségrégation, et ce, lors de son attribution
légalement à certains agents économiques. Ceux qui n’ont pas l’accès à cette rente se greffent
autour des détenteurs de cet avantage et/ou bien ils agissent illégalement dans un réseau
parallèle développant une sorte d’économie souterraine.
F. Talahite (2006), qui reprend l’étude faite, à partir d’un échantillon de 23 pays sur la période
de 1970-1990, par J.D. Sachs et A.M. Warner (1997) et portant sur la relation entre
l’abondance des ressources naturelles et croissances économique, situe l’approche par le
concept de la rente dans le champ de l’économie politique. Elle affirme, en l’occurrence, que
« la production de ressources naturelles a pour caractéristique de favoriser d’importantes
rentes économiques générées à travers l’État. » Tout en expliquant leur effet sur la croissance
économique, F. Talahite (2006), dont ‘‘l’abondance de ressources naturelles amène
inévitablement la corruption et l’inefficience de la bureaucratie : se sont des comportements
de rent-sseking qui pèsent négativement sur la croissance’’. Alors que M. Hachemaoui
abonde dans un autre sens en considérant que ‘‘la corruption qui se répand en Algérie à
l’instar des autres pays arabes, n’étant dépendant ni d’une « culture » intemporelle, ni d’une
« ressource » naturelle, pas davantage d’une « transition » économique, relève en dernier
ressort d’un système de gouvernance…’’.
Cependant, l’évolution vers le haut de la rentre pétrolière lors de la flambée des prix du
pétrole durant années 70, qui a entraîné la multiplication des situations de rente, n’a pas été
suivie d’une baisse des pratiques clientélistes et corruptrices, et ce, en dépit du choc pétrolier
de 1985 ayant causé une brutale chute des rentes pétrolières. Bien au contraire, les agents qui
se sont accaparés des opportunités des rentes de situation se sont déplacés vers la spéculation
en exerçant des monopoles sur le marché, en mettent en place des marchés parallèles.
Afin de fructifier les richesses amassées à l’ombre, ces agents utilisèrent différents moyens
pour influencer les décisions prises dans l’orientation économique, principalement les
procédés corruptifs. Ces dysfonctionnements créant des déséquilibres, des crises déstabilisant
les institutions étatiques ont conduit vers l’apparition de la rente spéculative au profit des
agents corrupteurs et corrompus, engrangeant des revenus illicites. Ces derniers, adoptant un
comportement de chasseurs de rentes, tracent des stratégies pour influencer les prises de
125
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
décisions en leur faveur par les pouvoirs publics, en corrompant les décideurs, dans le but
d’atteindre la position de privilégiés et d’instituer des situations de monopole.
Pour aboutir à cette situation, la recherche de la rente induit l’instauration d’un État doté d’un
modèle de pouvoir discrétionnaire, marquant une déviation absolue du modèle d’État de droit.
La corruption est considérée comme le corollaire du comportement des agents à la recherche
d’une rente illégale. Selon J. Cartier-Bresson (1997), « la théorie de la ‘‘ recherche de la
rente ’’ cherche à expliquer comment les agents économiques sont en concurrence pour
s’approprier des transferts artificiellement inventés par l’État (quotas, prix administrés,
protectionnisme, législation…). Elle possède des éléments d’économie normative. Les
recherches normatives visent à quantifier les coûts du transfert et les effets de la concurrence
entre agents du marché corruptif sur les coûts».
Parmi les effets engendrés par le comportement de recherche de la rente pour une société
hantée depuis cinq décennies, dans l’exemple de l’Algérie, par la logique rentière, s’agissant
d’un pays tout à fait dépendant des revenus des hydrocarbures pour couvrir l’essentiel de ses
consommations internes importées, est son incapacité à créer des richesses nationales pour
faire face à l’éventuel tarissement des ressources naturelles non renouvelables.
La tendance à définir la corruption comme une forme particulière de recherche de la rente, en
particulier dans les pays en développement, dotés de rente énergétique, ne trouve pas ses
justifications. Au plan historique, durant la période coloniale, la recherche de la rente était
inhérente à l’économie coloniale, érigée sur la rente foncière après le long processus de
dépossession des biens immobiliers, des terres et le pillage des richesses des autochtones en
vue de leur attribution aux colons européens, pour un usage spéculatif et / ou rentier, et ce,
sous la bénédiction de la l’administration coloniale qui usait de son pouvoir discrétionnaire.
Ce mode de fonctionnement a été repris durant la période postindépendance, à travers
l’étatisation ou l’administration (les autorisations, les dérogations, les recommandations….)
de l’économie génératrice de privilèges rentiers, source de rente spéculative. Ces pratiques
rentières abusives ont eu de l’influence dans la gestion de la manne financière dégagée de la
rente énergétique, développant de ce fait l’esprit de la recherche de la rente. Avec la période
de transition vers l’économie de marché, les observateurs ont relevé la propagation de la
corruption et l’extension de la rente, alors que d’aucuns pariaient sur sa diminution, en
particulier avec la baisse des recettes du pétrole.
Aussi l’approche par la tendance avançant une forte corrélation entre l’augmentation des
rentes énergétiques et le principe de l’extension de la corruption, basée sur la théorie de la
recherche de la rente, est vérifiée en Algérie.
126
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
2-1-1/ Caractéristiques d’une économie rentière
Le concept de rente tend à prendre plusieurs définitions à travers son élargissement
aux types d’État ou pays, aux sociétés et comportements des individus. C’est ainsi, qu’il est
fait référence et usage de ce concept pour des qualificatifs tels que : Pays rentier, État rentier,
société rentière, comportement rentier, économie rentière, entreprise rentière, entreprise
rentière, système rentier et capitalisme rentier.
Initialement c’est H. Mahdavy, à partir de 1970, qui a défini le concept de « l’État
rentier» comme le pays recevant sur une base régulière des montants substantiels à partir de
rentes externes. ‘‘Les rentes externes sont des redevances payées par des étrangers, des
entreprises ou des gouvernements d’un pays hôte’’. Ainsi les rentes perçues par l’Algérie des
ventes des hydrocarbures sont considérées comme des rentes externes.
Ces rentes externes rendent les État totalement autonomes, puisque ces revenus proviennent
essentiellement des exportations des ressources naturelles, représentant plus de 95% des
inputs du pays, non pas des recettes internes telles que la fiscalité. L’État s’autonomise de sa
base économique nationale, consommatrice de biens et services, qu’elle n’arrive pas à
produire et dépend plutôt de la demande des économies mondiales, consommatrices des
hydrocarbures ou fournisseuses essentiellement des biens et services hors hydrocarbures pour
l’Algérie.
Yasuyuki Matsunaga (2000) reprend Beblawi et Luciani (1987) qui font la distinction
analytique en premier lieu entre l’État « rentier » et l’État « distributeur », qui définissent
l’État distributeur comme un État dont la dépense représente une très large part du revenu
national. L’accroissement de la rente extérieure augmente les recettes du budget de l’État et
parallèlement l’assiette fiscale tend à décroître. Ces mesures ont été adoptées dans le but de
relancer la production nationale ; en deuxième lieu, entre l’État distributeur et l’État rentier
distributeur, ce dernier type revient au fait de procéder à la distribution de la rente à l’intérieur
du pays.
Beblawi et Luciani (1987) énumèrent quatre caractéristiques principales d’un État rentier :
-en premier, la rente est à l’origine de toutes les activités ;
-en second, l’origine de la rente est extérieure à la rente ;
-en troisième, seule une partie infime de la société est impliquée dans la genèse de la rente ;
-et en quatrième, le gouvernement d’un État rentier est le principal acteur de l’économie
nationale.
Ces caractéristiques s’appliquent au cas de l’Algérie. L’histoire de la société algérienne a
connu une présence de pratiques rentières traditionnelles, bien avant l’avènement de la rente
127
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
pétrolière comme source principale de financement des grands projets industriels. Cependant
l’irruption brusque, la Dutch disease, de la nouvelle richesse du pétrole dans les recettes
budgétaires de l’État parvient à perturber le système économique, à provoquer de graves
disfonctionnements et surtout à engendrer la multiplication des coûts de la recherche de la
rente, causant du coup un immense gaspillage économique.
Ce n’est que plus tard, après la période postcoloniale,
que les pratiques rentières
omniprésentes éclatent au grand jour, avec l’assèchement de la rente pétrolière, déplaçant la
concurrence des rentiers vers d’autres centres d’intérêts et vers les secteurs les plus rentables.
Ce qui a permis l’émergence d’un système autoritaire, esquissant le triomphe de l’esprit de
clan, rentier et à gestion centralisée des rentes, qui ne profite qu’à une minorité de rentiers,
S. Goumeziane (1994), et ce grâce aux pratiques corruptives de la rente spéculative. Le
monopole public sur le commerce extérieur et l’encadrement des prix (subventions) et de la
monnaie conduit à mette en place une économie de pénurie, et à alimenter une distorsion entre
le marché officiel et le marché noir des biens et des devises. Ceux qui ont accès aux devises,
au crédit pour importer et aux biens subventionnés, sont alors en mesure de les revendre à un
prix bien plus élevé sur le marché parallèle. C’est l’accès à ces rentes spéculatives qui est
source de corruption.
En effet, plus de cinquante ans après l’indépendance, le peuple algérien dépend toujours pour
sa survie largement de l’exportation des hydrocarbures. À telle enseigne que la vie politique et
économique du pays dépend des fluctuations de leurs prix sur le marché international.
2-1-2/ Les comportements de recherche de la rente
Les hydrocarbures représentent une importante richesse génératrice de rente que des
individus ou groupes d’individus cherchent à contrôler. L’affectation de ces recettes, en plus
de l’attractivité qu’exerce ce secteur énergétique sur les investisseurs, entraîne des
comportements spéculatifs et captifs, et ce, dans la mesure où elle développe, en priorité, des
activités non productives, c'est-à-dire sans impact sur la croissance économique, et causant
celles ayant trait à la recherche de rentes et impliquant une mauvaise affectation des facteurs
de production. A. Tornell et P. Lane (1999) illustrent que les comportements de recherche de
la rente sont fréquents dans une économie caractérisée par des institutions politiques et
juridiques faibles et ayant de multiples groupes d’intérêts puissants.
128
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
En Algérie, la rente pétrolière pourvoyeuse des fonds, et conçue dans une perspective
de jouer un rôle moteur et catalyseur du développement, a enfanté des pratiques de recherche
de la rente privative. Les concepteurs de ce modèle de développement ont entraîné l’Algérie
dans une logique rentière spéculative, génératrice d’attitudes clientélistes.
Petit à petit les habitudes rentières s’installent, mettant en place des comportements captifs de
la rente. Dans la quête de la recherche d’un profit supplémentaire, certains agents mettent en
place des comportements de chasseurs de rente. Ils tracent des stratégies à l’aide des
mécanismes qui peuvent influencer les décisions étatiques et permettant d’acquérir des
positions privilégiées sur le marché monopolistique ou quasi-monopolistique, et ce, grâce aux
avantages tirés des procédures administratives. L’accès à ce privilège se fait en contrepartie
de versements de pots-de-vin. Les commissions évoluent selon les avantages que procure la
rente et son caractère légal (certaines activités sont soumises à des autorisations, licence…),
elles atteignent le prix fort lorsqu’elles ouvrent l’accès à des situations de quasi-rente, plus
importante que les pots-de-vin versés.
Ici la rente prend un sens frauduleux, vu son mode opérationnel transitant par des pratiques de
corruption. Ainsi, le comportement de recherche de la rente entraîne la corruption, décourage
l’investissement créateur de richesse, encourage les activités spéculatives et le développement
des marchés parallèles dont l’impact négatif sur la croissance est indéniable.
L’échec de la stratégie d’industrialisation à transformer cette rente en un surplus,
d’accumulation est consacré davantage au-delà des chocs pétroliers. Une situation paradoxale
qui marque le passage de la spéculation sur la rente pétrolière vers la captation d’une rente
acquise par avance par le biais de l’endettement, une sorte d’acompte qui est considéré de fait
comme une forme anticipée de la rente. Les emprunts par l’endettement constituent un des
moyens le plus usités pour couvrir les dépenses publiques.
L’Algérie est rentrée dans une spirale de rente-dette. La dette contractée dans le but de
renforcer l’investissement public national et d’assurer la construction d’un système productif
algérien est utilisée pour financer l’économie de bazar7. Cette affectation de la dette-rente
répond à la préoccupation prioritaire de la reproduction du régime, ce qui favorise le
7
L’économie de Bazar renvoie à l’apparition anarchique d’espaces de marché (le souk) où l’on retrouve toutes
sortes de marchandises et d’objets provenant du monde entier, sans subir en général de transformation. Une
économie de désordre propre aux pays d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, échappant souvent au contrôle de
l’Etat, de fait non structurée dont le fonctionnement est parallèle à l’économie formelle. L’économie de Bazar
impose une concurrence déloyale (rapports qualité prix, contrefaçon…) aux entreprises productrices nationales,
occasionne des pertes colossales aux caisses de l’Etat (fiscale, parafiscale, fuite de capitaux…) et maintien
l’économie nationale dans une situation de dépendance, entre les mains de groupes puissant contrôlant
l’ensemble des segments de l’économie spéculative.
129
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
gaspillage de ces ressources et incite l’ensemble de la société à adopter des comportements
irrationnels et anti-développent.
Ce comportement est généralement observé, au moment où des groupes d’intérêts ou de
pression agissent, durant les périodes des aides qui sont affectées au développement des pays
accédant fraîchement à l’indépendance ou durant les moments d’ajustements structurels,
s’accompagnant souvent du détournement de cette rente.
Les groupes de pression adoptent des comportements préférentiels selon leurs intérêts. Il
s’engage dans un processus de recherche de la rente pour l’acquisition de rentes de
monopoles, en bénéficiant de l’avantage de l’asymétrie de l’information.
L’information peut être située à deux niveaux. En premier lieu, en amont où la recherche de
rente se fait en provoquant l’intervention des décideurs de l’État dans l’orientation des choix
des politiques publiques et des orientations économiques dans certains secteurs juteux, à
l’exemple de l’importation des médicaments en Algérie. En deuxième lieu, en aval, ici la
recherche de la rente obéit à une double action : l’une légale, l’autre illégale. Les premiers
servis intègrent la légalité, par exemple ce qui se passe en période de pénurie de produits de
premières nécessités avec l’octroi des autorisations d’importations ; les seconds, exclus, vont
vers l’informel et l’illégalité, en sous-traitant directement avec ceux qui ont l’autorisation
exigée. De ce fait, l’obtention de l’autorisation devient l’objet de rente spéculative.
Il y a une relation dialectique d’imbrication entre la corruption et la rente. Ainsi, la rente
acquise permet d’alimenter la corruption. Mais aussi, la corruption constitue l’un des moyens
pour l’intégration des circuits de l’appropriation de la rente, une voie vers la prédation et la
captation des richesses. Cette relation est entretenue sous forme de réseaux soutenus
financièrement.
A cet effet, dans le but de pérenniser leur pouvoir et d’assurer la mainmise sur la rente, ces
réseaux s’adaptent en se métamorphosant complètement, en période de crise et de réforme, en
fervents défenseurs de l’économie de marché. Ils ont développé une économie de marché de
bazar basée sur des pratiques spéculatives et dominée généralement par le capital marchand.
Elle est conçue par ceux qui tiraient des avantages du système rentier, dans le but de maintenir
le pouvoir d’accaparement de la rente en opérant les changements au niveau du mode de sa
distribution, en proclamant une terminologie nouvelle, type : vérité des prix, privatisation...
Nous sommes passés de l’appropriation de la rente par l’État vers la captation de rente à
travers la privatisation de l’État. La rente monopolisée par l’État précédemment sera partagée
par une caste de rentiers, en excluant la majorité des couches sociales de la population
algérienne. De ce fait l’économie de marché représente un prolongement de l’économie
130
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
rentière dans sa version d’économie de bazar basée essentiellement sur les monopoles des
importations.
La lutte des clans au pouvoir, rampante, déjà traitée précédemment, – qui a prévalu dans la
formation sociale de l’Algérie postcoloniale pour le contrôle de la rente – a donné naissance à
l’« esprit rentier ». H. Amarouche (2006) entend par l’esprit de rente la ‘‘disposition d’esprit
consistant à tourner à son avantage, à l’avantage de personnes, groupe de personnes ou
communauté de gens auxquels on est lié par des liens d’intérêt ou de prestige, les situations,
faits ou événements sur lesquels on possède un certain pouvoir d’agir de par la position
qu’on occupe dans la hiérarchie sociale ou de par les fonctions qu’on y assume. L’esprit de
rente prend racine dans l’extériorité du surplus dont on cherche à s’emparer par rapport à la
société dans laquelle il est employé’’. Ce qui l’oppose au processus de production de richesse
favorisant l’accumulation. Cette lutte met en jeu les places occupées dans la hiérarchie sociale
vis-à-vis de l’État.
2-2/ Théorie de l’agence : principal-agent ou de délégation
La théorie de l’agence constitue la branche qui étudie dans le domaine économique les
conséquences induites par les relations principal-agent, au niveau des entités administratives
ou économiques (les entreprises). Cette théorie traite des problèmes découlant de l’action liant
le premier dénommé le « principal » au second dénommé « l’agent ».
Elle est basée sur un contrat qui engage le second pour l’exécution des tâches au nom du
premier, en lui conférant une délégation de pouvoir discrétionnaire. G. Charreaux (1998) en
attribuant la dénomination de la théorie à S.A. Ross (1973, 1974), liée à la définition que
celui-ci donne de la relation d’agence, ‘‘dira qu’une relation d’agence s’est créée entre deux
(ou plusieurs parties) lorsqu’une de ces deux parties, désignée comme l’agent, agit soit de la
part, soit comme représentant de l’autre, désignée comme le principal, dans un domaine
décisionnel particulier.’’ A cette relation principal-agent, se joint une tierce personne offreuse
ou demandeuse des biens et des services. On peut faire appel la théorie de l’agence pour
analyser la relation qu’il y a entre fonctionnaire et l’État.
D’une façon générale, il s’agit d’un contrat par lequel le principal ou les principaux (le
mandant) autorisent le mandataire ou l’agent pour agir en leur nom à l’aide de la délégation
de pouvoirs décisionnels qu’ils lui accordent. Cette relation est souvent conflictuelle car le
principal et l’agent ont des intérêts qui ne convergent pas. La corruption a lieu dans le cadre
d’un rapport principal-agent. La corruption est établie lorsque l’agent chargé d’exécuter
certaines tâches par le principal transgresse ces missions en accomplissant le contraire ou bien
131
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
menant des activités en faveur d’un individu ou d’un groupe d’individus spécifiques en
contrepartie d’une compensation monétaire ou matérielle.
Pour cerner le phénomène de la corruption, dans les administrations publiques, par exemple, il
est nécessaire de situer le dilemme de l’agence au sein des institutions de telle sorte à saisir les
intentions des différents intervenants dans la gestion des affaires publiques. Dans ce cas,
l’institution de l’administration publique délègue son pouvoir à ses démembrements (sa
bureaucratie) chargés de la mission de maximisation du bien-être social. Dans une telle
situation le principal est situé au niveau de la hiérarchie politique décisionnelle, l’exécutif ou
le gouvernement tandis que l’agent est constitué des fonctionnaires de l’administration
chargée de l’accomplissement d’une tâche donnée.
Ce modèle permet d’analyser les déterminants des motivations, en termes économiques, de
l’agent le poussant à se livrer à des actes de corruption ou à adopter des comportements
prédateurs. A chaque niveau de la relation principal-agent, il est possible de déterminer les
causes à l’origine de la corruption, dans le cadre de la prise de décision qui se fait dans
l’environnement institutionnel, balisé par une législation : des règles et des sanctions.
Cependant cette relation se trouve confrontée dans son application à des facteurs hétérogènes.
Elle fait face, en premier lieu, au conflit d’intérêt entre l’agent et le principal, selon l’approche
morale interprétant les difficultés de contrôle de l’agent; puis il y a le problème d’asymétrie
d’information entre les hiérarchies administratives sur les l’objectif de la tâche et les actes de
corruption dissimulés au principal; enfin, elle implique une relation d’autorité du supérieur
vis-à-vis du subordonné.
Ce dernier facteur est déterminant, par les pouvoir qu’il confère, dans la théorie de l’agence.
L’autorité est assimilée au pouvoir décisionnel, selon H. A. Simon (1957) : « On peut définir
l’autorité comme le pouvoir de prendre les décisions qui orientent les actions d’autrui. C’est
une relation entre deux individus, l’un ‘supérieur’, l’autre ‘subordonné’ ». La délégation de
l’autorité sans un contrôle rigoureux et strict implique systématiquement la multiplication des
pratiques de prédation.
La possibilité de cacher les actes de corruption rend les agents vulnérables à la tentation. Et
enfin la divergence d’intérêts contribue à la banalisation des actes de corruption, notamment
par les revenus versés aux agents, affectés par le bas niveau du pouvoir d’achat. Les salaires
des fonctionnaires en Algérie ont été avancés comme l’argument principal pour expliquer la
pandémie de la petite corruption.
Dans ce système où la corruption est généralisée, renforcée par l’absence de sanctions, les
fonctionnaires sont incités à maximiser leur volume de corruption à tous les niveaux de la
132
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
hiérarchie, selon le modèle de la théorie de l’agence, faisant du système de rémunération
l’échec des relations conciliant les intérêts mutuels du principal et de l’agent. Or si l’usage du
pouvoir discrétionnaire du principal était parfaitement observable, les tentatives de corruption
(contradictoire aux intérêts du principal) seraient contenues, détectées et minimisées.
Un état de fait qui va contraindre l’agent à servir les intérêts du principal, ce qui n’est
réalisable que si l’on mobilise les conditions nécessaires et en améliorant les conditions de
travail de l’agent. Par contre, l’existence de marges discrétionnaires en faveur de l’agent
constitue le facteur prédominant à l’origine de l’émergence des pratiques de la corruption.
En l’absence d’outils de contrôle et de traditions incitatives, l’agent qui possède un monopole
sur le pouvoir discrétionnaire adopte des comportements illégaux, en acceptant des
compléments de revenues sous forme de dessous de table.
Une situation de corruption qui est précédée par une sorte de pacte conclu entre le corrupteur
et l’agent dépositaire d’un pouvoir discrétionnaire que le principal lui a délégué dans le cadre
du contrat qui les lie. Ce pacte consiste en le détournement de ce pouvoir discrétionnaire, en
faveur de la tierce personne, le corrupteur, qui bénéficie en la circonstance de l’action de
l’agent. J. Cartier-Bresson (2008), le pouvoir discrétionnaire est source de mauvaise
gouvernance et favorise la corruption administrative qui permet une appropriation monétaire
de la rente informationnelle.
La corruption dans le cadre de la théorie de l’agence se déroule avec la combinaison de trois
acteurs : l’agent corrompu, la tierce personne corruptrice et la principale victime. Les causes
de la corruption renvoient ici aux comportements opportunistes maximalistes des acteurs. Le
marché de la corruption assure les points d’équilibre entre la demande de rémunération du
corrompu et celle du service attendu par le corrupteur. Et puis, entre la contrepartie offerte par
le corrupteur et celle attendue par le corrompu. Ce marché est complètement contradictoire
avec les objectifs maximalistes attendus par le principal dans le cadre de ses missions. La
corruption résulte de l’alliance des deux premiers acteurs au détriment du premier.
L’exploitation d’opportunité de corruption peut être analysée dans l’ensemble des secteurs et
activités de la société par la théorie de l’agence. Selon J. Cartier-Bresson (2008) ‘‘il existe un
enchaînement de relations d’agence tel que l’électeur mandate le politicien (qui peut le
trahir) qui mandate le haut fonctionnaire (qui peut trahir). Les trahisons possibles sont la
corruption, l’incompétence, la fainéantise’’. Ainsi, le mandataire prend le statut de corrompu
à partir du moment où il trahi le principal en trinquant l’intérêt général et public du mandant
pour son intérêt personnel et privé, et ce, en violant la loi.
133
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
2-3/Théorie des jeux
La multiplication du nombre d’agents économiques complique l’interaction dans le jeu
stratégique entre les divers acteurs intervenant dans les problèmes économiques. La théorie
des jeux est conçue comme un outil de modélisation et d’analyse de ces interactions
stratégiques. Le rapprochement du croisement des mathématiques à l’économie à travers cette
théorie s’est fait avec J. Nash (1950-1951), en concevant ce modèle « d’équilibre de Nash ». Il
définit l’équilibre comme ‘‘un ensemble de stratégie (une par joueur) tel qu’aucun ne peut
obtenir un gain supérieur en changeant unilatéralement de stratégie.’’
L’exemple le plus connu est l’expérience du « dilemme du prisonnier » qui nous renseigne
énormément sur le comportement modélisé des choix conflictuels. Les intervenants sont
appelés joueurs et sont des personnes ou des regroupements de personnes qui peuvent
représenter une institution, un secteur ou un domaine d’activité. Chaque joueur, qui cherche à
atteindre ses objectifs, possède différentes stratégies qui lui procurent le maximum de profit
résultant de ses propres décisions, et ce, en développant des choix stratégiques, en intégrant
ceux effectués par les autres joueurs.
La théorie des jeux conçoit le cadre analytique modélisant et étudiant les multiples possibilités
des conflits en interaction, impliquant une multitude d’acteurs ou d’individus. Elle se fixe
comme objectif de déterminer les conditions menant les individus à cordonner leurs décisions
dans le cadre des configurations diversifiées.
L’application de ce modèle à la corruption conduit vers l’analyse des incitations motivant le
comportement des individus, selon la situation et les avantages ou inconvénients découlant de
leur environnement socioculturel, à opter ou à refuser les pratiques de la corruption. La
somme des positions et attitudes, modélisées à travers la théorie des jeux, permet de définir
une stratégie de lutte anticorruption et d’expliquer les entraves au développement économique
par l’introduction des inefficacités dans le système économique.
Dans les marchés publics, les entrepreneurs animés par la maximisation du profit agissent
individuellement ou par groupes d’individus pour décrocher un projet, en fonction des
individus potentiellement concurrents, des membres chargés d’organiser la compétition, les
bureaucrates et de l’information disponible. Chaque entrepreneur, acteur individuel, cherchera
à maximiser ses chances pour l’acquisition du projet, ce qui l’amène à adopter un
comportement rationnel spéculatif en prenant en ligne de compte le comportement des autres
acteurs. Ce type de comportement engendre des coûts supplémentaires, rendant la valeur du
projet aléatoire, à partir du moment où l’octroi du projet est soumis au versement d’un ou
plusieurs pots-de-vin. Coûts que la collectivité va supporter directement au final. La théorie
134
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
des jeux répond aux hypothèses émises : le jeu des individus peut être « coopératif », c'est-àdire que les individus communiquent entre eux ou bien « non coopératif », et dans ce cas les
individus adoptent en permanence un comportement opportuniste, ce qui occasionne un
gaspillage des ressources.
L’application de cette théorie pour le cas des infractions routières et les nouvelles sanctions,
considérées comme étant très pénalisantes et sévères introduites en Algérie en 20098, nous
conduit à une conclusion intéressante sur le problème de la corruption chez les agents de
police affectés à la circulation routière. L’augmentation des peines pénales et civiles ont
encouragé les automobilistes à verser des pots-de-vin, ce qui conduit à l’augmentation de la
corruption et par conséquent à maximiser le revenu illicite des agents, avec évidemment
comme effets la provocation de pertes en matière de recettes fiscales à l’État.
Cependant, les événements de janvier 2011 ont poussé les pouvoirs publics, sans qu’aucun
bilan ne soit fait sur l’impact de ces mesures sur les infractions routières, à geler ces mesures
impopulaires, au lieu d’apporter des réformes adaptées aux réalités de l’environnement
socioéconomique du pays, notamment par l’amélioration des conditions de travail et la
rémunération des agents de la circulation routière et puis, en mettant des mécanismes de
contrôle rigoureux, incluant des châtiments pour les indélicats et des gratifications pour ceux
qui sont intègres.
C’est la même approche – évoquée plus haut – qui a été employée, poussant le gouvernement
à reculer, en gelant les textes d’application promulgués, sur la lutte contre le secteur informel
et les barons du monopole des importations frauduleuses, notamment le mode de payement
par chèque pour les transactions supérieures à 50 000 DA (500 Eu). Les conflits d’intérêts,
des individus avec l’État, ont conduit jusqu’à des soulèvements sur toute l’étendue du
territoire national.
Ce cas, de forcing ou de pression sur les décisions politiques, peut être généralisé à
l’ensemble des secteurs (au fisc, aux douanes, aux fonctionnaires divers, aux élus, au
gouvernement, aux institutions étatiques…) où des individus seront confrontés au « dilemme
du prisonnier ». Un choix délicat à plusieurs variables, à la fois légales et illégales, coûteuses,
incertaines, malhonnêtes, avec comme résultante le risque de se faire prendre la main dans le
sac, pour l’ensemble des acteurs qui interviennent en optant pour des pratiques de corruption.
8
Il s’agit des nouvelles mesures qui ont été introduites, en Algérie depuis 2009 dans le projet de loi relatif à
l'organisation, la sécurité et la police de la circulation routière pour lutter contre l'insécurité routière. Des
mesures accordant des pouvoirs discrétionnaires aux agents de la police.
135
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
2-4/ Théorie du gaspillage bureaucratique
L’approche par la théorie du gaspillage bureaucratique permettra de poser le postulat
de la pertinence des dépenses publiques, c'est-à-dire leurs utilités, l’ordre des grandeurs c'està-dire la détermination de leurs justes valeurs et de se prononcer sur le contrat social qui lie
les différentes composantes de la société, sous l’enseigne de l’intérêt général. Selon
J. Cartier-Bresson (1997), l’économie publique du bien-être, justifiant l’intervention de l’État
dans le cas du monopole naturel, des biens collectifs et des externalités est aussi désarmée en
adoptant l’hypothèse de gouvernement bienveillant et omniscient maximisant le surplus
social, c'est-à-dire l’intérêt général. W. Niskanen (1971) qui adopte une approche purement
économiste de la bureaucratie, en décrivant le comportement des bureaucrates maximalistes,
Homoéconomicus, considère que ‘‘la structure bureaucratique qui prévaut dans le secteur
public entraîne un gonflement inutile des dépenses publiques, soit parce que les programmes
publics sont trop importants, soit parce que les combinaisons productives mises en œuvre sont
non optimales.’’
La position des bureaucrates, détenteurs de l’information primordiale à la prise de décision,
influent sur le législateur dans l’affectation du budget et produit la maximisation de leurs
utilités, sans pour autant que cela corresponde à la demande des quantités de biens et services
collectifs. La théorie de la bureaucratie possède des similitudes avec la théorie de la recherche
de la rente, en instituant des monopoles.
Les bureaucrates opteront le plus souvent à maximiser leurs budgets et à réaliser une
production large dans le but de justifier la taille de son département et l’importance de budget
alloué et consommé. Une forme de camouflage des dépenses engagées, face à la pertinence et
coûts des services et des biens réalisés. L’exemple du budget alloué au secteur de la culture
représente un cas d’espèce. L’organisation d’Alger capitale de la culture arabe a consommé
un budget équivalent à dix années d’activités du secteur. La taille de l’événement est
importante, mais son budget dépasse l’imaginaire. D’où la question de la pertinence de cet
événement par rapport à la dépense.
En fait, derrière le problème de la bureaucratie se cache celui de l’intérêt matériel. La défense
du statut conformiste et des avantages qu’il procure à travers les privilèges matériels ou
sociaux, ainsi que les attributions d’autorités et du pouvoir discrétionnaire sont à l’origine du
modèle de gaspillage bureaucratique.
Dans les domaines économique et social, la bureaucratie est le mal qui gangrène aussi bien
l’économie que la société algérienne. Ce phénomène, devenu un véritable fléau social, a un
impact négatif sur tous les secteurs de l’économie et de la société. Les comportements
136
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
bureaucratiques minent la société, empêchent le fonctionnement normal de l’activité
économique. Cette rigidité bureaucratique perverse, en mettant les bâtons dans les roues, crée
un sentiment d’injustice et de découragement chez les entrepreneurs qui se sentent alors
incapables de réaliser leurs projets dans les normes.
Pour dépasser les tracasseries bureaucratiques, les entrepreneurs et les organisations sont
obligés de faire appel à des détours, en recourant à des procédés illégaux et immoraux, à
travers les pratiques corruptives. Le contournement de la bureaucratie exige des sollicitations
diverses, en mettant en avant la lutte contre le « bureaucratisme » des fonctionnaires.
Les intermédiaires qui intercèdent en faveur des entrepreneurs attendent une contrepartie ou
des promesses futures.
Selon P. Hugon (1999), ‘‘dans la tradition des modèles
bureaucratiques, les bureaucrates poursuivent des objectifs personnels autres que l’efficacité
de services publics. Ils utilisent les instruments de la politique économique pour maximiser
des rentes accaparées ou distribuées ; disposant de pouvoirs discrétionnaires, ils créent des
distorsions vis-à-vis des décideurs privés agissant selon les lois du marché’’. Les
fonctionnaires de l’administration exploitent à tous les niveaux les règles bureaucratiques
comme un moyen d’accès à la rente corruptive, et non pas comme un outil de service à mettre
à la disposition du citoyen. Ce dernier pour accéder aux services étatiques se voit contraint
alors de verser un pot-de-vin.
2-5/ Théorie des choix publics
Le courant économique de l’école de « public choice », situé à mi-chemin entre la
science économique et science politique, propose une analyse qui théorise le rôle de l’État et
le comportement des électeurs, des hommes politiques et des fonctionnaires, ces deux derniers
sont considérés comme des intermédiaires, à des formes de marché politique et de la
bureaucratie, telles que la recherche de la rente, la corruption et le lobbying.
Dans la description de son objet, il est recherché la mise en application de la microéconomie à
la science politique, en concevant le rôle de l’État à travers une vision libérale. Elle met en
avant les mécanismes concurrentiels et les comportements égoïstes rationnels pour l’analyse
des échanges non-marchands par des outils d’analyse de la sphère marchande échangée sur
un marché.
Partant du principe de l’analyse néoclassique, qui considère l’individu à la cherche de la
l’optimum de ses intérêts, la théorie des choix publics reprend cet axiome pour les hommes
politiques et les fonctionnaires. Elle utilise ce raisonnement à travers le processus de la prise
et de l’exécution des décisions politiques, dans le but de déduire les conséquences ou les
137
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
pertes en termes de gaspillage issu des politiques publiques engagées, et puis dans quel
contexte et environnement ont eu lieu ces choix.
Le modèle proposé par cette école repose sur l'hypothèse que les hommes politiques et les
partis politiques essaient d'obtenir le maximum de votes possibles afin d'arracher des positions
de pouvoir ou des avantages financiers grâce aux budgets publics (J. Buchanan, G.Tullock,
D.C. Mueller 1982). Ainsi, les recherches de l’école public choice marque le début d’une
approche méthodologique de l’économie politique de la corruption, excluant les autres
analyses partant de la morale, de l’approche culturaliste ou communautariste. Mais, en
mettant en relief le lien entre l’économie et la politique, elle introduit, grâce aux travaux
empiriques notamment sur la gouvernance, une analyse économique de la politique portant
sur l’offre des politiques publiques. Tout en accordant une attention particulière à l’économie
de la corruption, plus exactement sur l’analyse de la théorie du Rent Seeking développée par
J, Bhagwati, A.O.Krueger et S.Rose-Akerman durant les années 70.
Une décision politique peut être avantageuse pour la majorité des individus, mais elle se
répercutera directement sur une minorité qui tirera les profits à son avantage. L’exemple des
décisions prises par les pouvoirs publics, dans un contexte d’instabilité politique et sociale
durant le premier trimestre 2011, obéit à cette logique. Selon P. Hugon (1999) la conception
utilitariste de l’État, assimilé au gouvernement, vise à endogénéiser les variables politiques.
Une lutte d’influence est engagée en permanence entre d’un côté les décisions engageant des
politiques économiques qui remettent en cause les avantages de certains lobbies, et d’un autre
côté les groupes d’intérêts qui exercent des pressions sur les autorités gouvernementales pour
changer les décisions en mettant en œuvre d’autres politiques économiques en leur faveur.
Parmi les décisions engagées, nous avons le prix de deux produits, le sucre et l’huile, pour
lesquels les prix ont été fixés en levant les barrières au niveau des importations (les taxes
douanières et TVA) et des exonérations de payement de l’impôt sur le bénéfice pendant une
période, causant ainsi un préjudice énorme aux recettes de l’État. Une décision populiste qui
satisfait l’ensemble des citoyens, puisqu’il s’agit de produits de large consommation. Cette
décision a été d’évidence accommodée par des groupes d’intérêt, qui ne dispose plus des
avantages de l’importation de ces produits, mais qui profitent de cette conjoncture de crise
pour pousser les pouvoirs publics à perpétuer ce genre de décision.
Les groupes de pression agissent aussi dans le « marché politique », ils s’expriment par les
échanges de votes ou l’achat des voix, la vente des influences et les décisions publiques,
rendant ainsi la vie politique identique à un « marché d’échange d’influence politique ». Le
138
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
fait que les élus ou les fonctionnaires utilisent leurs statuts, fonctions et influence, en
contrepartie d’avantages individuels relèvent de la corruption ou de trafic d’influence.
Dans ce cas les rentiers (les ‘‘barrons’’) de l’importation tirent leurs intérêts de la captation de
la rente du monopole de l’importation au détriment de la production nationale, qui pourtant
pouvait satisfaire la demande à des prix inférieurs à ceux fixés par les pouvoirs publics. La
rente est partagée par une petite minorité aux dépends de la majorité. En l’occurrence, il s’agit
d’une défaillance de l’État provoquée par une défaillance du marché. C’est une forme de
privatisation de la rente étatique et de la décision politique. Lorsque les règles communes
publiques servent les intérêts des particuliers privés, la loi est malléable et devient instrument
au service des intérêts d’une minorité au détriment d’une majorité. La corruption résulte de
recherche de la rente dans un système de concurrence qui utilise le système juridique pour
l’élaboration des lois à leur guise.
L’hypothèse du point nodal de départ de l’intérêt personnel mis en relief dans la théorie des
choix publics a permis de mettre le doigt sur les défaillances de l’État. Selon
J. Cartier-Bresson (2008) à ‘‘l’origine des problèmes de corruption ou de gouvernance se
trouve dans l’inefficacité du marché politique pour adopter des décisions collectives, dans les
difficultés de contrôle de l’exécution de ces décisions sur le marché bureaucratique, dans la
faiblesse des systèmes d’incitation et de sanction, et enfin dans le manque de transparence et
d’équité sur deux marchés’’. Les politiciens et les bureaucrates jouant, le rôle
d’intermédiaires entre les individus et les choix individuels, peuvent provoquer des
défaillances. La divergence des intérêts des intermédiaires – les politiciens se penchent
souvent sur leur élection ou réélection en faisant des promesses au électeurs, en plus de leurs
intérêts personnels, et puis les bureaucrate qui se comportent comme des individus ordinaires
privilégiant essentiellement leurs propres intérêts –, de ceux des citoyens en général
produisent des défaillances de l’État.
Les groupes d’intérêts constituent une autre sorte d’intermédiaire dans le processus de choix
public. Pour P. Lemieux (2008), ‘‘il importe de comprendre que la force des intérêts
organisés vient essentiellement du pouvoir de l’État d’accorder des mesures protectionnistes,
monopoles, subventions et autres privilèges. C’est pour obtenir ces avantages que les groupes
d’intérêts s’engagent dans le lobbying, les campagnes d’opinion publique et autres moyens de
pression. C’est ce que les économistes appellent la course aux rentes – le rent seeking-’’.
Donc la théorie des choix publics est en grande partie l’analyse et l’étude de la défaillance de
l’État. Seulement les décisions publiques posent au moins deux problèmes. D’abord,
139
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
l’incapacité de garantir que les décisions seront d’intérêt général, satisfaisant chaque individu.
Puis, l’incohérence de décisions publiques par rapport aux préférences individuelles.
2-6/ Les théories fonctionnelles de la corruption
Les fonctionnalistes abordent les faits sociaux en se basant sur des institutions, en
analysant les comportements des individus à partir de leurs tâches ou des fonctions
accomplies dans la société, en intégrant le phénomène de la corruption comme caractéristique
propre à des moments de l’évolution de la société, ce qui implique une vision historique
intégrant le fait de la corruption comme étant temporaire.
Ils appréhendent ainsi globalement les fonctions des individus, leurs rôles et statuts dans cette
société. Pour le sociologue T. Parsons (1978), qui développe le fonctionnalisme systémique,
la société peut être expliquée en partant des individus. Les choix opérés par les individus, qui
cherchent à maximiser leurs besoins, déterminent l’action sociale et le comportement de la
société, du courant de pensée libérale. Ce courant axe son analyse sur les comportements
fonctionnels, voire aussi de dysfonctionnement, de la corruption dans le processus de
formation des pays en développement, en privilégiant la valorisation du marché comme le
régulateur et en réduisant le rôle de l’État.
Dans le cadre des mutations ou des réformes, ce courant soutient que la corruption réduit les
pressions lors des changements politico-économiques structurels, en développant des
arguments en sa faveur. L’approche fonctionnaliste, F. Acosta (1985), met donc l’accent sur
l’apport positif de la corruption à la bonne marche de l’organisation sociale. Elle considère la
corruption comme facteur déterminant dans la transformation des États et inévitable dans les
phases de transition, particulièrement dans les pays en développement et de l’ex Union
soviétique, minés par la bureaucratie de l’État et le clientélisme. Les fonctionnalistes libéraux
selon J. Cartier-Bresson (2000) ‘‘voyaient dans la corruption une stratégie de contournement
des obstacles politico-étatiques et une accélération amoral mais efficace des transitions
souhaitables vers les économies de marché démocratiques.’’ Au point où les analyses
amorales des libéraux développent des effets positifs découlant de la corruption.
S. Huntington (1968) cité par J. Cartier-Bresson (1997) exprime de façon symptomatique
que : ‘‘la corruption peut être aussi fonctionnelle pour le maintien d’un système politique que
le seraient les réformes’’.
Les théories fonctionnalistes de la corruption relèguent au second plan ou bien écartent de
l’objet d’analyse les considérations morales et l’éthique de la société. Elles expliquent la
corruption selon les moments et les stades de développement d’une façon évolutionniste de la
140
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
société. Une approche culturaliste qui s’articule sur les activités économiques marchandes.
L’analyse fonctionnaliste de la corruption se confond avec celles des culturalistes, adoptant
des attitudes positivistes vis-à-vis de la corruption à base des réseaux relationnels locaux et
traditionnels qui opèrent une redistribution parallèle des avantages acquis par les activités de
la corruption. J-L. Rocca (1993) considère qu’‘‘en effet, la corruption facilite l’intégration
des différents éléments de la société dans les phases où la compétition entre plusieurs
systèmes de normes et le renforcement du rôle de l’État rendent difficile cette intégration’’.
Ce qui permet de comprendre la tolérance et l’impuissance de l’opinion publique face à la
corruption. Les analyses fonctionnalistes culturalistes permettent de saisir l’ancrage et les
attitudes fatalistes adoptées à l’égard du phénomène de la corruption. Contrairement à
l’approche universaliste qui considère l’État comme une instance neutre, permanente et
universelle basée sur les normes de l’État de droit. Cet universalisme relie la corruption au
conditionnement du fonctionnement ordinaire des institutions de l’État par des intérêts privés
à l’origine des dysfonctionnements et du non-respect des doits des citoyens.
Ainsi pour les fonctionnalistes des années 1960-1970, J. Cartier-Bresson (2008), ‘‘la
corruption devient un lubrifiant mettant de l’huile dans les rouages de la machine
bureaucratique et autoritaire. Elle favorise et accélère la transition vers la modernité, la
démocratie et le marché’’.
Les ultra-libéraux fonctionnalistes vont plus loin, en affichant leurs méfiances et défiances
aux adeptes de l’approche structuraliste de l’État. En termes de croissance, J. Cartier-Bresson
(2008), ils déclarent que : ‘‘la seule chose pire qu’une société avec une bureaucratie rigide,
hypercentralisée et malhonnête est une société avec une bureaucratie rigide, hypercentralisée
et honnête’’.
2-7/ Le courant institutionnaliste : nouvelle économie institutionnelle
L’institutionnalisme est en économie l’école de pensée, représentant un ensemble de
réflexions théoriques et méthodologiques, qui étudie les interactions économiques fondées sur
les institutions régies par un ensemble de règles et croyances. Elle analyse les règles régissant
l’économie.
Au moment où l’économie politique était consacrée à l’analyse de l’activité économique,
notamment l’équilibre économique, théorie de l’équilibre générale, la formation des prix, la
valeur, la nouvelle économie institutionnelle a focalisé son analyse sur les éléments
structurant l’activité économique c'est-à-dire les institutions. Ainsi, l’institutionnalisme,
comme l’approche qui étudie l’émergence, le fonctionnement et l’évolution des institutions,
141
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
sociales ou non, imposés à l’ensemble de la société, comme cadre d’imbrication de
l’interdépendance des activités économiques et lieu de l’interaction des choix des individus et
de la collectivité. Alors que la nouvelle économie politique prend en charge les phénomènes
institutionnels par l’intermédiaire des champs consacrés à ceux des choix publics et des
décisions politiques ou juridiques.
L’approche de la nouvelle économie institutionnelle permettra d’enrichir la compréhension
des échanges qui s’opèrent en dehors des règles de fonctionnement légale des institutions.
Telle la corruption définie comme un échange illégale entre le corrupteur et le corrompu et
qui met en relation deux partenaires, et ce, par le truchement d’un contrat tacite informel.
L’étude de nouvelle économie institutionnelle, qui a orienté son objet vers les transactions des
contrats légaux, a contribué à l’orientation de l’analyse vers les contrats illégaux et informels,
même si les transactions entachées de corruption ont un caractère différent du fait de leurs
natures illégales. Le rôle des intermédiaires dans les institutions fait l’objet de son analyse
puisqu’il constitue le nœud entre l’offre et la demande en matière de corruption dans les
échanges institutionnels. La corruption altère la médiation en arrangement.
L’économie institutionnelle de la corruption permet de saisir la compréhension du
comportement de ceux qui s’adonnent à la corruption. L’économie institutionnelle peut
aborder la question à partir des relations entretenues dans les jeux de la corruption à travers
les causes originelles dans le but de trouver des solutions appropriées.
D’après J. Cartier-Bresson (1997), au moment où les structuralistes privilégient l’action de
l’intervention de l’État, comme acteur politico-économique et social, les institutionnalistes
renforcent le raisonnement tolérant vis-à-vis de la corruption en argumentant qu’elle constitue
le seul moyen pour la création progressive des institutions administratives et parlementaire
nécessaire au développement. ‘‘La corruption permet d’introduire un système informel
d’allocation de ressources rares (licences, services, etc.) et met en place un mode de
régulation qui équilibre l’offre limitée de services et une demande par hypothèse illimité.’’
J. Cartier-Bresson (1997).
2-8/ L’approche systémique de la corruption
La notion de système, à la fois abstrait, concret et dynamique, a fait l’objet de
plusieurs définitions complémentaires. L. Von Bertalanffy (1973) définit le système comme
‘‘un ensemble d’unités en interrelations mutuelles’’. J. Lesourne (1976) met l’accent sur les
éléments qui sont liés par un ensemble de relations, puis complété par J. de Rosnay (1975)
qui caractérise le système par son dynamisme, son organisation et les objectifs qui l’animent.
142
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
Selon P. Meyer-Bisch (1997) ‘‘La corruption désigne par conséquent à la fois un continu
(celui du système) et un discontinu (celui de l’événement)….’’.
L'approche systémique est phénoménale, énorme et attrayante. Elle est synthétique à travers
sa méthode, son articulation et son ouverture sur les détails des choses. Elle permet de saisir
les liaisons, les imbrications, les interférences et de comprendre les phénomènes étudiés dans
une relation d’échange. Cette relation peut être saisie à deux niveaux inséparables, même s’ils
semblent complètement différents, le premier l’aborde d’une façon générale et le second en
particulier fait référence à l’acte concerné, Patrice MEYER-BISCH (1997): ‘‘le système : une
altération du corps social. L’acte ou événement : pervertir une structuration, une personne ou
un ensemble de personnes’’.
L’approche systémique tente de nous éclairer sur le fonctionnement de la corruption en tant
que système. La théorie des systèmes comprend trois caractéristiques. Elle dispose d’une
structure spatiale, d’une fonctionnalité rétroactive et d’une communication avec son
environnement.
L’analyse systémique de la corruption a l’avantage de clarifier la composante systémique de
son fonctionnement, son articulation dans le cadre spatial local, régional ou international et la
communication avec son environnement dans la perspective d’arrêter une stratégie et
d’enclencher un processus de changement pour combattre le phénomène de la corruption.
L’objet de l’approche systémique de la corruption traite des facteurs favorisant et fondant le
système de corruption afin d’agir sur les conditions entretenant ce fléau, plutôt que d’agir sur
les effets en occultant les causes.
La méthode de l’approche systémique aborde la corruption comme objet social, en ayant une
perception totale et homogène des interactions entre environnements dans lesquels évoluent
les pratiques de la corruption. C'est une approche qui se veut interactionnelle et
communicationnelle, fondée sur l'observation de la manifestation de son dynamisme, de son
adaptation et de son interaction permanente vu sa composante diversifiée et sa structuration en
sous-systèmes de corruption. Selon V.N. Komtsindi (2004), l’expression processus de
changement fait référence ‘‘aux différentes phases vécues par un système comme la
corruption, qui doit intégrer le changement et donc toutes les stratégies de lutte (rationnelle
empirique, normative rééducative ou coercitive)’’. Cet auteur qui reprend la définition de la
corruption multiforme de R. Klitgaard (1997), élaborée sous la forme d’une équation en
associant le monopole au pouvoir discrétionnaire et l’absence de responsabilité individuelle
ou collective, distingue essentiellement trois types de corruption constituant des soussystèmes au système de corruption. La petite corruption engendrée par la pauvreté ; la grande
143
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
corruption liée à la position ou la détention du pouvoir ; et d’après V.N. Komtsindi (2004), la
corruption ‘‘d’acquisition et d’accélération interviennent lorsqu’il y a acquisition des biens ou
des services (pots-de-vin), afin d’élever illicitement les coûts administratifs hors des délais ou
de la période légale souhaitée’’.
La perception cohérente du fonctionnement des sous-systèmes liés à la dynamique de la
corruption est perceptible dans les frontières abstraites ainsi tracées. On peut situer le cadre
d’analyse du sous-système de corruption, en référence à l’immoralité et à l’absence de
l’éthique qui constituent l’espace d’interaction des corrompus et des corrupteurs, et ce, à la
lisière des normes légales et sociales régissant le fonctionnement de la société qui forme le
système de référence analogique. L’analyse systémique des structures de la corruption dépend
de la qualification du droit qui s’applique sur le délit de l’acte de la corruption
Le phénomène de la corruption de par sa nature est un objet social vivant, dynamique et
adaptatif. Grâce à la fluidité et la souplesse dont il est doté le système de corruption opère en
permanence des changements au niveau des barrières à l’entrée pour assurer sa survie, sa
stabilité, son équilibre, et puis pour éliminer tous les risques d’être appréhendé. Enfin, c’est de
l’examen du système de corruption que sont dévoilés le caractère et le niveau de
généralisation de la corruption qui affecte la société.
Section III Typologies et stratégies corruptrices
3-1/ Motivations et conditions déterminant l’apparition des stratégies corruptrices :
Les pratiques de la corruption s’inscrivent souvent dans une stratégie poursuivie à long
terme, elles ne sont que rarement le fait d’un acte discontinu ou isolé. Ce qui met la corruption
à un niveau qui inspire la préoccupation de la classe politique et de la société entière d’une
façon générale. L’attrait du gain et la propension à l’enrichissement facile constituent
essentiellement les principes de finalité qui conditionnent les causes à l’origine de l’apparition
des stratégies corruptrices.
3-1-1/ Les placements par avance corruptifs
Il s’agit d’une stratégie qui permet au corrupteur de mettre le futur corrompu dans la
gêne. C’est en quelque sorte un appât, sous forme d’un placement par avance, à même de
rendre l’agent public redevable au donateur. Pratique constatée dans les villes et villages où
l’on voit certains qui se sont enrichis illicitement faire des donations pour la construction de
144
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
mosquées – généralement, et ce, en surfant sur la sensibilité et la foi des religieux. Ce qui, à
l’occasion donc, leur permet de se racheter une moralité perdue dans les actes délictueux. Ces
derniers s’offrent ainsi une nouvelle réputation de bienfaiteurs en s’insérant de nouveau dans
la société. En procédant de la sorte on peut assimiler ces pratiques au clientélisme dans une
configuration d’évergétisme qui se distingue des autres formes de générosité, par la
participation à la prise en charge des frais inhérents aux coutumes, connues et reconnues dans
les sociétés communautaristes.
3-1-2/ La constitution de réseaux durables
Comme les pratiques de la corruption s’inscrivent dans la durée, se caractérisant par
leur nature renouvelable, les corrupteurs « incrustent » des appuis permanents construits sous
forme de réseau ou de sous-système de corruption durable. La stabilité du réseau de
corruption implique l’entretien des relations de « communication » et de « coopération » par
les échanges sociaux. Une complicité et complémentarité s’instaurent alors dans un réseau
social d’échange de privilèges, souvent illégaux, entre ses différentes composantes. Cette
situation se manifeste par la recherche de soutiens et de liens afin d’arracher des faveurs en
développant une corruption de proximité géographique, corporatiste et intersectorielle. La
corruption de proximité s’appuie essentiellement sur les rapports personnels établis entre les
individus.
3-1-3/ La recherche de l’ascension sociale immédiate
La motivation par la recherche d’une ascension sociale immédiate incite à l’usage des
pratiques de la corruption sans retenue. L’opportunité d’occupation d’une fonction de
responsabilité avec un pouvoir régalien discrétionnaire constitue la source d’un
enrichissement rapide et illégal. En Algérie, à l’occasion de nominations en vue, ils sont
beaucoup de responsables à guetter ce genre de poste pour pouvoir se servir soi-même, puis
faire profiter à souhait la smala des proches et amis. ‘‘Paradoxalement, celui qui n’a pas su
saisir l’occasion lorsqu‘elle se présentait, est considéré comme un « fou » ou est suspecté
d’avoir « bouffé » de façon égoïste le fruit de ses détournements.’’9 Comme les opportunités
ne se renouvellent pas souvent, en plus du risque d’être à tout moment congédié, muté ou
même radié, la stratégie d’un enrichissement rapide est adoptée pour s’assurer des jours
9
Rapport final de l’étude financée par la Commission des Communautés européennes et la Direction de
développement et de la coopération suisse (DDC). « La corruption au quotidien en Afrique de l’Ouest. Approche
socio-anthropologique comparative : Bénin, Niger et Sénégal ». Octobre 2003. P 24
145
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
meilleurs dans le proche futur, et ce, à la faveur du nouveau statut acquis à court terme grâce à
une ascension sociale rapide.
3-1-4/ La mutualisation de la corruption
Une stratégie protectrice des corrompus instaure une mutualisation de la corruption.
En somme, il s’agit d’une modalité qui s’articule sur le principe de la répartition au niveau
horizontal des fruits ramassés par les actes de corruption. En procédant ainsi à la
redistribution solidaire, ils s’assurent une protection mutuelle face à d’éventuelles
dénonciations10. Pratique constatée dans certains domaines offrant des possibilités itératives
de malversation solidaire. À titre d’exemple, les agents de police chargés de verbaliser les
taxis clandestins, choisissent de les « racketter » quotidiennement, et le soir ils se partagent le
butin ramassé avec leur chef. Il en est de même pour les payements qui se font par les
transporteurs – ou plutôt les pilleurs – de sables des oueds pour passer frauduleusement les
barrages de gendarmerie..., etc.
3-1-5/ Le chantage dans le maniement et l’interprétation des normes
Les fonctionnaires de l’administration adoptent des stratégies de corruption sournoise.
La maitrise des mécanismes et des rouages de la pratique bureaucratique constituent des
espaces d’instrumentation où s’exercent divers chantages. La lourdeur de l’arsenal juridique
multiplie en fait les possibilités et modalités de la pratique corruptrice. Plus les prétendants
aux services publics – pour l’obtention d’autorisation ou d’attestation –, ne maîtrisent pas la
réglementation, plus sont grandes les possibilités offertes aux fonctionnaires de manier et
d’interpréter librement la législation avec à la clé bien sûr l’accroissement et la diversification
les stratégies corruptrices.
Selon S. Huntington (1968) la prolifération des lois et des
réglementations multiplie les occasions de corruption.
Cette position milite en faveur de la régulation des activités sociales et économiques par le
marché, en critiquant le rôle prépondérant de l’Etat en tant qu’émetteur des normes régissant
le marché, à travers notamment la fixation des barrières à l’entrée ou la limitation des quotas
dans les échanges commerciaux. Dans les domaines relevant de la souveraineté de l’État, les
stratégies corruptives se fondent dans la stratégie même de l’État doté, en l’occurrence, d’un
statut de monopsone où l’institution militaire est l’unique émettrice de la demande face à un
grand nombre d’offreurs, et ce, concernant notamment les contrats d’achat d’armement qui se
chiffrent en milliards de dollars.
10
Idem, p. 25
146
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
3-1-6/ Le code des normes de la corruption
L’ignorance des règles, des codes et des normes incriminant la corruption participe de
la stratégie de dissimulation des pratiques de la corruption. La non-vulgarisation des règles de
droit implique le non-respect de la loi, même si nul n’est censé, en principe, ignorer la loi. Le
choix de passer sous silence les lois incriminant la corruption relève d’une stratégie justifiant
le recours à la corruption, et ce, en cherchant à disculper le corrupteur et le corrompu.
3-1-7/ Caractéristique du système dominant
Les risques d’apparition de la corruption dépendent des caractéristiques normatives du
système dominant. L’existence de textes de lois sans qu’ils ne soient appliqués procède de la
stratégie de propagation de la corruption, induite par l’effet d’un déphasage assumé entre la
réalité et les lois. Il est clair que la moralité de la société est liée à la probité des hommes
politiques. D’autre part, l’immoralité des hommes politiques, qui donnent des promesses
fausses et démagogiques, obéit à la stratégie d’achat des voies électorales, sans plus. La
politique devient dès lors synonyme de corruption. Elle s’accentue davantage lorsqu’il y a une
situation de discrimination en matière de réservoirs de voies, entre la majorité et la minorité.
L’exercice de la corruption varie selon les richesses des territoires occupés, les enjeux du
moment, et ce, dans la mesure où le recours à la corruption se pratique pour faire valoir les
intérêts des minorités.
3-1-8/ Conflits dans l’application des textes réglementaires de lois
Les conflits entre les différentes franges de la société autour de l’application des
normes favorisent l’apparition de la corruption. La contradiction se situe au niveau de la
représentativité d’une norme et sa légitimation populaire. Par exemple, les sociétés
hermétiques à la vente des alcools discréditent la réglementation autorisant l’ouverture des
débits de boissons alcoolisés. Ce genre de conflits d’appréhension donne naissance à des
stratégies corruptives où sont impliquées les autorités en charge de faire respecter la
réglementation. Ce contexte de prohibition suggère la mise en place d’un commerce qui
fonctionne dans l’informalité, aux fins de répondre aux besoins de la demande clandestine des
consommateurs d’alcool. Ce faisant, la corruption tient lieu de modalité de contrôle pour les
activités clandestines fonctionnant dans l’informalité.
147
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
3-1-9/ Émergence de textes réglementaires nouveaux
Au moment du lancement d’une nouvelle législation réglementant une activité donnée
les administrés ne savent pas comment s’y prendre. La non-maîtrise des nouvelles modalités
d’application des règles est précédée par des stratégies corruptrices durant la période de
transition, ceci particulièrement lorsque les anciennes législations offrent plus d’avantages
que celles qui arrivent. La manipulation portant sur les règles adoptées et qui sont favorables
– du fait de leur degré de malléabilité et permissivité –
implique l’augmentation des
pratiques de corruption, et ce, justement par la transgression de ces règles dans un sens ou un
autre. Le cas illustratif nous est fourni, dans le cadre de la politique de lutte contre le
chômage, où l’on constate que certains jeunes, ayant déjà bénéficié des avantages offerts par
l’État en vue d’aider de jeunes promoteurs à créer des micro-entreprises, cherchent encore à
tirer profit des nouvelles dispositions en recourant à des versements corruptifs.
3-2/ Les grandes typologies de la corruption
En rapportant le phénomène de la corruption à celui de l’intérêt général dans la
société, il est possible d’avoir une perception des normes et leur place au sein des différentes
franges de la société. Il s’agit, en ce sens, de déterminer le comportement au niveau de
l’opinion, à savoir : s’il est dénonciateur ou pas, s’il adopte une position rigide ou flexible,
une attitude ferme ou plutôt laxiste à l’encontre de ce phénomène, et ce, face aux
comportements qu’ils soient néfastes ou pas des corrompus et corrupteurs.
Cette perception en déterminera les différentes évaluations débouchant sur des typologies qui
désigneront, selon le cas, la corruption comme étant grave, dangereuse condamnée et suivie
d’une demande large de mise en place de politique pour sa disqualification ou bien tolérée
dans une indifférence de l’opinion, même si une partie de la classe politique la dénonce.
A. Heidenheimer (1970) repris par J. Cartier-Bresson (1997) définissait dans cette optique le
phénomène comme : ‘‘ le terme de corruption noire indique qu’une action particulière est
telle qu’un consensus existe au sein de la grande majorité de l’opinion et de l’élite pour
condamner et sanctionner au nom des principes. La corruption grise indique que certains
éléments, les élites habituellement, veulent voir l’acte réprimé, alors que d’autres ne veulent
pas, l’opinion majoritaire peut alors être ambiguë. La corruption blanche signifie que la
majorité tant de l’opinion que de l’élite ne soutient pas rigoureusement les essais de
condamnation d’actes qui semblent tolérable’’.
La corruption est un fléau à la fois moral, social et politique. Un phénomène qui se décline,
opère et se manifeste dans la société à travers des formes multiples, sur plusieurs niveaux et
148
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
sous des dimensions diverses : économique, sociale, politique, culturelle, juridique,
environnementale…, etc.
3-2-1/Caractériser la définition de la corruption
Dans le sillage des définitions, on peut citer pêle-mêle comme caractéristiques de la
corruption, qu’elle soit grande, petite ; acquisitive ou accélératrice :
l’absence de
transparence, le secret, l’illégitimité, l’illégalité, l’inefficacité, le népotisme, l’abus de
confiance, l’immoralité et le gain facile.
Dans la dimension de la loi, elle correspond au non-respect des règles établies par la loi
régissant le comportement, les opérations, les activités et les actes des individus au sein de la
collectivité, et ce, dans le but de tirer un avantage donné.
La dimension psychologique, quant à elle, renvoie aux aspects culturels de la société où il
s’agit de déceler les intentions animant les récepteurs et donateurs de cadeaux, car celles-ci
peuvent aller au-delà des amabilités mineures, et constituer en l’espèce des faits assimilables à
une forme culturelle (dynamique non statique) de corruption. Une situation qui s’explique par
le fait que les traditions et coutumes propres aux sociétés communautaires subissent des
influences altérant l’image de marque de la collectivité en intronisant des aspects nouveaux tel
qu’on le voit, par exemple, dans le secteur de l’éducation où le respect, l’égalité, la solidarité
priment sur le reste tandis que dans la société qui subie l’invasion de culture corruptive
affectant ces valeurs, la pratique de sorcellerie corruptive fait partie de la dimension culturelle
de la corruption.
A cette dernière on peut ajouter la dimension religieuse. Les animateurs religieux, qui
s’érigent en intermédiaires entre les individus et le monde spirituel et métaphysique, qu’ils
activent dans la légalité ou à titre bénévole, lorsqu’ils préméditent la manipulation ou la
fausse interprétation des enseignements doctrinaux et dogmatiques de la religion dans le but
de forger ou faire adopter une attitude au sein de la population ne font, en réalité, que produire
une forme religieuse de la corruption. Chez les musulmans, le recours à la fatwa est devenu
un moyen pour justifier les comportements corruptibles dans la société. Certains imams en
viennent même à trouver des justificatifs en faveur des corrompus et des corrupteurs.
Alors que la dimension environnementale de la corruption revoie au non-respect des normes
réglementant les divers segments de l’environnement et qui visent la conservation des
ressources naturelles. À titre indicatif, pour illustrer cet aspect de la corruption, il y a lieu de
citer l’extraction clandestine (que ce soit avec autorisation assortie d’un cahier des charges qui
n’est jamais respecté ou bien sans autorisation c'est-à-dire dans l’illégalité la plus totale) du
149
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
sable des oueds du Sébaou. La dimension de l’éthique et de la moralité marque les
caractéristiques définitionnelles de cette forme-là de corruption.
3-2-2/ La petite et la grande
Dans les typologies de la petite et grande corruption où la corruption à grande échelle,
à laquelle nous nous intéressons, ne démunie pas – abstraction faite de la dimension spatiale –
, et ce, sachant pertinemment que la forme de corruption à dimension régionale ou
internationale est loin d’être négligeable. Un constat bien établi si l’on considère notamment
les manigances par lesquelles certains individus en collusion avec les autorités
gouvernementales et autres intervenants dans les programmes d’assistance financière et
technique élaborés par les bailleurs de fonds en faveur des pays en développement,
s’accaparent par le détournement d’une partie ou de la totalité des fonds en question.
La classification des niveaux de la corruption fait référence à la catégorie de la petite
corruption et à celle de la grande corruption. La première catégorie, vu la faiblesse des
avantages tirés en contrepartie (de petites sommes et de petits fonctionnaires), intègre les
comportements observables quotidiennement au sein de la société au niveau de l’ensemble
des secteurs d’activités en général et au niveau des administrations en particulier. Aussi elle
est pratiquée systématiquement (elle tend à ce généraliser) à ce niveau par une grande partie
de la population. Cette catégorie insupportable par la société est pourtant loin d’égaliser les
grandes affaires de corruption qui ont éclaboussé le secteur pétrolier algérien au cours de ces
dernières années. Alors que la deuxième catégorie, politico-administrative, à l’ampleur
extravagante et mobilisant d’énormes capitaux, comprend les grandes affaires de corruption
impliquant les pouvoirs publics au niveau central, et se manifestant sous forme de pillage, de
détournement ou de malversation (pots-de-vin importants). Il est à noter qu’à ce niveau elle
est structurelle et touche particulièrement les marchés publics tout comme elle peut prendre
les formes de groupes de pression, de lobbies législatifs et de circuits de blanchiment.
Cependant la dimension de la petite corruption n’est pas statique. Son caractère dynamique lui
permet de changer de statut et d’évoluer vers l’autre forme de corruption à travers une
catégorie médiane en transition. D. Hadjadj (2002), ‘‘ Il s’agit d’une question de degrés plus
que de nature, même si à un certain niveau, la différence de degré entraine une différence de
nature. Il existe ainsi un continuum entre les deux formes de corruption qui s’articulent
souvent l’une à l’autre, implicitement par la tolérance délibérée de la petite corruption par
les dirigeants politiques, et explicitement par l’intermédiaire des réseaux de corruption’’.
Entre la petite et la grande corruption il y a des similitudes dans les formes qui ne se
150
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
distinguent pas trop de la dimension de l’une ou l’autre, sachant que l’une ne va pas sans
l’autre. Il y a une confluence et une influence mutuelle entre les deux catégories de
corruption. On peut même conclure que les deux dimensions sont inséparables.
3-2-3/ La corruption organisée, semi-organisé et corruption désorganisée
Les analyses autour de la corruption se focalisent sur l’interface public-privé dans
l’espace public en construction. L’édification des Etats distingue de par leur fondement, en y
établissant une séparation juridique, la sphère publique de la sphère privée, en essayant de
faire émerger le bien public de celui du bien privé. Une approche qui s’appuie sur l’analyse de
la corruption sous l’angle de la trahison des obligations qu’induit la transgression des normes
qui s’imposent aux acteurs des deux sphères lorsqu’ils sont en collusion. Cependant cette
séparation établie sa jonction dans la corruption prenant des formes organisées et non
organisées. Partant de ce postulat, on peut dire d’ores et déjà que les échanges à caractère
corruptif obéissent à trois logiques. Soit ils procèdent d’une corruption qui est éphémère,
momentanée, non répétitive et inorganisée ; soit d’une corruption organisée, structurée,
permanente, fréquente, ponctuelle et continue ; et enfin, soit selon une troisième logique, elle
est médiane, semi-organisé, occasionnelle, circonstancielle, épisodique et sélective.
La corruption non organisée est périlleuse vu l’amateurisme de ceux qui l’exercent. Elle est,
en fait, porteuse de risques provoqués par les acteurs de la corruption organisée qui refusent
de nouveaux concurrents, sans compter aussi, que ses adeptes sont vulnérables, faciles à
repérer et souvent ils sont utilisés comme boucs émissaires servant à justifier la lutte anticorruption. Et ce, contrairement à ceux qui interviennent dans la troisième logique, corruption
semi-organisé, lesquels prennent moins de risques puisqu’ils n’opèrent pas d’une façon
continue, ce qui leur permet notamment de s’entourer de toutes les précautions nécessaires,
dès lors qu’ils préfèrent s’adonner à une seule opération solide et juteuse plutôt que de « se
consacrer » à plusieurs qui d’ailleurs risquent de rapporter beaucoup moins vu le nombre
d’acteurs qui doivent se partager les gains récoltés. Alors que la seconde logique, celle ayant
trait à la corruption organisée, elle est bel et bien professionnelle. Structurée sous forme de
réseaux, elle fonctionne comme un véritable marché de la corruption, permanent, où
l’ensemble des variables sont calculées en termes de coûts de la corruption, et les risques à
prendre sont connus ainsi que les possibilités de s’extirper des griffes de la police et de la
justice. La densité des relations personnelles et le nombre de personnes soumises à cette
logique trouvent leur force dans l’implication de divers acteurs au niveau de tous les secteurs
d’activités (économique, social, politique, culturel et administratif) ainsi que des différentes
151
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
fonctions étatiques dotées des pouvoirs législatif, exécutif et judicaire, auxquels pouvoirs on
peut ajouter celui des médias et du poids des relations sociales qu’entretiennent les individus
dans la société. Enfin, les assurances dont disposent les acteurs de la corruption organisés en
réseaux sociaux, offrent une stabilité et une garantie aux transactions à caractère corruptif, qui
leur permettent d’agir librement et à visage découvert.
La corruption organisée prend une forme pyramidale en Algérie. Elle est planifiée au sein des
institutions de l’État où sont répartis les monopoles segmentaires, selon l’appartenance et la
proximité politique, familiale ou tribale, amicale et corporatiste.
Elle prend la forme
systémique et elle est décentralisée en sous-systèmes en fonction de la place qu’occupe le
réseau auquel les acteurs de la corruption sont affiliés. En ce sens, l’exemple du commerce
extérieur est illustratif. Les opérations d’importations sont réparties et structurées sur cette
base cartelliste, à tel point que les lobbies liés au monopole des importations détiennent un
véritable pouvoir de décision par rapport à l’orientation des politiques économiques si bien
que rien ne peut contrarier leurs rentes spéculatives. Cette forme de corruption dénote que la
corruption est non pas seulement systémique en Algérie, mais elle est en plus organisée sous
forme de parasitage des institutions de l’Etat, les rendant inertes et impuissantes face au fléau
de la corruption.
3-2-4/ Les mutations dans les formes de corruption
Les mutations dans les formes de la corruption sont relatives aux changements
politico-économiques engagés dans le temps, par exemple, au sein des pays ex-socialistes qui
ont opté pour l’économie de marché. Les ex-pays socialistes se caractérisent généralement par
un mode de corruption liée aux politiques économiques et sociales assises sur
l’interventionnisme de l’État (les transferts sociaux sous forme de subventions et les mesures
protectionnistes de l’économie), qui est par définition bureaucratique, centralisé,
discrétionnaire, rentier et népotique. Les mutations opérées en dépouillant les institutions de
l’Etat de leur monopole traditionnel au profit d’un marché, organisé souvent dans le cadre de
« l’économie de marché planifiée», prennent la forme d’une privatisation de l’État qui ne dit
pas son nom. Et ce, à travers des réformes politiques, en termes de démocratisation, et puis
économiques, en termes d’accumulation et de redistribution de richesse, qui dans leur
confluence ont abouti à des situations d’anarchie.
152
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
3-2-4-1/ Les formes de corruption
On peut distinguer trois formes ou types de corruptions interactives. La première est
politique ; la seconde est administrative ou bureaucratique ; et la troisième économique et
sociale.
A/ La corruption politique
La corruption dans le milieu politique est une forme que l’on retrouve dans tous les
pays quelle que soit la nature politique et idéologique du régime en place. La corruption
politique, de dimension supérieure ou grande, comme nous l’avant précédemment expliquée,
affecte les autorités politiques occupant des fonctions supérieures de l’Etat. Il s’agit des hauts
fonctionnaires de l’État, soit dans l’organe législatif (députés et sénateurs), soit judiciaire
(magistrats), soit exécutif (Président de la République, chef du gouvernement, ministres,
walis…) élus ou désignés pour agir au nom d’une nation dans le cadre de leur fonction, mais
qui utilisent plutôt leurs positions respectives pour servir des intérêts personnels. Et ce, en
extorquant (corruption avec vol), en détournant des fonds importants du trésor public, en
imposant des versements de pots-de-vin (corruption sans vol des rentes étatiques) en
contrepartie de grands marchés publics – traités souvent avec des firmes étrangères – ou bien
en élaborant des politiques et en votant des législations à leur avantage. Donc la corruption
politique peut être définie comme le comportement ou la conduite qui va à l'encontre des
normes sociales et juridiques dans le but de tirer un avantage personnel, en transgressant les
normes sociales et juridiques.
La corruption politique s’exerce avant, pendant et après l’accession au contrôle et à l’exercice
du pouvoir. Elle sert à financer les compagnes électorales, puis à entretenir son électorat, sous
formes de clientélisme, et enfin à récompenser les bailleurs de fonds des compagnes
électorales, et ce, dans la perspective de s’assurer, plus tard, une réélection ou une
reconduction à un poste de responsabilité donné.
B/ La corruption administrative ou bureaucratique
La corruption administrative est liée directement à la bureaucratie c'est-à-dire au poste
occupé. Cette forme de corruption fait la jonction entre la grande corruption, qui est
éminemment politique comme nous venons de le décrire, et la petite corruption au niveau des
démembrements des organes administratifs de l’Etat, prolongeant ainsi la corruption à
l’échelon inférieur de l’Etat. Ces deux formes de corruption vont de paire, puisque les
décisions politiques prises par les dirigeants politiques ne peuvent être exécutées sans la
complicité des fonctionnaires administratifs ; ceci dès lors où justement les opportunités sont
153
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
offertes par les canaux empruntés par le processus d’application des lois, et ce, de façon telle
que les décisions en question peuvent être accélérées, ralenties ou bien carrément bloquées.
La corruption bureaucratique ou administrative s’apparente au recours à l’abus de pouvoir –
issu de l’autorité publique – pour servir ou atteindre un intérêt privé. De par sa présence au
sein de l’administration la corruption bureaucratique intervient au niveau de tous les
échelons : grand ou petit, international, régional, national ou local et dans tous les secteurs
confondus, sous diverses formes notamment au niveau de l’administration du fisc, de la
justice et de toutes les institutions en général.
C/ Corruption économique et corruption sociale
La corruption dans sa double dimension économique et sociale se distingue au niveau
des grandeurs des ressources affectées. La corruption économique opère ses échanges sur le
marché financier et celui des biens matériels ou immatériels par des individus ou groupes
d’individus, agissant à l’échelon supérieur, en vue de contrôler les ressources et les sources de
rentes. Ce type de corruption, faut-il le noter, se complète avec la corruption sociale à
l’échelon inférieur avec ses diverses formes ou variantes, et ce, à travers les pratiques
clientélistes, d’abus de pouvoir et de biens sociaux…etc. entretenant les liens socioculturels
des sociétés et renforçant les positions sociales à visées électoralistes.
3-2-4-2/ Les formes d’activités de la corruption
Selon I. Amundsen et. Al (2000) repris par G. Attila (2007) la corruption peut prendre
les formes de:
- pots-de-vin versés lors de l’échange de relation de corruption ;
- détournement de fonds intégrés au sens large de la corruption ;
- la fraude comme crime économique qui implique le contournement des lois ;
- l’extorsion comme forme d’imposition du plus fort (de racket exercé par le plus fort) ;
- le favoritisme comme un procédé d’arrangement en faveur des proches en contournant les
règles établies ;
-le népotisme en tant qu’acte politique qui use du favoritisme.
Elle peut aussi prendre d’autres formes telles que :
-
La tromperie dans le comportement des fonctionnaires pour l’acquisition d’un bien ;
-
Le pillage qui représente la forme directe de corruption séculaire et historique ;
-
L’électoralisme stimulé par la compétition politique qui nécessite des fonds
importants ;
154
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
-
La simulation, situation où la corruption est précédée par un dédoublement pour
tromper ;
-
Et puis, la bureaucratie qui constitue l’arme redoutable de la corruption.
3-2-4-3/ La corruption échange social
Les sociétés communautaristes sont réputées pour leurs relations sociales très solides.
Elles optent pour les relations personnalisées de tous types, autant que celles des institutions.
En associant les relations sociales au monde moderne, celles-ci prennent la forme de la
corruption d’échange social. En ce sens qu’elles engendrent des pratiques de favoritisme et
clientélistes en vue de renforcer un statut social ou une position dans la hiérarchie sociale. De
la fusion de ces deux modes, le premier rationaliste, communautariste et solidaire, le second,
moderne et presque impersonnel, résulte la corruption échange-sociale.
3-2-5/ Le rapport de la corruption au pouvoir
Pour expliquer le rapport de la corruption au pouvoir nous revenons à la triade
développée dans l’approche systémique de R. Klitgaard (1997) qui associe le monopole au
pouvoir discrétionnaire et à l’absence de responsabilité individuelle ou collective. D’où peut
découler la définition adoptée par Transparency Internationale : « la corruption est l’abus du
pouvoir public ou privé pour satisfaire des intérêts particuliers ». Un pouvoir dans son
acception politique est souvent sous-tendu par celui de l’argent. Le pouvoir classiquement
défini fait référence d’abord au pouvoir politique, puis à sa répartition en pouvoirs législatif,
judiciaire, exécutif et le quatrième pouvoir qui est celui des médias. Alors qu’en démocratie, il
signifie le pouvoir du peuple, dans sa déclinaison politique il prendra le sens du projet
souhaité par ceux qui l’exerce.
L’utilisation du pouvoir pour des objectifs privatifs s’exerce ainsi par l’intermédiaire de la
corruption, qu’elle soit matérielle ou morale. Le monopole du pouvoir de la part de certains
individus, de groupes d’individus comme c’est le cas souvent chez ceux qui ont la qualité
d’incarner le pouvoir politique, à savoir le ministre, le wali, le Premier ministre et autres
responsables, aboutit à des orientations et prises de décisions arbitraires, et ce, dans une
logique faisant fi de la transparence et de l’éthique et qui est plutôt dédiée au service des
acteurs de la corruption.
Ainsi, les corrompus et corrupteurs sont-ils dotés d’un monopole en recourant au pouvoir
discrétionnaire dont disposent les décideurs politiques et les bureaucrates et lesquels adoptent
des comportements irresponsables, insérés et instrumentalisés dans le cadre d’un
environnement propice à la corruption. D’évidence, c’est le pouvoir des gouvernants qui
155
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
favorise et entretient en grande partie la corruption. L’environnement politique et le
fonctionnement des institutions politiques à travers les instances centralisées, décentralisées
ou déconcentrées est déterminant, il constitue en fait le signe révélateur de l’ampleur de la
corruption dans un pays. En manipulant le pouvoir législatif, les lobbies renforcent de facto
leur monopole et de jure leur pouvoir discrétionnaire. La relation de la corruption au pouvoir
permet de reconnaître la forme de gouvernance et le type d’Etat : démocratique ou tyrannique.
3-2-6/ Les fonctions de la corruption
Dans le domaine des sciences économiques, la corruption peut faire l’objet d’une
lecture qui se décline à travers les fonctions, notamment celles de l’accumulation et la
distribution. En effet, les pratiques corruptives qui gérèrent des gains importants, provenant
donc des pots-de-vin perçus, constitue une source d’accumulation des capitaux à base
d’intérêts individuels. Ce qui permet à certains, qui sont animés de l’esprit entrepreneurial, de
saisir et de stimuler des opportunités pour la création d’entreprise et par ricochet de
s’accaparer en partie des pouvoirs économiques et politiques. L’investissement ou les
placements réalisés, formellement ou informellement, dans un cadre légal ou illicite,
généreront une redistribution des richesses au niveau individuel et une accumulation des
capitaux au niveau macroéconomique. C’est un processus qui engendre la transformation des
gains de la corruption épargnés en investissements dans des entreprises formellement
constituées ou dans des activités souterraines.
Dans les systèmes politiques retardataires, la corruption permet de réaliser une redistribution
de richesses via les organisations structurées dans les réseaux tissés au sein des divers
segments des institutions étatiques, le tout organisé sous forme d’un système clientéliste, et
ce, en procédant principalement au transfert et à la répartition de la rente en question, sans
reproduction (réinvestissement productif). Il s’agit, à l’évidence, d’un processus qui
désarticule le fonctionnement normal des institutions étatiques. Un processus qui donne lieu à
une économie dédoublée en secteurs informel et formel, en activités légale et illégale. Il crée
finalement une situation de dépendance et soumission aux revenus de la rente.
L’accumulation et la distribution via les procédés de la corruption altèrent la légitimé des
pouvoirs, elles provoquent la déliquescence dans le fonctionnement des institutions, tout
comme elles peuvent être a contrario un facteur de légitimation du pouvoir. A long terme,
particulièrement dans les systèmes rentiers, en période de tarissement des sources de rentes
provocant des crises, cet aspect de la corruption développera cependant l’effet inverse ; celui
de la dé-légitimation du pouvoir en place. Aussi cette corruption constitue-t-elle le facteur
156
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
principal explicatif dans les pays dits arabes des antagonismes et troubles naissants
actuellement, car la redistribution des richesses représente un double enjeu : d’une part, celui
du pouvoir politique dans sens de la légitimité et de la démocratisation et d’autre part, celui
du pouvoir économique dans le sens du bien-être et de la justice social, à l’origine des
soulèvements révolutionnaires de ces pays.
Conclusion
Le premier obstacle auquel est confronté le sujet de la corruption est relatif à l’absence
d’un consensus autour de sa définition. Un phénomène apprécié et interprété diversement par
les législations en vigueur dans les pays. Le choix d’une définition consensuelle de la
corruption - indissociable de l’analyse sociologique subjectivement liée à la morale ou à
l’éthique, nonobstant la caractérisation de ses actes constitutifs dans les divers textes
juridiques, interprétant leur transgression comme une déviance - n’est pas une évidence aisée.
Quel que soit le synonyme que l’on lui attribue (pot-de-vin, dessous de table, détournement
de fonds ou malversation dans le maniement des deniers publics…), le système de
gouvernance, les personnes qui sont concernées, la forme passive ou active, sa dimension
petite (objet d’études socio-anthologiques) ou grande, sa nature demeure multiple. C’est un
phénomène dynamique construit socialement, portant sur des pratiques souvent dissimulées,
impliquant une multitude d’acteurs mettant au moins en interaction deux sortes de pouvoirs
(celui du corrompu et celui du corrupteur) à plusieurs formes, apprécié en fonction du rôle de
l’Etat et ses attributs inhérents à l’environnement institutionnel économique, social et culturel,
qui se manifeste à travers les causes, les conséquences et les effets qu’il engendre, explicitant
sa diversité, son ampleur et son ambigüité.
L’étude de l’économie politique de la corruption nous a permis d’examiner les
analyses traitant de son origine, en mobilisant les différentes références théoriques. La
tendance à définir la corruption comme une forme particulière de recherche de la rente, des
pays dotés de rentes énergétiques, prête à confusion. Le comportement de recherche de la
rente était consubstantiel à la rente foncière à usage spéculatif durant la période coloniale.
Aussi, la période poste indépendante de l’Algérie a été marquée par une forte étatisation,
administrant l’activité économique génératrice de privilèges rentiers, source de rente
spéculative.
157
Chapitre III : Cadres conceptuels, définitions et théorie de la corruption
L’esprit de la recherche de rente accompagné par l’usage des pratiques de la corruption
constitue le facteur aggravant et d’influence dans la gestion de la manne financière dégagée
de la rente énergétique, en Algérie. De ce fait, l’accès aux rentes,
particulièrement
spéculatives, est la source de la propagation de la corruption et d’intronisation des logiques
rentières entretenues par des groupes de pression empêchant la création des richesses
substitutives aux importations ascendantes. L’attitude et les comportements de ces derniers
n’ont fait que généraliser la pratique de la corruption affectant l’ensemble des segments de la
société aggravant davantage les dysfonctionnements du mode de gouvernance autoritaire, tout
en érigeant un système de corruption altérant la légitimé des pouvoirs, en provoquant la
déliquescence des institutions de l’Etat.
Après avoir passé en revue les motivations et les conditions déterminant l’apparition
des stratégies corruptrices, nous relevons des grandes typologies caractérisant la définition de
la corruption par l’absence de transparence, le secret, l’illégitimité, l’illégalité, l’inefficacité,
le népotisme, l’abus de confiance, l’immoralité et le gain facile, sans occulter l’impact de
l’hypothèse de la dimension psychologique intégrant les aspects culturels et religieux des
communautés qui peuvent influencer l’attitude active ou passive du comportement des
individus dans la société.
158
CHAPITRE IV : Causes,
similitudes et
évolution de la
corruption dans les
systèmes politicoadministratifs
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
QUATRIEME CHAPITRE : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les
systèmes politico-administratifs
Introduction
Comme nous venons de le voir dans le chapitre précédent, il y a une multitude de
types, de formes et de dimensions concernant la corruption, ce qui suppose implicitement que
l’étude des liens des causalités découlant des contextes variés traduit des circonstances
diverses auxquelles nous remontrons.
Les différentes approches de la corruption peuvent aboutir à des causes diverses. Elles
peuvent être macroéconomiques ou microéconomiques. L’analyse macroéconomique avance
des explications à travers des causes liées au contexte national, à l’environnement
international ainsi qu’aux choix socioéconomiques stratégiques adoptés. Contrairement à
l’analyse microéconomique qui fonde son interprétation sur la base de l’incitation ou du
comportement des individus pour expliquer les causes de la corruption.
L’approche
microéconomique approfondit davantage l’explicitation des causes déterminant le
comportement corruptif et ce, en partant des caractéristiques se rapportant aux individus à
l’origine des causes génératrices d’actes de corruption ; lequel aspect, l’approche
macroéconomique ne cerne que globalement.
L’analyse micro de la corruption est recentrée sur la relation entre l’Etat et le marché. La
nature de l’Etat et les caractéristiques du marché développent différemment les actes de
corruption et ce, sous le rapport des comportements des individus adaptés à chaque modèle ou
situation. Autrement dit, cela signifie que les causes et motivations produisant les actes de la
corruption seront perçues différemment, même si la corruption est considérée comme un acte
illicite dans tous les cas de figures. La corruption est inhérente, en fait, à toute forme de l’Etat.
Dans le dernier chapitre de cette première partie, composé de trois sections, il est
question de traiter, en premier lieu, des causes et des conséquences directes et indirectes
découlant des différentes approches macroéconomiques et microéconomiques de la
corruption ; en second, lieu des similitudes du phénomène de la corruption à celui de
l’économie informelle où nous allons déduire les conséquences qu’ils produisent à partir des
points de leurs jonctions; et en troisième lieu, des manifestions de la corruption dans les
systèmes politico-économiques de types soviétique (socialiste) ou libéral, afin de comprendre
le modèle de l’Algérie et de conclure sur la qualification de la nature de son régime.
159
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
Section I/ causes et conséquences de la corruption
Le traitement des causes et des conséquences de la corruption fait référence – en
opposant les deux sphères, publique et privée – non pas seulement à l’intervention de l’Etat à
travers des politiques protectionnistes, de régulation, mais également au type d’Etat où le
marché est totalement libre, puisque les pratiques de la corruption se manifestent partout
même si elles ont des origines multidimensionnelles; car quand bien même celles-ci ont des
causes différentes, cela ne signifie pas qu’elles ont des objectifs opposés.
Ce raisonnement peut être mené, en comparant les pays développés à ceux en voie de
développement. Dans les pays développés la présence de la corruption renvoie à
l’imperfection du modèle démocratique tandis que dans les pays en voie de développement les
causes de l’émergence de ce phénomène sont intimement liées à la mauvaise gouvernance. Ce
qui revient à envelopper les causes de la corruption essentiellement dans l’intervention de
l’Etat et d’où les recommandations faites qui fixent des mesures portant sur la libéralisation,
la démonopolisation et la déréglementation tarifaire en vue de réduire les comportements
rentiers et les occasions de corruption.
1-1/ Causes à l’origine de la corruption
On peut rassembler les causes de la corruption par catégories, à savoir politique,
sociale, économique, culturelle, religieuse, juridique, administrative et psychologique. N.
Chtourou (2004) scinde les causes de la corruption en deux grandes catégories : « Les
premières causes directes trouvent leurs origines dans le fait que la corruption est liée au
pouvoir discrétionnaire et de monopole de l’Etat. Les secondes sont à chercher dans les
autres inefficiences institutionnelles appartenant aux domaines politiques, sociologique,
culturel et juridique qui produisent des rétroactions négatives».
Nous allons développer
quelques-unes de ces causes.
1-1-1/ Causes socioculturelles
Le traitement des sources de la corruption suivant les causes socioculturelles est
appliqué particulièrement aux pays d’Afrique ou en voie de développement ; comme si dans
les autres Etats il n’y a pas de culture et comme si les pays en développement sont tous
identiques. Or il y a manifestement une distinction à faire entre les différentes colonies, les
modèles de développement, l’histoire et les traditions qui ne sont pas forcément similaires au
même stade de développement durant une époque donnée. C’est ce qui est énoncé par les
160
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
thèses « culturalistes » souvent contradictoires. Les outils utilisés pour analyser les causes de
la corruption ne sont pas identiques, ils sont choisis en fonction des objectifs et du contexte
d’analyse sur le plan spatial et temporel.
Certes, la corruption est un phénomène social qui ne peut être cerné en dehors du contexte de
la société. De ce fait les comportements sociétaux, influencés par les codes d’éthique, les
normes et les rapports socioculturels de la communauté, forgent la personnalité et
caractérisent des individus. L’environnement socioculturel, notamment l’attitude adoptée visà-vis de la corruption – qu’elle soit tolérée, incitée ou combattue–, influence les décisions des
individus face à la corruption.
Les causes socioculturelles de la corruption peuvent être confondues avec celles de la
colonisation. Cette causalité peut être considérée comme étant à un stade archaïque et
concomitante à l’introduction de nouvelles institutions durant la période postindépendance où
le comportement corruptif a connu de substantielles mutations. En fait, l’introduction de
nouveaux modèles de développement a donné naissance à des pratiques corruptives qui
trouvaient leurs causes socioculturelles cette fois-ci dans le croisement des deux espaces
communautaires animés – de part et d’autre – par des intérêts individuels.
La culture de la corruption devient alors un phénomène de consécution orienté de cause à
effet. La culture est dynamique, elle subit des apports et des influences en contact avec
l’environnement extérieur. Selon T. Dahou (2002) ‘‘la notion de la culture est en effet
mouvante et façonnée par les histoires économiques et politiques qui empruntent à des
espaces enchevêtrés. Il parait dès lors difficile de faire l’économie d’une historicisation de
pratiques qui, après un tel exercice, pourraient se révéler faiblement ancrées dans des
dynamiques culturelles’’. Elle s’adapte et produit des comportements formels et informels
conflictuels. C’est ces comportements culturels, propres à une société à un moment donné, qui
peuvent être analysés pour définir la cause socioculturelle de la corruption. À chaque cause
socioculturelle ses propriétés, ses caractéristiques et ses spécificités qui entraînent des
pratiques corruptives.
1-1-2/ Pauvreté et précarité
Le niveau de vie et le statut précaire des citoyens les poussent à recourir à la
corruption pour améliorer leur niveau de vie et changer de statut social. La cause de la
pauvreté et de la précarité s’explique aisément dans les pays particulièrement qui ont des
revenus faibles. La vulnérabilité de ces Etats engendre les comportements corruptifs chez les
161
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
citoyens à la recherche d’un monde meilleur ou d’un mode de vie qualitativement supérieur et
surtout de sorte à s’y installer de façon pérenne.
En effet, les individus qui sont le plus dans le besoin, en particulier lorsqu’ils emménagent
dans des espaces plus ou moins urbanisés, sont susceptibles d’abandonner leurs principes
moraux pour faire face à des dépenses importantes telles que celles relatives à l’éducation, à
la santé et à la nourriture. A l’inverse, dans les pays riches en ressources naturelles comme
l’Algérie, les populations pauvres tendent plutôt, par leur comportement, à recourir à la petite
corruption pour couvrir leurs besoins, mais aussi en s’inscrivant dans l’optique de s’accaparer
d’une part du gâteau, et ce, en réaction à la grande corruption ambiante. Alors que durant la
période de crise des années 90, marquée par une inflation galopante et le gèle des
augmentations salariales, les fonctionnaires ou les salariés en général, ne parvenaient pas à
vivre décemment sans recourir à la corruption.
Ce qui montre l’existence d’une forte
corrélation entre, d’une part, la faiblesse des salaires, s’accompagnant d’une baisse du pouvoir
d’achat, et d’autre part les causes de la corruption. La relation entre corruption et pauvreté
dépend des politiques publiques et des choix engagés par les gouvernants.
On peut considérer a priori qu’il y a un rapport de relation dynamique entre la pauvreté et la
corruption. Ainsi, considérer la pauvreté comme une cause de la corruption, signifie adopter
le même raisonnement que celui de la cause (culturelle) de la culture, évoquée dans le point
précédent ; autrement dit, c’est condamner les pauvres en les désignant responsables de la
corruption. Or que la pauvreté est relative à chaque société (le niveau de vie varie d’une
société à une autre) et les indicateurs de la pauvreté sont aussi qualitatifs. Inversement,
soutenir que la corruption est la cause de la pauvreté déplacera l’analyse plutôt sur les
conséquences et les effets pervers qu’elle induit. D’après L. Ayissi (2007) la relation de
causalité entre la corruption et la pauvreté ne peut se faire qu’a posteriori. Ce rapport de
causalité ne peut être saisi totalement en occultant son rapport à l’environnement et aux
politiques adoptées dans un pays. L. Ayissi (2007) considère qu’‘‘elle compromet la
citoyenneté et l’humanité des individus lorsqu’elle instrumentalise la corruption et la
pauvreté pour la sauvegarde des intérêts particuliers des dirigeants. Elle devient alors une
activité lucrative qui rivalise d’efficacité avec les autres formes chrématistiques’’. L’analyse
a posteriori peut conclure que la corruption a un impact négatif sur la pauvreté. Considérer la
cause de la pauvreté comme facteur explicatif de la cause de la corruption dans l’absolu
s’avère donc insuffisant.
162
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
1-1-3/ Non-observance des règles de droit
L’existence des règles de droit ne suffit pas, même si ceux qui sont censés être les
premiers à les appliquer les transgressent totalement. La non-application des règles de droit
est en fait la cause principale de la corruption. La non-observance des règles de droit renforce
le manque de transparence et par ricochet favorise les actes de corruption. L’ignorance, le flou
ou l’ambigüité qui entourent les textes de lois accroit aussi la corruption.
1-1-4/ Enrichissement illicite et paradis fiscaux
L’enrichissement illicite et les paradis fiscaux constituent l’une des causes de la
corruption les plus néfastes. La majorité des investissements et du commerce transfrontaliers
s’effectue au travers des centres offshores. Les individus qui s’enrichissent illicitement
cherchent souvent des lieux pour placer les capitaux issus de la corruption ; et naturellement
les pays les mieux indiqués sont ceux connus pour être des paradis fiscaux, et parmi lesquels
surtout ceux offrant la garantie du secret bancaire, une haute confidentialité qui encourage la
corruption massive.
L’impasse faite sur la fiscalité accroit la corruption. En l’occurrence, l’absence de
transparence dans l’application des règles de la fiscalité par l’administration est l’une des
causes les plus désastreuses de la corruption. L’évasion fiscale occasionne la perte des
recettes fiscales et altère les revenus de l’État, entraînant par là une réduction significative des
services fournis par ses différentes institutions.
Quelle que soit la politique fiscale engagée, la recherche de la rente maximale inspire les
voies de son contournement. Les redevances fiscales et parafiscales sont des causes à l’origine
de la corruption ; autant les capitaux amassés sont importants, autant les individus cherchent à
les placer dans des paradis fiscaux, causant du coup des pertes sèches et conséquentes
particulièrement pour les pays pauvres.
1-1-5/ Clientélisme
La relation entre le clientélisme et la corruption est un sujet prêtant à polémique,
même s’il est suggéré de considérer le clientélisme politique comme relevant de la corruption,
sachant que le clientélisme renvoie à la relation nouée entre le patron et le dépendant. Pour
J C. Scott (1972), une relation de clientèle est « une relation d'échange entre des rôles, peut
être définie comme un cas spécial de liens dyadiques (à deux personnes) qui implique une
amitié largement instrumentale dans laquelle un individu de statut socio-économique plus
élevé (le patron) utilise sa propre influence et ses ressources pour fournir de la protection,
163
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
des avantages, ou les deux, à une personne de statut inférieur (client), qui, pour sa part,
rétribue en offrant un soutien général et de l'assistance, y compris des services personnels au
patron».
Ainsi la culture clientélaire engendre d’une certaine manière la corruption. A l’origine, le
clientélisme trouve son explication dans la relation de dépendance sociale des groupes pour
faire face à d’éventuels risques intégrés dans une mécanique de relation clientéliste. Les
individus, dans l’incapacité d’agir collectivement pour assurer un changement collectif,
recherchent à entretenir une relation avec le patron. Le clientélisme se manifeste concrètement
dans les activités politiques à travers notamment la captation des votes des participants. Dans
le monde politique, il est exprimé dans la logique de l’intermédiaire clientélaire construite
autour d’une éventuelle représentation au sein des instituions locales, régionales et nationales.
La relation de clientèle constitue une forme caractéristique d'échange social fondée sur
l'échange de don et de contre-don. Faire la distinction entre clientélisme en tant que
corruption-échange social et corruption économique facilite l’analyse des faits. Car il y a, en
réalité, une dimension économique dans l’échange social, qui est dû à l’imbrication des
pratiques clientélaires dans la corruption économique. Ainsi ces pratiques de corruptionéchanges-sociaux sont assimilables tout à fait à une forme de corruption.
L’élargissement du clientélisme au domaine de l’économie a engendré les pratiques de la
corruption. Les orientations et les choix opérés par les pouvoirs publics en matière de
politiques s’effectuent dans le cadre d’une relation clientéliste, ce qui en somme alimente la
corruption qui se fixe comme objectif l’intérêt individuel privé. Sous ce rapport, le
clientélisme prend une fonction sociale. Un constat qui se vérifie, par exemple, dans la
distribution des postes de responsabilité, obéissant à la logique de proximité vis-à-vis du
pouvoir, plutôt qu’à celle de la primauté de la compétence qui doit objectivement l’emporter.
En contrepartie, ces gens nommés à des postes prestigieux ne manqueront pas de tirer profit
de la rente distribuée. Le clientélisme constitue donc un mode de redistribution des richesses
issues des activités économiques ayant trait à la corruption. Ainsi le clientélisme politique a
pour effet de susciter le recours à la corruption économique.
Cependant, C. Caciagli et K. Jun’Ichi (2001) ne partagent pas ce point de vue : ils considèrent
en effet que : ‘‘Au plan théorique, alors que la corruption concerne l’argent et que son but est
l’enrichissement personnel, le clientélisme vise à obtenir des suffrages et son but est le
pouvoir. Les relations de corruption sont individuelles et secrètes par nature, alors que les
relations de clientèle sont bien connues du public et souvent approuvées par lui comme une
manière normale de faire’’. Le lien entre le clientélisme et la corruption sont souvent établi.
164
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
Cette relation configure différemment le rapport, l’ampleur et les pratiques de la corruption en
fonction de plusieurs paramètres ainsi que la place et l’attitude des acteurs en interaction.
1-1-6/ Légitimité historique et rente
Il y a une forte corrélation entre la légitimité historique, la rente et la corruption. La
légitimité historique crée un pouvoir discrétionnaire pour contrôler la rente. Alors l’existence
de la rente offre les opportunités pour l’accomplissement d’un tas d’actes de corruption. Une
concurrence s’engage en fait pour accéder au contrôle de cette rente. Ceux qui disposent de la
légitimité historique, comme nous l’avons déjà développé précédemment, s’emparent du
pouvoir et décident arbitrairement de la redistribution de la rente. Dans ce cadre, la rente
devient l’objet des luttes visant son accaparement. Les réseaux de la corruption se mettent en
soudoyant ces dirigeants occupants les postes de responsabilité. Donc on peut dire que la
préséance de la légitimité historique, c'est-à-dire l’absence des règles démocratiques, cause la
propagation de la corruption et de la prédation.
1-1-7/ Tribalisme et régionalisme
Ces deux facteurs, tribalisme1 et régionalisme, qu’ils soient à connotations
géographiques ou linguistiques, ethniques ou religieuses, exaspèrent la course au pouvoir pour
le contrôle de la rente. Un état de fait qui aggrave les relations au sein du régime tout en
ouvrant des brèches pour les pratiques corruptives. La lutte entre les différentes franges du
régime pousse celles-ci à mettre en place des stratégies afin d’accéder ou de rester au pouvoir.
Et, l’existence de la rente permet d’irriguer les réseaux de la clientèle, ce qui favorise et
multiplie les occasions de la corruption.
1-1-8/ Manque de représentation démocratique
Le non-respect des règles démocratiques dans le fonctionnement de certains États et
l’absence de la légitimité des urnes fragilisent les institutions étatiques et entraînent la
corruption. Ce principe repose sur le l’acception naturelle des droits de l’homme qui est
fondamentalement antinomique avec la corruption. Ainsi, l’absence de légitimité des
1
Le tribalisme est soutenu par l’esprit de clan. La définition de l’Assabia que nous retrouvons chez Ibn
Khaldoun (1332-1405) fait référence à ce qui unit par l’appartenance au groupe par le sang ou une descendance
commune, conditionnant l’obligation de solidarité et engendrant la protection des membres du clan en défendant
leurs droits. Tel que repris par S. Goumeziane (2011) ‘‘un clan sera d’autant plus fort que sa cohésion sera
forte. La primauté des liens du sang est donc essentielle, mais Ibn Khaldoun indique que d’autres éléments
peuvent faire aussi partie du clan grâce à la constitution de liens sociaux tels que les alliances ou le
clientélisme, car la « relation patron/client fait naître un contrat du même ordre ascendance commune »’’.
165
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
institutions de l’Etat est considérée comme l’une des sources majeures de l’accroissement de
la corruption.
La perte de légitimité de l’Etat engendre systématiquement des pratiques de corruption, et ce,
à partir du moment où la souveraineté des peuples se trouve confisquée et où les intérêts
privés conditionnent le fonctionnement de l’État. Une configuration qui, en annihilant tout
contrôle et en entravant le droit à l’organisation, laisse libre cours aux pratiques de la
corruption.
1-1-9/ Bureaucratie et transition
La transition d’une société retardataire communautariste vers un fonctionnement fondé
sur des normes individualistes, d’une économie administrée et bureaucratique vers l’économie
de marché, ouvre la voie à la corruption et lui permet de jouer le rôle de fonction sociale. La
transition constitue du coup un bouillon de culture pour les actes de corruption,
particulièrement à l’occasion des programmes de privatisation et de la déréglementation du
commerce extérieur.
1-1-10/ Perte de valeurs et d’éthique
La perte des valeurs et l’absence de l’éthique accélèrent l’adduction aux différents
modes de corruption. Les valeurs morales communautaires deviennent, en l’occurrence,
banales dans une société en proie à des mutations provoquées par le passage vers une société
urbaine qui a ses propres mécanismes et qui fonctionne sur des principes individualistes.
L’abandon des valeurs morales anciennes et le retard dans l’émergence des nouvelles normes
de régulation font que la corruption prend de l’ampleur et dépersonnalise les individus qui
adoptent un comportement immoraliste.
1-1-11/ Colonialisme
L’héritage colonial a laissé ancrées dans la société des pratiques permissives vis-à-vis
de la corruption. Partant du développement que nous avons fait dans la première section du
second chapitre, la conclusion que l’on peut tirer est que l’une des causes de la propagation de
la corruption est liée à l’acceptation, l’entretien et l’encouragement de la corruption durant la
période d’occupation coloniale. À vrai dire, le colonialisme constitue déjà une forme de
corruption en soi, puisqu’il s’appuie sur l’exploitation des richesses sans aucune retenue et le
maintien de cet ordre colonial se fait avec le recours à l’usage des pratiques clientélistes et
corruptives.
166
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
1-2/ Conséquences de la corruption
Les actes de la corruption produisent des effets directs et indirects qui sont multiples,
et se déclinent à court, moyen et long terme. Les diverses pratiques de la corruption qui se
manifestent dans tous les secteurs d’activités engendrent et compliquent un ensemble de
problèmes d’ordre économique, social et politique au sein de chaque société bien qu’à des
degrés différents, et ce, suivant le niveau cette corruption, sa perception et les attitudes
adoptés à cet égard par les Etats.
Il s’agit, en fait, d’un phénomène qui guette l’ensemble des segments de la société : les
individus, la cellule familiale, les corporations, les organisations politiques, patronales,
syndicales et associatives. La corruption désagrège et détruit la société et son environnement,
elle hypothèque même l’avenir des générations futures.
C’est un facteur qui permet d’expliquer, dans certains cas, la situation désastreuse qui marque
des économies caractérisées par un niveau d’appauvrissement inhumain, un chômage
endémique dû au blocage des infrastructures qui entraîne un faible investissement, un système
de santé dérisoire,
les maux de la société, l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire qui
produit des sentiments d’injustice, la violation des droits de l’homme, la mauvaise
gouvernance et l’instauration de la culture d’accaparement dans un climat d’insécurité
généralisée.
En effet, la corruption crée et amplifie les inégalités sociales, renforce les clivages richespauvres, le tribalisme et le clientélisme. De même qu’elle désintègre les valeurs sociales de la
société en mettant en place de nouveaux mécanismes basés sur des relations informelles
illicites. Elle devient aussi une source de conflit et de méfiance entre les individus bloquant du
coup le fonctionnement ordinaire de la société. Pour l’OCDE, ‘‘la corruption sape la
confiance de l’opinion dans les institutions politiques et aboutit à un mépris de l’Etat de
droit ; elle fausse l’allocation des ressources provoque un gonflement des dépenses dans les
marchés publics et porte préjudice à la concurrence sur le marché. Elle produit des effets
dévastateurs sur l’investissement, la croissance et le développement. Qui est plus, la
corruption impose un prix extraordinairement élevé aux pauvres en leur fermant l’accès à des
services vitaux.’’ Des effets, à notre sens, qui disloquent la société et neutralisent l’action des
institutions de l’Etat tel que nous l’observons en Algérie durant la dernière décennie.
Sur le plan économique la corruption s’incruste à tous les niveaux des structures de
l’économie. A l’échelon inférieur la petite corruption elle affecte l’ensemble des activités
socioéconomiques quotidiennes des citoyens et l’échelon supérieur la grande corruption
provoque la réduction des investissements, la hausse des dépenses publiques, le captage de la
rente, des dépenses inutile à travers la mauvaise allocation des ressources, de la contrefaçon
167
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
pour faire face à la hausse des prix, des détournements et une baisse de la croissance.
C. Stückelberger(2000) a dénombré dix-huit conséquences négatives de grande et la petite
corruption dont ‘‘la mauvaise orientation du développement, l’accroissement de
l’endettement, l’évasion fiscale, baisse de la qualité, l’insécurité, l’inefficacité économique,
accroissement des disparités sociales, manque de transparence, perte de confiance dans
l’Etat, perte de l’esprit démocratique…, etc.’’.
Par ailleurs, les conséquences économiques peuvent être exprimées en termes de coûts. Les
coûts directs induisent des effets très élevés pour le budget de l’Etat tel que la baisse des
recettes (fiscales, parafiscales) et des revenus provenant de l’exploitation des richesses
(détournements et vols). Les coûts indirects sont liés à la mauvaise gestion des ressources, la
fuite des capitaux, la dépendance économique et le gaspillage.
Au plan politique, la corruption affecte en premier lieu les valeurs démocratiques et réduit le
rôle de l’Etat. Elle bloque et rend amorphes les processus démocratiques, pervertie et fausse
l’alternance au pouvoir, elle sape le morale et discrédite la classe politique et ses leaders,
stimule et substitue la violence à la voie du dialogue, engendre l’absence de contrôle et de
transparence dans la gestion et détruit les alternatives politiques et économiques. Elle
contribue à la dépolitisation de la société et réduit les chances de mettre en place des
stratégies de lutte anticorruption. Elle entretient l’impunité et la non-observance des normes
de droit. En outre, elle produit l’injustice sociale et contribue à l’instauration d’un Etat de
non-droit, créant à l’occasion des cassures dans les systèmes politiques, en les soumettant au
pouvoir de l’argent.
Nous allons traiter ci-après quelques-unes des conséquences de la corruption qui nous
apparaissent essentielles.
1-2-1/ Affaiblissement des institutions de l’Etat
La première conséquence néfaste de la corruption est celle d’affaiblir les institutions
de l’Etat. Il s’agit en fait de saper les instituions étatiques et de ternir l’image de marque de
l’État, en discréditant son rôle. O. Vallée (2006) a mis en relief trois caractéristiques pour
déterminer les bonnes institutions : ‘‘en garantissant le respect des droits de propriété à une
grande partie de la population, elles incitent une large palette d’individus à investir et à
participer à la vie économique ; en limitant l’action des élites, des politiciens et autres
groupes puissants, elles les empêchent de s’approprier les revenus ou investissements
d’autrui ou de fausser les règles du jeu ; et, en promouvant l’égalité des chances pour de
vastes pans de la société, elles encouragent l’investissement, notamment dans le capital
humain, et la participation à la production économique’’. En effet, la corruption détruit le
moral, casse les initiatives, abaisse les individus, elle désorganise l’économie, elle développe
168
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
un sentiment d’injustice et aboutit à la perte de confiance dans les institutions de l’État ; ce
qui est à l’origine souvent des troubles sociaux. De ce fait, la corruption concourt largement à
saborder les initiatives des gouvernements en les rendant inefficaces. Dans son rapport de
1983, la Banque Mondiale en décrivant ces conséquences déclare que ‘‘ à la longue, la
corruption sape la confiance de la population dans les instituions publiques. Il devient alors
difficile de relever la qualité de la fonction publique, l’attention du public se détourne de la
situation économique pour se concentrer sur cette seule question et, dans les cas extrêmes, la
corruption déclenche des révolutions (ou tout au moins leur sert de prétexte)’’.
La corruption, en affaiblissant les institutions de l’Etat, réduit le rôle et l’importance de l’État
qui subit le discrédit aux yeux de l’opinion publique, à tel point que cela altère même son rôle
dans la redistribution du budget de l’Etat. Ce faisant, elle affecte directement les finances
publiques, en acceptant les déficits budgétaires, la mauvaise allocation des ressources, tout en
empêchant les pouvoirs publics de prendre en charge convenablement leurs fonctions
régaliennes. Et s’ensuit alors l’ébranlement de la confiance vis-à-vis des gouvernants.
1-2-2/ Perte de confiance, discrédit et la victimologie
La perte de confiance dans les institutions étatiques produit un comportement
« victimologique » et fataliste rendant la société vulnérable, incurable ou impuissante face à
ce phénomène. Ce comportement égoïste se développe chez l’individu quelle que soit sa
position de corrompu, corrupteur ou de victime. Malgré le fait que les individus puissent se
retrouver simultanément dans l’une des postions, ils restent toutefois inertes face à ce fléau.
Il est clair, aussi, que la corruption provoque la dislocation et le discrédit du monde politique.
Elle se traduit par une méfiance à l’égard des cadres politiques et discrédite les élites
politiques enrôlées dans les institutions étatiques. La corruption est un facteur multiplicateur
du phénomène de méfiance vis-à-vis du personnel politique (hauts fonctionnaires, hommes
politiques en poste ou ayant déjà occupé une fonction dans les instituions de l’Etat) et
pareillement à l’égard des diverses institutions. Elle contribue, en effet, au discrédit de la
classe politique en général en servant d’argument au développement d’un discours nihiliste.
En réalité, cette attitude de négation puise ses arguments dans les scandales politico-financiers
rythmant la vie politique au quotidien. Un état d’esprit que résume si bien le slogan : « tous
pareils, tous pourris ».
169
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
1-2-3/ Réduit les ressources budgétaires et augmente les dépenses publiques
La corruption engendre l’augmentation des dépenses publiques où il est possible de
percevoir des pots-de-vin conséquents, en jouant sur l’allocation budgétaire. Ce cas de figure
entraîne évidemment la réduction des recettes de l’Etat. D’autre part, la corruption encourage
les dépenses publiques inutiles et improductives, en créant des déséquilibres budgétaires
provoqués par les déficits de la fiscalité et le gonflement des dépenses publiques.
1-2-4/ Mauvaise allocation des dépenses d’investissement publiques
La corruption modifie la structure des dépenses publiques, implique implicitement
l’absence d’optimisation et de rationalisation de ses dépenses et produit des effets récessifs
sur la croissance économique. Il va sans dire aussi que l’augmentation de la corruption affecte
directement la répartition du budget de l’Etat. Les conséquences de la récession, tout en
réduisant les budgets de l’éducation, de la santé et la culture, multiplient ceux de la défense et
du maintien de l’ordre public. En effet, P. Mauro (1997) conclu sur le fait que ‘‘les dépenses
publiques d’éducation exprimées en pourcentage de PIB sont fortement corrélées
négativement avec la corruption (plus la corruption est élevée moins on dépense sur
l’éducation)’’.
Dans les pays où la corruption est fortement présente les indicateurs de développement
humain — à savoir les trois indicateurs : la longévité mesurée par l’espérance de vie à la
naissance, le taux d’alphabétisation des adultes et le niveau de vie mesuré par le PIB par
habitant — établissent des conséquences néfastes sur la population ; ceci sans compter les
surcoûts que connaissent les dépenses des secteurs de l’éducation et de la santé, la qualité des
services publics qui se retrouve gravement affectée, et puis la réduction de la quantité des
dépenses d’investissement public.
1-2-5/ Sous-développement
La définition du sous-développement est multiple, elle dépend, en somme, des
courants de pensée et autres approches multidisciplinaires, si tant que plusieurs facteurs
explicitent son origine et les effets qu’il engendre sur les populations.
La situation de certains pays qui sont en position de sous-développement favorise-elle
l’apparition de la corruption ? Est-ce que la corruption ne contribue-t-elle pas à les maintenir
dans une position retardataire ?
Il est généralement avancé que les pays sous-développés sont les plus corrompus, affirmation
étayée par l’existence d’un lien de cause à effet avec le phénomène en question. En acceptant
170
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
cette hypothèse, on peut dire dès lors que la réduction de la croissance découlant du manque
d’investissement est causée par la corruption et laquelle engendre la conséquence du sousdéveloppement. La corrélation entre le niveau de développement comme conséquence de la
corruption est bien établie. En fait, plus un pays est sous-développé, plus la tendance de la
corruption augmente. Plus un pays est corrompu, plus il entretient les conditions qui le
maintiennent dans cette position. Par exemple, les effets pervers de la bureaucratie que nous
retrouvons dans les pays en développement poussent de nombreux citoyen à recourir à la
corruption pour se faire établir les documents administratifs. La pratique de la corruption
bloque, retarde et travestie même l’idée de la modernisation de l’administration.
Au niveau politique, le sous-développement est entretenu par les pays développés à l’aide de
la corruption, à savoir par les pots-de-vin et les placements des capitaux dans les banques
européennes ou les paradis fiscaux, et ce, avec comme finalité l’exploitation des ressources de
ces pays, notamment par les procédés du surendettement. Ainsi, la corruption devient l’un des
obstacles entravant le développement, en minant les voies qui y mènent. Depuis maintenant
des décennies, l’ONG Transparency International élabore des classements sur la base d’un
indice de la perception de la corruption et dans lesquels, il apparaît clairement que les pays en
développement occupent la première position d’entre les pays les plus affectés par la
corruption. Ce constat très affligeant constitue un véritable obstacle au développement.
La conséquence de la corruption se voit au niveau de la mauvaise orientation des
investissements et le maintien du fonctionnement retardataire des institutions étatiques (qui
agissent à leur tour négativement sur les rentrées fiscales, avec en prime un tas de fléaux
parasitaires : le marché parallèle, la paralysie de l’esprit d’entreprenariat, les disparités
sociales, la perte de confiance dans l’État, le climat d’injustice et la perte d’espoir
démocratique). Dans une analyse sur la question, J. Graf Lambsdorff (2004) décrit les effets
pervers de la corruption sur le développement économique en ces termes : ‘‘les hommes
politiques et les responsables de l’administration peuvent abuser de leur position une fois
l’investissement réalisé. Ils peuvent retarder l’obtention des autorisations nécessaires et
manipuler les investisseurs jusqu’à ce qu’ils leur versent des pots-de vin (…) suite à de tels
échecs, les flux entrants des capitaux se dégradent en fonction du niveau de la corruption…’’.
1-2-6/ évasion fiscale
La corruption engendre le ralentissement de l’activité économique à partir du moment
qu’elle agit sur les recettes fiscales à cause de l’évasion fiscale. Donc ici la corruption se
traduit par la fuite ou l’évasion fiscale (elle peut prendre plusieurs formes : clandestine ou
171
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
arrangée) qui entraine une conséquence néfaste et directe, se traduisant par l’affaissement des
recettes à reverser au compte du budget de l’Etat.
La fraude fiscale peut être définie comme une dissimulation de la valeur réelle des revenus,
du chiffre d’affaires ou des transactions économiques légalement réalisées durant une période
donnée, et ce, en minorant les déclarations fiscales à dessein d’échapper au payement des
impôts et taxes. Parfois, l’évasion fiscale peut conduire à l’augmentation des taux
d’imposition pour couvrir les déficits budgétaires. À l’occasion, ce sont, souvent, les salariés
et les petits commerçants qui en font les frais, puisque les gros bonnets en général conjuguent
bien l’évasion fiscale avec la corruption.
Même s’il y a une distinction à faire, au niveau de la définition, entre la fraude fiscale et la
corruption, elles sont en vérité étroitement liées dans la pratique et assimilables à quelques
nuances près. Un environnement corrompu ne plaide aucunement pour une fiscalité saine et
honnête. La corruption a un effet direct sur la fiscalité. La fuite fiscale constitue aussi une
conséquence de l’économie informelle, qu’elle soit légale ou illicite. Selon J.
Christensen(2007) le contournement de l’impôt « altère les revenus de l’Etat moderne et mine
sa capacité à fournir les services réclamés par les citoyens. Il représente donc la forme la
plus élevée de corruption parce qu’elle prive directement la société de sa ressource publique
légitime». La fuite fiscale trouve son corolaire dans les paradis fiscaux qui servent à transférer
les capitaux sous d’autres cieux privant paradoxalement les populations spoliées de leurs
richesses d’un droit de réinvestissement, entrainant par là une économie de décroissance
engendrant la récession.
1-2-7/ Disloque ou mine la société et crée l’insécurité
Sur le plan social, la corruption engendre des effets sociaux affectant directement les
structures sociales au sein des collectivités. La corruption disloque la société, mine les
relations sociales, crée et accentue l’insécurité (alimentaire, physique, morale et matérielle).
Ainsi, ses conséquences se manifestent sous de multiples formes, à savoir : la haine de soi et
d’autrui, la jalousie, l’atteinte aux valeurs sociétales notamment les bonnes mœurs, la fuite de
responsabilité, les divers conflits (familiaux, tribaux, politiques, culturels…). En somme,
toutes les caractéristiques d’une société individualiste et matérialiste.
1-2-8/ Blocages institutionnels et démocratiques
Les processus de démocratisation des pays en développement ont été accompagnés par
des pratiques de corruption ayant permis l’enrichissement illicite d’une classe de dirigeants et
172
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
de leurs proches. L’accoutumance et l’organisation en lobbies très puissants, des nouveaux
riches jouent un rôle prépondérant et contribuent au blocage des changements
institutionnels et notamment la démocratisation de la vie publique.
Il est clair que la
corruption fleurit en période d’instabilité, alors que le retour au fonctionnement institutionnel
entrainera le contrôle des richesses et la formalisation des activités occultes et non déclarées.
Les groupes de pression sentant le danger usent des pratiques corruptives pour bloquer le
fonctionnement normal des institutions étatiques.
1-2-9/ Renforce la prédation et la captation des ressources
D’après P. Collier et A. Hoeffler (2002), la prédation est une maladie infantile de la
corruption qui est bien à l’origine des guerres civiles africaines. Tandis que le comportement
des décideurs politiques, dans les pays en transition vers l’économie de marché où la
corruption se manifeste sous de nouvelles formes, à savoir en soutirant des avantages lors de
l’élaboration des lois, est assimilé à la captation des ressources. Rachid Sidi Boumedienne
(2008) considère, quant à lui, la prédation comme un autre volet de la corruption, il s’agit ‘‘en
général, d’un prélèvement (indu) et, plus particulièrement, du prélèvement sur les biens
publics (domaine public et surtout privé de l’Etat) et/ou des ressources publiques, le plus
souvent par les agents de l’administration chargés de les gérer, mais aussi par les citoyens
ordinaires’’. Pour leur part, J. Hellman et D. Kaufman (2000) définissent la captation de
l’Etat comme ‘‘les efforts que déploient les entreprises pour modeler les lois, politiques et
réglementations à leurs avantage en soudoyant les responsables publics’’.
La prédation et la captation de l’État, forme de corruption, ont des conséquences dévastatrices
sur l’économie des pays en transition, marqués par l’absence totale de transparence et
l’inexistence d’instance démocratique de contrôle. La prédation et la captation de l’économie
sapent, en effet, les instituions de l’Etat et bloquent tout projet porteur de changement et de
valeurs de bonne gouvernance. Par conséquent, c’est l’avenir des générations futures qui se
trouve brisé, sous l’effet dévastateur du processus d’accaparement effréné des riches
économiques qui se réalise en faisant fi même des règles déontologiques notamment celle
relative à l’environnement et aux effets pervers sur les humains. Les effets sur
l’environnement concernent, par exemple, l’utilisation des ressources naturelles telles que
l’eau, les forêts, les diamants ou les richesses selon des procédés entraînant la pollution et la
dégradation du cadre de vie des citoyen et qui provoquent à la longue le tarissement des
sources de richesses non renouvelables, la désertification, les sécheresses et les gaspillages.
Des effets manifestement visibles en Algérie avec les révélations récentes des dossiers de
173
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
corruption impliquant les hauts cadres de la nation dans la prédation et la captation des rentes
pétrolière et gazière.
1-2-10/ Bloque les investissements productifs et affecte la croissance
Un environnement économique infecté par la corruption a des effets directs sur
l’investissement productif. La conséquence de la corruption conduit au ralentissement de
l’activité économique qui se traduit par la faiblesse des investissements productifs de valeurs
ajoutées. Une situation qui, à son tour, implique une croissance dérisoire d’où découlent la
crise du chômage et les disparités sociales. Les blocages bureaucratiques des investissements
sont symptomatiques d’un climat où la corruption est systématique incitant du coup les
investisseurs à changer de destination, particulièrement lorsqu’il s’agit des IDE. Donc la
corruption est un facteur influençant les décisions d’investissement. Les entreprises ayant déjà
fonctionné dans un environnement marqué par la corruption seront dès lors prédisposées à
investir dans un autre pays qui érige la corruption comme règle principale pour
l’investissement. Au demeurant, une réelle tendance est induite vers le secteur non structuré
pour fuir les payements exorbitants exigés par les réseaux de la corruption et la lourdeur
bureaucratique.
V. Tanzi et H. Davooli (1997), dans une étude empirique, présentent les effets de la
corruption sur l’investissement (en se référant à deux sources : Business Internationale et
Political Risk Services). Ils démontrent, en l’occurrence, que la grande corruption est une
cause des distorsions dans les décisions relatives aux projets d’investissement, avec en prime
l’induction de nombreux effets pervers, augmentant gravement les coûts des dépenses et des
investissements publics, amoindrissant les revenus des recettes gouvernementales,
affaiblissant les dépenses de fonctionnement et de maintenance et réalisant des infrastructures
de mauvaise qualité.
Par ailleurs, le caractère nuisible de la corruption en termes d’investissement et de croissance
se traduit indirectement par la qualité des biens et services fournis, la réduction des revenus
fiscaux, l’incitation à la recherche de la rente corruptive, l’augmentation des montants des
dépenses publiques qui peuvent avoir des conséquences directes sur la croissance.
Cette
position est défendue ardemment par les institutions internationales, en montrant les effets
néfastes de la corruption sur l’investissement et la faiblesse de la croissance. Une position qui,
pour ainsi dire, trouve sa justification dans les nombreux programmes de lutte contre la
corruption. Cependant, on peut conclure dans l’absolu que la corruption est un facteur freinant
la croissance, mais en relativisant les choses on en revient à dire que la corruption s’associe à
174
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
d’autres facteurs liés aux spécificités des pays étudiés, notamment la présence de la rente et
des traditions bureaucratiques.
1-2-11/ Engendre des surcoûts
Il est évident que la corruption engendre des surcoûts qui sont considérés, soit comme
une perte sèche sur le coût global d’un projet, soit plutôt comme avantage ou bénéfice, et ce,
selon qu’on soit victime ou organisateur du marché de la corruption. Les surcoûts sont
souvent répercutés sur la qualité du travail fourni tel que les travaux réalisés dans le marché
du secteur du BTP. Au final, c’est le trésor public qui supportera la facture des commissions
versées en contrepartie du non-respect des normes de qualité requises.
1-2-12/ Défaut de justice, sentiment d’impunité et droits humains
La corruption conduit immanquablement vers un Etat de non-droit, elle produit le déni
de justice. Dans un système entaché de corruption, quand une affaire prend de l’ampleur et
devient publique, et dès lors où la justice n’est pas indépendante, la manipulation des
procédures judiciaires devient à la fois enjeu et objet de corruption. Nous l’avons constaté
dans deux grandes affaires qui ont fait couler beaucoup d’encre. L’affaire « Khalifa », dans
laquelle était impliqué en réalité tout l’appareil de l’État, a eu en effet droit à un traitement à
la fois discrétionnaire et discriminatoire, puisque aucun responsable, que ce soit parmi les
ministres et encore moins parmi les membres de la présidence, n’a été inquiété ; seuls les
cadres subalternes qui n’ont pas, en vérité, de rattachements politiques vis-à-vis du régime
furent inculpés et condamnés. Tout le monde a assisté à cette justice à deux vitesses, où la
règle de deux poids, deux mesures a prévalu tout le long des procès à l’issue desquels, plus
grave encore, aucun responsable n’a été démis de ses fonctions. Contrairement à la première,
dans l’affaire liée à la Sonatrach, en cours actuellement, le ministre de l’énergie a été relevé
de ses fonctions ainsi que ses acolytes. D’évidence, le fait de vouloir étouffer les noms de
certaines personnalités bien placées dans le régime conduit à la dérive de l’impunité.
La corruption a des capacités de nuisance allant jusqu’à manipuler l’appareil judiciaire, en
provoquant une partialité de la justice qui favorise une catégorie d’individus ou un groupe sur
d’autres catégories d’individus ou groupe.
Évidemment, il y a un lien de cause à effet entre la corruption et l’impunité. Plus le système
de gouvernance est entaché de corruption, plus l’appareil judicaire développe le sentiment
d’impunité sous toutes ses formes chez les citoyens, ce qui a pour effet de discréditer et
d’affaiblir l’État de droit.
175
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
La corruption est l’envers des droits de l’homme, elle favorise la violation des droits humains.
En ce sens, la corruption remet en cause le premier principe des droits de l’homme, qu’est
l’égalité en droits. La corruption c’est la négation des principes élémentaires de la
citoyenneté. Elle constitue rien de moins qu’une atteinte à la dignité humaine, en favorisant
une catégorie en défaveur d’une autre catégorie appelée victime, qui peut être une personne
physique (individu ou groupe) ou une personne morale (organisation, entreprise ou
institution). Selon D. Dommel (2003), la corruption ‘‘va jusqu’à menacer la paix par des
ventes illicites d’armes sous embargo. Elle achète tout : les témoins, les experts, les juges, les
voix des électeurs et ouvre la porte à la violation des droits de l’homme ; lorsque, dans un
pays, elle en vient à s’ériger en système, les réseaux qui maitrisent le système et en
bénéficient ne reculent devant rien pour le préserver’’.
En outre, la corruption remet en cause les fondamentaux de la démocratie. Dans le domaine
économique, il arrive souvent que la corruption maquille les crimes économiques affectant
directement les consommateurs, et ce, par exemple, en commercialisant des produits
(alimentaires ou médicaux) et services hors normes et illégalement à l’instar de la violation
des règles dans le secteur du bâtiment (autorisation, permis, propriété et mise en conformité).
Sur le plan social, la corruption crée des inégalités, sur fond d’exclusion sociale, par le fait du
favoritisme prévalant entre les différentes régions, les différents clans, suivant les catégories
d’individus, et qui va jusqu’à la ségrégation ethnique ou religieuse, en entretenant son
système d’arrosage clientélaire.
1-2-1 3/ L’entretien des logiques sociales et culturelles
Dans la société traditionaliste, la corruption favorise la multiplicité des actions
culturelles en dehors du cadre légale. La culture locale dispose d’un cadre réglementaire
social, régulant le fonctionnement de la société. Lorsqu’un litige oppose un corrompu à un
individu de la communauté, il est fait appel aux représentants des deux communautés, c'est-àdire à une médiation, pour trouver une solution susceptible d’éviter le recours à la justice.
Cette cohabitation des cadres formels légaux et informels légitimes se trouve entretenue par
les pratiques de corruption notamment par le biais des fonds versés sous forme de dons aux
caisses de la communauté ou encore des services rendus aux membres du lignage ou clan
grâce au réseau relationnel et à la clientèle acquise; la corruption avilit ainsi la morale de ces
structures ancestrales chargées de valeurs d’égalité et de justice sociale.
Les relations
interpersonnelles, basées sur des échanges sociaux corrompus, pervertissent les formes
176
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
organisationnelles traditionnelles et permettent l’émergence de nouvelles logiques locales,
clientélaires et amorales.
De ce fait, la corruption engendre des effets négatifs sur la culture locale, tant elle transforme
les relations sociales, déforme les valeurs sociétales et dénature les pratiques culturelles ou les
croyances collectives. Elle détruit, pour ainsi dire, la fibre de la moralité, tout en causant le
déclin social et discréditant la sagesse et les qualités morales des leaders locaux agissant pour
l’intérêt général de la collectivité, en les substituant par des « braconniers » attirés par les
avantages matériels privatifs au détriment de communauté.
1-3/ Peut-on percevoir des aspects positifs à la corruption ?
Durant les années 60-70, des chercheurs libéraux ont prétendument accordé sur le plan
théorique des aspects positifs au phénomène de la corruption, en tant que facteur de
développement économique. En l’occurrence, les arguments développés sont orientés vers les
bienfaits potentiels du au contournement des procédures administratives très contraignantes
ou rigides et de la lourdeur bureaucratique intenable. Mais, poser ainsi la problématique de la
corruption suppose que les acteurs organisant la corruption sont identifiables, connus et
agissent publiquement, alors que par définition la corruption est un acte dissimulé. Donc nous
nous retrouvons face à un choix pour le demandeur d’un bien ou service opéré sur un double
marché. Le premier marché officiel, légal, rigide, réglementé et accessible à tous et le second
marché, qui permet de réaliser des transactions économiques dans les conditions du premier
marché, mais en prenant les risques de sanctions et en versant des coûts supplémentaires pour
sa satisfaction. Cette optique est défendue particulièrement dans une société hyper-corrompue
où les acteurs ont tendance à forger ce genre d’arguments en développant un discours
justifiant et légitimant la corruption pour soutenir le développement de l’activité économique.
En période de transition, les managers d’entreprises privés captent les cadres du secteur public
(dépouillant ce secteur de ses compétences et des ressources humaines expérimentées), et ce,
en leur offrant des salaires et des avantages alléchants, car ils sont considérés comme des
passe-partout et capables de prendre en charge les problèmes auxquelles sont confrontées les
entreprises privées.
L. Ayissi (2008) s’est employé à battre en brèche cette thèse qui
considère la corruption comme un facteur de développement, et ce, en s’appuyant sur des faits
empiriques démontrant le contraire. Il considère qu‘‘en effet, la corruption existe toujours en
proportion inverse du développement, c’est-à-dire qu’elle ne se déploie qu’au préjudice de la
santé économique d’un pays, et un pays ne se développe économiquement qu’en minimisant la
pratique de la corruption’’. De notre point de vue, la corruption ne peut pas être un facteur en
177
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
faveur du développement économique, bien au contraire les conséquences nombreuses qu’elle
engendre, dont une partie a été développée précédemment, plaide pour le contraire. La
corruption ne profite qu’à ceux qui en tirent des avantages privés. C’est-à-dire à la minorité
des citoyens corrompus et corrupteurs et aux dépends de la majorité des populations et de
l’Etat qui subissent ainsi le fonctionnement biaisé de l’économie. Enfin, selon J. CartierBresson (1992) chaque argument sur les effets « positifs » attribués à la corruption peut être
contredit par un autre négatif, tel que présenté dans les deux tableaux suivant construits à
partir
des
arguments
relevés
dans
les
différents
articles
présentés
dans
AJ. Heidenheimer(1970):
178
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
Tableau N°9 : ARGUMENTS SUR LES EFFETS POSITIFS DE LA CORRUPTION
1 / Développement économique :
— Permet la formation du capital en l'absence d'un fort secteur privé, les profits accumulés dans la corruption
sont réinvestis.
— Diminue la paperasserie tatillonne de l'administration et offre une flexibilité à la politique centralisée et à la
planification.
— Favorise l'esprit d'entreprise et protège les minorités entreprenantes mais souvent discriminées (Chinois,
Juifs, ethnies minoritaires...)— Réduit l'incertitude (micro et macroéconomique) et favorise donc les investissements.
— Introduit une forme de concurrence en cassant certains monopoles (quotas commerciaux, réglementations
discrétionnaires des marchés...).
— Développe l'efficience, les entreprises les plus performantes à long terme pouvant payer les pots-de-vin les
plus importants grâce à leurs ressources.
2 / Intégration nationale et sens de la communauté nationale :
— Aide à légitimer les transformations de la société pour les exclus du nouveau pacte.
— Aide à créer un pont entre les élites modernistes enrichies et les pouvoirs politiques et économiques
traditionnels (principe de réconciliation d'intérêts divergents).
— Adoucit la transition entre les modes de vie, communautaire traditionnel et individualiste moderne.
— Résout les problèmes d'intégration des masses illettrées face à un appareil d'Etat constitué à partir de lois
universelles et de codes « extérieurs » à la tradition.
3 / Développement des partis politiques :
— Représente une source de financement des partis et renforce donc le parlementarisme.
— Autorise l'émergence de partis politiques liés aux secteurs dynamiques de la société.
— Provoque une professionnalisation de la politique.
4 / Augmentation de l'efficacité gouvernementale :
— Crée un contre-pouvoir au sein de l'administration et freine les effets pervers d'une « mauvaise » politique.
— Autorise une motivation et une mobilité des fonctionnaires non fondées sur la mobilisation idéologique
autoritaire ou totalitaire.
— Développe une reconnaissance des stimuli financiers et égoïstes qui améliorent le sens des responsabilités.
— Recolle les morceaux d'un pouvoir qui demeure souvent fragmenté, grâce à la constitution de réseaux
d'intérêts.
Source : J. Cartier-Bresson. « Éléments d’analyse pour une économie de la corruption ».
Monde, T.XXXIII, n°131, Juillet-Septembre 1992. P 592.
In revue Tiers
179
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
Tableau N°10 : ARGUMENTS SUR LES EFFETS NEGATIFS DE LA CORRUPTION
1 / Perte de ressources économiques :
— Développe la fuite des capitaux, l'ouverture de comptes bancaires à l'étranger.
— Crée une distorsion des investissements vers les secteurs corrompus et profitables.
— Epuise le travail qualifié par la recherche incessante de pots-de-vin.
— Est à l'origine du détournement de l'aide extérieure.
— Introduit des monopoles inefficients.
2 / Instabilité et destruction
des systèmes de légitimation et d'intégration :
— Bloque la transition institutionnelle en mettant en place une stabilité non moderne, axée
sur la débrouillardise.
— Erode la légitimité parlementaire et favorise, comme cause réelle ou prétexte, de
nombreux coups d'Etat militaires ou révolutionnaires antiparlementaires.
— Entraîne une réduction du sens moral, civique et communautaire. Développe le cynisme.
— Développe une idéologie de la pureté qui s'accompagne d'un fort totalitarisme ou
fanatisme de l'opposition.
— Peut exacerber les problèmes ethniques par le détournement de l'Etat au profit d'une
minorité.
3 / Désorganisation politique :
— Favorise le clientélisme et les systèmes de faveurs (famille, village...), les tensions
politiques ne passant plus par le cadre parlementaire.
— Discrédite les partis politiques.
4 / Réduction de l'efficacité gouvernementale :
— Freine l'application des « bonnes » mesures gouvernementales.
— Augmente' le coût des services publics et crée une fuite de ressources (taxes,
appropriation privée d'une partie des contrats...) vers le secteur privé.
— Augmente les tracasseries administratives pour créer de nouvelles opportunités de
revenus.
— La création de services anticorruptifs représente une perte de ressources publiques.
Source : J. Cartier-Bresson. « Éléments d’analyse pour une économie de la corruption ».
Monde, T.XXXIII, n°131, Juillet-Septembre 1992. P 593.
In revue Tiers
180
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
SECTION II : Les similitudes du phénomène de la corruption à celui de l’économie
informelle
Le phénomène de la corruption tisse des liens complices et implicites avec les activités
du secteur informel et de l’économie parallèle. À l’exemple de la faiblesse du niveau des
salaires qui pousse les fonctionnaires à chercher un revenu d’appoint pour arrondir les fins de
mois. Aussi certains vont-ils choisir de prendre un second emploi clandestin (travail au noir
car la fonction publique n’autorise pas l’exercice d’une seconde activité salariale), et ce,
évidemment au détriment de l’emploi formel et légal (un cumul d’emploi provoque le
surmenage puisqu’il les oblige à avoir un rendement meilleur) ; tandis que d’autres choisiront
de monnayer leurs services en créant les conditions obligeant les usagés à verser des
bakchich.
À bien y regarder, les objectifs des uns et des autres sont identiques. Les deux pratiques d’un
point de vue juridique relèvent de l’illégalité. L’imbrication des deux comportements est
possible. L’ouvrier qui va utiliser les équipements d’une entreprise dans son activité
clandestine se voit dans l’obligation pour s’assurer une couverture de son responsable
hiérarchique de reverser à ce dernier sa quote-part sous forme de pot-de-vin. Ce qui implique
que l’ensemble des catégories socioprofessionnelles, qu’il s’agisse d’un professeur, d’un
docteur, d’un simple employé de l’administration ou d’un ouvrier d’usine, parce qu’ils ne
parviennent – bien que travaillant à plein temps –, avec leur travail formel, à gagner assez
d’argent pour vivre, auront recours à la sphère informelle, en se tournant vers les diverses
pratiques corruptives.
Les liens entretenus entre les deux phénomènes dépendent à la fois des politiques
économiques engagées par les pouvoirs publics, la définition du cadre légal et illégal, de ce
qui relève de la sphère formelle et informelle et du traitement que l’on leur réserve : c’est-àdire les combattre ou les tolérer, voire même les inviter à rejoindre la sphère formelle de
l’activité économique. Les activités économiques, qui dépendent de l’informalité (fraude
fiscale et parafiscale, minoration du chiffre d’affaires, travail au noir, production clandestine,
contrebande), s’efforcent de trouver leurs attaches avec l’économie de la corruption
institutionnalisée dans le but d’atteindre la satisfaction des intérêts privés, en défaveur bien
sûr de l’intérêt général. La jonction de ces deux phénomènes dans un système national forme
un méga-Etat ou un sous-système parallèle au système global, engendrant du coup
l’affaiblissement des institutions de l’Etat qui se traduit par l’impuissance à faire face à
181
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
l’extension de l’économie souterraine, de plus en plus fonctionnant dans des logiques
incontrôlables et imposant les règles de l’informalité.
L’économie informelle est un domaine très vaste et à multiples facettes. En étudiant ces
diverses facettes, il devient possible de partager différentes perceptions de la corruption
pouvant donner lieu à des jonctions entre les deux phénomènes. En effet, la contrefaçon, la
fraude et la corruption sont perçues comme faisant partie intégrante des activités
économiques, du fait de l’incapacité des pouvoirs publics à mettre en application les
dispositifs réglementaires de surveillance, et ce, pour diverses raisons, notamment la
défaillance dans le contrôle des produits importés par rapport aux normes de qualité.
L’économie algérienne illustre ce constat à tous égards. Les activités parallèles en Algérie, en
effet, sont prédominantes. Elles sont prédominantes particulièrement sur le marché parallèle
des activités d’import-export, agissant légalement et illégalement (selon les produits et les
monopoles) opérant aux niveaux des ports et des frontières où s’observent les différentes
formes de fraudes, et ce, en violation totale des normes et des lois. C. Daubrée (1995), qui a
présenté un modèle d’équilibre général du marché parallèle, distingue deux types de fraudes
frontalières, à savoir : ‘‘La fraude « documentaire » dite « intellectuelle », et la fraude
« matérielle » dite « physique » ou encore appelée « contrebande »’’. La première a lieu lors
des déclarations auprès des services de la douane moyennant divers artifices tels que la sousdéclaration, le choix d’un régime fiscal avantageux ou encore en faisant de fausses
déclarations sur la qualité des produits importés ou exportés. La seconde consiste en un
contournement des différents points de contrôle institués.
En Algérie, le marché parallèle de l’importation est structuré sous forme de réseaux informels
en relation avec le monde militaro-politique, transgressant les règlementations relatives aux
transactions commerciales impunément; ces réseaux informels qui ont un fonctionnement
souterrain, avec un langage bien codifié, constituent l’ossature de la corruption.
2-1/ Les limites entre le formel et l’informel : formes de gouvernance
Pendant longtemps les chercheurs ont désigné sous le terme de secteur informel, les
activités de production qui sont repérées grâce à un ensemble de caractéristiques difficiles à
synthétiser et à regrouper dans une seule définition.
182
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
Ces activités en question se déroulent en dehors du circuit habituel (le circuit formel) ; et de
ce fait, elles échappent au contrôle des organes officiels de l'Etat, se mettant ainsi en marge de
la réglementation.
Cependant, il existe des activités informelles qui subsistent grâce au secteur officiel (formel).
Il arrive souvent que des ouvriers travaillant dans une entreprise publique, donc dans la sphère
formelle, « empruntent », à la fin de la journée, les outils de l'entreprise pour exercer
clandestinement leur activité parallèle chez les particuliers, c'est le cas par exemple du
plombier, de l'électricien ou du tâcheron dans le secteur du bâtiment. Voila donc comment le
secteur formel crée l'activité informelle.
Dans le même ordre d’idées toujours, il est fréquent qu’un responsable d'entreprise publique
attribue des offres de marché à des entrepreneurs de son choix pour la réalisation d'un ouvrage
donné, et ce, en contrepartie d'un service personnel rendu gratuitement par l'entrepreneur ;
lequel aura pu tirer profit du marché offert à des prix proposés et non négociés, et qui sont de
toute évidence supérieurs à ceux pratiqués sur le marché national.
Ainsi, un nombre important de petites activités sont-elles pratiquées le soir et les week-ends à
domicile par les employés du secteur formel, réalisant des travaux personnels qui sont
rémunérées en dehors du temps de travail de l'entreprise.
Cet ensemble d'activités diverses et hétéroclites se développe et prospère au sein des rouages
de l'économie officielle, qui souvent les tolère ou les autorise à exercer ces activités
illégalement. Selon B. Lautier (1994): " la question de la tolérance étatique vis-à-vis du non
respect des lois a des aspects extrêmement divers : contrôle indirect, concession au petit
patronat, mode de pérmanisation de dépendance personnelle. Mais une caractéristique
générale émerge, l’économie informelle n’est pas en dehors de la régulation étatique ; la non
observation du droit dans les pays du tiers - monde, suppose un bouleversement politique,
économique et social dont la réduction de ce mot d’ordre à l’organisation d’une compétition
politique libre masque étonnement l'ampleur".
Les pratiques de vol et de détournement du secteur structuré, appartenant généralement au
secteur public, sont parfois utilisées par certains responsables et employés, transférant des
biens du secteur formel vers le secteur informel.
Aussi faut-il noter que ces activités illégales sont exercées par l'ensemble des personnels à
commencer du simple ouvrier jusqu'au premier responsable de l'entreprise ; tous cherchant à
trouver les astuces et moyens pour spéculer autour de la production la plus fortement
demandée sur le marché.
183
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
Dans le cas de l'Algérie, ces pratiques ont toujours existé ; et plus encore, c'est toute la classe
politique, au pouvoir depuis plus de trente ans, qui est gangrenée jusqu’à la moelle par la
corruption.
Nous distinguons deux grands courants qui s'intéressent au phénomène de l'économie
informelle, et lesquels intègrent plusieurs variantes. La première concerne les pays
développés, celle-ci parle plutôt d'économie souterraine et se distingue par son champ
d'application, où il y a deux tendances qui se manifestent : la première approche met l'accent
sur les activités échappant aux autorités légales, en somme tout ce qui se fait en marge des
régulations publiques ; quant à la deuxième approche, celle-ci met l'accent sur la différence
qui existe entre l'économie "réelle" et celles dont les statistiques officielles rendent compte. À
savoir que cette économie réelle fait l'objet de plusieurs définitions : pour certains, elle intègre
les activités domestiques et pour d'autres, elle intègre les activités criminelles.
La deuxième variante est apparue dans le cadre du rapport de l'Organisation Internationale du
Travail sur le Kenya durant les années 1970 qui s’est attelé à expliciter l'existence de
l'économie informelle dans les pays en voie de développement.
Depuis, nous retrouvons deux catégories d'analyses représentant deux grandes familles. Il y a,
d'abord, ceux qui privilégient la rationalité économique des producteurs et qui relèvent de
l'analyse néoclassique, et puis la deuxième famille, qui fonde son analyse sur les critères
juridiques de légalité et d'illégalité.
Cependant, l’activité informelle et les actes de corruption subsistent dans les deux sphères. On
peut dire qu’à l’origine, la distinction entre activité légale et illégale, formelle et informelle,
licite et illicite, structurée et non structurée, était faite à partir de la création des Etats, des
institutions et des règles régissant leur fonctionnement. Leur qualification a évolué dans le
temps sous l’impulsion de l’universalisme des règles de droit et l’uniformisation des systèmes
politico-économiques. En effet, ce sont les règles de droit qui permettent de définir les limites
entre le formel et l’informel ; leur cohabitation constitue une forme de gouvernance pratique,
adaptée au rapport de force et aux caractéristiques des institutions de l’Etat : les gouvernants,
types d’Etat, mode de production et de consommation, milieux sociaux, et le cadre législatif.
On peut se retrouver face à six situations que nous schématisons dans le tableau suivant :
184
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
Tableau n° 11 : les cadres de croisement de l’économie informelle et de la corruption
activités
Cadres
Economie
Corruption
informelle
Corruptionéconomie informelle
formelle
1
4
7
informelle
2
5
8
Mixte
3
6
9
Source : résultats de nos recherches.
1/ correspond aux activités informelles qui se déroulent dans cadre formel, à l’exemple d’un
ouvrier qui utilise les équipements de l’usine pour des activités personnelles en contrepartie
d’un avantage donné ;
2/ correspond aux activités informelles qui se déroulent dans un cadre informelle ou non
structuré, cela peut concerner des activités licites ou illicites (activité réglementée ou
carrément prohibée comme la vente de drogue) ;
3/ correspond aux activités informelles qui se déroulent à la fois dans les deux cadres où l’un
va servir de rampe de lancement au second. Dans ce cadre mixte, des relations de soustraitance peuvent se tisser. Les grandes entreprises (cadre formel) font appel aux services des
petites manufactures, qui ne disposent pas d’une technologie nécessaire pour réaliser un
produit de façon intégrale, et ce, en confiant à ces entreprises informelles l’exécution du reste
du procèss de fabrication (les finitions ou les montages).
4/ correspond à la situation que nous définissons traditionnellement. Il s’agit des actes de
corruption qui s’opèrent dans un cadre formel, et qui touchent à tous les secteurs d’activités
publics et privés, comme par exemple c’est le cas lors des pénuries;
5/ correspond à la situation où les actes de corruption s’opèrent dans un cadre informel. La
production contrefaite nécessite des actes de corruption pour la faire passer d’une frontière à
une autre.
6/ correspond à la situation où les actes de corruption s’opèrent dans les deux cadres à la fois.
Une entreprise peut agir dans le cadre formel pour réaliser son activité en s’approvisionnant
d’un marché parallèle non conforme aux normes.
7/ correspond au croisement des activités informelles entachées de corruption et se déroulant
dans un cadre formel. Dans cette situation, la corruption se manifeste par la privatisation des
activités du secteur public.
185
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
8/ correspond au croisement des activités informelles entachées de corruption et se déroulant
dans un cadre informel. Tous les processus se déroulent en dehors du cadre légal et ils opèrent
sur le marché parallèle et clandestin.
9/ correspond au croisement des activités informelles entachées de corruption et se déroulant
dans un cadre mixte. Dans ce cas, une fluidité est assurée entre les deux cadres, formel et
informel, à l’aide des activités informelle et touchant à la corruption. Cette situation
symbolise l’absence et l’impuissance des institutions de l’Etat.
2-2/ Cadre référentiel à l’économie informelle
L'ensemble des qualificatifs attribués à l'économie informelle contribue et fait partie de la
définition de ces activités. L'autoproduction, la solidarité sociale et culturelle, le travail à
domicile, le travail non déclaré, l’évasion fiscale et les fausses déclarations peuvent faire
partie de la définition de l'économie informelle. C'est tout un mode de vie, de production, de
distribution, de consommation et d'épargne qui est concerné par l'économie informelle.
La qualification et l’intégration du phénomène de l’économie informelle dépendent du statut
que lui dédient les institutions de l’État ; lequel dispose des instruments statistiques et décide
de la politique économique qui détermine, en définitive, les critères objectifs de classification
de l'activité exercée. Ce sont ces critères qui peuvent nous permettre de faire les distinctions
entre le travail autonome, destiné à l'autoconsommation, tel que l'auto-construction dans le
cadre des activités bricolage personnelles et le travail fourni par un tâcheron du village qui en
reçoit la contrepartie de ses efforts payée en monnaie ou en nature.
2-2-1/ Aux origines du concept de l’économie informelle
Il y a près d'une trentaine d'appellations qui désignent le secteur informel selon des
écoles différentes. Cette multiplicité d'appellations se manifeste par la variété des références
retenues par les chercheurs. Le terme de secteur informel 2est employé pour la première fois
dans une étude sur le Ghana dont les résultats furent donnés dès 1971. Le Bureau international
du travail (BIT) a repris ce concept dans un rapport publié en 1972 sur la situation de l'emploi
urbain au Kenya, et ce, dans le cadre du programme mondial de l'emploi lancé en 1969. Ce
concept désigne pour le BIT l'ensemble des petites entreprises individuelles non capitalistes.
Cette définition repose sur les critères suivants :
- facilité d'accès pour les nouveaux entrants ;
2
En anglais informal sector : qui signifie irrégulier ou non officiel en se référant à la forme et à l'absence de
règles
186
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
- utilisation par les entreprises des ressources locales ;
- technologie à forte intensité de main-d'œuvre («labour intensive") ;
- propriété familiale des entreprises ;
- petite échelle des opérations ;
- marché de concurrence non réglementé ;
- et qualification hors du système scolaire officiel.
2-2-2/ Définition de l’économie informelle
A. Henni (1993) considère que "n'est informelle que la pratique qui n'est pas légitime
dans la représentation légitime des pratiques légitimes". En d'autres termes, l'emploi du
concept d'économie informelle renvoie à une définition qui exclut tout ce qui est formel et
légal des pratiques illégitimes. L'activité informelle englobe une multitude d’activités
couvrant l'ensemble des disciplines des sciences sociales et humaines.
Nous considérons, pour notre part, comme activité informelle, toute activité légale et illégale,
qui échappe totalement ou partiellement à la législation et au regard de l'Etat, et ce, quels que
soient le statut et la nature de la personne l'exerçant (morale ou physique) et de l'activité
(marchande et non marchande) concernée ; que celle-ci soit traditionnelle ou moderne,
destinée à la consommation propre ou à l'usage d'échange, qu’elle se déroule dans les
institutions à caractère public ou dans le secteur privé, qu’elle soit exercée à titre exclusif ou
répétitif et enfin, qu’elle relève d’un seul ou de tous les domaines (économique, culturel,
administratif... etc.), et qu’elle soit licite et illicite. De cette définition, nous relevons (B.
Abrika, 1999):
A/ la distinction des activités
- illégales à savoir toutes les activités que la loi n'autorise pas, telles que la
prostitution, le vol, l'escroquerie, les jeux de hasard, fabrication de fausses monnaies,
usurpation..., etc.
- légales et qui sont reconnues comme activités légitimes, mais qui se caractérisent par
le non-respect total ou partiel de la réglementation des impôts, des assurances, des
règles de l'hygiène et sécurité.
B/qu’elle concerne des personne physiques et des personnes morales ayant un statut
- d'entreprise : micro-entreprise, PME/PMI ou grande entreprise.
- d'artisan individuel ou collectif.
- de coopérative d'emploi de jeunes ou artisanale.
187
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
- du secteur public et privé.
C/ que les activités exercées relèvent de la sphère marchande, composée de biens et services
et de la sphère non-marchande.
D/ que les activités peuvent être soit traditionnelles – et généralement rurales là où subsistent
des rapports de production considérées comme archaïques –, soit modernes ayant une
technologie de pointe et une production urbaine qui passent par les circuits de distribution
organisés et qui utilisent de grands moyens.
E/ que la production, qu'elle soit destinée à être consommée ou utilisée par les membres de la
famille, ou à un échange sous toutes ses formes (troc, don contre don, monnaie ..., etc.).
F/ que les activités peuvent concerner les institutions publiques ayant un caractère
administratif ou un caractère économique et social ainsi que les entreprises publiques qui
produisent des biens et services.
G/ que l'activité peut avoir lieu pour la première fois, à titre exclusif ou bien à répétition
devenant alors activité routinière (telle que définie par le droit commercial).
H/ qu’il s’agit, enfin, des activités qui relèvent de tous les domaines
- économie: la production des biens et services (bricolage, garde d'enfants ou
nourrices, jardinage... etc.).
- administration : les services rendus en contrepartie de pots-de-vin, d’intérêt
individuel ou en tirant profit d’un poste ou d’un statut donné pour attribution
d’avantages autres que ceux prévus par les textes.
- culture: entraide, solidarité, bénévolat... etc.
- société: tout ce qui concerne les valeurs humaines.
Cette définition synthétique montre qu’il y a une similitude, l’un dans l’autre, entre les deux
phénomènes. Nous allons voir en partie les croisements entre l’activité informelle et la
corruption.
2-2-3/ Contrebande et économie de l’ombre
Aux origines de l’économie parallèle, A. HENNI (1991) définit trois facteurs qui se sont
conjugués, durant les années 1970, donnant naissance à l'économie parallèle de distribution : "la
révolution agraire; la multiplication soudaine des recettes pétrolières; et l'explosion
démographique de la demande." Ces trois facteurs ont évolué dans le cadre d’un système rentier
très organisé. Une complémentarité et une complicité s’opèrent entre les réseaux de la distribution
informelle et les acteurs de la corruption qui organisent le détournement des produits demandés par
les consommateurs, vers le marché parallèle. Créant ainsi des pénuries qui ne correspondent pas, en
188
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
réalité, à des situations de rupture de stocks synonymes de l’incapacité de couvrir la demande des
populations, mais bien au contraire c’est l’existence d’un marché souterrain parallèle, d’une chaîne
d’intermédiaires, qui stimulait et alimentait les déséquilibres, en instaurant un double marché aux
niveaux de la production et de la distribution.
De ce fait, la pénurie, organisée par des spéculations, engendre des déséquilibres sur le marché de
l'offre et de la demande, affectant les consommateurs en première position, et puis les entreprises
publiques. Durant les années 80, en Algérie où la corruption à connu son plein essor, l’économie de
l’ombre se généralisa et a donné naissance à des circuits occultes ou parallèles, fonctionnant dans
des réseaux monopolistiques. Il s’en est suivi un foisonnement de la spéculation marchande dans
tous les domaines. Faisant son apparition, le marché « noir », était l’apanage des contrebandes qui
se sont saisi des incroyables opportunités offertes par la revente en état des produits de premières
nécessité subventionnés par les pouvoir publics, et ce, en les transférant, via les frontières terrestres,
vers les pays voisins où ces produits sont cédés à des prix forts. Parallèlement, des transactions dans
le sens inverse se font pour les produits prohibés tels que le tabac et les alcools. Ce marché
fonctionne dans un cadre informel et clandestin grâce aux pratiques de corruption qui permettent
d’assurer le transfert des marchandises par circuits sécurisés en contrepartie de pots-de-vin versés
aux gardes frontières.
Ainsi, les similitudes sont nombreuses, la recherche du gain facile s’accouple avec la fraude
fiscale et parafiscale, l’immoralité, le transfert des capitaux à travers des circuits occultes. La
spécification de la grande et petite corruption trouve ses attaches dans les caractéristiques du secteur
informel définies précédemment et qui partagent les mêmes causes à l’origine de leur expansion.
2-3/ Causes justifiant le développement de l’économie informelle
Les causes du développement des activités informelles sont diverses, elles se
chevauchent et se complètent en même temps, elles se rapprochent d'un type de culture à un
autre et d'une politique économique d'un pays à un autre, et puis souvent ces causes se
complètent et se composent avec le passé des pays du tiers monde. Plusieurs facteurs sont
avancés pour l'explication des causes du développement des activités informelles. On
retiendra cinq facteurs dans les pays du en développement, B. Abrika (1999):
- La première cause est relative à la situation de pauvreté prévalant dans les pays du tiers monde,
qui est, en grande partie, due aux structures du secteur moderne et des politiques préconisées par les
États, ainsi que les monopoles pratiqués sous toutes les formes et qui se répercutent négativement
sur le niveau de vie des populations. La misère qui n'a pas cessé de croître dans les pays du tiers
monde, associée à des inégalités, obligeant les couches les plus déshéritées et démunies, qui sont
189
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
sans ressources, à accepter toute proposition, en attendant de trouver quelque chose de meilleur.
Selon E. Assidon (1992), "l'informel et la pauvreté se chevauchent de multiples façons sans qu'on
puisse privilégier une relation unique entre les deux réalités : la planification des activités
informelles peut bien correspondre à des stratégies de survie, mais les premières ne se réduisent
pas aux secondes, ni réciproquement". Il y a un rapport de cause à effet indéniable entre la pauvreté
et l’économie informelle.
- la seconde cause se réfère au marché du travail et au nombre de chômeurs trop élevé. L'incapacité
du secteur moderne industrialisant à absorber les masses de main-d'œuvre disponibles sur le
marché, suite à l'explosion urbaine liée à l'exode rural et à l'accroissement démographique des pays
du tiers monde. Face à cette situation de déséquilibre au niveau du marché, le secteur informel joue
le rôle de régulation de l'emploi, permettant ainsi de satisfaire de nombreux chômeurs sans
expérience;
- la troisième cause est relative au déséquilibre existant sur le marché des biens et services ; carence
qui a pour effet de créer des pénuries autour des biens de large consommation. Il s’ensuit des écarts
existants entre les salaires perçus et les prix des produits offerts sur le marché parallèle.
Aussi l'insatisfaction de la demande interne constitue-t-elle la cause du développement des activités
informelles dans les pays du tiers monde, bien qu’elle se manifeste différemment, selon le système
politico-économique employé;
- la quatrième cause est liée à la complexité des démarches administratives, entretenue par la
corruption bureaucratique ravageuse, et bloquant la création d’entreprises créatrices de richesses.
- le dernier facteur peut s'expliquer par l'accroissement des activités du secteur moderne. L'adoption
par les pays en développement des modèles de croissances importés dans le but de créer de l’emploi
s’accompagne d'autres conséquences au niveau de l'emploi. En fait, chaque nouvelle activité qui
vient s'installer dans ces pays entraîne la création d'autres activités de taille inférieure dans son
environnement, par les services que ces pays offrent et leurs interférences dans les circuits de
distribution. B. Lautier (1994) avance trois types de réponses: "- Pour les uns, c’est la faible
capacité du contrôle étatique qui est en cause ; l’Etat - Nation peut être récent et mal contrôler son
territoire ; ou encore son administration peut être insuffisante en nombre comme en qualité. - La
deuxième réponse, libérale est tout à fait opposée : c’est l’excès d’intervention étatique, en matière
de réglementions, comme la pression fiscale et parafiscale, qui fait que certains acteurs de
l’économie se réfugient dans l’informalité.- La troisième réponse refuse l’a priori selon lequel
l’Etat cherche à généraliser son contrôle et pose donc le problème des fonctions jouées par la
tolérance étatique de l’illégalité. Cela conduit à interroger la frontière tracée entre informalité et
190
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
criminalité : cette dernière (particulière le macro -trafic, la contrebande et la corruption) entre
également dans le cadre d’analyse ; c'est une forme particulière de l’économie informelle".
Dans les pays en développement, l'économie informelle est une réponse à l'impossibilité
qu'ont les appareils d'État et le secteur moderne à couvrir l'ensemble de la force de travail et de ses
besoins fondamentaux en biens et services. Face à la situation de crise que traversent ces pays, les
politiques à adopter par les pouvoirs publics sont prises à cheval entre l'interventionnisme et le
libéralisme, d’après E. Archambaut et X. GREFFE (1984): "elles cherchent à codifier, à
normaliser, à légaliser, des activités qui échappent à son contrôle, ne payant pas l'impôt, ne
respectant pas le code de travail, ne répondant pas aux règles de sécurité ou de salubrité et
prennent ainsi des mesures de déguerpissement ou
d'interdiction
des
activités
pratiquant
la « concurrence sauvage »; mais en même temps, elles savent que à se recréent à la périphérie des
habitats spontanés, des commerces non patentés ou des transformations de produits de
récupération et que leur suppression aggraverait la crise économique et sociale".
On retrouve ces causes, favorisant l’apparition et le développement des activités informelles,
identiques à celles des actes de corruption qui trouvent en générale leur terrain de prédilection dans
la rigidité et la lourdeur bureaucratique créatrice des files d’attente artificielles, parasitant les
circuits de production et de distribution des biens et services en général ainsi que de la redistribution
de la rente en particulier.
La fuite des capitaux amassés à l’ombre de l’économie de la corruption se fait via le marché de
change parallèle de la devise en Algérie. La crise de janvier 2011, qui a touché les dirigeants et les
nomenklaturas des régimes des pays voisins a poussé de nombreux individus à recourir au change
parallèle dans l’optique de transférer des capitaux mal acquis vers des destinations sûres, faisant du
coup flamber les taux de change sur le marché parallèle de la devise.
L’ampleur et l’ancrage de l’activité de l’économie informelle dans la société algérienne ont atteint
un niveau de prédominance, fragilisant et maintenant sous perfusion le fonctionnement du système
productif national, dopé par l’économie de la corruption.
L’évolution historique de l’économie algérienne est jalonnée par une présence permanente des
activités parasitant son fonctionnement ordinaire, prenant graduellement des proportions
particulières, selon les périodes (celle des années 60-70 marquée par le populisme et la rente
pétrolière, celle des années 80-90 affectée par la crise et des pénuries graves et celle des années
2000 où un programme de réforme est engagé avec une considérable manne financière). Cet état de
fait accompli est assimilé aujourd’hui à une forme de privatisation des institutions étatiques. Le
mode de gouvernance algérien a permis l’émergence d’une forme de privatisation informelle des
services publics, érigeant tacitement et progressivement des règles informelles dans la gestion des
191
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
procédures de l’appareil étatique, à travers la multiplication et la diversification des intermédiaires
clientélaires.
Cette privatisation des missions de l’Etat, cédées à des courtiers de manière informelle, vide les
institutions étatiques de leurs substances, provoquant par conséquent le discrédit de l’État en faveur
d’acteurs agissant dans l’informalité pour des intérêts privés.
SECTION III : La question de la corruption dans les systèmes politico-économiques
La corruption est un phénomène qui se manifeste sous diverses formes dans tous les
systèmes politico-économiques. Cependant, le degré de corruption par rapport au type de
régime politique n’est pas une évidence. Selon les approches, certains développent l’idée que
les régimes autoritaires de type bureaucratique sont beaucoup plus corrompus pour des
raisons de monopole, d’abus de pouvoir et d’absence de transparence et de libertés (la
dégradation des droits de l’homme) concernant notamment les médias qui ont peur de
divulguer les grosses affaires de corruption, participant ainsi à la banalisation des actes de
corruption. Pourtant la corruption n’est pas le propre de ces régimes, elle affecte aussi les
démocraties où les grands scandales financiers et politiques sont étalés sur la place publique.
La variable corruption joue un rôle prépondérant dans un système politico-économique de
concurrence. Le besoin de s’affirmer, de maintenir sur le marché politique (sujet controverse
lors des compagnes et de sanction des électeurs), dans le cadre d’une compétition politique
ouverte sur l’alternance démocratique, nécessite de mobiliser de plus en plus de budgets
électoraux, en recourant aux réseaux de financement informels de corruption. Comme le
décrit G. Blundo et J.-P. Olivier De Sardan (2007) à propos des pays postcoloniaux qui ont
des trajectoires différentes telles que celles du ‘‘Bénin (régime « marxiste » pendant 15 ans),
le Niger (où la chefferie administrative est restée, depuis la colonisation jusqu’à nos jours, la
seule forme de pouvoir local dans les campagnes) et le Sénégal (réputé pour son expérience
démocratique et sa décentralisation ancienne) offraient quand même des tableaux
relativement contrastés et variés de la petite corruption et de son contexte. Or il n’en est
rien’’. A partir de ce cas, on peut conclure que les types de régimes peuvent être différents,
même s’ils aboutissent à un système identique de corruption qui engendre un
192
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
dysfonctionnement généralisé de l’administration. Le poids de l’héritage colonial ne doit pas
être sous-estimé.
Dans cette question nous allons traiter de la corruption dans les économies de pays exsocialistes, libéraux, et puis du cas de l’Algérie.
3-1/ La corruption dans les ex-pays socialistes
Dans les économies des ex-pays socialistes, calquées sur le type soviétique,
l’apparition de la corruption est caractérisée par une forte présence de pénuries cycliques qui
se manifestent sur le marché en raison d’une offre en biens et services insuffisante ou de
défaillances artificielles crées par les réseaux de l’économie parallèle. Dans ce système,
l’activité économique est subordonnée à la décision politique centralisée du régime et qui en
vérité est à l’origine du système de corruption généralisée. Une corruption qui se singularise
par le parasitage du mode d’organisation à l’effet de provoquer des dysfonctionnements dans
les réseaux de distribution, et ce, par l’intermédiaire des opérateurs informels qui se sucrent
de pots-de-vin.
3-1-1/ La corruption dans une économie de type soviétique
La corruption dans une économie de type soviétique prend de l’ampleur dans le cadre
du système économique largement contrôlé par le parti (Parti-Etat) et la bureaucratie dans les
réseaux de distribution. Ce faisant, les relations ont été constituées entre le secteur formel et
informel formant des réseaux sociaux fonctionnant sous forme de système influant sur le
cours des décisions politiques. Ces réseaux se sont affirmés en période de crise
particulièrement durant les phases de transition et de privatisation et ont amplement contribué
au développement de la corruption. Instituant, consolidant et diversifiant des réseaux
relationnels entre les secteurs public et privé, dans un contexte d’échange dominé par l’élite et
marqué par un manque de transparence, cette configuration offrira plein d’opportunités de
corruption aux dirigeants dotés de nouvelles attributions discrétionnaires, particulièrement
concernant les opérations de privatisation et d’octroi de subvention et d’autorisation
d’exploitation privée pour certaines activités relevant du monopole du secteur public. ‘‘En
conséquence, la force des institutions politiques et administratives dépend de l’engagement
des élites à prendre le problème de la corruption au sérieux, ainsi que de leur confiance dans
les autorités et institutions gouvernementales.’’ A. Stehen (2004).
D’après J. Cartier-Bresson (1997) il y a cinq phénomènes qui engendrent des opportunités de
corruption et une forte augmentation des coûts de contrôle. Notamment, les divergences
193
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
d’intérêts entre les différents réseaux pour accéder au contrôle des biens collectifs et le
positionnement dans l’appareil du parti, source des pouvoirs discrétionnaires clientélistes, et
qui se trouve investi par les réseaux de la corruption ; et le tout associé à la défaillance du
système d’information et de coordination des décisions économiques.
3-1-2/ Le développement du système de pénuries
L’incapacité des décideurs politiques à dépasser les situations de déséquilibre sur le
marché des biens de première nécessité, commercialisés à des prix administrés, crée des
tentions permanentes autour des besoins des consommateurs.
Le système économique basé sur la pénurie se développe à deux niveaux. Au premier niveau,
des pénuries sont organisées par des réseaux puissants bénéficiant du soutien de ceux qui sont
bien placés dans la hiérarchie de l’Etat et qui en l’occurrence usent de leur pouvoir
discrétionnaire pour détourner une partie de ces biens vers le marché parallèle, et ce, en
contrepartie du versement de pots-de-vin conséquents.
Le second niveau est celui des
marchés parallèles où s’échangent les biens de consommations détournés du circuit officiel,
par le biais des transactions de la petite corruption, vers les réseaux de distribution informelle
loin des files d’attente.
La corruption dans ce sens joue le rôle de la régulation dans le processus de distribution,
partant du niveau central jusqu’à l’échelle locale, grâce à l’appareil bureaucratique garant des
intérêts des oligarchies centrales et des notabilités au niveau local. Il s’agit en somme d’un
système bien rôdé mettant en place des mécanismes parallèles et clientélaires, coalisant des
intérêts personnels, en tirant profit de la proximité discrétionnaire avec des élites
bureaucratiques.
3-1-3/ Le passage vers l’économie de marché
La constitution d’une nomenklatura, composée de dignitaires tirant avantage des
privilèges bureaucratiques gérés par des apparatchiks corrompus et s’accrochant aux postes de
gouvernance du pays, a permis de ramasser des capitaux importants. Une perspective qui en
fait a conditionné le choix des futurs dirigeants d’entreprises dans le cadre de la transition vers
l’économie de marché, entretenant une confusion entre les sphères publiques et privées neopatrimonialiste et combinant le clientélisme et la gestion des ressources publiques.
Le passage d’une économie administrée vers l’économie de marché n’est pas une simple
opération mécanique, elle suscite des résistances et des réticences particulièrement de la part
194
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
des dirigeants formatés dans une logique de gestion bureaucratique du marché bien
accommodée à la corruption. Des blocages multiples d’ordres économique, politique, social,
culturel et psychologique entravent cette transition et introduisent de nouvelles méthodes
adaptées à cette période, en soutirant des avantages considérables (pots-de-vin) à l’occasion
des opérations de privatisation et des programmes de mise à niveau des économies.
La
recherche de rente prend d’autres formes pour la captation des ressources.
R. Bnou-Noucair (2007) fait remarquer que, dans les rapports établis par FMI durant les
années 90, les prêts qui devaient servir à aider la Russie à éponger sa dette, ont été sujets à des
détournements, avec la complicité de la banque centrale mise au service d’une caste de
spéculateurs, qui se sont enrichis illicitement. Le processus de libéralisation des économies
des pays de type soviétique a produit une mutation dans les comportements des dirigeants en
fonction. Les opérations de privatisations ou la liquidation des actifs de l’État, bradés, s’est
fait à l’avantage de la nomenklatura qui a créé des opportunités de corruption inouïes, dans
une conjoncture marquée par la déliquescence des économies et le désengagement progressif
des États à travers des restrictions budgétaires et une libéralisation outrancière.
La période des réformes fut aussi un moment d’expansion d’opportunités de corruption. Les
réformes ne se décrètent pas, elles nécessitent du temps pour opérer les changements
adéquats. Autant la période de transition demeure incontrôlée et inopérante, autant elle
engendre des coûts supplémentaires. Les contradictions entre les discours et la réalité des
politiques engagées pour les changements apparaissent souvent sous forme de tensions que les
groupes de pression suscitent dans le but de préserver leurs privilèges, en tirant davantage
profit des situations de statu quo. Ainsi, les périodes de transition et de réforme, jalonnées par
l’instabilité politique et la désorganisation des économies, dans un contexte assimilable à une
sorte d’anarchie organisée, constituent des moments propices plutôt au développement de la
corruption qu’à sa réduction ou à sa maitrise. Cela est dû au fait que les dirigeant évoluent
dans le nouvel environnement avec d’anciens réflexes incompatibles et inadaptés au
fonctionnement de l’économie de marché.
Le passage vers l’économie de marché des ex-pays socialistes et bureaucratiques se heurte,
en premier lieu, à la rigidité des habitudes des fonctionnaires de l’administration connus pour
leur lourdeur et leurs blocages corruptifs. Le changement, en fait, dévoile au grand jour la
faiblesse de l’administration, tandis que le secteur privé prend le dessus dangereusement sur
l’État embryonnaire habitué plutôt aux situations de monopole (créatrice de rentes) non
concurrentielles et un environnement législatif inadapté aux nouvelles règles du marché.
195
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
L’incertitude et le flou qui entourent les réformes économiques, sociales et législatives
constituent un terrain de prédilection à l’essor de la corruption dans ce type de pays.
3-2/ La corruption et les politiques de type libérale
Comme nous venons de le voir, la corruption n’est pas le propre des économies de
type socialiste, elle se manifeste partout y compris dans les pays libéraux qui fondent leur
économie sur le libre marché, érigé en principal agent de régulation. En ce sens, dans les pays
capitalistes, l’État en tant qu’appareil est subordonné aux monopoles capitalistes et utilisé
pour élaborer des politiques permettant l’intervention dans l’économie des pays tiers dans une
perspective stratégique d’expansion et de maximisation des profits et afin d’asseoir ainsi le
pouvoir du capital. L’État est ainsi appelé à élaborer une idéologie dont la caractéristique
fondamentale est la prévalence du marché sur celle de l’État, entraînée par la vague
néolibérale partie des États-unis d’Amérique (Y. Mèny 1996).
L’instrumentalisation des institutions étatiques se fait à travers le marché. Cette approche avec
son apologie expansionniste s’est imposée durant la crise qui aboutit à l’effondrement du bloc
socialiste, enclenchant dans son sillage des politiques de déréglementations et de privatisation
permissives. La transition enclenchée dans les ex-pays socialistes par les organismes
internationaux, a été construite, sur fond d’un discours qui arrondit les angles, en associant la
lutte anticorruption aux politiques d’ajustement structurelle, et ce, dans le cadre de processus
de démocratisation de type libéral, parfois menés sauvagement.
Les politiques libérales ne sont pas exemptes de pratiques de corruption, d’ailleurs le
démantèlement de l’arsenal politico-économique et juridique des ex pays socialistes suivi de
l’application de nouvelles politiques anti-étatiste (comme source d’apparition de la rente) n’a
pas abouti vers la fin de la corruption ; bien au contraire, durant particulièrement la période de
transition, la corruption a culminé de façon invraisemblable en atteignant le summum de
l’intolérable. Selon J. Cartier-Bresson (1992), ‘‘le désengagement de l’État devient un crédo.
Il permet selon les libéraux, la libération de l’énergie créatrice des entreprises privées et la
fin de l’Etat bureaucratique, despotique et corrompu responsable de tous les maux
précédents. C’est ainsi que la mise en œuvre de politique d’ajustement se fait contre l’Etat et
la corruption qu’il est censé secréter irrémédiablement’’.
Dans ce nouvel environnement, ordonné par les politiques libérales et dominé par le discours
de la croissance économique, les flux financiers spéculatifs et les mécanismes de la corruption
s’internationalisent formant une droite parallèle à celle de la nouvelle vague de libéralisation
mondialisant les échanges économiques. Alors que la baisse de l’intervention de l’Etat peut
196
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
éliminer la corruption liée à la recherche de la rente, la réduction du rôle de l’Etat face à la
prééminence du marché accouche de la grande corruption de type mafieux qui se développe
surtout dans le cadre des grands marchés internationaux, particulièrement dans le domaine de
l’industrie militaire.
Un contexte qui est marqué par la concomitance des effets et causes de la corruption,
multipliant ainsi les échanges parallèles au marché légal, au rythme de l’accroissement du
commerce et de l’économie mondiale, interconnectant les réseaux nationaux qui participent à
la mise en place d’un système de corruption internationalisé. A chaque opération commerciale
au niveau international correspondra conséquemment une quantité de corruption. L’image du
marché de la corruption internationalisée change en arrangeant ses formes, son organisation et
ses réseaux, en mettant en place des instruments adaptés aux gigantesques transactions,
notamment les instruments de payement internationaux sécurisés et accommodés aux paradis
fiscaux.
Ce qui modifie globalement les échanges économiques au niveau international à travers les
relations de corruption systémiques. Y. Mèny (1996) décrit ces relations à ce niveau là
comme étant ‘‘singulièrement complexes dans la mesure où elles mêlent les intérêts privés
légitimes (ceux de l’entreprise) ou moins honorables (ceux des courtiers) avec des intérêts des
partenaires politico-administratifs agissant soit au titre des intérêts publics considérés
comme légitimes (soutien à l’exportation, défense des positions nationales) soit en tant que
parties intéressées directement à l’échange délictueux’’.
3-2-1/ L’État et corruption dans les politiques libérales : place du secteur public
La libéralisation des économies dans le monde a redéfini les relations entretenues entre
les secteurs public et privé au niveau infranational et supranational. Une conception de
relations s’étendant de celle qui concède la primauté au marché jusqu’à celle qui
s’accommode de plus en plus avec la réduction du contrôle de l’Etat dans les divers domaines.
Cependant le peu d’Etat, aussi minime soit-il son rôle, implique implicitement un pouvoir
qu’on apprécie différemment, selon les conjonctures. En période de stabilité, de croissance, ce
rôle est réduit à néant ; un regain d’intérêt envers l’État se manifeste plutôt en période de crise
et d’instabilités multiples telles que celle ayant trait à la bulle financière provoquée par la
spéculation immobilière et laquelle s’est accompagnée d’une remise en cause système
financier mondialisé. L’institution de l’Etat, entité publique par excellence, a été mise en
branle pour sauver la finance internationale au détriment des contribuables, c’est-à-dire en
comblant les déficits consécutifs à la faillite financière par des politiques budgétaires.
197
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
Le pouvoir discrétionnaire accordé au secteur public dans les politiques libérales, même
réduit, n’éradique pas la corruption, et d’évidence les grands scandales qu’ils soient financiers
ou autres étalés quotidiennement dans les médias n’indiquent pas le contraire. En réalité, il
s’agit simplement d’un transfert d’une partie des pratiques de la corruption vers le secteur
privé qui prédomine dans les transactions commerciales et l’activité économique d’une façon
général.
Un rapport s’établit alors entre les deux sphères, publique-privée. Certaines grandes sociétés,
en l’occurrence les multinationales du secteur privé, qui disposent d’un grand pouvoir
économique, exercent de l’influence abusive sur la prise des décisions politiques, en utilisant
le pouvoir de l’argent versé sous forme de pots-de-vin aux partis et aux responsables
politiques. Cette permissivité cause des conséquences extravagantes provoquant des dégâts
écologiques, environnementaux et des atteintes aux droits humains. Le vote des politiques en
faveur de l’exploitation du nucléaire illustre, à juste titre, les motivations et préoccupations
qui animent les décideurs. La non-réglementation de ce genre d’influence, en faveur des
opérations de lobbying politique, engendre l’instauration des systèmes Kleptocratiques.
Il est clair, par ailleurs, que la relation entre les agents de la fonction publique et les
entrepreneurs du secteur privé, qui s’accompagne d’une transgression des règles d’usage dans
les appels d’offres lors des passations de marchés publics et évoluant dans l’opacité,
augmente les opportunités d’échange de la corruption.
3-2-2/ La corruption et le secteur privé
Le rapport mondial, élaboré par Transparency International en 2009 sur la corruption
et le secteur privé, relève les pratiques de corruption, de la fraude et de l’abus d’influence
analysées dans les entreprises privées. La corruption du secteur privé au niveau mondial coûte
des milliards et entrave la croissance économique durable, notamment à travers l’abus
d’influence sur les politiques publique et les arrangements autour des prix par les cartels. Ce
rapport montre comment les pratiques de corruption forment une force destructrice qui
entrave la compétition équitable et qui pousse les entreprises à la mutualisation des
sabordages, causant des charges colossales. Certains dirigeants à la tête d’entreprises privés
abusent de leur position et du pouvoir discrétionnaire qui leur est confié pour tirer des
avantages personnels au détriment des propriétaires actionnaires ou des autres composantes de
l’entreprise.
Ainsi, en distinguant la corruption qui met en cause les agents publics de celle du secteur
privé, il apparait que la corruption se développe aussi entre les agents strictement privés.
198
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
Comme on vient de le constater, à travers le rapport de Transparency International, on peut
conclure que toute forme de délégation de pouvoir discrétionnaire favorise l’émergence des
pratiques corruptives. La concurrence en vue de s’accaparer le plus de parts de marché qui
s’engage entre les entreprises privées ainsi que les conflits d’intérêts privés ou individuels
constituent des circonstances propices à l’éclosion de la corruption. Pratiques qui peuvent
affecter l’entreprise au niveau interne ou par action externe. C’est ce que nous constatons lors
des espionnages industriels, la production frauduleuse..., etc.
Aussi, J. Cartier-Bresson (1997) retient trois ‘‘exemples d’opportunité de corruption privée
aux effets économiques pervers : la délégation de pouvoir, la qualité des biens et enfin la
possibilité d’externalités’’. Il faut ajouter à cela la qualité de l’environnement interne et
externe servant de cadre à l’activité économique et aux transactions commerciales.
3-3/ Le cas algérien
L’Algérie a connu, depuis son accession à l’indépendance, en seulement cinq
décennies, plusieurs phases distinctes marquées par des pratiques de corruption qui ont
entravé le développement naturel de son économie, malgré les atouts dont elle dispose
notamment des ressources naturelles importantes et des potentialités humaines avérées. Cette
situation paradoxale entraînera une double dépendance phénoménale : celle de la rente issue
des exportations en hydrocarbures et celle des importations (dépendance alimentaire) des
biens de consommation. Par conséquent, le peuple algérien, qui consomme des produits
d’importation entretenant l’économie de bazar, est devenu dépendant pour sa survie à 98%
des recettes des hydrocarbures.
Nous allons voir comment a évolué le système algérien depuis 1962.
3-3-1/ Période de l’économie administrée (économie dirigiste)
La mainmise du régime algérien sur la rente pétrolière, dans le cadre d’une économie
dirigiste centralisée basée sur le monopole public, a offert pour une catégorie de dirigeants et
proches du cercle décisionnel du régime le privilège d’accéder aux ressources du pays et en
disposer discrétionnairement à titre privatif. En effet, après avoir nationalisé les biens vacants
(hérités des colons) dont quelques privilégiés se sont appropriés par le pillage sous diverses
formes et au nom du socialisme, les nantis du régime s’arrogèrent un droit de propriété sur la
rente de l’Etat en y disposant à leur guise. Le monopole étatique sur l’économie
s’accompagnera immanquablement par un effet domino, qui touchera nombreux aspects de la
199
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
vie publique, notamment s’agissant de l’inconvertibilité du dinar qui instituera un monopole
sur la monnaie, faisant de l’accès aux devises un privilège.
Ainsi, le choix idéologique du capitalisme d’Etat rend illicite l’accumulation des capitaux
dans le secteur privé, qui n’est toléré que pour deux catégories durant cette période, les
anciens maquisards et les officiers de l’ANP. Ces deux catégories, associées aux dirigeants
politiques à tous les niveaux et jouissant d’un pouvoir étendu et sans contrôle pour accéder
aux crédits et devises étrangères cumulaient entre les mains toutes les garanties d’un
enrichissement facile et sans limite.
Les programmes d’industrialisation et les opérations d’importations deviennent alors une
aubaine pour l’enrichissement illicite, en prenant des pots-de-vin, souvent placés dans des
banques à l’étranger. Ainsi comme le décrit Abdelhamid Brahimi cité par L. Aggoun (2010)
« on se trouve en présence de surfacturations renouvelables om l’Algérie payait 55% plus
chers que ceux pratiqués sur les marchés européens chaque fois que les produits
intermédiaires au fonctionnement des installations industrielles étaient importé». L’économie
administrée a ainsi engendré la corruption en Algérie. La gestion administrative du marché
devient une source de rente spéculative où la corruption adopte la forme d’une recherche de
rente.
3-3-2/ Période des réformes (libéralisation)
Deux décennies après l’indépendance, durant lesquels l’action politique était focalisée
autour des nationalisations, l’Algérie change brutalement de cap, en déplaçant le débat durant
les années 80-90 vers celui des privatisations et de la transition vers l’économie de marché.
L’Algérie est passée d’une situation d’étatisation, vers une ère de désétatisation, et ce, en un
laps de temps très court, avec au bout du compte une phase de déstructuration de l’économie
au profit d’un secteur privé inexistant. Ainsi, la privation, sujet à l’époque tabou, occupe
l’espace médiatique durant la période des réformes. Une nouvelle politique est amorcée, en
procédant à la cession des biens de l’Etats à commencer par les biens vacants puis les actifs
d’une partie des entreprises publiques, qui constituaient un véritable fardeau pour le
portefeuille de l’Etat, tant au niveau de la gestion, que celui de la compensation des déficits
répétitifs.
Cependant, la bureaucratie, le gaspillage, les détournements, l’enrichissement illicite, les
pénuries, la corruption sous toutes ses formes ; autant de fléaux ayant fait ravage dans la
société ont été finalement sous estimés durant les réformes. À ce titre, la faillite et le manque
de compétitivité des entreprises publiques algériennes sont justifiés, de manière expéditive,
200
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
par d’autres arguments (incompétence des cadres, les subventions, pléthore des salariés,
dépendance technologique…, etc.) qui bien que réels, ne sont que la face visible de l’iceberg
cachant les profonds maux qui rangent ces entreprises.
Or, sans tenir compte du soubassement idéologique sur lequel se fondait la politique des
réformes, nonobstant les causes directes à l’origine de ce changement de cap, notamment
l’endettement, le FMI, auquel a fait appel l’Algérie, va lui prescrire un traitement standard à
travers les fameux Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) qui « cherchent à éliminer les
causes structurelles de déséquilibre macroéconomique ».
Durant cette longue période de réformes où l’économie algérienne qui était certes boiteuse et
malade, le choix s’était porté sur la liquidation des entreprises, le licenciement des travailleurs
et une kyrielle de restructurations qui ne finissaient pas, et ce, avant d’aboutir, en finalité, au
bradage des entreprises en faveur d’un secteur privé factice, embryonnaire. De ce fait la
privatisation du secteur public productif signifie le transfert du pouvoir économique qui était
entre les mains de la technobureaucratie, tel que décrit dans les sections précédentes, au profit
de ceux qui ont amassé des capitaux à l’ombre du socialisme et qui ont capté la rente
pétrolière. Ceux qui ont sabordé les entreprises publiques, en les poussant à des déséquilibres
et à des dépôts de bilan, deviennent les nouveaux acquéreurs de ces entreprises. Et en général,
ce sont les mêmes gestionnaires qui rachètent ces entreprises avec des prête-noms ou en
s’associant avec d’autres partenaires. Aussi faut-il noter que dans cette situation, ces derniers
continuent par la suite à fructifier davantage les capitaux par des actes de corruption.
Le débat autour du rôle de l’État, notamment dans la gestion des affaires économiques, a été
au centre des préoccupations de la problématique des programmes de réformes économiques.
Durant cette période d’incertitude, l’activité économique continue de subir les actes de
corruption. Ainsi certains soutiennent que l’État doit être délesté de toutes ses prérogatives y
compris dans les domaines de souveraineté, et ce, au profit de nouveaux acteurs privés ;
lesquels auront dès lors tout loisir de s’accaparer du système productif national et partant de la
rente des hydrocarbures, qui constitue l’enjeu principal.
La politique de réforme de la gestion des services publics était l’un des axes principaux des
conditionnalités du FMI, ce qui a eu comme effet de créer de graves dysfonctionnement et
une anarchie instaurant un climat favorable aux passe-droits et notamment à l’élargissement
du champ opératoire de la corruption qui était déjà endémique dans tous les services publics.
La lourdeur du système bureaucratique et le manque de transparence, accentué par l’absence
des libertés démocratiques, ont permis à certains individus de tirer profit du processus de
réforme. Un processus qui s’est accompagné par des manœuvres visant la manipulation de
201
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
l’opinion publique, et ce, pour camoufler la logique de bradage qui caractérisait les opérations
de privatisation, qui en plus étaient entachées de pratiques corruptives. Un processus qui, pour
ainsi dire, s’est bien accommodé d’une privatisation informelle et déguisée de
l’administration par les actes de corruption.
3-3-3/ De l’économie administrée à l’ajustement structurel
Le modèle économique algérien des années 70 se caractérise par un style de gestion,
basé sur l’affectation des ressources engrangées, principalement celles mobilisées par la rente
et l’endettement (intimement liés), et ce, dans l’optique de faire face à son programme
d’industrialisation. Une stratégie de développement qui s’articulait autour du rôle
d’entrepreneur accordé à l’État qui cherche, en l’occurrence, à affirmer sa présence à travers
une dépendance entretenue par la redistribution de la rente. L’incapacité de cette stratégie à
substituer la rente à un système productif performant constitue un aveu d’échec. Un constat de
carence, pour ne pas dire de faillite, aggravé par le goulot étranglement que représente la dette
extérieure, favorisant le gaspillage d’énormes ressources, et puis par les effets pervers de la
corruption, des comportements rentiers des responsables et des mentalités de la société.
La gestion administrative de la rente, source de la spéculation, a désarticulé le système de
production, assimilable au syndrome dutch disease. L’affectation de la rente a produit des
déviances avec les conséquences de captation de la rente et son détournement de l’objectif du
développement de l’appareil productif. La baisse des ressources provenant de la rente
pétrolière et le surendettement révélèrent l’impuissance du régime à satisfaire la demande
sociale grandissante durant les années 80. Durant cette période, l’économie algérienne est
affectée par des pénuries successives généralisées et organisées, une récession, ajoutée à cela
la spirale de l’endettement, qui obligea le gouvernement à recourir aux négociations pour le
rééchelonnement de la dette.
La crise financière de la fin des années 80 a dévoilé, au grand jour, les effets pervers du
comportement rentier longtemps dissimulé. Des programmes d’ajustement et de réformes se
suivent dès lors et se ressemblent, sans aucun impact sur l’économie algérienne au bord de la
faillite, tout en subissant des effets pervers au plan social. Pendant près d’une décennie, le
flou entourait la gestion des négociations engagées avec le Fond monétaire international avant
d’aboutir au rééchelonnement de la dette au milieu des années 90, imposant brusquement le
plan d’ajustement structurel, sans aucune préparation, face à une attitude inerte des
populations tétanisées et terrassées par le terrorisme islamiste.
202
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
L’ajustement structurel, dans son expression politique au sein du courant de pensée libérale, a
un double objectif et il intervient à la fois au niveau macroéconomique et microéconomique.
Au niveau macroéconomique, il fixe comme objectif d’apporter les correctifs susceptibles de
rétablir les grands équilibres macroéconomiques financiers interne et externe. Et au niveau
microéconomique, il opère des changements par la prédominance du secteur privé, en
garantissant juridiquement la propriété privé, les jeux de la concurrence, la liberté
d’entreprendre par le canal de l’économie de marché.
Le recours au fond monétaire devenu incontournable, en 1994 l’Algérie signe un accord d’une
année pour le rééchelonnement de la dette extérieure et prend des engagements pour la
réalisation d’un vaste programme d’ajustement structurel. Le premier accord stand by de mai
1994 s’articule autour d’un certain nombre d’actions principales, notamment la restructuration
et la privatisation des entreprises publiques, la libéralisation des prix, la diminution des
dépenses publiques et la libération du commerce extérieur, visant le retour « aux grands
ensembles macroéconomiques », autant de clauses dont le FMI obtient la satisfaction. Dans le
prolongement de ces objectifs, un second accord de trois années (1995-1998) est engagé afin
d’opérer des réformes structurelles articulées autour de trois principales mesures. Les
premières visent la stabilité en approfondissant celles déjà engagées précédemment, en axant
les efforts sur le retrait de l’Etat de la sphère économique et le contrôle de la masse salariale
du secteur public. Les secondes visent des réformes de structure pour assurer une régulation
de l’économie par les mécanismes du marché en rendant opérationnels les programmes de
privatisation et de libéralisation du commerce extérieur. Les troisièmes mesures
d’accompagnement ont été lancées pour amoindrir les inégalités sociales qu’engendre le plan
d’ajustement structurel, en mettant en place des mécanismes institutionnels notamment en
faveur des jeunes souffrant du chômage endémique. Nous pouvons considérer le plan
d’ajustement structurel comme étant retardataire puisqu’il intervient au moment de sa remise
en cause dans les pays qui l’ont expérimenté.
Cependant, cette période charnière n’est pas épargnée par les techno-bureaucrates rentiers.
Des opportunités se sont offertes à eux pour engranger des richesses en s’incrustant dans ce
vaste programme de réforme. Leur position stratégique leur donna l’occasion de spéculer sur
les nouvelles opportunités de l’économie algérienne. Toutefois, le vaste programme de
privatisation est perçu comme une forme de bradage, en procédant à la cession des biens de
l’Etat en faveur de nouveaux acquéreurs pour une bouchée de pain. L’ouverture du commerce
extérieur au privé a profité, en premier, aux barons des importations en déplaçant le monopole
étatique vers le secteur privé, qui auparavant contrôlait ce marché mais de façon informelle.
203
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
Cette phase de transition n’a pas permis de mettre en place les valeurs de la bonne
gouvernance assurant l’équité et les droits. L’Etat est sorti affaibli et la démonopolisation du
marché des biens et services s’est structuré suivant la volonté des barons de l’importation qui
imposèrent leurs règles loin de la transparence propre à l’économie de marché. L’ouverture
sur le secteur privé fonctionne sur la même logique rentière en prolongeant l’informalité
comme règle sur le marché. Ainsi, la transition vers l’économie de marché, toujours en cours,
et qui se fait douloureusement a induit les effets pervers d’une économie hybride hypercorrompue et a transformé les comportements rentiers inadaptés au nouveau environnement
en rapports sociaux clientélistes. En attendant, l’économie algérienne demeure essentiellement
dépendante des importations et des ressources de la rente pétrolière.
De la crise économique, en pleine période de violence indescriptible, à l’ajustement structurel
aux conséquences sociales insurmontables (licenciements, compression des effectifs, gèle des
augmentations salariales, l’inflation galopante, dévaluation du dinar…), la politique de
réforme n’a fait que multiplier l’incitation à la monétarisation à tous les niveaux, généralisant
la petite corruption.
Toujours est-il, l’objectif stratégique de l’autosuffisance alimentaire n’est pas atteint. Est-ce
que cela est dû à la flambée des prix du pétrole juste à la fin de la période de l’ajustement
structurel ? Ou bien l’Algérie est-elle condamnée à vivre dans le cercle vicieux de la prédation
et de la captation de la rente ? Enfin, peut-on imputer cette situation à la non-application du
plan d’ajustement structurel retardataire dans sa totalité ?3 Ainsi, l’Algérie demeure à la
croisée des chemins. L’ancien système n’a pas disparu, en gardant une partie de ses structures
et comportements. Le nouveau système tarde à venir pour apporter des actions correctives aux
carences et aux retombées néfastes que traîne le pays en matière de gouvernance.
3-3-4/ Les formes de manifestation de la corruption
Les formes de manifestation de la corruption en Algérie sont diverses : grande, petite,
multicolore, multisectorielle… Cependant, il y a une situation de conflit d’intérêts qui rime
avec les divers types de corruption. Les conflits d’intérêts personnels (directs et indirects
relevant de la position et du poste occupé) sont en fait inhérents au fonctionnement basé sur
des rapports sociaux déviants. Cette forme de rapports corruptifs a réduit et affaiblit l’État
dans son rôle, avec comme effets, entre autres, le maintien de l’instabilité politique et
3
Le plan d’ajustement structurel retardataire n’a pas été appliqué totalement, ce qui rend difficile la
classification du système économique algérien. Un mélange du système techno-bureaucratique rentier des années
70-80 avec une perspective d’une libéralisation totale qui ne voit pas le jour.
204
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
économique, le blocage de la machine productive, le discrédit de l’appareil administratif de
l’Etat, la favorisation du pillage et du détournement des deniers publics, causant ainsi des
déséquilibres budgétaires et une remise en cause même de l’esprit du service public. Dans
cette situation, il est clair que la part belle est dévolue à la prédation, la captation, le
favoritisme, le clientélisme et le pantouflage. Aussi la corruption se traduit-elle, en
l’occurrence, par des formes diverses telles que les commissions pour service indu, la
gratification, le piston, le péage, la perruque, le détournement. Par ailleurs, dans le cadre de
cette forme de corruption, il est fait souvent appel aux procédés informels lorsque la légalité
ne le permet pas : par exemple pour le transfert des avoirs vers les paradis fiscaux, les acteurs
de cette corruption ont recours au marché parallèle du change, supplantant le marché
monétaire légal.
3-3-5/ Le clientélisme politique et corruption
Dans le but d’éviter toute forme d’amalgame, il y a lieu d’apporter des clarifications
sur les interactions existantes entre le clientélisme et la corruption. J-F. Médard (2000)
considère, si l’on adopte une position de neutralité axiologique, que « les deux phénomènes
possèdent une forme de légitimation sociale et le clientélisme s’oppose à la corruption –
échange marchand, mais pas à la corruption –échange social». Une approche fondée sur la
distinction faite à propos de la corruption marchande, liée à un échange purement
économique, intégrant le clientélisme politique dans le domaine définitionnel de la corruption.
Cela étant, le clientélisme politique s’oppose à la corruption dans sa forme marchande, en
mettant en relief deux types de corruption : l’une fondée sur un système d’échange social et
l’autre fondée sur un échange économique. La question est explicitée davantage par Donatella
Della Porta, cité J-F. Médard (2000), qui oppose « la corruption politique, définie comme un
troc, décision politique contre argent, et le clientélisme, échange de faveurs contre des
suffrages électoraux». Cette distinction en réalité est strictement analytique puisque en fin de
compte la dimension économique est quasiment présente sous une forme directe ou indirecte,
en nature (matériel) ou en numéraire (monétaire), et ce, parce qu’il y a une imbrication
intensive et complexe liant les deux phénomènes en interaction permanente, qui se traduit
souvent par la stimulation d’un échange pour des intérêts, non pas publics, mais privés.
Le clientélisme se caractérise par sa dimension spatiale et territoriale. Les relations
clientélaires se produisent au niveau local, national, régional et international. Le clientélisme
international se développe particulièrement à travers les relations des pays développés avec
les ex-colonies. A ce niveau international l’articulation des relations franco-africaines en
205
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
général et franco-algériennes en particulier est souvent clientélaire. Elle se développe même
sous une forme patrimoniale, reproduisant les pratiques clientélaires des pays en
développement. En effet, nous observons des relations franco-algériennes qui se caractérisent
par une confusion entre les domaines privé et public, en personnalisant les relations au niveau
politique et économique, frisant l’affairisme et ouvrant la voie aux pratiques corruptives,
telles le financement des partis politiques.
La relation clientélaire semble être un mode de gouvernance vivace dans les sociétés en
développement et l’Algérie ne fait pas exception en la matière puisque les détenteurs du
pouvoir ont toujours usé de ces relations sous la forme de domination patrimoniale, qui traduit
théoriquement les liens permanents du patronage et du clientélisme, agissant dans le cadre de
l’appareil bureaucratique de l’Etat. Cette forme de relation est très visible surtout Dans les
sphères des sociétés demeurant conservatrices4 et communautaristes ou bien intégrées dans les
relations basées sur des normes institutionnalisées particulièrement dans les milieux urbains.
Elle concerne autant les organisations dites retardataires que celles des sociétés modernes. Le
clientélisme régissant les relations personnelles est une réalité séculaire toujours d’actualité ;
une réalité qui s’entremêle entre l’organisation traditionnelle puisant dans les relations
personnelles de proximité ou d’affinité; et l’organisation moderne sophistiquée qui privilégie
les relations impersonnelles, structurant socialement la société. La combinaison de ces deux
réalités illustre bien les liens entre les deux phénomènes, le clientélisme politique et la
corruption. Le clientélisme constitue un nid favorisant la corruption et celle-ci forme sa
contrepartie marchande et non marchande.
En Algérie, la corruption est favorisée sur la base d’un système clanique et clientéliste qui
combine trois acteurs principaux, à savoir : le pouvoir de l’armée, véritable détentrice de la
décision politique ; les technobureaucrates, ossature de l’administration ; et enfin le secteur
privé évoluant au début dans l’économie administrée, à l’ombre du système, puis
monopolisant la rente après l’ouverture vers « l’économie de marché ». C. Jolly (2001)
considère à juste titre le système algérien comme étant clanique et clientéliste à partir du
moment que les dirigeants redistribuent les bénéfices à des alliés. Elle affirme à ce sujet ceci :
‘‘Ce système clientéliste dans lequel s’insère la corruption n’est pas exempt de redistribution.
Les bénéfices d’une position centrale dans l’Etat peuvent se faire sentir très bas dans
4
M. Caciagli, K. Jun’Ichi (2001): ‘‘la théorie classique distingue le clientélisme traditionnel des notables, qui a
une forte dimension affective et personnelle, et des formes nouvelles mettant en jeu des organisations et sont
fondés sur les bénéfices concrets. Dans le clientélisme traditionnel, les patrons étaient aussi des notables ; ils
jouaient de l’influence personnelle qu’ils exerçaient par leur statut, leur richesse ou leur prestige ; ils offraient
une protection dont les formes variaient selon les ressources dont ils disposent, ce dont leurs clients avaient
besoin, les services qu’on pouvait leur demander et le dévouement qu’on pouvait attendre’’.
206
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
l’échelle sociale (Fatiha Talahite). Et cette redistribution peut s’étendre à l’échelle d’une
région. L’est algérien, par exemple, fut favorisé par l’arrivée de Boumediene au pouvoir,
tandis que l’élection de Bouteflika à la magistrature suprême assure une plus grande
visibilité à l’ouest du pays, dont il est originaire’’.
3-3-6/ Le régime patrimonial et le Néopatrimonialisme
Le concept de patrimonialisme a été analysé pour la première fois par Max Weber à
partir des anciennes monarchies de l'Europe du Bas Moyen-Âge, dans lesquelles le roi
considère le royaume comme une extension de ses domaines privés et où la frontière entre le
domaine du roi et le domaine public est imprécise, reflétant le mode de domination historique.
La notion d’Etat patrimonial renvoie à la tradition qui attribue une légitimité au chef de la
communauté en lui accordant le droit de disposer des ressources de l’Etat. Le néopatrimonialisme, concept hérité de l’Etat patrimonial, est considéré par Jean-François Médard
comme une variante de ce dernier dans l’analyse des Etats africains qui confère l’utilisation
des ressources au chef de l’Etat, dans le cadre des structures étatiques modernes, formalisées à
l’aide des normes réglementaires : le préfixe néo signifie que l’analyse s’est déplacée du
contexte traditionnel vers un contexte moderne, particulier au processus de décolonisation des
Etat africains. Ces deux notions illustrent des situations où ceux qui occupent des fonctions
politiques et administratives usent de leur statut en exploitant leurs attributions comme une
propriété privée. Elles ont, selon les termes de J-F.Medard, « un point commun qui en fait des
espèces d’un même genre: elles reposent toutes sur l’absence de distinction véritable entre le
domaine public et le domaine privé».
La généralisation de la corruption systémique dans les pays en développement trouve des
explications dans ce type d’Etat. Ce qui correspond à une forme de privatisation de l’Etat au
niveau des échelons supérieurs de l’État et de ses démembrements. L’État néo-patrimonial est
intimement lié à la corruption par la longévité des pouvoirs personnalisés fonctionnant sur un
mode de gouvernance discrétionnaire marqué par l’abus de pouvoir. C’est un système
clientéliste qui dispose des ressources publiques et d’un pouvoir de faire et de défaire des
individus nommés à la faveur du pouvoir absolu et discrétionnaire dont il dispose.
Au lendemain de l’indépendance, l’Algérie a affiché son choix sans équivoque pour une
gestion sous la forme patrimoniale, en organisant une mainmise (OPA) sur les biens vacants,
abandonnés par les colons, au profit du régime et de ses affiliés, qui sont essentiellement issus
de l’armée de libération nationale. Cette option consacrera ainsi la confusion entre biens
publics et biens privés, une « marque de fabrique » caractérisant le modèle patrimonial.
207
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
La logique de l’Etat néo-patrimonial obéit à l’intérêt des particuliers qui est
fondamentalement antinomique à l’objectif inhérent au bien public collectif. Cette logique, en
fait, provoque et entretient des dysfonctionnements politiques et administratifs au sein des
institutions de l’État et bloque ainsi le développement économique du pays. Elle développe
une forme de gouvernance agissant dans l’informalité totale en discréditant les institutions
formelles et légales. Elle favorise une redistribution subjective fondée sur le favoritisme et les
relations personnalisées, en instituant l’appropriation privative des ressources de l’Etat,
engendrant le sous-développement, la paupérisation et la clochardisation de la société.
Les symptômes néo-patrimoniaux sont facilement décelables en Algérie, et ce, pour plusieurs
raisons. En ce sens, d’abord, où fondamentalement le choix idéologique adopté après
l’indépendance, le socialisme spécifique, ne reconnaît pas le secteur privé sur le plan
législatif, bien que l’entreprenariat privé soit toléré pour ceux, en général, qui ont des
accointances avec le régime en place et pour la famille dite révolutionnaire et autres membres
de l’ANP ; un mode de fonctionnement qui entretient ainsi une confusion entre le secteur
privé et la sphère publique. Aussi faut-il noter que la rente et la personnalisation du pouvoir
ont caractérisé tous les chefs de l’Etat durant les trois périodes charnières de l’Algérie
indépendante, confirmant l’explication politique de la corruption par la confusion entre public
et privé, caractéristique intrinsèque du modèle d’État néo-patrimonial (F. Talahite 2000). En
effet, ces symptômes se manifestent par l’absence de transparence, la fuite de responsabilité,
l’économie souterraine et l’informalité des cadres décisionnels qui favorisent la propagation
de la corruption et de ses pratiques. Autant de causes qui ont pour finalité d’instituer un
modèle de redistribution basé sur le favoritisme et érigeant la corruption comme un mode de
gestion.
208
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
Conclusion
Au terme de l’analyse, portant sur les causes et les conséquences de la corruption
énumérées dans ce chapitre, nous confirmons les liens de causalités attribués aux approches
de la corruption, de type macroéconomiques ou microéconomiques, résultant manifestement
d’un ensemble de pratiques multidimensionnelles d’ordres politique, sociale, économique,
culturelle, religieuse, juridique, administrative et psychologique.
Cependant l’ensemble de ces causes à l’origine de la corruption que nous avons présentés
entraine de nombreuses
conséquences directes et indirectes diversement appréciées en
fonction des analyses développées et du contexte temporel et spatial. En général pour les
populations, affectées par les conséquences de la corruption, elle entraine un sentiment
d’exclusion, de déni de droit, d’avilissement et de régression sociale économique,
d’appauvrissement et de sous-développement ; des conséquences qui minent, aussi, les
fondements de l’Etat de droit, procréent des blocages institutionnels et le désordre, diminuent
les recettes budgétaires (fuites et évasions fiscales, prédation, captation des ressources…) et
multiplient les dépensent publiques inopportunes.
Le phénomène de la corruption et le secteur informel, en s’entremêlant, entretiennent
des logiques qui permettent de tisser des réseaux déterminant le déroulement de la vie sociale
et économique relevant des deux sphères marchandes et non-marchandes. L’ampleur de la
jonction entre ces deux phénomènes, à multiples facettes, engendre l’instauration d’un soussystème parallèle assimilable à l’institution d’un « Etat dans Etat », aggravant les
conséquences évoquées dans la première section, traduisant la défaillance des pouvoirs
publics et l’impuissance des structures de l’Etat à faire face à l’expansion des activités
échappant à son contrôle. En Algérie ce constat est largement répandu, il prédomine
particulièrement dans l’activité « d’import-import» où les contrebandes, la contrefaçon, la
fraude... etc. ont prospère régulièrement, pendant longtemps.
De l’analogie à l’origine des causes favorisant l’apparition et le développement des deux
phénomènes nous avons déduit la manifestation de nombreuses similitudes, en terme de
conséquence, telle que la fraude fiscale et parafiscale, l’immoralité, le transfert des capitaux à
travers des circuits occultes, la privatisation des missions de l’Etat discréditant les institutions
étatiques.
L’analyse de la question de la corruption dans les systèmes politico-économiques
permet de conclure qu’elle se manifeste diversement. Même s’il n’est pas aisé d’établir le
209
CHAPITRE IV : Causes, similitudes et évolution de la corruption dans les systèmes politico-administratifs
degré de corruption par rapport au régime politique, l’évidence de sa manifestation n’exclue
aucun système politico-économique de types soviétique ou libéral, elle affecte distinctement à
la fois les secteurs public et privé. Dans le cas de l’Algérie qui a expérimenté plusieurs
systèmes durant les périodes de l’économie administrée (dirigiste) suivie des réformes passant
vers la libéralisation, depuis l’accession à l’indépendance, nous avons relevé la constance de
la présence des pratiques de la corruption, sous diverses formes notamment celle du
clientélisme en terme d’échange sociale.
De même par l’évolution du régime patrimonial perçu lors de la gestion des biens vacants
abandonnés par les colons en 1962 vers un régime de type Néopatrimonialiste, entretenant la
confusion entre le domaine privé et le domaine public. Ce qui équivaut à la privatisation de
l’Etat dans le contexte de l’Algérie où il est décelé la concentration et la personnalisation des
pouvoirs dont la gouvernance est basée sur le favoritisme, donnant lieu consubstantiellement à
une corruption systémique et généralisée.
210
Conclusion de la
première partie
Conclusion de la première partie
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
La première partie dédiée à l’approche théorique du phénomène de la corruption
explicite historiquement sa présence et ses manifestations à travers un large éventail de
pratiques allant de la petite corruption de proximité sociétale, jusqu’à la grande corruption à
l’échelle nationale compromettant les institutions étatiques, partout dans le monde. Un fléau
présent dans les sphères politico-administratives et économiques. Il survient et se propage
davantage sur l’étendu des territoires des pays affectés par la non observance des règles de la
bonne gouvernance. La qualité de la gouvernance associée aux graves problèmes
socioéconomiques auxquels sont confrontés les pays en développement explicitent l’ampleur
et la tendance à la généralisation des pratiques de la corruption déterminant le fonctionnement
des institutions et le choix des politiques qu’adoptent les pouvoirs publics, contrairement aux
pays développés à traditions démocratiques où la corruption est présente sous d’autres formes.
Ainsi, pour combler le déficit de légitimité démocratique le régime politique totalitaire en
Algérie n’a fait que reconduire les pratiques clientélistes et corruptives hérités des périodes
coloniales successives.
En Algérie, le caractère endémique de la corruption qui mine les fondements des
institutions de l’Etat-nation a handicapé le développement du pays durant les processus de son
édification imprégnée par une forte étatisation, administrant l’activité économique,
notamment le monopole de la répartition les rentes spéculatives. Puis suivi par les
transformations institutionnelles engagées dans une double transition : l’une vers l’économie
de marché impliquant des réformes économiques à travers les plans d’ajustements structurels
entamés depuis la signature des accords avec le FMI. L’autre vers la démocratisation observée
lors de l’ouverture au pluralisme politique engagé depuis le début des années 90. Cette double
transition du modèle algérien renvoie à la transformation de l’Etat.
En recourant aux différentes références théoriques, les analyses de l’économie politique de la
corruption examinent et traitent de l’origine de la corruption, en intégrant les objectifs
stratégiques des divers acteurs opérant des échanges marchands et non marchands. De la
référence antérieure des pays de l’Est déterminée par la prédominance d’un régime politique
hégémonique caractérisant les rapports économiques et sociaux à l’origine de l’apparition
d’un système de corruption résultant de l’appareil de l’Etat, de type soviétique gangréné par
l’économie parallèle souvent organisée profitant aux réseaux des bureaucrates de la
nomenklatura, en instituant une sorte de sous-système assimilable à un « Etat dans l’Etat »,
211
Conclusion de la première partie
l’Algérie a engagé de nouvelles normes faisant référence au régime économique et politique
de type libéral (favorisant le comportement de recherche de la rente spéculative
consubstantielle à la rente foncière à usage spéculatif observé durant la période coloniale) à
l’origine de la prégnance et de la généralisant du système de corruption, affaiblissant
l’efficacité des institutions dans l’encadrement de l’activité économique et affectant la
crédibilité de l’Etat.
Cependant, ces transformations et ce long processus de réformes, engagés dans la conjoncture
inextricable de terrorisme, n’ont pas conduit aux changements attendus dans les objectifs
macro-économiques tracés initialement. Bien au contraire, elles ont abouti à la reconfiguration
du régime en permettant la reconversion de son personnel dans le nouvel environnement
favorable à l’accaparement de l’Etat par des pratiques maffieuses. Elles ont consolidé
l’ancrage des pratiques corruptibles du système clientéliste, gangrénant l’ensemble des
franges sociales et fragilisant davantage les institutions de l’Etat imbelliqueuses, en plus des
multiples conséquences énumérées notamment celles engendrées par des causes à l’origine de
l’apparition et du développement des phénomènes de la corruption et de l’économie
informelle.
Au terme des analyses développées dans cette première partie on peut conclure sur
l’établissement des liens entre la rente, le clientélisme et la corruption en Algérie. Aussi,
aucun des systèmes politico-économiques engagés par l’Algérie n’a ralenti la manifestation,
voire le développement, des mutations des formes de la corruption dans leurs diversité et leurs
dynamiques. Bien au contraire, nous observons depuis l’avènement du régime de Bouteflika
l’évolution du régime patrimonial constaté dans la gestion des biens de l’Etat indépendant
vers un nouveau régime de type Néo-patrimonial basé sur un pouvoir personnel et subjectif du
Chef de l’Etat, où la primauté des individus « privés » proches prime sur la société et la
collectivité de telle sorte à s’octroyer à titre privatif les espaces étatiques, sur un fond de
généralisation d’une corruption devenue systémique.
212
Deuxième partie :
Analyse et approche
pratique du
phénomène de la
corruption
Deuxième partie : Analyse et approche pratique du phénomène de la corruption
INTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE
Le traitement de l’approche théorique du phénomène de la corruption, à partir de la
littérature et des aspects pratiques d’historiens, nous a permis de délimiter notre sujet en
situant la cas de l’Algérie. Dans la seconde approche, d’ordre pratique, il question de faire un
diagnostic et surtout de proposer une stratégie à adopter en Algérie. Il s’agira d’aborder dans
cette seconde partie, composée de trois chapitres, le phénomène de la corruption
empiriquement à partir des données des enquêtes que nous avons menées. D’interpréter les
résultats du sondage afin de conclure en proposant des stratégies et des politiques à mener
pour la lutte contre la corruption en Algérie.
Dans le premier chapitre, il est question d’analyser le phénomène de la corruption dans
le système productif. A cet effet, nous examinerons au niveau microéconomique l’évolution et
le développement voir même l’expansion de la corruption dans ses diverses formes à partir
des trajectoires (deux phases, celle de l’économie administrée prédominée par secteur public,
puis, celle de la transition vers l’économie de marché), et des politiques économiques
engagées par l’Algérie. Les politiques salariales et la compétitivité à travers les dynamiques
des entreprises face à un environnement corruptible seront abordées, en décortiquant
particulièrement le programme en faveur de l’emploi des jeunes mis en place depuis deux
décennies, ainsi que ceux des opérations de privatisation.
Nous traiterons dans le second chapitre de la portée politique de la corruption
fortement présente dans les rouages des institutions politico-administratives algériennes
gageant les richesses économiques à travers le contrôle des circuits de distribution des rentes.
La constante présence et l’évolution de la corruption dans les milieux politiques
(administratifs ou électifs), atteignant tous les secteurs confondus, malgré les transformations
constatées lors du passage de l’ère du parti-Etat vers celle du pluralisme politique, permettra
d’amorcer les manipulations du processus politique. En effet, en apparence la corruption
administrative ou bureaucratique demeure présente dans un système politico administratif
centralisé contrôlant et mettant sous son orbite formellement et informellement les pouvoirs
exécutif, législatif et judiciaire. L’analyse pratique de l’impact de la corruption par secteur
sera abordée dans le corps des douanes, le système judiciaire et le secteur de la santé.
213
Deuxième partie : Analyse et approche pratique du phénomène de la corruption
Enfin, dans le troisième chapitre nous aborderons des stratégies et politiques face au
phénomène de la corruption. De nombreuses initiatives ont été prises pour mener la lutte
contre la corruption au niveau international depuis son intronisation dans les débats des
instances internationales, durant les années 1980. Des initiatives qui ont abouti à l’adoption de
nombreuses conventions (ONU, OCDE, OUA…) que l’Algérie a d’ailleurs ratifiée souvent
avec des réserves. Nous allons détailler toutes les étapes inhérentes à la question de la lutte
anticorruption en Algérie selon les contextes appropriés, en montrant le rapport de
dépendance des instances et organes de cette lutte aux décideurs du régime, via le pouvoir
exécutif. La pertinence et les moyens mobilisés, la volonté politique, la place de la société
civile, le rôle des médias et des postulats de cette lutte feront, aussi, l’objet de ce chapitre. A
la fin, des suggestions seront proposées pour corriger les imperfections et adopter une
stratégie adéquate pour prévenir et lutter contre la corruption en Algérie.
214
CHAPITRE V :
Analyse du
phénomène de la
corruption dans le
secteur productif
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
CINQUIEME CHPITRE : ANALYSE DU PHENOMENE DE LA CORRUPTION
DANS LE SECTEUR PRODUCTIF
Introduction
Souvent quant on évoque le sujet de la corruption on sous-entend la partie passive liée
aux fonctionnaires du secteur administratif corrompu, faisant allusion à la lourdeur
bureaucratique considérée comme le facteur principal bloquant ou freinant l’investissement en
Algérie, en omettant le seconde partie, les corrupteurs,
qui active pour conclure des
arrangements. C’est ainsi que dans ce chapitre notre analyse portera sur le cheminement des
politiques économiques et sera focalisée sur la contre partie des motivations de l’échange de
la corruption au niveau micro-économique du système productif de l’entreprise espace
intrinsèque de la réalisation de la valeur ajouté indispensable à relance de la croissance
économique.
Ce chapitre nous permettra, à travers les différentes sections, d’analyser le phénomène de la
corruption dans le système productif. La première section qui sera consacré à l’analyse des
mutations opérées dans l’économie algérienne où nous allons traitées des différentes formes
de corruption qui se sont développées dans un moment dominé par le secteur public avant la
mise en œuvre du programme d’ajustement structurel, puis, durant la phase des réformes
assurant la transition à travers le programme du PAS. Il s’agit d’explicité le développement et
l’augmentation du niveau de la corruption durant le passage de l’économie administrée
rentières vers l’économie de marché et de savoir si son expansion est à l’origine du déclin ou
un facteur aggravant la déliquescence de l'économie algérienne, durant cette période.
La deuxième section est consacrée à l’analyse de la stratégie mise en place durant les deux
décennies par les pouvoirs publics en matière de création d’emploi, dans le cadre du dispositif
d’emploi des jeunes, pour faire face au chômage endémique, en favorisant les petites
productions des petites entreprises qui représentent une part importante de l'activité
économique notamment dans les pays en développement. Nous relèverons l’évolution des
formes de la corruption dans les différentes phases et le circuit de ce dispositif. Dans ce sens,
nous allons montré si l'appui extérieur qu’assure l’Etat aux micro-entreprises pourrait jouer un
rôle de catalyseur et d'accompagnateur en encourageant les petites productions et promouvoir
les micro-entreprises sans pour autant engagé préalablement des changements profonds dans
sa gestion bureaucratique de l’activité économique, en élaborant en amont une politique
215
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
macro-économique initié en faveur de l’entreprise créatrice de richesses comme une
alternative qui permettra de mettre un terme à l’économie rentière?
En partant du postulat des différents diagnostics établis sur l’économie algérienne, cernant les
atouts sur lesquels elle se singularise et les points qui la fragilisent, où nous relevons la
conséquence économique du climat des affaires en Algérie caractérisé par une insuffisance
manifeste d’investissements créateurs d’emplois en dehors du secteur des hydrocarbures,
contrasté par les comportements des privilégiés du régime qui placent les rentes captées à
l’abri des paradis fiscaux et les investissements directs étrangers qui sont faiblement
enregistrées, les deux dernières sections seront consacrées en premier lieu à la dynamique des
entreprises et la corruption, en particulier aux politiques salariales, à la compétitivité des
entreprises face à la concurrence de la contre façon, en détectant les coûts directs et indirects
de la corruption ; et second lieu à l’évolution et la place de l’entreprise dans un
environnement corruptible notamment aux enjeux et aux rentes des opérations de
privatisation, à l’attractivité des IDE et à la corruption dans le commerce extérieur.
216
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
SECTION I : Dans l’entreprise
Le monde de l’entreprise a pendant longtemps été en marge des débats menés autour
de la question de la corruption chose qui était une aubaine pour une partie, celle qui profitait
des opportunités en l’espèce, et autant un inconvénient en défaveur d’une autre partie qui se
trouvait soumise à divers risques qui pourtant était omniprésente dans les transactions
économiques nationales et internationales, aussi bien dans les secteurs publics que privés.
Aujourd’hui, avec la prise de conscience sur les préjudices considérables que la corruption
cause aux entreprises, nous remarquons une floraison de textes et une avancée des législations
concernant la lutte anticorruption. De même que le développement des stratégies de bonne
gouvernance au sein des entreprises poussent les managers et les décideurs publics à adopter
des attitudes différentes.
D’un point de vue pratique, les entreprises sont confrontées quotidiennement sur le terrain aux
approches corruptives. La gestion du risque corruption implique l’adoption d’attitudes
dichotomiques, selon qu’il s’agisse de l’éviter ou de la pratiquer de la part des entreprises qui
évoluent de plus en plus dans un environnement concurrentiel inégalitaire. Les stratégies
adoptées par les entreprises à la recherche d’une meilleure rentabilité insèrent, en fait, la
question de la corruption dans une démarche vouée à ses objectifs.
Dans ce sens, la corruption est une arme à double tranchant : une opportunité à saisir ou une
menace à déjouer. Le recours à la corruption permet à certaines entreprises et entrepreneurs
d’avoir des gains de productivité, et ce, à travers les juteuses opportunités d’affaires
auxquelles peut donner lieu cette pratique déviante.
La mode « corruption » permet de lancer un busness plan, de racheter des entreprises
publiques viables ou en faillite, mais récupérables; de multiplier les chiffres d’affaires ou
encore, et c’est souvent le cas, de remporter des marchés en outrepassant les règles en
vigueur et/ou en instrumentalisant à son avantage les procédures administratives, notamment
par le privilège de l’accès exclusif à l’information à caractère confidentiel.
L’attitude adoptée envers la corruption dépendra pour certaines entreprises de l’espace
territorial. Aussi le respect des règles de l’éthique est-il invoqué souvent dans les pays de
l’OCDE connaissant une forte industrialisation et une concurrence sur le marché de l’offre et
de la demande qui est soumis à une transparence élevée. Tandis que les pratiques de
corruption, notamment la distribution des pots-de-vin dans des pays en développement pour
217
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
accéder aux marchés juteux, est une règle d’usage courant, principalement dans les anciennes
colonies, surtout avant l’adoption de la convention contre la corruption de l’OCDE1 de 1997.
Les rapports entretenus entre l’Algérie et la France ont obéi pendant longtemps à cette
logique, particulièrement pour couvrir les déficits de certaines entreprises. En effet, un certain
nombre de contrats signés entre les gouvernements sont entachés par des prélèvements
considérables, placés anonymement dans des paradis fiscaux. Néanmoins, Philippe Montigny
(2006) relève, au niveau international, l’efficience de l’incrimination des actes de la
corruption, reprise par la convention de l’OCDE et les directives de la Banque mondiale
sanctionnant les entreprises impliquées dans ces activités.
D’après P. Montigny (2006), « les condamnations ont été particulièrement lourdes : 28
millions de dollars pour Titan en 2005 en raison d’un pot-de-vin de 2 millions versé au Bénin
en 2001, ou encore l’exclusion en 2004 de la société canadienne Acres des marchés publics
de la Banque mondiale à cause d’une enveloppe de 500 000 dollars remise au Lesotho dans
les années 1990. A l’heure actuelle, plusieurs centaines d’enquêtes sont en cours dans la zone
OCDE, sans parler des 2 412 entreprises, dont 177 françaises, accusées en 2005 de
corruption en Irak par la Commission indépendante d’enquête sur le programme des Nations
Unies ‘‘pétrole contre nourriture’’».
L’entreprise algérienne, pour sa part, a évolué dans un environnement économique et
idéologique rentier, hostile à l’entreprise privée, et ce, évidement avant l’engagement des
réformes accordant une place à ce dernier secteur. Le capitalisme d’Etat et la nature du régime
autoritariste ont favorisé le développement des pratiques de corruption qui ont à leur tour
affecté l’appareil de l’Etat. La tradition bureaucratique de l’économie algérienne continue
toujours de marquer par son empreinte l’entreprise algérienne quand bien même une
législation en faveur de l’entreprise privée eut été engagée dans le cadre des réformes
économiques conduites sous l’égide du FMI.
Les mutations économiques des années 1990-2000 ont dévoilé l’encrage des pratiques de la
corruption, qui ont fini par déborder des sphères dirigeantes, dont elles étaient au départ
l’apanage, pour prendre une autre tournure plus diffuse, et ce, en se démocratisant jusqu’à
affecter l’ensemble des segments de la société. La généralisation de la corruption a eu, en
outre, pour effet d’infantiliser l’entreprise algérienne, notamment à travers le rôle des
1
Avant le nouveau millénaire, les commissions versées aux agents publics étrangers par les entreprises de
l’OCDE pouvaient être déduites des impôts. Par la suite, l’environnement juridique international a été
révolutionné. Avec la multiplication des conventions anticorruption, les responsables d’entreprises risquent sur
le plan pénal des peines d’emprisonnement, et, d’autre part, leur réputation est menacée sur le marché.
218
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
institutions étatiques, les traditions syndicales, les rigidités culturelles, la législation
incompatible, à la fois floue et rigide, qui favorise l’économie de bazar en défaveur d’une
économie productrice de valeur ajoutée.
L’entreprise algérienne fonctionne ainsi dans un environnement hostile, accablée par des
pratiques de corruption qu’une minorité a su surmonter en s’accommodant souvent ou en
s’assurant des appuis et des soutiens sous le couvert de tiers (des associés en prête-noms).
Ce constat est partagé d’ailleurs par les auteurs du rapport de la Banque Mondiale2 de 2002
dans lequel il est relevé la prolifération de la corruption à grande échelle en Algérie où 75%
des entreprises interrogées indiquent que le bakchich est systématique, facteur qui constitue
de fait l’obstacle majeur à l’investissement national et étranger. Le coût de la corruption
représente en moyenne 6% du chiffre d’affaires des entreprises en Algérie, selon le même
rapport, explicitant ainsi un fléau réel qui empêche le développement des entreprises en
Algérie et qui explique en partie la faiblesse de la croissance économique.
Durant la dernière décennie, l’Algérie a engagé un budget colossal (chiffré à des
centaines de milliards de dinars ou des dizaines de milliards de dollars) pour réaliser des
programmes de relance économique. Les commandes publiques ont nécessité la mobilisation
de budgets énormes et par conséquent très attractifs. Ces dépenses publiques, incontrôlables
par ailleurs, ont été à l’origine de gros scandales de corruption qui ont affecté les entreprises
nationales et étrangères. La surestimation des coûts des projets réalisés a permis aux
entreprises d’engranger des rentes exceptionnelles en contrepartie de dessous-de-table
importants versés aux fonctionnaires pour l’obtention de ces marchés juteux. Ainsi, on peut
déduire que la multiplication des offres de corruption, durant cette période, particulièrement
de la part des entreprises est de façon prépondérante imputable aux augmentations des
bénéfices générés par les commandes publiques.
Selon C. Delavallade (2007), l’offre de corruption par l’entreprise est généralement attribuée
à trois phénomènes principaux : « i) l’étendue de la fraude fiscale ou de l’activité informelle
(Johnson et al., 2000), (Vostroknutova, 2003), (Hibbs et piculescu, 2005), (Goerke, 2006) ; ii)
les défaillances du système juridique – excès de la réglementation et non-respect des droits de
propriété – (Tanzi, 1998), (Hellman et al., 2000) ; iii) leur faible ou au contraire leur forte
compétitivité (Bardhan, 2006), (Svensson, 2003), (Ades et Di Tella, 1999), (Bliss et Di tella,
1997). »
2
Cité par Rabhi Meziane, in le journal Liberté du 29/09/2004. Rapport de la Banque mondiale sur le
développement dans le monde de 2002 : des instituions pour les marchés.
219
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
L’entreprise, par essence, se fixe comme objectif de réaliser le maximum de profits ; et
d’évidence, la recherche du profit rend la concurrence féroce entre les entreprises
compétitrices sur le marché. Aussi, la position de l’entreprise, qu’elle soit monopolistique ou
concurrentielle, est déterminante dans l’offre de la corruption. Les entreprises compétitives et
rentables disposent de plus de moyens (humains, matériels et financiers), ce qui leur permet
d’avoir un pouvoir d’influence plus élevé, par le truchement des pots-de-vin qui sont d’autant
plus importants que l’octroi des marchés visés leur assure de larges parts de bénéfices.
De même, pour les entreprises de moindre importance, en matière de compétitivité, et qui
veulent garder leur place sur le marché, il est fréquent de les voir recourir, afin de compenser
leur déficit de compétitivité, à des offres de corruption dont la finalité est de contourner les
règles en vigueur (économiques, législatives et réglementaires) et les tourner à leur avantage.
A partir du moment où les entreprises sont motivées par la réalisation davantage de bénéfices,
le recours à la pratique de la corruption administrative ou législative devient incontournable
pour s’assurer l’octroi des commandes publiques, et ce, en jouant sur les coûts, la qualité et
les délais de réalisation des projets contenus dans ces marchés publics. Ainsi, la corruption est
à l’origine des surcoûts enregistrés dans les grands projets comme celui de l’autoroute EstOuest.
Les entreprises productrices de biens et services en Algérie obéissent à cette logique. La
corruption administrative permet de contourner certaines règles, particulièrement la
législation fiscale ; c’est par ce fait notamment que l’économie informelle est devenue
structurelle. La dissimulation d’une large partie de l’activité économique renforce ainsi
l’évasion fiscale et parafiscale ; et les entreprises, qui ont tendance à augmenter leurs activités
dissimulées, n’hésitent pas, pour ce faire, à corrompre les contrôleurs des différentes
inspections.
En ce sens, la fraude fiscale et la corruption se chevauchent et se complètent le plus souvent ;
cette alchimie se traduit par le niveau de l’offre des pots-de-vin de la part des entreprises et
celui de la demande des fonctionnaires. Selon C. Delavallade (2007) « Les données dont nous
disposons sur l’Algérie, le Maroc et la Tunisie sous permettent d’examiner trois hypothèses
principales :
i) la corruption augmente puis diminue avec le degré de fraude fiscale d’une
entreprise ; ii) la corruption est d’autant plus élevée que les droits de propriété sont mal
protégés ; la corruption décroit avec la compétitivité d’une entreprise.»
220
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
L’entreprise algérienne évolue dans des conditions socioéconomiques qui n’obéissent
pas uniquement aux règles de droit et du marché, mais elle est plutôt soumise à la volonté
administrative des dirigeants au niveau politique, lesquels abusent de l’autorité que leur
confère le régime. Ces derniers constituent, en fait, la catégorie des nouveaux riches qui se
sont accaparés du marché national, en investissant les activités spéculatives au détriment de la
production nationale, et ce, grâce à leur position et/ou leur pénétration dans les rouages de
l’État. En s’associant souvent avec des officiers supérieurs de l’armée ou des pontes du
régime ils ont institué la culture du gain facile, celle qui se décline sous forme, entre autres,
d’octroi de lignes de crédits ouvertes sans nul gage, le partage monopolistique des créneaux
de marché porteurs, avec mainmise sur les importations, la promulgation de textes de loi
taillés sur mesure pour créer des situations de privilèges ou couvrir des activités interlopes.
De ce fait, la dépendance alimentaire, due à la fragilisation de l’appareil productif national, est
entretenue par le caractère rentier et distributif de l’État, qui au lieu de s’atteler à résoudre la
crise affectant ce système productif national hybride, travaille plutôt à l’élargissement des
circuits de corruption au sein de sa clientèle qui du reste s’est renforcée, durant la dernière
décennie, avec l’augmentation des recettes des hydrocarbures suite à la flambée des prix du
pétrole. C’est dans ce sens que l’environnement de l’entreprise n’est pas propice à l’éclosion
de celle-ci, et ce constat reste très visible dans cette hostilité ambiante à l’amélioration de la
compétitivité et au développement de l’entreprise algérienne productrice. Aux difficultés que
cette dernière rencontre, en effet, par rapport au crédit bancaire, au foncier industriel, à
l’instabilité des règles économiques, aux lourdeurs bureaucratiques et aux blocages
administratives, s’ajoute la question lancinante de la contrefaçon qui bénéficie d’une
couverture de la part des réseaux irrigués par les versements des barons de l’économie
informelle et de la contrebande. Ces derniers soumettent les entreprises algériennes à la rude
épreuve de la concurrence déloyale, affaiblissant en conséquence l’investissement national
dans un environnement qui demeure favorable à l’économie parallèle, sur laquelle les
administrations fiscales n’ont aucun contrôle.
La vie de l’entreprise en Algérie est rythmée par des affaires de corruption, un phénomène qui
est devenu, par la force des choses, un élément capital intégré dans la stratégie développée par
les entrepreneurs. À noter que de par l’ampleur des actes de corruption les entreprises ont leur
image ternie, leur fonctionnement déstabilisé, à la faveur de l’introduction de nouvelles
mœurs, immorales, favorisant le gain facile pour les entreprises et procurant incidemment des
221
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
avantages autour des prix (des produits non conformes aux normes) pour les consommateurs3.
Aussi faut-il rappeler que cet état de fait peut parfois causer des dégâts importants notamment
pour la santé publique, et ce, par la propagation des maladies qui aura, par ailleurs, pour
conséquence d’alourdir la facture des prises en charges des patients.
La Banque Mondiale, dans son rapport ayant trait au développement dans le monde,
Douing Business (la pratique des affaires en 2005), met en relation les effets de la corruption
et le climat d’investissement en Algérie. Elle estime que « le démarrage d’une entreprise
nouvelle requiert 14 procédures (chiffre confirmé en 2013), 27,3% du revenu par habitant et
26 jours (25 jours en 2013) et un capital minimal représentant 65,5% du revenu par
habitant. » Une nette amélioration par rapport à l’année précédente où la Banque mondiale
notait que pour lancer des affaires en Algérie, il faut passer par 18 étapes, plus de 29 jours en
moyenne,
avec
un
coût
égal
à
31,9%
du
revenu
national
brut.
Ce rapport relève aussi que l’immatriculation d’une nouvelle entreprise (l’enregistrement de
la propriété) en Algérie prend plus de 52 jours et nécessite 16 procédures. Sur le plan de la
protection des investisseurs, l’indice concernant l’Algérie affiche 2 sur une échelle de 7. Pour
le respect des contrats commerciaux en Algérie, la Banque mondiale enregistre 49 procédures,
d’une durée de 407 jours, avec un coût estimé à 28,7% du produit intérieur brut par habitant.
Dans le même sens, A. Hadj-Nacer (2011), qui aborde les relations qu’entretiennent les
institutions financières avec les entreprises, considère que l’Algérie n’organise pas
l’émergence d’une classe d’entrepreneurs, qui peuvent constituer l’alternative à la rente,
contrairement aux pays voisins, tel que la Tunisie qui a enregistré des résultats
impressionnants en créant une classe d’entrepreneurs économiques par secteur bancaire
interposé; de même pour le makhzen au Maroc qui a assuré sa propre reproduction par
l’intermédiaire du secteur bancaire.
L’environnement politique, socioéconomique et juridique inadéquat dans lequel évolue
l’entreprise en Algérie incite les investisseurs à faire recours à la corruption pour contourner
les multiples entraves et les procédures bureaucratiques qui ont instauré de nouvelles mœurs
3
La dégradation du pouvoir d’achat à eu comme conséquence majeure l’accentuation de l’immoralité de la
société. Les consommateurs sont de plus en plus tournés vers la quantité, l’apparent et les biens acquis à moindre
frais, quand bien même il s’avère certains producteurs ne respectent pas les normes (produits fabriqués dans des
conditions répréhensibles, affectant l’environnement, exploitant des ressources prohibées…). Il est de même
concernant certains distributeurs et vendeurs qui commercialisent des produits de marques contrefaits, entre
autres les médicaments, les produits de l’agroalimentaire… . D’autre part, les entreprises sont soumises à des
conditions de production draconiennes, en faisant face à des concurrences déloyales que les pouvoirs publics
sont censés combattre, mais qu’ils tolèrent impuissamment. Face à cette régression, le comportement des
consommateurs s’infantilise davantage en optant pour l’achat des produits moins chers.
222
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
dans le monde des affaires. De ce fait, le fonctionnement des entreprises intègre
systématiquement dans sa stratégie prévisionnelle –en plus des autres variables inhérentes au
processus de production et d’exploitation traditionnelles– les conséquences des risques
juridiques, économiques et financiers découlant des actes de corruption.
L’analyse du phénomène de la corruption dans le système productif peut s’opérer par
deux approches : l’une statique et l’autre dynamique. La première approche permet de saisir
l’analyse des actes de corruption comme un bloc homogène et cohérent, qui se caractérise par
une forme permanente, dans une conjoncture relative à une période donnée, à titre
d’exemple : le rôle joué par l’appareil du parti durant la période postindépendance.
L’analyse en termes dynamiques de la corruption ne peut être en réalité que l’un des éléments
composant le développement des activités des entreprises, car on ne peut pas dissocier cette
analyse des réalités liées au processus de développement, impliquant des transformations
sociétales. Il s’agit d’un processus historique intégrant les réformes institutionnelles profondes
de l’Algérie indépendante, en passant d’une économie administrée, centralisée et rentière vers
une économie de marché hybride.
Cette seconde approche, que nous privilégions, nous permettra de saisir l’évolution des actes
de corruption à travers les multiples transformations observées par le législateur et les
mutations opérées dans les formes d’évolution des actes de corruption dans l’entreprise. Il
s’agira de traiter dans cette section des mutations de l’économie algérienne ; de la création et
des conditions de fonctionnement des dynamiques de production face aux pratiques de la
corruption ; des types d’emplois ; des opérations de privatisation des entreprises publiques ; et
de la mise à niveau des entreprises.
1-1/Les mutations dans l’économie algérienne
L’économie algérienne a connu principalement deux phases tumultueuses depuis
l’accession du pays à l’indépendance. La première phase (postindépendance) renvoie à
l’époque où l’économie reposait sur le secteur industriel public, période durant laquelle le
capital de l’ensemble des entreprises était détenu totalement ou majoritairement par l’État.
Cette phase a été caractérisée par des opérations de nationalisation dans l’industrie, renforçant
le monopole de l’État à la faveur de la création de nombreuses sociétés nationales de
production, souvent réalisées par des entreprises étrangères sous la formule clés en main ou
produit en main. Cette formule constituait une source d’enrichissement pour les
223
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
technobureaucraties du régime et les intermédiaires qui empochent, à l’occasion, des pots-devin considérables.
Les déficits, la mauvaise gestion des entreprises, les détournements, la gestion bureaucratique,
la corruption et la récession économique sont à l’origine de l’amorce de la seconde phase – au
début des années 80 – marquée par la fin des investissements publics et la restructuration des
entreprises publiques, en passant quelques années plu-tard à l’autonomie financière des
entreprises publiques dans le cadre d’un processus de réformes économiques engagé en 1988,
avec à la clé quelques facilités accordées au secteur privé.
Dans le cadre des accords signés avec le FMI en 1994, le secteur privé – encouragé par les
réformes– prend de l’ampleur devant les entreprises du secteur public qui se sont retrouvées
soumises aux dures règles du marché, ce qui aura comme effet plus tard de faciliter leur mise
en faillite (particulièrement avec la dévaluation du dinar) et du coup justifier leur privatisation
ou la cession totale ou partielle de leurs actifs.
Le processus de démantèlement du secteur public aboutit à un programme de privatisation
élaboré à la faveur d’un réaménagement des textes législatifs et réglementaires, notamment
dans le cadre de la révision de la loi de finances. La cession des entreprises publiques
constitue une énième occasion offerte à ceux qui sont à l’origine de leur dysfonctionnement4,
par la non-gestion et le laisser-aller, – conséquence entre autres de l’autonomie de ces
entreprises publiques (dont la restructuration s’est accompagnée d’une filialisation, réductrice
des ressources, et d’une libéralisation des salaires des cadres dirigeants, synonyme pour eux
d’accès à la rente) – de se les accaparer à des prix dérisoires, et ce, moyennant souvent des
pratiques opaques incluant la corruption des pilotes de l’opération de privatisation ainsi que
les syndicalistes et les responsables au niveau du ministère de tutelle.
Néanmoins, l’aisance financière dont a bénéficié l’Algérie a freiné les opérations de
privatisation ; un changement de cap qui s’est traduit par des tentatives de restructurer et de
relancer le secteur industriel public, en consacrant selon les déclarations du Ministre de
l’Industrie, de la PME et de la promotion de l’investissement 1 100 milliards de dinars
(l’équivalent de 16 milliards de dollars).
Cette seconde phase couvre le déroulement d’un long processus visant la substitution de
l’économie de marché à l’économie administrée et lequel a donné lieu à la « bazardisation »
4
Les données réelles des entreprises industrielles publiques relèvent du secret d’Etat, il n’y avait que leurs
dirigeants et les éléments implantés dans l’appareil et les structures de l’État qui pouvaient accéder à
l’information et avoir l’évaluation réelle des actifs privatisés.
224
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
de l’économie algérienne, à l’accroissement des importations et à l’augmentation des activités
du secteur informel…etc.
L’économie de marché, caractéristique intrinsèque du capitalisme, basée sur la propriété
privée des moyens de production et la recherche de la maximisation des profits dans un
système de libre échange régenté par la loi de l’offre et la demande est loin d’obéir en
Algérie, aux règles de transparence et de la libre concurrence. Un état de fait qui explique, en
effet, la montée vertigineuse et massive de la corruption en quelques années, particulièrement
durant la phase de transition, qui a été marquée par la décadence et le désengagement des
institutions étatiques.
En effet, les mutations opérées et les transformations subies, durant le long processus de
passage vers l’économie de marché, n’ont pas abouti, comme escompté par la Banque
Mondiale, à la substitution du rôle de l’État, omniprésent dans l’économie administrée, par les
mécanismes de l’économie de marché. A l’inadéquation des anciennes structures, s’ajoutent
les hésitations retardant l’émergence des nouvelles institutions indispensables au
fonctionnement de l’économie de marché ainsi que l’ambivalence entretenue durant ce long
processus de transformation, avec en filigrane la facilitation des actes de corruption,
notamment lors des opérations de la privatisation des actifs étatiques opéré par des
fonctionnaires indélicats.
La lenteur et complexité du processus de transition vers l’économie de marché ont entretenu
un environnement favorable donnant naissance à des occasions de corruption en Algérie.
M- O. Cozma (2006) soulève quelques questions à ce propos : « pourquoi observons-nous des
niveaux si élevés de corruption dans les pays en transition ? Est-ce en raison du processus de
transformation structurelle ? Est-ce à cause de la qualité des institutions qui ont émergé à la
suite des réformes ? Est-ce en raison du fait que les structures sociales précédentes, dont
l’élite de l’ancien régime se sont simplement assurées de conserver les positions privilégiées
à la suite des réformes, en prenant le contrôle des nouvelles institutions et organisations ? »
En effet, près de 90% des personnes enquêtées à tous les niveaux de responsabilité
considèrent
majoritairement, comme le montre le diagramme de Pareto (appelé aussi
diagramme 80/20. C’est un graphique qui illustre l'importance de différentes causes sur un
phénomène, il permet de mettre en évidence les causes les plus importantes) ci-dessous, que
la période de transition vers l’économie de marché a permis l’apparition d’une frange de la
population d’entrepreneurs qui s’est enrichis rapidement, accumulant en l’espace de quelques
années des fortunes inestimables. Elles pensent que les institutions de l’Etat, qui en tolérant
225
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
tacitement les pratiques de la corruption ont favorisé l’émergence de cette classe désignées
sous le vocable des « nouveaux riches ».
Figure n° 01 : le diagramme de Pareto représentant les réponses à la question de la contribution des institutions de
l’Etat à l’émergence d’une classe d’entrepreneurs « souvent enrichis illicitement » durant la période de transition, en
tolérant les pratiques de la corruption.
Figure n° 01 : diagramme de Pareto
Source : données de notre enquête
Source : résultats de l’enquête
1-1-1/La corruption avant la mise en œuvre du PAS tardif
Avant de s’engager dans le processus de transition, défini par les accords signés avec
le FMI, portant sur la mise en œuvre de programmes d’ajustement structurel, l’économie
algérienne était asphyxiée. La situation financière des entreprises industrielles était
désastreuse, la plupart étaient déficitaires, mal gérées et alimentaient les marchés parallèles
via les réseaux de spéculateurs corrompus. Ces derniers, qui ont érigé la corruption comme
règle dans la gestion des entreprises publiques, aggravant ainsi le manque de productivité et
entraînant des surcoûts, s’arrangeait pour maintenir la demande grandissante des
consommateurs toujours en attente, et ce, dans l’optique de l’orienter vers les marchés
parallèles.
226
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
La dégradation de la situation économique de l’Algérie a eu pour effet de fragiliser davantage
l’existence des entreprises publiques sous perfusion dont l’État ne pouvait plus couvrir les
déficits structurels. La déliquescence de l’État ouvre la voie à une gestion aventurière des
entreprises où sévissait la corruption se caractérisant particulièrement par les détournements,
les vols, la gabegie et le bradage du tissu industriel.
La corruption a aggravé la situation financière des entreprises publiques à travers notamment
le clientélisme et la gestion hasardeuse et bureaucratique entrainant des surcoûts
(particulièrement à cause des sureffectifs et de la dépendance technologique). Faut-il rappeler
aussi qu’il a été souvent question d’un recours au surendettement avant la mise en faillite par
la suite de nombreuses unités industrielles. A cela s’ajoute le problème de la dépendance des
importations qui relevaient exclusivement du domaine de l’Etat. En ce sens, la corruption
permettait de saborder les unités industrielles aux fins de recourir aux importations ou de
créer des tensions et des files d’attente autour de produits vitaux qu’on cherchait à acquérir
aux prix administratifs).
Tout ce manège profitait, d’évidence, aux spéculateurs ; lesquels agissaient sur le marché
parallèle, en versant des pots-de-vin en échange des biens raréfiés, comme ce fut le cas pour
des cimenteries qui tournaient au ralenti ou se mettaient carrément à l’arrêt en raison de
pannes fictives, « simulées » par les dirigeants gestionnaires et/ou les employés.
1-1-2/ Le PAS et la corruption
Nous avons suffisamment développé le PAS dans la première partie, nous allons donc
nous focaliser dans ce point sur l’évolution de la corruption dans le secteur productif durant la
période du rééchelonnement. Nonobstant les divergences des positions au sein du régime et
dans la classe politique5 quant à l’engagement de l’Algérie dans cette voie, la décision fut
tranchée sans qu’il y ait de débats publics sur une question qui pourtant engageait l’avenir du
pays. A. Hadj-Nacer (2011 p 125), Gouverneur de la Banque Centrale à l’époque, déclare :
« J’ai consacré mes efforts au refus de rééchelonner et avant tout, il s’agissait d’une lutte
contre la soumission à un diktat de l’étranger qui revêtait les attributs du Fond Monétaire
International (FMI) et la Banque Mondiale. Pour l’éviter, nous avions initié une nouvelle
technique sous la dénomination de « reprofilage ». Nous étions conscients que le
5
Alors qu’au moment de la signature des accords portant sur le rééchelonnement la classe politique n’a pas
manifesté sa désapprobation, même si, avant le rééchelonnement de la dette considérée, la plupart des acteurs
politiques voyaient dans opération un bradage portant un coup à la souveraineté nationale.
227
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
rééchelonnement présenté officiellement comme une mise aux normes de l’économie
algérienne, était en fait une mise au pas déguisé. Il s’agissait de nous obliger à renoncer un
peu plus à toute souveraineté en matière de choix économiques stratégique : politique
économique, politique industrielle, politique financière, mode d’intégration à l’économie
mondiale, autonomie dans la décision économique. ». Il soutient aussi que la machine
économique était grippée, l’Algérie n’avait pas les moyens d’exploiter ces nouvelles
disponibilités financières tout en se gardant du risque que celles-ci soient détournées de
l’objectif de la relance économique.
Néanmoins, les difficultés qu’a connues le régime algérien dans la gestion de la crise
économique l’ont amené, bon grès mal gré, à recourir au FMI. Le rééchelonnement de la dette
extérieure de l’Algérie a été repoussé pour des considérations multiples, et ce, durant tout le
long de la crise économique, particulièrement durant son exacerbation de 1988 jusqu’à la fin
de l’année 1993, période très cruciale faite d’instabilité politique6 et surtout de déséquilibres
financiers durant laquelle les revenus des hydrocarbures ne permettaient pas de faire face en
même temps aux échéances annuelles de remboursement de la dette extérieure (comprenant le
principal et le service de la dette) et à la facture des importations (alimentation, équipement,
médicament, etc.) qui nécessitaient l’une dans l’autre une enveloppe d’environ dix (10)
milliards de dollars.
Le rééchelonnement de la dette extérieure de l’Algérie a permis néanmoins de mobiliser 14,6
milliards de dollars suite aux deux accords signées en 1994 et 19957. Une manne financière
qui certes était utile pour rétablir l’ordre dans cette conjoncture d’instabilité et d’incertitude
guettant l’Algérie mais aussi l’occasion de la multiplication des actes de corruption8. Durant
cette phase de longue mutation, ces actes de malversation ont concerné le premier niveau des
réformes économiques, notamment la libéralisation des prix, et la fin du monopole étatique
sur le commerce extérieur et lesquels actes étaient l’œuvre des réseaux clientélistes affiliés au
6
C’est en pleine guerre civile que les accords ont été signés et suivis de l’application des dispositions contenues
dans le PAS.
7
Selon les données de la Banque d’Algérie, en recourant au rééchelonnement de la dette extérieure, l’Algérie
s’est présentée deux fois devant le Club de Paris en 1994 et 1995 et une fois devant le Club de Londres 1996,
soit au total, ce sont 14,6 milliards de dollars qui ont été rééchelonnés, ce qui représente plus de 50 % du stock
de la dette estimé à 28 milliards en 1994.
8
D’ailleurs en 1995/1996 une polémique avait opposé Mourad BENCHNOU à l’union nationale des
entrepreneurs publics, lorsqu’il parla en tant que ministre de l’Industrie et de la restructuration des industries du
détournement de l’argent du rééchelonnement par les gestionnaires publics.
228
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
régime en place ; lesquels ont mis à profit le retard qu’accusaient les réformes
institutionnelles portant sur la législation et les textes devant régir l’activité économique.
L’avilissement du rôle de l’État, couplé à la politique de «moins d’État » préconisée dans le
cadre du PAS, a abouti vers une situation de non-Etat. Le rééchelonnement aura par ailleurs
largement contribué au maintien des conditions de captation de la rente étatique, l’obstacle
principal s’il en est à la croissance. Faute d’efficience, l’objectif, en termes de relance
économique, escompté par le passage à l’économie de marché n’a pas été atteint et la création
de richesse, en termes de valeur ajoutée dégagée par les entreprises productives, est restée un
vain espoir. L’affaiblissement des institutions de l’État a été, pour ainsi dire, aggravé à l’effet
de créer les conditions institutionnelles idoines pour les rentiers spéculateurs et cet état de fait
ne pouvait que compromettre, au du moins freiner, les initiatives et stratégies
entrepreneuriales émanant d’entreprises porteuses de projets d’investissement productif de
richesses, et lesquelles pouvaient à long terme se substituer à la logique du « tout import ».
Ce constat de manque d’investissement est souvent confondu avec les dépenses publiques
engagées dans le cadre des programmes engagées grâce à la manne financière provenant de la
rente pétrolière. Ces programmes qui ont mobilisé des budgets inégalés durant la dernière
décennie ont aiguisé les appétits voraces des prédateurs qui agissent dans le système de
corruption clientéliste.
En effet, comme le montre le diagramme de Pareto ci-dessous (voir la page suivante), la
majorité des personnes enquêtées, quelque soit le statut juridique de l’entreprise, considèrent
que les politiques conçues dans le cadre des programmes de relance et de modernisation de
l’économie algérienne durant la dernière décennie où l’on constate la multiplication des
budgets consacrés aux dépenses publiques, en moyenne à près de 80 % un facteur de
prédation à la corruption, ce qui explique l’accroissement du volumes et du niveau de la
corruption.
En fait, la corruption pousse les entrepreneurs potentiels vers l’abandon des investissements
productifs et à opter en faveur des logiques rentières d’enrichissement rapide et personnel.
Cette situation aura pour conséquence de donner naissance et propulser une classe de
nouveaux riches, issus de la confusion de ces activités spéculatives rentières ; lesquelles
activités se sont développées au lieu et place de celles pouvant impulser une relace
économique, qui se traduirait par une croissance portée en dehors du secteur des
hydrocarbures.
229
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Il est clair que ce parasitage de l’économie freine les initiatives des entrepreneurs performants
et porteurs de projets susceptibles de redynamiser les activités économiques. En définitive,
c’est l’esprit d’entreprise qui se retrouve anéanti avec à la clé l’hypothèque de toute chance de
voir émerger des logiques d’investissement, hors hydrocarbures, à même d’asseoir un système
de production créateur de richesses.
À contresens de tout ordre rationnel, l’économie
continue donc de fonctionner dans la même logique rentière qui a sévi dans le secteur public
dont la gestion était plus politico-administrative qu’économique.
Figure n° 02 : le diagramme de Pareto représentant les réponses sur l’impact de la multiplication des budgets des
dépenses publiques durant la dernière décennie.
- Facteur
de
prédation à
la
corruption
- Contribue à
épurer les mauvaises
moeurs
- Les deux
Source : résultats de l’enquête
Il est de même concernant les initiatives d’investissement relevant du secteur privé, qui
soumises au bon vouloir des bureaucrates corrompus, n’étaient pas jugées sur leur apport à la
redynamisation et à la relance de l’activité économique, mais plutôt sur les prédispositions des
opérateurs concernés à verser des pots-de-vin.
Cette situation de flottement est à l’origine des occasions pour la multiplication des pratiques
de la corruption. Partant de ce fait, nous concluons que le plan d’ajustement structurel du FMI
(maître d’œuvre de toutes les politiques économiques dans le monde), élaboré dans le cadre
du «Consensus de Washington », a favorisé la corruption. Il faut savoir, par ailleurs, qu’au
moment de l’engagement de ce programme pour l’Algérie, la Banque mondiale, l’OCDE et
les autres institutions n’avaient pas encore élaboré des stratégies anticorruption. De ce fait, il
n’y avait pas d’instruments de contrôle des programmes, ainsi que la destination des aides et
des prêts accordés. Une carence qui n’est pas sans incidence négative sur la bonne conduite
230
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
des programmes de relance économique ainsi que sur la mise en place des nouveaux
instruments de gouvernance.
La majorité (la moyenne de 83,5%) des personnes enquêtées, selon le statut juridique de
l’entreprise, considèrent, comme représenté dans le diagramme de Pareto ci-dessous, que les
politiques préconisées dans le PAS par les institutions internationales n’ont pas contribué à
freiner la corruption en Algérie, ni même à aboutir à l’amélioration de la qualité
institutionnelle en matière d’une gouvernance meilleurs.
Figure n° 03 : le diagramme de Pareto représentant les réponses à la question portant sur les politiques d’ajustement
structurel préconisées par les institutions internationales et leurs contributions à freiner la corruption en Algérie.
Source : résultats de l’enquête
Avec du recul, il aisé de constaté que plus de 15 ans après sa mise en œuvre nous
n’avons pas eu les résultats escomptés, notamment en matière d’amélioration de la qualité et
du mode de gouvernance. Les résultats sont plutôt aux antipodes des espérances. L’Algérie
peine toujours à relancer son économie, la machine industrielle est grippée et la corruption a
pris de l’ampleur. Pourrait-on conclure que le PAS a favorisé son développement en
particulier dans le domaine économique.
-
Pour notre part, nous considérons que la mauvaise gouvernance de l’Algérie constitue
le premier élément de réponse soutenant la thèse de l’existence de liens entre la corruption et
le PAS, bien qu’il s’agisse d’un facteur exogène à l’application de ce programme, comme
expliqué précédemment. Au-delà des aspects de la mauvaise gouvernance, l’Algérie se devait
de refléter un bon climat d’affaires en vue de relancer son économie et d’attirer
l’investissement étranger censé découler de la mise en œuvre du PAS.
231
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
-
Le second élément de réponse est direct, il découle des conséquences liées à
l’application dudit plan.
Les politiques préconisées par le PAS ont été axées sur les
restrictions budgétaires qui se sont traduites par la fermeture des entreprises publiques
(exécutée à la hussarde avec comme seul programme : restrictions financières, restructuration
et enfin liquidation et privatisation, les licenciements (sous toutes les formes volontaires et
involontaires)9, et puis le gèle des augmentations salariales qui a eu des conséquences sociales
désastreuses et entraîné l’accentuation du degré de paupérisation au sein de la société.
La baisse du pouvoir d’achat a poussé bon nombre de salariés des entreprises publiques à
chercher un revenu d’appoint en travaillant au noir, et ce, en utilisant abusivement les biens
publics de ces mêmes entreprises. Ainsi, comme nous l’avons déjà relevé dans la partie
précédente, la pauvreté et la baisse du pouvoir d’achat entraînent le développement des
pratiques de la corruption. En ce sens, le PAS a contribué à l’accroissement de la petite
corruption dès lors où justement la dégradation du niveau de vie, consécutive aux réformes
économiques menées par les pouvoirs publics tel que dictées par le FMI, constitue un facteur
favorable à l’éclosion et la propagation du fléau de la corruption.
La démonopolisation et la libéralisation du commerce extérieur, espace de hautes luttes entre
les ‘‘barons’’ du régime, autour des intérêts relatifs au partage des revenus des importations10,
ont entraîné la baisse de la productivité, qui se traduit par l’absence de la croissance11
régulière. L’ouverture du marché extérieur a profité, en vérité, aux spéculateurs qui
imposèrent une concurrence déloyale, en important des produits non-conformes aux normes,
voire même frauduleux ou impropres à la consommation, et ce, sous la « bénédiction » des
contrôleurs des différents secteurs (douane, fraude, qualité, impôts, etc.) auxquels ils versaient
des pots-de-vin. D’autre part, comme dommage collatéral, il y avait le maintien de la
dépendance économique vis-à-vis de l’extérieur dans la mesure où le volume des importations
augmentait en raison des disponibilités financières issues du rééchelonnement de la dette
extérieure, ceci dans un premier temps, et puis la hausse vertigineuse du prix du pétrole. Cette
situation justifie l’accélération des opérations de privatisation et la liquidation d’entreprises
rentables au profit de la clientèle du régime.
9
Le rapport conjoncturel du CNES, repris par le quotidien El-Watan le 21 décembre 1996, relève qu’au cours de
l’année 1996, la réduction des effectifs a touché 55 783 salariés de l’industrie dans 402 entreprises, soit un taux
de compression des effectifs de près de 20%. Et, pour les deux années suivantes elle a touché près de 150 000
salariés.
10
Chiffrées à près de 10 milliards de dollars durant les années 90.
11
Même si il est constaté une légère évolution du taux de croissance de 4% en 1996 réalisé par deux secteurs :
les hydrocarbures grâce à la reprise des prix du pétrole et l’agriculture à la faveur des pluies saisonnières.
232
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Un constat qui devait remettre en cause les programmes, comme le PAS, préconisés par les
institutions internationales12, qui persistaient dans leur démarche et leur politique, incriminant
les gouvernements et les structures trop rigides qui n’auraient pas mené assez vigoureusement
le programme des libéralisations. En fait, ces institutions n’admettaient pas les
dysfonctionnement du marché et le rôle « protectionniste » de l’État qui, à travers les
politiques sociales engagées dans le même sillage des plans d’ajustement structurel, cherchait
à atténuer les contrecoups particulièrement de la législation relative aux privatisations, qui
s’est révélée finalement être une source génératrice de corruption à tel point que la crise est
allée en s’aggravant avec à la clé : une dépréciation chronique du pouvoir d’achat, un
accroissement du taux de chômage (de l’ordre de 30 % durant une longue période), une
paupérisation effrénée, une prolifération des fléaux sociaux, sans compter la montée en
puissance de l’activité informelle qui a supplanté l’activité économique légale et arrivée
jusqu’à « refaçonner » même le cadre institutionnel existant.
Ainsi, les stratégies adoptées durant cette phase de transition, à travers le programme des
réformes orienté vers les questions d’ordre économique au détriment du processus global
politique, juridique et social…etc., illustrent bien la priorité accordée aux réformes
économiques dont l’objectif principal porte sur les libéralisations, et ce, sans se soucier des
réformes institutionnelles politiques et juridiques. Or ces dernières devaient fixer le cadre
réglementaire nécessaire au contrôle et assurer une transparence, en contenant les passe-droits
en y opposant les règles de l’éthique dans l’accès aux opportunités offertes dans tous les
domaines, notamment économiques. Le blocage et les retards accusés dans les réformes
institutionnelles n’ont fait que renforcer la mauvaise gouvernance avec comme corollaire la
multiplication des pratiques de la corruption.
En effet, la majorité de la population enquêtés (en moyenne 86,6%) quelque soit le niveau
d’activité, comme le montre le graphe ci-dessous (voir page suivante) intégrant les différents
catégories de responsables enquêtés, considère que les pratiques de la corruption constituent
12
Dans le rapport de 2010, le FMI demande à l’Algérie de mener des réformes structurelles et de diversifier son
économie. Il est établi que la source de richesses principale de l’Algérie demeure les hydrocarbures, sans
croissance soutenue dans les autres secteurs créateurs d’emplois, ce qui a pour effet de faire perdurer le niveau
élevé du chômage. Il considère que l’Algérie demeure fragile et ses indicateurs macro-économiques instables.
Pour relever ces indicateurs, le FMI préconise « la diversification de l’économie, la croissance des
investissements privés, la réduction du chômage chez les jeunes et l’amélioration du niveau de vie de la
population, notamment par la modernisation et le renforcement du secteur financier dominé par l’Etat, afin de
soutenir les investissements privés ».
233
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
des facteurs de blocage freinant la réforme des institutions politiques et économiques en
Algérie, sous diverses formes notamment :
-L’absence de transparence et de contrôle.
-Le manque de légitimité de ceux qui gouvernent sous l’emprise des militaires dépositaires du
pouvoir décisionnel.
-Le mode de recrutement qui élimine les compétences favorisant le clientélisme.
-La mauvaise allocation et détournement des budgets.
-Les intérêts personnels et des groupes à préserver avec l’émergence des lobbys et de groupes
de pression.
-La perte de valeurs le mode gouvernance favorable aux blocages et la promulgation des
textes de lois sur mesure ou l’application sélective des lois favorisant une concurrence
déloyale.
-L’avènement du secteur privé parasitaire agissant à travers les réseaux parallèles de
l’économie souterraine.
-L’instabilité, l’incertitude et l’incapacité entretenues par ceux qui gouvernent à prendre des
décisions adéquates… Etc.
Figure n°04 : Graphe représentant les taux des réponses à la question, cherchant à savoir, si les pratiques de la
corruption bloquent-elles la réforme des institutions politiques et économiques ?
100
80
OUI
60
NON
40
20
0
Moyenne globale
Sans responsabilité
Chef de service
Directeur ou
principal
Gestionnaire et
cadre
Source : résultats de l’enquête.
En réalité, on ne peut pas soustraire le premier volet des réformes de l’ensemble. En
effet, les trafics d’influence dans les domaines économiques et politiques, couplés à l’injustice
et nourrissant un sentiment d’impunité, sur fond d’exclusion, de discrimination et de
corruption, ne favorisent pas, loin s’en faut, l’émergence de politiques à même d’impulser une
quelconque croissance économique.
Par ailleurs, il y a une interaction et influence mutuelles entre la sphère économique et les
autres sphères. En outre, il est aussi évident que les acteurs intervenant dans la sphère
234
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
économique opposent des résistances et des réticences, en développant des stratégies face au
changement, dans le but de préserver leurs avantages immédiats et de défendre leurs intérêts
dans les conquêtes futures.
Ce constat n’est pas spécifique à l’Algérie, M-O. Cozna (2006) considère, selon S. RoseAckerman (2004), que « durant le processus de transition, les pays accordent une importance
plus grande à la dimension économique (la croissance économique et la mesure de
l’évolution économique du pays) qu’aux autres aspects nécessitant une transformation, soit le
cadre législatif, le rôle de l’Etat, la politique de la croissance, etc. Son argument repose sur
le fait qu’en dépit de la croissance économique enregistrée par ces pays en transition, la
corruption peut conduire à une croissance de leurs activités illégales et à la déviation de
leurs activités productives vers celles non productives, entraînant des répercussions sur la
croissance. »
L’Algérie se trouve étranglée par le gouffre du dysfonctionnement que connaît la gestion des
affaires publiques et qui provient de l’affaiblissement, de la défaillance des institutions
étatiques et du manque d’investissement qui a pour effet premier de freiner le développement
socioéconomique. En entravant la réalisation de la croissance économique durable, la
corruption provoque des effets contraires, induisant une aggravation des défaillances dans la
répartition des ressources budgétaires et un accroissement des dépenses publiques à cause des
surcoûts.
Un constat, en réalité, qui mous amène à des interrogations autour de la qualité du personnel
auquel incombe la conduite des réformes. Pourrait-on endosser l’échec de la stratégie des
réformes à ceux chargés de la mise en œuvre ? Leur inclinaison à développer les pratiques
corruptives, qui s’en ressent dans la stagnation économique, l’opacité entretenue dans la
gestion des affaires publiques, l’annihilation des conditions favorables au développement
durable, constitue une preuve suffisante pour dire que la préoccupation majeure et unique de
ces derniers est bel et bien la préservation des situations de rente. En effet, le phénomène de
la corruption produit des effets négatifs sur la croissance, M-O. Cozna (2006) reprend les
conséquences citées par V. Tanzi (1998) qui sont déterminées par :
«
- la diminution des revenus et l’augmentation des dépenses publiques, qui conduisent à
des déficits fiscaux et rendent difficile l’application d’une politique fiscale adéquate ;
-
L’aggravation de la pauvreté et d’inégalités, permettant à ceux mieux positionnés de
s’enrichir au détriment du reste de la population ;
235
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
-
La distorsion des marchés et l’échec du gouvernement à fournir les services essentiels
(tels que l’éducation et la santé) ;
-
La réduction et l’habileté gouvernementale à imposer les réglementations nécessaires
pour corriger les échecs du marché ; l’inefficacité dans l’allocation des ressources :
les activités administratives offrant des revenus illicites sont plus recherchées que les
activités productives ;
-
L’affaiblissement du rôle du gouvernement dans le renforcement des contrats et des
droits de propriété. »
Les stratégies corruptives se sont incrustées dans le processus des réformes aux fins de
conforter les assises et le pouvoir d’influence d’un ensemble d’acteurs qui agissent dans le
sens de la préservation de leurs intérêts rentiers et de ceux de leurs parrains. Il s’agit
notamment des technobureaucrates chargés de la gestion du secteur public qui se sont, en
partie, recyclés dans le privé ; des responsables occupant des postes dans l’administration ;
des partenaires sociaux comme les syndicats qui agissent pour préserver les privilèges de
lobbies divers; et enfin une partie des acteurs affilés à des partis politiques disposant de
prérogatives et occupant des fonctions importantes dans certains segments du pouvoir
décisionnel.
SECTION II : Création des entreprises et corruption dans les dispositifs d’emploi des
jeunes
La crise économique qui a affecté l’Algérie durant la fin des années 80/90 découle de
l’incapacité des grands secteurs générateurs d'emplois à faire face au chômage endémique et à
la baisse du pouvoir d’achat. Pour faire face à cette situation de crise, les pouvoirs publics se
sont engagés à appliquer une feuille de route tracée par le Banque Mondiale et le FMI. Les
recommandations – dictées par la feuille de route en question – ont préconisé, entre autres, la
mise en place de dispositifs en faveur de l’emploi des jeunes. Le second accord (1995-1998),
signé durant la période du rééchelonnement de la dette extérieure contractée par l’Algérie,
confirme cette option. Et ce, en reprenant dans le programme d’ajustement structurel les
recommandations de changements au niveau microéconomique en faveur du secteur privé ; en
opérant des réformes structurelles intégrant, entre autres, les mesures d’accompagnement en
faveur, en premier lieu, des salariés expérimentés, victimes de compression d’effectifs ou de
236
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
dissolution des entreprises publiques, et, en second lieu, des jeunes chômeurs affectés
directement par le chômage endémique. Cette dernière frange sera prise en charge en mettant
en place de nouveaux mécanismes institutionnels permettant la création de micro-entreprises
et de PME par le biais de différentes formules, à savoir : les dispositifs de l’Agence Nationale
de Soutien à l’Emploi des Jeunes (ANSEJ) – qui fera l’objet de note analyse–, de l’Agence
Nationale de Gestion de Micro crédit (ANGEM), de la Caisse Nationale d’Assurance
Chômage (CNAC) et puis de l’Agence de Promotion et soutien à l’Investissement APSI qui
deviendra, par la suite, Agence Nationale du Développement de l’Investissement (ANDI).
Le dispositif d’emploi des jeunes a été conçu au départ dans une stratégie favorisant
l’essaimage en s’inspirant des dispositifs mis en place dans les pays développés. L’objectif
était de créer le maximum d’entreprises afin d’absorber le sureffectif des entreprises
publiques, et ce, en comptant sur les initiatives entrepreneuriales de salariés dotés d’un capital
expérience et savoir faire dans leurs domaines respectifs et qui seraient aidés dans leur
investissement par les indemnités prévues dans le cadre des départs volontaires ou des
licenciements. Outre cette catégorie, il y a celle des nombreux jeunes chômeurs, chercheurs
d’emplois, qui sont sans expérience professionnelle, mais pour qui la politique de l’emploi
ouvre la voie afin qu’ils deviennent tous de futurs entrepreneurs.
Nous présenterons d’abord l’évolution des pratiques de la corruption durant les trois phases,
avant de passer à l’analyse des causes à l’origine des occasions de corruption, qui sont
inhérentes au circuit de dispositif.
2-1/ Évolution des pratiques de la corruption dans les différentes phases du dispositif
Le dispositif d’emploi des jeunes en Algérie a connu trois phases principales. La
première lancée en pleine crise économique, durant les années 80/90 ; la seconde après la
signature du second accord du programme d’ajustement structurel ; et la troisième phase,
l’actuelle, lancée en pleine crise provoquée par des révoltes dans les pays du Moyen- Orient et
d’Afrique du Nord. Toutes ces trois générations précitées ont connu des pratiques de
corruption.
237
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
2-1-1/ Le Dispositif d'Insertion Professionnelle des Jeunes (DIPJ)
La première phase du dispositif de l'emploi de jeunes faisait allusion uniquement aux
coopératives artisanales13, le DIPJ était l’instrument principal de soutien à la concrétisation
des initiatives prises. Il s’agit d’un dispositif d'insertion professionnelle des jeunes qui
répondait à la nécessité de mettre en place une organisation capable de prendre en charge
efficacement les programmes d'insertion professionnelle des jeunes, intégrant des
programmes de formation et de financement14 destiné aux promoteurs créant des activités
dans ce cadre, aidant de manière pratique les jeunes qui sollicitaient l’assistance nécessaire
pour franchir les obstacles jusqu’à la matérialisation et le lancement de leurs projets.
Ce dispositif a été remanié et révisé à plusieurs reprises pour deux raisons essentielles. La
première raison est liée aux malversations dues aux pratiques de corruption qui
occasionnaient, par ricochet, des pertes sèches aux banques15. Un certain nombre de projets
était voués à l’échec. La faillite de certaines coopératives, créées grâce aux soutiens des
différentes structures du dispositif supportant leur financement, était perçue comme des
opérations de détournement de ce dispositif en faveur d’une clientèle familiale ou amicale.
Les pratiques de corruption ont facilité la captation d’une partie des fonds alloués16 par les
pouvoirs publics en faveur des jeunes.
Le financement des projets nécessitait, en plus de l’aide apportée par l’Etat à hauteur de
30%17, la contribution financière du jeune promoteur de l’ordre de 20%, ce qui avait pour
effet de décourager de nombreux jeunes qui par la suite deviennent des sous-traitants pour
certains barons qui les prennent en associés afin de profiter des avantages fiscaux et
parafiscaux offerts par le dispositif.
13
L’objectif était aussi de ramener les nombreux artisans, de divers secteurs, qui activaient dans l’informel à
intégrer le secteur formel en bénéficiant des avantages de formation, particulièrement dans la gestion et des
financements pour pouvoir rendre leurs entreprises viables en tirant profit au maximum de leur savoir-faire.
14
Pour faciliter l'accès des jeunes à des crédits bancaires, il est créé un fonds de caution mutuelle chargé de
garantir les prêts consentis par les banques et vers lequel se retournent celles-ci dans le cas où le projet échoue et
le bénéficiaire du prêt devient insolvable.
15
Le fonds de caution mutuelle n’a jamais fonctionné, ce qui permet de diluer les responsabilités et faciliter du
coup les opérations illégales, non sans causer un préjudice aux banques.
16
A noter que durant le début de cette phase, les promoteurs de projets, profitant de l’absence de législation
encadrant ce dispositif, avaient à leur disposition les fonds accordés par les banques, ils pouvaient même
procéder à des retraits de liquidités pour financer leur activité. Certains promoteurs ont carrément détourné ces
financements vers d’autres destinations.
17
Cette aide, sous forme de don, est considérable ; elle a été à l’origine de l’intrusion de la culture, ancrée dans
la société, de l’accaparement du bien Baylek. Ce bonus qui devait servir pour encourager les jeunes promoteurs
est devenu un objet de convoitises.
238
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
La deuxième raison est liée au dysfonctionnement du dispositif résultant de l’absence de
coopération entre des différentes structures le composant ainsi que du marchandage qui
s’opérait entre particulièrement l’instance chargée de la gestion dans le cadre de ce dispositif
et les banquiers à propos des dossiers à prendre en charge. Chacun cherchait, en fait, à faire
passer sa clientèle en priorité sans se soucier des préjudices occasionnés au trésor public.
2-1-2/ Le dispositif de l’Agence National de Soutien à l’Emploi des Jeunes (ANSEJ)18
Le premier bilan fait de l'ancien dispositif relève un ensemble de défaillances. De ce
fait (B. ABRIKA, 1999) beaucoup de jeunes chômeurs qui se sont constitués en coopératives
n'ont jamais pu avoir accès au financement bancaire, et par conséquent, après les trois années
d'exonération d’impôts, soit ils cessent leur activité sur le plan formel pour intégrer
l'informalité, revenant aux anciennes pratiques de production traditionnelles, qui ne
nécessitent pas de matériel important ; soit ils changent de créneau d'activités.
Cette seconde phase de 1996/1997 a été conçue dans l’esprit de corriger ces imperfections et
d’améliorer le premier dispositif pour qu’il devienne réellement le fer de lance de la création
d’emplois en faveur des jeunes promoteurs. En portant le capital maximal des microentreprises à 4 millions de dinars, en transformant le don de 30% en un prêt sans intérêts à
long terme et en exigeant une étude technico-économique des projets, les concepteurs de ce
nouveau dispositif voulaient dépasser les entraves auxquelles étaient confrontés les chômeurs
dans le premier dispositif, notamment les pratiques de la corruption et le clientélisme19
développé particulièrement dans le secteur bancaire.
Dans cette seconde phase, il y a lieu de retenir le développement des mécanismes du dispositif
mis en faveur des jeunes. Faire appel au même personnel qui était chargé de l’étude des
dossiers, à l’effet de bénéficier de l’expérience qu’il aurait acquise en la matière, constitue en
réalité une erreur dès lors où une bonne partie de ce personnel s’est adonnée à des actes de
corruption d’où les défaillances dont nous avons précédemment fait état.
18
L’Agence Nationale pour le Soutien à l’Emploi des Jeunes (ANSEJ) a pour mission d’aider à la réalisation de
projets de micro-entreprises (conseils, aide à la recherche de financements auprès des banques, accompagnement
du projet).
19
Les membres des administrations locales sont devenus des actionnaires informels grâce au statut qu'ils
occupent dans l'administration, ès qualités délégués à l'emploi de jeunes, banquiers, membres des délégations
exécutives communales, fonctionnaires de la daïra et/ou autres institutions qui siégeaient dans les commissions
de ce dispositif.
239
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Le chômage qui affecte essentiellement la frange juvénile de la société représente, en fait, un
sérieux mobile pour les concernés qui les pousse à se saisir de toute opportunité de monter
une micro-entreprise. L’engouement envers ce dispositif ne concerne pas cependant tous les
secteurs d’activités : les jeunes, pénétrés par la culture du gain facile, adoptent souvent des
comportements rentiers en visant plutôt les secteurs des services et particulièrement celui des
transports et de la location de voitures. La demande dépassant largement l’offre du marché
dans ce genre d’activités, cela conduit très vite à une saturation et des situations d’attente.
Aussi des décisions sont-elles prises pour le gèle de l’octroi de projets relevant de ces
secteurs. Cette situation de « blocage » donne lieu alors à de multiples occasions de
corruption clientéliste dont la cible est l’obtention des « dérogations » administratives et le
« visa » bancaire pour le financement des projets liés aux domaines d’activités en question.
Ce dispositif est aussi le lieu de prédilection des partis politiques principalement de l’Alliance
présidentielle qui, par injonctions interposées de la tutelle, obligent les gestionnaires à traiter
prioritairement et d’une façon privilégiée, les dossiers des jeunes de leurs chapelles politiques
et de ceux recrutés dans le cadre des compagnes électorales. Ce régime de faveur est à
l’origine du développement de la petite corruption entretenant des liens de dépendance. Lors
des dernières compagnes électorales pour les législatives et les communales de 2007 et puis
les présidentielles de 2009, les fonctionnaires responsables se sont impliqués directement en
promettant, aux jeunes recrutés dans les staffs de compagnes, de projets s’agissant des
chômeurs et l’octroi de marchés publics pour ceux qui disposaient déjà d’entreprises. De ce
fait, ce dispositif devient l’espace de démocratisation des pratiques de la corruption en la
rendant plus large et en l’érigeant en mode de gouvernance de la classe politique dirigeante.
Même si ce dispositif a permis dans sa démarche d’encourager, de soutenir et accompagner
les jeunes chômeurs porteurs de projets créateurs d’entreprise, ce qui ressort de nos
observations, est qu’il a été fortement dénaturé par des déviations clientélistes et
« éclaboussé » par des actes de corruption dont la cause est le fonctionnement
bureaucratique20 des agences de l’ANSEJ et la frilosité des banques qui constituent l’un des
handicaps entravant le développement et la croissance des micro-entreprises.
2-1-3/ Le dispositif de l’ANSEJ après les nouvelles mesures de 2011
Au lendemain des soulèvements populaires dans les pays voisins et des émeutes qui
ont éclaté durant le premier trimestre 2011 en Algérie, le régime décide dans la précipitation,
20
La durée moyenne pour l’aboutissement d’un projet dans le cadre du dispositif ANSEJ est de 9 mois.
240
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
sans aucune étude préalablement réfléchie21 en matière d’emploi, ni même une analyse de
l’impact économique, de lancer de nouvelles mesures, en assouplissant les modalités de
création des micro-entreprises en faveur des jeunes.
Ces nouvelles mesures sont perçues par l’opinion publique et les analystes comme un
moyen de répartir la rente en irrigant la clientèle par la manne financière et en corrompant les
jeunes chômeurs sans aucune expérience. Autrement dit, il s’agit d’un assouplissement des
dispositions existantes et d’une facilitation extrême22 d’octroi de projets concédés pour le
rétablissement de la paix sociale, ce qui contextuellement est synonyme de corruption de la
révolte juvénile. En effet l’Algérie est un cas atypique qui permet aux jeunes de passer du
statut de chômeur (sans aucune situation sociale) à celui de chef d’entreprise (disposant d’un
capital financier colossal), sans avoir jamais exercé auparavant une activité salariale, et sans
même avoir une quelconque qualification.
Alors que l’administration algérienne est connue pour sa lenteur, il a été décidé de réduire les
délais d’attribution des nouveaux projets en faveur des jeunes de 9 mois à 2 mois durant
l’année 2009. Ce que ne peuvent pas atteindre logiquement les antennes de l’ANSEJ dans les
conditions de fonctionnement ordinaire d’autant plus au regard de leurs capacités limitées en
termes de ressources humaines.
L’application de ces nouvelles mesures décidées en février 2011 ont permis d’enregistrer,
selon les indications du directeur général de l’ANSEJ, durant la période du premier semestre
2011, les résultats exceptionnels23 suivants :
-Le nombre de dossiers déposés a connu un pic singulier de 1031 %, soit au total 333 705
dossiers de projets d’activités contre 29 499 dossiers durant la même période de 2010 ;
21
Alors que le constat, établi en 2007 par l’ANSEJ, concluait sur la mise en œuvre d’un plan de sélection et de
validation des projets futurs basé sur des normes économiques de réformes inscrites dans une stratégie de
création de micro-entreprises pérennes et génératrices d’emplois et de richesses, ces mesures remettent en cause
les décisions du gel des activités saturées. Ce qui fait que la majorité des projets proposés par les jeunes
concernent le secteur des transports (camions, fourgons, location de voitures et minibus) que les
concessionnaires automobile avaient du mal à satisfaire durant les périodes antérieures.
22
Au point où ce dispositif est réduit, dans sa nouvelle perception, à une simple distribution de sommes d’argent
à des jeunes, sans aucune suite.
23
Même si le doute subsiste sur l’objectivité, la rationalité et la véracité de ces résultats quantitatifs, nous ne
disposons pas de moyens matériels permettant de les démentir. Il ne faut pas perdre de vue la nature du système
algérien qui entretient le monopole de l’information et développe la culture de la non-élaboration de bilans
critiques. D’ailleurs, le bilan annoncé par l’ANSEJ (financement de 42 622 micro-entreprises en 2011 avec la
création, au minimum, de 92 412 emplois directs) pour la période de l’année entière contredit ces chiffres.
241
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
-Le taux de validation des projets ANSEJ a augmenté de 330 %, soit au total 108 573 dossiers
de projets d’activités de jeunes promoteurs validés contre 25 256 dossiers pour le premier
semestre 201024 ;
-et pour terminer, les financements bancaires sont ficelés en deçà des délais de deux mois
fixés ; dans certains cas, des dossiers ont été financés en 48 heures, pirouette frisant
l’imaginaire.
La question des délais constitue, en fait, l’enjeu principal dans le dispositif ANSEJ dans la
mesure où la période d’attente avant l’aboutissement d’un projet et son financement est un
facteur suscitant l’offre et la demande de pots-de-vin : d’un côté, le demandeur cherche à
raccourcir la durée en proposant en contre partie des cadeaux et, de l’autre coté, l’offreur
rallonge la durée en vu de demander du bakchich. L’accord des deux parties développera un
nouveau lien social commun, entretenu par des échanges de services indus autour d’intérêts
individuels.
Les conséquences de ces nouvelles mesures sont nombreuses. Elles confirment les
appréhensions initiales quant à voir, notamment, la culture de l’accaparement de la répartition
de la rente prendre le dessus. En effet, pourrait-on donner un autre sens à ces mesures au
regard des résultats annoncés par le premier responsable du dispositif ANSEJ ? Avec le même
personnel, le nombre de dossiers reçus, traités et financés est trois fois plus élevé que le
nombre pris en charge dans une situation ordinaire.
Ces résultats ne signifient pas que l’Algérie a surmonté la lourdeur bureaucratique, mais
indiquent plutôt le degré de perversion affectant la logique et l’esprit de ce dispositif (le dégel
des activités saturées et considérées comme improductives, pour satisfaire des intérêts précis,
en est l’une des illustrations). Cette tendance semble largement confirmée à travers la lecture
des résultats du bilan établi pour l’année 2011, où il ressort du financement des 42 622
micro-entreprises nouvelles la prédominance, soit 64,81%, des activités des secteurs du
transport de marchandises et des services avec respectivement 16 326 et 11 298 microentreprises.
Le dispositif devenu – par glissements successifs dans la logique affairiste –une simple
formalité pour l’acquisition de capitaux qui sont perçus comme de l’argent de poche25 par une
24
Il y a lieu de signaler, à ce titre, depuis le lancement de l’Agence nationale de soutien à l’emploi de jeunes
(ANSEJ) en 1997 seulement 140.000 micro entreprises ont été crées dans le pays.
25
De nombreux témoignages affirment que les jeunes créent des projets fictifs dans le but de récupérer une part
du financement pour aller à l’étranger et se faire une situation.
242
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
catégorie de jeunes dont le souci est uniquement d’émarger à la rente, sans nulle prétention de
lancer une quelconque activité, de monter une micro-entreprise ou de se donner le statut
d’investisseurs.
Cependant, pour apprécier et comprendre l’engouement et la motivation des jeunes, après
l’application de ces nouvelles mesures, il est nécessaire d’attendre les résultats concrets, sur le
plan qualitatif, en matière d’emplois crées ainsi que de la pérennité des projets validés. Selon
M. Djerrad(2009)26, commissaire aux comptes et président de l’Union des experts-comptables
d’Algérie, le chiffre réel de la mortalité des entreprises créées dans le cadre des mécanismes
de l’ANSEJ est beaucoup plus important, car en réalité plus de 50% des entreprises créées
dans le cadre des dispositifs du microcrédit finissent par disparaître. Alors que les services
centraux de l’ANSEJ estiment le taux de mortalité dans la limite des 20%27.
Il n’en demeure pas moins clair que les accords bancaires rétrocédés dans la précipitation
trahissent et dénotent une légèreté et une improvisation dans la prise de décision à leur
origine. Faut-il, par ailleurs, noter que ces facilitations aiguisent les appétits voraces de
plusieurs prédateurs. D’où la question de savoir qui tire profit de ces nouvelles mesures ?
Quelles sont les premières catégories servies ?
Les tensions qui entourent les agences de l’ANSEJ révèlent la multiplication d’intermédiaires
activant parallèlement et prioritairement en faveur de certains jeunes relevant essentiellement
de deux catégories. La première concerne les proches de l’administration et ceux qui sont
dans le giron des décideurs politiques. La seconde brasse substantiellement dans le milieu des
jeunes révoltés et en particulier les jeunes meneurs des émeutes de janvier 2011. Dans une
situation de crise et de pressions politiques, les actes de corruptions deviennent la règle. En
effet, l’établissement des documents à fournir dans le dossier et l’accélération des procédures
n’obéissent pas uniquement aux recommandations accompagnants les nouvelles modalités,
mais dépendent aussi des intermédiaires, de l’environnement et de l’ambiance entourant ces
opérations.
26
Voir le quotidien d’information Djazayress du 30 novembre 2009.
Nous relevons la manipulation régulière des données statistiques du dispositif ANSEJ. En effet, une alerte est
lancée dans le rapport élaboré par le Forum des promoteurs des micro-entreprises créées dans le cadre de
l’Ansej, de la Cnac et de l’Angem de la wilaya de Tizi-Ouzou, qui a enregistré un engouement le plus important
au niveau national. Ce forum dénonce les multiples entraves et déclare que « le marché est sous l’emprise d’une
bureaucratie et d’une corruption qui étendent leurs tentacules sur tous les secteurs de la vie économique du
pays ».
27
243
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Un réseau parallèle est établi au niveau des agences pour faire fonctionner cette logique. Il va
de la petite corruption qui permet de fournir aux jeunes les pièces nécessaires au dossier et de
son accompagnement durant tout le long du processus ; jusqu’à la grande corruption qui
consiste à faire du rabattage au profit de fournisseurs disposés à négocier avec les jeunes
promoteurs les divers «artifices » permettant de contourner les modalités de financement et/ou
de détourner carrément les fonds accordés vers d’autres usages.
Les pratiques de la corruption qui anime cette logique affectent l’ensemble du secteur
productif national, quelque soit la dimension de l’entreprise. En général les entreprises qui
versent des pots-de-vin consacrent des sommes impotentes pour l’obtention des services
indus. A partir des réponses des personnes enquêtées, quelque soit le nombre d’employés ou
la période de début d’activité, comme le montre les diagrammes de Pareto ci-dessous, nous
relevant trois catégories de montants que consacre ces entreprises à la corruption classées par
un ordre de grandeur suivant : 40,3% qui consacre moins de 10% ; 39% qui consacre entre 10
et 20% ; et 20,2% qui consacre plus de 20%.
Figures n° 05 et 06: les diagrammes de Pareto représentant les taux des montants que consacrent les entreprises à la
corruption.
Source : résultats de l’enquête
Source : résultats de l’enquête
2-2/ La corruption au cœur du circuit du dispositif ANSEJ
En analysant le circuit du dispositif de l’ANSEJ, depuis son lancement, à travers ses
multiples phases y compris les dernières mesures arrêtées par le conseil du gouvernement en
février 2011, nous concluons que les pratiques de la corruption sont au cœur de ce mécanisme
institué en faveur des jeunes porteurs de projets de création de micro entreprises. On retrouve
244
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
ces pratiques de corruption non pas seulement durant le processus de création de la microentreprise – qui aboutit, dans certains cas, au détournement des fonds engagés par les
pouvoirs publics –, mais aussi durant la processus d’exploitation, où l’action corruptive se
décline sous forme de recommandation/injonction lors de l’attribution des marchés publics28,
de facilitations concernant les opérations d’approvisionnement, d’écoulement de la
marchandise et parfois même de circuit permettant le transfert des fonds alloués vers
l’étranger, non sans tirer profit au préalable des avantages fiscaux et parafiscaux accordés par
le dispositif durant la phase de l’exploitation.
En effet, comme nous l’avons retracé précédemment, les pratiques de la corruption ont en
premier lieu affecté les fonctionnaires de ce dispositif, sans revenir sur le mode de nomination
des responsables, en charge de gérer le dossier de l’emploi de jeunes, qui n’obéit pas
systématiquement à la logique de la compétence mais plutôt à celle de la proximité avec les
décideurs du secteur en question. Ces derniers, qui héritent de la mission de suivi des dossiers
de l’emploi de jeunes depuis leur confection et le lancement de l’activité jusqu’à la phase
d’exploitation, ont transformé le dispositif en un cadre entretenant la clientèle des réseaux
familiaux, amicaux et des connivences politiques. Certains fonctionnaires jouissent du statut
d’associés, évidemment de façon informelle et parfois sous le couvert de prête-noms, dans
plusieurs micros entreprises, transformant ce mécanisme en source d’enrichissement et de
promotion sociale. La reconduction de cette catégorie impliquée dans les actes de corruption
parmi le personnel chargé du dispositif d’emploi des jeunes est une source de l’affirmation de
ces pratiques. Les mêmes causes engendrent les mêmes effets.
Le lancement d’un projet dans le cadre de ce dispositif n’obéit pas uniquement à des
critères objectifs et subjectifs fixés pour rendre compte des compétences du postulant, de la
faisabilité et de la viabilité économique d’un projet. D’autres facteurs, en fonction de
l’environnement et des objectifs arrêtés par les promoteurs des micros entreprises, influent sur
l’orientation et les décisions de leurs vocations. Des équipements, acquis dans le cadre de
projets initiés, dans le secteur du bâtiment, par des jeunes dits « chômeurs » se retrouvent
dans certains cas détournés de leur vocation initiale, et ce, soit par leur location ou leur vente
28
A cet effet, quel sera l’impact de la nouvelle mesure, révisant la réglementation des marchés publics, prise par
les pouvoirs publics pour l’année 2012, en ouvrant davantage l’accès à la commande publique au bénéfice des
jeunes micro-entrepreneurs, où 20% des commandes publiques d’études, de travaux et de services dont les
montants ne dépassent pas 12 millions de dinars sont réservés aux micro-entreprises ?
245
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
à des tierces personnes29, pour servir à des activités clandestine comme l’extraction de sable
prohibée, autre forme de corruption faisant appel aux concussionnaires tapis au sein des
services d’administration et de police.
Ainsi, de nombreux dossiers portant création de micro-entreprises intègrent le matériel
roulant, qui est du reste à l’origine de la hausse du coût du financement, et ce, uniquement
dans le but d’utiliser cet équipement dans des activités informelles ; astuce permettant au
promoteur de contourner le gel frappant les activités de transport et de se tourner vers des
opérations d’achat et de revente de marchandises, qui ne sont pas du tout concernées par le
dispositif ANSEJ.
Dans la réalité, les fouisseurs sont les premiers bénéficiaires des dispositifs d’ANSEJ.
Ils maitrisent parfaitement ce dispositif et connaissent les contraintes des jeunes chômeurs. La
première approche liant les deux parties se fait autour du prix des équipements qui sont
surfacturés (bien que leurs caractéristiques techniques dans la réalité d’une qualité inférieure)
et en contrepartie le fournisseur fournit l’apport initial au jeune promoteur. Dans certains cas,
le matériel n’est livré que partiellement ou bien totalement, selon la facture préforma établie
préalablement, mais par la suite restitué en contrepartie d’une rémunération financière. Des
gérants de micro-entreprises deviennent dans certains secteurs d’activités des prête-noms30 au
service de corrupteurs qui « parrainent » des jeunes chômeurs. En l’absence d’un organe de
contrôle régulier, l’ANSEJ devient le pourvoyeur de fonds finançant des projets qui ne
connaîtront aucune effectivité. La matérialisation de ces pratiques se fait en engageant des
intermédiaires rabatteurs qui infiltrent les agences de ce dispositif en corrompant activement
ou passivement leurs employés.
Le financement des projets de l’ANSEJ a souvent eu du mal à se faire si bien que parfois cela
remettait en cause même la création de la micro-entreprise en question. Et, cet état de fait
n’est évidemment pas sans rapport avec le dilemme auquel font face les directeurs de banque.
Les comités chargés de l’étude et de l’attribution des crédits sont, en fait, soumis d’un côté à
l’obligation de respect des règles garantissant le remboursement par les promoteurs des micro
entreprises des prêts qui leur sont accordés; et d’un autre côté, aux instructions que les
29
Même si les équipements acquis par les jeunes promoteurs font l’objet d’un nantissement auprès d’un notaire
et que le matériel roulant est systématiquement gagé, ils sont cédés informellement sans disposer de la mainlevée
délivrée par l’Ansej.
30
Les registres de commerce de certaines micro-entreprises serviront à obtenir des marchés publics.
246
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
responsables des banques reçoivent de leur tutelle pour financer les projets auxquels les
agences de l’ANSEJ délivrent l’attestation d’éligibilité. La Banque nationale d’Algérie a
enregistré jusqu’à l’année 2008, un taux de 35% de crédits non remboursés, octroyés aux
projets d’activités de jeunes promoteurs dans le cadre du positif de l’ANSEJ, ce qui illustre
les risques et les dédommagements que verse le trésor public aux institutions bancaires.
Depuis la mise en place du fonds de garantie31, qui couvre les pertes causées par les faillites
des micros entreprises, la tendance est au financement systématique des projets avalisés par le
Comité de suivi, de validation et de financement des projets (CSVF) de l’ANSEJ. De ce fait
l’Etat régulateur, à travers ce comportement, est guidé par une logique populiste, politique et
sociale plutôt qu’économique ; ce qui engendre des pertes sèches et entretient davantage la
culture du comportement rentier32.
L’analyse descriptive des dernières décisions prises en février 2011 sans implication des
organes de contrôle, ramenant les taux d’intérêts à 1% ou 2% et rallongeant la période de
remboursement à 8 ans entrainant l’accroissement du nombre de projets ayant bénéficié des
crédits bancaires en un laps de temps record nous permettent de conclure qu’il s’agit mesures
populistes temporaire. Ce qui à d’ailleurs ouvert la voie à la transgression des règles
institutionnelles33 et financières dans l’opacité totale favorisant l’élargissement du recours à
l’usage des diverses pratiques de la corruption.
La mise sous pression des fonctionnaires chargés des prêts, qui ne peuvent pas répondre
objectivement à la demande supplémentaire de microcrédits venant de l’ANSEJ, a généré des
situations de rente dans le secteur bancaire, ce qui a pour effet de favoriser la demande de
corruption de la part des emprunteurs. Cet accroissement irrégulier et exponentiel de
demandes de financement provoque la mauvaise gestion et engendrera à terme des pertes
sèches pour l’État dont les ressources ont été engagées dans le financement de projets classés,
selon les rapports élaborés par les instances de l’ANSEJ, comme étant non rentables et
saturés.
31
Il s’agit du Fonds de caution mutuelle de garantie risques/crédits jeunes promoteurs qui a été conçu dans le but
de conforter davantage les banques dans la prise des risques inhérents au financement des micro-entreprises
créées dans le cadre du dispositif Ansej.
32
Dans l’esprit de beaucoup de jeunes qui contractent des prêts bancaires pour les détourner vers d’autres
objectifs, plus tard le gouvernement décrétera forcément l’effacement des dettes de l’ANSEJ, et partant de cette
approche, ce jeunes, obnubilés par la culture d’accaparement ambiante, pensent être en droit de prendre leurs
parts de la rente, sans plus.
33
Fragilisant davantage le fonctionnement du système juridique, confronté aux procédures de recouvrements
bancaires en cas de faillite.
247
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
D’évidence, il y a lieu de penser que cette situation de non-sens économique est partie pour
durer et se propager dès lors que justement plusieurs facteurs plaident dans ce sens. À
commencer par la sélection des dossiers passant en priorité, s’ensuit la catégorie des candidats
recommandés pour bénéficier d’un traitement de faveur permettant d’accélérer les procédures
de validation et de financement, et puis enfin la catégorie des corrupteurs qui engraissent la
patte aux personnes à même de leur permettre d’accéder aux « bienfaits » du dispositif via des
raccourcis et des portes dérobées.
Des facteurs qui rendent dès lors inefficace le fonctionnement du système de financement
bancaire, devenant inopérant et encourageant par conséquent la corruption. De ce fait, le
processus traditionnel de mise en place d’un crédit bancaire fonctionne d’une manière
imparfaite en causant l’augmentation de la corruption. La couverture du fonds de garantie des
risques bancaires deviendra à terme une source de gaspillage des richesses nationales et
financières destinées à l’essaimage des entreprises. Un double impact négatif se développe.
-Le premier impact freinera l’efficience des modes de fonctionnement antérieur mis
en place par les cadres financiers qui avaient la compétence de gérer rationnellement les
crédits bancaires.
-Et, le second impact entrainera la généralisation des pratiques de corruption, en
entretenant la connivence entre les promoteurs de micro-entreprises et les bailleurs de fonds,
avec comme équation d’échange : la surévaluation des coûts et de la rentabilité d’un projet
contre le versement de pots-de-vin. Partant de cette logique, les banques attribueront de
moins en moins de crédits rationnellement, c’est-à-dire sur la base des critères objectifs de
rentabilité.
Le schéma de la page suivante synthétise et reprend le circuit du mécanisme des projets crées
dans le cadre du dispositif de l’ANSEJ, en résumant les pratiques de la corruption décelable
durant le processus de création et d’exploitation des micro-entreprises.
Malgré l’importance des moyens financiers engagés dans le dispositif de l’ANSEJ pour la
création de nombreuses micro-entreprises, l’Algérie souffre du manque d’objectivité dans la
prise de décision et de l’inexistence d’un substrat porteur de la logique entrepreneuriale.
L’État algérien est confronté à la mise en place d’une stratégies pouvant assurer la
maturation des projets de micro-entreprises et leur intégration dans un processus de mutations
qui devra aboutir à un nouveau potentiel de PME/PMI, avec à la clé l’impulsion de l’esprit
entrepreneurial et la levée des obstacles entravant la substitution de la production local aux
248
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
produits d’importation. La logique rentière et clientéliste ainsi que la culture du privilège,
aggravée par l’absence flagrante d’une transparence dans les affaires, constituent
indéniablement la pierre d’achoppement à l’institution d’une économie reposant sur des
entreprises productives. En effet, une fois dépassés les obstacles bureaucratiques lors du long
processus de création des entreprises, les entrepreneurs font face de nouveau au fléau de la
corruption qui engendre des coûts supplémentaires dans un environnement qui décourage
l’investissement et qui freine le développement des entreprises, affectant ainsi directement le
niveau de la croissance.
249
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Figure n° 07 : schéma synthétisant et résumant les pratiques de corruption dans le circuit du mécanisme du dispositif de l’ANSEJ.
Source : synthèse de nos reconstitutions découlant de nos investigations.
250
CHAPITRE I : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
SECTION III : La dynamique des entreprises et corruption
La dynamique des entreprises est confrontée davantage aux pratiques de la corruption
durant le processus de production. Ce qui fait de ce fléau une véritable entrave au bon
fonctionnement des entreprises algériennes. Face aux conséquences néfastes de la corruption,
les entreprises prennent des risques engendrant notamment des coûts non négligeables, et ce,
dans un environnement concurrentiel déloyal qui ne respecte pas les règles du marché, de la
libre circulation de l’information et qui est marqué par la faiblesse des normes formelles. La
faiblesse ou l’absence de règles encadrant le fonctionnement normal du marché poussent les
entreprises à recourir au facteur risque de la corruption pour compenser les défaillances
inhérentes aux difficultés auxquelles elles font face régulièrement.
De l’évolution du niveau de la corruption durant les 10 dernières années, quelque soit le statut
de l’entreprise, comme représenté dans le diagramme de Pareto ci-dessous, chez la majorité
de la population
des enquêtés nous relevons des estimations qui tendent vers son
accroissement situé entre 80 à 90% au minimum pour chacun des services, suivant, classés
par ordre de grandeurs: l’administration, les organes fiscaux, la douane la, les services de
sécurité et justice. Ces résultats confirment l’attitude adoptée par les entreprises qui prennent
des risques, en recourant au facteur délictuel de la corruption.
Figure n° 08: le diagramme de Pareto représentant l’estimation de l’évolution de la corruption depuis 10 ans.
Source : résultats de l’enquête
Au-delà des risques multiples que prennent les managers des entreprises algériennes,
la prolifération des pratiques de la corruption infecte le climat des affaires, fragilise le bon
fonctionnement et la compétitivité des entreprises. C’est ainsi que s’opère une réduction de
251
CHAPITRE I : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
l’efficacité économique qui s’en ressent à travers notamment la perte de temps, la stagflation
et la baisse de la qualité des biens et services produits
En ce sens, la fragilité peut être interne en affectant la cohésion sociale et l’esprit de solidarité
qui anime le personnel des entreprises. Elle déstabilise le processus de production et entrave
la dynamique des entreprises, une situation qui se manifeste par la baisse de la productivité
due à des sabotages, à l’absentéisme, à l’absence de motivation et au manque d’initiatives
managériales. Comme aussi la déstabilisation peut provenir, particulièrement dans le secteur
public, des relations qu’entretiennent les dirigeants d’entreprises avec les partenaires sociaux.
En période de crise et de tension sociales, les responsables de l’entreprise corrompent les
meneurs pour assurer la stabilité de l’entreprise et/ou pour taire certaines informations les
mettant en cause.
De même que la fragilité peut provenir de l’extérieur : une tierce personne qui corrompt un
employé de l’entreprise pour pirater les informations stratégiques (secrets de fabrication,
technologie, informations comptables…, etc.) de l’entreprise afin de les fournir à des
concurrents qui peuvent s’en servir dans des actes de sabotage, et ce, soit dans une optique
d’accaparement du marché les monopoles, lorsqu’il s’agit d’entreprises intervenant dans le
même secteur d’activité ; soit, dans le but de provoquer des faillites qui seront mises à profit
par d’éventuels repreneurs et prédateurs dans le cadre des opérations de privatisation d’actifs
des entreprises publiques.
Afin d’obtenir les informations stratégiques, financières et technologiques souhaitées dans
certains secteurs d’activités (particulièrement les renseignements sensibles, consultables
uniquement par une catégorie de fonctionnaires institutionnels : la police, la justice, les
douanes, le fisc, les banques et certaines autorités), les corrupteurs procèdent par des enquêtes
pour repérer et convoiter les maillons faibles au sein des entreprises ciblées, en recherchant
leurs défaillances (l’ambition de carrière, ascension sociale et l’attrait pour les avantages
matériels et financiers) dans le but de les corrompre.
3-1/ L’entreprise et les faits de corruption
La dynamique des entreprises algérienne n’est pas uniquement bloquée par le fléau de
la corruption. D’autres facteurs freinent le développement des petites entreprises. Ils sont liés,
soit à des facteurs généraux tels que la concurrence déloyale, la non-maîtrise technologique,
l’instabilité institutionnelle ou juridique, le manque de main-d’œuvre qualifiée, le climat des
affaires, les relations avec les pouvoirs publics, les difficultés d’obtention d’autorisations et
l’incertitude du marché ; soit à des facteurs spécifiques tels que l’inaccessibilité aux crédits
252
CHAPITRE I : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
bancaires, l’absence de politiques pratiques en faveur des entreprises productrices, l’opacité
dans l’attribution des marchés publics, les obligations sociales et religieuses de la société, le
manque d’organisations autonomes et efficaces défendant les intérêts des entreprises, les
pénuries de matières premières et de pièces de rechange,…etc.
En effet, la majorité des enquêtés, plus de 80%, comme représenté dans le diagramme de
Pareto ci-dessous, selon le statut de l’entreprise ou l’entité, en répondant à la question sur la
qualité de l’environnement institutionnel, politico administratif, fiscal, parafiscal et juridique
répondent qu’il a un impacte négatif sur l’activité de l’entreprise. Ils donnent plusieurs
arguments justifiant cette réponse dont en ordre de grandeur: la lourdeur bureaucratique,
environnement favorable à la corruption, l’instabilité, le flou et la non application des lois, la
concurrence déloyale, blocage des compétence et l’émergence des entreprises de qualité,
climat de violence, le clientélisme et appartenance politique, la transition vers l’économie de
marché.
Figure n° 09: le diagramme de Pareto montrant l’impact négatif de la qualité de l’environnement institutionnel,
politico administratif, fiscal, parafiscal et juridique sur l’activité des entreprises.
Source : résultats de l’enquête
L’ensemble de ces facteurs influent négativement sur la dynamique des entreprises et
déstabilisent leur fonctionnement ordinaire, en leur imposant un environnement défavorable et
en marginalisant en leur sein les compétences formées dans le domaine de la gestion des
entreprises.
Aussi, la mise à l’écart de ces compétences, qui partant prive les entreprises
publiques d’un apport précieux pour leur épanouissement, se fait de façon sournoise, soit par
leur affectation à des postes administratifs sans relief, soit en les dépréciant si bien que
certains se trouveront poussés à l’exil tandis que d’autres se tourneront vers la recherche de
253
CHAPITRE I : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
postes politiques, et c’est là que leur implication fonctionnelle et institutionnelle peut être
assimilée à une corruption par le silence.
Cet environnement ne favorise pas l’émergence de nouveaux entrepreneurs et décourage
plutôt les entreprises existantes. La corruption devient soit un facteur facilitateur pour éviter
ces embûches engendrant des surcoûts à la mesure des bénéfices ou à la rente que l’entreprise
engrange en dehors de la compétitivité; soit un facteur aggravant, poussant les entreprises à
l’abandon. De ce fait la corruption devient un objet de la concurrence déloyale, favorisant ou
défavorisant – c’est selon – les entreprises, et entraînant des situations de conflit d’intérêts qui
impliquent l’ensemble des acteurs intervenant dans le secteur d’activité convoité.
En effet, devant cet état de fait, les entreprises ne manquent pas d’intégrer dans leur stratégie
de gestion et d’action les risques qu’elles soient soumises aux pratiques de la corruption. Les
entrepreneurs prévoient ainsi dans leur gestion les éventuels frais et préjudices que peut leur
coûter la corruption, soit en l’évacuant systématiquement, soit en concédant régulièrement
certains avantages pour s’éviter des désagréments ou pour se « jouer » de la législation à
coups de pots-de-vin.
L’acceptation des « règles du jeu » qu’impose la corruption permet à l’entreprise de tirer des
avantages tels que d’accès facile aux marchés publics surévalués synonyme pour l’entreprise
d’augmentation de son niveau d’activité (chiffre d’affaires), comme elle permet aussi de fuir
le fisc en dissimulant une partie des activités et des bénéfices qui en découlent.
Le sondage réalisé dans le cadre de notre enquête révèle que le taux de l’évasion fiscale est
trop élevé. La majorité des enquêtés, prés de 50%, estiment que le taux de l’évasion fiscale,
comme représenté dans le diagramme de Pareto ci-dessous, selon le statut de l’entreprise ou
l’entité, dépasse les 30%, aussi ce taux est situé entre 10% et 30% pour 23,7% des enquêtés et
à moins de 10% pour 22,7% du reste des enquêtés en moyenne. Il y a lieu de signaler les
écarts relevés au niveau des estimations entre les enquêtés du secteur public et le secteur
privé. En effet, 40% de ceux du secteur estiment l’évasion fiscale à un taux de moins de 10%,
alors qu’il est situé à 24% par ceux du secteur privé. Ce constat confirme que les activités du
secteur privé sont principalement affectées par les pratiques frauduleuses de l’évasion fiscale
(minorisant le chiffre d’affaire) et entretenant la persistance des activités relevant du domaine
de l’économie informelle.
254
CHAPITRE I : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Figure n° 10: le diagramme de Pareto classant d’évasion fiscale en fonction du pourcentage.
Source : résultats de l’enquête
Ce constat est confirmé davantage dans les deux diagrammes de Pareto ci-dessous,
selon le statut de l’entreprise ou l’entité, reflétant la qualité des relations qu’entretiennent les
entreprises avec les services fiscaux et parafiscaux. Il apparait clairement que celles du
secteur public a enregistré un taux plus élevé en terme de bonnes relation comparativement à
celles du secteur privé, exprimant le taux qui avoisine 30% des mauvaises relations
qu’entretien le secteur privé avec ces deux services.
Figures n° 11 et 12: les diagrammes de Pareto représentant la qualité des relations qu’entretiennent les entreprises ou
les entités avec les services fiscaux et parafiscaux.
Services
Fiscaux
Source : résultats de l’enquête
P
Services
Parafiscaux
Source : résultats de l’enquête
255
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Le lien de entre fraude fiscale et corruption administrative est établi : autant le degré
de la fraude fiscale est élevé, autant la pratique de la corruption administrative s’érige en
règle. La corruption affecte sans distinction les entreprises de petite ou de grande dimension.
Toutefois, plus la rente ou le bénéfice à soustraire de l’activité de l’entreprise est élevé, plus
les pots-de-vin à verser augmentent.
Il s’agit, en fait, d’un comportement hérité de la logique rentière et à la faveur duquel
s’entretient la culture de l’accaparement qui donne naissance à de nouveaux détenteurs de
capitaux qui se sont vite enrichis, suivant un esprit primitif d’accumulation et grâce à la mise
en place de monopoles. Ce traitement de faveur, par conséquent, déstabilise les entreprises
qui choisissent de l’éviter, en leur causant des désagréments multiples et en les mettant face à
des contraintes d’une concurrence déloyale. Ainsi, la corruption est une arme à double
tranchant pour les entreprises, elle constitue un facteur à risque (économique, financier, social
et pénal) comprenant conjointement des menaces et des opportunités pour les unes et les
autres. En effet, certaines entreprises font recours aux pratiques de lobbying pour influencer
les législateurs à adopter des lois en faveur de cette catégorie qui oriente l’économie
algérienne vers des situations de monopole. Un bon nombre, autour de 20% en moyenne des
personnes enquêtées, quelque soit le statut juridique de l’entreprise, la période de création et
le nombre d’employés considèrent, comme représenté dans les trois diagrammes de Pareto cidessous, que les entreprises sont disposées souvent ou la plupart du temps à verser des
paiements supplémentaires aux agents publics pour influencer le contenu d’une loi ou
réglementation. Alors que le reste presque 80% en moyenne, pour une partie ne recourt jamais
à ces pratiques et que rarement ou quelques fois pour l’autre partie.
Figures n° 13, 14 et 15: les diagrammes de Pareto montrant les possibilités chez les entreprises à verser des paiements
supplémentaires aux agents publics pour influencer le contenu d’une loi ou réglementation.
Source : résultats de l’enquête
256
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Source : résultats de l’enquête
Source : résultats de l’enquête
3-2/ La politique de l’emploi, les salaires et le développement de la corruption
La manifestation et le développement de la corruption évoluent différemment en
fonction du cadre législatif réglementant les salaires et des conjonctures économiques. Le
cadre réglementaire fixe les niveaux des salaires pour les employés ainsi que les politiques
fiscale et parafiscale pour les entreprises et les administrations. En Algérie, l’évolution des
pratiques de la corruption dépend, dans une large mesure, de ces facteurs déterminant la
politique salariale et laquelle dans sa formule actuelle participe fondamentalement à la fuite
des capitaux qui s’opère à la faveur d’une violation débridée de la réglementation.
L'absence – totale ou partielle – de déclaration, aux administrations du fisc et à parafiscales,
préméditée de façon frauduleuse, constitue l'une des caractéristiques essentielles de
l'économie informelle (plus de 50%) en Algérie. Un état des lieux qui est révélateur de
l’ampleur des pratiques de corruption qui n’épargnent ni les institutions étatiques, ni les
activités économiques et qui s’opèrent autant peut se faire, sans nul clause de fréquence ou de
forme.
La politique de l’emploi instituée en Algérie après l’indépendance a obéi, dans ses procédés
de recrutement, à la logique clientéliste et aux critères de copinage. Pour marquer un point de
distinction et mettre fin au statut de l’indigénat colonial, cette politique de l’emploi s’est
articulée, pour répondre à la vision étriquée du gouvernement de l’époque, sur la salarisation
des masses, en particulier dans sa déclinaison masculine à la faveur d’un recrutement sexiste
bien orienté. La légitimité historique de ceux qui ont conduit l’Algérie à son indépendance a
transsudé un mode de recrutement discrétionnaire qui été basé sur des liens familiaux au sein
des administrations publiques. Une pratique sociale et politique qui s’est imposée de force
avec à la clé la marginalisation du peu de compétences formées par l’administration coloniale.
257
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
La distribution des salaires dépendait des décisions politiques de l’administration du parti
unique qui pouvait solidement compter alors sur la rente pétrolière.
Cette politique ne tarda pas à montrer ses limites et ses conséquences sur les revenus des
salariés. La crise de l’endettement et la baisse des recettes provenant des hydrocarbures ont
affecté directement le niveau des salaires faibles, provoquant la baisse du pouvoir d’achat, les
pénuries et la raréfaction des biens et services. Les pouvoirs publics ont été contraints ainsi à
revoir leurs politiques économiques, particulièrement dans le secteur public où le problème
des sureffectifs minait la survie des entreprises publiques qui souffraient de déficits structurels
causés principalement par les lourdes charges salariales. Au niveau des institutions de l’État,
le nombre de fonctionnaires dépassant largement les besoins de l’administration algérienne ne
permettait pas d’offrir des salaires conséquents.
Les deux décisions prises dans ce cadre étaient de bloquer les recrutements massifs et de ne
pas procéder aux augmentations de salaires. La première résolution avec la création de
nouveaux emplois, ajoutée à la crise du chômage consécutive à au fort taux d’accroissement
démographique, a aggravé la pratique des passe-droits dans les recrutements. Ces passe-droits
qui prenaient la forme de recommandations – monnayées parfois en bakchich – au profit de
membres des réseaux familiaux, amicaux et partisans ne pouvait en fait qu’aggraver
davantage les dysfonctionnements des entreprises livrées à une gestion anachronique, tribale
et clanique sous l’impulsion d’un régime dont le souci majeur était d’arroser sa clientèle, au
moyen de ces pratiques corruptives, afin de renforcer son assise politique34. La deuxième
décision est prise pour parer au déficit budgétaire provoqué par la faiblesse de la productivité
qui ne permettait pas de couvrir la masse salariale. La régulation normative des
rémunérations, avec à la clé le gel des augmentations salariales, dans un contexte marqué par
une inflation excessive, s’est accompagnée par une effrayante baisse du pouvoir d’achat si
bien que certains salariés, incapables de subvenir à leurs besoins élémentaires, ont vite franchi
le pas en recourant au secteur informel et/ou en offrant leurs services à la corruption. Selon
l'étude portant sur la comparaison entre l'évolution des salaires et du coût de la vie réalisée en
2010 conjointement par l’agence bayt.com35 et l'agence de consulting spécialisée YouGov
Siraj, l'Algérie est le pays de la région MENA où les salaires sont les plus faibles.
34
H. MALTI (2010), qui commente cette question, note ceci : ‘‘si le secteur de l’énergie est arrivé à ce degré de
décrépitude, ce n’est que logique quand on voit de quelle manière a été géré le personnel depuis le début de
l’année2000. Une politique d’embauche fondée sur le népotisme, une gestion de carrières érigeant l’instabilité
aux postes de direction et la précarité de la fonction comme règles normales de fonctionnement ont eu pour
conséquence le départ des meilleurs cadres vers l’étranger…etc..’’
35
bayt.com est le premier site internet d'offres d'emplois en ligne dans les pays de la région MENA (Afrique du
Nord et Moyen orient)
258
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Ainsi, la montée successive de l’inflation non maitrisée et la baisse du pouvoir d’achat des
salariés, durant cette conjoncture de crise économique des années 80/90, est l’une des sources
à l’origine de la multiplication des pratiques de la corruption qui commençait alors à prendre
de l’ampleur en Algérie, en particulier dans la fonction publique et les entreprises publiques
habituées à un fonctionnement à gestion politico-administratif loin des paramètres
économiques.
L’inflation galopante agit négativement et de manière directe sur les revenus des salariés,
conduisant du coup à l’appauvrissement des employés des entreprises publiques et des
fonctionnaires de l’administration. La détérioration du niveau des salaires, durant cette
période, due à la conjugaison de ces facteurs a eu pour effet de fragiliser davantage les
pouvoirs publics qui n’arrivaient plus à assurer l’autorité de l’Etat et son rôle de régulateur
social. C’est en somme ces circonstances qui ont encouragé l’expansion de la culture de la
corruption.
En toute évidence, la batterie de programmes et dispositifs36 mis en place par le
gouvernement, dans le cadre de sa nouvelle politique de l’emploi, à l’effet de lutter contre le
chômage et la pauvreté n’ont finalement contribué en rien pour freiner le fléau de la
corruption. Bien au contraire pour parer aux manques d’effectifs dans certaines
administrations, il se trouve que des employés, à la situation sociale précaire, sont
abusivement exploités et il y a même parmi eux ceux auxquels on confie des responsabilités
administratives sans pour autant avoir droit à la rétribution afférente au poste en question. Ces
derniers, qui se voient exploités ainsi sans contrepartie, ne se gardent point de céder à la
tentation de la corruption et deviennent dès lors pour les prédateurs en la matière des cibles
faciles et des objets d’instrumentalisation, bien disposés et souvent à moindre frais. Il en est
de même pour les bas salaires des fonctionnaires qui constituent des mobiles sérieux pour
sombrer dans la corruption. En effet, afin de contenir et réduire la corruption, le FMI dans ses
recommandations a préconisé des augmentations partielles qui ne portent pas sur les salaires
de base des fonctionnaires, mais plutôt sur ses accessoires à savoir par l’institution de diverses
primes et indemnités telles que celles ayant trait à la responsabilité, à l’ancienneté, à la
36
Ces programmes sont conçus pour l’emploi des jeunes. Il s’agit des Emplois Salariés d’Initiative locale (ESIL)
qui visent à procurer aux jeunes chômeurs peu ou faiblement qualifiés une formation et une expérience de base
pour augmenter leur chance de trouver un emploi ; des « contrats pré-emploi » (CPE) mis en place en 1998,
destinés aux jeunes qualifiés, parmi lesquels le chômage est très élevé, un dispositif que l’État prend en charge
en versant une allocation égale au salaire minimum mensuel ; et puis de l’Indemnité d’Activités d’Intérêt
Général (IAIG) qui rémunère des activités d’intérêt collectif.
259
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
documentation, à la nuisance …, etc. En instituant diverses primes telles que celles de la
responsabilité, de l’ancienneté, de documentation, de nuisance…etc.… Ces mesures n’ont pas
produit finalement les résultats attendus étant donné, d’une part, le fossé existant entre les
revenus des fonctionnaires et la réalité économique du marché des biens et services et, d’autre
part, le temps écoulé37 entre ces augmentations et la perte du pouvoir d’achat des
fonctionnaires largement gangrénés et ravagé par la corruption.
Les résultats du sondage réalisé dans le cadre de notre enquête montrent qu’il y a une
prédisposition assez importante des employés à recevoir des pots-de-vin. Un bon nombre,
autour de 20% en moyenne, comme représenté dans le diagramme de Pareto ci-dessous, selon
le statut de l’entreprise ou l’entité, situe la proportion de ces employés au niveau de leur entité
à plus de 40% ; entre 5 et 30% pour 28,7% des enquêtés entre et à moins de 5% pour 37,3%
du reste des enquêtés en moyenne. On comparant les résultats moyens entre les secteurs privé
et public nous constatons que cette prédisposition est presque identique en terme du nombre
d’employés qui prédisposés à accepter de percevoir un pot-de-vin pour un service indu.
Figure n° 16: le diagramme de Pareto représentant la proportion en pourcentage des employés prédisposés à accepter
de percevoir un pot-de-vin pour un service indu.
Source : résultats de l’enquête
Il est clair que la politique de l’emploi et le niveau des salaires influent énormément sur le
comportement des fonctionnaires et des employés des entreprises. En effet, le mode de
recrutement et d’attribution des emplois mal cotés, a fortiori dans une conjoncture de crise
économique, conduit les salariés et les responsables d’entreprises à recourir à la corruption.
Cependant, les comportements des deux catégories ne sont pas identiques et n’évoluent pas de
la même façon. Les responsables en poste obéissent beaucoup plus à la logique de la grande
37
Certains secteurs n’ont pas connu d’augmentation de salaires pendant plus de 10 années, alors que leurs
responsables touchent des primes exorbitantes, relevant leurs fiches de paye à souhait.
260
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
corruption contrairement aux salariés qui s’adonnent à la petite corruption pour avoir ou
entretenir un train de vie meilleur.
Dans le premier cas, la baisse du pouvoir d’achat résulte de l’équation : recrutement
clientéliste + le gel des augmentations des salaires de bases + l’inflation galopante + l’absence
de contrôle et de transparence qui contribuent à l’instauration d’un environnement favorable à
la grande corruption et aux bradages. L’augmentation du niveau des salaires de cette catégorie
ne peut pas aboutir vers la réduction et la maitrise des pratiques de la corruption, du fait que
les concernés ont déjà pris un statut et un train de vie qui ne dépendent plus du niveau des
revenus en relation avec le poste occupé, mais plutôt des pots-de-vin reçus en contrepartie des
services rendus au parrain, au lobby ou tout autre corrupteur attitré. De ce fait le changement
dans cette catégorie ne peut provenir que d’un changement global intégrant des politiques en
faveur de la bonne gouvernance et redonnant aux institutions étatiques leur caractère public.
Dans le second cas, la baisse du pouvoir d’achat, qui découle du mode de recrutement même
s’il est aléatoire (avec recommandation ou méritoire) + l’augmentation des salaires + le gel
des augmentations de salaires + l’inflation galopante, ne permet pas uniquement d’instaurer
un environnement favorable à la corruption mais aussi de développer la culture de la petite
corruption qui se généralise et se banalise en regard de la grande corruption en vigueur chez
les hauts responsables). De ce fait, l’augmentation du niveau des salaires, à moins qu’elle soit
suivie de la maitrise de l’inflation à l’effet de relever le pouvoir d’achat des salariés, ne peut
pas produire des résultats sur la petite corruption à court terme, et encore moins en l’absence
de politiques favorisant la transparence. A long et moyen terme, la réduction de la petite
corruption dépendra de la maitrise de la grande corruption. Dans le cas contraire, les
augmentations de salaire seront vite dévalorisées sous les effets négatifs de la spirale
inflationniste et les salariés n’auront que le temps de l’annonce pour savourer des
augmentations finalement illusoires. Cette situation signifie le maintien du cercle vicieux
associant corruption, salaires, hyper inflationniste.
Ainsi, les augmentations généralisées des salaires en Algérie depuis 2010, avec un effet
rétroactif à partir de l’année 2008, ayant concerné pratiquement l’ensemble des secteurs et des
catégories socioprofessionnelles ne peuvent conduire, si les pouvoirs publics n’engagent pas
des réformes profondes en matière de gouvernance, qu’à un statut quo induisant la
reproduction et le développement du mode de gestion actuel qui a fait le nid de la corruption.
En l’absence d’une croissance économique durable, l’hyperinflation aggravera cet
environnement en grugeant graduellement ces augmentations de salaires, la perspective du
261
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
développement, qui devait découler d’une nouvelle politique de l’emploi, sera hypothéquée
inexorablement.
3-3/ L’entreprise et les coûts de la corruption
Le développement de la corruption en Algérie ne porte pas atteinte uniquement aux
droits des citoyens en détournant les ressources nationales de leur vocation de service public,
mais il cause aussi des surcoûts dans le secteur productif, que les entreprises supportent et
qu’elles répercutent ensuite sur les prix que les consommateurs payent. S’il est difficile
d’évaluer les coûts de la corruption, puisque celle-ci se déroule dans la discrétion la plus
totale entre les parties impliquées, il est évident que ces coûts induisent des effets négatifs
directs, notamment le ralentissement ou la baisse du niveau d’activité des entreprises, et ce,
avec comme contrecoups la récession économique et la stagnation en matière de
développement. Par ailleurs, par un effet de transposition, l’influence de l’immoralité du
phénomène de la corruption gagne la sphère économique et s’en ressent dans l’exercice
débridé de la concurrence déloyale qui provoque des dysfonctionnements déstabilisant le
marché de l’offre et de la demande, génère des surcoûts aux commandes publiques et plombe
gravement l’investissement au sein des entreprises.
En outre, un environnement favorable au développement des activités de la corruption
réduit considérablement les chances de réussite des politiques engagées par les pouvoirs
publics en faveur des entreprises productives, et ce, en rendant inefficients les programmes
adoptés par le gouvernement. Quels que soient les choix économiques qui sont opérés par les
pouvoirs publics en faveur des entreprises, la présence du fléau de la corruption les rend
inopérants. Les coûts de la corruption sont assimilables aux coûts d’opportunités qui s’offrent
à l’entreprise, comme un coût externe à son activité, dans le but de réaliser des résultats
meilleurs au détriment de la collectivité. Cet exercice permet en fait aux entreprises de tirer
des avantages à hauteur de ce que leur coûte la corruption, sous forme de pots-de-vin versés à
des tiers, pour accéder aux privilèges de la concurrence déloyale.
La non prise en compte des pratiques perverses de la corruption, ancrées dans
l’environnement immédiat des entreprises, contribue à l’échec de ces politiques économiques,
mises en place dans le cadre des programmes de la relance économique ; lesquelles politiques
accordant une place capitale aux entreprises du secteur privé en particulier, depuis plus d’une
décennie en Algérie. Le facteur de la corruption, occasionnant des surcoûts au secteur
productif, provoque l’abandon, par les entreprises, des activités productives et la réduction des
262
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
programmes d’investissement nationaux et internationaux38, et ce, avec à la clé un
détournement vers les créneaux de la spéculation. Une kyrielle de dommages collatéraux
peuvent être mis à l’actif de ce phénomène, à savoir entre autres : le recours désinvolte aux
pratiques frauduleuses, le remise en cause du service public, le non-respect des normes en
matière de qualité des biens et services, les surcoûts plombant les commandes publiques et
enfin la fraude fiscale et son corollaire : la baisse des recettes de l’État. La corruption
entraîne, il est clair, des coûts directs et indirects à l’échelle micro et macro-économique.
Ainsi, la corruption est une source de renchérissement des facteurs de production entrainant
des surcoûts et/ou de ponction sur les recettes budgétaire de l’État39. De même qu’elle est
préjudiciable directement à la qualité des biens et services que fournissent les entreprises et
dont les victimes les plus vulnérables demeurent les basses couches de la société qui subissent
de plein fouet les retombées socio-économiques de la corruption. En plus des coûts financiers
qu’engendre la corruption endémique aux entreprises algériennes, celle-ci affecte la crédibilité
des institutions étatiques en instaurant un climat de réticence par rapport aux nouveaux
investissements, et ce, compte tenu de l’environnement général marqué par une hostilité à
l’égard des fonctionnaires dont la réputation rime avec corruption.
Les coûts de la corruption affectent aussi des entreprises internationales qui s’accaparent des
richesses, exploitent les ressources du pays en procédant à des transferts de devises vers
l’étranger dans des opérations de fuite de capitaux et font aussi passer les pots-de-vin
ramassés vers des paradis fiscaux. De nombreuses multinationales engagées dans les grands
projets inscrits dans le cadre du programme de la relance économiques ont été accusées
d’actes de corruption dans les marchés publics.
En effet, les recherches effectuées par Transparency Internationale ont permis de découvrir
l’existence de 283 cartels internationaux privés entre 1990 et 2005 qui ont fait perdre aux
consommateurs dans les opérations de surfacturations environ 300 milliards de dollars,
causant des pertes économiques directes aux pays en développement. En Algérie, la référence
38
Beaucoup de projets ont été abandonnés par les entreprises nationales et étrangères. Certaines entreprises qui
ont même bénéficié des largesses politiques ont fini par abandonner des commandes publiques pour des causes
de chantage et de corruption ; l’exemple du groupe bahreïni qui devait réaliser des projets gigantesques dans le
secteur du bâtiment et qui a quitté l’Algérie au bout de trois années d’efforts, est très illustratif.
39
Selon un article publié dans l’hebdomadaire n° 1574 de la semaine du 20 au 26 février 1996, deux ans en
arrière ‘‘l’Algérie achetait son lait à un prix variant entre 2200 et 2500 Dollars la tonne. Il s’agissait de quantité
très importantes en provenance de la Pologne et revendues à l’Algérie à partir de l’Union Européenne ; ce lait
polonais se négociait, alors, sur la place européenne à 800 dollars la tonne par l’UNCEA, qui a disparu après son
contrôle et enquête par les autorités françaises, partenaire des offices importateurs algériens’’.
263
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
au taux de 10%40, universellement utilisé, de commissions que versent les entreprises dans le
cadre du programme de relance économique de la période 2004-2009 a servi de base pour
estimer les coûts de la corruption qui dès lors seront réévalués à 18 milliards de dollars par
rapport à l’enveloppe budgétaire de 180 milliards de dollars annoncée par la présidence de la
république. Selon l’ex-président de la Sonatrach, Hocine Malti (2010), les commissions de
10% à 15% constituent le tarif généralement appliqué.
Les coûts de la corruption faussent les règles de la concurrence, dans le sens où les
commandes publiques sont attribuées à des entreprises moins méritantes, et ce, aux dépends
des entreprises « intègres » qui sont les premières à être pénalisées car les contrats qu’elles
devaient logiquement décrocher sont cédés à d’autres contre des dessous-de-table. De ce fait,
l’usage de la corruption dans l’accès aux marchés publics entraîne des surcoûts, qui sont
souvent induits par le non-respect des clauses convenues, en surfacturant et en réalisant des
projets non conformes aux normes définies dans les cahiers des charges.
La corruption est bien évidemment à l'origine des surcoûts dont souffrent les grands projets en
Algérie. Les retards accusés par les entreprises dans la réalisation des grands projets,
particulièrement dans le secteur des travaux publics, entraînent des surcoûts découlant de
l’instabilité des facteurs de production, mais surtout de l’absence de transparence dans
l’attribution des marchés. L’attribution des grands marchés publics en dehors des règles en
vigueur, sur la base de critères clientélistes, autrement dit en contrepartie de pots-de-vin, a un
impact direct sur les coûts, la qualité et les délais de leurs réalisations41.
Nous avons constaté aussi que l’attribution des grosses commandes pour des considérations
politiques engendre les mêmes conséquences avec surtout des surcoûts incontrôlables, et ce,
au bénéfice de certaines entreprises couvertes par la bénédiction des gouverneurs. Le cas de la
réalisation et de l’équipement des deux tours jumelles d’El Hamma à Alger par le groupe
BRC pour le compte de la Sonatrach est plus qu’illustratif. En plus de la surfacturation due à
la corruption cette entreprise a livré des équipements de qualité douteuse.
40
A titre de rappel, le chiffre de 27 milliards de dollars de versements de pots-de-vin durant la période des
années 80/90 annoncé par l’ex-chef du gouvernement, Abdelhamid Ibrahimi, renvoie à ce taux de 10% appliqué
sur le montant des 270 milliards de dollars des importations enregistrées durant cette période.
41
De nombreux projets initiés dans le cadre du programme de relance économique et financés par le budget de
l’Etat ont connu des surcoûts, des insuffisances telles que les retards dans la livraison et le non-respect des
normes de qualité, c’est le constat que dresse la Caisse Nationale d’Equipement pour le Développement (CNED)
chargée de l’évaluation et du suivi des grands projets dans tous les secteurs confondus.
264
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
3-4/ Le coût direct
Les coûts de la corruption sont inhérents aux divers secteurs d’activité. Les formes que
prend la corruption, dans le secteur économique, varient suivant la dimension des entreprises
et l’importance des marchés en jeu, et c’est dans la même mesure que la rétribution des actes
de corruption se diversifie selon les acteurs impliqués, et ce, sous formes soit d’avantages en
nature (cadeaux), soit d’avantages pécuniaires (commissions). Les montants ainsi versés par
les entreprises constituent les coûts directs qui surchargent les coûts de son activité. Selon le
rapport de Transparency Internationale de 2011, les affaires de corruption ont engendré durant
la période allant de l’année 2000 à 2008 près de 13,6 milliards de dollars d’évasion fiscale.
C’est justement cet état de fait qui entraîne la surfacturation que le consommateur supporte
directement ou indirectement lorsqu’il s’agit de commandes publiques telles que la réalisation
des grands projets des travaux publics.
Les coûts directs de la corruption des entreprises ne se mesurent pas uniquement par rapport
aux versements effectués et qui viennent modérer ces montants. C’est des coûts qui se
chiffrent en fonction des conséquences engendrées par l’accord engagé entre les différentes
parties. Les coûts directs de la corruption intègrent également les coûts substituant l’intérêt
collectif et public par celui individuel et privé. Cette pratique alourdit les coûts découlant de
la compromission affectant directement la qualité des services et des biens produits.
La non-respect des normes de qualité engendre d’autres coût que la collectivité doit supporter,
notamment en matière de santé publique, de retards dans le développement et d’évasion
fiscale qui se traduit par le détournement des bénéfices de l’activité économique que les
entreprises soustraient à l’imposition en corrompant les fonctionnaires du fisc.
Pour expliciter davantage cette question de coûts directs de la corruption, un exemple édifiant
nous est fourni par le scandale qui a éclaté en 2009 autour de la réalisation de l’autoroute EstOuest, confiée aux groupes CITIC-CRCC (chinois) et Cojjal (japonais), et qui a révélé les
dessous d’une méga-affaire de corruption ayant donné lieu à la facturation d’un projet à des
coûts astronomiques, portés au triple de sa valeur réelle. Aussi pour saisir l’ampleur des
surcoûts facturés par ces deux groupes, nous allons présenter une étude comparative sur les
coûts engagés dans la réalisation d’autoroutes durant la période actuelle, et ce, entre le Maroc
et l’Algérie qui présentent des similitudes en termes de niveau de développement.
Il apparait à travers le tableau reproduit ci-dessous que l’Algérie débourse plus que le double
des coûts au kilomètre que le Maroc, et ce, nonobstant le fait que l’Algérie en le cas a
l’avantage des économies d’échelle, compte tenu de la longueur de cette route qui est égale à
4 fois celle en une seule voie, et aussi qu’elle dispose d’une main-d’œuvre moins chère que
265
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
celle du Maroc. Les coûts de revient de l’autoroute algérienne sont en somme comparables
aux prix pratiqués en Europe pour une qualité inférieure, et en la matière le constat est
indiscutable au regard des travaux de réfection déjà engagés sur certains tronçons après
seulement une année de sa mise en service. Outre l’incidence directe qu’il a sur le trésor
public, le prix exorbitant qu’aura coûté la réalisation de ce projet attente aux intérêts aussi des
entreprises algériennes, en particulier SONATRO qui aurait pu avoir droit à une part de ce
marché, et ce, au même titre que d’autres entreprises engagées dans ce projet sans qu’elles
soient de renommée mondiale ou qu’elles disposent d’un capital expérience plus important.
La révision des prix durant tout le long du processus de réalisation de l’autoroute Est-Ouest a
entraîné la multiplication du coût de sa réalisation par trois, sans compter la non-réclamation
ou les refus de payement des pénalités dues aux retards cumulés de plusieurs mois pour
l’ensemble des tronçons, ce qui montre l’existence de clauses permissives en faveur de ces
entreprises ; lesquelles actuellement sont poursuivies en justice pour des malversations et des
payements de pots-de-vin.
Tableau n° 12 : comparatif portant sur la réalisation des autoroutes au Maroc et en Algérie.
Caractéristiques
Maroc
Algérie
Projet
Fes centre vers Oudjda est
Est Ouest
Nombre de voies
2X2 = 4
2X3 = 6
Longueur
320 km soit 1 280 km en une seule
900 km soit 5 400 km en une seule voie
voie
Coûts de la réalisation
Moins de 1 million de dollars
Plus de 2 millions de dollars
Coûts de la main d’œuvre
Identique
Identique
Qualité
//
Inférieure par rapport aux prix payés
Délais de réalisation
Plus ou moins
Non respectés en général pour l’ensemble des
tronçons
Source : données et recoupement dans les médias.
Parallèlement à ces surcoûts, l’entreprise SONATRO qui était un des fleurons de l’industrie
algérienne sombre dans une faillite programmée, et ce, paradoxalement au moment où dans
son secteur d’activités il existe un plan de charge très conséquent. La mauvaise gestion
(dilapidations et pillages multiples) pousse cette entreprise à résilier des contrats importants,
ce qui n’est pas sans lui causé de graves difficultés financières. Entre autres aberrations
illustrant cette situation de « non-gestion », une station de concassage achetée au prix fort de
1.7 milliards de dinars est laissée sous emballage depuis don acquisition à ce jour. Partant de
cet état de fait, que nulle explication ne saurait justifier, il y a lieu de déduire une seule chose :
cette entreprise fait l’objet d’un complot visant sa faillite.
266
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
En effet, l’attribution d’une partie des tronçons de l’autoroute Est-Ouest à cette entreprise
publique, qui dispose d’un savoir-faire acquis à la faveur de plusieurs années d’expérience
dans le domaine des infrastructures routières, pouvait permettre de déceler les écarts des coûts
par comparaison avec les entreprises étrangères qui réalisent cette autoroute à plus de trois
fois son coût réel. La mise à l’écart de la SONATRO a ouvert en fait la voie aux entreprises
étrangères qui versent des pots-de-vin pour l’acquisition de ces marchés.
3-5/ Le coût indirect
Les coûts indirects de la corruption ne sont pas négligeables. Comme nous venons de
le voir avec l’exemple de l’autoroute Est-Ouest, les dégâts de la corruption ne sont pas
uniquement causés par l’attribution des marchés. En l’occurrence, c’est l’ensemble du projet
qui a été mal réfléchi, non planifié, et puis engagé dans l’urgence, sans avoir mesuré son
impact, notamment en termes de garanties après sa réalisation, autrement dit son entretien, sa
gestion et son amortissement à long terme.
Ainsi, la corruption peut influencer les décideurs institutionnels en les entrainant à faire des
commandes d’équipement de grands projets. L’ampleur de ce type de projets illustre le
foisonnement des groupes d’intérêts qui se traduit souvent par les montants élevés des potsde-vin conséquemment à la dimension des commandes publiques. (L’ampleur de ce type de
projets est à l’origine du foisonnement des groupes d’intérêts qui se retrouvent sur les
starting-blocks et qui renchérissent en termes de pots-de-vin avec des montants rehaussés en
conséquence de la dimension des commandes publiques en question).
Ce genre d’opération est courant dans les plus grands départements budgétivores. L’affaire
BRC42 est hallucinante en matière d’actes de corruption découlant des marchés passés avec
des contrats principalement de gré à gré43, suite aux instructions particulières données au sein
de l’administration des deux clients : le ministère de la défense nationale et la SONATRACH.
Le rapport élaboré par l’Inspection générale des finances en 2006 relève le recours de BRC au
prix forfaitaire, dans les modalités de fixation du prix contractuel, ce qui lui permettait « de
surévaluer les prix contractuels et de minimiser les coûts de réalisation de façon à s’assurer
42
Une société publique d’engineering mixte dénommée « Brown et Root-Condor SPA » (BRC) créée en 1992,
puis en 2002 elle devient KELLOGG BROWN AND ROORT (KBR) avec un capital de 49% détenu par BRC.
Cette société s’engage dans des secteurs qui ne relèvent pas de son domaine de compétence. Elle prend le
monopole de nombreux projets qu’elle sous-traite par la suite.
43
Selon ce rapport, le recours abusif à ce mode de passation constitue une violation des dispositions régissant les
procédures de passation de marchés que ce soit la réglementation des marchés applicable au MDN, que les
procédures écrites internes mises en place par la SONATRACH.
267
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
une marge bénéficiaire la plus large possible. » Cette pratique engendre des surcoûts
importants au regard des écarts sur les prix, en particulier ceux facturés par les sous-traitants –
que la loi normalement exclu – comparativement à ceux payés par les clients de BRC – et qui
en l’occurrence jouait le rôle du « gros intermédiaire », s’assurant des marges substantielles
même quand il s’agissait de prestations minimes.
La sous-traitance des grands projets pose, en effet, une contrainte non des moindres aux
entreprises performantes et « intègres », qui ne peuvent accéder à ce genre de marché
directement sans faire appel aux intermédiaires ou passer par la sous-traitance. Par ailleurs, les
coûts de la corruption bloquent particulièrement les petites entreprises, qui ne disposent pas
de moyens pour irriguer les réseaux de la corruption. Contrairement à la firme BRC qui n’a
pas eu à s’occuper d’autres projets hormis ceux relevant du Ministère de la Défense nationale
et de SONATRACH avec lesquels elle a passé pas moins de 41 marchés, et ce, pour un
montant global de 204 931 897 milliers de DA, ainsi que le montre le tableau ci-après :
Tableau n° 13 : montants des projets affectés à BRC par le MDN et SONATRACH.
Client
Nombre de projets
Montant
des
contrats
en %
millier de DA
MDN
14
131 414 253
64,1
SONATRACH
27
73 517 644
35,9
TOTAL
41
204 931 897
100
Source : rapport de l’Inspection des Finances de 2006.
Dans ce rapport, il est établi que tous les contrats et les réalisations de BRC sont entachés
d’irrégularités. Les délais ne sont pas respectés, la qualité n’est pas aux normes des cahiers
des charges, et avec en prime le bénéfice la possibilité de révision des prix lorsqu’il s’agit
d’un marché public acquis dans le cadre de la formule du moins-disant (en mettant des clauses
permettant de multiplier par deux le coût de la réalisation des projets).
Toujours est-il, le recours à la sous-traitance est courant chez BRC. Une procédure qui lui
permet de facturer des surcoûts exorbitants allant de 300% à 500% tel que constaté dans les
deux opérations suivantes engagées par la SONATRACH.
268
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Tableau n° 14: représentant les pertes causées par les surcoûts facturés à SONATRACH en DA.
Les écarts (montant Taux
Type d’opérations
des
Montants
Les coûts de des factures moins surfacturations
facturés
réalisation
le
coût
de
réalisation)
Piscine olympique
Contrat
272 924 267,85
222 060 098
438%
4 273 139
16 205 438
379%
d’étude
d’optimisation du réseau 20 478 577
de
50 864 169
transport
des
hydrocarbures
Source : données reprises dans le rapport de l’Inspection des Finances de 2006.
En réalité, l’élargissement des activités de BRC aux autres secteurs en dehors de ses
compétences est motivé par les garanties assurées par les responsables de ces deux uniques
clients bien arrosés par des pots-de-vin. Parmi les projets octroyés à BRC, celui de l’achat
d’ameublement et équipement auprès de fournisseurs étrangers et qu’elle n’a pas manqué de
surfacturer dans le cadre du parachèvement des deux tours acquises à des prix hors du
commun pour les commandes publiques. Il apparaît clairement que l’ensemble des projets
acquis par BRC l’ont été de façon irrégulière, et cette firme, forte de l’appui de
l’administration ministérielle dont elle tirait un pouvoir institutionnel, se permettait en
conséquence d’agir en violation totale des règles, en engendrant des coûts directs et indirects à
la collectivité nationale et en dilapidant les ressources publiques en toute impunité. Une
impunité confirmée par le fait qu’après l’éclatement de ce scandale, BRC est dissoute44 sans
qu’aucune procédure ne soit engagée contre les auteurs des malversations à l’origine de ces
surcoûts45. Ne sommes-nous pas dans une situation où les coûts de la corruption dévient les
dépenses publiques vers des projets propices à des pots-de-vin plus importants au détriment
de la production nationale ?
44
Selon H. MALTI (2010) p.333, en janvier 2007, c’est sur ordre du président (signe révélateur de la relation
entretenue) de la République que le conseil d’administration de BRC a prononcé sa dissolution.
45
Idem p. 334 : ‘‘quelques semaines après la dissolution de la firme, le 5 mars 2007, le ministre de l’énergie
officialisa la promesse faite aux Américains : il annonça que la SONATRACH souhaitait racheter les 49%
détenus par KBR dans BRC ; et, le 7 août, KBR rendit public l’accord passé entre les parties, selon lequel elle
céderait à la compagnie nationale algérienne sa part de BRC pour le montant de 24 millions de dollars.
L’accord comportait d’autres clauses…’’
269
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
SECTION IV : Les entreprises et l’environnement corruptible
Les entreprises algériennes fonctionnent dans un environnement concurrentiel déloyal
qui répercute des coûts directement sur leurs investissements. Un environnement qui plaide en
faveur des pratiques de la corruption. La généralisation de la contrefaçon et l’ampleur des
activités de l’économie informelle gérèrent des pertes directes pour les entreprises
productrices de biens et services répondant aux normes requises et des manques à gagner pour
les recettes de l’État. La propagation de la contrefaçon via les réseaux du secteur informel,
assurée par les pratiques de la corruption, apparaît comme une lourde entrave au
développement des PME/PMI. Elle tire la production vers la basse qualité et elle est par
conséquent nuisible à l’ensemble des agents économiques, et ce, dès lors où celle-ci entrave la
compétitivité des entreprises et contribue à la généralisation du copiage industriel à coups
d’imitations de bas de gamme. Le développement de ce type d’économie parallèle, via les
multiples réseaux de la corruption, affecte directement la compétitivité des entreprises et
fausse la concurrence d’une façon générale.
Les relations qu’entretiennent les entreprises avec les institutions administratives formelles et
les réseaux de secteur informel illustre davantage ce constat. A partir des résultats du sondage
mené auprès de notre échantillon il apparait en moyenne, comme représenté dans le
diagramme de Pareto ci-dessous, selon le statut de l’entreprise ou l’entité, que le niveau des
relations est globalement identiquement pour l’ensemble et y compris en faisant la
comparaissant entre celles du secteur public et privé, le niveau des mauvaise relations est
situé entre 15 et 20%, alors que le secteur public entretien de meilleurs (bonnes) relations
avec les institutions administratives en enregistrant le taux de 64% contre 28% pour le secteur
privé.
270
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Figure n° 17: le diagramme de Pareto illustrant la qualité des relations entretenues avec les institutions en fonction
des entreprises et des entités.
Source : résultats de l’enquête
En effet, ces activités, qui étaient auparavant marginales et ne concernaient que quelques
secteurs surtout artisanaux, sont devenues courantes dans tous les pays, en particulier les pays
en développement qui ont un faible pouvoir d’achat. Il est question donc d’une véritable
économie parallèle rénovée qui touche un large éventail de produits piratés et contrefaits, et
dont le volume d’activités généré n’est plus insignifiant. Les falsificateurs adaptent leur
savoir-faire modernisé aux innovations en copiant et reproduisant toutes les activités
susceptibles d’apporter des gains de productivité. La vitesse de ces falsificateurs se manifeste
à travers leur aptitude à imprimer à leurs activités une rapidité et une flexibilité extrêmes de
manière à minimiser les risques dans un marché très lucratif et en pleine expansion
La contrefaçon, il est clair, porte atteinte directement au processus de production des
entreprises agissant dans la légalité, et ce, en compromettant les innovations coûteuses. Ce
phénomène de dimension internationale ne cesse de gagner du terrain en Algérie où sa forte
présence, confortée par des réseaux de distribution et de commercialisation dédiés
exclusivement à la contrefaçon, permet d’asseoir une position dominante sur le marché,
notamment par rapport à certaines gammes de produits cédés à des prix imbattables.
Les revendeurs46 de ces produits contrefaits agissent directement sur le comportement du
consommateur, qui est généralement bien informé de la différence de la qualité. Les
consommateurs développent des comportements qui dépendent de plusieurs facteurs. Ainsi,
l’achat d’un produit de la contrefaçon est motivé principalement par les prix défiant toute
concurrence de la part des produits originaux, et quant aux conséquences socio-économiques
46
Le président des marchés de gros déclare en 2011 que quelque 800.000 personnes activent dans l’informel
contre 1 300 000 commerçants qui exercent leurs activités avec un registre de commerce.
271
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
découlant de ce choix, le consommateur les relègue – sans état d’âme, dirons-nous –au second
plan. Ce faisant, la contrefaçon devient un problème qui concerne à la fois les gouvernements,
les entreprises et les consommateurs. Ces trois catégories précitées sont les premiers perdants
de ces activités frauduleuses.
L’économie algérienne est dépendante à 90% des importations, accordant par là même une
place importante aux produits frauduleux qui touche l’ensemble des variétés de produits
achetés par les consommateurs, y compris les médicaments. Selon le directeur général des
douanes, entre 2 à 3 millions de produits contrefaits sont saisis annuellement et plus de 60%
de ces importations proviennent de la contrefaçon des pays d’Asie (Chine, Emirats arabes
unis, Corée du Sud...) principalement, et ce, via les réseaux du secteur informel. Un état de
fait qui a poussé les différents organismes internationaux à interpeller l’Algérie pour ses
manquements en matière de lutte contre la contrefaçon et de préservation de la propriété
intellectuelle et industrielle47.
Ce constat atteste davantage que le marché informel gangrène l’économie algérienne. La
diversité des
produits
(l’électroménager,
le
cosmétique,
le
textile,
l’automobile,
l’agroalimentaire, le médicament…) issus des activités de ce secteur fragilisent les entreprises
légalement constituées. L’ensemble de l’appareil productif local est du coup menacé,
certaines entités économiques ont déjà disparu à l’instar du secteur du textile qui a été
supplanté par les marques frauduleuses réalisées et mises sur le marché par les chinois.
L’entreprise algérienne est fragilisée doublement. D’abord par les importations des produits
contrefaits imposant une concurrence déloyale à la production nationale ; puis par la
production parallèle clandestine qui n’investit pas dans l’innovation et le capital humain.
Aucun secteur n’est épargné, l’exemple du marché national de l’agroalimentaire, qui naguère
occupait une place de premier ordre et qui aujourd’hui est sur le point de passer à la trappe et
qui est en passe d’être « contaminé », est illustratif. En ce sens, pour s’en convaincre il suffit
de voir le nombre de fabricants non identifiés de jus et de boissons gazeuses qui, activant
clandestinement, concurrencent et mettent à mal les autres entreprises du secteur ; lesquelles
dès lors où elles jouissent d’une existence légale s’astreignent au respect des normes de
fabrication et de commercialisation des produits en question48.
47
Le rapport annuel établi par les services du représentant au commerce international américain (USTR) a
classé en 2009 l’Algérie à la 3e place, et ce, sur une liste rouge de onze pays dits de «surveillance prioritaire».
Après la Chine et la Russie, l’Algérie serait le pays qui lutte le moins contre la contrefaçon.
48
Selon une étude récente, réalisée par l’EDPME en collaboration avec l’APAB, 400 à 450 entreprises activaient
réellement dans le secteur des boissons sur les 1 450 entreprises enregistrées au niveau du CNRS.
272
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
D’autre part, la propagation de la corruption au cœur des organes d’affectation des
commandes publiques participe dans une large part à la baisse de compétitivité des entreprises
dès lors justement où la prime est donnée aux activités irrégulières. Ces entreprises sont
continuellement confrontées à divers obstacles entravant leur accès aux marchés publics,
notamment la magouille autour des coûts (portés dans les soumissions) et les pratiques
bureaucratiques. Les discriminations dans l’attribution des commandes publiques dépendent
du type de marché :
- Lorsqu’il s’agit des marchés affectés de gré à gré, les entreprises de petite dimension
subissent la concurrence déloyale et le parasitage des entreprises incompétentes et non
compétitives. De ce fait, celles qui n’ont pas accès à ce genre de marché et qui font un travail
de qualité se retrouvent dans une position de sous-traitance, et perdent par conséquent une
marge bénéficiaire revenant aux entreprises intermédiaires.
- Les marchés publics soumis aux avis d’appel d’offre constituent la cible par
excellence autour de laquelle s’agglutinent des entreprises, souvent créées sur fond de
relations de copinage qui leur assurent des plans de charge par avance, qui tissent à l’occasion
des toiles de clientèles et d’intermédiaires à coups bien sur de pots-de-vin. Ce type
d’entreprises, à l’image de BRC, se substituent aux institutions publiques et font office de
caisses enregistreuses pour des surfacturations. Le nombre de sous-traitants dans ces projets à
gros budget se démultiplie autour d’une seule opération jusqu’à l’implication d’entreprises
informelles.
Les deux types d’attributions des commandes publiques sont parasités dans ce système de
‘‘corruption à l’algérienne’’. L’absence de transparence fait du recours à la sous-traitance un
obstacle majeur bloquant la croissance des entreprises et favorisant du coup les
comportements rentiers et spéculatifs, autant de facteurs qui donnent la prime au bricolage et
accélèrent la désintégration des entreprises fonctionnant « à la loyale ». Un environnement
délétère qui n’est pas sans incidence négative et directe sur la compétitivité des entreprises.
Une des premières conséquences de ce fonctionnement est de fausser les règles de la
concurrence, et ce, au détriment des entreprises qui ne se soumettent pas aux pratiques
corruptives dont celles relevant du secteur public. Ainsi, les entreprises «transparentes » et
compétitives sont pénalisées.
De ce fait, les activités du secteur informel imposent une concurrence déloyale aux entreprises
qui ont engagé des capitaux importants pour la production nationale. L’ampleur et les
capacités de nuisance ont été clairement signifiées durant des soulèvements de janvier 2011.
Le développement de ces activités va à contresens de la stratégie et des objectifs tracés dans
273
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
les programmes de relance économique visant à substituer les importations par la production
locale49.
La culture du comportement rentier et du gain facile qui prend de l’ancrage depuis un bon
moment en Algérie, et à laquelle s’ajoutent les pratiques de la corruption institutionnalisées,
cédera t-elle la place à la production nationale ? La réponse à cette question dépendra des
règles fonctionnelles qui seront imposées dans le future pour le contrôle de l’économie
internationale et aussi de l’évolution du comportement des pouvoirs publics à l’égard de la
corruption, la fraude fiscale, les détournement de fonds, la contrebande, la contrefaçon et les
différents trafics présents dans l’économie algérienne. L’avenir des entreprises et du système
productif national dépend de ce dilemme.
4-1/ Les rentiers des opérations de privatisation des entreprises du secteur public
Dans le sillage des engagements pris par l’Algérie, dans le cadre du programme des
réformes économiques et politiques engagées conformément au plan des conditionnalités de
l’ajustement structurel, sous l’égide du FMI et la Banque mondiale, la question des
privatisations constitue l’indicateur de référence des nouvelles orientations de la vie
économique en Algérie.
Le recours à la privatisation, présenté comme la solution idoine et qui s’est matérialisée par le
transfert des actifs des entreprises publiques vers le secteur privé, n’était en réalité dictée par
aucun constat de carence mettant en cause la faillite du système de gestion de l’entreprise
publique ou l’incapacité structurelle de celle-ci à faire face à la concurrence des produits
d’importation. Cette prise d’option pour les privatisations tous azimuts n’a pas été encore
moins envisagée comme réponse à la gabegie générale qui s’est caractérisée par de nombreux
détournements de biens publics, commis par des technocrates sur fond d’actes de corruption,
et par des cas d’incurie et de gaspillage avec à la clé la mise sous perfusion d’entreprises
déficitaires qui étaient en situation de dépôt de bilan depuis au moins 1990 et puis
l’aggravation de la dette publique induite autant par les contrecoups de la crise économique
que par la faune de prédateurs qui se sucrés sur le dos de la collectivité. Quoiqu’il en soit, la
49
Selon le président du Forum des chefs d’entreprise (FCE), la production locale ne peut donc pas supporter le
choc de la concurrence avec les produits importés qui sont commercialisés aux mêmes prix, voire à des prix
inférieurs. Une bonne partie des entreprises de production a été poussée à l’importation. Du coup, notre industrie
est malade. Sur 30 000 PME créées par an, il en meurt 6 000.
274
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
culture du comportement rentier continue à prévaloir durant le long processus des
privatisations, en confortant la logique clientéliste et rentière50.
L’amorce de ce nouveau processus annonce la symbolique rupture avec le système
économique fortement étatisé, avec en point de mire la réduction des interférences politiques,
autrement dit les ingérences dans la gestion des entreprises publiques notamment concernant
les prises de décision ayant trait à des questions d’ordre stratégique. Le gage de ce processus
de privatisations est de rompre avec le monopole et le rôle paternaliste de l’État et de
soustraire les entreprises publiques à la gestion collective, et ce, dans le sillage des nouveaux
développements ayant vu la consécration à l’échelle internationale de l’économie de marché
où logiquement dominent les entreprises privés.
La privatisation intégrée dans la phase de transition de l’économie dirigée vers une économie
régulée en fonction des mécanismes du marché n’est pas le fruit d’une analyse spécifique au
cas de l’Algérie. Malgré la motivation de ce choix qui s’appuie sur l’échec des réformes
engagées par l’État durant plus d’une quinzaine d’année, la privatisation comme finalité
répond directement aux conditions fixées par et reprises par le consensus de Washington,
exigeant le retrait de l’État de la gestion de la sphère économique au profit du secteur privé
émergeant, ce qui en fait correspond à la redéfinition du rôle et de la place de l’État dans la
sphère économique.
4-1-1/ Processus de privatisation et pratiques de corruption
Le désengagement de l’État de la sphère économique, en avalisant le principe de la
privatisation du secteur public pour lequel l’Algérie a pourtant consenti d’énormes sacrifices,
a été un facteur déclencheur pour des négociations informelles entre ceux qui cherchaient à
préserver leurs intérêts individuels – en défendant le maintien des entreprises publiques même
déficitaires – et les futurs acquéreurs à la recherche de soutiens pour leur faciliter l’acquisition
de ces entreprises avec le moindre coût. Les intérêts des uns et des autres aboutissent à des
ententes scellées par des pratiques de corruption51. Ainsi, la stratégie annoncée par les
50
Selon N-E. SADI (2005) p. 201 : En Algérie, les forces en présence, les réformateurs et les tenants du système
rentier et bureaucratique, s’accordant, ou semblent être d’accord, comme note supra, sur les finalités de la
privatisation, mais s’opposent sur un risque de remise en cause de leur pouvoir sur les entreprises qui sont la
moelle épinière de l’action de l’État. La problématique se situe en effet au niveau des modalités de transfert :
« comment » et « au profit de qui ».
51
Il ne faut pas aussi omettre l’arrière-pensée théorique. En effet, les défenseurs acharnés de la libéralisation de
l’économie n’excluent pas du processus de privatisation les entreprises relevant de la souveraineté nationale,
contrairement à ceux qui veulent mener les privatisations graduellement. Les promoteurs de l’idéologie
275
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
gouvernements en matière de privatisation ne dépend pas uniquement des facteurs exogènes à
l’Algérie. Il convient d’intégrer dans cette stratégie les facteurs endogènes, que nous
considérons comme étant déterminants à plus d’un titre. Les choix des méthodes et des
programmes sur lesquels doivent fonctionner les entreprises privatisables sont liés en fait aux
comportements découlant des interactions existantes entre, d’une part, les acteurs politiques
directs et indirects (décideurs) et, d’autre part, les groupes de pression, qui sont capables
d’imposer leur démarche en fonction des intérêts qu’ils défendent.
En effet, l’étude de D. Kaufmann et P. Siegelbaum (1997) décrit la relation entre la
corruption et les différentes formes de privatisation à partir de certains paramètres tels que la
vitesse de transaction, le pouvoir discrétionnaire de l’administration, l’implication d’une
agence indépendante, la transparence de l’information… etc. ; des paramètres qui constituent
la source facilitant la propagation des pratiques de la corruption dans le processus de
privatisation.
Ces paramètres affectent en profondeur l’attitude adoptée vis-à-vis des privatisations. Le
pilotage des opérations de privatisation des entreprises publiques, soutenu et encadré par un
cadre légal, devient l’objet des convoitises des clientèles et des rentiers du régime. Le contrôle
du processus et le choix des futurs acquéreurs des entreprises éligibles à la privatisation revêt
un caractère particulier et constitue un enjeu capital, qui explique la lutte des clans se
déroulant au plus haut sommet de l’Etat52. Les privatisations dépendaient, d’un côté, des
holdings et, de l’autre côté, soit du ministère de tutelle, soit du gouvernement ou de la
présidence. Une situation de chevauchements qui explique, du reste, la modification à
plusieurs reprises du cadre institutionnel de la gestion des capitaux de l’Etat. Les risques
émanent des comportements des prédateurs incrustés dans les rouages et les sphères de l’Etat
favorisent l’instauration des contournements et la « privatisation » du cadre institué pour les
opérations de privatisation. Le lobbying exercé sur les centres de décision par les prédateurs
incrustés dans les rouages de l’État fait que le cadre régissant les privatisations a été conçu de
manière à laisser le champ libre aux contournements et autres manipulations sous des
approches mercantilistes. Ces pratiques vont à l’encontre des arguments (efficacité, flexibilité
ultralibérale, en s’appuyant sur la doctrine du laisser-faire, ont réussi à promulguer une loi portant sur
l’ouverture du capital de SONATRACH en vue de privatiser ses actifs, avant qu’elle ne soit retirée quelques
jours après.
52
Les premières opérations de privatisation réalisées de 1995 à 1998 se sont traduites par la liquidation ou la
vente des actifs des entreprises publiques locales, celles-ci n’ont apporté aucune ressource au Trésor public.
276
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
et productivité fondant et caractérisant l’économie de marché) développés en faveur de la
privatisation.
Les membres de la nomenklatura qui ont capté la rente de l’Etat sont d’évidence les mieux
informés, les plus outillés par rapport à la question de la privatisation et ont surtout l’avantage
de disposer d’une manne financière amassée à l’ombre du régime. C’est les seuls, en général,
qui disposent des capitaux nécessaires, acquis (faut-il le rappeler ?) au moyen d’activités
illégales, en plus des réseaux de clientèles dévoués à leur service et qui par conséquent
peuvent devenir les futurs actionnaires ou repreneurs de ces entreprises. En outre, ces
personnes, grâce à leurs entrées au sein de l’appareil décisionnel de l’État, ont la possibilité
d’aiguillonner et instrumentaliser le processus de privatisation selon leurs intérêts propres.
Aussi paradoxal que cela peut paraître, force est de constater aujourd’hui que ceux-là mêmes
qui étaient hier les défenseurs du système productif collectif, se sont reconvertis en défenseur
du secteur privé. Il ont en réalité des capacités à s’adapter à toutes les conjonctures politique
et économique, sans jamais se départir de leur esprit de chercheurs de la rente. Leur
reconversion entretient le cercle vicieux de la dépendance à la rente, sans pour autant ébranler
les fondements de l’ancien système qu’ils instrumentalisent davantage. Par ailleurs, la
réalisation des opérations de reprise des grandes entreprises en faveur d’actionnaires étrangers
transite systématiquement par les technobureaucrates53 et les membres de la nomenklatura qui
disposent des dossiers complets ; une position qui permet à ces derniers de négocier à leur
profit des partenariats en qualité d’associés ou de pomper des pots-de-vin qu’ils prennent soin
par la suite de placer dans des zones offshore.
Ces corrompus et corrupteurs au col blanc ne risquent pas de « chômer » de sitôt dès lors où,
dans l’attente des nouveaux programmes d’entreprises à privatiser, les gouvernants leur
accordent des rallonges financières, destinées en principe pour la sauvegarde des milliers de
postes d’emploi (façon d’acheter la paix sociale), et ce, dans le cadre de la relance
économique. Or, bien que ces orientations paradoxales contredisent l’esprit même des
privatisations, ceux qui ont la charge de la conduite du processus de privatisation ne trouvent
pas à redire d’autant plus qu’ils laissent faire la magouille en maintenant souvent au poste les
prévaricateurs, même s’il arrive parfois qu’il y ait de légers remaniements au sein des
technobureaucrates incompétents et/ou impliqués dans des affaires de corruption et de
malversation. Enfin, il est clair que les mêmes causes engendrent les mêmes effets.
53
Certains sont missionnés par les futurs acquéreurs pour des opérations de sabordage, en mettant en place des
stratégies de déstabilisation des entreprises concurrentes, dans le but de les conduire à la faillite et de faciliter
leur privatisation.
277
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Les opérations effectuées dans le cadre du programme de privatisations sont souvent
entachées de pratiques de corruption. Les prédateurs exploitent les politiques en faveur des
privatisations pour le blanchiment de leurs capitaux, et ce faisant, ils les fructifient grâce aux
placements qu’ils effectuent dans l’achat des actifs mis en vente. L’instrumentalisation de la
privatisation devient un facteur de captation de la rente et provoque indirectement la
corruption. Cette réalité est le produit du comportement des opérateurs économiques
fonctionnant légalement (favorisés) et illégalement (tolérés) dans la logique rentière. Ils sont
habitués à mesurer leur rendement en fonction des résultats tirés de la gestion de la rente issue
du monopole étatique, et non pas par rapport à la productivité des biens et services.
L’opacité et l’absence de transparence dans les processus de privatisation constituent une
opportunité à l’élargissement de l’environnement de la corruption, d’autant plus que le terrain
est déjà propice à la propagation du fléau en question. Les opérations de privatisation
deviennent une source d’enrichissement illicite pour ceux-là mêmes qui ont conduit les
entreprises privatisables à la faillite.
L’absence de stratégie et le cadre réglementaire permissif54, intégrant toutes les formes de
privatisation55, particulièrement la formule du gré à gré, n’ont fait que favorisé la prédation
par les actes de corruption dont usent et abusent les intervenants dans le processus de
privatisation. À noter que ce sont souvent les anciens gérants et les maîtres de la décision au
sein des entreprises proposées à la vente qui, lors du processus de privatisation, se retrouvent
aux premières loges car ils disposent de divers leviers les rendant incontournables dans la
conduite des négociations.
4-1-2/La pertinence des évaluations et la sous-évaluation des actifs privatisables
L’enjeu ne se situe pas uniquement au niveau du choix des procédures réglementant
les privatisations, mais c’est au niveau des estimations aussi que l’exigence de la transparence
et de neutralité des évaluateurs sont recherchées. La lenteur et la lourdeur des procédures
d’évaluations fixées par le législateur en matière de privatisation sont loin de constituer un
rempart contre les interférences pouvant émaner des acteurs précités et contre leur pouvoir
d’influence sur les experts chargés de la mission en question.
Ces derniers qui sous-évaluent
54
Pour les méthodes de privatisation, l’Algérie a opté pour un choix des critères en faveur des soumissionnaires.
Toutes les probabilités de combinaison sont possibles à réaliser, en réunissant les conditions préalablement
définies. Dans la définition de 1995, la loi algérienne opte pour la conception large de la privatisation. Elle est
très proche de la conception anglo-saxonne qui prévoie plusieurs formes de privatisation.
55
Ce constat, relevé déjà par la Banque mondiale (2000), souligne le scepticisme des populations vis-à-vis de
l’économie de marché, et ce, suite aux méthodes utilisées pour la privatisation des actifs de l’Etat notamment à
travers l’absence de la transparence durant la redistribution et la privatisation de ces actifs au bénéfice de ceux
qui exerçaient une forte influence politique.
278
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
les actifs à privatiser agissent pour le compte des soumissionnaires selon une grille de critères
établies en leur faveur. De ce fait, de nombreuses entreprises ont été sous-évaluées. C’est à ce
niveau que les prédateurs du programme de bradage des entreprises publiques opèrent. Selon
N-E. SADI (2005), la mise en place d’un dispositif comprenant les mesures de contrôle et
d’indépendance des intervenants doit se faire en codifiant les mesures suivantes :
-la SGP56 peut faire appel, en toute indépendance, à tout expert indépendant de son choix tant
pour l’évaluation des entreprises que pour le conseil et l’assistance dans les opérations de
privatisation ;
-l’institution d’une commission de contrôle indépendante qui est la garante de la
transparence de toute la procédure de cession avec le pouvoir d’exiger, en cas de désaccord,
des évaluations contradictoires et des révisions de la fourchette des prix ;
-le rapport d’évaluation une fois établi et la fourchette de prix arrêtée et après examen et avis
de la commission de contrôle doivent être soumis à l’autorité chargée de la privatisation, en
l’occurrence le CPE57 ;
-la publication par la commission de contrôle, à l’issue de la procédure de contrôle, de toutes
les informations relatives aux dossiers de privatisation examinés.
En dépit de la mise en place d’un cadre légal réglementant les conditions et les procédures de
privatisation en Algérie, l’opacité a toujours prévalu dans les opérations de privatisation et les
entreprises mises en vente ont été souvent évaluées très en deçà de leur valeur réelle. C’est
pour cette raison que l’on parle de bradage pur et simple du patrimoine des entreprises
publiques. À ce titre aussi, elle est totalement justifiée la perception qu’a l’opinion publique
de ces opérations de privatisations qui passent pour n’être qu’un accaparement des entreprises
publiques rentables de la part des différents clans du régime en place.
Le non-respect des règles prévues pour l’évaluation des entreprises à privatiser et l’absence de
transparence suffisent comme arguments pour déjuger l’option même de la privatisation et
surtout les procédés engagés à cette fin. En ce sens, il est évident que le processus de
privatisation a profité le plus souvent à ceux qui bénéficient de la proximité d’accès à
l’information fiable, en l’occurrence les technobureaucrates à la tête des entreprises mises en
vente et leurs parrains au sein du régime, en somme les mieux placés pour « s’adjuger » les
plus performantes entreprises.
Ces ‘‘parrains’’ prédateurs se sont déjà substitués au rôle de l’Etat en pleine crise ; laquelle
crise a entrainé le désengagement de l’Etat de la gestion directe de l’économie et l’entame les
56
57
Société de Gestion des Participations du portefeuille des Entreprises étatiques.
Conseil des Participations de l’Etat.
279
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
réformes à partir de 1988. En effet, l’autonomie de gestion des entreprises publiques est la
première forme de privatisation58. Elle a été introduite à la faveur de la mise en place du
nouveau cadre portant gestion des capitaux marchands de l’État (abandon de la gestion
socialiste [loi n° 90-11] et institution des fonds de participation [loi n° 88-03]), étape qui a été
suivie par la restructuration industrielle avant d’aboutir finalement à la cession des biens de
l’État au privé, et ce, sous la formule portant le nom de privatisation.
Cette phase a servi à l’éclatement (atomisation, filialisation) des grandes entreprises
industrielles en plusieurs unités59. La première étape a permis d’affecter directement aux
réseaux familiaux et amicaux la fonction (le rôle monopolistique) de la commercialisation des
produits très prisés. Par la suite, ils se sont accaparé des unités rentables en abandonnant
celles qui ne sont pas viables. Ce démantèlement ou cette restructuration a été pensée en fait
dans la perspective de la privatisation avant même la promulgation des textes régissant les
procédures d’évaluations des entreprises soumises à la privatisation60. Les « instigateurs » de
ce processus ont pu anticiper sur la problématique de l’évaluation des actifs mis en vente et se
préparer à prendre option pour les actions les plus rentables, et ce, par le truchement des
cadres gestionnaires qui détenaient toutes les informations vitales. Ces informations qui
auraient dû servir à orienter des stratégies intégrées dans l’esprit des politiques publiques
annoncées ont plutôt profité aux parrains prédateurs dans la mise en œuvre de leur logique
d’appropriation, soutenus en outre par le pouvoir de l’argent et de l’influence.
En plus de la sous-évaluation des actifs privatisés, des avantages sont octroyés aux nouveaux
acquéreurs. Il s’agit notamment des crédits bancaires qui dépassent couramment les 70%61 de
la valeur de la cession des entreprises. Pour pouvoir contracter rapidement ces transactions, le
recours aux payements du bakchich aux acteurs sociaux et politiques influents qui pourraient
faire obstacle à la finalisation du contrat, en alertant l’opinion publique. Les collectifs des
travailleurs, souvent proches de la retraite, s’y prêtent au jeu de la captation de la rente, en
58
Il s’agit de la première méthode déguisée portant privatisation, étant donné que la question des privatisations
était encore taboue (elle est liée à la souveraineté de l’Etat). La privatisation de la gestion est toujours pratiquée
malgré l’adoption des textes permettant la privatisation directe. De nombreuses entreprises du secteur public sont
dirigées par des managers en fonction d’objectifs stratégiques dictés par la haute hiérarchie et qui portent soit sur
le maintien d’un certain seuil de rentabilité, soit sur une mission ayant pour finalité la déstructuration de
l’entreprise en question et la préparation des conditions objectives de sa privatisation future.
59
En réalité, ce n’est qu’en 1995 que l’Algérie avait élaboré le cadre juridique des privatisations. Sa mise en
œuvre n’est devenue effective qu’en 1998. Par la suite, dans le but de relancer le processus des privatisations, en
2001, une nouvelle ordonnance est promulguée où il ressort notamment un assouplissement de la procédure des
privatisations, intégrant la possibilité de recourir à l’opportunité de la procédure de gré à gré.
60
J-P. Moinet (1961) cité par M. HAMADI (1998) p. 33 : « l’évaluation d’une entreprise ne constitue jamais
une fin en soi. Elle est invariablement motivée par des raisons particulièrement, d’ordres pratiques. Elle est
toujours effectuée dans des circonstances données pour des fins données, à l’intention de personnes données ».
61
C’est le cas de la laiterie de Draa Ben-Khedda de Tizi-Ouzou qui a bénéficié de ces avantages sans pour autant
améliorer la qualité de ces produits.
280
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
laissant passer le bradage de leur outil de travail en contrepartie des indemnités
compensatoires prévues par la loi.
À noter que généralement les engagements pris dans les cahiers des charges ne sont pas
respectés62. Il s’agit, notamment, du renouvellement des équipements de production, de
l’introduction de nouvelles techniques de production, d’un plan de croissance en recrutant de
nouveaux employés, de l’amélioration de la qualité…, etc. Dans la réalité, les repreneurs de
ces unités de production adoptent un comportement de rentiers, du fait qu’ils ne sont pas
habitués à la compétitivité et à la concurrence.
4-1-3/ Enjeux de la privatisation et le constat d’échec
La privatisation dont les tenants et aboutissant n’ont pas été suffisamment mûris ne
pouvait aboutir en fin de compte qu’à un échec63, ouvrant le champ aux prédateurs et aux
corrupteurs engouffrés dans ce processus.
De par l’inexistence de stratégie claire (entretenue volontairement ou pas), et au regard des
objectifs flous qui ont entouré les opérations de privatisation, sans oublier l’environnement
très propice à la prédation, les résultats enregistrés durant la première génération des
entreprises privatisées montrent sans ambiguïté que la démarche ayant animé et guidé les
pouvoir publics est celle de privatiser sans nulle autre forme de procès. Un processus qui a
pris la tournure d’un bradage des entreprises publiques à tour de bras, sans avoir la
préoccupation de dépasser la phase de turbulence et de fragilité socio-économique ayant
entraîné l’Algérie vers la privatisation et sans tout autant penser à mettre en place un nouveau
modèle économique avec des conceptions et des assisses rationnelles. Et ce, nonobstant que
l’aisance financière dont a bénéficié l’Algérie tout le long d’une décennie pouvait permettre
d’impulser une dynamique économique avec des stratégies adéquates.
Aussi le recul par endroit, voire même l’annulation de certains programmes de privatisation,
observé depuis 2009, s’inscrit-il dans une stratégie nouvelle qui redonne aux institutions de
l’État la possibilité d’espérer une éventuelle reprise en main des entreprises publiques déjà
privatisées. L’annonce de la reprise des entreprises privatisées qui n’ont pas respecté leur
cahier des charges peut-il être perçue dans cette logique ? Ou bien s’agit-il d’une attitude
conjoncturelle adoptée dans la perspective de la déclinaison d’une stratégie claire à même de
62
Ce qui a amené le gouvernement à diligenter une enquête de l’IGF à propos des irrégularités dans les
opérations de privatisation, en réponse aux demandes formulées par les syndicats qui dénonçaient le non-respect
des cahiers des charges de la part des repreneurs algérien et étrangers.
63
Au regard des résultats quantitatifs, malgré l’arsenal de textes favorables à la privatisation, il n’y a qu’environ
400 entreprises économiques publiques sur un ensemble de 1400 entreprises qui sont vendues. L’État Algérien
semble avoir abandonné la privatisation des plus importantes compagnies, à leur tête les banques, les assurances.
281
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
régenter les rapports de production. Peut-on interpréter ces hésitations dans la conduite des
opérations de privatisation comme un avertissement à l’encontre des chefs d’entreprises
privatisées afin de leur signifier que rien n’est irréversible et comme une recommandation aux
futurs candidats pour les dissuader de s’aventurer à reprendre les entreprises qui sont
proposées à la privatisation ? Ou s’agit-il d’une remise en cause des choix stratégiques
afférents à certains dossiers ayant trait à la privatisation, tel que le Crédit Populaire d’Algérie
et l’Algérie Télécom ? Enfin, les budgets alloués dans le cadre de la restructuration
industrielle du secteur public ne fait-il pas partie d’une nouvelle démarche parallèle aux
privatisations que le gouvernement algérien ne veut pas décliner64 ?
L’environnement dans lequel sont effectuées les privatisations en Algérie ne facilite pas
l’objectivité de l’analyse. Les abus de pouvoir de la part des divers acteurs publics n’ont fait
qu’exacerber les conditions économiques et politiques déjà suffisamment défavorables, et ce,
dans un contexte marqué par une instabilité totale. En profitant des pouvoirs discrétionnaires
qui leur sont conférés, ces acteurs publics, qui agissent en faveur de leurs parrains moyennant
pots-de-vin, contribuent en effet à l’instrumentalisation des différents mécanismes de
privatisation en les mettant au service des intérêts exclusifs des prédateurs.
La pratiques de la corruption, en plus de les freiner, dévient les opérations de privatisation de
leur objectif stratégique, dans le sens où elles poussent les fonctionnaires publics vers
l’adoption d’attitudes encourageant les comportements d’accaparement et de détournement du
patrimoine des entreprises publiques. L’avènement des privatisations constitue, à vrai dire,
une aubaine pour différents lobbies, notamment ceux à la solde de certains clans qui ont
trouvé là une occasion en or pour fructifier leur argent amassé à l’ombre du régime en place.
Les privatisations sont aussi une source d’enrichissement et d’accaparement des rentes
juteuses. Il y a des liens directs entre la nature du régime dans le cadre de la relation
dialectique qu’entretiennent les pratiques de la corruption à travers les opérations de
privatisation.
La réussite ou l’échec de la privatisation ne dépend pas uniquement du cadre
réglementaire encadrant les procédures et les méthodes d’évaluation. La conjoncture
économique, sociale et surtout politique y contribue énormément. La nature et la pratique de
la gouvernance influent directement sur les résultats des objectifs tracés. En effet, la
64
Selon les déclarations du ministre de l’Industrie, de la petite et moyenne entreprise, et de la Promotion de
l’investissement, l’État a consacré 1 100 milliards de dinars (l’équivalent de 16 milliards de dollars) pour la
restructuration et la relance du secteur industriel public, comme il a précisé aussi que le secteur privé a
également bénéficié d’un nouveau programme de mise à niveau de 386 milliards de dinars qui concernera 20 000
PME à l’horizon 2014.
282
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
prédominance de l’opacité65 doublée de l’absence de transparence ne fait que favoriser un
environnement prédisposé à la prédation et à «la privatisation » de la privatisation par ceux
qui sont investis d’un pouvoir discrétionnaire. Selon H. MALTI (2010) la firme Orascom
Telecom Holding (OTH), spécialisée dans la téléphonie mobile égyptienne, a réalisé des
opérations en dehors du domaine de sa compétence en profitant de sa relation directe avec la
présidence de la république. Il s’agit du « rachat de deux entreprises publiques de cimenterie
qui a fait beaucoup jaser compte tenu des conditions dans lesquelles elle s’est déroulée.
Début 2007, après avoir rejeté une offre du cimentier français Lafarge, le gouvernement
algérien décidait de céder ces sociétés, pour un montant inférieur à celui proposé par le
groupe français, à Orascom Construction Industrielle (OCI), une filiale d’OTH. En décembre
de la même année, l’OCI les revendait à Lafarge, dans le cadre d’une opération de
partenariat plus globale. »
4-2/ L’impact du risque corruption et le défi de l’attractivité des IDE
Le mauvais climat des affaires est cité comme un des facteurs qui fragilise le
développement au sein de l’économie algérienne, affectée par le manque d’attractivité des
IDE. Il permet de mesurer l’environnement propice aux investissements nationaux et
étrangers, selon qu’il travaille à les attirer ou à les repousser plutôt. D’après Mohssen TOUMI
et Abdeldjallil BOUZIDI (2007/2008), les résultats de l’enquête menée auprès d’un
échantillon de 536 entreprises algériennes, par l’Office national des statistiques conjointement
avec la Banque Mondiale en 2002, les investissements sont confrontés aux 6 obstacles
suivants :
- Les difficultés d’accès au financement bancaire.
- Les barrières administratives très contraignantes (complexités bureaucratiques).
- L’accès limité à l’information et donc une faible visibilité.
- Le marché du travail rigide.
- L’infrastructure inadéquate.
- Et un système juridique et judiciaire inefficace.
65
Selon un responsable d’un bureau de consulting, interrogé sur l’initiative du gouvernement à demander des
comptes aux acquéreurs d’entreprises publiques, par le journaliste Z. Cherfaoui (2010) du quotidien
d’information El-Watan : ‘‘que celle-ci n’est intéressante que si et seulement elle répond à une volonté
d’apporter la transparence qui jusque-là fait grandement défaut au processus de privatisations des entreprises
publique. Il rappelle aussi que le ministre chargé de ce dossier n’a toujours pas tenu à sa promesse de publier les
noms des véritables bénéficiaires des privatisations, du fait que de nombreuses cessions se sont déroulées dans
une totale opacité.’’
283
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Ces obstacles, souvent surmontables – il est vrai – par des versements de bakchich, ne
favorisent pas l’instauration d’un climat sain, propice à l’investissement étranger. Plus il y a
d’obstacles, plus la qualité des investisseurs entraîne des risques de développer des
comportements mafieux en recourant aux pratiques de corruption. De ce fait, les IDE porteurs
de valeurs ajoutées se retrouveront écartés en faveur des péculateurs mercantilistes. La
corruption facilitera de facto la circulation des flux d’argent ramassé à la faveur des
transactions illégales opérées dans leurs pays d’origine. La levée des barrières à l’entrée de
l’Algérie a du coup facilité les placements de ce genre de capitaux tels que ceux de BRC66.
En outre, le mauvais climat des affaires, associé au manque de transparence, ne peut que
contribuer à faire prospérer des investissements douteux. En Algérie, l’instabilité
institutionnelle, le manque de sécurité, la lourdeur bureaucratique, la fuite des capitaux des
nationaux vers l’étranger constituent des paramètres de désinvestissement et de
découragement pour la venue des IDE. La Banque Mondiale, dont le jugement fait autorité
dans son domaine, classe l’Algérie à la 136e position sur 183 pays en matière de climat des
affaires. En effet, en dehors des hydrocarbures, l’Algérie n’a reçu que moins de 500 millions
de dollars d’investissements étrangers en 2005, et moins d’un milliard de dollars en 2007.
Notre enquête confirme ce climat en défaveur d’un environnement favorable à
l’investissement. La majorité des enquêtés, à 80 % en moyenne quelque soit le niveau de
responsabilité et à 84 % selon le secteur d’activité de notre échantillon considèrent que les
entreprises des pays étrangers payent des pots-de-vin pour que les choses se fassent. La
corrélation entre ces deux tendances est constatée d’une manière identique au niveau de toutes
les entités enquêtées, en particulier chez les entreprises du secteur privé qui sont les plus
soumises aux pratiques de corruption cumulant le maximum des réponses affirmatives de
l’ordre de 89,58%, comme le montre le diagramme de Pareto suivant.
66
Selon H. MALTI (2010) p. 326. ‘‘En janvier 2010, on a appris que la justice américaine avait condamné KBR
à payer 579 millions de dollars d’amende pour actes de corruption au Nigeria, où elle avait versé pendant dix
ans des pots-de-vin à des responsables du gouvernement afin d’obtenir des passations de marchés et des
contrats de construction et d’ingénierie…’’
284
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Figure n° 18: le diagramme de Pareto illustrant le recours des entreprises des pays étrangers à des paiements de pot
de vin pour que les choses soient faites.
Source : résultats de l’enquête
L’impact du phénomène de la corruption pèse lourdement sur l’attractivité des IDE
hors hydrocarbure. Les risques de voir l’économie algérienne dépendre davantage des lobbies
ne sont pas écartés dans le cas où la transparence dans l’affectation des commandes publiques
continue à faire défaut et que l’opacité reste de mise dans les nouveaux espaces ouverts à
l’industrie. Par ailleurs, la problématique de l’investissement sur une longue durée demeure
toujours posée, et ce, dans la mesure où les entreprises étrangères installées en Algérie ne
réinjectent pas dans la sphère de la production, les rentes tirées des grands projets qu’elles
réalisent dans la cadre des commandes publiques. Une preuve de plus qui confirme que ces
firmes adoptent un comportement rentier et permissif grâce à leur association aux groupes de
pression qui attribuent ces projets en question. Ce comportement est-il dû au climat des
affaires qui n’est pas propice pour l’investissement ou bien est-ce la qualité de ces
intervenants, portés sur la rente spéculative, qui est en cause ?
La Banque d’Algérie indique qu’en 2008 les sociétés étrangères, pour la plupart spécialisées
dans les services, établies en Algérie, ont transféré en devise 15,7 milliards de dollars de
l’année 2005 à 2007 contre 6,5 milliards de dollars de 2001 à 2004. Cette évolution montre la
fragilité de l’économie algérienne qui ne repose que sur les recettes issues des hydrocarbures.
Les grandes affaires de corruption étalées publiquement les dernières années, affectant tous
les grands projets des commandes publiques, permettent de conclure sur la forte corrélation
entre l’investissement direct étranger et la corruption en Algérie.
285
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
4-3/ Corruption et activité du commerce extérieur : l’import – export
L’économie de l’Algérie est extravertie, fortement dépendante des recettes provenant
des hydrocarbures et grevée par le poids des importations qui touchent l’essentiel des produits
de consommation. Une économie rentière qui fonctionne dans une logique d’accaparement
des richesses nationales. Cette rente stratégique maintient l’Algérie dans une situation de
dépendance alimentaire. L’évolution de sa balance commerciale durant la dernière décennie
confirme cette tendance. La culture de captation de la rente multiplie les occasions de
corruption. La démonopolisation et l’ouverture du commerce extérieur aux importateurs
privés a reconfiguré les luttes d’intérêts pour la capture du pouvoir étatique, considéré comme
distributeur de rente. Le contrôle public du monopole de la rente générée par le commerce
extérieur est passé entre les mains des groupes de pression privés, tant nationaux
qu’internationaux. L’exploitation dans le secteur des hydrocarbures (et l’exportation de la
production qui en est issue), domaine stratégique de l’État et sous contrôle des détenteurs du
pouvoir, s’opère en partenariat avec des firmes étrangères qui distribuent des pots-de-vin
conséquents et proportionnels aux volumes des activités réalisées et aux profits engrangés.
Les importations, source de rente commerciale par excellence et qui n’est pas près de tarir vu
la volonté manifeste de maintenir en tous points la dépendance vis-à-vis de l’extérieur,
constituent la chasse gardée de la nomenklatura qui les organise en fonction des créneaux, et
ce, avec l’implication des responsables nommés dans les postes clés au niveau des différentes
institutions, à savoir :
-
Les institutions financières : pour faciliter les financements et assurer les opérations de
transfert de fonds ;
-
L’institution douanière : pour fermer les yeux sur le non-respect des normes en termes
de qualité et de volume des importations
-
Les services sécuritaires : pour assurer les accès au niveau des circuits de distribution ;
-
Les institutions de contrôle : pour que les contrôleurs des prix et les agents du fisc ne
se penchent nullement sur les activités en question.
-
Enfin, pour couronner ce schéma organisationnel, il faut ajouter comme gage : une
impunité totale à tous les intervenants impliqués dans ce jeu de rôle.
La substitution du monopole public sur le commerce international par les oligopoles privés
tenus par les « décideurs » au sein du pouvoir politique et les nominateurs des fonctionnaires
chargés de la distribution de la rente toujours grandissante n’a fait que provoquer
l’accroissement du niveau de la corruption déjà endémique. De ce fait, la démonopolisation
du commerce extérieur, associé au retrait de l’Etat de la sphère économique, a eu pour effet de
286
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
mettre les activités d’exportation et d’importation des produits de large consommation sous le
monopole légal des opérateurs privés. Ces opérateurs sont, en fait, directement rattachés à des
groupes d’intérêts très puissants qui décident des politiques économiques que doivent adopter
les gouvernants. L’Algérie est passée donc d’une étape où des groupes de pression
contrôlaient le monopole public sur le commerce international, à une nouvelle étape où la
souveraineté de l’État s’est retrouvée sous tutelle d’une poignée de décideurs qui ont organisé
une OPA sur toutes les transactions à l’international au profit des opérateurs privés mis sous
leur coupe. Les opérateurs impliqués dans ce bisness se sont engagés au départ à substituer à
long et moyen terme les importations par l’implantation d’entreprises de production en
Algérie67. Dans la réalité, l’opportunité inépuisable du gain facile qu’offre ce commerce
juteux, sur fond de libre circulation des flux monétaires, et les facilités qu’il y avait à
transférer les rentes engrangées vers des paradis fiscaux, sont les facteurs clés ayant concouru
au maintien de l’Algérie dans une situation de dépendance vis-à-vis des importations.
En favorisant l’économie de bazar, c’est le peu qui reste de l’industrie algérienne qui est
bradé, avec à la clé des conséquences sociales dramatiques, entre autres : le licenciement de
centaines de milliers de travailleurs et la vente de plusieurs unités industrielles qui étaient
pourtant rentables, et ce, dans le cadre de la politique de privatisation qui finalement aura
profité – comme nous l’avons précédemment expliqué –uniquement aux prédateurs et
capteurs de la rente.
Le monopole sur le commerce extérieur en tombant entre les mains des lobbies de
l’importation et de l’informel, qui continuent non seulement de détourner la réglementation à
leur profit mais de se substituer au décideur politique, est à l’origine de la concurrence
déloyale qui se pratique au détriment des entreprises de production publiques et privées. Un
état de fait qui fragilise aussi bien les intérêts du consommateur que la sécurité alimentaire du
pays.
Le monopole privé du commerce extérieur est associé directement aux activités informelles
qui participent à transformer l’économie de l’Algérie en bazar, à banaliser les comportements
rentiers et à imposer une totale tolérance à l’égard des actes corrupteurs. En définitive, cette
situation délétère se traduit par l’absence de toute stratégie industrielle en faveur des
entreprises locales de production afin de leur permettre d’attirer les investissements des firmes
67
A. Hadj-Nacer (2011) décrit que tout de suite après son départ de la Banque Centrale ‘‘avant même le
rééchelonnement de la dette et l’entrée en vigueur de ces conditions d’accompagnement, a été remis en cause un
texte de lois qui liait l’ouverture du marché algérien, l’activité de grossistes importateurs à l’obligation
d’investir en Algérie, ce que certains avaient appelé « le commerce industrialisant », le plus souvent pour
tourner en dérision mais l’étiquette, au fond, n’était pas si mauvaise. Pour acheter une certaine bienveillance
internationale, on a sauté ces dispositions.’’
287
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
étrangères. Il est pertinent d’analyser les formes des coentreprises internationales, mettant en
association les partenaires étrangers avec des entreprises algériennes, et d’établir l’impact du
facteur corruption sur leurs activités et sa contribution à la pérennité de cette forme de
coopération.
La corruption apparait comme un facteur d’instabilité en contaminant les valeurs et l’éthique
des entreprises intègres qui subissent la concurrence déloyale de ces groupes d’intérêts ayant
investi le commerce extérieure. Il est clair que cette situation ne favorise pas la production
nationale et entraine le transfert permanent des recettes en devises vers l’extérieur. C’est ainsi
que des milliards de dollars sont transférés chaque années vers l’étranger. Les nombreux
concessionnaires installés en Algérie, associés légalement ou informellement avec les groupes
d’intérêts, qui écoulent leurs produits importés, rapatrient directement leurs capitaux et
dividendes. L’exemple du marché de l’automobile est édifiant. Le concessionnaire de voiture
de marque Renault, qui détient plus de 40% du marché de l’automobile algérien, préfère aller
installer son usine au Maroc. Ce genre d’opérations est induit par le comportement rentier des
décideurs complaisants face aux groupes de pression qui arrosent en pots-de-vin une large
clientèle, agissant sous forme de réseaux de corruption.
Le système productif algérien est sclérosé, dépassé et en déphasage dans un monde qui se
financiarise davantage. Le secteur financier algérien, qui a connu plusieurs affaires
délictuelles de dilapidation de deniers publics, n’est pas épargné par les scandales de la
corruption, il est même au cœur du dysfonctionnement de l’économie. En effet, l’inefficience
des banques est due en premier lieu à la dépendance des nominés aux postes de responsabilité,
lesquels ont été promus non pas pour leur compétence. A ce titre l’affaire de Khalifa Bank est
plus qu’illustrative.
Le groupe Khalifa, comprenant un ensemble de filiales (Khalifa Airways, Khalifa
Banque, Khalifa TV, Khalifa construction, Khalifa Rent a car…, etc.), voulait avoir la
prédominance sur plusieurs activités touchant aux banques, à la construction, au transport
aérien, à la location de voiture de luxe et au sport professionnel. L’affaire du groupe Khalifa
qui n’a pas révélé tous ces dessous est assimilable au fonctionnement du système de
gouvernance algérien à une échelle réduite. Ce groupe est l’équivalent d’un microsystème à
l’identique du régime en place, fonctionnant suivant les mêmes règles, formes et valeurs que
le modèle d’où il s’inspire, à savoir le copinage, la course aux privilèges, la corruption par les
avantages, l’opacité, les malversations, la gabegie, et surtout l’absence de toute éthique,
marque de fabrique du système de gouvernance algérien. En somme, c’est un clonage du
système de corruption patronné par des parrains du régime algérien.
288
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Conclusion
Les pratiques de la corruption dans le secteur économique n’ont pas cessé d’affecter
les entreprises algériennes publiques ou privés durant les périodes du capitalisme d’Etat, des
réformes et du passage vers l’économie de marché en gangrénant tout l’appareil de l’Etat. La
problématique du cadre institutionnel, où l’Etat en tant qu’institution de régulation n’arrive
pas à mettre en place les mécanismes stables favorables à une économie productive entrainant
une croissance significative en dehors du secteur des hydrocarbures, demeure posée.
Face à l’inadéquation des structures institutionnelles indispensables au fonctionnement de
l’économie durant le long processus de transition et à l’hostilité de l’environnement politique,
socioéconomique et juridique, marqué par des hésitations, les entreprises en Algérie sont
incités à recourir à ces pratiques pour contourner les multiples entraves et les procédures
bureaucratiques.
Nous concluons que si durant les années 70-80 les corrupteurs agissaient sur la rente étatique
en sabordant les unités industrielles pour recourir aux importations ou de créer des tensions et
des fils d’attente, l’observation des situations de flottement de la période de la mise en œuvre
du programme d’ajustement structurel recommandé par le FMI abouti à des mutations
permettant d’un coté la floraison et la multiplication des pratiques de la petite corruption,
causées par les effets néfastes de ce programme notamment sur le plan social en terme de
pauvreté et de baisse du pouvoir d’achat ; et d’un autre coté la grande corruption avec la
démonopolisation et l’ouverture du marché extérieur au profit des barrons du système rentier,
qui agissent frauduleusement en important des produits de tous genres en dehors des normes
et des réglementations diverses68.
L’objectif de l’instauration d’une économie basée sur des entreprises productives s’avère être
confronté au comportement du système aux logiques corruptives rentières clientélistes et à la
culture du privilège aggravée par l’opacité dans la gestion des institutions de l’Etat. Nous
retrouvons cette affirmation dans l’analyse que nous avons faite sur le dispositif de l’ANSEJ.
Le circuit des différentes phases de ce dispositif est entaché des pratiques de corruption. Elles
se sont incrustées dans le cœur de ce mécanisme institué en faveur des jeunes promoteurs de
micro-entreprises, durant le processus de la création jusqu’à leurs exploitations, comme nous
l’avons synthétisé dans le schéma de la page 34.
68
Selon M. HACHEMAOUI (2011), Le marché des importations, qui représente, durant ces années de violence,
entre 10 et 11 milliards de dollars, tombe ainsi sous le contrôle d’hommes d’affaires liés à l’élite militaire et
civile de l’État prétorien.
289
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
Le mode de recrutement et la politique salariale opérés durant la crise multidimensionnelle
expliquent les comportements et les attitudes qu’adoptent les fonctionnaires et les employés
des entreprises vis-à-vis de la corruption, ce qui entraine le renchérissement des facteurs de
production et
affecte directement la qualité des biens et services que fournissent les
entreprises nationales ou étrangères ; où certaines multinationales engagés dans les grands
projets inscrits dans le cadre du programme de la relance économiques ont étaient accusées
d’actes de corruption. En-conséquence, la corruption qui fausse les règles de la concurrence
loyales, pénalise en premier lieu les entreprises intègres qui font face à la concurrence de la
contre façon ravageuse qui n’épargne aucun secteur d’activité ; et entraine en deuxième lieu
des surcoûts financiers et non financiers directs et indirects comme nous l’avons développé à
travers l’exemple de la SONATRO dans le cas de la réalisation de l’autoroute Est-Ouest.
La culture du comportement rentier clientéliste à continuer à prévaloir même durant le long
processus de la privatisation. Le recours à ce procédé n’a pas obéi fondamentalement à une
logique objective exogène que l’on lui attribue souvent dans le cadre du nouvel
environnement qu’impose l’économie de marché. Les facteurs endogènes ont étaient
prépondérant dans la stratégie menée dans les choix des méthodes et des programmes des
entreprises privatisables. Elle résulte des interactions des acteurs politiques directs et indirects
(décideurs) et les groupes de pression, qui imposent leur démarche en fonction de leurs
intérêts. En effet, ces acteurs qui disposent de la manne financière, accaparée à l’ombre du
régime prétorien disposent de l’information pertinente sur les entreprises privatisables, ce qui
permet leurs instrumentalisations et explique l’opacité et l’absence de transparence de ces
opérations. Les pratiques de la corruption ont entretenu la culture du comportement rentier qui
a transformé les privatisations en une source de captation et enrichissement illicite, en bradant
les actifs de ces entreprises69.
Les nombreux obstacles décrits constituent les facteurs de blocage aux IDE et découragent
les investisseurs intègres respectant les règles de l’éthique. Les versements occultes des potsde-vin ne favorisent pas l’instauration d’un climat sein à l’investissement. La multiplication
de ces facteurs entravant entraine le développement des pratiques corruptives.
Nonobstant, le monopole des opérateurs des activités d’import-export issues de la
démonopolisation du commerce extérieur
découlant du retrait de l’Etat de la sphère
69
Ce qui est à l’origine des climats de tension tel que constaté dans la laiterie le tassili de Draa ben Kheda un des
fleurons économiques de la wilaya de Tizi-Ouzou où les travailleurs accuse le repreneur de «non-respect des
cahiers des charges, fraude fiscale, non-respect des normes de fabrication du lait, faux investissement… »
290
CHAPITRE V : Analyse du phénomène de la corruption dans le secteur productif
économique, qui a produit la mise sous tutelle de la souveraineté de l’Etat entre les mains
d’un groupe de décideur qui auparavant assurait le contrôle des monopoles publiques par des
groupes de pression, sans pour autant que les engagements pris, notamment la substitution à
long et moyen terme des importations par la production locale, ne soient honorés, renforçant
davantage l’économie de Bazar et aggravant la dépendance alimentaire de l’extérieur.
291
CHAPITRE VI :
ANALYSE DE LA
CORRUPTION DANS LE
SECTEUR POLITICOADMINISTRATIF
CHAPITRE VI : Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
SIXIEME CHAPITRE: ANALYSE
DE LA CORRUPTION DANS LE SECTEUR POLITICO-
ADMINISTRATIF
Introduction
Après avoir développé dans le chapitre précédent la corruption dans le système
économique, nous allons à présent analyser ce phénomène dans sa facette politicoadministrative, en traitant les aprioris de la portée politique de la corruption en Algérie. Il faut
dire que la corruption, qui s’est tant généralisée jusqu’à devenir systémique et structurelle, n’a
plus désormais pour seule finalité l’accumulation des richesses. En réalité, elle va très au-delà
de son périmètre initial, dans la mesure où elle a largement investi les rouages des institutions
politico-administratives, tant et si bien qu’elle conditionne, d’une certaine façon, la survie
politique même des composantes du régime.
Il est clair que les enjeux liés au pouvoir d’accaparement et de captation des richesses
économiques ainsi qu’à l’action de contrôle et de mainmise sur la répartition des rentes
constituent pour le phénomène de la corruption, dans sa déclinaison politique, un levier de
commande, puissant et insaisissable compte tenu de la nature patrimoniale et néopatrimoniale de l’État rentier. La gouvernance par le mode corruption conditionne, en fait, le
maintien du système politique en place.
Dans la première section, consacrée à la corruption dans les milieux politiques, nous
allons montrer comment la corruption politique a évolué au gré d’interférences multiples
autour du choix des politiques, des orientations stratégiques et de la représentation tant pour
les postes électifs qu’administratifs. En ce sens, nous aurons pour plan d’étude l’espace
temporel couvrant les deux grandes phases du système politique algérien, sur fond d’un
passage de l’ère du parti unique vers celle du pluralisme politique avec toutes les
transformations qui y sont induites (élections pluralistes et multipartisme) et où il s’agirait
d’esquisser le lien d’interaction existant entre la corruption et les règles régissant les partis
politiques lors des compétitions électorales.
L’action politique qui nécessite la mobilisation de fonds considérables évolue t-elle
dans un environnement transparent loin des manipulations et de la corruption du processus
politique ? Le financement des activités politiques, qu’il soit de façon légal ou informel,
mettent-il sous influence des lobbies financiers les acteurs impliqués dans le jeu politique, et
ce, à travers l’induction de rapports corrupteurs et de (fausses) situations de soumission et de
292
CHAPITRE VI : Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
perversion des valeurs morales ? Ce type de financement donne-t-il lieu à des pactes de
corruption, en développant une dépendance des hommes politiques vis-à-vis des groupes de
pression dans la prise de décision ?
La seconde section sera consacrée à la corruption administrative ou bureaucratique
c'est-à-dire celle dépendant directement du système politique, de la séparation des différents
pouvoirs, et les modes électoraux de représentations et d’adoption des lois. En entrée, nous
devons préciser que le mode de gouvernance de l’Algérie repose sur un système polticoadministratif centralisé, prépondérant dans la prise de décisions et leur exécution, et où les
pouvoirs législatif et judiciaire ont une dépendance, structurée de façon formelle ou
informelle, et ce tant au niveau central qu’au niveau de la collectivité locale. La concentration
de ces pouvoirs, par peur des velléités régionalistes – susceptibles de remettre en cause l’unité
nationale - et l’absence de contrôle sont-ils à l’origine de l’adoption des fonctionnaires d’une
attitude favorable aux comportements corruptibles ? La multiplication du nombre d’acteurs
politiques lors de l’avènement du multipartisme activant au niveau des collectivités locales
est-elle un facteur aggravant du phénomène de la corruption élargissant le clientélisme
politique convoitant, entre autres, le foncier ?
La troisième section, dédiée à l’étude et l’analyse sectorielles de la corruption dans
trois secteurs. Primo, dans le corps des douanes dont la réputation est bien établie chez le
commun des citoyens comme étant gangrené par les actes de la petite corruption, mais pas
seulement, car en partie aussi ce corps s’est trouvé souvent mêlé à des scandales liés à la
grande corruption, celle qui porte atteinte sérieusement à l’économie nationale. Secundo, dans
les procédures et les décisions du système judiciaire à travers la partialité et le non-respect des
lois, lesquelles dérives, tout en développant le sentiment d’impunité, portent un sacré coup à
l’État de droit et à l’État en tant qu’appareil, qui se trouve fragilisé dans ses assises, et ce,
dans le sens où l’absence d’une justice indépendante fait grandir la méfiance du citoyen vis-àvis de l’ensemble des institutions étatiques. Tertio, dans le secteur de la santé, qui a connu
deux temps la période de la prédominance de la politique de la gratuité des soins et puis celle
de la libéralisation, incontrôlée, et permissive, marquée par l’accaparement monopolistique
des lobbies du secteur privé. La question de la corruption dans le secteur pharmaceutique, qui
vient en seconde place dans le budget de fonctionnement de la santé, donc très lucratif et
captif, de par la problématique qu’elle soulève en termes de pénuries, d’augmentation de la
facture des importations et du phénomène de la contrefaçon, sera également traitée dans cette
section.
293
CHAPITRE VI : Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
SECTION I La corruption dans les milieux politiques
Les ingérences multiformes dans les milieux du monde politique sont devenues une
source de toute sorte de corruption politique. Un espace d’interférence et d’amalgame où se
chevauchent en fait et s’entremêlent les intérêts particuliers et l’intérêt général, objet de la
gestion des affaires publiques au sein de la collectivité, et de cette proximité incompatible
justement découlent des situations d’exactions et de concussion donnant lieu à la « perversion
politique », bien que les formes que celle-ci prend (achat des voix, abus de biens sociaux …)
varient suivant les systèmes de gouvernance. En Algérie, les choix des politiques, des
orientations stratégiques et des représentations aux niveaux des postes électifs et
administratifs ne s’effectuent pas, en général, en fonction des besoins objectifs, basés sur des
critères de compétence et de crédibilité et obéissant à une logique de primauté de l’intérêt
général, mais sont plutôt la résultante de rapports d’appartenance ( réseaux relationnels,
politiques, amicaux, tribaux, familiaux …) et d’équilibres au sein d’une sphère marquée par
une lutte entre les différents clans du pouvoir et où l’allégeance est l’une des formes les plus
élaborées de la corruption clientéliste
L’évolution de la perception de la pratique de l’action politique en Algérie subit les influences
négatives des pratiques corruptives qui sévissent dans le monde politique des démocraties
occidentales, que décrit Y. Mény (1995) en les situant ainsi : « dans une conjoncture fluide, de
nouvelles structures d’articulation entre sphère publique et privée se sont faits jour. L’homme
politique s’est défini de plus en plus comme un entrepreneur (au sens économique du terme) et les
entrepreneurs économiques traditionnels ont cédé la place à une nouvelle espèce d’agents
économiques caractérisés par leur capacités « bargaining », d’intermédiation, « brokerage »’’.
Le milieu politique est assimilé au monde des affaires, au regard des capitaux engagés pour
financer des activités politiques très coûteuses. L’action politique perd sons essence en
laissant place à l’opportunisme de l’ascension sociale, ouvrant la course au gain de l’argent
facile et à l’enrichissement personnel des hommes politiques. La compétition politique
devient alors une lutte acharnée où tous les coups sont permis et où le financement de cette
ascension sociale passe inéluctablement par la mobilisation du nerf de la guerre avec ce que
cela implique en retour comme contreparties en faveur des bailleurs de fonds. La corruption
prend, en le cas, la tournure d’un trafic d’influence qui se caractérise par la mobilisation
d’énormes ressources humaines, matérielles et financières. C’est ainsi qu’elle devient une
arme redoutable entre les mains de ceux qui ont acquis des richesses malhonnêtement aux
dépens de la majorité défavorisée, exclue de ce processus.
294
CHAPITRE VI : Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
La progression et l’accession aux postes politiques nécessite des moyens pour financer les
compagnes électorales (lorsqu’il s’agit d’un poste électif) ou la propagande (lorsqu’il s’agit
d’un poste nominatif), avec notamment comme à-côtés : l’entretien d’un train de vie élevé, la
motivation des staffs de soutien et puis l’encadrement et la subvention des équipes engagées
pour la finalité en question. Un dilemme qui se retrouve de plus en plus au centre des
préoccupations des hommes et des organisations politiques compte tenu des risques encourus
et des conséquences fatales qui menacent leur statut extrinsèque (crédibilité, image de
marque, autonomie, libre arbitre …) au moment où ils prennent l’option de s’impliquer dans
des actes de corruption, sous différentes formes, notamment : le clientélisme, l’abus
d’autorité, le copinage … qui constituent autant de sujets à scandales qui, en faisant les choux
gras des médias, ne manquent évidemment pas d’accentuer la défiance des citoyens, de plus
en plus exacerbés, à l’égard des acteurs et institutions politiques. P. Bezes et P. Lascoumes
(2005) considèrent que ‘‘les atteintes à la probité publique sont ainsi (re)devenues un
problème public incontournable, largement structuré par les fréquentations aux sources
multiples.’’
Le monde politique est devenu un milieu amoral (perte des valeurs et de l’éthique) et de
défiance aux institutions, ce qui explique les récents soulèvements populaires dans les pays du
Maghreb sous la bannière de « Halte à la corruption », expression synthétique des irritations
des citoyens qui ne tolèrent plus des situations de passe-droits. Ces populations pendant
longtemps cyniquement
abusées ont fini par exprimer leur réprobation à ce genre de
pratiques infectes.
En effet, ces pratiques déviantes, adoptées par les acteurs du monde politico-administratif qui
se sont impliquées pleinement dans des actes de corruption, ont fini par susciter les jugements
négatifs, exprimés de façon explicite, de la part des citoyens qui ont perdu totalement
confiance en ces institutions, décadentes et perverties par la mauvais gouvernance. Cependant
comment peut-on interpréter ces dénonciations ? S’agit-il d’une défiance, vis-à-vis des
institutions et du personnel politique, porteuse d’une rupture avec leurs lots de pratiques
corruptibles et de mauvaise gouvernance, et d’une souscription en faveur d’un nouveau
système de gouvernance, basé sur les valeurs démocratiques et respectueux de l’État de droit ?
La réponse à cette question dépendra du rapport qu’entretiennent les citoyens avec le monde
politique en matière de définition des responsabilités politiques, de disponibilité à participer
dans la vie politique, de volonté d’exercice de la citoyenneté et de résolution à imposer une
démarcation nette entre le bien collectif, relevant du domaine public, et l’intérêt individuel,
295
CHAPITRE VI : Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
appartenant à la sphère privé. Il est clair, en fait, que la corruption en général et celle
politique, en particulier, constituent toutes des atteintes à l’intégrité du patrimoine public et
influent négativement sur les indicateurs de bonne gouvernance, en installant le pays en
question dans une situations d’impasses et de crises et en fragilisant du coup le processus de
démocratisation.
La moitié des personnes enquêtées n’ont pas répondu à la question portant sur
l’appartenance aux organisations diverses. Notre enquête révèle que les citoyens pensent que
l’adhésion à un parti politique ou le fait de se présenter aux élections a pour objectif
l’enrichissement de ceux qui s’impliquent dans le domaine politique. Cette perception qu’ont
les citoyens vis-à-vis des milieux politiques dissimule la position adoptée à l’encontre de la
corruption politique. Cependant, cette position de « tous pourris », incriminant toutes
institutions politiques, est-elle le reflet de la réalité ?
Ces résultats signifient que les citoyens adoptent une prudence vis-à-vis des organisations
politiques1, puisque en moyenne, dans l’ordre des grandeurs, nous avons enregistré chez ceux
qui ont répondu à cette question les taux d’adhésion suivant : Associations 39,4%, parti
politique 23,9%, 15% syndicat, en plus de 21,26% qui font partie d’au moins une de ces trois
organisations. Le graphe ci-dessous représente les résultats de ceux qui ont répondu à cette
question selon les tranches d’âges. La catégorie d’âge située entre 25 et 35 ans est dominante
dans les organisations associatives suivies par celles des tranches d’âges situées entre 35 et 45
ans et celles de moins de 25 ans. Alors que la tranche d’âge située entre 35 et 45 ans domine
au niveau des partis politiques et des syndicats.
1
Selon l’enquête réalisée par un groupe de chercheur algériens pour le compte de l’organisation Arab
Barometer (à la deuxième édition après celle 2006), sur un échantillon de 1200 personnes de tous les âges,
publiée le 17 janvier 2012 par le quotidien El-Watan : ‘‘Près de 97% d’Algériens n’adhèrent à aucun parti
politique. Près de 94% ne sont pas membres d’une association caritative, 97% ne sont pas membres d’un
syndicat professionnel, 92% ne sont pas membres d’une association ou d’un groupement sportif, près de 98% ne
font pas partie d’une confédération tribale et 99% d’Algériens n’adhèrent pas à une association de
développement local. Les rédacteurs du rapport concluent que les Algériens «ne sont pas encadrés»’’. Comme
plus de la moitié disent ne pas accorder de confiance aux partis. ‘‘Près de 52% d’Algériens n’accordent «aucune
confiance» aux partis politiques, 27% «peu de confiance» et 15% «une confiance moyenne». En outre, près de
30% d’Algériens n’accordent «aucune confiance» aux associations de la société civile, près de 30% «peu de
confiance» et près de 30% «une confiance moyenne».’’.
296
CHAPITRE VI : Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
Figure n°19 : Graphe représentant l’appartenance aux organisations selon les tranches d’âges.
Source : résultats de l’enquête.
Les rapports qu’entretiennent les gouvernements vis-à-vis des gouvernées explicitent
davantage la défiance des citoyens envers ces institutions et les hommes politiques qui les
incarnent. Une situation qui repose sur le non-respect les valeurs et des règles du jeu politique
mises en place. Cette thèse est soutenue par Y. Mény (1995) en partant du principe
considérant ‘‘la reconnaissance que les systèmes politiques, à commencer par les
démocraties, sont fondés sur des valeurs dont la violation fragilise la légitimité implique que
la corruption ne soit considéré comme un phénomène secondaire, un mal bénin et inévitable
qu’il faudrait certes combattre mais en sachant qu’il est impossible de l’éradiquer.’’
La corruption politique en Algérie se manifeste, à travers des pactes et sous diverses formes
en impliquant plusieurs acteurs des sphères relevant des institutions de l’État, des partis
politiques et des organisations de la société civile, qu’ils soient élus au niveau local, régional
national ou qu’ils soient nommés à des postes de responsabilités politiques au niveau de tous
les échelons2. Elle consiste en l’abus de pouvoir, agissant illégalement, en produisant des
documents et des autorisations en dehors des règles, en permettant le favoritisme et en
2
A ce niveau, comme nous l’avons décrit dans la première partie, les dépositaires du pouvoir de nomination des
responsables dans les différents organismes publics usent des pratiques de la corruption et d’allégeance en
affectant les personnes de leurs réseaux familiaux et amicaux au niveau de ces postes très prisés.
297
CHAPITRE VI : Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
orientant des décisions politiques3 dans le but de soutirer des avantages indus. Selon John
S. Nye (1967), cité par P. Bezes
et P. Lascoumes (2005), ‘‘l’interaction entre acteurs
politiques et économiques, ainsi que le jeu des offres et demandes sont envisagés comme des
cadres d’échange corruptibles insérés dans des fonctions sociales légitimes. Ces déviances
rempliraient ainsi d’utiles fonctions (accès à des ressources rares, dépassement des
contraintes bureaucratiques) expliquant au passage le haut degré de tolérance à leur égard’’.
Le déroulement de cet échange, occulte, incite à l’encouragement des intérêts individuels ou
de groupes privés agissant dans un cadre privé, en défavorisant l’intérêt public, à caractère
général, en violant les normes d’éthique et les règles de l’État de droit.
Cependant, même si la tendance générale condamne la corruption, il n’y pas d’unanimité dans
la classification des faits de corruption. Les jugements qu’apportent et les positions
qu’adoptent les citoyens sont ambivalents vis-à-vis des catégories touchées par la corruption.
Notre enquête révèle que l’ensemble des segments de la société est concerné par ces faits. En
effet, des réponses enregistrées par rapport à la question des catégories concernées par la
corruption, nous relevons que les enquêtés pensent à 65,4% que toute la société est concernée,
suivis par 7,8% seulement qui incriminent les fonctionnaires, 2.8% mettent à l’index les
associés avec les instances nationales, alors que 3.4 % désignent plutôt les associé avec les
instances élues, et ce, contre 7.3 % mettant en cause les instances nationales, 3.1 % les
hommes et 2.3 % les instances élues. Cette tendance est confirmée en général, comme le
montrent les deux diagrammes de Pareto ci-dessous, en faisant le croisement des réponses
selon le sexe et le statut juridique de l’entreprise. Il résulte que c’est du côté plutôt des
personnes de sexe masculin que les réponses tendent à considérer les hommes plus concernés
par la corruption que ne le sont les femmes.
3
C'est la corruption des hauts fonctionnaires et dirigeants politiques. Elle prend sa source dans les grands
programmes publics ou dans la présentation et le support de lois votées par les assemblées ; ces lois étant mises
en œuvre ultérieurement par les administrations. Cette forme de corruption trouve son expansion dans les
structures électorales de la vie parlementaire toujours plus coûteuse. (J. Cartier-Breson, 1992).
298
CHAPITRE VI : Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
Figures n° 20: le diagramme de Pareto représentant les catégories concernées par le phénomène de la corruption.
Source : résultats de l’enquête
Source : résultats de l’enquête
1-1/le système politique algérien et la corruption
Le système politique algérien a connu deux grandes périodes. La première, celle du
Parti-Etat, allant de 1962 à 1988, où l’Algérie est présentée comme un pays doté d’un
système politique dirigé par un parti unique (FLN), fondé sur une légitimité historique, puisée
de la guerre de libération nationale. Un système politique sous l’emprise totale de l’institution
militaire qui constitue, en somme, le pouvoir réel et le véritable centre de décision qui régente
tout dans une Algérie où le parti unique FLN s’est trouvé intégralement gangrené par la
corruption4. Durant cette période marquée par l’autoritarisme, le régime ne disposait pas de
légitimité intrinsèque véritable. Selon D. Hadjadj (2009), la seule façon de faire accepter son
pouvoir était de pratiquer une redistribution de type clientéliste, fondée sur le favoritisme. Le
patronage politique et la distribution des prébendes étaient systématiquement pratiqués.
4
Le système politique algérien comme nous l’avons décrit dans la première partie a recouru durant la période
post indépendance à la répartition de la rente pour accéder, assurer sa stabilité et se maintenir au pouvoir. Les
premiers servis par cette stratégie ce sont les membres de la famille dite révolutionnaire qui ont libéré l’Algérie,
auxquels ont été concédés des biens vacants et de multiples avantages financiers et matériels, ainsi que des
postes pour certains.
299
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
A partir de 1989, la seconde phase est marquée par l’ouverture vers un « multipartisme
unique » doté d’une démocratie de façade qui permet son élargissement aux nouvelles
institutions politiques pluralistes afin de les utiliser pour camoufler la continuité en
permanence de cette emprise de l’armée sur le système politique algérien, même si sa gestion
est assurée d’apparence parfois par des civils. Cette nouvelle conjoncture ne devait et ne
pouvait pas permettre à ces institutions politiques impuissantes, servant d’accessoires à ce
système de la « démocratie de façade », d’apporter des solutions attendues, tout au contraire
cet état des choses n’a fait qu’ajouter à l’amplitude et à la banalisation des pratiques de
corruption, que les citoyens avaient pourtant dénoncées lors du soulèvement d’octobre 1988.
Ces pratiques ont produit un impact négatif direct sur le processus démocratiques, d’où
découlent les effets négatifs indirects qui se répercutent sur le développement économique.
Outre ces effets qui agissent en un cercle vicieux, il ne faut pas oublier aussi la lutte
sournoise, pour l’exercice du pouvoir et le contrôle de la rente, engagée par les ‘‘pontes’’ du
régime dès les premières années de l’ouverture politique de 1988, et ce, avec à la clé une
grave perversion des vertus et normes de la pratique démocratique. La corruption est-elle
devenue un facteur aggravant, altérant le processus démocratique ? Assurément, puisqu’elle a
insidieusement empêché ce processus, et ce, en creusant davantage le fossé séparant les
citoyens des institutions étatiques, ajoutant à la méfiance déjà existante et portant, par
conséquent, un coup fatal à la légitimité de la représentation démocratique. Ce faisant, il va
sans dire que telle situation profite exclusivement au régime en place et à ses avatars. Il n’est
donc besoin de nulle démonstration pour établir que la corruption mine la confiance citoyenne
dans le système politique algérien.
En effet, l’attitude des citoyens envers la corruption est établie à travers les personnes
qui ont répondu à la question portant sur le phénomène de corruption, où il ressort en
moyenne que 71,6% la considèrent comme étant dangereuse, 23% non acceptable et
seulement 3,3% et 2,2% qui considèrent qu’elle est acceptable ou nécessaire. Ces résultats
sont confirmés dans les mêmes proportions selon les variables des catégories d’âges et le
niveau d’étude des enquêtés, comme le montrent les deux diagrammes de Pareto ci-dessous.
Les citoyens considèrent le fléau de la corruption comme étant immoral, illustrant le niveau
de la prise de conscience sur les effets pervers qu’il engendre.
300
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
Figures n° 21: le diagramme de Pareto représentant l’appréciation du phénomène de la corruption.
Source : résultats de l’enquête
Source : résultats de l’enquête
Ainsi, en analysant le système politique algérien depuis l’accession à son
indépendance on déduit que la corruption et le clientélisme constituent le corollaire du régime
détenant le pouvoir des institutions étatiques et un moyen permettant d’assurer sa stabilité et
sa longévité. La seconde phase a connu la fragilisation et l’affaiblissement de ces institutions
qui se sont accommodées au sein système politique qui devient de plus en plus malléable et
permettant la propagation de la corruption, particulièrement dans les cercles des dirigeants du
régime qui ont intronisé la gestion des affaires comme mode de gouvernance fragilisant la
crédibilité de l’institution militaro-bureaucratique. La corruption devient la norme de la
gestion permettant à travers sa manifestation la prise, l’orientation et le contrôle par les
dirigeants militaires ou civils du système politique des pans entiers de l’activité économique.
Les diverses ressources humaines et les richesses sont soit bloquées soit males gérées, ouvrant
la voie aux détournements, à la corruption et au clientélisme. Une situation handicapant le
système politique algérien, induisant des conditions insoutenables et entravant les initiatives
politiques réformatrices ; lesquelles sont susceptibles d’amener à la modernisation des
institutions de l’État, selon ce qu’exigent les normes et les impératifs de fonctionnement liées
à l’économie de marché.
Le comportement rentier des dirigeants du régime, ayant la
mainmise sur les recettes des hydrocarbures, ne rime pas avec les valeurs de l’éthique, En ce
sens, ces dirigeants ne cherchent absolument pas à impulser une quelconque dynamique de
développement, avec la mobilisation des ressources et potentialités que détient le pays, mais
plutôt préfèrent-ils la solution facile qui se résume à tout importer, tout acheter et,
301
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
parallèlement à corrompre le nombre qu’il faut au sein du microcosme sociétal, syndical et
politique. Réunissant de ce fait les conditions pures d’un environnement favorable à l’éclosion
de la corruption. Ainsi, selon M. Johnston (2000) ‘‘la corruption ne survient pas
« spontanément » dans une société ; elle fait plus probablement partie d’un ensemble de
difficultés interdépendantes’’.
Le système politique algérien a banalisé l’acte de corruption : en prenant une tendance
à se généraliser, la culture de la corruption pousse à la résignation, par l’aliénation des élites
censée être clairvoyantes, tel que décrit par A. Rouadjia (2011) qui déclare que ‘‘sans trop de
crainte de me tromper que la pratique de corruption et d’agiotage est devenue en notre pays
une culture dominante et largement partagée. Dépouiller l’État d’une partie de ses trésors,
confondre les biens collectifs avec les biens privés, détourner les lois et les réglementaires
(comme la passation des marchés publics), etc., sont autant d’actes qui s’intègrent dans le
psychisme social et qui apparaissent aux yeux des agents en acte comme des faits
« normaux »’’. L. Ayissi (2008) explicite l’attitude qu’adopte les citoyens dans un État
corrompu : ‘‘les citoyens de faible personnalité perdent facilement leur intégrité et intègrent
aisément ce système par lassitude. Conscients qu’ils ne peuvent pas changer le système, ils
mettent fin à une résistance qu’ils jugent puérile et stérile. La rectification d’un système
corrompu exige, d’après eux, une force de caractère qui transcende la leur. En attendant
l’éventuelle intervention d’une telle force, ils abandonnent le combat et ce conforment au
système ambiant’’.
La majorité des personnes enquêtées dans notre sondage ont affirmé, comme représenté dans
le graphe ci-dessous, que la question de la corruption fait partie des mœurs de la société
algérienne. La moyenne de ceux qui ont répondu à cette question positivement est de 62,2%.
Cette tendance est confirmée dans la moyenne selon la variable du niveau de responsabilité
qui est de 61,37%. Des résultats identiques sont enregistrés en les comparants selon le secteur
d’activité en moyenne de 63,3% : soit 63% pour celles relevant du secteur économique et
57% pour celles du secteur administratif.
302
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
Figure n° 22 : Graphe déterminant si la corruption fait partie des mœurs de la société algérienne selon les secteurs
d’activité et les niveaux de responsabilité.
Source : résultats de l’enquête.
La corruption devient un facteur de perversion du système politique algérien, causant
sa faillite, soutenant l’autoritarisme et la concentration des pouvoirs entre les mains des
décideurs qui se sont érigés en tuteurs sur l’ensemble des franges de la société. Elle se
manifeste à travers le non-respect des règles de droit, entretenant par là l’impunité et
l’absence de transparence dans la gestion des deniers publics, et ce, s’agissant notamment des
grands projets budgétivores à l’origine des déficits énormes et de l’affaiblissement de la
croissance économique. Force est de constater, par ailleurs, qu’en dépit de l’augmentation des
rentes, issues des recettes hydrocarbures, avec une situation d’accumulation durant au moins
une décennie, les programmes de modernisation et de relance économique ne décollent
toujours pas à cause justement d’une mauvaise gouvernance ravageuse et tentaculaire. Les
experts de la Banque mondiale estiment que la chute des taux de croissance en Afrique et
certains pays d’Asie est due à la corruption politique qui entraîne un manque à gagner de plus
de 2% du PIB par an.
La gestion des affaires de l’État dans le système politique algérien dépend, en somme, de
l’action prédatrice des décideurs qui ont instauré un système de gouvernance corrompue.
D’après L. Ayissi (2008) ‘‘lorsque la corruption investit les mœurs politiques, économiques,
administratives d’un État, elle se déploie comme une énorme machine dont l’engrenage
écrase les éléments résistants. Dans une gouvernance corrompue, les citoyens intègres sont
des pièces impropres au mécanisme d’une machine, qui pour eux, tourne à l’envers. Ce qui
303
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
caractérise une gouvernance corrompue, c’est la gestion irrationnelle des affaires de la cité
par les pouvoirs publics’’.
La généralisation (l’extension) de la gouvernance corrompue dans le système politique
algérien a entraîné la désaffection des citoyens des milieux du monde politique, l’inefficacité
et l’inefficience de l’administration, déjà affaiblie par une lourdeur bureaucratique, dans la
production des services et des biens publics collectifs. De même que cette situation délétère a
eu pour effet de multiplier les détournements de biens sociaux et la détérioration des rapports
direct ou indirects liant les gouvernés aux gouvernants.
1-2/La corruption des élections et les formations politiques
Les analyses des politologues portant sur la nature du système politique algérien
durant l’ère du parti unique et celle après l’avènement du multipartisme concluent que le
processus de mutation démocratique n’a pas produit les effets escomptés, autrement dit il n’a
pas abouti à une transition achevée de l’autoritarisme vers un régime démocratique et
pluraliste. Le système politique algérien en procédant à la légalisation d’une pléiade5 de
formations politiques, de syndicats, d’associations et de journaux privés soumis à son
influence et à son contrôle6 avait adopté, le choix du modèle de la démocratie de façade dotée
d’une vitrine compromettant la concurrence politique loyale avec une apparence d’une
compétition politique équitable. M. Johnston (2000) considère que ‘‘les formes graves de
corruption
ne
font
pas
bon
ménage
avec
une
concurrence’’.
La promulgation des nouvelles lois drastiques portant sur l’existence légale des partis
politiques a abouti à la réduction de leur nombre et au blocage7 de l’attribution (la délivrance)
5
Il y a lieu de distinguer deux types d’organisations : d’un côté celles qui sont stimulées par les tenants du
système politique, désignées sous le vocable d’organisations « maison » ; lesquelles sont irriguées par la rente
clientélaire et politique ; et puis, d’un autre côté celles qui sont plus au moins autonomes, qui agissent sous les
contraintes informelles en dehors des normes juridiques.
6
L’ensemble des organisations, celles qui sont affiliées au parti unique et celles qui sont issues du multipartisme
ainsi que les organes de la presse publique et privée sont en réalité influencées, orientées et contrôlées par
l’administration du régime, sous la coupe des services de sécurité de l’institution militaire, détentrice du pouvoir
décisionnel. Cette institution constitue le nœud gordien du système politique algérien qui décide et dirige la vie
politique algérienne, en corrompant l’élite et les dirigeants de la classe politique.
7
Même si aucune directive réglementaire n’existe en ce sens, la loi portant sur les partis politiques n’a pas été
respectée depuis l’année 2000, le ministre de l’Intérieur ayant bloqué, à titre d’exemple, les agréments et mêmes
les autorisations pour la tenue des assises et des congrès de conformité. Certains partis n’ont pas pu avoir leur
agréments en raison justement de scissions qui sont provoquées au sein du régime par des divergences d’intérêts
304
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
d’agréments, depuis plus de 10 années, aux nouvelles formations politiques. Cette sélection
met un terme à la concurrence et transforme les agréments des partis politiques en un fonds de
commerce ouvert aux marchandages des postes, qui deviennent alors source de la corruption
politique particulièrement durant les périodes électorales8. La captation des pots-de-vin est
devenue monnaie courante. Les affairistes s’investissent dès lors dans l’achat des postes
électifs, soit en se faisant désigner candidat en pole position, soit en concluant avec les partis
un pacte d’alliance dont les termes sont : le financement de la campagne électorale en
contrepartie de privilèges et autres faveurs sous diverses formes qu’aurait à fournir le
postulant une fois accédé au poste électif en question. Plus un parti est en bonne position (le
quota des sièges et des postes) plus la clientèle grandit et les montants à verser augmentent.
Ce choix confisquant la libre compétition politique est antinomique à la démocratisation, dans
la mesure où il participe à entretenir les facteurs de propagation de la corruption. Un choix,
pour ainsi dire, dont les ravages et les préjudices qu’il peut engendrer tant pour les institutions
que pour la société, dans ses différentes couches, sont incommensurables comme le montre
l’expérience algérienne qui en a fait les frais durant deux longues décennies déjà. Ce système
politique qui a délimité aux formations politiques les lisières des compétitions électorales a
gangrené les institutions politiques, économiques et administratives par les pratiques de la
corruption.
Ainsi, la limitation de la concurrence dans les compétitions électorales freine les initiatives
des citoyens en faveur des prises de positions dénonciatrices de la corruption. De ce fait, au
lieu que les organisations politiques fassent de la lutte anticorruption un préalable dans leur
quête de rapports de forces pour un positionnement sur l’échiquier politique et pour une réelle
démocratisation, ces organisations surfent plutôt sur ce phénomène de la corruption en
essayant d’en tirer profit comme instrument de prédation, de placement, de promotion sociale,
de marchandage politique, et ce, sur fond de cautionnement de la règle des quotas et du
principe de la fraude électorale.
La corruption élimine la concurrence politique saine et discrédite les scrutins souvent
entachés de fraude ainsi que de la position désapprobatrice des électeurs qui s’abstiennent
majoritairement. Le développement de la corruption politique en Algérie est identique là où
d’ordre stratégique et qui souvent couvent des affaires d’infiltrations, de chantages et autres pratiques de
corruption
8
L’agrément des ‘‘Petits’’ partis politiques est devenu un fonds de commerce avec un bon business plan, qui
permet d’engranger plusieurs milliards de centimes (centaines de millions de dollars), à l’occasion de chaque
scrutin, considéré comme un marché très lucratif pour les chefs de ces partis. Ces derniers font payer les
candidats parrainés aux élections ainsi que ceux qui obtiennent leur mandatement pour siéger au niveau des
commissions de surveillances des élections en rétrocédant une partie de leur indemnité.
305
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
l’autoritarisme règne tel que le décrit M. Johnston (2000) : ‘‘dans les pays où des systèmes
d’influence illicite ou les attentes malhonnêtes dominent la sphère politique, l’opinion des
autres groupes ou citoyens n’a que très peu de poids et les mandats légitimes risquent de
perdre tout leur sens. De même, une liberté réelle de voter, de former des organisations
indépendantes et de rechercher le soutien populaire peut être détournée par le trafic
d’influence, ou considérablement restreinte par les réseaux de connivence entre politiciens et
bureaucrates’’.
C’est dans ce cadre et avec cet esprit que sont conçues les réformes politiques engagées
durant l’année 2011, une ouverture temporaire pour mettre à jour la classe politique en
fonction des nouveaux enjeux qui apparaissent sur la scène politique9. De ce fait, l’alternance
au pouvoir et la transition vers la démocratie demeure toujours bloquées. Les mêmes causes
vont engendrer les mêmes résultats. N’est-il pas vrai que la corruption alimente, soutient et
légitime le populisme traversant le pouvoir politique. Cette démarche corruptrice fragilisera
davantage et pervertira la représentation politique et sociale des sphères politiques et de la
société civile, déjà suffisamment discréditées, affaiblies par un manque de crédibilité et
d’autonomie dans la prise de décisions.
La corruption et le clientélisme politique façonnent l’activité politique en Algérie, résultant du
monopole de la chose politique par les tenants du régime qui ont érigé un système de
gouvernance qui ne tolère pas la libre expression et l’exercice des activités de l’opposition. Le
système arrive ainsi, tout en leur concédant un certain espace, à contenir les organisations
politiques d’opposition, en leur délimitant un paramètre précis et en conditionnant leur
fonctionnement. M. Johnston (2000) considère que la corruption ‘‘ peut détourner l’activité
politique vers des canaux informels tels que le clientélisme, le népotisme ou la constitution de
mafias, s’avérant au bout du compte un piètre substitut à la politique’’.
En effet, la corruption politique constitue une menace pesante sur processus de
démocratisation qui entraîne systématiquement la multiplication des coûts dans la vie
politique. La multiplication des organisations, celles des partis politiques et de la société
civile, a conduit vers la dispersion des centres de décisions à la faveur du renouvellement et
du renouveau de la classe politique via l’émergence de nombreux leaders politique. De cette
transition découle le marché de la corruption politique, assimilable à la démocratisation de la
9
Après avoir verrouillé le champ politique pendant douze ans, le ministère de l’Intérieur décide d’attribuer des
autorisations aux partis politiques pour tenir leurs congrès constitutifs à la hâte.
306
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
corruption. Cette multiplication des coûts de la corruption politique en Algérie découle (vient)
de l’augmentation des occasions d’échanges corruptible qui évoluent parallèlement aux
nombres d’acteurs, agissant dans les milieux politiques.
Une situation qui aggrave la défiance aux institutions étatiques, tout comme le sentiment
d’abandon face aux comportements bureaucratiques d’une administration gangrenée par la
corruption et la perte de confiance des citoyens à l’égard les acteurs et des institutions des
milieux politiques renforcent, pérennisent et encouragent le développement des actes relevant
du domaine de la corruption. Une partie du peu d’électeur qui glissent leur bulletin de vote,
particulièrement lorsqu’il s’agit des scrutins locaux, cède aux propositions corruptives des
candidats en échange d’une campagne et d’un vote en leur faveur10.
Les ‘‘parrains’’ du système politique algérien – il s’agit plus explicitement du pouvoir
de manipulation occulte des décideurs qui l’ont érigé en mode de gouvernance –, s’arrogent
tous les droits et se donnent toutes les prérogatives possibles : faire et défaire les formations
politiques, nommer les commis d’État à tous les niveaux, organiser les élections de façon à
s’assurer la pérennité du système, et ce, avec les faveurs d’un trucage bien réglé leur
permettant de : répartir les quotas au sein des différentes assemblées, de désigner les candidats
à la magistrature suprême selon le propre casting et de choisir par avance celui qui sera élu
par les électeurs.
Peut-on conclure sur l’existence d’un rapport direct entre la corruption et les règles régissant
les partis politiques et les compétitions électorales ? La nature du système politique algérien
permet de répondre par l’affirmative à cette question. En effet, même si le pluralisme ouvre la
voie à plusieurs personnes de s’impliquer dans le processus politique, le favoritisme sousjacent les conditionne à se plier aux règles formelles et informelles, édictées par les parrains
de ce système qui refusent le partage du pouvoir.
La loi électorale, souvent remise en cause par les partis politiques, constitue une des
sources favorisant les pratiques de la corruption11. Ces pratiques sont décelables dans les
choix des candidatures découlant des alliances entre les partis et les hommes d’affaires sous
10
A ce propos D. Hadjadj, dans un article publié dans le quotidien Le Soir d’Algérie du 13/07/2009, considère
que ‘‘la corruption a subverti véritablement les mécanismes électoraux en Algérie. Ce n’est pas seulement du fait
des hommes politiques, mais aussi de celui des électeurs : il existe une attente de générosité de la part des
électeurs, à laquelle l’homme politique se doit de répondre, s’il veut être pris au sérieux. Mais cette corruption
électorale, pour être véritablement efficace, doit se camoufler en échange de dons et s’articuler au clientélisme’’.
11
Même si certains mécanismes, susceptibles de protéger l’intégrité et la transparence des élections, sont prévus
dans la législation, sur laquelle s’appuient les commissions chargées de la surveillance et de la validation des
résultats des scrutins, ces élections souffrent toujours d’irrégularités durant tout le processus et à chacune des
étapes de celui-ci : la gestion des données (la mise à jour des fichiers électoraux), le découpage électoral et le
mode de scrutin, l’éligibilité des candidats, le déroulement et le financement des compagnes électorales, le rôle
des médias, le décompte et l’annonce des résultats…, etc.
307
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
des formes de parrainages multiples ou de classement de la clientèle12 ; du déroulement du
scrutin en marchandant les représentations des partis dans les commissions de surveillance
des élections ; et le cautionnement de la fraude électorale sous différentes formes.
Les organisations politiques, y compris les partis se plaçant dans l’opposition en Algérie,
rodées et suffisamment averties par cet électoralisme corruptif, hypothèquent leur crédibilité,
en sachant que les résultats biaisés par avance seront substitués par des quotas répartis entre
les différents participants à ces joutes. Ils cautionnent, en réalité, les scrutins dans le but de
pouvoir capter des fonds à soutirer aux réseaux des clientèles et des affairistes. Ce qui leur
permet d’accéder physiquement aux espaces réservés aux institutions proches des sphères
décisionnelles et de saisir parallèlement les occasions ouvrant la voie à la négociation des
strapontins et des portefeuilles ministériels afin d’accéder à la rente concurrentielle en captant
les ressources, M. Hachemaoui (2004). Dans ce sens, les choix des partis politiques lors des
élections sont perçus comme des stratégies orientées autour des enjeux de la représentation,
de l’intégration ou du renforcement de leurs positions au sein des instances et/ou des
institutions, ainsi, que comme des opportunités à saisir pour la promotion et l’ascension
sociale.
Cette option permet aux acteurs politiques de jouer le rôle de la médiation au service du
clientélisme, articulé entre le local et le global des sphères sociales, économiques, culturelles
et politiques. Cette position contribue au renforcement de la position des partis en recrutant un
personnel intéressé – même si en soi il est peu intéressant– constituant une source
d’élargissement de la base électorale, et/ou en accumulant des fonds finançant les activités
politiques ou utilisés pour améliorer leur statut social. En fait, cette logique entriste à
l’extrême les transforme en vulgaires entrepreneurs de la médiation clientéliste type que M.
Hachemaoui (2004) considère comme un ‘‘agent qui s’emploie continûment à construire cette
médiation, soucieux qu’il est de l’importance que revêtent la redistribution et les réseaux
clientélaires pour ses logiques d’action. En corollaire, cet agent se situe entre le prédateur,
décisivement tourné vers l’accumulation prédatoire de biens matériels, et l’entrepreneur de la
médiation clientélaire’’.
12
Les choix des candidatures ne se font pas en fonction de la compétence, de la crédibilité politique, bien au
contraire ils dépendent de l’intérêt particulier, qui prime sur l’intérêt général et se fondent beaucoup plus sur
l’aspect relationnel, décliné par rapport à des considérations des relations clientélistes, en faisant de la corruption
l’une des formes les plus élaborées lors de l’examen de la candidature.
308
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
En fonction des enjeux, les tenants du système politique algérien procèdent à l’irrigation des
réseaux de leurs clientèles, en mettant à leur disposition des moyens matériels, financiers ainsi
que les facilitations mettant à contribution son administration ; et à l’étouffement de
l’opposition, en entravant leur fonctionnement notamment en suscitant la déstabilisation
interne par l’infiltration ou en corrompant certains éléments influents. M. Johnston (2000)
avance que ‘‘les élites corrompues parviennent à s’ancrer dans les institutions démocratiques
en compromettant ou en intimidant les partis d’opposition et les électeurs ou en en
constituant des coalitions tellement larges et dominantes qu’ils conservent toujours au moins
une part du pouvoir’’. Il ne suffit pas d’organiser les élections libres et plurielles, mais de
s’assurer de la transparence et de l’équité durant tout le long du processus électoral,
garantissant la démocratisation comme un socle cimentant la lutte anticorruption. Le recours
à la corruption politique, sous toutes ses formes, qui fragilise et ternit l’image de probité
publique, illustre parfaitement la nature du système politique et la place de la démocratie dans
la vie politique en Algérie. Il est clair, que La corruption du système politique entrave la
dynamique de fonctionnement des mécanismes démocratiques de lutte anticorruption.
1-3/De la corruption dans le financement des activités politiques
La collecte de fonds pour mener l’action politique en démocratie est devenue
incontournable. Les organisations politiques affichent de plus en plus des besoins grandissant
en ressources humaines et financières pour alimenter leur fonctionnement régulier et assurer
des campagnes électorales. Dans un système politique autoritariste, affecté par le manque de
transparence, la corruption prend la forme d’un facteur de régulation entre les différents
acteurs intervenant dans les mécanismes d’un processus politique.
En Algérie, l’avènement du multipartisme a complètement bouleversé la sphère
politique. Il a introduit de nouvelles mœurs politiques qui ont énormément influencé le
comportement de nombreux acteurs du monde politique ; ces derniers qui s’y sont vite
accommodés à cette situation affriolante n’hésiteront pas à compromettre et sacrifier l’élan
enthousiaste de la démocratisation sur l’autel des mirobolantes opportunités offertes par le jeu
de l’élection frauduleuse et de la corruption. Le renversement de l’échelle des valeurs
politiques a transformé les comportements des hommes politiques, ce qui a contribué à
l’explosion de la corruption.
309
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
Le financement des activités des partis politiques et des campagnes électorales est considéré
dans d’autres pays, depuis au moins trois décennies, comme une discipline relevant du
domaine de l’étude des règles juridiques. En Algérie, malgré les multiples réformes des
législations13 réglementant le financement des partis politiques et les compétitions électorales,
décidées suite à de tapageuses affaires de corruption ayant éclaboussé de nombreux acteurs
politiques et leurs souteneurs financiers, il n’y a eu quasiment aucune réflexion engagée pour
l’étude du financement de la vie politique. Une telle étude aurait, en fait, pour objectif de
savoir s’il y a un rapport entre la corruption et la législation des élections et le financement
des activités des partis politiques, afin de déterminer les règles qui sont associées à ce
phénomène.
En effet, aucun débat, ni rencontres politiques impliquant en premier lieu les partis politiques
n’ont eu lieu pour discuter des causes à l’origine de la prolifération de la corruption liée au
financement de la vie politique qui prospère dans l’opacité totale. Ce phénomène est lié à
l’absence et à l’inexistence de financements ‘‘qu’ils soient insuffisants par manque de moyens
(pour les PED), ou par manque de volonté (pour les pays riches)’’, d’après J. Cartier-Bresson
(2008). En Algérie, ce rapport est bien établi. En analysant la composante humaine des
formations politiques et le non-respect de la législation concernant le financement des
campagnes électorales, nul doute qu’on ne peut que confirmer l’absence de transparence dans
l’ensemble des processus électoraux pluralistes.
L’évolution de la législation fixant les modalités de financement (origine et limites)
des partis politiques notamment dans la dernière loi, promulguée le 15 janvier 2012 et
plafonnant les dépenses inhérentes aux campagnes électorales, permet néanmoins de saisir la
délimitation du domaine de la légalité14, de celui de l’illégalité, constituant une des formes de
la corruption, qui lie par un engagement moral le parrain des partis politiques et/ou les
13
La nouvelle loi portant sur les partis politique, publiée dans le journal officiel n°214 du 15 janvier 2012,
définit les ressources pour les activités du parti. Elles sont constituées par les cotisations de ses membres, les
dons, legs et libéralités, les revenus liés á ses activités et ses biens, les aides éventuelles de l'État selon le nombre
de sièges obtenus au Parlement et le nombre de ses élus dans les assemblées. Les dons, legs et libéralités ne
peuvent provenir que de personnes physiques identifiées. Ils ne peuvent excéder trois cents (300) fois le salaire
national minimum garanti, par donation et par an. Ils sont versés au compte prévu á l'article 62 de la présente loi
organique.
14
Le financement par les pouvoirs publics des partis politiques est sans doute le facteur le plus aggravant des
pratiques occultes de financement de la vie politique en Algérie. Cette approche affecte différemment les partis.
Il y a, d’un côté, ceux qui dépendent directement de ces aides, c'est-à-dire des assistés totalement, et de l’autre
côté, ceux qui reçoivent des aides qui ne sont pas déclarées, par le biais des ministères qui les font passer comme
dépenses dans le cadre du budget de l’État.
310
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
candidats aux « sponsors ». En accèdent aux postes électifs ou politiques, afin de montrer leur
gratitude, ces derniers se doivent d’honorer leurs promesses. Par ces modes de financement,
ouverts aux pratiques de corruption que ne manquent pas d’exploiter des donateurs, qui ne
sont pas en réalité désintéressés par les privilèges de la chose politique, pour se placer dans
une sorte de « cohabitation politique » et pouvoir, par conséquent, prendre pleinement part
dans la définition des politiques à mener. Ceci est très flagrant dans la composante de
l’Assemblée Populaire Nationale qui a été éclaboussée par de nombreux scandales, tel que
celui des lobbys du « chiffoun »15diffusé dans les médias.
La problématique du financement illicite des partis politiques et sur le lien qu’entretient ce
phénomène et celui de la corruption demeure posée et non résolue en Algérie, malgré la
promulgation de textes de lois le réglementant, puisque ces pratique illégales n’ont jamais
donné lieu à des poursuites judiciaires, laissant de ce fait l’opinion publique perplexe, au
regard des sommes dépensées durant les campagnes électorales. Ce constat, devant lequel les
citoyens restent impuissants, explicite en partie la méfiance envers les acteurs ou les
organisations politiques et le désintéressement des citoyens par rapport à la chose politique.
Cela dit, on peut déduire que l’absence de la transparence et la présence massive de la
corruption politique détournent l’action politique de son noble objectif, entravent la libre
formation de l’opinion des citoyens et l’expression fidèle de leur choix volontaires.
Il apparaît que l’existence d’une législation réglementant le financement de la vie politique
n’implique pas systématiquement une transparence totale dans les sources (publiques, privées
ou les deux à la fois) de financement des partis politiques et des campagnes électorales, sans
que les institutions politico-administratives ne communiquent objectivement l’information
intégrale à l’appareil judiciaire censé garantir cette équité.
Les partis « affiliés » à l’appareil administratif de l’État – qui est tout sauf impartial – ou les
« partis-Etat »16 sont les premiers qui transgressent ces règles. Les moyens des institutions
étatiques sont mis à leur disposition. Autrement dit, on ne peut pas être juge et partie à la fois.
Il n’y a aucune transparence dans l’affectation des financements et les aides relevant du
domaine public. Quant au secteur privé, à cause de l’absence de démocratie et par peur surtout
de représailles, les opérateurs pour la plupart préfèrent financer les partis au pouvoir, et se
15
Mot à l’origine qui désigne en français le chiffon, il est attribué à ceux qui exercent l’activité de la
commercialisation de la friperie des vêtements.
16
A l’époque tu parti unique, il n’y avait que le FLN, puis depuis la crise politique des années 90, un second
parti lui dispute ce statut, en bénéficiant du soutien des institutions détentrices du pouvoir décisionnel.
311
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
gardent même d’afficher tout soutien ou proximité avec les partis d’opposition pour ne pas
risquer de se faire broyer par l’appareil bureaucratique. C’est un combat d’un pot de terre
contre un pot de fer. De ce fait, si dans le secteur économique les transactions sont
souterraines à plus de 50%, le financement de l’activité politique se déroule souvent dans
l’opacité totale. La majorité des soutiens financiers sont versés en espèces, sans aucune
traçabilité. Dans ce cas, l’accord moral est et demeure déterminant dans les milieux politiques
algériens, même si les règles sur le financement des partis politiques existent, en ce couvrant
mutuellement. Ces lois ne sont pas difficiles à contourner pour les donateurs qui agissent en
groupes de pression et/ou en actionnant leurs clientèles lorsque cela capte leur intérêts privés.
En effet, il ressort des résultats du sondage, enregistré au niveau de notre enquête, qu’en
moyenne la majorité de ceux qui ont répondu, soit 73,5% des enquêtés, à la question relative
au financement des activités politiques en général et des compagnes électorales par des
capitaux privés nationaux et étrangers, leur opinion est que ces financements peuvent
constituer une entrave au développement des pratiques et des valeurs d’éthique et de
démocratie en Algérie. Une tendance qui est confirmée dans la moyenne, comme représenté
dans le graphe ci-dessous, en fonction des variables relatives au niveau de responsabilité de
l’ordre de 76,2%, suivi de celle du niveau d’étude avec 75,4% et de 75,32% selon le nombre
des employés des entreprises ou des entités enquêtées. Ces résultats illustrent l’image et
surtout le rôle joué par ces organisations durant le processus politique pluriel. Le constat est
donc clairement établi sur la forte dépendance qu’ont les organisations politiques à l’égard des
milieux d’affaires dont elles subissent l’influence sous diverses formes.
312
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
Figure n° 23 : Graphe représentant les taux des réponses à la question portant sur l’entrave au développement des
pratiques et des valeurs d’éthique et de démocratie en Algérie pour le financement des activités politique en général
par des capitaux privés nationaux et étrangers.
Source : résultats de l’enquête.
Afin de mettre à l’abri des pressions (des groupes d’intérêts privés et des lobbys) les
candidats, les partis politiques, y compris les organisations de la société, notamment en ce qui
concerne les donateurs privés, il s’agit de mettre en pratique des mécanismes répondant à
l’équation de l’équité et de la transparence. Le dilemme est à la fois d’aboutir à l’équité en
mettant en pratique des règles égalitaires dans la répartition des ressources entre les partis,
tout en combattant ou en éliminant les pratiques corrompant la vie politique. L’instauration
d’un mode de financement exclusivement public à la charge des contribuables peut-il
constitué un rempart qui mettra un terme aux pratiques corruptrices très ancrées ? Cette
alternative pourrait-elle amorcer le départ (créer un renouveau) d’un renouveau quant au rôle
et à la place que peuvent avoir les partis politiques en tant que médiateur dans l’organisation
de l’État démocratique, favorisant l’expression large des opinions diverses dans le cadre de
l’exercice de la noble mission de l’intérêt général ? En effet, la réduction et la lutte conte la
corruption politique peut-elle être réalisable, sans que la classe politique prenne conscience du
fossé qui l’a sépare de la société et de la nécessité du rétablissement des liens naturels qu’elle
doit renouer avec les électeurs, en se débarrassant des ponts construits illégalement avec les
milieux des affairistes, des lobbys nationaux et internationaux, agissant pour leurs intérêts
privés ?
1-3-1/ Le financement des compagnes électorales et corruption
La constitutionnalisation et l’institutionnalisation du multipartisme est indispensable,
voire vital, pour la viabilité du projet démocratique dans un pays, il constitue la condition sine
qua non à l’expression du pluralisme politique, permettant aux partis politiques de sensibiliser
les citoyens autour des programmes politiques représentant l’ensemble des intérêts sociaux
313
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
avec leurs enjeux multiples. Sur cette base, les organisations partisanes recrutent des militants,
mobilisent des élites ayant déjà fait leurs classes politiques, et ce, notamment dans le but de
pouvoir arrêter des choix judicieux par rapport aux candidats à engager lors des compétions
électorales ou à la nomination à l’occupation des postes politiques.
En Algérie, l’activité politique est perçue comme des actions à l’origine de la gestion des
intérêts privés des groupes de pression qui exercent de l’influence sur les décisions que
prennent les hommes politiques, en contrepartie des moyens financiers, issus des pactes de
corruption, versés durant les périodes des campagnes électorales.
Le non-respect des règles édictées contre la corruption et celles régissant le financement des
partis politiques et des campagnes électorales ont entraîné la perte de confiance des citoyens
dans le système politique algérien, qui se trouve d’ailleurs largement critiqué par l’opinion
publique. Les scandales résultant des spéculations entourant le financement des partis
politiques et surtout le personnel ou l’élite politique impliquée dans des affaires de corruption
que la presse écrite dévoile épisodiquement ont conduit à des attitudes discréditant davantage
la chose politique par la dé-légitimations et la disqualification de leurs actions politiques. La
généralisation des pratiques de la corruption traduisent l’existence d’une crise de confiance
politique et sociale profonde dans le fonctionnement du système politique algérien.
La perte de confiance des électeurs en la classe politique nourrit le désespoir qui ouvre la voie
à la passivité des citoyens face aux politiciens, considérés comme étant tous pourris. L’acte de
voter perd alors tout son sens. L’abstentionnisme grandissant enregistré en Algérie depuis
l’ouverture au pluralisme politique n’est-il pas provoqué et entretenu par les tenants du
système politique ? La faible mobilisation des électeurs, durant tout le long du processus
électoral, est loin d’arranger les partis d’opposition qui dénoncent la fraude électorale, mais il
arrange bien, en revanche, ceux qui organisent les consultations électorales et qui décident de
leurs résultats. Plus la mobilisation des électeurs est faible, plus la fraude électorale est
facilitée par des mécanismes de la corruption. Une situation qui est rendue possible par le
désintéressement des électeurs et surtout par l’infantilisme des partis politiques dépourvus
d’expériences politique, organisationnelle et de moyens financiers ; la perte des valeurs
politiques rendue possible par les spéculateurs qui ont investi des milieux politiques et qui
produisent des discours démagogiques, enrobés teintés de promesses démesurées, corrompant
les consciences pendant les périodes électorales, en jouant sur les sensibilités (religieuses et
identitaires) des citoyens. L. Ayissi (2008) considère, à juste titre, ‘‘l’éthérisation ou la
314
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
racialisation’’ du jeu politique comme une corruption des consciences. L’Algérie a connu
particulièrement la montée de ce genre de pratiques et discours à partir des premières
élections, organisées après l’ouverture au multipartisme qui équivaut à une trahison, en un
détournement de la volonté populaire au profit des intérêts particularistes et privatifs17. Le
modèle pluraliste algérien en s’engouffrant dans des spéculations politiques, clientélistes et
corruptibles a biaisé le jeu politique, cautionnant ainsi
une logique où, selon
J. Cartier-Bresson (2008), ‘‘l’achat de votes n’est possible que si les électeurs sont
dépolitisés, démobilisés et démunis. Ils ne sont sensibles qu’aux gains directs, et à court
terme, qu’ils peuvent retirer des élections, car ils ne possèdent pas un niveau de capabilité
suffisant pour faire valoir leur droit par la revendication. Cette stratégie est en général
présente quand les partis politiques n'ont pas encore émergé comme des organisations
permanentes structurant le champ de la concurrence politique, et qu’ils demeurent des
agrégations peu représentatives de classes d’intérêts, ne se constituant ponctuellement qu’en
vue de gagner des élections’’.
La corruption systémique, institutionnalisée en Algérie, structure la fraude électorale en
instrumentalisant son organisation en aval et particulièrement en amont. En aval, elle est
structurée par les moyens financiers de la corruption engagée dans le cadre des campagnes du
marketing18 électoral. Ce qui permet l’achat des voix et/ou le détournement d’un ensemble de
voix des scrutins, et ce, en corrompant les surveillants superviseurs (de l’administration ou
des partis politiques) de l’opération du vote. De ce fait, comme résumé par J. Cartier-Bresson
(2008), ‘‘dès que les dépenses engagées par les partis politiques influencent les votes, la
concurrence politique pourra être compatible avec une augmentation de la corruption’’. Par
contre, en amont, l’attribution des quotas se fait à dessein par les décideurs du système
politique algérien, en fonction des enjeux garantissant le maintien du pouvoir, tout en
admettant des cohabitations, mais sans qu’il puisse y avoir le partage du pouvoir décisionnel.
A ce niveau, des stratégies sont mises en œuvre pour faire basculer vers leurs orientations
ceux qui interviennent en aval et cela grâce à des mécanismes illégaux, au-delà des pratiques
17
Les campagnes électorales ne sont pas menées sur la base des projets politiques contradictoires, prônant des
programmes porteurs de solutions face à la crise économique des années 90. C’est plutôt des campagnes
démagogiques, pleines de promesses irréalisables, qui sont menées, sur fond de distribution d’argent de boissons
et de nourriture. Il est clair que la manipulation des consciences par ces moyens, durant les périodes des
consultations électorales, est une forme de corruption politique détournant les électeurs – au détriment des
projets de société structurants–, en les bernant, à coups de diversions et de promesses mirobolantes.
18
L’intrusion des campagnes électorales à l’américaine, constatée durant les consultations électorales depuis les
années 2000, explique l’explosion de la corruption politique en Algérie. Les besoins grandissant des partis
politiques pour bien mener ce type de campagne les poussent à recourir aux sources de financement provenant
des entrepreneurs qui attendent en retour l’attribution de grands projets publics à surfacturer.
315
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
corruptives en actionnant les leviers de la rente pour leurs financements, usant même de la
violence sous toutes les formes possibles.
La captation de la rente, par les mécanismes entraînant les pratiques de la corruption
politique, dépend de l’allégeance qu’entretiennent les partis politiques vis-à-vis de ceux qui
détiennent le pouvoir décisionnel. Les partis ou les personnages publics influents, qui
adoptent une stratégie d’intégration des sphères de gouvernance, en abandonnant le statut de
l’opposition et en s’abstenant de critiquer les politiques menées, captent l’essentielle de la
rente corruptive19. En effet, la connexion entre les partis de l’alliance présidentielle et les
réseaux des affaires est fortement établie20. Les sièges de ces partis politiques deviennent des
lieux de négociation (espace de règlement des conflits) et surtout de la répartition des projets
dépendant des portefeuilles ministériels qu’ils gèrent, en contrepartie des financements reçus
par les partis et leurs personnels politiques en guise de pots-de-vin.
Ainsi, les milieux politiques s’offrent comme destination de prédilection aux hommes
d’affaires. La corruption politique bouleverse les normes de l’éthique politique. La pratique
de la corruption dans le monde politique harmonise et régule les relations entre les hommes
d’affaires, pourvoyeurs des fonds, et les politiciens, disposant de lignes budgétaires finançant
des commandes publiques en hors coûts. Ces fonds publics alimentent les pratiques
19
En Algérie, la participation au pouvoir ne découle pas de l’aboutissement d’une démarche politique résultant
du processus électoral, qui permet aux partis d’appliquer leur programme politique. C’est plutôt les avantages
que leur procure l’appareil de l’État, en termes de prébendes et rentes, qui est le facteur déterminant.
20
L’exemple de l’attribution du marché public, portant sur la construction d’un stade olympique de 50 000
places dans la wilaya de Tizi-Ouzou, est édifiant pour illustrer ce genre de connexion. En effet, ce projet a
suscité une grave polémique après qu’une entreprise publique chinoise, en tant que soumissionnaire, avait
introduit un recours auprès du ministère algérien des Finances où elle a explicitement prouvé et dénoncer
« l’illégalité » de la procédure d’octroi dudit marché. En effet, dans sa requête de juillet 2009, la société chinoise
qui conteste cette attribution en faveur du groupe ETRHB et son partenaire espagnol FCC, a indiqué que ce
groupe ‘‘a été parmi les plus importants sponsors de la campagne électorale du Bouteflika, durant les
présidentielles d’avril 2008’’. Comme elle a révélé de très importants détails sur ce contrat, en indiquant que les
autorités algériennes ont favorisé Ali Haddad, bien que son groupe ne dispose d’aucune expérience dans ce
domaine comme exigé dans le cahier des charges accompagnant l’appel d’offre, et ce, contrairement à leur
groupe qui a déjà bâti prés de 40 stades auparavant avec une expérience de 10 ans dans le domaine de la
construction des stades. En s’interrogeant, le groupe chinois écrit que ‘‘si le critère du choix se basait sur le
moins offrant, c’est le groupe algéro-portugais (Sarl Sediki-Lina Abrantina) qui aurait été choisi, car il a offert
23 milliards DA (0,23 milliard d’Euro)’’. Et dans le cas où c’est le critère du plus offrant qui est choisi c’est
peut-être, ‘‘leur groupe qui a le droit de décrocher le marché, car il a offert 39 milliards DA (0,39 milliard
d’Euro)’’, alors que ETRHB-FCC l’a décroché pour une offre de 34 milliards DA (0,34 milliard d’euro). Enfin,
il ajoute dans la même correspondance, ‘‘l’absence de la note obtenue par le lauréat dans l’avis d’attribution
provisoire de ce marché’’.
316
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
corruptives entretenant le clientélisme politique. En fonction des intérêts des uns et des autres,
ils tissent des relations d’affaires entre les parties concernées avec comme monnaie
d’échange, les parrainages financiers, d’un côté, et de l’autre, les nominations par cooptation à
des postes administratifs ou des charges électives. C’est pour cela que l’accès à ce statut est
plutôt davantage accordé aux personnes disposant des financements nécessaires. Ceux qui
sont proches des dirigeants au pouvoir sont largement avantagés car ils bénéficient des
faveurs liées à la proximité des ressources de l’État, contrairement à ceux qui s’inscrivent
dans l’opposition.
Un comportement qui fait beaucoup penser aux placements qu’opèrent les investisseurs, sauf
qu’en le cas présent, il s’agit d’entrepreneurs et autres hommes d’affaires convertis à la
politique, qui au moyen de la corruption se propulsent au centre de commande et décident des
orientations à imprimer aux politiques publiques et des affectations budgétaires. Autant la
participation aux décisions politiques est vitale pour l’obtention des ressources économiques,
autant la corruption politique est mise à contribution pour l’entretien du personnel politique
mis sous l’emprise des lobbies ; ce qui rend du coup les enjeux économiques et politiques
indissociables. Ces lobbys structurés dans les limites de la légalité et les groupes de pressions
souterrains, en influençant les milieux politiques dépositaires des mandats électifs ou
nominatifs, occasionnent des effets néfastes. En effet, des résultats du sondage, enregistré au
niveau de notre enquête, il ressort que à 44,63%, en moyenne de ceux qui ont répondu à la
question relative à l’influence des groupes de pressions structurés en réseaux (les lobbys) par
rapport aux décisions politiques dont l’effet est de bloquer ou de promulguer de nouvelles lois
(taillées sur mesure), et ce, en contrepartie de divers financements, les enquêtés estiment que
porte atteinte soit à l’ensemble ou tout au moins à deux des quatre aspects suivants: à
l’économie nationale, à la crédibilité des institutions de l’État, à l’autonomie de
l’administration et à la stabilité du pays. Alors que nous avons relevé, comme figure cidessous, que les enquêtés du secteur économique enregistrent 54,94% au moment où ceux du
secteur de l’administration enregistrent uniquement 38,55% ; et ceux relevant des entreprises
individuelles ont atteint 60%, suivis dans l’ordre par celles, des entreprises collectives à
54,83%, les entreprises privées à 51,59%, les entreprises publiques à 49,8% et les entreprises
mixtes à 33,33%. Le reste des enquêtés ont apprécié cet impact différemment, même si
globalement nous constatons qu’au moins chaque enquêté intègre dans la réponse une atteinte
parmi les quatre qui figurent dans le graphe suivant.
317
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
Figure n° 24 : Graphe représentant les taux des réponses à la question pourtant sur les différentes atteintes émanant
des tentatives d’influencer les décisions politiques en promulguant ou en bloquant des lois taillées sur mesure
qu’exercent les groupes de pressions, en contre partie des divers financements.
Source : résultats de l’enquête.
En prospérant, la corruption dans les milieux politiques, les élus, les dirigeants
politiques et les fonctionnaires à tous les niveaux (exécutif gouvernemental, organes
déconcentrés de l’État et les élus représentant de l’État) sont directement ou indirectement, en
Algérie, exposés au « risques corruption ». Ces acteurs politiques investis d’une charge
publique, quand bien même certains se gardent de profiter de leur statut pour s’enrichir
illicitement et refusent de se faire entraîner dans les marécages de la corruption, il n’est pas
exclu pour autant que parfois par inadvertance ou manque de transparence, ces responsables
se retrouvent dans des situations équivoques où ils font fi de l’intérêt général au profit de leurs
intérêts personnels ou ceux de groupes de pression ou de leurs partisans. Il s’agit, en fait de
situations qui ne sont pas loin de s’apparenter à des cas de conflits d’intérêts ou carrément de
trafic d’influence. L’amalgame entretenu instinctivement ou volontairement, en plaidant des
dossiers liés à des collectivités locales, aux unités industrielles ou bien en établissant des
avantages en faveur des fiefs électoraux, afin de les faire passer aux yeux de l’opinion
publique comme étant des activités politiques ordinaires.
L’enjeu se situe au niveau de la prise de conscience, du niveau politique et de la perception
des citoyens vis-à-vis du rapport moral à la corruption politique, pensé dans une perspective
tendant à transformer le champs (la scène) politique en théâtre où l’idéal démocratique
318
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
deviendrait un objectif de premier plan et où tout citoyen aura la possibilité de demander des
comptes et de prendre part à la vie politique du pays.
SECTION II : Administration et corruption
Dans la première partie nous avons établi le lien entre la corruption administrative et la
bureaucratie qui fait la jonction entre la grande corruption liée aux milieux politique de
l’administration centrale et la petite corruption au quotidien des organes administratifs de
l’État décentralisé ou déconcentré. Les interdépendances de ces deux formes de corruption
permettent aux dirigeants politiques qui légifèrent d’assurer la garantie de l’exécution des
décisions prises, en connivence avec les fonctionnaires administratifs, intervenant durant le
processus d’application des lois, qui usent de leur pouvoir discrétionnaire ou arbitraire afin de
les accélérer, les ralentir et les bloquer partiellement ou complètement. Les hauts
fonctionnaires de l’État en Algérie qui disposent de ce type de pouvoir d’influence interférent
en orientant, à travers leurs gestions des affaires publiques, les discisions de l’appareil
administratif de l’État dans le sens réconfortant leurs intérêts personnels, de groupes ou de
clientèles. H. Rapoport (1993) situe les interférences autour de intérêt personnel des
fonctionnaires à trois niveaux : ‘‘dans la relation entre une agence administrative et son
« principal » (le gouvernement), dans les relations hiérarchiques entre différents échelons
administratifs et, enfin, dans les relations qu’entretiennent les fonctionnaires avec les citoyens
consommateurs de services administratifs’’. Il considère que c’est au dernier niveau que ‘‘les
phénomènes de petite corruption sont susceptibles de se développer ; associés aux éventuels
détournements de fonds publics par les agents mieux placés dans la hiérarchie politicoadministrative, ces activités donnent naissance à un revenu de corruption aux conséquences
préoccupantes’’.
La corruption bureaucratique ou administrative freinera l’attribution d’un droit en créant des
files d’attentes ou bien appuiera l’accès à des services indus à titre privatif, en faisant passer
en priorité une clientèle qui verse des pots-de-vin. Donc elle provient des focalisations fixées
autour des opportunités produites par rapport à la manière dont on procède pour la mise en
application des lois. Ce type de corruption est donc inhérent à la situation – réelle ou
provoquée – de tension sur un bien ou un service et subséquemment à la gestion de celle-ci en
matière d’opportunités produites à la faveur de lois mise en application à dessein.
319
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
La corruption administrative ou bureaucratique dépend directement du système
politique, de la séparation des différents pouvoirs (législatifs, exécutifs et judiciaires) et les
modes électoraux de représentations et d’adoption des lois. Cette forme de corruption
intervient à tous les niveaux de l’administration et touche tous les secteurs confondus,
notamment lorsqu’il s’agit des attributions des différents types de contrats de marché publics
où le fonctionnaire est chargé de choisir les soumissionnaires qui remplissent les conditions
obligatoires fixées par le législateur. Elle peut aussi être liée au comportement de
fonctionnaires prévaricateurs, qui usent de leur pouvoir d’influence, et qui vont jusqu’à
prendre des décisions injustes, souvent en contradiction avec les normes légales et
administratives, et ce, aux fins de servir et avantager leurs proches ou amis.
L’approche critique fondant les a priori de l’école du ‘‘public Choice’’ vis-à-vis des
politiques interventionnistes des États, engageant des coûts inutiles et considérés inefficaces,
quant à la justification de l’ampleur justifiant de la corruption ne semble pas suffisamment
appropriée et applicable au cas de l’Algérie. La période antérieure au passage à l’économie de
marché où les pouvoirs publics assuraient l’essentiel des budgets, et administraient (dirigeait)
l’économie, n’a pas connu réellement autant d’excès d’actes et d’activités liés à la corruption.
La privatisation et l’orientation du fonctionnement des institutions étatiques ainsi que le
cadrage de l’économie algérienne durant la dernière décennie, nouvelle politique qui s’est
substituée à l’interventionnisme favorisant l’assistanat, et instituant des monopoles privés, a
engendré la multiplication des actes de la corruption. Dans ce cas, les types d’instruments et
les politiques déployés par les pouvoirs publics sont à l’origine de conflits politiques et
constituent l’enjeu de la rente issue de l’intervention de l’État. Ce qui permet aux différents
groupes de pression d’exercer leur influence, en outrepassant les règles établies et, le cas
échéant, de pousser les décideurs politiques à les adapter en fonction de leurs intérêts.
En effet, il ressort des résultats du sondage, enregistré au niveau de notre enquête, qu’en
moyenne la majorité, soit 80,6% des enquêtés en général, 82,53% de ceux du secteur
économique, 81,21% de ceux du secteur administratif et à 100% pour ceux des entreprises
mixtes ont confirmé que les lobbies ou réseaux d’entreprises, à l’instar des grandes firmes
multinationales, ont un pouvoir ou des capacités d’influencer les décideurs qui gouvernent à
changer les lois, les réglementations et les politiques de l’État. Cette influence s’exerce
surtout au niveau national (gouvernemental et ministériel) avec la moyenne globale des
réponses de 80,3%. Cette tendance qui est confirmée d’une façon générale, comme représenté
dans le graphe ci-dessous, en fonction de ceux du secteur économique à 81,02%, ceux du
320
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
secteur administratif à 81,51%, ceux des entreprises publiques à 81,5%, ceux des entreprises
privées à 85,71%, ceux des entreprises collectives à 80,71%, ceux des entreprises
individuelles à 78,72% et ceux des entreprises mixtes qui culminent à 100% des réponses au
niveau national et wilayal. Le reste des réponses en moyenne est focalisé autour du niveau
wilayal à 7,9% et à 10,3% aux niveaux wilayal et national. Ces résultats illustrent la
centralisation de la fonction législative au niveau national et wilayal (organe déconcentré) et
l’exclusion du niveau local, c’est à dire les des communes de cette mission. De ce fait, la
prédominance de la corruption ne peut être située en premier lieu qu’au niveau des organes
bureaucratiques des institutions de l’État, avant d’affecter les instances des élus locaux.
Figure n° 25 : Graphe combinant les taux des réponses à la question pourtant sur les capacités d’influence des lobbies
ou réseaux d’entreprises comme les grandes firmes multinationales sur les décideurs qui gouvernent pour changer les lois,
les réglementations et les politiques de l’État et les taux l’a situant aux niveaux Communal, Wilayal et National.
Source : résultats de l’enquête.
Aussi, de nos observations, il apparaît que les hauts fonctionnaires de l’État nominés, associés
et dépendant des milieux politiques, favorisent directement, par leur pouvoir d’influence,
certains groupes privilégiés qui soutiennent la politique du pouvoir en place en Algérie
(particulièrement durant les campagnes électorales) dans l’attribution des grosses dépenses
publiques ; ce qui défavorise systématiquement ceux qui appartiennent aux populations
affichant leur opposition au régime en place. L’intervention des fonctionnaires de l’État dans
le processus de redistribution favorise la clientèle docile et exclue ceux qui développent des
positions hostiles. D’autres facteurs interviennent dans ce processus discriminatoire, en
321
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
fonction des critères subjectifs et arbitraires d’appartenance à la famille révolutionnaire, aux
clans, aux régions et/ou à la proximité aux réseaux de la clientèle du régime.
H. Rapoport (1993), en se basant sur les études sociopolitiques portant sur les pays en
développement, à travers les théories économiques des groupes, a tenté d’expliquer
‘‘comment le contrôle politique peut, par le biais des rentes publiques, être en quelque sorte
sous-traité par le pouvoir aux groupes d’influences dont il a obtenu le soutien’’. Ainsi, il
préconise qu’en excluant les groupes hostiles au régime qui subissent davantage une
discrimination efficace ‘‘qui suppose que les groupes privilégiés puissent à leur tour exclure
de la jouissance des prébendes publiques les membres réfractaires à la stratégie d’alliance
retenue par les élites représentatives du groupe’’.
L’appareil administratif bureaucratique de l’État, en Algérie, agit de la sorte à tous les
niveaux, qu’ils soient national ou local, centralisé, décentralisé ou déconcentré. C’est
l’ensemble des segments des institutions de l’État qui s’apprêtent à ce fonctionnement. Un
système de gouvernance, basé sur le principe du contrôle de toutes les attributions de l’État
insérées dans tous les secteurs confondus. Il y a lieu de retenir que les pratiques de la
corruption ne s’articulent pas uniquement dans ce système entre l’administration centrale et
les collectivités locales, comme nous allons voir dans le prochain point, mais elles gangrènent
l’ensemble composantes de l’administration publique intervenant à l’échelon local, y compris
au sein des collectivités locales, et sur un plan global, au sein des sphères administratives ou
productives offrant des biens et services.
2-1/ De l’administration centrale aux collectivités locales
Le régime du parti unique du FLN de 1962 a opté pour le système politicoadministratif centralisé qui dépend d’un fonctionnement lourd, appuyé par une bureaucratie
réglementant sa hiérarchie. L’exécution des décisions prises par les législateurs, en étant
concentrée entre les mains d’un gouvernement et ses démembrements, et ce, sans que nul
organe ne s’assure du contrôle de la régularité de son action, constitue un facteur favorisant
les pratiques de la corruption au sein de l’exécutif. La marginalisation et l’absence
d’autonomie, voire la totale dépendance – formelle ou informelle – des pouvoirs législatifs et
judiciaires rendent la fonction du contrôle caduque ou insensée. Du fait de cette dépendance21,
21
A partir du moment que l’on sait qu’il y a un pouvoir décisionnel, légal ou opaque, qui peut nommer, mettre
fin à une fonction, briser une carrière (mutation, rétrogradation …) au sein de la composante des deux autres
pouvoirs, les responsables concernés réalisent qu’ils n’ont pas le choix s’ils veulent garder leur statut, que
d’exécuter les directives, quitte à cautionner et couvrir de graves délits de corruption.
322
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
y compris pour les organes (institutionnels) chargés des missions d’audit et de contrôle, à
l’instar de la Cours des comptes, de l’Inspection générale des finances, une complicité est
instaurée entre les différents pouvoirs, se couvrant mutuellement, entretenant la généralisation
des pratiques de la corruption dans l’ensemble de l’appareil bureaucratique exécutif, législatif
et judicaire de l’État. En fait, la composante humaine des fonctions administratives est
soumise non pas seulement à des règles codifiées dans la législation, mais aussi à celle de
l’allégeance envers les nominateurs. Quand bien même l’Algérie dispose-t-elle, de jure, des
textes législatifs réglementant juridiquement ces articulations, il n’en demeure pas moins que
l’ambiguïté des non-dits, celles des règles tacites, l’emportent devant cette arsenal. La totale
dépendance des fonctionnaires entretient la non-séparation des pouvoirs, ce qui accentue la
faiblesse des contrôles couvrant les activités de la corruption. La concentration des
prérogatives de l’administration, synonyme de centralisation des pouvoirs, érige la corruption
en mode de gouvernance, protecteur des fidèles au régime en place. Ce constat est confirmé à
travers les nombreux scandales, étalés sur la scène publique en particulier durant les dernières
années, largement dans la presse écrite où des hauts fonctionnaires qui bénéficient de
protections, impliqués directement dans de grande affaires de corruption22, sont protégés par
leur relations, en entretenant le flou ou en mettant en avant leur immunité.
Les combinaisons des pratiques de la corruption sont multiples dans un régime
« bureaucratique ». Le phénomène de la corruption est en fait présent et intervient durant
toutes les phases d’élaboration et de réalisation des projets nécessitant l’engagement des
dépenses publiques. Lorsque celui-ci implique un détournement des fonds publics, les
prévisions budgétaires intègrent à la fois les coûts inhérents aux projets et les surcoûts
engendrés par les pots-de-vin exigés par les différents intervenants. La corruption peut aussi
faire intervenir d’autres modalités, permettant une réévaluation successive des coûts des
projets tel que constaté à travers celui de l’autoroute Est-Ouest. V. Tanzi et H. Davood (1997)
concluent, après les études empiriques qu’ils ont menées, que les montants des dépenses sont
artificiellement gonflés par les sommes détournées ou les pots-de-vin lorsque les décideurs
publics sont corrompus.
La corruption peut affecter toutes les phases associées aux procédures liées à l’attribution, à
l’exécution des projets publics et au contrôle du service fait avant l’ordonnancement du
22
Il s’agit des hauts fonctionnaires qui orientent leurs choix vers des projets ou les commandes publiques en
fonction de l’importance des pots-de-vin qu’ils génèrent, sans se soucier des coûts colossaux qu’ils entrainent
occasionnent.
323
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
payement intégral de la facture des travaux en question, ce qui peut grever considérablement
les dépenses publiques et remettre en cause l’opportunité de telles commandes publiques. En
effet, l’attitude des fonctionnaires, selon qu’elle soit contraignante, restrictive ou permissive,
détermine les comportements adoptés. Celle-ci dépend de la rente préférentielle issue du
monopole et du pouvoir d’influence qu’ils peuvent exercer, en orientant les dépenses
budgétaires vers les secteurs générateurs de pots-de-vin conséquents.
L’adoption par les fonctionnaires de l’attitude favorisant les comportements corruptifs est
souvent expliquée dans les pays en développement par les deux arguments suivants :
-
Le premier argument fait référence au surdimensionnement de la présence des
fonctionnaires issus des recrutements clientélistes qui visent le contrôle total de l’appareil
administratif d’où découle la couverture des pratiques de la corruption politicoadministratives. En Algérie, malgré les restrictions des effectifs observées durant la période
de l’ajustement structurelle, sa taille s’est développée disproportionnellement durant la
dernière décennie, en particulier à travers le recrutement des jeunes chômeurs sans aucune
expérience dans le cadre des différents dispositifs du pré-emploi. Cette hypertrophie n’a pas
réduit les temps d’attentes des usagers demandeurs des services administratifs, bien au
contraire les pratiques de la petite corruption clientéliste ont pris de l’ampleur. Est-ce que cela
est dû au phénomène démographique ou bien s’agit-il réellement de la reproduction de la
culture bureaucratique à l’origine des recours à la corruption ?
-
Le second argument, qui fait référence à la faiblesse du niveau des salaires, semble
apporter la réponse à cette question. La faiblesse du pouvoir d’achat23 érodé par la crise
économique, l’endettement et le manque de productivité traduisent la faiblesse des salaires
attribués aux fonctionnaires, comparativement aux années soixante-dix. Les salaires perçus en
Algérie ne représentent pas une contrepartie de la productivité, mais ils reflètent plutôt la
politique de redistribution de la rente, provenant des recettes des hydrocarbures. L’insinuation
faisant de la faiblesse des salaires des fonctionnaires la cause principale de la corruption
23
La décision de procéder, depuis l’année 2008, à des augmentations considérables concernant les salaires des
fonctionnaires, n’a pas cessé d’entraîner l’augmentation des prix sous l’effet du taux d’inflation grandissant.
Selon une étude de l’UGTA publiée dans le quotidien El-Watan, édition du 16 janvier 2012, les dépenses des
ménages ont enregistré une hausse considérable entre 2009-2011, suite à la flambée des prix des produits de
large consommation, soit un taux moyen de 13,56%. A fin de survivre, cette étude conclue, qu’il faut un salaire
de 37 000 DA (370Euro) pour une famille de 6 personnes, au moment où le SNMG est fixé à 18 000 DA
(180Euro).
324
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
suggère de décortiquer le fonctionnement de l’appareil de l’administration algérienne24, dans
le sens où c’est l’accès au statut de fonctionnaire qui ouvre la voie aux marchandages et à la
gestion de la rente directement ou indirectement, grâce au pouvoir discrétionnaire et au règne
de l’impunité caractérisant l’administration algérienne.
Ces conclusions sont affirmées par les estimations des enquêtés, qui ont répondu à la question
portant sur le pourcentage du nombre de personnes au sein de leur entourage ayant eu recours
au versement de la ‘tchipa’ aux fonctionnaires et autres intermédiaires pour l’établissement
des documents administratifs. En effet, une proportion de l’ordre de 36,9% des enquêtés
estiment ce nombre à moins de 10%. Un pourcentage proche de celui du secteur économique
avec 40,56%, celui du secteur administratif avec 31,65% et celui des entreprises publiques
avec 44,96%. Au moment où ceux des entreprises mixtes à 36,36% l’estiment à plus de 50%
et ceux des entreprises individuelles à 38,09% l’estiment de 10% à 20%. Globalement,
comme il figure dans le graphe ci-dessous, l’ensemble des enquêtés considèrent que la
‘tchipa’ fait partie du quotidien des consommateurs des services administratifs, puisque plus
de 50% des enquêtés, tous secteur confondus, situent les pratiques de la petite corruption à
plus de 10% des personnes qui sont autour d’eux.
Figure n° 26 : Graphe représentant les taux des réponses à la question pourtant sur l’estimation du pourcentage du
nombre de personnes autour des enquêtés qui sont soumises au versement de la ‘tchipa’ aux fonctionnaires et autres
intermédiaires pour l’établissement des documents administratifs.
Source : résultats de l’enquête.
24
Qui se caractérise par la lourdeur bureaucratique, le centralisme à outrance, l’absentéisme, les lenteurs, les
sabotages, la rétention d’information, l’abus de pouvoir et le favoritisme la prédominance de l’oralité, la
prolifération des réseaux parallèles et les dysfonctionnements, qu’ils soient volontaires ou involontaires.
325
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
Le sureffectif du nombre des employés du secteur administratif25 obéit, en fait, à la
logique de l’élargissement de la clientèle dont la fidélisation est assurée par l’affectation à
leur endroit d’une partie de la rente, et ce, par le biais des rémunérations servies
généreusement à ces fonctionnaires – à tel point que le secteur de la fonction publique est
arrivé à supplanter le secteur économique en matière de salaires – et ces largesses salariales,
le régime politique, les conçoit comme moyen de régulation sociale avec comme finalité
ultime : l’achat de la paix sociale. Un stratagème qui n’est rien de moins qu’une figure de
corruption des valeurs morales des citoyens en général et des consciences des fonctionnaires
en particulier. C’est l’environnement politico-administratif qui détermine le comportement
des fonctionnaires qui cherche à optimiser leur statut social en fonction des avantages du
poste occupé (ce qu’appellent G. Blundo et J.-P. Olivier de Sardan (2007) le
« privilégisme26 »), des prérogatives et des rentes qu’il peut générer.
2-1-2/ Décentralisation ou déconcentration des collectivités locales
Les héritiers de l’Algérie indépendante, dotés d’une légitimité historique, ont instauré
un système bureaucratiquement au niveau central et local. Ainsi, afin de combler le déficit de
légitimité démocratique, qui est consubstantielle à un système politique pluraliste, ils ont
entretenu la culture du favoritisme en faveur de la clientèle politique qui leur est totalement
acquise. Ces pratiques ont été reproduites lors de la conception des structures des collectivités
locales dans le but de contrôler l’allégeance politique du pouvoir local. Ces collectivités
administratives fonctionnent à la fois dans une conception d’un système décentralisé et
déconcentré.
En effet, en se libérant de la tutelle coloniale qui a cotonné les citoyens à se sécuriser en
demeurant dépendant des espaces communautaires, le nouvel État algérien qui hérite d’une
administration faible a opté malgré lui à la reproduction de ces logiques. Par conséquent, les
25
En particulier la multiplication des salariés précaires, recrutés dans le cadre du pré-emploi, assimilés à des
bénévoles, qui viennent renforcer le berceau de la corruption administrative, et ce, dès lors où ils assurent des
tâches importantes impliquant des prises de décisions. Ce statut précaire les fragilise doublement (socialement,
ils ne sont pas bien rémunérés et ils ne disposent pas de garantie pour leur recrutement futur) en les mettant
systématiquement dans une position de proie par rapport à leur hiérarchie et des courtiers administratifs. Les
débordements de ces effectifs octroient à ces salariés précaires, intermittents, et le rôle de vecteur des pratiques
de la petite corruption, assumée comme de la débrouille. En fait, en cultivant la personnalisation du service
public, ils constituent leur propre clientèle qui assurera au départ des versements d’appoint aux salaires
dérisoires qu’ils perçoivent, puis celle-ci leur fournira de conséquents pots-de-vin quand il s’agira de traiter
d’affaires plus juteuses.
26
Par extension G. Blundo et J.-P. Olivier de Sardan (2007) le décrive par ‘‘l’accès à un poste public, même
mineur et dépourvu d’avantages de fonction officiels, devient synonyme d’un accès à des privilèges extrasalariales et par là même à une « supériorité » sur les simples usages, qu’il convient de manifester’’.
326
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
nouvelles institutions étatiques ont conservé le fonctionnement segmentaire, voire sectaire, de
la société en parfaite adéquation avec le modèle néo-patrimonialiste au niveau central qui
vient en appui au mode clientéliste et redistributeur existant au niveau local. Les réseaux des
liens familiaux, tribaux, claniques ou confrériques constituent les canaux de profusion des
passe-droits et de distribution des avantages matériels et des prébendes tirés de la proximité
des centres de décisions au niveau global et/ou local.
Le passage vers les assemblées pluralistes, comme nous allons le développer dans ce point,
n’a pas freiné les pratiques de la corruption clientéliste. Le multipartisme les a même
aggravées compte tenu de la multiplication du nombre d’acteurs intervenant dans les
assemblées des collectivités locales. Le favoritisme s’est enraciné en devenant la référence
traditionnelle aux nouveaux partis légalisés.
L’institutionnalisation des collectivités locales est établie par le régime algérien dans
le but de mieux asseoir son pouvoir jacobin. C’est dans ce sens que le processus de leur
création, leur organisation, et leur gestion s’est effectué sous son contrôle. L’enjeu est, en
effet, d’assurer l’instrumentalisation administrative des collectivités locales en vue de la
consolidation et l’expansion de l’autorité centrale et la neutralisation du coup de toute velléité
contestataire, une stratégie qui met l’appareil de l’État, en tant que pouvoir centralisé, à l’abri
des soubresauts politiques que risque de provoquer l’option de décentralisation.
Dans ce cadre, le parti unique (seul cadre où il est autorisé d’exercer l’activité politique) a
occupé la place centrale et a joué le rôle principal avec les autres acteurs intervenant dans
l’animation des collectivités locales. Le parti unique entretient les rapports Etat-collectivités
locales. La légitimité des assemblées « élues » ne découlait pas des élections libres, elle
dépendait plutôt du choix des candidats, effectués par les organes du parti unique27. Les actes
de gestion des collectivités dépendaient directement du parti unique, via les membres des
assemblées « élues ». La décentralisation28 des collectivités locales, contrôlées par les organes
du parti, est aussi mise sous la tutelle des organes déconcentrés du wali et du chef de daïra qui
approuvent les délibérations des assemblés locales avant leurs exécutions. Aussi, la confusion,
par effet de superposition, qu’il y a entre le parti unique et l’État n’a pas manqué, de par le
27
Les électeurs ne font que plébisciter le choix des candidats sélectionnés par le parti au lieu d’élire librement et
démocratiquement des représentants dotés d’une légitimité populaire.
28
Tel qu’exposée par A. Demichel (1978) ‘‘il faut poser le problème de la décentralisation on en termes de
conjoncture politique, c’est-à-dire en appréciant le degré de bonne volonté de chaque régime concernant cette
décentralisation, mais au niveau de l’existence même d’une décentralisation, c’est-à-dire de sa compatibilité
avec la notion d’État unitaire’’.
327
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
caractère de domination que cela confère au parti en question, de déboucher sur une
prééminence de la bureaucratie partisane, qui en supplantant la bureaucratie étatique – censée
être plus neutre – donne naissance à des oligarchies locales.
Le déroulement des opérations de vote, dans une configuration marquée par la domination du
parti unique, donne lieu à la stimulation de la concurrence au sein même de l’appareil de
l’État dans la mesure où trois segments, à savoir les fonctionnaires, les « élus » et les organes
du parti, entrent en mouvement et agissent publiquement en bloc monolithique. Ce faisant, il
est clair, que dans cette phase de lutte pour la préservation du pouvoir, les instances du parti (à
la faveur de la suprématie qu’elles détiennent sur les organes et autres démembrements de
l’État) se placent en avant pour définir les orientations et les directives à même de leur assurer
le contrôle et la mobilisation des collectivités locales, pleinement engagées dans la
perspective de jeter des ponts entre le centre et la périphérie. La participation et l’animation
de la vie politique ne pouvaient être admises en dehors du parti. Ainsi, la décentralisation qui
produit l’hégémonie et le clientélisme politique vont de pair assurer la matérialisation de cette
tâche. Dans ce jeu de rôles, la clientèle politique aura à s’atteler à fidéliser les populations en
contrepartie des budgets alloués à la collectivité. Les prérogatives discrétionnaires,
notamment dans la gestion des biens et la redistribution des ressources alloués aux
collectivités locales, imitent le népotisme de l’État central, en reproduisant au niveau local les
imperfections clientélistes découlant des pratiques du favoritisme, de la corruption, de
l’exclusion des populations réfractaires ainsi que les opposants politiques.
La problématique de la matérialisation de la décentralisation porte en elle les
appréhensions des risques de remise en cause de l’unité nationale et l’expression d’une
opposition en dehors du parti unique. Cet esprit continue à influencer la législation et la
pratique d’une décentralisation administrative contrôlée. La commune considérée comme la
cellule de base des collectivités territoriales a été édifiée en tant qu’espace ouvert sur tous les
aspects de la vie locale, en articulant l’administration locale autour des missions que lui a
définies le législateur. Elle constitue aussi le lieu d’interaction et d’intervention du pouvoir
local où s’échangent les faveurs et les privilèges des clientèles corrompues.
Dans le but de faire face aux contraintes que nous venons de citer, le pouvoir central, à la
recherche d’une stabilité lui permettant d’exécuter son programme, à travers le double
contrôle du parti et de l’administration déconcentrée, s’appuie sur les rapports établissant le
« privilégisme » dans le choix du personnel à nommer (désigner / promouvoir) ou à faire
328
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
« élire ». En somme, il s’agit de trouver des gens capables d’assumer des charges en prenant
en compte les rapports entre les différents acteurs mis en interaction au niveau local, aptes à
assumer des tâches à travers les relations entretenus entre les différents acteurs en interaction
au niveau local. C’est ainsi que le recours aux pratiques de la corruption facilite
l’élargissement de la clientèle politique et permet de discréditer les éventuelles oppositions.
A l’avènement du pluralisme politique dans la gestion des collectivités, les tenants du
régime (parti unique) n’ont pas manqué, au bout seulement de quelques années, de dépouiller
de leurs prérogatives majeures des élus locaux en faveur des organes déconcentrés de l’État,
et ce, toujours dans l’optique de rester dans la même forme de décentralisation, contrôlable et
sans risques. Un dépouillement qui répond au souci de contrôle de l’activité des forces
politiques émergentes, en leur limitant l’accès aux sources de financement dont elles peuvent
disposer à partir des ressources affectées dans le cadre de la gestion décentralisée des
collectivités. Cette démarche, de la décentralisation, est conçue dans le cadre d’une stratégie
du pouvoir central comme un facteur de contrôle en sa faveur des pratiques occultes de
financement de la vie politique au niveau local.
Il s’agit d’un contrôle politique par l’État central, avec récemment un renforcement les
prérogatives de l’administration déconcentrée, qui entraîne un contrôle des réseaux des
clientèles, prédisposées à verser dans des pratiques corruptives pour accéder aux services
fournis par les collectivités locales ou en concédant une contrepartie en fonction de leur
position influente au niveau local (intermédiaire, confrérie, comité, association…etc.).
L’attitude des partis politiques à l’égard de ce contrôle outrancier dépend dans une large
mesure de la position qu’ils occupent dans l’État.
En restructurant de la sorte son administration, à travers le renforcement de leurs prérogatives,
le pouvoir central décide d’orienter les réseaux des clientèles potentiellement corruptibles vers
les fonctionnaires des institutions déconcentrées, sans pour autant opérer le passage du
clientélisme politique au capital social29. Malgré ces réaménagements des prérogatives des
collectivités locales, la décentralisation même limitée de plus en plus aux fonctions
administrative et de moins en moins à la gestion des deniers publics, celle-ci demeure un
enjeu politique dans les dynamiques stratégiques des partis politiques, voire un facteur
déterminant les liens entretenant des rapports de la clientèle politique et de la corruption. Ces
29
Thème développé par R. Putnam (1993) qui considère la décentralisation comme une affaire de capital social,
un ressourcement à la base.
329
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
rapports apparaissent d’après S.N. Eisenstadt et L. Roniger (1984) dans de nombreux pays du
monde comme un mode important de médiation entre le niveau local et le niveau global du
politique.
La multiplication du nombre d’acteurs politiques, à travers le pluralisme politique, intervenant
au niveau local, a aggravé le phénomène de la corruption, densifiant ainsi le clientélisme
politique, où certains élus locaux et fonctionnaires indélicats n’hésitent pas à faire passer leurs
intérêts personnels avant celui de la collectivité ou bien à favoriser des versements de pots-devin au bénéfice de leur parti. Ainsi, la limitation des prérogatives dédiées aux collectivités, en
leurs laissant une partie, notamment celles de la conclusion des contrats et des marchés
publics, n’a pas empêché l’élargissement des pratiques occultes de corruption existante à
l’époque du parti unique.
En effet, l’enjeu de la prérogative des attributions des marchés publics est de taille dans la
gestion des collectivités locales. Un bon nombre d’avis d’appels d’offre s’avèrent infructueux
durant la période du mandat des élus au niveau local et à l’approche du renouvellement des
mandats ce nombre diminue. Le recours à ce procédé, qui cause des préjudices financiers et
des retards dans le développement des localités, donne aux élus locaux la possibilité d’octroi
de ces marchés de gré à gré30, après avoir enregistré consécutivement trois avis infructueux, et
ce, évidemment moyennant des pots-de-vin. Le lancement des projets, juste avant la période
du renouvellement de mandat, peut être assimilé à de la corruption de l’opinion des électeurs
et/ou un moyen de financement dans la perspective des futures campagnes électorales.
Bien évidemment les pratiques de la corruption n’impliquent pas uniquement les élus au
niveau local. Les fonctionnaires en poste dans les organes déconcentrés de l’État sont
associées à ces pratiques à travers la maîtrise de la législation et les rouages de
l’administration, tout en étant l’interface directe de l’administration centrale. Les petits
fonctionnaires au niveau local tirent l’avantage de la proximité qu’ils entretiennent avec les
réseaux des clientèles politiques locales, leur appartenance aux populations qu’ils
administrent facilite en effet l’entretien des échanges clientélistes corrupteurs, et ce, en
30
Une procédure qui est devenue la règle, alors qu’elle devait être l’exception, et même que sa suppression était
officiellement évoquée, et ce, à l’occasion du discours prononcé par Chef de l’État, le 7 avril 2005, devant les
cadres de la nation et où parlant de la corruption, celui-ci déclara « qu’il n y aura plus de gré à gré en matière de
marchés publics ». Une procédure qui devait être exceptionnelle, sur le point même de disparaître, mais, qui
devient la règle, après le discours prononcé par Chef de l’État, le 7 avril 2005, devant les cadres de la nation et
où parlant de la corruption, celui-ci déclara : ‘‘qu’il n y aura plus de gré à gré en matière de marchés publics’’.
Cette déclaration n’a pas était traduite dans les textes de lois régissant le code des marchés publics de 2002/2003,
puisque la procédure de gré à gré demeure de vigueur.
330
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
privilégiant leur communauté d’appartenance notamment par rapport à l’accès à l’information
avant tout autre concurrent. A l’échelon local, il est de notoriété publique que les
fonctionnaires de l’administration font payer les usagers des services auxquels ils devraient
avoir accès gratuitement. L’établissement des documents administratifs gratuit soumis aux
pratiques de la ‘‘schipa’’ est devenus le domaine de prédilection des fonctionnaires et des élus
au niveau des collectivités locales.
Ce qui contredit, en réalité l’attitude des bureaucrates qui consiste à justifier davantage la
centralisation du contrôle des prérogatives des collectivités locales entérinant la prééminence
de l’administration, en présentant les élus locaux comme des irresponsables corruptibles qui
ne cherchent qu’à tirer des avantages personnels de la position qu’ils occupent. Une
contradiction que nous avons constatée durant les périodes de crises politiques, notamment
celles liés aux démissions collectives des élus locaux remplacés par des DEC31 et celles des
assemblées non renouvelées totalement, gérées par des administrateurs32 ou des candidats
installés comme élus, en dépit de quasi absence de suffrages en leur faveur33. Il est
communément établi que ceux qui ont, en général, la responsabilité d’administrer ces
institutions, aux ordres, ont causé des préjudices jamais égalés. Les personnes investies de ces
mandats sont frappées d’illégitimité politique et populaire, même s’ils sont soutenus par
l’administration du régime. Ces personnes ont instauré, en général, un fonctionnement basé
sur des passe-droits, souvent non conformes à la législation, en dilapidant particulièrement les
ressources des communes, aggravant ainsi la mauvaise gouvernance locale, en faisant de la
rapine et le brigandage leur mode de gestion.
Le second argument qui va dans le même sens est lié aux engagements des marchés publics
par l’administration publique en recourant légalement au mode d’attribution de gré à gré, sous
l’effet de la pression de la rue. Le principe de « gérer c’est prévoir » n’existe pas dans ce cas.
Les fonctionnaires, indélicats et malicieux, provoquent à dessein les populations afin d’agir
dans le cadre de l’urgence. Ces situations entraînent l’engagement d’entreprises « triées sur le
volet » dans ces opérations maquillées par l’impératif de rétablir l’ordre et la quiétude sociale.
Des opérations « orchestrées » qui peuvent aussi se produire lors des programmes d’urgence
31
Il s’agit des Délégations Exécutives Locales qui ont eu à gérer les mairies en se substituant aux élus qui ont
démissionné collectivement durant la période des années 90 suite aux décisions de retrait prises par certaines
formations politiques.
32
Il s’agit des assemblées locales, essentiellement situées en Kabylie, qui suite au rejet des élections par les
populations durant les événements du printemps noir de 2001, n’ont pas été renouvelées totalement, et qui ont
été gérées par des Administrateurs, souvent désignés parmi les secrétaires généraux.
33
Certaines APC qui n’ont enregistré qu’une participation dérisoire furent gérées, avant leur dissolution, pendant
trois années, par les candidats considérés comme des ‘‘indus-élus’’.
331
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
lors de catastrophes naturelles, en référence à l’alinéa figurant dans l’article 37 du code des
marché publics de 2002 qui autorise le recours à la procédure de gré à gré simple dans le
cadre de l’urgence.
L’impossibilité de contrôler ce genre d’opération tient à l’absence de procédures et au manque
de sens de responsabilité, tout comme elle s’explique aussi par l’existence de complicités
servant de circuit pour la négociation et la perception des pots-de-vin. Au regard du nombre
de protestations quotidiennes en Algérie, on peut présupposer que ces pratiques sont devenues
très juteuses. De ce fait, on peut conclure, que les pratiques clientélistes de nature corruptrice,
au niveau local, impliquent implicitement l’ensemble des acteurs intervenant au niveau des
collectivités locales.
Cependant, la démocratie électoral en Algérie dépend du clientélisme politique qui favorise la
prévalence des logiques communautaires et clientélistes dans le choix ou l’élection des
représentants ainsi que la gestion des collectivités locales au détriment de ‘‘celles qui sont
censées régir idéalement les relations entre le citoyen et les services publics de l’État’’, tel
que développé par J. Bouju (1998). La transition politique en Algérie s’est opérée
subrepticement à travers un glissement d’une configuration monolithique, caractérisée par la
sélection clientéliste des candidats à plébisciter au sein du parti unique, vers une configuration
multipartite – d’apparence, car réellement on est en présence d’un « multipartisme
unicellulaire » ou un « multipartisme cloné »– , marquée par la profusion des listes de
candidatures issues, il est vrai, de diverses organisation politiques, mais dont la confection
repose toujours sur des choix subjectifs et personnels, se fondant sur un rapport aux citoyens,
considérés non pas comme clientèle idéologique, mais plutôt comme clientèle communautaire
dont le soutien s’obtient au gré des influences qu’exercent les réseaux locaux et autres
groupes d’intérêts.
En consacrant la décentralisation administrative, sous le contrôle politique du pouvoir
central à travers ses démembrements déconcentrés au niveau des collectivités locales, la
gestion locale des ressources entraîne des tensions focalisées autour d’intérêts personnels des
groupes de pressions et des clientèles. La promulgation de la loi de 1974 stipulant les
concessions des biens cédés par l’État au profit des communes34, a aiguisé les appétés des
34
Il s’agit de l’ordonnance 74-26, du 20 février 1974, portant constitution de réserves foncières au profit des
communes, qui stipule que tous les biens immobiliers non bâtis situés sur le territoire des communes constituent
leurs réserves foncières, tout en permettant aux communes de rétrocéder aux particuliers et organisme publics de
ces parcelles de terrain. Comme il est prévu l’obligation de réserver un pourcentage des logements construits aux
332
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
gestionnaires des communes, en donnant un coup d’accélérateur au développement des
pratiques de la corruption via les réseaux des clientèles.
Une fois le transfert des biens établi, il n’est pas garanti que leur usage n’échappe pas au
contrôle de l’État dans le sens où souvent on constate un détournement des vocations initiales
pour lesquelles ils sont cédés. En effet, ce détournement est fréquent dès lors où les
responsables en charge de la gestion de ces rétrocessions au niveau des collectivités locales
détiennent des prérogatives discrétionnaires en la matière qui leur offrent l’opportunité de
monnayer par des pots-de-vin (dont vont bénéficie également les circuits de spéculateurs et
d’intermédiaires) leur intervention en faveur d’une catégorie de postulants.
Plus tard, l’évolution du statut de la propriété des biens affectés aux particuliers par les
communes a été réglementée par d’autres textes de lois. À partir de 1980, le statut de la
propriété foncière en Algérie a donné naissance à un nouveau cadre juridique, réglementant
notamment celle des biens immobiliers de l’État35. Une évolution qui a ouvert la voie aux
particuliers, occupant régulièrement un bien immobilier de l'État ou de l'OPGI, qu'il s’agisse
d’une habitation, d'un local commercial, artisanal ou professionnel, pour faire valoir leur droit
à l’achat l'achat du bien en question dans le cadre de la formule de la cession des biens de
l'État. La promulgation de cette loi en 1981 a contribué à la propagation des pratiques de
corruption qui avaient déjà entaché l’attribution arbitraire de ces biens immobiliers. Elle a
facilité aux spéculateurs et leurs clientèles, qui ont bénéficié des distributions de ces biens
immobiliers à des prix insignifiants, la possibilité d’acquérir le statut de propriétaire, via la
régularisation de leurs titres de possession ou actes administratifs d’affectation, ou bien de les
rétrocéder à des tiers en empruntant les circuits du marché informel36. La liquidation des biens
fonctionnaires de l’État. Ces quotas au lieu d’être distribués à certaines catégories de citoyens font l’objet de
spéculations et d’échange de pots-de-vin lors de leurs attributions.
35
La loi 81-01 du 7 février 1981, portant cession des biens immobiliers à usage d’habitation, professionnel,
commercial ou artisanal, appartenant aux offices de promotion et gestion immobilière de l’État.
36
Ceux qui sont impliqués dans la gestion des collectivités locales, et lesquels font partie des intermédiaires des
clientèles, notamment les fonctionnaires qui, même en changeant, à l’occasion d’une mutation, de département,
se refusent de libérer les biens immobiliers que leur sont affectés et les font enregistrer sous différents noms de
gens appartenant à leur entourage familial ou à leurs réseaux relationnels ou corporatistes.
Un simple
désistement au profit d’une tierce personne, au niveau par exemple de l’Office de la Promotion et de la Gestion
Immobilière, suffisait pour le transfert de la propriété en contrepartie de fortes sommes d’argents versées à leur
compte.
333
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
immobiliers de l’État, a été organisée comme une bourse des l’actifs immobiliers échangés
sur le marché parallèle37.
Les pratiques de la corruption qui ont entaché la gestion mafieuse des biens
immobiliers de l’État, au niveau des collectivités locales (qui ont subi les retombés des
préjudices héritées d’une gestion de passe-droits, érigée en mode de gouvernance) ont atteint
leur paroxysme particulièrement dans le domaine du foncier. La rareté de cette ressource, très
limitée, mais indispensable au développement local, que s’accaparent de façon outrancière
certains prédateurs, parfois organisés en ‘‘cercles mafieux’’, constitue un sérieux frein à la
croissance et l’investissement tout comme elle met à mal l’harmonie sociale et hypothèque
l’avenir des collectivités locales et celui aussi des générations futures.
L’analyse des données, recueillies dans le domaine du foncier, nous permet de situer les
pratiques de la corruption par les éléments suivants, découlant de la dilapidation de ce
patrimoine local et lesquels renforcent le développement des logiques spéculatives, sources
d’accroissement du clientélisme et d’enrichissements illicites:
-
Le premier, concerne les procédures inhérentes à la gestion et aux attributions du
foncier, que nous synthétisons par les pratiques illégales, violant les textes de lois et la
réglementation les régissant et leur substitution par des injonctions de l’administration
déconcentrée (le wali ou le chef de daïra), ou encore leur contournement par divers
procédés, pour la plupart frauduleux, à savoir : usurpation de fonction; remise en cause
et adaptation des instruments d’urbanisme(PDAW, PDAU et POS), et ce, en
commandant des révisions selon les vœux des parrains (à noter qu’un simple
changement de classification d’un terrain, passant de la position de terrain à vocation
agricole à celle de terrain urbanisable, implique une augmentation exponentielle de sa
valeur marchande), la connivence mutuelle permettant de passer outre le respect des
cahiers de charges et autres normes environnementales, le faux et usage de faux, la
37
Le détournement des logements sociaux de leur vocation destinée à couvrir les besoins exprimés par les
couches sociales défavorisées, se fait au profit des spéculateurs embusqués dans les réseaux de leurs attributions,
et cela est bien sûr à l’origine de la crise du logement en Algérie. En effet le recensement général de la
population et de l’habitat de 2008 a révélé que plus d’un million et cinq cents milles logements sur un parc
national total de 6,74 millions ne sont pas occupés, ce qui représente, d’après un rapport préliminaire sur le
logement en Algérie, établi par l’ONU en 2011, un taux de 14%, alors que le déficit dans ce domaine est estimé
à environ un million d’unités.
334
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
falsification de documents, le faux témoignage en vue d’acquérir des actes notariés de
façon illégale, la modification des procès-verbaux portant délibérations et la
délivrance de permis en violation de la réglementation. Soit la remise en cause des
instruments d’urbanisme (PDAW, PDAU et POS) en engageant des révisions en
fonction des vœux des ‘‘parrains’’ (le simple changement de statut en passant d’un
terrain à vocation agricole par exemple en le classant comme étant urbanisable
entraîne leur revalorisation exponentielle), ou bien l’adoption des comportement de
complicités mutuelles en
respectant pas des cahiers des charges fixés dans ces
instruments notamment le non respect des normes liées à l’environnement; faux et
usage de faux, la falsification des documents ou des actes administratifs à travers des
faux témoignages ou des documents imités, en vue d’établir des actes notariés
illégaux; modification des procès verbaux des délibérations ; et l’octroi d’autorisation,
de permis non conforme à la réglementation.
-
Le deuxième, concerne la qualité des bénéficiaires de ces procédures. Les premiers
gros bénéficiaires de ces attributions, ce sont les officiers des corps constitués (armée,
gendarmerie et police) et les fonctionnaires de l’État à tous les niveaux des pouvoirs
exécutif, législatif (principalement les députés) et judicaire (particulièrement les
magistrats). La seconde catégorie est composée des diverses clientèles liées
directement ou indirectement à la première catégorie, souvent n’ouvrant pas droit à ces
attributions.
-
Le troisième, concerne la fixation des prix qui détermine l’objet de la spéculation. Les
prix pratiqués, que se soit lors des opérations d’expropriation ou d’attribution, sont
loin de refléter leur valeur réelle, ce qui cause un préjudice à la collectivité surtout
lorsqu’il s’agit de parcelles de terrains à valeur spéculative. Mais aussi aux futurs
acquéreurs, véritables exploitants, qui accèdent au foncier à des prix forts après leur
rétrocession par les acquéreurs qui s’enrichissent de ces pratiques spéculatives.
-
Et le quatrième élément est lié à la période de l’exercice de ces pratiques. Leur
multiplication dépend essentiellement de deux facteurs depuis l’accession à
l’indépendance. La recherche de la stabilité politique constitue le facteur quasipermanent dans ce processus, qui a commencé avec le problème du manque de
légitimité du pouvoir en 1962 et celui de la substitution des assemblées par les
administrateurs aux ordres, notamment les DEC. Le second facteur dépend du cadre
juridique entraînant périodiquement le changement des législations en promulguant
des textes de lois régissant le statut du foncier tel que explicité précédemment.
335
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
Ainsi, la décentralisation administrative, combinée à la déconcentration, a eu pour effet en
Algérie de renforcer la concentration du pouvoir local, détenu par des exécutifs qui se
retrouvent avec entre les mains un pouvoir discrétionnaire qu’ils n’hésitent pas utiliser pour
profiter de la rente et la faire partager, sur fond de pratiques corruptives, et ce, à la faveur
donc de certaines prérogatives régaliennes, notamment en ce qui concerne : la passation des
marchés publics, la délivrance de diverses autorisations, l’établissement des permis de
construire et de démolir, l’exploitation du patrimoine communal, la distribution des aides à
caractère social, les recrutements, la gestion des affectations en pré-emploi qui offre des
possibilités de trafic en termes d’emplois fictifs …, etc. Autant de domaines d’intervention
qui permettent à ces élus et responsables locaux d’entretenir leurs clientèles, et de bâtir des
fortunes colossales en ayant recours à des pratiques féodales (en principe, révolues) et
prédatrices, totalement intégrées dans le système de gestion de la collectivité, un système
façonné pour servir de moyen à l’enrichissement individuel et à la distribution des prébendes
sur les associé et affiliés.
En attribuant ces missions aux collectivités locales, sans mettre à leur disposition des moyens
humains formés et expérimentés38 pour l’accomplissement de ces tâches, ni même aptes à
assurer le travail de contrôle et de répression, un bon nombre parmi les élus et les
fonctionnaires se sont retrouvés suspendus ou poursuivis en justice pour des délits de
corruption. Cette forme de décentralisation qui n’a pas été accompagnée par la
démocratisation a abouti à la duplication des foyers de corruption, reproduisant les pratiques
clientélistes du pouvoir central où cohabitent les passe-droits et la mauvaise gouvernance, un
état de fait qui pollue le cadre de vie des citoyens au niveau de l’ensemble des collectivités.
En effet, depuis l’intronisation des assemblées plurielles en 1990, des centaines d’élus locaux
sont poursuivis en justice pour dilapidation du foncier (agricole, industriel et urbain), trafics et
falsification des documents (faux et usage de faux), passations illicites de marchés publics,
38
D’ailleurs, afin de mettre un terme aux carences et aux dysfonctionnements qui éclaboussent les gestionnaires
des collectivités locales, avec leurs répercussions néfastes sur la qualité de la vie des citoyens dans les
communes, les pouvoirs publics ont lancé un projet de recyclage destiné à tous les présidents d'APC d'Algérie.
Un cycle de formation en faveur des acteurs de la vie locale pour les préparer à mieux s’adapter à l'exercice de
leur responsabilité. Dans ce cadre, le 17 novembre 2005, les responsables des collectivités locales ont rappelé la
déclaration d’avril 2005 du Premier magistrat du pays, en revenant sur l’exagération du recours à la procédure de
gré à gré qui est appelée à disparaître. Seulement comment est ce que cette formation peut être porteuse ou
impartiale, si elle n’intègre pas dans son cycle les questions liées à l’intégrité et les qualités morales requises par
la gestion des aux marchés publics, notamment la probité, l’éthique, la transparence et le respect de la
déontologie ?
336
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
détournements de deniers publics et la mauvaise gestion par des pratiques de corruption
notamment les versements de pots-de-vin. En 2007, le ministre délégué chargé des
Collectivités locales, a affirmé que le nombre d’élus locaux en fin de mandat poursuivis en
justice, a atteint 45039 dont la majorité occupe le poste de président d’APC. Ce qui a causé un
préjudice moral et financier qui se chiffre en plusieurs milliards de dinars.
Ce n’est pas un hasard si les dépenses publiques, qui représentent l’essentiel des
approvisionnements de l’État central et des collectivités locales, ont copieusement progressé
durant la dernière décennie, avec à la clé un incroyable préjudice matériel, probablement le
plus important se situant dans le domaine des commandes publiques ayant trait à l’achat des
biens, le lancement et la réalisation des marchés publics. Les pratiques de la corruption
peuvent entacher toutes les phases inhérentes aux procédures d’approvisionnement à partir du
lancement de l’idée, en passant par l’appel et la réalisation d’offre, jusqu’à la mise en
payement. Les conséquences des pratiques de la corruption impliquent l’excitation des
convoitises d’accaparement de ces approvisionnements, entraînant le gaspillage des
ressources financières par les surfacturations. Au niveau des collectivités locales, l’ampleur de
ces commandes publiques constitue la cible de la petite et la grande corruption.
Cependant, nous ne pourrons pas conclure implicitement, que la propagation récente des
pratiques de la corruption est consécutive à l’abondance des budgets alloués aux marchés
publics des collectivités locales. Bien qu’il faille reconnaître qu’il existe bel et bien un
amalgame durant cette période entre les intérêts individuels des gestionnaires des collectivités
publiques et les décisions qu’ils prennent, conditionnées préalablement par la corruption aux
dépends des intérêts propres de la collectivité, en influant négativement sur le bien-être social.
L’affirmation de ce type de conclusion exige au préalable la constitution d’une banque de
données au niveau des collectivités consacrée à l’analyse des comportements des acteurs
39
Pour les mêmes chefs d’inculpation, dans la wilaya de Blida, sur les 25 mairies 16 P/APC et 14 membres sont
poursuivis en justice, et ce, durant le même mandat allant de 2002 à 2007. Alors qu’en 2011, selon Mouhib
Khatir, président de l’APC de Zeralda (Wilaya d’Alger), qui déclare que les maires sont mal payés et subissent
des pressions permanentes en particulier dans les APC où les biens immobiliers sont surévaluées à cause du
déséquilibre entre l’offre et la demande, entre 2007 et 2011, ils sont plus de 800 élus à être poursuivis en justice
dont une centaine ont été suspendus de leurs fonctions.
337
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
intervenant durant tout le long du processus qui jalonne les commandes publiques, et ce, à
partir des points d’intersection des acteurs des offres et demandes des marchés publics.
Toutefois, l’influence exercée par les pratiques de la corruption, par la suggestion d’une
commande publique à travers l’orientation de l’allocation des budgets vers certains projets,
notamment dans la phase de son élaboration. C’est la phase qui prend le plus de temps. Elle
nécessite au niveau des collectivités locales l’élaboration d’un argumentaire du besoin
exprimé, l’étude préliminaire, avec comme objet l’examen de la consistance du projet et son
montage financier, et ce, avant d’aboutir à sa soumission à la négociation avec la tutelle pour
arracher son acceptation et son lancement. L’aboutissement de ce long processus dépend du
niveau d’influence qu’exercent les différents acteurs et du montant des versements en pots-devin mobilisés. Ces procédés sont le reflet des dynamiques accompagnants l’engagement des
dépenses publiques qui caractérisent la circulation et l’utilisation de la rente par les
administrations des institutions de l’État en Algérie, et ce, particulièrement en ce qui concerne
la gestion des marchés publics.
SECTION III : Étude et analyses sectorielles de la corruption
Les résultats de notre enquête confirment que le phénomène de la corruption est
systémique en Algérie. L’ensemble des secteurs de la vie sociale, économique, politique et
culturelle sont affectés par ce fléau ravageur. D’après les résultats des enquêtés, qui ont
répondu à la question de l’appréciation du niveau de la corruption selon les secteurs et
services d’activités sélectionnés, au total vingt, comme le montre le graphe ci-dessous, nous
relevons de façon générale qu’ils sont corrompus ou trop corrompus à plus de 30%. A cela
s’ajoutent les secteurs d’activités des sphères politique, culturelle, sportive et religieuse à
travers les organisations de la société civile, les ONG, les partis politiques ainsi que les
médias que les sondés citent comme étant concernés par la corruption.
338
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
Figure n° 27 : Graphe représentant l’appréciation du niveau de la corruption selon les secteurs et services d’activité.
Source : résultats de l’enquête.
Le nombre de secteur concerné est élevé. Tout en sachant, que ceux qui sont jugés à plus de
60% comme étant corrompus ou trop corrompus, tels que le foncier, les marchés publics, le
fisc, les attributions de l’État, les collectivités locales, le secteur administratif, le BTP et les
services de sécurité multiples ont été soit déjà traités directement ou évoqués succinctement
dans certaines sections ou chapitres plus haut. Nous allons dans cette section analyser
synthétiquement trois secteurs : la douane, la justice et la santé qui sont appréciés par ordre à 83,5%, - 82% et 44,1% comme étant corrompus ou trop corrompus. Le choix de ces secteurs
n’est pas fortuit. Le premier est lié à la nature du système économique algérien, dépendant des
importations ; le second illustre le niveau de tolérance et l’impunité qui règne face aux crimes
économiques ; et le troisième comme exemple concret des conséquences du modèle de
gouvernance corruptible.
3-1/ La corruption dans le secteur douanier
L’activité douanière, qui a pour missions essentielles la protection de l’économie
nationale, la fiscalité pourvoyeuse de recettes pour l’État et la production des statistiques40, est
40
L’article 3 de la loi n° 79-07, du 21 juillet 1979, modifiée et complétée en 2002, définit, entre autres, dans les
missions de l'administration des douanes :‘‘la mise en œuvre des mesures légales et réglementaires permettant
d'assurer l'application de la législation douanière et de la loi tarifaire; d’appliquer les mesures légales et
réglementaires mises à sa charge, aux marchandises importées ou exportées ainsi qu'aux marchandises
339
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
appréciée par les enquêtés comme étant la plus corrompue – ce qui n’est pas, à vrai dire,
fortuit. Le contact direct des usagers avec le corps et l’administration des douanes produit
cette réputation négative d’une administration complètement acquise aux actes de la petite
corruption quotidienne et en partie celle qui véhicule l’image d’un corps « mouillé » dans les
grands scandales liés à la grande corruption41. Des scandales nationaux et internationaux qui
ont éclaboussé la réputation de l’omnipotente administration douanière, devant laquelle
malheureusement la justice a fait aveu d’impuissance. Les affaires d’une grande ampleur tel
que celles du paiement de la dette vers l’ex-Urss, l’importation de centaines de véhicules ZH
à partir de la Suisse, l’établissement du document de commerce extérieur nommé D15 et
l’exportation des déchets ferreux et non ferreux, etc. qui impliquent des hauts responsables du
régime. De ce fait, la corruption douanière est la règle dans les opérations du commerce
extérieur en Algérie, puisque le contrôle douanier ne concerne qu’une partie des importations,
car l’essentiel de ces opérations est destiné aux biens d’équipement, un segment substantiel
qui leur échappe complément42.
Le champ d’intervention de l’administration douanière et les liens de dépendance
entretenus avec l’ensemble des activités multisectorielles lui confère un statut stratégique en
Algérie, particulièrement au niveau des secteurs coopératifs, financiers et judiciaires, dans une
économie de plus en plus dépendante des importations. D’après le centre national de
l'informatique et des statistiques algérien, la valeur des importations de l’année 2000 à 2010
est passée de 9,173 milliards de Dollars à 40,473 milliards Dollars. Une activité très lucrative
qui implique la multiplication des activités de corruption compromettant le corps et
l’administration des douanes, surtout depuis que le commerce extérieur – qui était, au
lendemain de l’indépendance, monopolisé par l’État et sous le contrôle des dignitaires du
d'origine algérienne placées sous le régime de l'usine exercée; d’assurer l'établissement, l'analyse et le
commentaire des statistiques du commerce extérieur; et de veiller conformément à la législation à la protection
de la faune et de la flore ainsi que du patrimoine artistique et culturel.’’
41
La banalisation de la corruption a rendu le métier de douanier de plus en plus prisé. D’ailleurs, un bon nombre
d’éléments de ce corps ont eu recours, pour l’intégrer, au payement de pot-de-vin ou de s’astreindre, à charge de
revanche, de rendre service (par des traitements de faveur et intervention sous diverses formes) à ceux qui les ont
pistonnés pour accéder à leurs postes d’emploi.
42
Dans un rapport d’audit, commandé par le directeur général des douanes, réalisé en 2007 par les experts de
l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD), il est établi que la douane algérienne est affectée par les pratiques
de la corruption. Ce rapport relève que ‘‘des mesures d’accompagnement sont versées tout au long du circuit de
la déclaration en douane.’’
340
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
régime, a été ouvert aux affairistes et aux importateurs frauduleux43. Les résultats de notre
enquête, représentés dans la figure ci-dessous, confirment l’appréciation de ce secteur en
général comme étant corrompu ou trop corrompu de l’ensemble des sondés relevant du
secteur économique ou administratif et quel que soit le statut de leurs entreprises ou entités.
Figure n° 28 : graphe représentant l’appréciation du niveau de la corruption dans le secteur de la douane.
Source : résultats de l’enquête.
La bureaucratie associée aux pouvoirs discrétionnaires de l’administration douanière
sous-tend les pratiques de corruption spécifique à ce secteur, que nous situons à deux niveaux.
Le premier niveau, démocratisant ces pratiques, affecte l’essentiel de la composante des
douaniers qui rentre en contact direct avec les personnes, soit individuellement ou par petits
groupes transférant des marchandises, de façon licite ou illicite, régulièrement ou
occasionnellement, soit par anticipation ou bien par des insinuations sur place. Le second
niveau, structurel et systémique, implique des catégories du corps et de l’administration
douanière dans les grandes affaires de corruption notamment dans les opérations de
43
Alors qu’en 2007, il a été enregistré quelque 50 000 opérateurs en activité dans le commerce extérieur,
l’administration fiscale en janvier 2009 a identifié près de 10 000 faux importateurs, des fraudeurs qui utilisent
des prête-noms et des registres du commerce loués ou falsifiés. Ce nombre a connu une baisse importante les
dernières années avec l’introduction des nouvelles conditions dans le cadre de leur assainissement, notamment le
mode de payement par le crédit documentaire et la fixation du capital social à 20 millions de dinars, qui servent
en réalité les parrains du commerce extérieur, en premier lieu.
341
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
minorisation ou majoration des factures et de respect des normes des marchandises. Dans les
deux niveaux, la logique de la corruption développe des stratégies qui s’affrontent, que
distingue N. Bako-Arifari (2007) ‘‘d’une part pour les usagers et les transitaires d’accélérer
au maximum les transactions, et d’autre part et inversement pour les agents de douane de
prendre en otage le temps des usages afin d’en tirer des bénéfices personnels’’.
La logique des pratiques de la corruption douanière pousse les usagers ou leur mandataires et
transitaires à chercher à se soustraire au pouvoir discrétionnaire du douanier afin d’éviter les
coûts dus aux retards, aux vols, au déballage des marchandises, aux frais des entreposages et
les pénalités qui alourdissent les coûts des transactions.
Les procédures ordinaires, légales, sont longues et causent des retards énormes qui coûtent au
final très cher aux importateurs. De ce fait, la stratégie de corruption douanière réoriente par
le transfert que favorise la fuite des ressources financières des redevances des recettes de
l’État en faveur des opérateurs économiques privés.
Les conséquences de ces pratiques ont un impact direct sur le développement de l’activité
économique, évoluant dans des conditions d’un marché encadré par des politiques
économiques mises en place par le gouvernement et que l’administration douanière se doit
d’appliquer. Le recours aux instruments fiscaux douaniers constitue une des barrières à
l’entrée que déploient les pouvoirs publics, en fonction des objectifs fixés.
Certains opérateurs privés du commerce extérieur adaptent leur stratégie en fonction de ces
instruments, en cherchant des zones non imposables ou bien en recourant à la minorisation ou
la majoration44 des factures, par le biais de la falsification des documents douaniers artifice
qui consiste, tel que décrit par C. Daubrée (1995), en le fait : ‘‘ de masquer à la douane une
partie des biens de consommation importés, afin d’alléger la paiement des taxes et droit de
porte, souvent très élevés, auxquels ces biens sont soumis. Cette fraude se traduit par une
sous-facturation des valeurs ou des quantités, et concerne donc des biens dont l’importation
par les commerçants privés est libre, mais sur lesquels la protection est forte’’. Le transfert
illicite par la majoration de valeur des produits finis (produit ailleurs souvent en chine et de
44
Procédé qui permet de transférer à l’étranger le différentiel entre le prix déclaré et le prix réel en devises de la
marchandise importée. La majoration est une forme de fraude qui consiste à gonfler la valeur de la facture
d’importation des marchandises, impliquant les services douaniers qui dispose de l’argus des prix des
marchandises. Contrairement à la minorisation qui cherche à fuir les fiscales douanières, ce qui engendre un
manque à gagner pour le budget de l’État.
342
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
qualité inférieure) importés à travers les pays de la Zone Arabe de Libre Echange (ZALE)
vers l’Algérie a été décelé par les services douaniers de lutte contre la fraude en 2010.
En agissant sous couvert de la légalité, on peut assimiler ce phénomène à l’activité de
la contrebande clandestine qui affecte largement l’Algérie, pour plusieurs raisons, avec la
complicité directe par l’achat des couloirs de libre circulation ou indirecte par la faiblesse des
moyens humains et matériels des services douaniers45, volontairement sous équipés. L’activité
de contrebande se déroule dans les deux sens. Il s’agit, en somme, des flux transfrontaliers qui
concernent, pour ce qui est de l’Algérie, le transfert des carburants et surtout des produits de
large consommation, vu que leur prix sont subventionnés, et ce, de façon conséquente avec les
nouvelles dispositions prises en 2011 afin de calmer la rue en proie à des protestations
populaires. Quant aux flux entrants vers l’Algérie, ils concernent les produits prohibés tels
que le tabac, la friperie et les pétards, qui « défoncent » les barrières douanières et inondent de
façon spectaculaire le marché grâce à la complicité des services de douanes et de sécurité.
Ainsi, le président de l’Association algérienne de lutte contre la corruption, en identifiant
plusieurs formes élémentaires de corruption au sein des douanes, considère qu’elles
‘‘s’inscrivent dans un continuum reliant idéalement deux pôles opposés, celui de la
transaction et celui de l’extorsion et de l’accaparement privatif’’.
L’affaire dite des D 15, du début des années 1990, qui fait référence aux autorisations
douanières permettant aux importateurs de faire transiter par l’Algérie les marchandises
destinées aux pays africains, avec la complicité des douaniers qui surfent sur la légalité pour
chevaucher les circuits de la contrebande internationale, est à inscrire dans ce registre. Tout
comme il est de notoriété publique que certains hauts responsables du régime, avec la
complicité des douaniers, opèrent de nuit, au niveau des ports, pour extraire des containers de
marchandises, sous la protection bienveillante des services de sécurité ; et ce faisant, ils
échappent totalement au payement des taxes douanières et de la TVA – qui sont loin d’être
négligeables –, une évasion donc en règle qui leur permettait, tout particulièrement durant les
années 90, d’imposer une concurrence déloyale aux autres importateurs qui n’ont pas la
chance d’avoir accès à ce genre de « traitement de faveur ».
45
L’équipement de l’administration douanière par des moyens matériels modernes n’a pas suffit pour
désengorger les ports. Les scanners tombent souvent en panne, à se demander s’il ne s’agit pas de sabotages,
causant le désagrément des retards lors du dédouanement des marchandises et incitant au payement des pots-devin pour accélérer ces procédures.
343
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
En effet, avant l’entrée en vigueur de la levée tarifaire douanière, qui était protectrice de
l’économie algérienne, ce genre de pratiques, notamment la fraude douanière, étaient
courantes chez certains importateurs, qui pour éviter le paiement des diverses taxes et droits
soudoyaient des douaniers pour leur alléger les formalités ou pour « accréditer » leur fausses
déclarations, et ce, moyennant évidemment des gratifications sous diverses formes.
La mise en relation entre les deux parties pour définir les modalités d’arrangements ce se fait
souvent par les réseaux clientélistes, familiaux, amicaux ou politiques. Le plus usuel dans ce
domaine consiste à recourir aux commissionnaires ou transitaires douaniers qui sont en
contact permanent avec le corps et l’administration des douanes connaissant les rouages, les
attentes et surtout les contreparties attendues de ces derniers.
Les transitaires qui se chargent de l’établissement des documents de dédouanement prennent
un autre statut d’intermédiaire, médiateur ou même négociateur entre les deux parties. C’est
en quelque sorte un facilitateur qui permettra de négocier le montant de la contrepartie de
l’acte de corruption. Un marché qui s’articule, en fait, sur un certain nombre d’acteurs et se
structure suivant la gestion d’une somme de facteurs, notamment les risques, et lesquels
éléments intégrés forment un tout qui détermine au regard de l’importance des opérations le
montant de la contrepartie à négocier comme valeur d’échange.
Ces intermédiaires légaux
sont devenus le trait d’union du système de corruption dans le secteur douanier. Certains
transitaires et commissionnaires en douane s’impliquent dans l’établissement de fausses
déclarations, en couvrant les pratiques frauduleuses de faux documents (registre de
commerce, domiciliation bancaires, procurations)46.
3-2/ La corruption dans le système judiciaire
L’appareil judiciaire censé rendre la Justice au nom du Peuple est le pilier fondateur
d’un État de droit dans une république démocratique. Il constitue la garantie des droits et des
libertés des citoyens, en premier lieu, celui d’accéder à une justice impartiale grâce à la
prééminence de la loi. La supériorité de l’appareil judiciaire sur le reste des institutions
contribue à la consolidation de l’État de droit dans le cadre de la séparation des pouvoirs et de
46
A cet effet, dans le but de sévir à cette situation, en plus de 600 transitaires suspendus, l’administration
douanière a procédé au gel des nouveaux agréments en 2006. Alors que les sanctions, annoncées de temps à
autre, à l’encontre de certains douaniers impliqués dans des affaires de corruption semblent être dérisoires, au
regard de l’appréciation des usagers qui jugent ce corps comme le plus affecté. L’ascension sociale que
connaissent certains douaniers par l’enrichissement rapide, en prenant les risques dans certaines affaires de
corruption, n’est pas facile à freiner, puisque l’acte de corruption est devenu banal dans ce secteur.
344
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
l’édification d’une justice indépendante. L’ONG Freedom House affirme dans son rapport
que le système judiciaire algérien ‘‘même si la Constitution établit l’indépendance de la
justice, en réalité, le pouvoir judiciaire n’est pas indépendant du pouvoir exécutif’’.
L’existence de la corruption dans l’appareil judiciaire est nuisible, elle mine les fondements
de l’État de droit parce qu’elle empêche les magistrats de rendre justice et d’exercer leurs
missions constitutionnelles. La corruption du système judiciaire reflète le rapport de confiance
qu’entretiennent les citoyens avec l’ensemble des institutions étatiques. Selon l’enquête mené
auprès de 1 600 personnes réparties sur 24 wilayas par la ligue algérienne des droits de
l’homme ‘‘les informateurs de cas de corruption et de détournement n’ont pas confiance en
la justice’’.
Le rapport de confiance ou plutôt cette méfiance qu’entretiennent les citoyens envers
l’appareil judiciaires concorde avec les résultats de notre enquête. En effet, il apparaît
clairement selon les personnes qui ont répondu, concernant la réaction des gens qui refusent
de verser la ‘tchipa’, qu’il n’y a qu’une minorité, soit 8,12%, qui recoure à la justice pour faire
valoir leur droit. La majorité, comme illustré dans le graphe ci-dessous, font appel à des
connaissances, soit 32,48%, au moment où 24,59% abandonnent et le reste, soit ils patientent
passivement, soit ils réclament pacifiquement ou violemment.
Figure n° 29 : Graphe représentant les taux des réponses se rapportant à l’attitude des personnes qui refusent de
verser la ‘tchipa’.
Source : résultats de l’enquête.
345
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
En Algérie, l’appareil judiciaire est gangrené par la corruption, pour s’en convaincre il
suffit de jeter un regard furtif sur l’affaire des magistrats faussaires, et tant d’autres dossiers
fumeux qui ont fini par sceller la réputation de cette institution. Cette situation de
compromission, qui s’apparente à une véritable de corruption des esprits, au sein du secteur
de la justice a été dénoncée de façon franche par Benyoucef Melouk, en 1992, et c’est ce qui
lui a valu d’interminables procès, de nombreuses tracasseries et une condamnation à deux
mois de prison. En baignant dans les actes de corruption, cette institution chargée par le
législateur à de rendre justice inspire plutôt un sentiment d’injustice et d’impunité dans
l’opinion publique. Aussi, en contribuant à son discrédit, elle limite les capacités des
institutions étatiques à freiner l’impunité face aux crimes économiques. Selon maître Issad
Mohend ‘‘ces crimes sont banalisés au point ou les gens qui s’adonne aux pratiques de la
corruption n’ont pas peur des sanctions’’. Paradoxalement, au moment où l’État Algérien a
engagé un arsenal de lois portant sur la lutte anti-corruption, le ministre de la justice en 2010 a
annoncé l’augmentation des crimes économiques de 19,9% durant la période de 2006-2009.
Pour la période de 2006-1010, le nombre d’affaires traitées définitivement est de 3 640,
impliquant 6 460 personnes.
La corruption du système judiciaire en Algérie cause le
détournement des ressources que doivent reverser les justiciables aux recettes de l’État vers la
sphère des intermédiaires multiples, et ce, sous forme de pots-de-vin.
La corruption, grande ou petite, dans l’appareil judiciaire peut être située à deux
niveaux. Le premier renvoie au niveau supérieur qui relève du domaine politique et du
traitement des grandes affaires de corruption. La dépendance de la justice de la sphère
politique se traduit explicitement par les procédés institués pour la nomination47, la promotion,
la sanction et la révocation48 des membres du corps de la magistrature. En fait, les
nominations et les promotions au sein de la magistrature n’obéissent nullement à des critères
sélectifs objectifs, notamment le mérite et la compétence, mais sont plutôt induites par des
décisions politiques. Cet état de subordination au pouvoir exécutif ne fait qu’exacerber la
47
La nomination des magistrats en Algérie n’obéie pas à la logique de la compétence. Il n’existe pas un organe
indépendant de nomination des magistrats, ni de règles démocratiques qui puissent garantir son indépendance.
Le pouvoir de nomination dépend du premier magistrat du pays auquel sont soumis des dossiers triés sur le volet
sur la base des critères de contrôle, en particulier de leurs fonctions et de l’appareil judiciaire en général.
48
Il y a plusieurs manières qui permettent au parrain de l’administration judiciaire de sanctionner, de révoquer
ou de pousser à la démission les magistrats indépendant qui exerce honnêtement leur fonction, par les pressions
diverses notamment la dégradation, la mutation, l’éloignement, en actionnant les commissions disciplinaires qui
leur sont inféodées. Et en dernier recours, des dossiers de corruption peuvent être instruits contre des juges
intègres, qui au final sont poussés vers l’abandon de leur fonction.
346
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
déliquescence de l’appareil judiciaire et renforcer l’instrumentalisation des magistrats, otages
des injonctions et autres pressions, et par conséquent, cela a pour effet de discréditer tout
l’édifice judiciaire, de saper l’intégrité morale des fonctionnaires et de rendre l’application des
lois inefficiente. Cette situation consacre l’impunité vis-à-vis des crimes économiques qui se
traduit par une incapacité à assurer leurs droits aux victimes et aux justiciables. Le rôle des
juges est réduit à rendre des jugements. Nous n’avons jamais rencontré un juge ou un
procureur qui s’est autosaisi49 d’un dossier de corruption, étalé sur la place publique, ou qui
aurait déclenché des enquêtes sur des faits de crimes économiques, dénoncés publiquement,
même si cela fait partie de ces prérogatives. Alors que dire de l’engagement de l’action
publique contre des responsables ou hommes d’affaires, sans recourir préalablement à
l’autorisation de la hiérarchie. La fonction du juge étant en réalité sous l’emprise de
l’administration (administrée), c’est en somme tout l’appareil judiciaire qui est mis aux ordres
et le rôle d’arbitre, devant échoir au magistrat, qui devient accessoire et inconséquent.
Ce rapport de dépendance permet au régime en place d’apporter sa protection à ceux
qui s’impliquent dans les grandes affaires de corruption, notamment les hommes politiques,
les hauts fonctionnaires dociles et à leurs proches. Le second niveau inférieur implique une
prédominance dans les rouages des procédures judiciaires. Il s’agit de l’influence exercée sur
les magistrats durant le processus judiciaire, en orientant ou en prononçant des décisions et
des jugements partiaux.
En effet, l’impunité est érigée en mode de gouvernance dans le système judiciaire algérien.
Les magistrats obéissent à des règles de fonctionnement informelles qui ne leur permettent
pas d’inquiéter certaines catégories (les membres du gouvernement, walis50, les différents
conseillers, députés, sénateurs, officiers supérieurs, les hommes d’affaires, etc...) et leurs
proches, considérés comme des « intouchables », impliqués dans les plus grands scandales de
corruption et de détournement de deniers publics.
49
Il n’y a jamais eu un juge qui s’était autosaisi d’un dossier de crime économique. Souvent c’est une lutte de
clans qui pousse l’administration centrale, la tutelle ministérielle, le chef du gouvernement, le DRS, la
présidence à les sommer de mener des enquêtes et à engager l’action publique ; ce qui leur permet de
sélectionner les personnes inculpées (les lampistes), sans toucher les vrais responsables, en protégeant les
hommes du régime. Le traitement réservé aux grandes affaires telles que celles de Khalifa banque,
SONATRACHS, BRC et la banque BCIA est plus qu’illustratif.
50
Nous citons, entre autres, l’affaire connue publiquement de l’ex-wali de Blida, un proche du premier magistrat
démis de ses fonctions en mai 2005, qui illustre ce règne de l’impunité. Accusé de graves crimes de dilapidation
de deniers publics, usage de fonds étatiques à des fins personnelles, trafic de terres agricoles, abus de pouvoir, et
tout ça, sans qu’il ne soit emprisonné.
347
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
L’usage des pratiques de la corruption ligote l’appareil judiciaire algérien. Le secteur
de la justice fait face à deux facteurs qui rendent son fonctionnement extrajudiciaire : d’un
côté, il subit l’ingérence dans les procédures et les décisions judiciaires à caractère politicoadministratif qu’imposent le pouvoir occulte des décideurs du régime à travers l’exécutif et
son administration, duquel dépend aussi le pouvoir législatif ; et d’un autre côté, les
injonctions des corrupteurs qui ont un pouvoir d’influence grâce à leurs proximités directes ou
indirectes avec les magistrats.
L’ingérence de ces deux catégories est abusive, elle discrédite l’appareil judiciaire, soumis à
un système fonctionnant à deux vitesses51. La justice de deux poids, deux mesures marque
ainsi une démarcation ségrégative entre, d’une part, les nantis, les riches et autres protégés du
régime, et, d’autre part, les citoyens modestes, les pauvres et les laissés-pour-compte. Une
situation qui n’est pas sans fragiliser et miner la cohésion sociale de façon grave. Ces deux
catégories précitées structurent, en fait, la corruption de l’appareil judiciaire, à la fois
verticalement avec la première catégorie qui hiérarchise le niveau d’ingérence, et puis
horizontalement avec la seconde catégorie qui détermine (forme, crée) les liens de corruption
entre les justiciables, les plaignants, les magistrats et les auxiliaires de la justice,
l’administration de la justice, les avocats et les médiateurs informels.
La corruption dans le secteur de la justice se caractérise par la pluralité de ses formes.
Elle commence par la petite corruption bureaucratique, observée au quotidien, qui va du
simple abus du temps des usagers pour l’établissement de documents administratifs et la
manipulation des dossiers des justiciables par les différents intervenants, jusqu’aux
traitements des procédures inhérentes à l’instruction, au jugement et à l’exécution des
décisions rendues par la justice, y afférent notamment à la grande corruption. Afin d’éviter les
files d’attentes et la lenteur des procédures judiciaires (les juridictions croulent sous l’effet du
nombre important de dossiers), les justiciables – surtout les populations incarcérées –
engraissent les fonctionnaires chargés du traitement de leur dossier. L’inefficacité de
51
Dans une contribution écrite, publiée dans le journal El-Watan du 22 février 2012, maître Ali Yahia Abdenour
ex-président de la ligue algérienne des droits de l’homme, considère que la justice ‘‘est au service du pouvoir
politique. Les dirigeants échappent à la loi, car il y a deux poids et deux mesures dans la procédure judiciaire,
selon que l’on soit un protégé du pouvoir, ou un simple sujet. La justice n’égratigne personne d’important. Elle
protège les «copains et les coquins» du pouvoir, surtout ceux qui sont haut placés. La presse peut dévoiler et
dénoncer le scandale de la corruption, mais un secret impénétrable protège indéfiniment les clans du pouvoir.
La corruption au sommet de l’État est telle, que le système politique tout entier mérite le nom de «kleptocratie».
Les preuves de corruption existent, mais l’impunité est le privilège des privilégiés. Le pouvoir et la corruption
font bon ménage’’.
348
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
l’appareil judiciaire transparaît à travers son incapacité à faire respecter la loi et à l’appliquer
strictement et sereinement de façon à sévir contre les contrevenants et à assurer la sécurité aux
victimes. Une preuve de plus qui illustre la mainmise qu’exercent les réseaux de la corruption
au sein de ce secteur.
L’aveu d’impuissance du ministre de la Justice, qui est pourtant censé combattre le fléau de la
corruption, en déclarant qu’elle est ‘‘née avec l’humanité et restera jusqu’à la fin tu temps’’
participe à sa banalisation qui consacre l’impunité. Ce qui entraîne la perte de confiance en la
justice que maître Issad Mohend52 explicite par deux facteurs, la mauvaise qualité de la justice
et la quasi-impossibilité d’avoir gain de cause face à l’administration53. Dans le corps des
avocats, qui est une partie importante de cet environnement qui l’affecte, il évoque le manque
de moyens des jeunes avocats, le peu d’affaires, la pression et redressements fiscaux, les tarifs
réduits qui les poussent à tricher en recourant aux pratiques de la corruption.
Face à ces difficultés auxquelles sont confrontés à la fois les citoyens honnêtes pour le
recouvrement de leurs droits et aux largesses de passe-droits que recherchent les justiciables,
une multitude d’attitudes est adoptée. En effet, dans cet environnement hostile à l’équité, les
tentations (A. Tidjani, 2007) des justiciables à recourir à la corruption grandissent. Les parties
antagonistes vont se connecter aux multiples réseaux54 afin de tisser des liens avec les juges
chargés de leurs affaires, dans le but souvent d’avoir des décisions en leur faveur, en
cherchant à l’orienter vers une décision clémente en cas de délit pour le justiciable et à
l’application des lois du côté des plaignants.
Cet environnement sociopolitique répugnant encourage le recours aux pratiques de la
corruption dans l’appareil judiciaire, en impliquant l’administration, l’ensemble des corps
intervenants dans le secteur de la justice et les intermédiaires. A. Tidjani (2007) porte
52
Professeur de Droit international que nous avons interviewé, ex-président de la commission de la réforme de la
justice en Algérie et de la commission d’enquête portant sur les événements du printemps noir de Kabylie de
2001.
53
La non-application des décisions de justice, particulièrement celles qui condamnent l’administration, est un
facteur qui contribue à discréditer davantage l’appareil judiciaire. Cette problématique de l’autoritarisme
administratif demeure posée malgré l’introduction dans le code pénal de l’article 138 qui sanctionne tout
responsable s’opposant ou empêchant l’application des décisions de justice.
54
Directement ou indirectement, il s’agit des réseaux familiaux ou tribaux, amicaux, professionnels,
corporatistes et politiques. Nous situons la gravité de ces médiations aux niveaux des intermédiations qu’offrent
les membres de la corporation du secteur de la justice, qu’ils soient assermentés ou pas. De ce fait, certains
justiciables ne s’adressent pas aux avocats par rapport à leurs compétences, mais plutôt par rapport à leur
réputation d’accointance avec les services de sécurité et les magistrats.
349
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
l’analyse autour de trois axes d’intermédiation :’’l’interventionnisme politique perçu comme
un mécanisme fort de production de la corruption dans la justice ; l’existence de mécanisme
d’intermédiation institutionnels agissant, selon les situations, par dédoublement fonctionnel ;
l’émergence de mécanisme d’intermédiation informels opérant par accaparement et
détournement des institutions judiciaires’’.
3-3/ La corruption dans le secteur de la santé
Dans tous les pays, le secteur de la santé relève de la souveraineté de l’État. En
devenant la proie des prédateurs, il fragilise l’ensemble des institutions et nourrit le sentiment
de mépris dans la société. Ce secteur névralgique pousse les pouvoirs publics à développer
des stratégies et à entreprendre des politiques dynamiques réfléchies dans le sens d’une
meilleure maîtrise et une plus grande efficacité du système des soins, en adoptant une
cohérence à travers un mode de gestion budgétaire assurant une bonne gestion et un contrôle
rigoureux de ces dépenses. La complexité des mécanismes, la complication de la carte
sanitaire, le sous encadrement, l’absence de transparence et la multitude des intervenants dans
le secteur de la santé favorisent les possibilités inhérentes à la corruption.
Les pratiques de corruption, petites ou grandes, impliquent une influence directe et indirecte
sur la santé. La mauvaise qualité et le rançonnage affectent directement la santé des individus.
Elle sape le moral, développe un sentiment de perte de confiance en soi et discrédite les
gouvernants. Cette perception est largement répandue et partagée par l’ensemble des citoyens
algériens, particulièrement chez les catégories touchées par la pauvreté. Pourtant, en regardant
le profil de formation du corps des médecins il apparaît que ce secteur regorge de
compétences inouïes, de par son absorption de l’essentiel de l’élite. Paradoxalement, le
secteur de la santé en Algérie perd de plus en plus ses nobles caractéristiques que lui
reconnaissait la société, en tendant vers une réputation véhiculant une image de plus en plus
négative. Le mépris envers les usagers qui subissent la stratification, la multiplication des
pratiques de la corruption et la qualité des soins ont largement déshumanisé leurs services au
fil du temps. Cette évolution est liée à l’absence d’une politique cohérente durable qui doit
placer le malade au cœur du secteur de la santé.
3-3-1/Les grandes périodes du système de santé
Le système de santé en Algérie a connu au moins deux grandes périodes. La phase
postindépendance, qui a donné naissance à la gratuité des soins, puis au système d’attribution
350
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
des médicaments gratuits dans les établissements publics, a engagé la santé algérienne sur la
voie du secteur public, avec à côté un secteur privé balbutiant. Le peu de moyens et le sous
encadrement ont fait que la petite corruption, le favoritisme et le clientélisme prenaient le
dessus dans le service des soins et les structures hospitalières d’une qualité supérieure. Un
clivage basé sur l’appartenance à la nomenklatura55 de l’appareil du parti-Etat et des
personnes qui avaient les moyens de se payer ces services via les réseaux informels ; le reste,
c'est-à-dire des soins peu performants, était destiné à la majorité des populations vivant dans
la précarité. Cette période a connu aussi des phases marquées par la réalisation de nombreuses
infrastructures, équipées de matériel médical, au début des années 80, sous la forme de clé en
main, à des coûts exorbitants, occasionnées par le versement des pots-de-vin.
La seconde grande période est celle afférente à la libéralisation, entachée d’incohérences du
secteur de la santé. Une nouvelle politique inaugure une phase aléatoire qui fait du malade
devenu otage du système de santé l’objet des convoitises au cœur des nouveaux enjeux
soumis à l’accaparement monopolistiques des lobbies du secteur privé. Ces derniers ont
introduit les comportements rentiers à travers une logique mercantiliste autour des
programmes de réalisations des nouvelles infrastructures, la fourniture des équipements,
l’importation ou la « production » et la distribution des médicament, ainsi que l’offre des
soins à l’origine de la détérioration des conditions de prise en charge des malades. Durant
cette phase la corruption, petite et grande, s’est manifestement aggravée. Elle s’accomplit
sous diverses formes à l’échelle individuelle et au niveau collectif. Elle commence par le vol
de médicament au détournement des budgets ; de la fraude des assurances sociales aux
trucages des marchés publics ; et de l’exercice d’activités médicales clandestines à la contre
façon des médicaments.
En effet, W. D. Savedoff et K. Hussmann (2006) qui énumèrent cinq acteurs clés dans le
système de santé, représenté ci-dessous, expliquent que quels que soient les systèmes de
santé, public ou privé, ils sont prédisposés à la corruption ‘‘en raison du grand nombre
d’acteurs concernés et de la complexité de leurs formes multiples d’interaction’’. Il faut
ajouter à cela les paramètres ci-après : ‘‘l’incertitude, l’information asymétrique’’ qui
favorisent les risques corruption dans le secteur de la santé.
55
La CNAS prend en charge des malades qui ne nécessite pas un transfert pour des soins à l'étranger, en
déboursant des sommes astronomiques.
351
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
Figure n° 30 : Schéma des cinq acteurs clés dans le système de santé.
Source : Figure extraite de l’article « les causes de la corruption dans le secteur de la santé: pleins feux sur les systèmes de
soins de santé ». Rapport Mondial sur la Corruption 2006 de Transaprency internationale P 8.
Il ressort de cette figure qu’il y a une multitude d’intervenants à tous les niveaux des pouvoirs,
(à savoir celui gouvernemental, ministériel, wilayal ou sectoriel) qu’ils soient
gouvernementaux, ministériels, au niveau des wilayas et des structures hospitalières ; comme
elle indique les niches où se manifestent la corruption et la fraude dans le secteur de la santé.
Les postes de responsabilités, comme dans le reste des secteurs, sont convoités ; ils sont,
souvent, désignés sur propositions des lobbies dominateurs56. Les responsables à tous les
niveaux du secteur de la santé font objet de sollicitations par l’ensemble des franges de la
société, particulièrement des autorités, des hommes d’affaires et toutes les catégories
socioprofessionnelles. L’accession à ces postes permet à ces responsables de se doter d’un
agenda de réseau de clientèles en procédant au marchandage du service public, notamment, en
leur facilitant l’accès aux soins de bonne qualité. Au retour, il s’assure des appuis ou des
soutiens pour accéder à des postes supérieurs et des couvertures dans des affaires de
corruption.
56
Les nominations des responsables des structures hospitalières suivent les changements qui interviennent au
niveau de la hiérarchie supérieure. Les personnes nommées demeurent à la solde de leurs parrains, ce qui les
oblige à accepter des pratiques de corruption dans leur gestion.
352
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
3-3-2/Les formes de la corruption dans le secteur de la santé
La complexité et la densification des intervenants dans le circuit du système de santé
algérien entraîne une multitude de formes de corruption en amont et en aval, en opérant sur
deux niveaux : d’un côté, les actes médicaux prodigués, et, de l’autre côté, la bureaucratie
incrustée dans l’appareil de l’administration.
-
En amont, elle affecte le cadre législatif adopté, la répartition budgétaire, l’inscription,
l’attribution et la réalisation des grands projets, la délivrance des autorisations, les
conventions57, la nomination des responsables, les recommandations de fournisseurs dans
l’octroi des commandes publiques58…etc.
-
En aval, elle touche l’ensemble des structures, en détournant, parfois, les budgets
alloués aux hôpitaux par divers manières et en élargissant les pratiques de la corruption à
l’ensemble des prestations qu’ils fournissent, impliquant le personnel des services
(établissement de documents de complaisance, programme des RDV, utilisation du matériel,
des locaux dans le cadre d’une prestation privé). Les pratiques de corruption sont courantes
aussi dans les opérations de rénovation, de réparation et d’embellissement souvent superflues
dans le secteur de la santé.
En aval, l’émergence du secteur privé – qui auparavant était uniquement autorisé à
l'exploitation des cabinets médicaux, de laboratoires d'analyse et de maternités – à la faveur
de la loi de 1998, n’est pas étrangère à la multiplication des pratiques de la corruption dans le
secteur de la santé. Les situations de conflits d’intérêts, à la limite de l’incompatibilité, créées
par les praticiens de la santé du secteur public qui interviennent dans le secteur privé (parfois
même de façon illégale puisqu’ils désertent carrément leur poste) ou qui y soustraits des
services, au-delà de la problématique déontologique qu’elles posent, constituent un point de
départ à une foule de pratiques corruptives, à savoir notamment le « rabattage » rémunéré des
patients vers les cliniques privées, le détournement de matériel, de fourniture consommables,
de médicaments – souvent qui coûtent chers – de l’établissement public vers la clinique
57
La multiplication des tarifs par au moins dix par rapport à ceux qu’applique la sécurité sociale ; lesquels prix
de référence n’ont pas connu de révision depuis les années 1970. Plus grave encore, à l’exception les cliniques
privées conventionnées avec la CNAS, les interventions chirurgicales dispensées par le secteur privé ne sont pas
remboursées par la sécurité sociale, donc les assurés qui tombent malades ne bénéficient pas dans ce cas des
remboursements.
58
Pour le programme 2010-2014, il a été inscrit 1500 infrastructures de santé dont 172 hôpitaux, 45 complexes
spécialisés de santé, et 377 polycliniques, ce à quoi s'ajoutent plus de 70 établissements spécialisés au bénéfice
des handicapés.
353
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
privée, et aussi le sabotage des équipements médicaux aux fins de provoquer des files
d’attente. Les propriétaires pour faire fonctionner leurs cliniques n’hésitent pas à opérer des
malades pour leurs soutirer des sommes faramineuses. L’exemple des accouchements à TiziOuzou dans les cliniques privées montre que la majorité des accouchements se font par
césarienne. Aucun contrôle n’est effectué au niveau de ces structures auxquelles il a été
accordé des autorisations d’exercer.
L’autre élément attirant les convoitises dans le secteur de la santé est lié aux
commandes publiques des équipements médicaux. Les nouvelles infrastructures inscrites dans
le cadre du quinquennat 2010-2015 du secteur de la santé sont accompagnées par l’achat
d’équipements adéquats. De nombreux scandales ont été rendus publics par voie de presse
depuis l’autorisation des opérateurs privés à l’importation des équipements médicaux. Les
pratiques de corruption entraînent la surfacturation dans ce domaine, à travers la
multiplication du nombre d’intermédiaires (certains opèrent par l’intermédiaire des sociétés
écrans créées à l’étranger) et la fourniture d’équipement contrefaits. Ce qui explique le fait
que plusieurs scanners et autres appareils médicaux tombent en panne souvent au niveau de
plusieurs hôpitaux ; certains de ces équipements sont réceptionnés avec des défauts de
fabrication. Aucune sanction n’a été prononcée contre cette mafia, même si les cahiers des
charges devaient constituer une garantie à ces équipements très coûteux59.
3-3-3/ La corruption dans le secteur du médicament
Un système de santé performant, viable et cohérent dépend des dispositions inhérentes
au secteur du médicament, facteur déterminant la vie ou la mort des demandeurs des soins
médicaux. En Algérie, la problématique de la régularité de l’accès aux médicaments, en
matière de disponibilité, est devenu un thème essentiel dans la vie quotidienne des citoyens
qui sont confrontés aux pénuries, à la contrefaçon, aux non-remboursements de certains
produits pharmaceutiques excessivement chers. Au moins deux raisons exposent le secteur
pharmaceutique à la corruption. D’abord, il s’agit d’un secteur d’activité très lucratif qui
59
Le ministre de la Santé, qui avait annoncé en 2011 que 10 000 appareils médicaux sont inexploités, soit
13,33% du total des équipements disponibles dans les établissements hospitaliers, et parmi lesquels 5 700 en
panne au niveau national, n’a diligenté aucune commission d’enquête pour élucider cette affaire de dilapidation
des deniers publics. Il déplore l’absence de compétence et de techniciens qualifiés pour assurer l’entretien et la
maintenance de ces équipements, par la suite il a instruit ces départements à ne plus conclure de marché pour
l’acquisition d’équipement médicaux et à s’approvisionner directement chez les fabricants. A quoi servent les
cahiers des charges alors ? S’agit-il d’un aveu d’échec ou de l’incapacité des pouvoir publics à poursuivre les
responsables à l’origine de cette situation ?
354
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
mobilise toute une chaîne de production, distribution et commercialisation et qui capte à la
fois différents types d’investisseurs, ceux qui sont intègres et ceux peu scrupuleux; puis le
niveau d’intervention des pouvoirs publics, à travers la législation qu’ils mettent en place dans
ce secteur vulnérable aux pratiques de la corruption. Si la première raison nous renseigne sur
la qualité des entrepreneurs intervenant dans ce secteur, la seconde qui n’est pas des moindres
met en exergue le rôle du gouvernement dans son encadrement, déterminant son intervention
à travers la législation adaptée à sa politique sanitaire.
Depuis la suppression du monopole60 de l’État sur le commerce extérieur, les
stratégies de corruption n’ont pas cessé de torpiller les programmes des pouvoirs publics
faisant face aux défis du lancement de l’industrie pharmaceutique. L’ouverture du marché du
médicament chiffré au début des années 90 à prés de 500 millions de dollars61 attire les
convoitises des opérateurs privés. Entre 1992-1993, les textes les plus importants portant sur
la réglementation des activités régissant les activités de contrôle, de distribution et de
production des médicaments ont été promulgués. Cette législation entourée pendant des
années délibérément de flou est mise à jour en fonction des besoins des ministères de la santé
et du commerce, en publiant des circulaires et des arrêtés, afin de permettre à la mafia du
médicament d’outrepasser (de contourner) les obstacles juridiques et d’instituer des
monopoles privés autour de cette manne financière. Le recours à la technique du vide
juridique obéit à trois objectifs selon D. Hadjadj (1999) : ‘‘premièrement, elle permet de
modifier à souhait la règle du jeu et de l’appliquer plus aisément de façon discriminatoire.
Deuxièmement, elle évite de devoir faire preuve du minimum de cohérence requis dans les
décrets signés du chef du gouvernement ou du président de la République. Troisièmement,
elle évite aussi de soumettre les dispositions que l’on souhaite imposer à la représentation
nationale et même de les publier au journal officiel, ce qui porterait atteinte à l’opacité dans
laquelle prospère la corruption’’.
60
La production nationale du médicament avoisinait les 20% vers le début des années 90. Durant cette période,
le secteur public détenait le monopole des fonctions d'importation, de distribution de gros et de production des
médicaments.
61
Facture faramineuse, signe avant-coureur des détournements vis via la surfacturation des importations
(décelable à travers les différences des prix pratiqués pour des produits provenant du même fabriquant),
phénomène de concussion latente auquel le secteur pharmaceutique était en proie au sein de l’appareil de l’État
depuis déjà des années. D’après D. Hadjadj (1999) ‘‘de nombreuses études, tant de l’OMS que de spécialistes
connus, ont montré qu’avec 200 millions de dollars et une politique nationale pharmaceutique cohérente,
l’Algérie pourrait mettre à la disposition de tous les usagers des médicaments essentiels, de qualité et à coût
modéré’’.
355
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
Ainsi, la réglementation de ce secteur qui devrait garantir une politique sanitaire assurant des
soins de qualité et un système de contrôle efficient au profit des populations, aura plutôt servi,
à cause de la complicité de certains corrompus nichés au niveau des pouvoirs publics, à mettre
aussi bien le service sanitaire et le commerce pharmaceutique sous le contrôle de nouveaux
monopoles privés. De la série d’articles publiés dans la presse en 1997 par D. Hadjadj, qui
révèle la liste des noms des principaux importateurs et autres affairistes du médicament à base
de documents collectés, il apparaît que ces personnes ont toutes des liens d’appartenance avec
les plus hauts dignitaires du régime parmi lesquels on compte des hauts fonctionnaires de
l’État, de hauts gradés de l’armé et autres membres de la nomenklatura. Ces derniers font
appel à des intermédiaires, comme ils recourent notamment à l’utilisation des prête-noms. Qui
va pouvoir contrôler ces barrons du régime, ayant accès de façon directe à toutes les facilités
possibles au sein des institutions douanières, financières et judiciaires et également au niveau
des divers services de contrôle de la qualité et des prix ?
L’activité de production, d’importation et de distribution des médicaments en Algérie est
largement affectée par la corruption développée par des monopoles qui agissent sous forme de
lobbies afin de garder la mainmise sur le marché.
Pendant des années, face aux importantes augmentations constatées dans les factures des
importations des produits pharmaceutiques, les différents gouvernements, pour remédier à
cette situation de dépendance, n’ont pas cessé d’annoncer leurs souhaits de substituer par la
production locale des médicaments jusque là importés. Cependant, la volonté politique et les
mesures entreprises dans le cadre de la politique nationale pharmaceutique pour matérialiser
ces souhaits n’ont pas cheminé dans le sens d’un encouragement de la production nationale
(fiscales, financières, contrôle des prix chez les fournisseurs… etc.) et des recommandations,
à maintes reprises, signifiées (formulées / émises) dans des rapports élaborés par des experts
nationaux et internationaux. Ce qui explique la mainmise de la mafia du médicament, en
position de monopole, sur l’ensemble des institutions de l’État. De même que les quelques
mesures énoncées sont contournées d’un revers de la main, à l’instar de celle portant sur
l’obligation des opérateurs privés agréés à investir dans la production au niveau local des
médicaments importés, et ce, au bout de quelques années d’exploitation. seulement, au lieu de
répondre positivement à ces exigences, ces opérateurs trouvent tous des faux-fuyants pour se
dérober : certains en changeant carrément de registre de commerce, d’autres en annonçant la
réalisation d’une usine de production, mais qui ne verra jamais le jour sous prétexte de
blocages bureaucratiques, tandis que d’autres se sont tout simplement « volatilisés » dans la
356
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
nature depuis l’introduction de l’obligation de porter le capital social à 20 millions de dinars
(200 000 Euro) et d’utiliser le crédit documentaire en tant que mode de payement dans les
transactions internationales.
Plus grave encore, pendant longtemps les lobbys de l’industrie pharmaceutique ont évolué
(fonctionné) dans un environnement légal qui les protège, en défaveur de la production
nationale, essentiellement du secteur public. Il s’agit d’un illogisme qui découle de l’influence
de ces lobbys sur les décisions politiques visant à imposer par la réglementation fiscale un
favoritisme au désavantage de la production locale. L’exemple des importateurs du
médicament, qui ne versent que 5% de taxe sur le produit fini et les producteurs qui devraient
verser 35% sur les matières premières importées, illustre le choix des opérateurs. Cette
concurrence déloyale, favorable aux spéculateurs, décourage le potentiel des investisseurs
honnêtes dans le domaine de l’industrie pharmaceutique nationale, en pratiquant la politique
de deux poids deux mesures au niveau des prix. En effet, les marges bénéficiaires sont libres
pour les médicaments importés et sont administrés pour la production locale. Sur un autre
chapitre, ce n’est que récemment, depuis 2008, que les autorités algériennes ont pris la
décision d’enlever de la liste de nomenclature des médicaments autorisés à l’importation ceux
fabriqués localement62, contrairement aux pays de l’Union européenne et pays arabes, qui ont
décidé de ne pas importer des médicaments algériens chez eux à travers des obstacles
administratifs et réglementaires. Entre autres obstacles, la clause donnant la primauté à la
production locale de leur pays respectif et l’obligation de fournir le dossier de bioéquivalence.
Le second aspect de cette concurrence déloyale, plus dangereux d’ailleurs, est lié à une forme
de démission des pouvoirs publics dans leurs missions de contrôle de la qualité des
médicaments importés. L’agrément n’est attribué aux importateurs que sur la base des
dossiers répondant aux critères techniques de moyens matériels (infrastructures) et humains
(pharmaciens diplômés d’État) en conformité avec la nature de l’activité dans le cadre de
l’importation et de la distribution de médicament, et ce, suivant la nomenclature établie par le
ministère de la santé. Subséquemment à l’abandon direct ou indirect de la noble mission de
62
L. Aggoun (2010) cite le cas d’un fabricant de médicaments qui a voulu produire du générique au niveau local
à des prix défiant la concurrence et qui a été sidéré de découvrir un texte de loi, promulgué par le ministre de la
Santé, interdisant aux établissements publics d’acheter des génériques, les obligeant ainsi à s’approvisionner
auprès des importateurs à des prix exorbitants. ‘‘C’est cette manne qui a permis à « l’empire Khalifa » de
justifier son essor suspect’’.
357
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
contrôle de la qualité, le libre est laissé aux importateurs véreux pour renforcer leur monopole
au détriment des opérateurs intègres. Les opérateurs indélicats, versés dans la corruption et
bénéficiant des protections et complicités, écoulent leurs marchandises même si elles ne sont
pas conformes aux normes sanitaires reconnues mondialement. Par contre, les opérateurs
honnêtes, subissant cette concurrence déloyale, sont soumis aux lourdeurs bureaucratiques et
au dictat des laboratoires de contrôle.
L’ouverture du commerce extérieur en Algérie, dans une conjoncture marquée par
l’affaiblissement des institutions étatiques, sur fond de pratiques de la corruption qui ont
gangrené le système, a fragilisé les organes de contrôle et de sanction63. De ce fait, elles ont
favorisé la propagation des opportunités de corruption, élargies à la l’importation des produits
pharmaceutiques contrefaits. La corruption par la contrefaçon de médicaments franchit toutes
les frontières, en développant des complicités entre les fournisseurs et les importateurs à
travers des réseaux divers, entretenant des liens très étroits avec la criminalité organisée et les
contrebandes internationales.
Le secteur pharmaceutique varié et diversifié, très complexe, qui mobilise à la fois un
grand nombre de producteurs, de distributeurs et de vendeurs, passe par une multitude
d’étapes importantes lors de la sélection et de la fourniture des produits pharmaceutiques, tels
que représenté dans la figure ci-dessous. Chaque médicament est soumis à un long processus
d’obstacles où il doit correspondre à des critères, en fonction des impératifs de la politique de
santé du pays, avant d’aboutir à une autorisation pour sa commercialisation. Le
contournement de ces règles et le raccourcissement des délais deviennent maniables pour les
lobbys, monopolisateurs du secteur pharmaceutique, qui imposent leur dictat, en s’appuyant
sur les largesses dont ils disposent grâce aux influences qu’ils exercent sur les différents
intervenants institutionnels irrigués par les pots-de-vin.
63
Au moment où le secrétaire général de l’Union Nationale des Producteurs Pharmaceutiques (UNOP) réagit
pour démentir (illustrant la puissance de la mafia du médicament) les propos du directeur général des douanes
algériennes, lequel avait accusé les opérateurs activant dans l’Import, et ce, en déclarant que : ‘‘dans une
première étape, le vrai médicament pour obtenir l’autorisation d’importation du ministère de la Santé qu’ils
utilisent ensuite pour importer des médicaments contrefaits’’. Par conséquent, le ministre de la Santé a saisi les
services des ministères du Commerce et des Finances pour le contrôle des opérations de 38 importateurs,
suspendus en 2012, importateurs de médicaments contrefaits avec une surfacturation de 94 millions de dollars.
358
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
Figure n° 31 : Schéma des étapes importantes de la sélection et de la fourniture des produits pharmaceutiques.
Source : le Rapport Mondial sur la Corruption 2006 de Transaprency internationale P 98.
Cette figure montre la multitude des points d’intersection sujette à la profusion
des occasions de corruption, particulièrement dans une économie fragile, qui n’est pas
dotée d’instruments divers de contrôle des normes et qui ne dispose pas d’une
politique sanitaire. L’autorisation de la fabrication ou d’importation suivie de la
distribution du médicament ne suffit pas.
En Algérie, le marché du médicament, très lucratif, est estimé à plus de 2,5 milliards de
dollars, largement dominé par les groupes étrangers. D’après les données publiées dans les
médias durant les deux dernières années, il apparaît que ce marché est monopolisé par 5 ou 6
importateurs, selon le président de L’UNOP. Le ministre de la Santé a signalé, que sur le
terrain, il n’existe que 80 distributeurs parmi les 666 agréments que son administration a
délivrés pour la distribution de médicaments, alors que le président de l’Association des
distributeurs des produits pharmaceutiques (ADPHA) révèle qu’il n’y a qu’une vingtaine de
distributeurs sur le marché qui détiennent le monopole et lesquels réalisent 80% du chiffre
d’affaire dans la distribution. Enfin, l’administration de la santé a annoncé en 2010 les
chiffres de 8000 pharmacies, 600 grossistes comme intermédiaires obligatoires de
distribution. À noter que parmi ces distributeurs, un bon nombre, bénéficiant de couvertures
multiples, exercent leur activité de façon tout à fait informelle, se livre impunément à la
fraude fiscale à travers de fausses déclarations, et de ce fait, ils imposent une concurrence
déloyale à ceux qui travaillent dans la légalité.
La libéralisation qui s’est faite à notre sens
sans aucune préparation, ni l’institution de mécanisme de contrôle a abouti à des monopôles et
des situations d’exclusivités, imposés par la position qu’occupaient certains opérateurs, ayant
359
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
la qualité d’importateurs ou de distributeurs. En Algérie, l’intrusion de la fonction marketing
dans le domaine de la commercialisation, d’un côté, au niveau des officines qui favorisent ou
substituent certains médicaments à l’achat ; d’un autre côté, auprès des médecins à amadouer
dans leurs prescriptions en contrepartie des opérations indirectes de sponsoring et directes en
percevant des compensations financières occultes ou des avantages dissimulés, ce qui
correspond à de nouvelles formes de corruption d’une partie des corporations des médecins et
des pharmaciens. Ces derniers, en hypothéquant leur serment d’accomplir la mission noble de
soigner les malades, par la captation de la rente garantissant l’ascension sociale, se retrouvent
dans une position de conflits d’intérêts.
Malgré l’augmentation de la production locale des médicaments, les importations de
l'Algérie en produits pharmaceutiques, selon le Centre National de l'Informatique et des
Statistiques (CNIS) des Douanes, ont atteint 1,95 milliard de dollars en 2011, contre 1,67
milliard de dollars en 2010, soit une hausse de 16,86%. Paradoxalement, les quantités de
médicaments importées par l'Algérie n'ont augmenté que de 2,2%. Qu’est-ce qui peut en fait
justifier une telle augmentation ? Que ce qui peut justifie cette augmentation ? Les facteurs
liés à l’amélioration des conditions de prise en charge des soins des usagers, l’amélioration du
pouvoir d’achat, l’absence de stratégie, de planification et de politique claire de santé, la
gestion aléatoire, le manque de données fiables et la mauvaise gestion et la multiplication des
programmes d’investissement dans le secteur de la santé peuvent-ils suffire à son explication.
L’évolution de la valeur des importations dépend du circuit et de zone de leur provenance. En
fonction du critère géographique d’appartenance à la zone de libre échange ou pas, les
importateurs manipulent les facturations en les surestimant ou en les sous-estimant. Ce
marché attractif, lucratif, et en très forte croissance, où les prix sont difficiles à contrôler,
souffre du monopole des lobbys qui influencent les pouvoirs publics. Le remplacement du
monopole étatique du commerce extérieur par celui des groupes de pressions privés, faisant fi
de la législation et des institutions étatiques, dans le secteur pharmaceutique, complètement
déstructuré, objet de nombreuses convoitises, révèle leurs capacités de nuisance. Ces
nouveaux monopoles n’hésitent pas à provoquer et organiser les ruptures des stocks des
médicaments lorsqu’il s’agit de leurs intérêts. Les cycliques pénuries, revenant chaque année,
offrent la démonstration soit de l’impuissance de l’État, soit de l’implication des responsables
au sein du gouvernement. Toujours est-il une telle situation ne peut que fragiliser la stabilité
de l’État.
360
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
CONCLUSION
En guise de conclusion, nous affirmons, qu’en l’absence de transparence et de
pratiques du libre exercice des activités politiques, la corruption, qui entraîne des effets
néfastes sur l’activité économique, en tant que facteur de régulation, influence négativement
les acteurs intervenant dans les milieux politiques Une telle situation ne peut évidemment que
décrédibiliser l’action politique et pervertir les valeurs démocratiques au sein de la société
avec à la clé l’affaiblissement des institutions étatiques. La corruption en Algérie a eu pour
effet de fragiliser le processus de démocratisation, en discréditant davantage la représentation
institutionnelle en manque de légitimité, et aussi de favoriser les pratiques de la mauvaise
gouvernance, en instaurant une justice à deux vitesses qui, par la remise en cause de l’autorité
et l’unicité de la loi, entretient la culture de l’impunité.
La perversion du système politique algérien, affaiblissant les institutions étatiques,
provient du recours aux pratiques de la corruption politique par les tenants du régime algérien
qui refusent le partage du pouvoir, en confisquant la libre compétition politique, et en
décidant même de l’existence ou de la disparition des formations politiques. Le monde
politique est assimilé, particulièrement en période électorale, où il a le plus besoin de
financement, aux machines à sous. La dépendance du monde politique, à tous les niveaux, de
la sphère financière biaise les compétions électorales et infantilise les acteurs dans les milieux
politiques, gangrenés par les pratiques de la corruption. La réglementation du financement des
compagnes électorales parait insuffisante puisque elle ne sanctionne pas les financements
occultes. Faudra-t-il mettre fin au financement privé ? Et comment sortir de la politique du
privilège et de l’assistanat ? Le changement des mœurs politiques nécessite le concours à la
fois des acteurs politiques, des institutions et de la société civile autour de la moralisation de
la vie politique. En effet, seul un consensus fort condamnant la corruption dans ses différentes
facettes, appuyé par de sévères châtiments à l’encontre de ceux qui en font usage, est à même
de rétablir la confiance des citoyens et de réhabiliter la chose politique dans un cadre
démocratique et multipartite. En prenant référence sur la démocratie J. Schumpeter (1942)
définie comme permettant aux individus d’acquérir le pouvoir décisionnel dans un système
institutionnel multipartite, nous pouvons conclure que seul le choix par les électeurs de
personnes intègres, compétentes et résolues peut garantir le respect des lois, notamment celles
réglementant les marchés publics, que justement toute une pléthore de corrompus cherchent
par tous les stratagèmes possibles à contourner.
361
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
Du système politico-administratif centralisé, dépendant d’un fonctionnement lourd,
basé sur une bureaucratie au niveau central ou local et cultivant le favoritisme, découle les
formes et la nature de la corruption administrative ou bureaucratique. En Algérie, dans la
pratique, la séparation des différents pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) n’est pas
respectée, ce qui explique la propagation de la corruption à tous les niveaux de
l’administration, tous secteurs confondus. Il s’agit en fait d’un système à pouvoir personnel où
les hauts fonctionnaires désignés veillent à favoriser une catégorie de privilégiés, qui
constituent leurs soutiens politiques, et ce, bien sûr au détriment de la majeure partie de la
population, exclue et marginalisée car elle est réfractaire à leur politique et leurs pratiques.
Cet esprit qui conditionne la conception des structures au sein des collectivités locales
(conditionne la structuration politique au sein des collectivités locales) a obéi à la même
logique de contrôle et d’allégeance politique, orientée vers la consolidation et l’extension du
pouvoir centralisé en captivant le pouvoir local et en favorisant les clientèles. Ce qui a donné
naissance à un pouvoir permissif, favorable à l’opacité dans la gestion des collectivités
locales, entachée de pratiques mafieuses dans les attributions des biens immobiliers de l’État,
et ce, particulièrement dans le domaine du foncier, qui est très convoité. Les prérogatives
régaliennes dans divers domaines transforment la gestion des collectivités locales en un
moyen d’enrichissement et de distribution des prébendes au profit des membres des exécutifs
gouvernements, locaux décentralisés et déconcentrés, jouissant tous d’un pouvoir
discrétionnaire. Il est urgent de remédier à ce système qui fait des élus et des fonctionnaires
locaux des proies entre les mains des corrupteurs.
Le pouvoir d’influence qu’ont les membres de l’exécutif, et autres décideurs, sur le
corps des magistrats est en total contradiction avec le statut d’indépendance que lui confère la
constitution et tout comme il est attentatoire à l’intégrité morale et à la conscience
professionnelle des membres appartenant à ce corps. Leur dépendance du pouvoir exécutif
remet en cause le principe de l’indépendance de la justice, entraînant par là la perte de
crédibilité de l’Etat. Une justice à double vitesses, d’un côté celle au service à d’une certaine
catégorie de riches et de privilégiés, formant la clientèle du régime, et, de l’autre côté, celle
des démunies et des marginalisés. Un état des faits qui pousse le citoyen à perdre confiance
dans l’appareil judiciaire, jugé partial et sous l’emprise de la corruption, par le biais de
laquelle se développe inexorablement la culture de l’impunité. L’usage des pratiques de la
corruption dans l’appareil judiciaire entraine des conséquences négatives dans tous les
secteurs. Nous l’avons vu, à travers l’exemple de l’administration des corps des douanes, qui
362
CHAPITRE VI: Analyse de la corruption dans le secteur politico-administratif
gangrenée par la corruption, participe à l’effondrement de l’économie nationale et met en
péril jusqu’à la stabilité des institutions de l’État. Il va de même aussi pour le secteur de la
santé qui est entré en déclin, et ce, particulièrement depuis l’ouverture du commerce extérieur
qui a vu l’apparition de nombreux phénomènes dévastateurs, à travers notamment : l’attitude
prédatrice développée par les lobbies du médicament, qui s’adonnent à la contrebande, au
transfert des capitaux, à la fraude fiscale plutôt que d’investir dans la production locale, en
exploitant, par exemple, quelques formules parmi les 300 médicaments, recensés par l’OMS
comme libres d’exploitation dès lors où leurs brevets sont tombés dans le domaine public.
363
CHAPITRE VII :
Stratégies et
politiques face au
phénomène de la
corruption
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
SEPTIEME CHAPITRE: STRATEGIES
ET POLITIQUES FACE AU PHENOMENE DE LA
CORRUPTION
Introduction
La lutte contre la corruption se décline expressément à travers l’ensemble des
stratégies et politiques envisagées et qui s’articulent sur les mesures et actions visant à
contenir et anéantir les pratiques de la corruption, en agissant sur les causes à l’origine de
leurs incrustations dans toutes les structures sociales, économiques, politiques, juridiques et
culturelles. En somme, ces mesures et actions, par effets combinés, travailleront
simultanément à assurer la prévention du phénomène et sa répression dans une perspective
qui, sur fond de consécration de la culture de l’éthique, viserait à soustraire, par l’éducation,
les générations futures à la tentation du phénomène, substituant à cette tentation plutôt un
sentiment de répulsion, et dont la finalité est de jeter les fondements solides d’une une société
citoyenne, intègre et transparente. Cela dit, dans le souci de cerner au mieux l’état des lieux à
propos de la lutte anti-corruption tant au niveau national qu’international, nous avons choisi
d’organiser ce chapitre en trois sections.
Au plan international, partant du principe caractéristique du phénomène de la
corruption et de ses retombées dans cette sphère, la première section traitera des organisations
et expériences de la lutte contre la corruption dans le monde. Nous reprendrons la genèse de
l’avènement des premiers textes anticorruptions, déclinés dans leur contexte et leur espace
international, régional et national, et ce, en mettant en exergue les impératifs en rapport avec
la mise en place des instruments normatifs et l’impulsion de la dynamique de lutte contre la
corruption. Il sera question, par ailleurs, de mesurer les implications de ces normes au niveau
national et de relever les réserves et les manquements observés lors de leur introduction dans
le droit interne en Algérie. Nous traiterons, aussi, du rôle des instances et des organisations
internationales qui se sont dotées des multiples instruments internationaux et nationaux
gouvernementaux et non-gouverneaux de lutte contre la corruption, en présentant à titre
indicatif quelques unes des initiatives prises par les diverses organisations internationales, tout
en appréhendant, avec vigilance, la problématique de lutte contre la corruption sous le rapport
de l’efficacité.
364
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
Une problématique posée en termes de pertinence et d’impact qui nous mènera donc à
décortiquer la lutte anticorruption en Algérie dans la seconde section, en tenant compte de la
nature du régime algérien. En ce sens, nous allons montrer l’ambivalence du régime en
matière de traitement, sa politique de deux poids deux mesures, de sa façon d’entretenir
l’illusion d’une république démocratique, agrémentée pour entretenir la façade démocratique,
et puis de sa façon aussi de donner le change à travers l’instrumentalisation sporadique qui est
faite des lois afférentes à la lutte contre la corruption la part des différents clans au pouvoir.
De même que nous allons mettre en relief le rapport de dépendance qu’ont les institutions et
instruments de contrôles dédiés à la lutte anti-corruption vis-à-vis de l’Exécutif, et ce, dès lors
que la séparation des pouvoirs en réalité n’existe pas et que, par conséquent, la justice et tous
les autres organes qui ont vocation de contrôle et de répression, notamment la Cour des
Comptes, l’Inspection Générale des Finances (IGF) et l’Organe de prévention et de la lutte
conte la corruption, sont subordonnés au pouvoir exécutif. D’autre part, dans le sillage de
l’analyse des déficiences et des coûts de la lutte contre la corruption (moyens humains et
matériels) – que suggère l’approche de cause à effet –il y a lieu d’aborder une somme de
réformes de la fonction publique et des procédures administratives liées au sujet. À ce titre, il
faut rappeler que l’efficience de toute initiative de lutte contre la corruption étant tributaire de
la confiance qu’inspirent les institutions, les stratégies de cette lutte doivent intégrer
fondamentalement la nécessité de garantir la protection des victimes et des dénonciateurs de
la corruption.
La matérialisation des stratégies de lutte anticorruption, en fonction des diagnostics
établis, ne peut traduire dans la réalité les changements attendus sans l’omniprésence de la
volonté politique et l’engagement consentant de la société civile, objet que nous traiterons
dans la troisième section. Cependant, il convient de ne pas perdre de vue qu’en filigrane de
l’évolution de la volonté de l’État en la matière, il existe un véritable contraste entre les fauxsemblants induits par la promulgation de lois anticorruption et les postulats de cette lutte.
Malgré la promulgation des lois, la réponse à l’interrogation de l’existence de la volonté
politique créditera ou discréditera la lutte contre la corruption émergente. Nous allons dans
cette section relever les confusions et les amalgames entourant les questions de la volonté
politique, de la société civile et de l’implication des médias. Nous présenterons les contraintes
auxquelles sont confrontés les médias et la société civile, faisant l’un et l’autre objet de
pression et de volonté de contrôle de la part du régime en place.
365
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
SECTION I : Les organisations et les expériences de la lutte anticorruption dans le
monde
Les changements opérés dans l’agenda international en inscrivant parmi les
priorités la question de la lutte anticorruption ont engagé de nombreux Etats dans de nouvelles
perspectives. Les motivations de ces changements présupposaient une prise de conscience
autour des enjeux et conséquences de la corruption mondialisée, visible et flagrante
(considérée auparavant comme un mal nécessaire ou un passage obligé, qu’il fallait emprunter
afin d’accéder à un monopole ou préserver ses parts sur le marché), et qui se pratiquait sous
l’ombre de multiples réseaux maffieux, avec à la clé des retombées désastreuses sur
l’économie des pays en développement. Une prise de conscience qui devait marquer, en fait,
une rupture avec l’ancien mode opératoire qui, à la lumière d’une minutieuse analyse
systémique fut jugé néfaste et en partie la cause des désastres connus par beaucoup de pays, et
ce, dans un contexte favorable à la lutte contre ce fléaux qui s’est trouvé accentué par la
libération des mouvements de capitaux et la généralisation des nouvelles technologies. Aussi
ces facteurs, d’après D. Dommel (2001) ont « offert aux profits de la corruption, toutes
facilités pour s’évader et se recycler ». Ce processus de changement1 s’insère dans des
mutations incitées dans les systèmes de gouvernance qu’ils soient politique, économique ou
social.
Ces analyses font apparaitre que la diffusion de la corruption est devenue un facteur –
principal chez certains et déterminant chez d’autres – d’instabilité, de violation des droits
humains et de fragilisation des valeurs démocratiques. Car ce phénomène s’accompagne par
l’instauration de mécanismes occultes, parallèlement aux normes légales et sociales, qui
constituent un grave danger dans la mesure où ils menacent doublement l’intégrité des États.
La corruption, en effet, désillusionne les gens et affecte la confiance des citoyens dans les
capacités des institutions étatiques à assurer le progrès social et économique de façon large,
juste et équitable aux différentes franges de la population et par là garantir durablement
l’harmonie sociale.
Une prise de conscience ouvrant la voie à l’élargissement des convergences sur la nécessité de
lutter contre ce fléau ; ce qui a entraîné de nombreux pays à adapter leurs législations internes
en matière de répression des crimes de corruption. L’amorce de ce changement remonte plus
1
L’expression du processus de changement, selon V. N. Komtsindi (2004), « fait référence aux différentes
phases vécues par un système comme la corruption, qui doit intégrer le changement et donc toutes les stratégies
de lutte (rationnelle empirique, normative rééducative ou coercitive) ».
366
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
précisément à l’année 2003, subséquemment à la signature de la convention des Nations unies
sur la lutte contre la corruption, précédée par la naissance de Transparency International en
1993. Tandis que, comme le souligne D. Dommel (2001), le gouvernement des Etats-Unies,
harcelé par le milieu des affaires américain, qui incriminait à partir de 1977 la corruption
d’agents publics étrangers par les entreprises américaines, « a essayé de faire adopter des
mesures similaires par les autres pays dans le cadre du conseil économique et social de
l’ONU ».
Ainsi, la logique de la concurrence loyale sur les marchés internationaux est à l’origine des
premiers textes anticorruptions. Néanmoins, cette démarche, qui a provoqué une « floraison »
des textes introduits dans divers domaines de législation et à différents niveaux avec comme
objectif de contrecarrer efficacement les agissements des corrompus et des corrupteurs et
subsidiairement de prendre en charge la problématique de la bonne gouvernance, manque
d’efficience quant à la résolution des questions lancinantes ayant trait à l’effectivité des
mécanismes normatifs. Une carence qui en la matière se voit dans les bilans nationaux et
internationaux, avec entre autres les partenariats, découlant des traités de coopération entre
États, qui sous-tendent de grandes affaires de corruption impliquant des acteurs issus de
divers pays, faisant de l’exigence de la lutte anticorruption supranationale une obligation.
Etant donné le caractère universel du phénomène de la corruption et des conséquences qu’il
engendre en termes d’externalités multinationales, l’efficacité de la lutte anticorruption ne
peut indubitablement avoir de sens et d’efficience en dehors de son espace naturel qu’est
l’universalisme. Comme elle ne peut pas uniquement se focaliser sur les formes de sa
manifestation sans que les diverses instances internationales ne l’intègrent dans un cadre
cohérent prenant en compte les causes à l’origine de ce phénomène multiforme, et lesquelles
causes, bien qu’appréhendées sous différentes approches sont généralement admises sous le
vocable de la mauvaise gouvernance qui, induite souvent par des dysfonctionnements aux
plans politique, économique et social, est toujours porteuses de sous-développement et de
pauvreté.
À ce titre, force est de remarquer que de nombreux pays africains, dépendant des aides et de
l’assistance étrangères, ne sont pas parvenus à réaliser les objectifs des programmes tracés et
autres initiatives engagées par communauté internationale, et ce, à cause des pratiques de la
corruption. Un constat d’échec qui a motivé l’engagement, sur le tard, des politiques
anticorruption à travers la mise en place récemment de mécanismes à ce effet, pris soit en
complément de textes et instruments – souvent lacunaires et inefficients – qui existaient déjà,
soit en calquant les dispositifs adoptés par les ex-puissances colonisatrices de ces pays en
367
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
question. En ce sens, la présence des instruments de lutte anticorruption se manifestait au sein
de ces pays de façon intermittente et souvent par des coups ciblés où des institutions,
longtemps restées longtemps en hibernation, étaient actionnées pour des règlements de
comptes politiques et visant généralement la neutralisation d’un adversaire « encombrant ».
Exemple parmi d’autres de ce genre de situations, il y a lieu de citer : l’affaire de la Cour des
comptes en Algérie, qui avait rendu en 1983 un rapport accablant sur Abdelaziz Bouteflika,
accusé de détournement des deniers publics lorsqu’il avait occupé le poste de ministre des
Affaires Étrangères sous le règne de Boumediene ; mais deux décennies après, soit en 1999, le
mis en cause est rappelé au pouvoir, et ce, sans pour autant que l’opinion publique ne sache
s’il est absout de ses actes2.
1-1/ L’impératif de la lutte anticorruption
Le mode de lutte anticorruption se décline actuellement sur plusieurs niveaux :
international, régional et national. Chacun de ces échelons contribue à influencer les
instruments et les pratiques de cette dynamique qui n’a pas cessé de connaitre d’innombrables
évolutions en faveur de cette lutte. Malgré l’établissement d’un consensus au niveau des
organisations internationales préconisant une stratégie articulée sur la pluralité d’actions,
souvent se chevauchant à celles des programmes de la bonne gouvernance, il apparait
d’évidence qu’aucune solution unique n’est garante d’une efficacité totale contre ce mal.
La complexité du phénomène de la corruption et le large éventail des activités qu’il recouvre,
implique historiquement la mise à jour régulière d’institutions dédiées aux observations, aux
classements (les différents indices de perception de la corruption de Transparency
Internationale), à l’élaboration de recommandations multisectorielles, globales ou spécifiques
à certains secteurs ou activités, et à la mise en place d’instruments normatifs nationaux et
supranationaux pour le combattre. Une stratégie qui n’a pas manqué d’enregistrer des
avancées considérables, et ce, au regard du ralliement des sociétés multinationales de grande
notoriété souscrivant aux mouvements mondiaux en faveur de la répression des pratiques de
la corruption, notamment les multinationales américaines qui s’y sont conformées, en
s’engageant dans ce processus suite à l’entrée en vigueur de la loi des États-unis contre la
corruption dans les transactions à l’étranger. Subséquemment, Transparency Internationale,
leur emboîta le pas au moment de l’engagement, dans le même sens que celle des USA, de la
2
L’écrivain journaliste M. Benchicou à ce propos reprend dans le quotidien électronique le matin du 17 octobre
2012 les déclarations de l’ex prédirent de la république Chadli Bendjedid où il dit que: ‘‘sans moi, Bouteflika
aurait été jeté en prison…’’. Une déclaration lourde de sens.
368
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
convention de l’OCDE, en lançant le pacte de l’intégrité des entreprises. L’implication par la
suite des institutions de Bretton Woods, révisant sa position antérieure, durant les années 90,
ont tracé de nouveaux contours de la stratégie de la lutte anticorruption, envers les
gouvernements des pays en développement qu’ils appuient en matière d’assistance et de
financements extérieurs, soumis aux pratiques des corrupteurs.
1-1-1/ Au plan international
Au plan international, les échanges économiques multilatéraux ainsi que les
comportements des pays corrupteurs affectent directement les structures du commerce
extérieur des pays importateurs ou exportateurs, en fonction de la propension ou du degré de
corruptibilité des Etats concernés par les échanges. La corruption devient le facteur
déterminant au final. Ce que indique J. Graf Lambsdorff (2000), après la suppression des
autres facteurs classiques de la concurrence internationale, par ‘‘le degré de corruption dans
les pays importateurs’’ influençant instantanément ‘‘la structure des échanges chez les
exportateurs’’. La corruption prend le statut de facteur d’avantage d’externalité dans les
échanges internationaux du fait de la différence ou déphasage des législations applicables sur
les territoires respectifs des États antagonistes, en matière de lutte contre la corruption. Une
concurrence déloyale internationale qui a pour effet d’accélérer la mise en branle des
mécanismes institutionnels en vue d’harmoniser la lutte contre la corruption mondialement.
Les pionniers de cette brèche ouverte (frayée) en faveur de la lutte contre la corruption furent
les Etats Unies d’Amérique dont l’attention était motivée par le « Business américain », en
cherchant des garanties leur assurant une concurrence qui n’avantage pas dans la compétition
mondiale les entreprises corruptrices. Une logique véhiculée par la convention patronné par
l’Organisation des État américains, tout en traitant des sanctions à l’encontre de la corruption
d’agents publics étrangers, prévoit ‘‘également les modalités de coopération pour
l’extradition des coupables, la saisie des biens, une entraide sur le territoire et une assistance
technique quand les actes de corruption ont lieu ou qu’ils ont des effets sur le territoire de
l’un des pays signataires’’. A cette convention s’ajoutent les progrès intervenus depuis la
mise en œuvre en 1999 de la Convention anticorruption de l’OCDE, intégrant dans un cadre
global l’affirmation de la lutte internationale contre la corruption, précédés par le G7 devenu
G8 qui s’est intéressé particulièrement au blanchiment de l’argent de la drogue avant d’avoir
donné naissance au Groupe d’Action Financière Internationale (GAFI) en 1989 à paris, Cette
instance , par la suite, s’est intéressée particulièrement aux avoirs illicites et a entrepris durant
369
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
les années 2000 de définir un plan d’action visant à combattre la corruption et les
détournements de fonds.
L’internationalisation des actes de corruption, et compte tenu de la complexité de ce
phénomène au regard de ses ramifications plurielles, ses connotations morales, ses
manifestations de nature globalisante, a fait prendre conscience à de nombreux pays de
l’impératif d’aller vers un plan de lutte international ; lequel s’est traduit par la signature de
plusieurs traités régionaux et internationaux que les pays signataires se sont, par conséquent,
chargés d’intégrer dans leurs législations respectives, nonobstant les différences, parfois
énormes, en matière d’attitudes – tolérance complice ou rigueur indulgente – vis-à-vis du
phénomène en question. Néanmoins, cette mise en compatibilité constitue selon
B. Pereira (2008) ‘‘la volonté internationale de la lutte contre la corruption.’’ Et d’ajouter
que ‘‘c’est ce principe de réciprocité ou d’équivalence des incriminations qui permet de poser
les bases de la lutte internationale contre la corruption.’’
Toutefois, même si ces ratifications ont eu pour effet d’unifier (la classification des
comportements corrupteurs) les actions contre les comportements corruptifs, avec
l’accroissement des normes préventives et répressives dans ce domaine permettant d’intégrer
correctement les nouvelles infractions et d’élargir le champs d’intervention au secteur privé3
épargné de par le passé, bien qu’il s’agisse d’un mécanisme de plus en plus perfectible, est-il
suffisant pour autant ? En effet, cette harmonisation des lois internes, au sein des pays ayant
ratifié les conventions, n’exclue pas la réflexion autour de l’application de ces normes par les
États. Les moyens adéquats censés servir d’instruments à la loi harmonisée et la mise en
pratique des mécanismes internes posent, sous une autre forme, la problématique d’efficacité
de cette lutte contre la corruption.
Ces conventions récentes se retrouvent entravées dans leur application par l’instrument pénal
interne qui présente encore des limites en matière de la lutte contre la corruption. Le choix des
modes de ratifications, avec réserve ou sans réserve, influence implicitement la mise en œuvre
des mécanismes de l’applicabilité des conventions internationales. Des choix qui
conditionnent outrageusement la coopération des États, mettant en avant l’alibi des
souverainetés propres aux espaces territoriaux nationaux des États. Ainsi, les différences en
matière d’appréciation des législations limitent la lutte contre la corruption.
3
Dans ce cadre, le souci prépondérant découle des atteintes à la transparence favorisant des pratiques
anticoncurrentielles sur les marchés qui peuvent exister sous différentes formes, et qui peuvent se caractériser,
selon B. Pereira (2008), par ‘‘n’importe quel type de collusion, coalition, action concertée, convention, contrat,
entente expresse et même tacite.’’
370
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
En effet, la profusion des législations répressives ne résout pas les problèmes inhérents aux
obstacles de la coopération pénale internationale, état de fait qui donne raison à B. Pereira qui
en 2008, dans son développement, avait qualifié la lutte anticorruption comme ayant un
caractère émergent. Les mécanismes de coopérations bilatérales ou multilatérales entre les
États, en matière de compétences juridictionnelles, de l’exécution des mandats d’arrêts
internationaux ou d’extradition et de qualification des crimes constituent un autre volet
auxquels est confrontée la répression de la corruption internationale. L’exemple de
l’emblématique affaire Khalifa banque qui bute depuis l’année 2006 sur l’extradition
Abdelmoumen Khalifa de l’Angleterre, État requis, vers l’Algérie, État requérant, illustre
cette contrainte.
Face aux foisonnements des pratiques assimilables à de la corruption internationale, les
conventions internationales de lutte contre le blanchiment et les crimes de terrorisme viennent
renforcer d’appoint la politique d’une lutte efficace, suscitant les échanges et la coopération
avec les organisations internationales en instituant des mécanismes anti-blanchiment. La
délinquance financière internationale sous ses diverses formes – facteur incontournable dans
l’explication de la crise des marchés financiers en ce sens qu’il induit une multiplication des
fraudes, notamment celle fiscale, et autant de dommages pour les particuliers et la société en
général – qui, associée de près aux versements des pots de vin, s’est largement répandue
durant la période 1970-1990 en raison de la position conciliante adoptée alors à l’égard de la
corruption sur les marchés étrangers par les pays industriels voulant s’assurer des parts
conséquentes dans ces marchés. C’est pourquoi la lutte contre ce phénomène renforce la lutte
anticorruption internationale. Cependant, la question de la confiscation des produits financiers
de la corruption internationale demeure non résolue pour l’ensemble de la communauté des
États4. V. Mazauric (2004) met en exergue quatre difficultés à surmonter pour atteindre cet
objectif, il s’agit
‘‘des problèmes de la compétence liés à la territorialité; des
immunités diplomatiques et politiques; l’entraide judiciaire internationale ; et le sort des
produits confisqués’’.
La lutte contre la corruption et la délinquance financière met en évidence l’inégalité des
moyens utilisés par les forces antagonistes : d’un côté, il y a les technologies de pointe mise à
contribution par la délinquance financière au plan internationale qui permet, en empruntant
4
Le rapport du Centre de prévention de la criminalité internationale du bureau des Nations Unies, portant sur la
prévention de la corruption et du transfert illicite des fonds, du 25 septembre 2001, établit que ‘‘le recouvrement
des fonds détournés et exportés illégalement dans les affaires de corruption à grande échelle soulève à la fois
des questions pratiques et des questions juridiques’’.
371
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
des circuits sophistiqués, une extraordinaire facilitation du déplacement des capitaux ; tandis
que de l’autre côté, il y a des instruments juridiques limités dans leur portée et des
mécanismes de coopération internationale qui restent confinés au domaine pénal. Ainsi,
l’expansion de la délinquance financière internationale, engrangeant des profits gigantesques,
impose la modernisation des textes régissant leur confiscation est devenue prioritaire. A ce
titre, il serait judicieux d’évaluer la façon dont les États-Unis se sont organisés pour renforcer
la prévention et la sanction des fraudes financières, l’un des facteurs du déclenchement de la
crise.
Les dispositions anticorruption des lois des transpositions de la convention de l’OCDE
ont poussé selon, V. Mazauric (2004), les entreprises à se conformer aux nouvelles règles
contrariant la libéralisation des mouvements de capitaux qui permettaient aux personnes
morales ou physiques de faire circuler des fonds partout dans le monde. Cette situation,
renforcée par les effets de la mondialisation, contribue substantiellement à l’accroissement
des paradis fiscaux dans l’économie internationale, que favorise, par ailleurs, la garantie du
secret bancaire. Même si le débat portant sur la régulation des paradis fiscaux, le secret
bancaire et la lutte contre l'évasion fiscale des multinationales, souffrant du manque des
règles, est engagé par les plus grandes puissances du monde. Bien que le G20 de 2009 a
renforcé, ces dernières années, la lutte contre les juridictions non coopératives les résolutions
engagées demeurent insuffisantes et ne répondent que partiellement à l’immensité apparente
de ces défis5. Nonobstant les déclarations d’intention du G20, depuis deux années, le progrès
reste insignifiant en termes de lutte contre le blanchiment d’argent et de coopération
internationale portant sur la levée du secret bancaire. C’est sous la bénédiction des grandes
puissances financières internationales que ces paradis fiscaux opèrent toujours, en attendant
leurs démantèlements à la faveur d’une coopération judiciaire, transparente et efficace,
impliquant l’engagement de mesures répressives.
Les procédures relatives à la restitution des avoirs réclamés, en tant que biens mal acquis6
dans des pays spoliés, outre leur caractère de lenteur et de lourdeur compliquant leur mise en
5
Afin de poursuivre la lutte contre le blanchiment de capitaux et les paradis fiscaux, le G20, qui demeure au
stade des déclarations en repoussant la publication de la liste exhaustive des paradis fiscaux, appelle ‘‘toutes les
juridictions à adhérer aux normes internationales dans le domaine fiscal et prudentiel et dans celui de la lutte
contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme’’. Il ne semble pas engagé à prendre de
nouvelles mesures au sujet de la lutte contre la corruption et la criminalité transnationale, portant pour prendre à
bras-le-corps cette question un groupe de travail anti-corruption est installée au sein du G20.
6
Notion, non cernée par une définition normative, recouvrant un vaste champ dont les formes et l’espace variés
en fonction de l’infraction.
372
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
pratique, ont été intégrées dans le droit international à la faveur de la convention des Nations
unies entrée en vigueur en 20057, mais sans nulle évolution significative depuis. Pour diverses
raisons, entre autres, le blanchiment d’argent, l’absence de la traçabilité et la multiplicité des
formes de dissimulation de l’origine et la destination des fonds, notamment la contrainte liée à
l’identification des comptes anonymes ou ouverts sous des prête-noms, l’estimation des
montants des biens mal acquis à travers le monde est difficilement réalisable. Le rapport édité
par le CCFD en 2009 sur les biens mal acquis relève que ‘‘99% des fonds détournés
continuent de prospérer en toute quiétude’’, de même que ce rapport met en relief
l’inefficience des procédures de rapatriement dans la mesure où ‘‘seul 1% à 4% des avoirs
détournés ont été restitués aux populations volés’’. Une problématique qui ne peut être
résolue sans l’existence d’une volonté politique ferme, la condition sine qua none à même de
déboucher sur une réflexion autour de la consolidation des mécanismes pratiques pour qu’ils
soient à la hauteur des engagements pris dans le cadre de la convention censée faciliter de jure
la saisine et la restitution des avoirs détournés. Outre ce renforcement d’ordre conventionnel,
il est nécessaire de donner tout le sens pratique qu’il faut aux aspects juridiques consacrés
dans la convention des Nations unies et de veiller à l’association de la Banque mondiale en
vue de la restitution des avoirs volés, arrivants chaque année à partir des pays en
développement, avec l’initiative StAR dans le cadre d’un partenariat international. Une
initiative qui fait appel à plusieurs actions, notamment la facilitation du processus de
recouvrement des avoirs des pays en développement et le suivi de l’utilisation des fonds
recouvrés, et ce, au moment où la Banque mondiale avait déjà, pour sa part, enclenchée une
stratégie de lutte contre la corruption, axée fondamentalement sur le contrôle de la destination
des prêts qu’elle accordait dans le cadre de la promotion des principes et politiques de bonne
gouvernance. Cette initiative, selon le rapport du CCFD de 2009, a produit des résultats
intéressants : ‘‘elle a par exemple publié en 2009 un guide à l’intention des pays qui
envisagent d’adopter une loi sur la confiscation d’avoirs sans condamnation pénale…etc.’’.
Néanmoins, en termes de critique envers cette initiative, il lui reproche de s’attaquer plus
‘‘aux symptômes, les fonds détournés, qu’aux racines du mal. Malgré la portée dissuasive de
la lutte contre l’impunité en matière de criminalité financière, l’initiative StAR relève surtout
d’une stratégie de sanction, non de prévention.’’ En fait, par sa non soumission à un examen
7
Dans la convention de Mérida, chapitre V consacré au recouvrement des avoirs, l’article 5 fait de la restitution
des avoirs un principe du droit international, alors que les articles 54 et 55 énoncent les modalités de
recouvrement des biens via la coopération internationale incluant le gel, la saisine et la confiscation des avoirs en
question. Enfin, l’article 56 exhorte tout État partie à transmettre à un autre État partie des informations sur des
avoirs acquis illicitement, et ce, sans qu’il y ait de demande au préalable.
373
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
autocritique, elle occulte obrepticement sa part de responsabilité dans ces détournements qui
se déroulent en arrière plan de relations, ayant valeur de caution, qu’elle entretient avec des
gouvernements dictatoriaux autour d’intérêts économiques et politiques. Cette initiative
pourrait-elle franchir les limites les mettant en cause ?
1-1-2/ Les implications de ces normes au plan national
La multiplication des textes juridiques dédiés à la lutte contre la corruption au niveau
des instances internationales onusiennes et des groupements régionaux s’est répercutée au
niveau des États qui ont translaté les conventions dans leurs législations nationales
respectives. Mais, il y a lieu de préciser que les importants efforts internationaux en matière
de lutte contre la corruption ont été précédés par des luttes menées dans certains pays, n’ayant
pas attendu les longs processus de négociations au sein de la communauté internationale.
En considérant la traduction dans le droit interne des conventions internationales et
régionales, nous distinguons deux catégories de pays. D’un côté, les pays qui ont ratifié les
conventions sans réserves et qui d’ailleurs les ont translatées directement dans leurs propres
législations nationales; d’un autre côté, les pays qui ont ratifié les conventions avec réserve et
qui les ont l’ont translatées partiellement dans leurs législations nationales respectives.
En la ratifiant en 2004, puis en l’intégrant dans sa législation, l’Algérie, en faisant l’impasse
sur certains articles tel que celui de l’obligation faite aux hauts fonctionnaires de l’institution
militaire de rendre publique la déclaration du patrimoine et en refusant l’implication de la
société civile tel que préconisé de la convention internationale de la lutte contre la corruption
de Mérida, ratifiée en 2003, fait partie de la seconde catégorie. D. Hadjadj (2006) considère
‘‘qu’elle est très en retrait par rapport à la Convention des Nations unies et à celle de
l’Union africaine, notamment concernant l’absence d’indépendance de l’organe de
prévention et de lutte contre la corruption prévu par la loi, l’absence du droit à l’accès à
l’information, les limites du dispositif relatif à la déclaration de patrimoine, les restrictions
dans la participation de la société civile, la non-protection des dénonciateurs de la
corruption, les revers d’une nouvelle incrimination intitulée dénonciation abusive, etc.’’8.
Cependant, la ratification, suivie de l’ajustement des législations internes des États,
n’implique pas systématiquement la mise en œuvre de politiques en faveur de la lutte contre la
8
Pour lui la ratification, en 2004, de la convention des Nations Unies contre la corruption, puis sa mise en œuvre
législative, en 2006, est destinée ‘‘à la fois pour les consommations interne et externe, mais aussi pour faire de
ces instruments des moyens de pression et de chantage dans le cadre des pratiques de règlement de comptes au
sein de l’oligarchie au pouvoir et de sa périphérie’’.
374
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
corruption. Depuis la promulgation de la loi de 2006, l’Algérie peine à rendre effective
l’application de la législation de prévention et de lutte contre la corruption. L’écueil de la
volonté politique et de l’institution des mécanismes bloquent les stratégies et les actions
suggérées par les normes juridiques inhérentes à la lutte contre les pratiques de la corruption.
En Algérie, l’enjeu de la lutte contre la corruption est à intégrer dans le cadre de la lutte des
clans au sein du régime. Tout comme nous en avons fait cas concernant sur le chef de l’État
actuel, Abdelaziz Bouteflika, d’autres personnages politiques ont été éclaboussés par des
affaires de corruption, à l’instar du Général Mustapha Bellocif et du général Betchine un
proche conseiller du président Zeroual, démissionnaire9. L’arme de la corruption constante
dans le fonctionnement du système politique et économique algérien est à inscrire dans une
démarche servant à discréditer et délégitimer le clan adverse éjecté du pouvoir.
1-2/ Les organisations, instances et instruments internationaux
La dimension internationale de la corruption est un des plus grands obstacles au
développement des activités économiques aux niveaux national, régional et international. Le
phénomène de la corruption, pendant longtemps ignoré par les instances internationales,
évolue de façon si fulgurante qu’il inquiète les principaux organismes internationaux : ONU,
OCDE, Banque mondiale, G20, FMI, OMC et les forums mondiaux. Les conséquences
dramatiques de son ampleur ont contraint la communauté internationale à mettre en place
simultanément des instruments gouvernementaux et non-gouvernementaux, en instituant des
instances de lutte contre la corruption, mettant en interactions tous les acteurs des secteurs
économiques et administratifs. Au niveau international, l’échange d’informations entre les
États a impulsé les concertations internationales en faveur de l’entraide internationale, en
traçant la voie qui permet d’éviter les obstacles des canaux diplomatiques.
1-2-1/ Les instruments gouvernementaux
Les instruments gouvernementaux de lutte contre la corruption sont multiples.
L’arsenal des textes de loi constitue l’ossature même de ces instruments et parmi lesquels
textes il est utile de citer : la constitution, en tant que loi fondamentale du pays, les codes
9
Ce que confirme l’ex-chef du gouvernement B. Abdesselam (2007) pour qui ‘‘la lutte contre la corruption est
devenue, depuis des années, un thème récurrent de la politique algérienne. (…). Du reste, notre opinion
populaire n’est pas dupe de ces « opérations anti-corruption », qu’on lui sert souvent quand le pouvoir éprouve
le besoin de calmer son exaspération, en raison de la multiplication des actes de corruption qui gangrènent le
corps social de la nation’’.
375
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
civil, pénal, fiscal, la loi régissant les douanes, le décret présidentiel portant code des marchés
publics, et ce, en sus des textes instituant les organes de contrôle (Cour des Comptes, IGF …),
des pactes d’intégrité et autres textes de lois spécifiques, adoptées dans certains pays, et dont
la finalité est de juguler le phénomène de la corruption et de réprimer ses manifestations. En
plus des différentes conventions régionales et internationales contre la corruption, visant
l’harmonisation des normes communes ayant trait aux infractions, ainsi que les mécanismes
de suivi visant l’évaluation de l’effectivité des engagements intégrés dans les instruments
juridiques au niveau des Etats, il y a lieu d’ajouter les clauses anticorruption insérées dans les
contrats portant sur des projets de développement internationaux.
Des institutions de contrôle étatique tel que la Cour des Comptes et l’Inspection Générale des
Finances font partie des instruments gouvernementaux. En parallèle également à la mise en
place de médiateurs dans le cadre de la lutte anticorruption, il y a lieu de relever la création de
différentes instances ou structures, le plus souvent appelées agence ou observatoire, c’est
selon les pays, et autonomes soient-elles ou dépendantes de l’exécutif gouvernemental, elles
sont chargées de mener la guerre au fléau en question à travers notamment le développement
de stratégie et l’institution de mécanismes de contrôle et de répression. Enfin, l’existence des
contre-pouvoirs législatifs tels que les élus de l’Assemblée qui orientent et contrôlent le
budget de l’Etat.
Il est certain que les instruments gouvernementaux normatifs constituent un préalable à la
prévention et à la répression de la corruption, mais faut-il pour autant s’astreindre à attendre si
longtemps pour que cette lutte devienne effective à la faveur de stratégie et de mécanismes
adéquats alors que le phénomène ne continue pas moins de faire des ravages jusqu’à
hypothéquer tout développement économique ?
C’est dire qu’une fois sorti des sentiers
battues de l’affirmation normative de cette lutte anticorruption, la problématique de
l’effectivité de celle-ci et son efficience se pose de manière impérieuse en vue de savoir si les
mécanismes mis en places sont suffisants ou bien faut-il engager une réflexion autour d’un
renforcement par le biais d’outils complémentaires sur le plan opérationnel.
1-2-2/ Les instruments non-gouvernementaux
Les instruments non-gouvernementaux, formulés par de nombreuses organisations qui
travaillent directement sur la question de la corruption ou qui l’abordent indirectement par des
376
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
thèmes proches10, ont également une grande utilité. Les acteurs non-gouvernementaux ou
non-étatiques contribuent considérablement par les initiatives qu’ils prennent à la
sensibilisation de l’opinion publique et les décideurs institutionnels sur la nécessité de mener
la lutte contre la corruption. L’action de ces acteurs est perceptible à différents niveaux, à
savoir international, régional, national et
local ;
elle s’exprime à travers divers cadres
organisationnels, que ce soit de type professionnel (corporatiste, universitaire …), social
(associations et mouvements sociaux), économique (les bailleurs de fonds à l’instar de la
Banque mondiale), commercial (en particulier, les organismes de coopération à l’image de la
Chambre de commerce international « CGI »), ou non-gouvernemental (Diverses ONG, à
l’exemple de Transparency Internationale) ; et enfin cette expression se traduit par un
ensemble
d’instruments
se
déclinant
sous
forme
de
déclarations,
résolutions,
recommandations, principes, valeurs, indices, régles et normes (entre autres exemples : les
codes de conduite, les codes de déontologie et les pactes d’intégrité).
Des instruments suggérés à la sphère politique et aux législateurs pour acquérir un statut légal,
parfois utilisé comme outil de référence aux documents de base pour l’établissement de textes
de lois ou de conventions. Ils peuvent inspirer les gouvernements à prendre des mesures, telle
que la taxe Tobin sur les transactions monétaires internationales ; laquelle à l’origine a été
imaginée en 1972 par le prix Nobel d’économie James Tobin et reprise par la suite par
l’Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens (ATTAC).
Quelle que soit la dénomination donnée à ces instruments, leurs apports se mesurent
concrètement par leurs contributions à la lutte contre la corruption à tous les niveaux et dans
tous les espaces investis par ce fléau. L’impact de ces instruments dépend du caractère qu’ils
prennent (obligatoire, nécessaire, éthique, volontaire), ce qui détermine la place qu’ils
occupent dans la prise de décision face à la corruption. Ces instruments peuvent prendre la
forme de clauses anti-corruption intégrées dans les textes contractuels et même annexées
comme document complémentaire dans des dossiers engageant plusieurs parties, le plus
souvent dans les commandes publiques.
Aussi, les instruments non-gouvernementaux, qui viennent en seconde position après les
instruments gouvernementaux, complétant la législation en vigueur, ne peuvent être efficaces
si les mécanismes institués de jure ne sont pas effectifs et opérationnels dans le cadre d’une
10
L’exemple de l’ONG African Leadership Forum (ALF), ‘‘qui a permis l’élaboration d’un code de conduite
pour les parlementaires et les partis politiques africains’’, donné par l’ONG Transparency International (2002).
377
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
stratégie adéquate et adaptée à l’environnement spécifique des pays. Dans le cas contraire, le
rôle de ces instrument serait plutôt la sensibilisation de l’opinion publique, la classe politique
et l’opposition sur la nécessité d’engager concrètement la lutte contre la corruption afin
d’instaurer un climat favorable, nonobstant l’absence d’une volonté politique en la matière.
Pris dans ce dernier sens, les instruments non-gouvernementaux de lutte contre la corruption
se fixent l’objectif d’instaurer des mœurs conformes à l’éthique ou à la déontologie, normes
sociales, qui indiquent le niveau de la moralité de toutes les catégories des citoyens vis-à-vis
de la corruption, et ce bien qu’a priori l’application des règles de la déontologie ne peut être
assurée sans sanction. A contrario la corruption s’attaque aux fondements de l’Etat de droit,
en violant les droits de l’homme, en entretenant les systèmes d’impunité et en discréditant
l’action politique11.
En fait, aborder la question sous cet angle d’éthique dans le domaine économique, renvoie à
juger la corruption comme étant un problème de gestion. En ce sens, les règles d’éthiques sont
considérées selon P. Meyer-Bisch (1997) ‘‘ par le marché comme des externalités : des
normes extérieures qui régulent ses activités.’’ En effet, le raisonnement qui s’appuie sur des
codes de conduite, de valeurs et règles de l’éthique oriente la lutte contre la corruption vers
l’acceptabilité d’un type de comportements moraux et sociétaux, lui ôtant les contraintes
juridiques. Le non-respect des règles édictées ou tacites de l’éthique n’entraine pas des
poursuites judiciaires, ni des sanctions disciplinaires.
Cependant, la promotion de ce type d’instruments, nonobstant leurs connotations
moralisantes, en tant que stimulants pour le développement de la culture de délation
systématique à l’encontre des personnes impliqués dans des affaires de corruption, est un
impératif incontournable dans la conduite de la mission de prévention et de lutte contre la
corruption. La matérialisation de la lutte contre la corruption n’est-elle pas soumise à cet
instrument d’éthique à but rectificatif s’agissant des mauvaises mœurs socioculturelles et
politico-économiques façonnées par le fléau en question?
11
C. Stückelberger énumère huit principes dans le code contre la corruption et pour la transparence : ‘‘respect
de la dignité humaine ; respect de l’intégrité morale ; promotion de la justice ; promotion de la transparence ;
refus de la corruption ; respect des lois ; droit de dénoncer la corruption et d’y résister ; et priorité de l’intérêt
public sur l’intérêt individuel’’.
378
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
Enfin, il est indéniablement reconnu que ces instruments non-gouvernementaux, découlant
des nombreuses initiatives engagées dans le long processus de la lutte contre la corruption à
tous les niveaux, participent largement à la mise en œuvre des systèmes nationaux
d’intégrités, en contribuant au renforcement des dispositifs en place, et ce, de façon à les
rendre perfectibles, surtout opérationnels pour combattre ce fléau, sur fond de pressions
exercées sur les États pour le maintien de la volonté politique.
1-2-3/ Les instances et organisations internationales
Les nombreuses initiatives multiformes prises dans le cadre de la lutte contre la
corruption émanent souvent des différentes instances et organisations internationales. Nous
allons à titre indicatif présenté quelques unes.
La lutte contre la corruption aux niveaux régional et international repose sur un panel
d’instances internationales, d’initiatives et d’instruments parmi lesquels il convient de citer:
-
Les agences de l’Organisation des Nations Unies qui ont abouti à l’adoption de la
convention des Nations unies contre la corruption. C’est le premier acte universel dans
ce domaine engageant la communauté internationale et sensibilisant les citoyens sur le
fléau de la corruption.
-
L’OCDE qui adopté la convention sur la lutte contre la corruption dans les
transactions internationales, visant dans ses principes directeurs à promouvoir et à
faciliter la contribution des entreprises dans la lutte contre la corruption.
-
La convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption et
les infractions (connexes) qui y sont assimilées, qui tend vers le renforcement de la
gouvernance et la mise en place d’une coopération dans ce domaine entre les pays.
-
Le programme global et la convention de l’Union européenne qui a commencé avec
celle de la protection des intérêts économiques et l’ensemble des textes (conventions,
protocoles, recommandations et principes directeurs) et procédures traitant de la
question de la corruption.
-
L’Organisation des Etats américains qui a adopté la convention interaméricaine contre
la corruption visant à promouvoir et renforcer les mécanismes de prévention, de
détection, de sanction et à coordonner la lutte anticorruption au niveau des Amériques.
-
L‘organisme intergouvernemental, Groupe d'Action Financière (GAFI), qui collabore
avec d'autres organismes internationaux engagés dans cette même lutte, poursuit
comme objectif la promotion des politiques de lutte contre le blanchiment des capitaux
379
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
et le financement du terrorisme et s’inscrit aussi dans la ligne de la lutte
anticorruption.
-
Les règles de transparence émises aux fin de limiter les occasions de corruption dans
le cadre des engagements pris en vertu des principes de l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC), sans pour autant que ces règles ne soient directement intégrées
dans le processus des négociations la lutte contre le blanchiment d’argent et la
corruption internationale.
-
Les recommandations, résolutions émanant des groupes de travail des Etats du G20
consacrées à la lutte contre la corruption et les crimes connexes à ce fléau.
-
Les programmes lancés par le Fonds Monétaire Internationale (FMI) dans le cadre du
processus dédié à la lutte contre la corruption.
-
Les travaux réalisés, les recommandations et les sanctions élaborées par la Banque
mondiale qui accorde une grande priorité à la lutte anticorruption.
Le FMI et la Banque mondiale se sont particulièrement engagés, en tant que bailleurs de
fonds, dans la lutte contre la corruption se traduisant par un ensemble de mesures et
programmes mis en œuvre à partir de 1990, avec notamment la promotion de la bonne
gouvernance, la protection des humains et le soutien aux processus démocratiques. Par la
suite, ces deux organismes ont adopté des dispositions franches en faveur de la lutte contre la
corruption. En 2001, la Banque mondiale a donné de la substance à cette lutte, et ce, en
oeuvrant pour la création d’un institut multidimensionnel avec comme mission de combattre
la corruption, en développant une stratégie en vue de promouvoir le concept de bonne
gouvernance au sein des pays emprunteurs et enfin en affectant des aides pour le
renforcement des actions menées dans le cadre de la lutte anticorruption
La dynamique de lutte contre la corruption émane aussi des organisations non
gouvernementales. Ces organisations de la société civile jouent un rôle de première
importance dans l’élaboration des instruments, des programmes de conscientisation de
l’opinion et l’évaluation de l’effectivité des engagements pris par les pouvoirs publics.
L’ONG Transparency Internationale, fondée en 1993, se présente comme la référence en
matière de lutte anticorruption dans le monde en ce sans qu’elle a le mérite d’avoir impulsé un
débat international autour de la problématique de la corruption et su se placer, grâce à son
influence, à l’avant-garde des organisations spécialisées dans la lutte anticorruption au niveau
mondial. L’organisation la Sherpa, créée en 2001, qui s’est fixé l'objectif de protéger et
défendre les populations victimes de crimes économiques, en particulier celui des biens mal
acquis des dictateurs d’Afrique, œuvre énormément dans la même optique, en travaillant en
380
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
étroite collaboration avec de nombreuses organisations de la société civile à travers le monde.
Des coalitions d’ONG contribuent aussi à la lutte contre la corruption à l’exemple de celle
« publiez ce que vous payez », lancée en 2002.
Le processus de mondialisation a favorisé les grandes transformations économiques et
technologiques et accéléré la globalisation des obstacles de la corruption, lequel contexte a
rendu propice l’engagement des Etats à lutter contre la corruption. L’émergence d’une
multitude de stratégies ne doit se suffire du cadre normatif, ni même se priver d’apporter des
améliorations au cadre existant. La lutte contre la corruption au niveau international ne fait
que commencer.
La question qui reste pendante aujourd’hui pose la problématique de l’efficacité de cette lutte,
quant aux possibilités de repousser ses limites et de contourner les obstacles auxquels elle fait
face. Aussi, afin de dépasser le stade de campagne internationale de sensibilisation face aux
effets de la corruption, l’exigence d’une évaluation globale et objective de l’ensemble des
stratégies et mécanismes institués pour la lutte contre la corruption s’impose dans le but de
rendre cette lutte plus efficace, en définissant davantage ses contours et en recentrant le débat
également sur le rôle de l’Etat et ses attributs d’acteur principal de la régulation sociale.
SECTION II : La lutte anticorruption en Algérie
L’engagement de la communauté internationale dans la lutte contre la corruption n’a
pas laissé à la marge les pays en développement. Elle en a fait même sa la préoccupation
prioritaire depuis l’intégration de la corruption comme fléau entravant le développement
économique, social et politique des pays en développement. En l’identifiant ainsi, dans ces
pays où la corruption est cataloguée comme un phénomène banalisé, chose courante qui
relève du quotidien de ces sociétés, il s’agit de trouver la réponse à la question pertinente de
savoir quel impact auront les mécanismes institués à l’effet de mener cette lutte et les
stratégies mises en œuvre dans la perspective de faire face à un environnement sociopolitique,
économique et culturel favorable à l’émergence des pratiques de la corruption.
L’analyse de l’état de « rémission » ou d’aggravation du fléau de la corruption en Algérie,
mal qui range profondément aussi bien les institutions que la société, avec des manifestations
autant multiples que complexes ayant des ramifications jusqu’à l’international, pourrait nous
livrer – même de façon esquissée – des réponses à certaines de ces interrogations. Cependant,
nous pouvons d’emblée avancer que la lutte contre la corruption en Algérie ne peut être
381
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
appréhendée sans tenir compte de la nature du régime en place. Un régime de clans,
autoritaire, rentier, clientéliste, patrimonialiste qui dispose des richesses du pays et qui pour
sauvegarder sa mainmise fonctionne par la corruption dans son mode de gouvernance, à
travers des procédés opaques et des jeux de rôles secrets entre les différents intervenants dans
les sphères économiques et politiques.
Un régime d’apparence, appliquant la politique de deux poids deux mesures, qui opte pour
une façade de transparence en ‘‘harmonisant’’ les lois de la lutte contre la corruption, un fait
destiné à la consommation de la communauté internationale. Dans ce sens, le recours à la
dénonciation de la corruption a été souvent utilisé comme arme dans la lutte des clans pour
condamner ou discréditer la composante d’un clan écarté du régime. Une lutte sélective, qui
cible et permet l’instrumentalisation politique, perçue comme un instrument de chantage. Le
paradoxe de la gestion des affaires de l’Etat par la corruption caractérise l’ambiguïté des
politiques qui s’imposent aux institutions étatiques dans le cadre de la conduite de la lutte
contre la corruption.
Face à l’implication prépondérante de l’appareil de l’État (dans le processus
d’institutionnalisation de la corruption) dans les plus grandes affaires de corruption ayant
éclaboussé les institutions du pays, plaçant l’Algérie dans la catégorie des États criminels
selon la classification donnée par J. Darne (2001) à travers l’exemple de la Russie, quelle
sera l’orientation des objectifs de la lutte contre la corruption ? Quelles sont les institutions
mises en place ? Et quels sont les types de réformes ou de mécanismes engagés par Algérie ?
Alors que l’efficacité de la lutte contre la corruption, ce mal profondément ancré dans
l’appareil de l’Etat et les pratiques sociétales, exige une articulation d’un ensemble d’acteurs
multidisciplinaires et indépendants, qui agiraient en toute autonomie et liberté dans un cadre
démocratique. Toujours est-il que cette projection ne peut concrètement aboutir à une lutte
efficace contre la corruption en l’absence d’une stratégie.
En effet, il ressort des résultats du sondage, enregistré au niveau de notre enquête,
qu’en moyenne la majorité, soit 79,4% des enquêtés en général, 80,71% de ceux du secteur
économique, 72,79% de ceux du secteur administratif et à 86,72% pour ceux des entreprises
privées considèrent que l’Algérie ne dispose pas d’une stratégie de lutte contre la Corruption,
comme représenté dans le graphe ci-dessous. Les enquêtés argumente cette appréciation par le
l’absence de volonté politique et de cadres démocratiques, la non séparation des pouvoirs,
l’instrumentalisation de la corruption par ceux qui dirigent le régime, assurant la stabilité du
pouvoir en place, l’absence de contrôle et de transparence, la propagation de l’impunité et la
faiblesse des sanctions judiciaires, un moyen de chantage et de rendement des comptes entre
382
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
les différents clans au pouvoir, l’incompétence de la classe politique
politique et l’inexistence de
stratégies et de programmes de lutte contre la pauvreté.
Figure n° 32 : Graphe combinant les taux des réponses à la question pourtant sur l’existence d’une stratégie
de lutte contre la corruption en Algérie.
90,00%
80,00%
70,00%
60,00%
50,00%
40,00%
30,00%
20,00%
10,00%
0,00%
Oui
Non
Source : résultats de l’enquête.
La lutte contre la corruption, motivée généralement par les aspects d’éthique, s’inscrit
dans une stratégie de changement dont les objectifs sont à la fois économiques et politiques.
Ces deux objectifs sont associés ou intégrés dans les programmes
programmes et les logiques des réformes
inscrites dans le cadre de l’amélioration de la gouvernance. À cet effet, les politiques prônées
en matière de lutte contre la corruption en Algérie nécessitent qu’elles soient adaptées au
contexte spécifique et l’environnement
l’environnement relatif à la qualité de la gouvernance. Une
gouvernance intégrant les différentes dimensions et tous les secteurs confondus à travers
l’action de l’Etat délimitant son fonctionnement dans le cadre des politiques publiques,
économiques et sociales.
La lutte contre la corruption, à travers les différents mécanismes et instruments d’intervention
de l’Etat aux niveaux macro et microéconomique, permettrait d’amoindrir les effets négatifs
et excessifs entravant le fonctionnement de l’économie nationale, en éliminant les surcoûts et
les restrictions bureaucratiques bloquant les investissements concurrentiels, et ce, d’autant
plus qu’il faille relever les défis d’une économie mondialisée, une condition indispensable à la
réalisation d’une croissance économique
économ
durable.
383
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
Le rôle de l’Etat dans la lutte contre la corruption est consubstantiel à son objectif politique
qui consiste en la mise à niveau des institutions indispensables au fonctionnement normal des
politiques économiques publiques notamment en matière de la gestion saine et transparente
des finances publiques et du respect des normes garantissant l’Etat de droit. D’une manière
explicite, ce rôle se doit de séparer les intérêts privés de la sphère publique des institutions de
l’Etat, ce qui va permettre le renforcement de son action et d’assurer une efficacité qui
constitue une condition à la stabilité du cadre général de l’Etat et à l’assurance de la cohésion
sociale.
La lutte contre la corruption inscrit aussi parmi ses objectifs les changements à porter sur
l’échelle des valeurs sociétales et des mentalités en contradiction avec l’éthique, fragilisant les
fondements de la démocratie au point de devenir le premier problème politique par l’ampleur
nouvelle causée par l’expansion de la corruption politique. Pour atteindre cet objectif,
l’instauration de la bonne gouvernance est un des moyens à privilégier. L’élaboration des
normes et de mécanismes institutionnels favorables au développement des pratiques de la
bonne gouvernance permettra de prévenir et d’assurer une grande protection des pratiques et
des risques de la corruption.
Les solutions pour lutter contre la corruption sont nombreuses dont quelques unes qui seront
évoquées découlent des normes et méthodes internationales pertinentes en matière de lutte
contre la corruption. En Algérie, les normes juridiques portant sur la lutte anticorruption ne
constituent pas une nouveauté, elles ont une présence régulière à travers les institutions mises
en place et les nombreuses réformes engagées à la faveur des changements politiques,
cycliques, touchant au cœur des politiques publiques, à l’instar de l’opération de la
moralisation de la gestion du secteur public qui s’est soldée par l’emprisonnement de
centaines de cadre gestionnaires.
2-1/ Des institutions et instrument de lutte contre la corruption
L’Algérie, à l’instar des pays en développement, a mis en place plusieurs instruments
et institutions dans la perspective de la lutte contre la corruption. Seulement, ces mécanismes
n’obéissent dans leur fonctionnement à aucune stratégie préalablement arrêtée selon les
besoins de la mission et puis encore les institutions de contrôle n’impulsent aucune politique
préventive en matière de lutte contre a corruption. Les diverses institutions et instruments de
contrôle et de lutte contre la corruption ne disposent pas d’autonomie, ni même des moyens
humains et matériels appropriés pour l’accomplissement de leur missions. La consécration de
384
CHAPITRE VII : Stratégies et politiques face au phénomène de la corruption
la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice dans la constitution ne constitue
pas un rempart contre l’instrumentalisation, dans le sens où cette constitution même est
souvent violée par le régime en place – auquel est dévolue pourtant la charge de la faire
respecter – et cet état de fait ne peut, par conséquent, que perturber le fonctionnement normal
des institutions de contrôle qui se trouvent otages des tenants du pouvoir.
Le caractère de l'indépendance du système judiciaire est consubstantiel à l'Etat de droit. Cette
indépendance, qui implique la réalisation d’un ensemble de conditions garantissant le libre
arbitre du juge, met en fait le magistrat à l’abri des influences et des pressions qui peuvent
s’exercer sur lui à partir de diverses sources (institutions, corps politique, société, groupe
d’intérêts …) et lui permet donc d’accomplir sa mission suivant sa conscience et sa
compétence, dans le seul cadre de la loi, de l’étique et de l’équité. Il s’agit d’un acte
d’affranchissement qui habilite le magistrat pour rendre une justice, la même, pour tout le
monde.
En Algérie, les institutions de contrôle des différents pouvoirs sont sous l’emprise de
l’exécutif. Les critères de nomination et, par ricochet, la nature de la composante de ces
organes de contrôle sont loin d’être en accord avec la noblesse des objectifs assignés et
partant de là on ne peut que présumer de l’inefficience et de l’inconséquence de ces organes.
Aussi, l’exécutif, n’étant que l’instrument d’un pouvoir informel, les missions de contrôle se
trouvent détournées et dénaturées suivant les orientations et injonctions des décideurs avec à
la clé la situation où :
-
Le parlement auquel échoit de larges prérogatives de contrôle se trouve relégué au
rang de simple chambre d’enregistrement dès lors où d’une part les parle
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