2. Développement durable et environnement naturel 2.1. De la gestion des ressources naturelles à l’économie de l’environnement : le rôle des « défauts » du marché 2.1.1. Ressources naturelles/environnement/ économie de l’environnement : éléments d’analyse a. Les ressources naturelles Ø Définition : Les ressources naturelles désignent les biens non issus des processus de production humains, mais qui répondent néanmoins à une demande de leur part et qui disparaissent lors de leur utilisation è contraintes particulières qui pèsent sur l’offre et la demande de ces biens et marquent la formation de leur prix de marché. Ø Caractéristiques de l’offre - Certaines ressources naturelles sont en quantité importante, au moins localement, ou bien se renouvellent rapidement sans intervention humaine. Elles ne nécessitent pas une gestion particulière (au moins pour le moment), c'est le cas de l'eau de mer, de la lumière du soleil. - D'autres ressources naturelles sont irréversiblement extraites, telles le minerai, ou bien ont une vitesse de renouvellement très lente (forêts, ressources halieutiques), ce qui complique leur gestion. Lorsque cette gestion est en propriété privée des inefficacités peuvent apparaître. En effet, de nombreuses ressources naturelles sont exploitées de façon privative. C'est le cas général des ressources minérales, des forêts privées, des sols utilisés pour l'agriculture, de nombreuses sources d'eau, des réserves ou territoires de chasse privés. Ces ressources peuvent ne pas être à une seule personne, mais à une communauté réduite qui la gère collectivement. Un producteur disposant de ces ressources devrait être capable de les gérer de façon convenable en prenant en compte leur épuisabilité. Dans la pratique ce n'est pas forcément le cas, en particulier dans les cas suivants : - Les agents peuvent valoriser le présent de façon excessive et utiliser leur ressource trop intensivement. En économie on parle de préférence pour le présent. Si elle est très élevée, l'agent va vouloir du revenu immédiatement. La préférence pour le présent, peut être artificiellement importante si l'agent dispose de revenus si faibles qu'utiliser sa ressource est une question de survie. - L'information sur l'irréversibilité des actions ou la vitesse de renouvellement des ressources peut ne pas être disponible. C'est en particulier le cas pour les sols ou pour les énergies fossiles pour lesquelles les gisements sont connus par exploration. - L'État peut intervenir en subventionnant certaines activités qui requièrent des ressources naturelles. Par exemple il est fréquent que l'État subventionne l'agriculture, favorise la surproduction ce qui a pour conséquence un usage trop intensif des sols. C'était le 1 cas avec la politique agricole commune de l’Union européenne fondée sur des prix garantis élevés servant à soutenir le revenu des agriculteurs. Ø Caractéristiques de la demande Au niveau de la demande il est également possible qu'il y ait des inefficacités du même type que celles que l'on vient de décrire au niveau de l'offre (valorisation du présent, information, rôle de l’Etat), et qui conduisent à une surconsommation des biens produits à partir de ressources non renouvelables. Par exemple le solaire thermique devrait être beaucoup plus utilisé, une diminution de la vitesse des voitures permettrait une baisse conséquente de la consommation de carburant, pour peu que les conducteurs sachent ce que cela leur rapporte. Les différences d'efficacité d'utilisation de l'énergie peuvent être importantes, à niveau de richesse égal. Par exemple les habitants des États-Unis utilisent beaucoup plus d'énergie que les Européens pour des usages identiques en raison d'une inefficacité importante (de l'isolation des maisons, des engins à moteurs). En France, dans les années 1970 et 1980 l'État a désinformé les ménages en mettant en avant le chauffage électrique alors qu'il est très coûteux pour les ménages, afin d'avoir une demande d'électricité justifiant le programme nucléaire. Ø Ressources renouvelables ou non renouvelables (= épuisables) : « capital naturel » et conséquences en termes de « soutenabilité » Les ressources naturelles sont intégrées dans la croissance économique sous la forme d’un facteur de production substituable au capital artificiel : le capital naturel. Rappel • La production consiste à transformer des ressources naturelles et des biens (les consommations intermédiaires) en d’autres biens (le produit final), en créant au passage de la valeur ajoutée. Cette valeur ajoutée est obtenue grâce à la combinaison technique de facteurs de production, travail et outils de production (capital). Corollaire : sil y a épuisement des ressources, le processus de production devient impossible • Les différents types de capital : 1. Le capital physique. L’accumulation des biens d’équipement: principal facteur de croissance mis en avant par les économistes (Solow) : - Capital matériel (ordinateur) ou capital immatériel (logiciel) - Facteur accumulable car pouvant être produit. Chaque année, une partie de la production est consacrée à la fabrication de biens d’équipement –> Fraction de la production qui n’est pas consommé (épargne) - Question: L’accumulation du capital physique est-elle infinie? 2 2. Le capital humain. Accumulation centrée sur les connaissances (Schumpeter, Romer) 3. Le capital naturel. Ressources finies, non renouvelables, épuisables (la terre /ressources énergétiques...) ou renouvelables. Peut constituer une limite à la croissance Si l’on considère qu’il est important qu’il n’y ait pas de décroissance du capital global entre les générations ; peu importe la forme du capital que l’on laisse aux générations futures (baleines, arbres, machines ou matière grise), pourvu que l’on transmette au moins autant si ce n’est plus de capital que l’on a reçu. - Sous l’hypothèse de soutenabilité faible, les biens environnementaux ne méritent pas d’attention particulière. L’épuisement total d’une ressource naturelle ne pose pas de problème particulier dès l’instant où sa raréfaction est compensée par l’augmentation d’une autre composante du stock total de capital (capital humain, capital physique) è règle de Hartwick : les rentes issues de l’exploitation d’une ressource naturelle devraient être investies dans des actifs reproductibles capables de se substituer aux inputs en ressources naturelles dans la fonction de production. - La soutenabilité forte refuse l’idée de substituabilité parfaite entre les différentes formes de capital en faisant remarquer que le capital naturel assure aussi des fonctions extra économiques è nécessité de maintenir dans le temps un « stock de capital naturel critique ». Selon le point de vu retenu, une intervention étatique peut être nécessaire pour limiter, organiser l’exploitation des ressources naturelles. b. Environnement / économie de l’environnement Ø L’environnement L'environnement au sens d'environnement naturel qui entoure l'homme s'est développé dans la seconde moitié du XXe siècle. Le mot environnement est à différencier du mot nature. La nature désigne l'ensemble des éléments naturels considérés seuls, alors que la notion d'environnement s'intéresse à la nature au regard des activités humaines, et aux interactions entre l'homme et la nature. Ces biens ou ces actifs naturels rendent des services à l’homme en entrant : - dans la fonction d’utilité des consommateurs comme l’air pur ou les aménités procurées par un paysage, qui peuvent être altérés par les pollutions, les déchets,.. - et dans la fonction de production comme les matières premières, les ressources énergétiques, les réserves de ressources naturelles ou leur fonction d’assimilation des déchets. Mais, lors de ses activités, l’homme « détruit ces actifs naturels è la notion d'environnement englobe aujourd'hui l'étude des milieux naturels, les impacts de l'homme sur l'environnement et les actions engagées pour les réduire. 3 Ø La frontière qui séparait l’économie des ressources naturelles (avec l’étude des modalités de prélèvement sur les ressources naturelles renouvelables et épuisables) et l’économie de l’environnement (avec l’étude de l’impact des pollutions sur le bien-être) s’est progressivement estompée. L’économie de l’environnement puise ses fondements dans les résultats de l’économie du bien-être et de la gestion des ressources naturelles. Les fondements de l’analyse sont plutôt microéconomiques ; l’objectif étant d’aboutir à la détermination d’un optimum paretien. Les problèmes s’inscrivent dans la recherche d’une allocation optimale des ressources environnementales entre les agents en fonction de leurs préférences. Rappel : dans l’analyse économique, le libre fonctionnement du marché est censé conduire l’économie dans un état optimal (au sens de Pareto) caractérisé par le fait qu’il devient impossible d’améliorer la situation d’une personne sans détériorer celle d’une autre. Comme cette situation peut être remise en question en présence de pollution, d’exploitation intensive de certaines ressources, la théorie cherche alors à fournir les outils nécessaires au rétablissement d’un optimum économique. L’économie de l’environnement est abordée à la fois à travers l’exploitation des ressources naturelles et leur transmission comme capital, et les externalités sur l’environnement issues des défaillances du marché et leur internalisation. 4 2.1.2. Les défaillances du marché et les externalités a. Eléments généraux Ø Le succès d’une économie dépend du bon fonctionnement du marché qui transmet par l’intermédiaire des prix la rareté relative des différentes ressources. Or ce mécanisme peut ne pas jouer è défaillances du marché : - Une consommation d’environnement trop élevée (trop d’arbres abattus, trop de poissons capturés, trop d’effluents versés dans les cours d’eau) révèle une défaillance du marché qui n’est pas capable de signaler une rareté croissante de la ressource. - La sous (mauvaise)-estimation des ressources naturelles et plus largement des biens environnementaux, (comme le prix du bois brut qui ne reflète pas la valeur des fonctions écologiques et climatiques des forêts ou comme la valeur des zones humides qui n’inclut pas une valeur écologique et hydrologique,..) montre que le marché reçoit des signaux inadaptés. Ce défaut de tarification constitue une cause importante de détérioration et de gaspillage des ressources. - Une attitude de passager clandestin dont le comportement individualiste conduit à une sous-déclaration de son intérêt pour un bien environnemental exprime également une défaillance du marché. Ø Définition On désigne par « externalité » ou « effet externe » le fait que l'activité de production ou de consommation d'un agent affecte le bien-être d'un autre sans qu'aucun des deux reçoive ou paye une compensation pour cet effet. Une externalité présente ainsi deux traits caractéristiques : - d'une part, elle concerne un effet secondaire, une retombée extérieure d'une activité principale de production ou de consommation. - d'autre part, l'interaction entre l'émetteur et le récepteur de cet effet ne s'accompagne d'aucune contrepartie marchande. Une externalité peut être positive ou négative selon que sa conséquence sur le bien-être est favorable ou défavorable. Externalité négative Externalité positive A (auteur) N’a pas à payer N’est pas compensé B (affecté par l’action de A) N’est pas compensé N’a pas à payer 5 La pollution sous toutes ses formes est un exemple typique d'externalité négative : lorsqu'une usine rejette des déchets dans l'environnement, elle inflige, sans contrepartie, une nuisance aux habitants de la région. L'encombrement dû à la circulation automobile est un exemple d'externalité négative réciproque. Ø Correspondance avec le concept de « bien public » Caractéristiques d’un bien public : - indivisibilité (ou non rivalité) : il est possible de le consommer plusieurs fois sans le modifier et la consommation d’un bien par une personne ne diminue pas la quantité disponible pour les autres consommateurs è elle est « non rivale » de celle des autres consommateurs è le coût marginal engendré par le consommateur supplémentaire est nul (exemple : l’éclairage public, la qualité esthétique d’un paysage qui peut être appréciée par de nombreux individus, .. ). - non exclusivité (ou non exclusion) : le fournisseur ou le propriétaire d’un bien ne peut en réserver l’utilisation seulement à ceux qui sont disposés à payer ; ou on constate une impossibilité théorique ou contingente de définir des droits d’usage exclusifs. Et inversement, il n’est pas possible de se soustraire à la consommation de ce bien. Les biens publics sont toujours associés à des externalités (positives ou négatives). Un agent qui produit un bien public en fait bénéficier les autres agents et la consommation ne peut pas passer par un marché, vu le caractère de non exclusion de ce bien. - Dans le cas d’une externalité positive chaque agent a intérêt à consommer du bien public sans contribuer à son financement è risque de stratégies égoïstes, « passager clandestin » = les personnes ne sont pas incitées à contribuer au financement des biens publics puisqu’elles savent ne pas être exclues de leur utilisation une fois qu’ils ont été produits. - Dans le cas d’une externalité négative (= une pollution globale comme c'est le cas pour les émissions de dioxyde de carbone créant l'effet de serre), chaque pays a intérêt à ce que les autres pays diminuent leurs émissions et à ne rien faire lui-même, et plus les autres pays diminuent leurs émissions, moins les combustibles fossiles sont chers et plus il a intérêt à en consommer. Mais une externalité peut être ou pas indivisible : - Externalité « indivisible »ou « non rivale ». Exemples : les nuisances en termes d’odeurs issues d’une décharge d’ordures s’imposent à tous les habitants d’un quartier. - Par contre, externalité « divisible » ou « rivale » : lorsque des sacs en plastiques issus de la décharge, atterrissent dans un jardin, ils ne tombent pas dans le jardin voisin. On retiendra le concept d’externalité comme le plus général, celui qui permet de traiter de questions relatives aux ressources naturelles (sur-exploitation ou mauvaise gestion) et à l’environnement (non prise en compte en particulier des « atteintes » à l’environnement) - défaillances du marché de même nature auxquelles il faut remédier. 6 b. Le concept d’externalité dans la littérature économique : quelques exemples fondateurs Ø A l’origine : Arthur Pigou (1932, 4ème édition, The economics of welfare, 1ère édition , 1920)) Une externalité correspond à une situation où : « une personne A, en même temps qu’elle fournit à une personne B un service déterminé pour lequel elle reçoit un paiement, procure par la même occasion à d’autres personnes, des avantages ou des inconvénients d’une nature telle qu’un paiement ne puisse être imposé à ceux qui en bénéficient, ni une compensation pour ceux qui en souffrent ». Définition qui insiste sur le caractère hors marché de l’effet externe (extérieur à l’échange marchand) qui peut être positif ou négatif. L’exemple initialement donné par Pigou est celui - externalité négative- de la locomotive à vapeur (le train servant au transport des voyageurs et des marchandises) qui déclenche sur son passage des incendies détruisant les récoltes ou les forêts ; d’où un préjudice pour des personnes ne participant pas à l’échange du service ferroviaire. Cette externalité négative est bien illustrée aujourd’hui par la pollution : si A est une usine fabriquant des produits chimiques pour B, et si, lors de l’activité de production, les émanations des cheminées de A sont susceptibles de rendre les cultures de l’agriculteur riverain impropres à la consommation. Ø James Meade, 1952, The theory of economic externalities : the control of environnemental pollution and similar costs : les externalités pécuniaires Est surtout connu pour sa « fable » de l’apiculteur : un apiculteur profite de sa proximité avec un arboriculteur, et réciproquement. Les abeilles de l'apiculteur pollinisent les arbres de l'arboriculteur qui font des fruits et les arbres de l'arboriculteur nourrissent les abeilles avec le nectar et le pollen. Il s'agit d'un effet bénéfique croisé involontaire entre les deux activités. Sa définition : « une économie (ou déséconomie) externe est un phénomène qui apporte un bénéfice appréciable (ou inflige un préjudice significatif) à une ou plusieurs personnes qui n’ont pas été parties prenantes du processus de décision qui a abouti directement ou indirectement à l’effet produit ». Externalités dites pécuniaires = l’interaction entre les agents passe par les prix. En effet : l’apiculteur profite de la proximité de l’arboriculteur et obtient un miel de meilleure qualité qu’il peut vendre plus cher, mais l’arboriculteur n’est pas payé pour ce service ; lui, de son coté, profite gratuitement de la pollinisation de ses arbres, améliorant ses rendements sans avoir à recourir à des méthodes coûteuses è économies de coûts de production. Ø David Pearce (1976) : externalités statiques / dynamiques Externalités statiques : spécifiques, localisées, réversibles. Externalités dynamiques ; effets prolongés sur l’environnement (altération de la couche d’ozone, renforcement de l’effet de serre…) caractérisés par leur globalité, leur irréversibilité et leur complexité. 7 Ø William Baumol et W. Oates (The theory of environmental policy, 1988) : externalités privées / externalités publiques Les externalités publiques caractérisent les effets externes non rivaux = pour lesquels le préjudice subi (ou le bénéfice retiré) par un agent ne diminue pas les nuisances subies (ou les bénéfices retirés) par un autre agent è exemple déjà vu des nuisances en termes d’odeurs d’une décharge. Les externalités privées caractérisent les effets externes « rivaux » = divisibles è exemple déjà vu des sacs de plastiques issus de la décharge 2.1.3. L’internalisation des effets externes Les externalités sont les effets (principalement négatifs dans le cadre de l’économie de l’environnement) d’une action sur d’autres parties lorsque ces effets n’ont pas été pris en compte par l’auteur de l’action. Ces effets n’ont pas donné lieu à échange ou à compensation monétaire. Comment les prendre en compte ? En internalisant les effets externes = faisant émerger un signal-prix incitant les agents à modifier leur comportement. L’internalisation des effets externes passe, d’un point de vue économique par deux grandes possibilités : - soit, comme le préconise Pigou, « on » instaure une taxe administrative, soit, comme le préconise Coase ou Dales « on » crée les conditions d’une négociation bilatérale entre émetteur et victime de l’externalité. Dans les deux cas, l’environnement se trouve intégré dans la sphère marchande et l’intensité de son utilisation sera fonction de son prix, administré ou de marché. a. Pigou et le principe du pollueur-payeur1 Pour Pigou, l’externalité, positive ou négative, est analysable en termes de divergence entre le coût privé et le coût pour la collectivité ou coût social ; cet écart fait que l’on ne se trouve pas dans une situation Pareto-optimale. Toute activité économique a un coût. L’ensemble des coûts imposés par une activité à la collectivité constitue le coût social. Une partie ou peut-être l’ensemble de ce coût social est compensé par les paiements effectués par l’agent à l’origine de l’activité (coût des matières premières, du capital, coût du facteur travail). : ce sont les coûts privés D’autres coûts peuvent être imposés à d’autres agents sans qu’un paiement serve de compensation (le feu aux récoltes, les émanations de fumées toxiques, la rivière polluée, …autant d’évènements qui entraînent toute une série de coûts = perte de récoltes, impossibilité de consommer les produits agricoles, impossibilité de consommer l’eau, problèmes de santé, épuisement des ressources naturelles ..) 1 C’est le mode d’internalisation développé par Pigou (1920) qui sert de fondement théorique au principe pollueur-payeur énoncé par l’OCDE en 1972 et repris en France 2008 8 Ces coûts sans compensation pécuniaire peuvent néanmoins être évalués monétairement. Dès lors, si ces coûts sont pris en compte dans la somme des coûts qui déterminent le coût social, celui ci se révèle être bien supérieur au coût privé. coût marginal social prix coût marginal privé externalité P’ P S’ D S Q’ Q quantités produites Soit une activité industrielle de production, sur un marché de concurrence parfaite, le prix et la quantité produite sont, à l’équilibre, P et Q. Supposons que des coûts non compensés sont infligés par cette production à d’autres agents è le prix de marché ne reflète pas la totalité des coûtsè Q est un équilibre fictif. Le coût privé de production doit être augmenté de ces éléments de coût social non pris en compte è déplacement de l’offre S en S’, soit le passage du coût marginal privé au coût marginal social. La prise en compte de ces coûts, le fait de combler l’écart entre coût social et coût privé, correspond à l’internalisation de l’externalité négative, et entraîne la détermination d’un nouveau prix P’ > P, pour une quantité produite inférieure Q’ < Q è retour à une situation Pareto-optimale. En Q il y « surproduction » = au-delà de ce qui est socialement admissible, et mauvaise allocation des ressources Pour Pigou, une externalité est un coût social non compensé, c’est-à-dire imposé à des tiers, en dehors de toute transaction volontaire et la modalité d’internalisation de l’externalité consiste à faire payer une taxe à l’émetteur de la nuisance, taxe dont le montant est égal à la différence coût social-coût privé è 9 l’internalisation de l’externalité, phénomène hors-marché, se traduit par un paiement supporté par l’émetteur = prix de la nuisance è le prix du bien = coût marginal social = coût privé+ la taxe. Pour Pigou, l’internalisation des effets externes négatifs se fera en instaurant une taxe unitaire pour atteindre le niveau optimal de pollution. Si l’on reprend l’exemple d’origine, pour Pigou, la taxation de la compagnie de chemins de fer, dont les locomotives à vapeur sont à l’origine d’incendies, en l’amenant à diminuer la fréquence des trains, permettra de diminuer les dommages è on voit apparaître l’idée d’un « optimum » quelque part entre le niveau élevé de dégâts en l’absence de toute procédure d’internalisation et le niveau zéro de dégâts qui supposerait la suppression du chemin de fer. En étendant le raisonnement à des situations plus contemporaines : la taxe est un paiement effectué sur chaque unité de pollution déversée. On fixe ainsi un coût aux émissions polluantes et le pollueur qui, dans le cadre de l’analyse classique recherche la maximisation de son profit, va arbitrer entre payer la taxe ou investir dans la dépollution. La taxe représente en quelque sorte le prix à payer pour l’utilisation de l’environnement, et plus elle est élevée, plus les pollueurs seront incités à dépolluer pour ne pas avoir à la payer. Ce principe sert de base aux différents outils d’une fiscalité environnementale (è intervention de l’Etat). Il pose le problème de la quantité optimale de pollution à retenir par confrontation du coût de dépollution et du dommage de pollution. Problèmes soulevés : - la taxe n’est pas reversée pour compensation à la victime de l’externalité, ce qui serait nécessaire pour que la « solution pigouvienne » soit optimale au sens de Pareto. Si l’on veut que le produit de la taxe compense effectivement la perte de bienêtre subie par la victime, il faut qu’une négociation bilatérale entre l’émetteur de l’externalité négative et la victime puisse s’engager. - le pollueur est-il clairement identifiable ? b. Ronald Coase, John Dales , droits de propriété, marchandage et marché de droits à polluer2 Ø Coase (1960), négociation bilatérale (marchandage), droits de propriété Pour Coase, qui critique la solution de Pigou car elle est unilatérale, l’internalisation d’effets externes ne peut être effectuée que lors d’une négociation (un marchandage) entre émetteur et victime3 è a priori, pas d’intervention étatique Condition essentielle : la nullité des coûts de transaction (en l’occurrence, d’organisation de la négociation) ; ce qui est peu probable. 2 Le marché des droits à polluer est à attribuer à Dales (1968). Une des principales critiques à l’idée du marchandage a été émise par Hans Jonas et son principe responsabilité : un marchandage est-il possible avec les générations que nous ne connaitrons pas ? 3 10 Pour Coase, la négociation bilatérale aboutit à deux variantes symétriques : - variante 1 : l’émetteur de l’externalité négative verse une indemnité compensatoire à la victime pour les dommages subis du fait du maintient de son activité. - variante 2 : la victime potentielle verse une somme susceptible de dissuader l’émetteur de se livrer à cette activité nuisible Le théorème de Coase : dans l’un et l’autre cas, le point d’équilibre de la négociation est déterminé par le montant que chacun accepte de recevoir et/ou de payer ; ce point est un optimum (de pollution) au sens de Pareto. Du point de vue de la recherche du niveau optimal de pollution, ces deux solutions sont équivalentes. Comment s’établit le choix de l’une ou l’autre des variantes au cours de la négociation ? Selon Coase, cela dépend de l’allocation initiale des droits de propriété. Dans le cas d’une pollution issue de A et touchant B : - si A possède les droits de propriété sur l’environnement, alors B, la victime, doit le dédommager pour l’empêcher de continuer son activité polluante ; - si B possède ces droits, A doit compenser les dommages subis par B. Cette solution n’implique, a priori, aucune intervention de l’État, si ce n’est la dévolution des droits de propriété. Ø Dales (1968), l’échange de droits de propriété Pour Dales, les externalités sont essentiellement dues à l’absence ou à la mauvaise définition des droits de propriété sur les biens. En particulier les « biens environnementaux » (l’air, l’eau..) sont souvent considérés comme des biens « libres », non appropriés et donc non économiques. Pour d’autres biens, les droits de propriété sont « atténués » : particulièrement les biens publics, consommés par tous sans « rivalité » et sans « exclusion ». Si des droits de propriété exclusifs4 et transférables5 peuvent être définis sur les biens environnementaux, les problèmes d’environnement peuvent être réglés par une négociation bilatérale directe, un marchandage (Coase) entre détenteurs de droits de propriété. Si ce n’est pas le cas, Dales propose d’établir des droits de propriété exclusifs et transférables chaque fois qu’il est nécessaire sur des biens jugés jusque là comme non appropriables et comme tels, sources d’externalités è la constitution des droits de propriété et leur échange marchand aboutit à la fixation d’un prix d’équilibre (qui est un optimum au sens de Pareto) . 4 Droits de propriété exclusifs : tous les coûts et tous les bénéfices liés à la possession et à l’usage de la ressource doivent être à la charge du propriétaire ou lui revenir, soit directement, soit indirectement par l’échange marchand 5 Droits de propriété transférables : tous les droits sont librement transférables par échange volontaire 11 A ce prix l’externalité est réintégrée dans le calcul économique des agents (elle est internalisée) et disparaît en tant que phénomène hors marché Si des droits sont créés et peuvent s’échanger, l’incitation financière à préserver la ressource est retrouvée. Le système conduit à définir le prix optimal du droit à polluer par le jeu des offres et des demandes de droits. Le prix de la pollution n’est plus administré comme chez Pigou. Ces droits à polluer fournissent une incitation permanente pour les agents pollueurs à adopter des procédés moins polluants et permettent une répartition efficace des efforts de dépollution, puisque l’on minimise le coût global de réalisation d’un niveau global d’émission. Ceux qui ont les coûts de dépollution les plus faibles peuvent vendre leurs droits à ceux qui ont les coûts les plus élevés. L’instauration d’un marché de droits à polluer nécessite l’intervention de la puissance publique au stade de la conception du dispositif et s’effectue en trois étapes : – la fixation d’un plafond global de pollution ; – la répartition des droits entre les acteurs concernés par l’externalité ; – l’autorisation d’échange des droits. c. La notion d’optimum de pollution (ou de dépollution) Les trois analyses précédentes mettent en évidence l’existence d’un niveau de pollution correspondant à un optimum de Pareto. Celui-ci peut être illustré sur le graphique de Ralph Turvey (1963) Supposons deux entreprises situées au bord d’une rivière : - en amont, une tannerie qui fabrique du cuir pour une entreprise de chaussure, et, pour cela rejette des eaux sales en aval, une fabrique de bière qui a besoin d’au propre. On suppose que les dommages infligés à la brasserie sont proportionnels à la production de la tannerie La solution à ce problème consiste à équilibrer le surplus du pollueur (son profit) avec le coût induit pour le pollué (qui doit dépolluer l’eau s’il veut s’en servir), afin d’atteindre un optimum de Pareto. En abscisse : les quantités produites par la tannerie En ordonnées, les profits, les coûts La droite PM représente le profit marginal de la tannerie, sur un marché concurrentiel (recette marginale=prix de marché – coût marginal croissant) è le profit marginal est décroissant avec la production è OM = quantité produite pour un profit maximum pour la tannerie 12 La droite OR représente la perte marginale de la brasserie = évaluation de l’externalité négative qu’elle subit ; les coûts des dommages augmentent avec la production de la tannerie è OM = quantité produite par la tannerie pour laquelle la perte de la brasserie est maximum. Que faire ? Eviter de rejeter de l’eau sale qui oblige la brasserie à dépolluer ? Mais cela signifie la fermeture de la tannerie è on est dans un cas de sous-optimalité Il existe donc un niveau de pollution optimum qui permet d’améliorer la situation de la brasserie sans détériorer celle de la tannerie ; ce niveau est en N. OQ < OM , est la quantité de cuir produite par la tannerie telle que son profit marginal = la perte marginale de la brasserie. On remarque que cette réduction de la quantité produite par la brasserie peut être due soit à l’imposition d’une taxe pigouvienne, soit à une négociation entre les deux entreprises. profits coûts P R N O Q M Quantités Ce schéma est parfois interprété comme illustrant le marché de la dépollution 13 Sur le graphique figurent : - le coût de dépollution d'une unité supplémentaire de pollution pour la tannerie en fonction de la quantité de pollution. On suppose qu’il est d'autant plus difficile de dépolluer qu'il y a déjà une pollution faible. Autrement dit le coût de dépollution d'une unité additionnelle décroît avec la quantité de pollution, PM è l’offre de dépollution du pollueur est d’autant plus forte que le niveau de pollution est fort. Quand il n’y a aucun effort de dépollution, le coût est nul è la quantité de pollution émise est maximale. Moins l’entreprise pollue et plus il est difficile et donc coûteux de dépolluer. - le gain, pour la fabrique de bière, d'une unité de pollution en moins pour tous les niveaux de pollution. On suppose que le gain est important lorsque la pollution est importante tandis qu'il est faible pour une pollution faible et donc que le gain d'une dépollution additionnelle augmente avec le niveau de pollution OR è la demande de dépollution de la part de la victime augmente avec le niveau de pollution çè son consentement à payer pour la dépollution s’accroît avec la pollution) L'optimum est atteint au niveau du croisement de ces courbes. Dans ce cas le coût de la dépollution d'une unité additionnelle est égal au bénéfice retiré de la dépollution de cette unité additionnelle Ces conceptions en matière d’externalités, et de leur gestion (leur internalisation) ont leurs prolongements dans les instruments élaborés dans le but d’agir par une politique publique sur les problèmes d’environnement ; élaboration d’une politique (de régulation) environnementale pour orienter le plus efficacement possible le comportement des agents. è idée centrale : compte tenu des défaillances du marché, l’Etat intervient dans le souci de rétablir l’efficacité économique (Rappel = Le critère de Pareto est un critère normatif permettant de juger de l'optimalité collective d'une situation donnée. Il y a optimalité au sens de Pareto lorsqu'il n'est pas possible d'améliorer le bien-être d'un agent sans diminuer celui d'un autre agent. Ce n'est pas du tout un critère d'équité de justice, en effet une situation dans laquelle un agent a tout et les autres rien est un optimum de Pareto. C'est même un critère relativement inégalitaire puisqu'il empêche une véritable redistribution. C'est en revanche un critère d'efficacité, il semble pertinent d'éviter toute situation Pareto sous-optimale puisque dans ce cas on peut améliorer le sort d'un agent sans détériorer la situation des autres agents.) d. L’évaluation monétaire des externalités Préalablement à la définition des instruments d’une politique de régulation environnementale, il importe de chiffrer monétairement les dommages et donc les coûts causés par une atteinte à l’environnement ; mais en amont c’est tout d’abord la valeur des biens environnementaux qui pose problème. Comment fixer la réparation d’un dommage à un bien, si ce bien est sans valeur ?6 6 On ne traitera pas ici de l’évaluation de l’impact environnemental d’un projet industriel ou agricole, mais il est évident que si l’analyse prospective de rentabilité ne tient pas compte des dommages possibles sur l’environnement, celle-ci sera surestimée. 14 Ø La valeur des biens environnementaux On considère généralement que la valeur économique d’un bien environnemental (ou des dommages causés à ce bien) se décompose en deux : - la valeur d’usage : composée des produits pour lesquels existent des marchés (le bois des forêts, les poissons de la mer..), mais aussi des possibilités d’usages récréatifs possibles (randonnées, chasse, pêche, baignade…). Comment évaluer la valeur d’usage de la rivière pour un pêcheur ? Par exemple en calculant les dépenses qui lui permettent de satisfaire sa passion (achat de matériel, permis de pêche, frais de déplacement ..) çè approximation de son consentement à payer. - la valeur de non-usage : attribuée par un individu indépendamment de tout usage personnel (on parle aussi de valeur d’existence), mais souvent envisagée par rapport aux générations futures (valeur de legs). Cela peut concerner aussi un bien que l’on entend protéger aujourd’hui pour des usages possibles dans l’avenir (valeur d’option)… Dans ce cas, il faut procéder à des enquêtes en demandant aux personnes leur opinion, leurs préférences ; surtout ce qu’elles seraient prêtes à payer, par exemple pour garder une bonne qualité pour l’eau d’une rivière ou ce qu’elles seraient prêtes à accepter en compensation d’une modification de l’environnement. è le consentement à payer (pour garder un bien environnemental) ou à recevoir une compensation (en cas de changement, de dégradation) apparaît comme un moyen de révélation des préférences des individus (avec l’hypothèse que les individus ont des préférences bien établies quant aux différents états du monde dans lequel ils vivent). Ø Les méthodes d’évaluation On distingue trois méthodes : (1) Les méthodes indirectes ou « des marchés de substitution » è révélation des préférences Fondées sur l’observation des comportements, elles relient la demande de services par nature non marchands (le plaisir de la pêche, le silence, un paysage) à des achats de biens marchands (matériel, l’installation de doubles vitrages pour se protéger, coûts de déplacement ..) è elles renvoient plutôt à la valeur d’usage. Exemple : la méthode des prix hédonistes Elle repose sur l’hypothèse que le prix d’un bien dépend de ses caractéristiques è particulièrement utilisée pour l’étude du prix des biens immobiliers : 2 logements comparables, mais situés dans des zones où la pollution de l’air est différente… auront des prix différents ècela donne une idée du prix que les individus accordent à leur environnement. 15 (2) Une méthode directe – la méthode d’évaluation contingente è expression des préférences - Présentation pratique Elle consiste à interroger directement les personnes sur leurs préférences, sous la forme de leur consentement à payer (CAP) ou à recevoir pour une dégradation (CAR) ; elle permet d’obtenir la mesure d’une valeur qui comprend la valeur d’usage et la valeur de non-usage (expérience initiale de la National Oceanic and Atmospheric Administration suite à la marée noire de l’Exxon Valdès). Une évaluation contingente est un sondage qui comporte plusieurs étapes : 1. Définition du marché expérimental : bien à valoriser, personnes à interroger 2. La construction du scénario de référence : il s’agit de rendre plausible pour la personne interrogée, une situation fictive où elle aurait à payer pour une modification de son environnement (amélioration de la qualité de l’air, de l’eau…) et le paiement correspondant (taxe pour la qualité de l’air, augmentation de la facture d’eau..) 3. La révélation des valeurs : l’enquête proprement dite. Ce peut être une question ouverte demandant abruptement quel prix la personne est disposée à payer ; une question fermée demandera à la personne de se prononcer sur un prix ou une fourchette de prix. 4. Le calcul du CAP (ou du CAR) : calcul de la moyenne des réponses avec un problème particulier = les valeurs nulles (refus de payer ou refus de répondre ?) 5. La recherche des variables explicatives : lien entre les réponses et les caractéristiques des enquêtés (revenu, éducation, sexe..) 6. L’agrégation des résultats : multiplication du CAP moyen par la population totale. 7. Evaluation de l’étude cherchant en particulier à mettre en évidence les biais possibles : comportement stratégique des répondants / problème des passagers clandestins qui sousestime leur CAP - biais hypothétique : pb de la différence entre une situation fictive et le choix effectivement fait lorsque la situation se présente - biais lié à la conception (formulation des questions) et à l’administration du questionnaire… è - Avantage d’une méthode pouvant être appliquée à une très large variété de sujets, mais qui doit être menée avec beaucoup de précautions autant dans la façon de mener l’enquête que de traiter les données obtenues + coût de l’enquête. - Problème d’une méthode qui, en s’adressant aux victimes, suppose implicitement qu’elles n’ont pas le choix et que la décision de polluer ou de modifier l’environnement est prise de façon unilatérale par le pollueur sans tenir compte des dommages Précision : contrairement à ce que l’on pourrait croire CAP et CAR ne sont pas symétriques è le CAP est toujours inférieur au CAR (ce qui peut être expliqué par le fait que les personnes valoriseraient davantage toute perte de bien-être que les gains équivalents, ainsi que toute réduction des pertes par rapport aux réductions de gains envisageables) 16 - Approche théorique7 En matière de biens environnementaux n’ayant pas de prix, la variation du bien-être des agents est causée par une variation des quantités de biens = la consommation des biens est « contrainte par les quantités ». La variation du bien-être est évaluée comme l’ajustement de revenu monétaire nécessaire pour maintenir un niveau d’utilité constant avant comme après le changement de quantité de bien è problème du choix du niveau d’utilité de référence, soit le niveau initial, soit le niveau final. Deux approches de la variation du bien-être sont possibles : - la variation (de bien-être) équivalente : ajustement de revenu monétaire pour amener un individu au niveau final d’utilité, malgré l’absence de changement de quantité de bien. la variation (de bien-être) compensatoire : ajustement de revenu nécessaire pour qu’un individu conserve son niveau initial d’utilité malgré le changement de quantité de bien. La variation du bien-être d’un individu pouvant être positive (gains) ou négative (perte), il y a 4 scénarios possibles, pris 2 à 2 : (1) pour un gain en bien-être (le changement de quantité du bien accroît l’utilité) çè amélioration de l’environnement : - (1.1.) la variation compensatoire du revenu correspond au montant de revenu monétaire qu’un individu consent à payer pour s’assurer que le changement de quantité interviendra (amélioration de l’environnement), le ramenant à son niveau initial d’utilité - (1.2.) la variation équivalente du revenu correspond au montant de revenu monétaire que l’individu consent à recevoir pour atteindre le niveau final d’utilité, sans changement de quantité (même sans amélioration de l’environnement) (2) pour une perte en bien-être (le changement de quantité diminue l’utilité) çè détérioration de l’environnement): - (2.1.) la variation équivalente du revenu correspond au montant de revenu monétaire qu’un individu consent à payer pour éviter le changement de quantité (la détérioration de l’environnement), mais ceci entraîne une diminution d’utilité - (2.2.) la variation compensatoire du revenu correspond au montant de revenu monétaire qu’un individu consent à recevoir en compensation d’un changement de quantité (détérioration de l’environnement), mais qui lui permet de revenir à son niveau initial d’utilité. 7 Faucheux, Noël, p224 17 Consentement à payer – Consentement à recevoir Changement proposé Objectif Mesure Amélioration, mais niveau initial d’utilité Variation compensatoire CAP Atteindre le niveau final d’utilité, même sans amélioration Variation équivalente CAR Eviter la détérioration, mais avec diminution d’utilité Variation équivalente CAP Détérioration, mais niveau initial d’utilité Variation compensatoire Amélioration de l’environnement Détérioration de l’environnement CAR - Illustration8 Soit les courbes d’indifférence d’un individu pour deux niveaux d’utilité (U0 initial < U1 final) entre le bien d’environnement E (qualité d’environnement), en abscisse, et tous les autres biens regroupés en un bien composite X, en ordonnée. Le bien E n’ayant pas de prix, la droite de budget apparaît comme un droite horizontale Z. Pour une qualité d’environnement initialement donnée, E0, (contrainte par les quantités) l’équilibre initial est en A. On suppose qu’un gain en bien-être est lié à une amélioration de la qualité de l’environnement, de E0 à E1 ; ce qui équivaut à un mouvement le long de la droite de budget de A sur U0 (niveau initial d’utilité) vers B sur U1 (niveau final d’utilité). Cette variation (gain) en bien-être de la personne peut être mesurée : - soit par la variation de revenu équivalente = l’augmentation de revenu qui serait nécessaire pour atteindre le niveau final de bien-être (sur U1) sans amélioration de la qualité de l’environnement (et donc avec un accroissement de la consommation de X, jusqu’en D) è AD = CAR de l’individu si l’amélioration de l’environnement ne se produit pas - soit par la variation de revenu compensatoire = l’abandon de revenu nécessaire pour conserver le niveau de bien-être initial (sur U0), malgré la variation de qualité de l’environnement (et donc en consommant moins de X, jusqu’en C) è BC = CAP de l’individu pour obtenir cette amélioration de l’environnement sans perdre en bien-être. 8 Beaumais, Chiroleu-Assouline, p 52 18 X U1 D CAR A B CAP Z C E0 E1 U0 E La même analyse en symétrie pourrait être menée à partir de B sur U1 pour une détérioration de l’environnement vers A sur U0 ; dans ce cas BC est le CAP pour que la détérioration de l’environnement ne se produise pas, mais ceci amène le passage de U1 (B) à U0 (C) : l’agent préfère payer (donc abandon de revenu) pour que la détérioration ne se produise pas AD est le CAR si la détérioration de l’environnement se produit, mais qui permet à l’individu de rester au niveau initial d’utilité (U1) en D : l’agent reçoit une compensation (augmentation du revenu) qui permet de maintenir un niveau d’urilité, malgré la détérioration de l’environnement. (3) La méthode des « relations dose-réponse » Il est parfois difficile pour la population d’avoir conscience de l’impact sanitaire des pollutions (l’exposition aux métaux lourds) ou des services procurés par les écosystèmes (la disparition d’espèces nous prive pour la recherche biomédicale et le développement de nouveaux médicaments) è dans ce cas il est vain de chercher à évaluer un consentement à payer ou à recevoir è il s’agit alors d’essayer d’établir une relation entre un changement environnemental et ses effets (dose-effet), puis d’évaluer la réponse au prix de « remplacement ». Par exemple, études sur les relations pollution-santé : disposant des relations « dose-effet » et connaissant les expositions, les avantages sociaux correspondants peuvent être chiffrés en termes de nombre d’années de vie gagnées, ou de morbidité, que l’on peut valoriser ensuite en termes monétaires, par référence aux efforts que la collectivité est prête à consentir en général pour améliorer l’espérance et la qualité de vie des populations. L’étude « ExternE » (External Costs of Energy) réalisée par la Commission européenne a ainsi évalué la valeur des coûts externes associés aux émissions de différents polluants atmosphériques. 19 2.2. Les instruments d’une politique de régulation environnementale Politique de régulation environnementale : mesures institutionnelles dont le rôle est de susciter chez les pollueurs un comportement moins polluant ou de définir les conditions d’accès à une ressource naturelle. [Remarque : dans la mesure où, théoriquement, cette politique vise à internaliser des externalités liées aux interactions hors marché entre des agents, une solution serait de supprimer la source de l’externalité = la relation è - par séparation : fumeurs/non fumeurs ; zonage en matière d’aménagement du territoire - par fusion : l’usine chimique rachète le verger voisin ; devenue productrice des deux produits elle doit allouer efficacement ses ressources. Une autre solution étant finalement de ne rien faire ] Traditionnellement on oppose les instruments non économiques et les instruments économiques. Mais les difficultés rencontrées par ces politiques « traditionnelles » ont amené récemment à une évolution de la régulation environnementale è « nouveaux » instruments. Dans cette section, la présentation des instruments est illustrée d’exemples, principalement français, mais les questions relatives à l’environnement et aux ressources naturelles qui se posent en France dans un contexte national se posent largement dans un contexte d’interdépendance européenne et mondiale. 2.2.1. Les instruments traditionnels - Instruments non économiques = juridiques ou administratifs (non économiques par nature, mais qui ont des incidences économiques, sur le niveau des coûts de production, l’activité des firmes, l’emploi, les prix….). - Instruments économiques = fondés sur des incitations économiques = qui portent directement sur l’activité économique qu’ils tentent d’orienter dans un sens favorable à l’environnement. Cette distinction, pratique pour l’exposé, n’implique pas qu’un instrument d’une catégorie soit utilisé à l’exclusion d’un instrument d’une autre catégorie ; dans la réalité plutôt combinaison des deux types d’instruments. La difficulté de l’évaluation monétaire amène certains économistes à considérer que le niveau de dépollution à atteindre est une donnée exogène è la seule question est celle du choix de l’instrument qui permet d’atteindre l’objectif au meilleur coût. a. Les instruments non économiques Définition : ce sont des mesures institutionnelles qui visent à contraindre le comportement des agents économiques sous peine de sanctions administratives ou pénales; ils reposent sur le contrôle direct du régulateur. Ils peuvent prendre plusieurs formes (pas faciles à distinguer et souvent complémentaires) : - d’un coté, un ensemble d’obligations, d’autorisations ou d’interdictions visant à protéger l’environnement - de l’autre, la définition de normes. 20 Ces dispositions s’inscrivent en général dans un cadre législatif qui, dans le cas français, se fait de plus en plus au niveau européen ; il s’agit d’une application au niveau français de directives européennes. Disposant de peu de moyens la politique environnementale de l’UE agit surtout par voie réglementaire, par la création de normes, ce qui permet un rapprochement des législations nationales dans un souci de prévention, de « précaution ». a1.Obligations, autorisations, interdictions Ø Obligations - Ce peut être l’obligation de respecter une valeur limite d’émission d’un polluant (soit par quantité produite, soit sous forme de quotas absolus) ; ce qui suppose que l’administration en charge de l’environnement soit en mesure de connaître parfaitement les rejets effectués pour chaque pollueur potentiel. - Ce peut être l’obligation d’adopter certains équipements ou certaines techniques, tant pour la production des biens que pour la dépollution. Depuis la directive de 1991, les communes de plus de 2000 habitants devaient se doter de stations d’épuration d’ici 2005 maximum. - Ce peut être l’obligation de recyclage imposée aux constructeurs et aux importateurs informatiques : directive européenne sur les déchets d’équipements électriques et électroniques entrée en vigueur à partir d’août 2005 (voir p. suiv.) 21 Deux directives DEEE complémentaires Ce sont en fait deux directives distinctes qui ont été adoptées fin 2002, puis diffusées au journal officiel des Communautés européennes début 2003. La première concerne directement les déchets DEEE et applique le principe du "pollueurpayeur" aux fabricants, responsables du cycle de vie des produits et du financement de leur collecte. Un quota de 4 kg de matériel par an et par habitant a d'ailleurs été fixé. La deuxième directive concerne, elle, l'élimination de certains matériaux dangereux (cadmium, mercure, chrome, plomb, brome...). Les Etats Membres européens ont eu quelques années (jusqu'en 2006) pour transposer ces directives dans leur droit national. "Ce qui va changer avec ces directives, une fois appliquées au plan national, c'est la prise en charge par les constructeurs du coût de la filière de retraitement et, pour les distributeurs, la reprise de ce qu'ils mettent sur le marché selon le principe du 'un pour un' Les écrans, ordinateurs, imprimantes, fax, copieurs, centraux téléphoniques vont être soumis, dès 2006, à des conditions très strictes de collecte et de valorisation. Les composants dangereux compris dans ces équipements devront par ailleurs en être progressivement interdits. Une batterie de mesures qui impacte directement les constructeurs, importateurs, distributeurs (sous marque propre) et... acheteurs de ce type de matériels. Selon une loi française datant de juillet 1992, mais entrée en vigueur seulement en mi-2002, les détenteurs de ce type d'équipements ont interdiction de les mettre en décharge, seuls les déchets dits "ultimes" pouvant faire l'objet d'un enfouissement (un déchet ultime ne peut plus être valorisé). Ils doivent donc s'adresser à des entreprises spécialisées qui se chargeront de leur enlèvement et de leur recyclage. Cette responsabilité a basculé sur les producteurs dès août 2005. è problème du financement ? 22 La directive SEVESO http://www.ecologie.gouv.fr/ : Pour une prévention des risques majeurs La directive 96/82/CE concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses appelée directive SEVESO II a remplacé la directive SEVESO à partir du 3 février 1999. Cette nouvelle directive renforce la notion de prévention des accidents majeurs en imposant notamment à l’exploitant la mise en oeuvre d’un système de gestion et d’une organisation (ou système de gestion de la sécurité) proportionnés aux risques inhérents aux installations. Ces mesures consacrent les "bonnes pratiques" en matière de gestion des risques : introduction de dispositions sur l’utilisation des sols afin de réduire les conséquences des accidents majeurs, prise en compte des aspects organisationnels de la sécurité, amélioration du contenu du rapport de sécurité, renforcement de la participation et de la consultation du public. Cette directive renforce le dispositif de prévention des accidents majeurs impliquant des substances dangereuses en introduisant des mesures complémentaires par rapport à la directive initiale. Le champ d’application est révisé : absence de distinction entre l’activité de stockage de substances dangereuses et la mise en oeuvre de substances dangereuses dans un procédé, extension aux installations manipulant et stockant des explosifs. Elle améliore l’efficacité de la mise en oeuvre par les contrôles pratiqués et la transmission d’informations sur une base comparable à la Commission Européenne. Certains aspects, tel que la notification des établissements, sont déjà intégralement prévus en droit français. D’autres, comme l’information et la participation du public, se voient aujourd’hui renforcés. Chacun comprend bien qu’il ne peut y avoir de progrès dans la maîtrise des risques sans information transparente des employés et des riverains des installations. Sa mise en application est l’une des priorités importantes de l’inspection des installations classées, sous l’autorité des préfets. 23 Ø Autorisations - Ceci concerne par exemple la réglementation de la pollution industrielle avec les autorisations administratives d’exploitation Le principe est de soumettre a priori les sites industriels ayant des activités potentiellement polluantes à des autorisations délivrées par les autorités administratives. En France, ce régime est défini par la Loi de 1975 sur les Installations Classées pour la protection de l’Environnement (ICPE) ; il est géré par les Directions Régionales de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement ( DRIRE) Concrètement, lors de la construction d’une nouvelle installation industrielle ou lors de la modification importante d’une installation existante, l’industriel doit déposer un dossier auprès de la DRIRE détaillant la manière dont l’installation respectera l’environnement et sera en conformité avec les règles environnementales en vigueur. L’autorisation est ensuite délivrée sous la forme d’un Arrêté préfectoral d’exploitation è intérêt d’une procédure site par site, qui permet de corriger partiellement les effets liés au caractère uniforme d’une réglementation générale. - Ce peut être aussi la façon dont est conduite la politique européenne de la pêche dont un des quatre volets vise à limiter « l’effort de pêche » = le nombre de jours où les bateaux sont autorisés à sortir en mer, compte tenu du tonnage et du type de filets des bateaux. Chaque année doivent être définis les totaux autorisés de capture (appelés aussi TAC = taux admissibles de capture) et leur répartition en quotas nationaux. (è voir en 3. les conséquences économiques ) Ø Interdictions Les politiques de contrôle direct peuvent enfin consister à interdire certaines formes de pollution en interdisant, par exemple, totalement le déversement de certains produits dans l’environnement = interdiction par des institutions de gestion de cours d’eau de déversement de pollutions organiques dans les cours d’eau ou interdiction par certaines municipalités d’utilisation de combustibles à haute teneur en soufre. Ces obligations, autorisations, interdictions sont souvent décidées par rapport à des normes préalablement définies. a2. Les normes En pratique on peut considérer quatre formes. Ø les normes d’émission Elles consistent en un seuil maximal à ne pas dépasser ; poids de matière oxydable pouvant être rejeté dans l’eau, émission de dioxyde de soufre, SO2, dans l’air, limite de bruit pour les deux roues… 24 Ø les normes de produit Elles définissent les caractéristiques de certains produits en imposant des niveaux limites à certains composants (teneur en soufre d’un combustible, teneur en plomb de l’essence, taux de phosphates dans les lessives,…). Ø les normes de procédé Elles fixent les procédés techniques de production à employer et les équipements antipollution à installer (stations d’épuration, pots d’échappement catalytiques, filtres pour les cheminées d’usines....). Ø les normes de qualité d’environnement Elles définissent les caractéristiques auxquelles doit répondre le milieu physique (taux maximum admissible de nitrates dans l’eau, de SO2 ou No2 dans l’air…). è L’utilisation des normes pose plusieurs problèmes : - le critère de détermination : - technique, (il s’agit le plus souvent de fixer les seuils maximums de polluants compatibles avec des objectifs de santé), risque d’arbitraire ; - économique, c’est à dire atteindre le niveau de pollution optimale. Problème d’information sur la courbe de dommage (perte pour le pollué) mêmes en utilisant les méthodes vues précédemment. - le mode de détermination : industriels/politiques.. décision d’un groupe d’experts, marchandage Or une norme inappropriée peut conduire à des dommages excessifs pour les victimes alors que les pollueurs subissent un coût de dépollution excessif. A cela il faut ajouter : - le caractère uniforme : la même norme s’applique à chacun quel que soit son coût de dépollution. Théoriquement il serait plus efficace de mettre en place des normes différenciées, mais elles sont beaucoup plus difficiles d’application / problèmes d’information détenue par le régulateur. - le caractère non incitatif pour améliorer la dépollution. Seul point important : la transgression de la norme est-elle assortie d’une amende et de quel niveau (X par la probabilité de se faire prendre) è nécessité de mettre en place des dispositifs coûteux de surveillance - le problème inhérent à l’utilisation de normes, dans quelque domaine que ce soit : le conflit de normes = risques de contradiction entre elles 25 b. Les instruments économiques Définition : ce sont des mesures institutionnelles qui visent à modifier l’environnement économique du « pollueur » (les bénéfices et les coûts) via des signaux de prix pour l’inciter à adopter « volontairement » un comportement moins « polluant ». En fait, il s’agit bien d’une contrainte, mais contrairement aux instruments non économiques, elle ne porte pas sur le niveau de performance environnementale. On verra successivement les taxes, les subventions, enfin le système de permis d’émission négociables (dit aussi, marché des droits à polluer). b1. Les taxes9 L’idée générale, à la suite de Pigou, est de rendre la pollution coûteuse pour le pollueur en lui faisant payer une taxe dont le montant a une relation avec la pollution qu’il émet è principe du pollueur-payeur10. C’est un signal prix clair et stable applicable à tous les agents Contrairement à la norme, la taxe présenterait l’avantage d’exercer un effet permanent d’incitation à l’innovation. Supposons que la mise au point de nouvelles technologies permette d’abaisser le coût marginal de dépollution, il est rationnel pour le pollueur, en présence d’une taxe, d’exploiter le différentiel apparu entre le taux de taxe et le nouveau coût marginal de dépollution è la pollution diminue + économies sur le montant de la taxe à payer è bénéfice pour le pollueur et pour le(s) pollué(s). Ø Définition pratique des taxes - Le choix du taux : Théoriquement, la taxe doit être établie au niveau du coût marginal optimum, pour que les agents choisissent le niveau d'émission optimal. Face à une taxe par unité de pollution, l’agent compare son coût marginal de dépollution (ce que lui coûte de dépolluer une unité de pollution) et le taux de taxe unitaire (ce que lui coûte de ne pas dépolluer cette unité). Si l’agent a un coût marginal de dépollution plus faible que la taxe il a intérêt à dépolluer plutôt que de payer la taxe. Si, par contre, le niveau de dépollution est tel que le coût de dépollution de la dernière unité est plus élevé que le niveau de la taxe, l'agent à intérêt à payer la taxe plutôt que dépolluer. Ce mécanisme permet, avec une taxe uniforme l’égalisation des coûts marginaux de dépollution entre les différents pollueurs et donc la minimisation des coûts, sans avoir à connaître le coût de chacun (è plus efficace que la norme). 9 On garde le terme général de taxe, mais il faudrait faire la différence entre taxe par nature non affectée et redevance, perçue en contrepartie d’un service rendu 10 Rappel : malgré cette appellation « politiquement correcte », ce n’est pas un principe d’équité, mais d’efficacité économique ; le pollueur répercutant la hausse de ses coûts sur les prix, il y a baisse de la demande, donc réduction de la production, donc réduction de la pollution 26 Très souvent, en France, le taux est trop faible pour exercer une véritable incitation à un comportement de dépollution (le taux appliqué en France sur les émissions de dioxyde de soufre est plus de 140 fois inférieur au taux suédois). - Le choix de l’assiette (= la base sur laquelle est perçue la taxe) : En règle générale la taxe doit porter directement sur la pollution émise (dans la production ou la consommation) : taxes sur les émissions atmosphériques, déversement dans l’eau de produits polluants, bruit des avions, déchets industriels et ménagers… Dans le cas où la mesure de l’émission de polluant est difficile, la taxe peut porter sur un intrant de production du pollueur qui a un lien avec la pollution en aval : taxes sur les engrais plutôt que sur les rejets de nitrates des exploitations agricoles, différentiel de taxe en faveur des carburants sans plomb… Ø Que faire de la taxe ? La taxe représente un revenu pour l’autorité publique qui la perçoit (Etat, Agences de l’eau, collectivités locales ..) ; que faire de ces flux financiers ? En simplifiant deux utilisations possibles : - les affecter directement à des dépenses dans le même domaine (on parle alors de taxes affectées ou de redevancesè subventions environnementales En France, les redevances perçues par les Agences de l'Eau relèvent de cette logique. Dans le cas général, pour des raisons de praticabilité, les subventions ne sont pas assises sur la quantité de pollution évitée ou supprimée comme les subventions à la dépollution (que nous verrons juste après). Leur assiette est le coût d'investissement dans le dispositif de dépollution. Par exemple, les Agences de l'Eau financent environ 30-40 % du coût d'investissement d’une nouvelle station d'épuration. Les effets pervers de l’affectation de la taxe = subvention aux pollueurs, exemple de l’élevage industriel de porcs dans le cadre du Protocole de Maîtrise des Pollutions Agricoles : les subventions à des fins environnementales étant très importantes, les producteurs sont peu enclins à sortir de l’activité è de plus en plus de pollution. - les affecter au budget général, au même titre que les autres taxes et, si le principe de neutralité budgétaire est appliqué, réduire d’autres taxes dites distorsives è principe du « double dividende » : la taxe environnementale conduirait à deux effets positifs : - direct, en modifiant le comportement des pollueurs dans un sens conforme à l’intérêt général (internalisation des externalités) - indirect, en permettant de diminuer d’autres taxes désincitatives sur l’économie è relance de l’activité è emploi.. Ce raisonnement oublie que la taxe renchérit les coûts de production è répercussion sur les prix, baisse de la demande, baisse de la production + baisse des profits des producteurs, baisse de la demande de travail.. 27 Exemples : - L’échec du projet européen de taxe carbone - Exemples européens d’écotaxes. (Le bonus-malus écologique est une méthode fiscale de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre visant à orienter la consommation vers l'achat de voitures moins polluantes par l'octroi d'un bonus et, inversement, à taxer l'achat des voitures fortement émettrices de CO2. Cette méthode a été officialisée en France début 2008, suite au Grenelle de l'environnement. Le gouvernement espérait qu'il soit neutre en terme fiscal (les taxes payées par ceux achetant des voitures très émettrices de CO2 devant financer la défiscalisation des voitures moins polluantes), mais son succès a été tel que mi-2008, le ministère du Budget a estimé que cette mesure coûterait 200 millions d'euros à l'État français, car de janvier à début juin, les ventes de petites voitures moins émettrices de carbone ont augmenté de 15 % alors que les achats de grosses cylindrées reculaient de 27 % (selon les constructeurs automobiles), ce qui pourrait aussi être dû à un achat plus massif de ces grosses voitures avant la mise en vigueur de la mesure. Si cette explication est la bonne, la vente de grosse voiture pourrait reprendre après quelques mois - Le projet français de taxe carbone (contribution climat-énergie) b2. Les subventions (de dépollution) La lutte contre la pollution s’effectue dans certains cas par le versement de subventions aux entreprises ou aux collectivités locales pour les soutenir dans leurs efforts de limitation des rejets, d’assainissement.. L’assiette de la subvention peut être directement la dépollution, c’est à dire qu’un pollueur reçoit une subvention unitaire par unité de dépollution en deçà d’un niveau de pollution de référence è exemple : en France, les primes d’épuration distribuées par les Agences de l’eau aux municipalités au prorata de l’épuration effectuée par les centrales d’épuration des eaux usées urbaines. Ces subventions ont une logique d’incitation identique à celle des taxes sur les émissions. Dans le cas de la taxe, le pollueur paie une taxe sur chaque unité de pollution émise ; dans le cas de la subvention, il reçoit une subvention sur chaque unité de polluant éliminé. Mais les subventions de ce type sont rares ; le plus souvent l’assiette est le coût d’investissement dans le dispositif de dépollution (ex : subvention à l'investissement des Agences de l’Eau aux stations d’épuration urbaines ou industrielles, subventions de l’Ademe pour la construction de nouvelles installations de traitements des déchets). è Dans les deux cas il s'agit en fait de donner un prix à la pollution émise, et ce prix est mis au niveau qui permet d'avoir la bonne quantité. La subvention comme la taxe est un instrument en prix. 28 COMPLEMENTS / FISCALITE ENVIRONNEMENTALE Justifications : - internalisation des externalités è principe pollueur-payeur : faire payer au pollueur les dommages causés dans le cadre de son activité « normale » - inciter à moins polluer - procurer un revenu à l’Etat Caractéristiques : - signal prix clair et stable, applicable à tous les agents - assiette variée : émissions, produits, comportements (par exemple : circulation automobile è péage), possibilité d’envisager des taxes hybrides = produit + pollution (par exemple : l’apport excessif d’azote, ou taxe suédoise sur le soufre : le montant initial du est proportionnel à la quantité de soufre contenu dans les combustibles achetés, mais si une entreprise mesure ses émissions, elle peut choisir d’être taxée sur celles-ci è une taxe sur les produits pour les petits émetteurs et une taxe sur les émissions pour les gros émetteurs qui ont intérêt à mesurer celles-ci) - taux : difficulté à établir et appliquer un taux qui doit être suffisamment élevé pour inciter les agents à moins polluer plutôt qu’à payer la taxe è Pouvoir d’incitation ? Pour avoir une incidence réelle sur le comportement des agents, le taux doit être suffisamment élevé pour que les agents aient intérêt à dépolluer ou a moins polluer, cependant : - il faut que les mesures de dépollution soient disponibles - le coût marginal de dépollution peut varier selon le mode de dépollution (changement de procédé, nouvelles machines, nouveaux réglages, mise en place d’équipement en fin ce cycle de production ou de consommation ..) Si l’on se place dans le cas des entreprises, certaines de ces mesures peuvent être bénéfiques sans préoccupation particulière de l’environnement (économies d’énergie, qualité des produits, productivité,..) è dans un souci de compétitivité, ces mesures peuvent être prises même si le taux est bas (ou nul) 11 - dans un contexte de forte innovation, les coûts de dépollution peuvent baisser è à taux inchangé, la taxe incite à dépolluer au fur et à mesure que les taux baissent. Acceptabilité /distorsion de concurrence - L’acceptabilité semble plus liée à l’utilisation des revenus de la taxe qu’à son taux : - une taxe non affectée, reversée au budget général de l’Etat apparaît essentiellement comme un moyen d’augmenter ses recettes. Même si la taxe, ou une partie, est affectée à une opération dans un autre domaine, le sentiment de « payer pour les autres » peut être fort è taxe mal acceptée.. - une taxe affectée à un objectif particulier dans le domaine environnemental (redevance), par exemple sous forme de subvention (taxe sur les transports routier pour financer des infrastructures ferroviaires, redevance pollution des agences de l’eau …) est 11 Comme cela a été souligné dans le cadre des normes NF, ISO… 29 mieux acceptée car fait apparaître un principe de redistribution de la taxe à ceux qui l’ont payée è taxe fiscalement neutre (aux frais de fonctionnement près) pour les agents, qui perçoivent mieux la finalité environnementale - La distorsion de concurrence est un risque à ne pas négliger : - si l’on taxe la pollution marginale (au-delà d’un seuil préalablement fixé) , risque d’introduire une distorsion de concurrence entre les entrerpises taxées (grandes) et celles qui ne le sont pas (petites) - si les taxes sont nationales, entre entreprises taxées sur le territoire et les autres…. Notion très controversée du double-dividende - Problème de définition du « deuxième dividende » ? Revenu de la fiscalité ou baisse du chômage rendue possible par l’utilisation des éco-taxes pour diminuer les charges sur le travail ? - Dans le second sens, quelle est la réalité du second dividende ? La taxe environnementale n’est-elle pas elle-même distorsive : renchérissement des coûts de production, baisse de la compétitivité,…baisse de l’emploi , annulation de l’effet précédent … Les taxes et subventions en pratique en France - Une taxe importante : la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP) Instituée par la Loi de Finances de 1999 (en remplacement de la taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique, TPPA), elle porte aujourd’hui sur 8 catégories d’activités : - le stockage de déchets ménagers et assimilés ainsi que l’élimination de déchets industriels - l’émission dans l’atmosphère de substances polluantes - le décollage d’aéronefs sur les aérodromes recevant du trafic public è bruit - la production d’huile usagée - les matériaux d’extraction ? - les préparations pour lessives et produits adoucissants et assouplissants pour le linge - les produits antiparasitaires à usage agricole - autorisation d’exploiter et l’exploitation des établissements industriels et commerciaux qui présentent des risques particuliers pour l’environnement. A chaque catégorie : des assiettes et des taux. è on retrouve la TGAP, par exemple : - dans les taxes dans le domaine des déchets (des ménages, non dangereux des entreprises, dangereux des entreprises..) - dans les taxes dans le domaine de l’eau (TGAP lessives, TGAP matériaux d’extraction, TGAP produits antiparasitaires ..) Les responsables : au niveau régional, les DRIRE, et au niveau central, l’administration des douanes. Résultat environnemental : ses taux semblent trop faibles (en comparaison des taux d’autres pays) pour un réel effet incitatif 30 Résultats financiers : les revenus ne sont plus versés à l’ADEME comme c’était le cas de la TPPA (l’ADME continue de verser des subventions, mais leur montant n’est plus directement lié aux revenus des taxes). Depuis janvier 2000 les revenus de la TGAP sont versés au FOREC (Fonds de financement de la réforme des cotisations sociales) qui finance les allègements de charges sociales des employeurs, notamment ceux accordés dans le cadre de la réduction du temps de travail è financement de la sécurité sociale et des 35 heures ! ! ! ! + Régimes de suspension et d’exonération de la taxe en d’exportation vers un pays tiers ? ? - La Taxe Intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP) Jugée par certains comme insuffisante (compte tenu des externalités) et non incitative (en n’étant pas égale pour tous les carburants), elle fait également l’objet d’une affectation surprenante : une part du produit de la TIPP est désormais (2004) affectée aux départements et aux régions afin de financer (compenser) les transferts de compétences opérés par les lois relatives à la décentralisation ; en particulier pour les départements pour le financement du RMA et l’ARS ! ! Comment dans ce cas envisager l’obligation ou l’incitation (par exemple par subvention) à installer des dispositifs anti-pollution (comme le filtre à particules sur les véhicules diesels neufs) ? Si tous les véhicules en étaient équipés il faudrait revoir la fiscalité qui n’aurait plus lieu d’être ; en attendant, il faudrait ne pas faire payer aux véhicules équipés de FAP les externalités liés à des émissions qu’ils n’émettent pas è subventions…. - Dans le cadre des Agences de l'eau un système de taxe / subvention est en place. Un certain nombre d'agents responsables de la pollution de l'eau payent une taxe, en fait plusieurs (taxes applicables au prélèvement et à la consommation ; taxes et redevances destinées à lutter contre la pollution et à préserver l’environnement) ; ainsi les ménages sont taxés pour chaque litre qu'ils consomment, les industriels sont également taxés en fonction de leurs rejets effectifs de polluants, tandis que les agriculteurs sont exemptés. Les agents qui dépolluent reçoivent des subventions, qui sont intégralement prélevées sur les recettes des taxes. Ce n'est pas un système purement incitatif puisque la taxe perçue sur les ménages est trop faible pour inciter les agents à modifier leur comportement, elle n'est pas assise sur la quantité de polluant émise, et les agriculteurs sont exemptés, mais certains aspects du dispositif sont incitatifs, en particulier vis-à-vis des industriels. è exemples : subventions à l’investissement versées par les Agences de l’eau aux stations d’épuration urbaines ou industrielles En France, le coût d’un équipement de dépollution est subventionné selon un ratio prédéfini ; par exemple : 40% des coûts d’investissement des stations d’épuration urbaines. 31 b.3. Les permis d’émission négociables (ou le marché des droits à polluer) Suite aux travaux de Coase et de Dales, on se propose d’établir un faisceau de droits de propriété exclusifs et échangeables sur un marché sur des biens jusque là libres, puisque horsmarché, les externalités. Ø Le fonctionnement général est le suivant : - Des quotas (permis/crédits) d’émission sont crées par l’Etat ou l’autorité de tutelle. Chaque quota donne le droit d’émettre une certaine quantité de polluant pendant une période donnée. - Ces quotas peuvent : - être utilisés pour émettre la quantité de polluant correspondante ; un agent ne peut pas émettre plus de pollution qu'il ne possède de «quota à polluer ». - être échangés, vendus et achetés pour permettre aux agents d’obtenir la quantité d'émissions qu'ils désirent, au prix du marché des permis. Si ces permis n'étaient pas négociables ce serait simplement une norme. Sur le marché un prix va émerger de la confrontation de l’offre et de la demande. Un agent se mettra en position d'acheteur si son coût marginal de dépollution est plus élevé que ce prix, en effet, dans ce cas il vaut mieux émettre un peu plus et acheter un permis (offert par un agent dont le coût de dépollution est faible). Les agents vont acheter et vendre des permis tant que leur coût marginal est différent du prix. À l'équilibre du marché les quantités possédées par les agents sont telles que tous les coûts marginaux sont égaux au prix. Ø Deux systèmes - Le système « cap and trade » Sur une aire géographique donnée l’autorité publique : (1) fixe un plafond (quota) global d’émission par exemple : 5 millions de tonnes de SO2 par an, (2) puis émet les permis, 5millions de permis d’émission valant chacun 1 tonne de SO2 et enfin distribue les permis. Deux méthodes principales d’allocation :- gratuitement, par exemple au prorata de leurs émissions passées = droits du grand-père, ce qui peut avoir des effets pervers = si les entreprises savent qu’un tel système sera mis en place elles n’ont pas intérêt à diminuer leur pollution avant, - vente aux enchères, moins fréquent. L’échange (trade) naît de l’hétérogénéité des coûts de dépollution des firmes. - Le système « baseline and credit » Chaque participant dispose d’une valeur cible préalablement fixée (par exemple : réduire de 30% les émissions de SO2 par rapport à une année de référence. Un participant qui émet moins que sa valeur cible peut créer des crédits d’émissions et les vendre à un participant qui émet plus que sa valeur cible ; chaque création de crédit doit être approuvée par l’autorité régulatrice è coûts de transaction élevés. 32 Ø Remarques - Le système de permis d'émissions négociables est un instrument en quantité, en effet c'est la quantité totale de pollution qui est fixée. Aux Etats Unis, il représente le seul instrument économique acceptable politiquement : pas de problème d’affectation de taxes. Le prix s’établit sur un marché, il n’est pas administré par une autorité publique ; cela confère aux PEN une plus grande flexibilité en cas de choc exogène - Il faut bien noter que ce ne sont pas les systèmes de quotas négociables qui incitent par euxmêmes à polluer moins. Prise à un niveau global, la situation semble évoluer de la même façon lors de la mise en place d’une nouvelle norme ou d’un système de quotas d’émissions négociables : les entreprises investissent pour réduire leurs émissions entre l’annonce du nouveau programme et le début de celui-ci. Puis les émissions diminuent progressivement pour pouvoir se conformer à la future baisse du plafond d’émissions ou à la nouvelle norme. Les systèmes de quotas permettent simplement de diminuer les coûts globaux pour les entreprises de l’application de ce plafond. - On remarque également que ce système de PEN ne correspond pas à une des exigences théoriques : le marchandage se fait entre pollueurs et non entre pollueurs et pollués 33 Rappel Protocole de Kyoto (1) Présentation générale * Le protocole de Kyoto, 1997, traduit en engagements quantitatifs juridiquement contraignants la volonté d’un certain nombre de pays de stabiliser leurs émissions de gaz à effet de serre pour prévenir le risque de changement climatique. Cinq gaz sont concernés, dont le CO2. Les pays signataires dits « de l’annexe 1 » (pays développés et pays en transition) ont accepté globalement de réduire, pour la période 2008-2012, d’environ 5% leurs émissions nettes12 (puits de carbone) par rapport à 199013 . * L’accord ne devait être appliqué que s’il était ratifié par au moins 55 pays représentant au moins 55% des émissions de GES. Le PDK est entré en vigueur en février 2005, avec la ratification par la Russie, et malgré le refus des Etats-Unis, qui émettent 30 à 35 % des GES. * Des mécanismes de « flexibilité » en plus des mesures nationales : - les « quotas d’émission négociables » : le marché des permis proprement dit - deux mécanismes d’échange de crédits : - la « mise en uvre conjointe », qui permet aux PD de procéder à des investissements en technologie propre, visant à réduire les émissions de GES en dehors de leur territoire national et de bénéficier des crédits d’émission générés par les réductions ainsi obtenues - le « mécanisme de développement propre », proche du dispositif précédent, mais les investissements sont effectués par un PD dans un PED Pour que ces 2 derniers mécanismes soient effectifs, 2 conditions : - le projet doit être « additionnel » : générer effectivement une baisse des émissions par rapport à ce qui se serait produit sans investissement - le pays hote doit avoir ratifié le PDK. - possibilité de mettre en réserve les droits d’émissions non utilisés durant la période 20082012, pour la période suivante. * Problème central du PDK : la faiblesse du dispositif de sanctions en cas de non respect des engagements. (2) Au niveau de l’Union européenne Le marché européen des permis d’émission, instrument clé du protocole de Kyoto sur l’effet de serre, est une réalité depuis le 1er janvier 2005. Il vise à une réduction de 8% des émissions de GES pour pour l’UE. 12 Système « baseline and credit » Principe des « droits du grand-père » : difficulté d’acceptation par la Chine ou l’Inde, dont le décollage industriel est plus récent et qui réclament une allocation au prorata de leur population 13 34 L’UE procédant à une répartition de la charge de l’objectif entre les pays membres, la France devra stabiliser ces émissions de GES à leur niveau de 1990 (avec 6 t/habitant et par an, la France est l’un des pays industrialisés qui émet le moins de GES / programme nucléaire) ; par contre : -25% pour l’Allemagne.. Le système instauré permet d’expérimenter le dispositif de marché et d’anticiper sur la période d’engagement prévue par le Protocole de Kyoto (2008-2012). Il vise dans un premier temps les émissions de CO2 des secteurs les plus gros émetteurs (papier, verre, ciment, secteur énergétique et raffineries), soit environ la moitié des émissions de l’industrie des 25 pays européens. Le principe est le suivant : chaque Etat membre fixe pour chaque période (deux périodes sont prévues : 2005-2007, période expérimentale ; 2008-2012), des objectifs de de réduction d’émissions à chacune des installations concernées à travers un plan national d’affectation des quotas (PNAQ) préalablement validé par la Commission. Au début de chaque période chaque Etat affecte un volume donné de quotas aux exploitants des installations sur la base des émissions des activités concernées. Un quota correspond à l’émission de l’équivalent d’une tonne de CO2. (La France a présenté son Plan National d’Allocation des Quotas d’émission, PNAQ, en 2004. La Commission l’a refusé et lui a demandé de multiplier par deux le nombre d’entreprises et d’administrations concernées, 1500 sites contre 700 initialement (1500 pour le RU, 2300 pour l’Allemagne) et d’inclure les sites ayant une importante unité de production énergétique. D’autre part la Commission a souligné que certains Etats étaient trop généreux avec les permis d’émission. Ce qui est repris par des critiques du plan français : les quotas alloués aux entreprises seraient surévalués è les entreprises françaises pourraient se retrouver vendeuses nettes de ces quotas excédentaires, contribuant à maintenir les prix du CO2 « trop » bas è incitation à polluer). Par ailleurs, une directive a traduit en droit communautaire l’utilisation des mécanismes de flexibilité (MOC et MDP) ; elle autorise la conversion des crédits issus de ces projets en quotas échangeables sur le marché communautaire. On remarque que si le marché européen des permis d’émission vise le principal gaz à effet de serre en volume d’émissions, le CO2, il ne concerne qu’une partie du secteur industriel et énergétique, il exclut le secteur de l’agriculture et les transports (deux secteurs en France, principaux émetteurs et dont les émissions continuent de croître) (3) En France Adoption en 2004, d’un « Plan Climat » qui rassemble des mesures visant à la réduction des émissions de CO2 étendues à tous les secteurs de l’économie et de la vie quotidienne : - campagne d’information et de communication - renforcement du crédit d’impôt pour l’habitat économique - extension de l’étiquette énergie mentionnat les performances énergétiques d’un produit - mise en place d’un marché national de « certificats d’économie d’énergie » - développement des biocarburants (x5 dès 2008 ! ! !)…. 35 Conclusion sur les politiques traditionnelles : application et acceptabilité politique (1) Si en théorie, les instruments économiques permettent de protéger l’environnement de manière efficace (ou plus efficace que les instruments non économiques), ils sont peu ou mal appliqués. - Les taxes environnementales utilisées dans plusieurs pays européens, sont peu utilisées outre atlantique. De plus, dans les pays où elles sont utilisées, elles sont appliquées à un taux trop faible pour être incitatif (exemple français), elles sont insérées dans des systèmes complexes, peu transparents et apparaissent plus comme des recettes fiscales pour alimenter le budget de l’Etat, que comme des instruments d’une réelle politique environnementale. - Les marchés de permis d’émission sont eux aussi peu appliqués. Plusieurs marchés existent aux Etas-Unis, principalement pour gérer les émissions de dioxyde de soufre par les centrales thermiques, et au RU pour les émissions de CO2. Ces difficultés d’application peuvent s’expliquer par : - des contraintes techniques (problèmes d’information sur les dommages et les coûts de dépollution, problème des pollutions diffuses, problème de définition de droits..), des contraintes économiques (liées par exemple à l’introduction d’une nouvelle fiscalité..), administratives (mise en place d’un système de sanctions fiable). (2) Second problème important : le manque d’acceptabilité politique surtout de certains types de mesure, principalement la fiscalité. Par exemple, les industriels, cible principale du principe pollueur-payeur sont généralement hostiles à l’introduction de nouvelles mesures sur l’environnement. 36 2.2.2. Nouveaux instruments : les approches volontaires a. Principe Une entreprise, ou un groupe d’entreprises, prend des engagements en faveur de l’environnement, unilatéralement ou après négociations ou accord avec les pouvoirs publics. b. Plusieurs approches Le terme générique d’approches volontaires peut correspondre à des réalités différentes. Leur définition et leur mise en uvre varient notamment d’un pays à l’autre, en fonction du cadre juridique et institutionnel et des relations entre les pouvoirs publics et les entreprises. Il est possible de distinguer les approches suivantes: Ø Les négociations directes entre pollueurs et pollués En pratique il existe un seul cas de négociation bilatérale documenté, il concerne une raffinerie de BP et une usine Volvo en Suède. L'usine Volvo avait remarqué que les fumées de la raffinerie corrodaient les voitures. Ils se sont mis d'accord pour que : la raffinerie ne traite pas le pétrole de mauvaise qualité, riche en soufre, qui produit des fumées corrosives lorsque le vent était en direction de l'usine de voitures et que BP prenne à sa charge l’installation de couvertures pour l’aire de stockage des voitures. C'est cependant une négociation partielle, car les habitants du village voisin, pourtant affectés par les fumées n'ont pas été conviés à la négociation. Ø L’accord négocié Les pouvoirs publics et les entreprises négocient un accord. Suivant les pays, celui-ci peut être ou non légalement contraignant pour les entreprises. Exemple : l’accord Etat français / EDF où EDF s’est engagée à réduire ses émissions de SO2 à travers un programme d’actions spécifique à chaque site. Ø Les programmes publics volontaires Les pouvoirs publics mettent en place un programme qui propose aux entreprises des avantages (réduction de certaines taxes, formation, partage d’expérience, etc.) en échange desquels elles doivent prendre des engagements environnementaux (réduction des émissions, audit environnemental, etc.). Les entreprises sont libres de participer au programme ou non . Le « Plan climat », 2004. Ø L’engagement unilatéral Une entreprise, ou un groupe d’entreprises, prend unilatéralement un engagement face à la protection de l’environnement. D’après l’OCDE (1999), les approches volontaires (AV) se définissent comme des « dispositifs en vertu desquels les entreprises s’engagent volontairement à améliorer leurs performances environnementales ». 37 Depuis le début des années 1990, de nombreuses formes d’AV se développent en Asie, en Europe et en Amérique du Nord dans plusieurs domaines de pollution, tels que la pollution de l’air, le traitement des déchets et la restauration des sites contaminés. Le recours croissant à ce type d’approche suscite des interrogations quant à leur aptitude à protéger l’environnement de manière efficace. En effet, certains pays semblent considérer les AV comme une alternative aux instruments plus traditionnels de protection de l’environnement (les réglementations contraignantes, la fiscalité environnementale, les subventions à la réduction de la pollution et les marchés de permis d’émissions négociables). Notamment, depuis leur retrait du Protocole de Kyoto en 2001, les Etats-Unis ont annoncé un plan national de réduction des émissions de gaz à effet de serre fondé principalement sur des accords volontaires avec l’industrie. Sous quelles conditions peut -on compter sur les entreprises pour contribuer au développement durable de manière crédible et responsable ? Dans quelle mesure les approches volontaires peuvent-elles remplacer ou compléter les instruments traditionnels de régulation environnementale ? Pour certains, les AV offrent la possibilité de gérer les problèmes environnementaux de manière souple, en recherchant le consensus entre les différentes parties prenantes. Pour d’autres, ces approches témoignent de la détermination des industriels à ne pas laisser les Etats leur imposer de nouvelles contraintes législatives et constituent essentiellement des stratégies de communication. Contrairement aux autres instruments de politique environnementale, les AV sont issues de la pratique et non de la théorie économique L’explication la plus immédiate du recours croissant aux AV dans les politiques de l’environnement proviendrait d’économies de coûts que ces instruments permettraient pour les entreprises et les gouvernements par rapport aux pratiques plus anciennes. Une branche de la littérature sur les AV estime ainsi que ces approches permettent d’atteindre un niveau de pollution donné en économisant à la fois des coûts administratifs pour l’agence environnementale (procédures simplifiées, tâches déléguées aux entreprises) et des coûts de dépollution pour les firmes polluantes (plus grande liberté de choix dans la façon de réduire la pollution). Si l’argument d’économie de coûts de dépollution avec les AV par rapport aux instruments économiques n’apparaît pas convaincant, il peut exister d’autres types de coûts, peu considérés dans l’analyse théorique, qui s’ajoutent aux coûts de dépollution et aux coûts administratifs. En effet, dans un cadre réaliste où la pollution n’est pas la seule inefficacité présente dans l’économie, les instruments de réduction de la pollution peuvent engendrer des coûts indirects, issus de leurs impacts sur les autres sources d’inefficacité. Dans un cadre de concurrence imparfaite entre les firmes polluantes, par exemple, l’intervention environnementale modifie la concurrence entre les firmes, leur pouvoir de marché et leur incitation à sortir ou entrer sur le marché. Ces répercussions peuvent notamment amplifier les distorsions dues à l’imperfection de la concurrence et elles affectent in fine le bien-être collectif. Elles doivent donc être intégrées dans l’évaluation de l’instrument de politique environnementale. 38 De même, les coûts subis par les pollueurs dépendent du prix des équipements et techniques de dépollution. Ces prix sont souvent déterminés sur un marché et découlent de stratégies de firmes spécialisées dans le domaine de la dépollution. La concurrence et la structure de marché au sein de l’industrie de dépollution influent donc sur les coûts de la protection de l’environnement. Par conséquent, pour intégrer la totalité des coûts induits par les mesures environnementales, il s’agit de tenir compte du comportement stratégique des firmes sur le marché des biens et services qu’elles produisent è nécessité de prendre en compte les structures de marché qui prévalent aussi bien du côté des entreprises polluantes que du côté des industries de dépollution… 39 Instruments à la disposition des pouvoirs publics pour prévenir la production de déchets et gérer les déchets Modes de production Instruments économiques Modes de consommation domestique Instruments économiques - Taxes sur les emballages - Incitations à la prévention de la production de déchets - Systèmes de consigne - Taxes sur les produits et les emballages perdus Instruments réglementaires Instruments réglementaires - Normes -Ecolabels Approches volontaires et innovations -Ecoconception - Evolution des produits vers le services - Ecolabels Approches volontaires et sensibilisation -Education à l’environnement - Soutien des initiatives volontaires Production et collecte de déchets Systèmes de gestion des déchets Instruments économiques Instruments économiques - Redevances et taxes - Taxes de mise en décharge et sur les déchets d’incinération Instruments Instruments réglementaires réglementaires - Responsabilité des - Interdiction de mise producteurs - Réglementation des en décharge Obligations de systèmes de collecte et recyclage de recyclage Approches volontaires et sensibilisation Innovations technologiques - Technologies propres - Informations sur les et non dangereuses pour la santé systèmes de recyclage - Soutien des initiatives volontaires 40 Conclusion 1. Les difficultés de l’évaluation monétaire des bénéfices attendus des politiques environnementales amènent souvent à renoncer à fixer le niveau de production de l’externalité par le calcul économique. è décision politique/critères « scientifiques » (normes d’émission, d’émission…) niveau global è déformation par rapport à l’analyse théorique : pas d’« optimum de pollution ». 2. L’analyse se concentre alors sur le choix des instruments qui permettent d’atteindre l’objectif au moindre coût è nécessité de comparer l’efficacité de chacun des instruments (normes, taxes, QEN, AV) compte tenu du contexte de mise en oeuvre è au moins pour deux des principaux instruments, on remarque une déformation par rapport à l’analyse théorique : - les taxes visent plus à alimenter le budget de l’État (d’autant qu’est soulignée la possibilité d’un double-dividende) qu’à corriger le système des prix pour freiner l’utilisation des ressources naturelles et/ou limiter la pollution. - les marchés de QEN ne partagent pas la caractéristique centrale du modèle théorique de négociation privé (transactions entre pollueurs et pollués) : les transactions ne s’effectuent qu’entre pollueurs è les pollués, par exemple des associations de résidents ou de défense de l’environnement ne peuvent acheter des permis pour les retirer du marché et diminuer la pollution en deça des limites fixées par l’autorité publique. 3. Efficacité comparée en fonction du contexte de mise en uvre Nous comparons ici, sur un plan théorique, en fonction du contexte de mise en l’efficacité de différents types d’instruments : uvre, - instruments normatifs et instruments de marché ; - instruments sur les prix et instruments sur les quantités. a. Instruments normatifs, instruments de marché Nous comparons les instruments normatifs et les instruments de marché (fiscalité, permis d’émissions négociables) en fonction de quatre critères : l’asymétrie d’information, la plus ou moins grande homogénéité des coûts de dépollution, l’existence de problèmes environnementaux locaux et l’importance des coûts mise en place et de suivi. Ø Asymétrie d’information Lorsqu’il y a une forte asymétrie de l’information entre pouvoirs publics et entreprises, c’està-dire lorsque les pouvoirs publics ont une mauvaise connaissance des coûts de dépollution et des moyens de réduire les émissions à la disposition des entreprises, il est plus difficile de 41 définir des normes pertinentes ou de négocier des accords volontaires dans de bonnes conditions. Toutes choses égales par ailleurs, les instruments de marché permettent alors d’atteindre les objectifs environnementaux à moindre coût dans la mesure où ils laissent aux entreprises plus de latitude quant aux modalités de mise en uvre. Si ces instruments fonctionnent bien, l’asymétrie d’information devrait en principe se lever d’elle-même : les coûts de dépollution des entreprises seront révélés par le prix des quotas dans le cas d’un système de quotas d’émissions négociables et par le niveau de dépollution dans le cas d’une taxe. Ø Homogénéité des coûts de dépollution Les coûts de dépollution peuvent être plus ou moins homogènes d’une source à l’autre. En cas de forte hétérogénéité, une norme uniforme peut être assez inefficace : trop contraignante pour certains, elle ne le sera pas assez pour d’autres. Les premiers devront dépenser des sommes très importantes alors que les derniers n’effectueront que des efforts minimes. Un instrument de marché permet aux premiers de dépolluer moins et de choisir de payer la taxe ou d’acheter des quotas d’émissions alors que les derniers choisiront de dépolluer davantage qu’avec une norme, puisque cela leur permettra de moins payer la taxe ou de gagner de l’argent en vendant des quotas d’émissions. En revanche, si les coûts de dépollution sont homogènes d’une entreprise à l’autre, une norme uniforme pourra atteindre un résultat satisfaisant à un coût raisonnable. Mettre alors en place un instrument de marché ne permettrait pas d’obtenir un meilleur résultat en terme d’efficacité environnementale et de coûts de dépollution mais serait sans doute plus compliqué et plus coûteux (coûts de gestion) à mettre en uvre. Ø Prise en compte de l’environnement local Certaines pollutions ont des incidences locales très fortes. Des instruments de marché risquent parfois d’aggraver ces problèmes locaux, même si la pollution globale diminue. Il vaut alors mieux privilégier la réglementation, voire des accords volontaires, pour gérer ce type de problèmes. On peut également imaginer une solution mixte consistant à mettre en place un instrument de marché pour diminuer les émissions totales mais à maintenir des exigences réglementaires locales pour éviter les impacts localement inacceptables. De ce fait on limite cependant la flexibilité que permettent les instruments de marché. Ø Coûts de mise en place des instruments Le principal avantage des instruments de marché est de permettre, en théorie, d’atteindre les mêmes réductions d’émissions que les instruments normatifs mais à moindre coût. Une telle affirmation tient compte essentiellement des coûts de dépollution. Or la mise en place d’un instrument implique de nombreux autres coûts : définition de l’instrument, négociations puis information des acteurs sur les modalités de mise en uvre, coûts de contrôle et de suivi, coûts de transaction dans le cas des marchés de quotas, etc. En outre la mise en place d’un instrument innovant peut nécessiter un temps plus important que celle d’un instrument déjà bien connu des différents acteurs. Il est nécessaire de prendre compte tous ces effets divers pour vérifier que ces coûts annexes, souvent plus importants dans le cas d’un instrument de marché complexe ou novateur, ne compensent pas les économies permises dans le domaine des coûts de dépollution. 42 b. Prix ou quantité Pour diminuer les émissions, on peut agir sur les prix, c’est-à-dire augmenter le coût relatif du comportement polluant qu’on cherche à diminuer par rapport au coût des autres comportements. Les instruments sur les prix sont de différents types : taxes/charges, différentiation fiscale, subventions… On peut également décider de limiter directement la quantité de polluants émis. On peut citer comme instruments sur les quantités : les normes d’émissions, certains accords volontaires, les quotas d’émissions négociables … Encore une fois, différents facteurs jouent sur l’efficacité relative de ces deux types d’instruments. Ø Dommages et coûts de dépollution Depuis un article de Weitzman en 1974(2), on sait qu’il peut être important de comparer la pente du coût marginal de dépollution et celle du dommage marginal de pollution. Si la deuxième est plus forte, ou s’il existe des effets de seuil(3), il est important de fixer correctement le niveau des émissions. En effet, une pente du dommage marginal plus forte que celle du coût marginal de dépollution signifie que chaque unité de polluant supplémentaire émise provoque des dommages de plus en plus importants par rapport aux coûts qu’aurait nécessité le fait de ne pas l’émettre, qui augmentent moins vite. Dans un tel cas il est préférable d’utiliser un instrument sur les quantités. Il permet de fixer la quantité des émissions avant que le dommage marginal ne soit trop important ou qu’un effet de seuil n’apparaisse. Au contraire si la pente du coût marginal de dépollution est plus forte que celle du dommage marginal, cela signifie que dépolluer une unité supplémentaire entraîne des coûts de plus en plus importants par rapport aux dommages que cela permet d’éviter. Si on met en place un instrument agissant sur les quantités trop strictement, cela entraîne des contraintes très fortes pour les entreprises, des coûts trop élevés en regard de la pollution évitée. Il vaut donc mieux mettre en place un instrument agissant sur les prix. Ø Innovation Dans certains domaines, on peut anticiper une forte marge de progression par l’innovation technologique. Obtenir une même réduction d’émissions deviendra de plus en plus facile, de moins en moins coûteux. Si on a mis en place une norme ou négocié des réductions d’émissions, il sera de plus en plus facile d’obéir à ces contraintes mais les entreprises n’auront pas intérêt à aller au-delà. Si on a mis en place un système de quotas d’émissions négociables dans lequel les quotas sont distribués gratuitement, le prix des quotas diminuera parallèlement aux coûts de dépollution mais les entreprises ne dépollueront pas davantage. En revanche, si on a mis en place une taxe, le coût marginal de dépollution sera de plus en plus faible par rapport au taux de la taxe et les entreprises auront intérêt, pour payer moins de taxe, à polluer de moins en moins. 43