Conférence de Politique Economique de M. Fabrice Bittner
Séance 13 : Les inégalités internationales, les politiques du développement et la gouvernance économique mondiale.
Dissertation Le développement durable : quels enjeux ? Marie Petit
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Développement durable : quels enjeux ?
«Ce qui appartient à tout un chacun est le plus négligé car tout individu prend le plus grand soin de ce qui lui
appartient en propre, quitte à négliger ce qu’il possède en commun avec autrui. » Aristote, La Politique.
Les biens naturels ont la particularité de bénéficier à chacun, et ainsi, de souffrir des négligences de
tous. En effet, les prélèvements et les rejets effectués dans le capital naturel ne sont historiquement
pas intégrés dans la réflexion économique des agents économiques et des Etats. La raison à cela est
que jusqu’à récemment, la population humaine sur Terre ne rencontrait pas de limites à la capacité à
prélever ou rejeter dans la nature, cette dernière étant en mesure par ses propres cycles de retourner à
l’équilibre. Toutefois, la croissance démographique exponentielle couplée à l’avènement d’un modèle
économique internationalisé et intensif en capital naturel des dernières décennies, met un terme à
cette ère d’abondance. Ainsi, pour faire face à cette nouvelle rareté grandissante, la notion de
développement durable a vu le jour dans les années 70, avec comme objectif la mutation du modèle
de croissance actuel de sorte qu’il permette aux générations futures de bénéficier d’un bien-être
équivalent à celui des générations présentes.
La question est donc de savoir si les agents économiques sont en mesure d’amorcer le changement de
paradigme par eux-mêmes ou si l’intervention des Etats est nécessaire sous quelle forme pour
pallier la situation décrite par Aristote. De plus, la pollution de l’air et de l’eau ne connaissant pas de
frontières, il est également question de savoir si ce tournant peut s’opérer à l’échelle de l’enjeu, soit
mondialement.
Pour ce faire, dans un premier moment il s’agit de faire le constat de la situation actuelle permettant
de cerner la dimension des enjeux (I), avant d’analyser ensuite les moyens à disposition des Etats pour
faire internaliser les externalités négatives que sont les dommages à l’environnement (II) puis de
discuter la volonté des Etats à collectivement opérer le changement de paradigme (III).
I/ Pour que le bien-être des générations présentes ne remette pas
en cause celui des générations futures
a)
Accélération des rythmes de croissance démographique et
économique
La croissance démographique, économique, les nouvelles technologies et l’évolution des modes de
consommation sont les grandes causes des bouleversements de l’environnement naturel. A partir du
moment les flux entre l’activité économique et la biosphère dépasse la capacité de régénération de
cette dernière, les ressources s’épuisent et le bien-être des générations futures est menacé.
Il y avait 1 milliard d’habitants sur Terre au début du XIXème et désormais nous sommes plus de 6
milliards. La croissance démographique attendue pour les décennies à venir devrait être très
hétérogène d’une région à une autre : forte pour nombre de pays en développement (TMCA de 2,9%
pour l’Afrique), très modérée pour les pays occidentaux (TMCA de 0,2% pour les pays de l’OCDE) et
maitrisée pour la Chine (TMCA de 0,60%). Cette croissance induit une croissance de l’économie qui
impacte fortement l’environnement, à la fois de part les prélèvements de ressources naturelles et de
part les rejets dans l’environnement (eau, terre, air).
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Les habitants de pays occidentaux prélèvent historiquement plus de ressources naturelles et sont
responsables de plus de rejets que ceux des pays en développement. En effet, avec les révolutions
industrielles des XIXème et XXème siècles, les matières minérales ont supplanté celles végétales, et
l’énergie se fonde alors sur des ressources limitées et épuisables. Certes les énergies fossiles sont
renouvelables, mais leur cycle de régénération est de l’ordre des millions d’années. Avec le XXème
siècle arrive également la production de matières synthétiques (tissus, caoutchouc, pesticides, lessives,
détergents, médicaments…) qui sont rejetés en masse et ne peuvent pas nécessairement être assimilés
par les cycles naturels. A cela s’ajoute les émissions de gaz (des machines et du bétail), les déchets
ménagés, les eaux usées, rejetant nombres d’autres molécules et particules dans l’atmosphère, la terre
et l’eau.
La mondialisation a favorisé l’extension de ce modèle économique fondé sur la production d’énergie
et la consommation à travers le globe. Toutefois, il existe un effet d’apprentissage au fil des décennies,
permettant d’augmenter l’efficience énergétique de la production. Néanmoins, ce gain énergétique est
contrebalancé par la croissance des volumes de production, et particulièrement dans les régions du
globe en développement, à forte population ou à forte croissance démographique. Pour l’heure, les
effets d’échelles priment donc sur l’efficience écologique. Ainsi, l’accélération des rythmes de
croissance démographique et économique ont dépassés la capacité de la nature à les suivre.
Depuis toujours, la nature est un support fondamental à l’économie, dans la mesure où elle génère des
ressources et est capable d’assimiler des rejets. Or il apparait que ces capacités sont sujettes à un
certain nombre d’effets limitatifs. Ainsi, les effets de seuil font qu’il existe des points critiques (de
prélèvements comme de rejets) par delà lesquels il ne lui est plus possible de retourner à l’équilibre
dans ses cycles, voire des effets irréversibles qui détruisent des cycles. A cela s’ajoute des effets
d’hystérésis importants, faisant que malgré l’arrêt d’une cause génératrice de perturbations, les
conséquences perdurent et deviennent la cause même du phénomène. Enfin, la nature peut souffrir
d’effets de synergie, faisant que si elle est capable d’absorber certains composants de manière séparée,
leur présence combinée s’avère toxique ; et d’effets d’amplification faisant qu’une unité
supplémentaire de rejet d’un composant s’avère plus toxique que le précédent.
b)
Dangerosité des externalités induites
Le développement économique qui s’est opéré n’a pas pris en compte les effets induits sur la nature.
Certes depuis les classiques le capital naturel était évoqué, mais il ne prenait en compte que ce qui
était quantifiable par des flux monétaires et donc, occultait les effets particuliers dont il est sujet et
particulièrement la question des rejets. Ainsi, l’économie ne s’est pas souciée pendant longtemps
d’externalités générées par la production et les modes de consommation. Le type d’externalités et
leurs effets peuvent être analysés par un tour d’horizon des domaines de l’industrie primaire, des
industries employant des matières synthétiques, des activités de transport et/ou d’usage d’énergies
fossiles et des modes de consommation.
Les méthodes de production agricoles intensives accroissent l’usage d’énergie, d’eau et de matière
synthétiques (engrais, pesticides…) qui génèrent une pollution de l’air (méthane, hémioxyde d’azote),
des sols et de l’eau (nitrates, azote). Ceci engendre à la fois une perte de biodiversité et un
renforcement génétique des nuisibles par adaptation aux intrants. S’agissant de la pêche,
l’intensification de la pêche (fruit d’une compensation de la faible rentabilité du secteur par le volume)
conduit à surexploiter les ressources halieutiques et mettre en danger leur capacité de régénération.
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Concernant le domaine forestier, si les pays de l’OCDE ont appris à gérer le phénomène de
régénération et de biodiversité du secteur, cela n’est pas le cas dans les forêts tropicales, qui
concentrent une plus grande biodiversité, et souffrent désormais d’une pollution industrielle couplée à
la plantation mono-spécifique d’arbres. Ceci engendre entre autre une érosion des sols et des
glissements de terrains.
Les rejets de molécules et de particules par les industries fabriquant/utilisant des matières
synthétiques sont à l’origine de pollution photochimique, aux conséquences majeures. Les COV
(composés organiques volatils) et les NOx rejetés participent aux réactions photochimiques dans la
basse atmosphère, engendrant une anormale concentration d’O3 dans la troposphère. Autant l’03 dans
la stratosphère permet d’absorber une partie des UV solaires, responsables de cancers de la peau entre
autre, autant celui dans la troposphère est un superoxydant qui engendre des troubles respiratoires
divers (asthme, maladies pulmonaires). De plus, les COV, suite à leur inhalation, ont un impact
sanitaire majeur, les études démontrant leur nocivité envers le foie, le cœur, la moelle osseuse et les
testicules. Par ailleurs, le rejet de CFC (Chloro-fluoro carbures) de dérivés bromés, de NOx influent
sur la réduction de l’03 stratosphérique créant le fameux trou de la couche d’ozone au dessus des
pôles, engendrant des phénomènes d’hystérésis.
Les transports et l’usage d’énergies fossiles engendrent des émissions de polluants atmosphériques,
responsables de conséquences climatologiques globales et sanitaires locales et globales. Les GES (gaz
à effet de serre) que sont principalement la vapeur d’eau, CO2, le CH4, l’hémioxyde d’azote et les CFC
sont venus renforcer la rétention des rayonnements de corps noir dans la basse atmosphère,
engendrant une élévation de température. Tous les GES n’ont pas le même pouvoir de rétention, et
ceux induits par l’activité humaine ont un pouvoir très important (le CH4 impacte 21 fois plus
fortement que le CO2). L’augmentation de la température à la surface de la Terre engendre une
dilatation de l’eau, et la fonte de la calotte polaire, du permafrost (phénomènes qui perdurent par
hystérésis à cause de la présence de clathrates, de même qu’au fond des océans) et donc
l’augmentation du niveau des mers et océans. Cette augmentation a deux conséquences
particulièrement préjudiciables pour les pays : l’arrivée de sel dans les terres cultivées des iles ou delta
(régions forts habitées en Asie par exemple), donc un problème de culture, engendrant un problème
de transfert de populations (le statut de réfugiés climatiques a été développé comme pour les
habitants de l’ile de Tuvalu par exemple). L’augmentation de la température engendre par delà les
bouleversements des cycles de reproduction végétale, la diffusion de maladies par propagation à de
nouveaux continents (comme l’Europe, l’Amérique du Nord) de nombre d’animaux porteurs
(moustiques), de bacilles et de protozoaires. De plus, la pollution de l’air engendre des pluies acides
responsables de l’eutrophisation des sols et de l’eau.
Enfin, les modes de consommation sont à l’origine de nombreux dommages environnementaux. La
consommation croissante de viande, par delà les problèmes grandissant de cholestérol, nécessite une
production agricole supérieure (aux effets précédemment évoqués), puisqu’il faut plusieurs kilos de
céréales pour produire un kilo de viande. L’importance des déchets générés, produisent des réactions
chimiques ayant des effets de synergies et d’amplification sur la nature, causant un certain nombre de
mutations génétiques observables à proximité des déchèteries. Leur incinération génère des émissions
de particules nocives dans l’atmosphère. Les médicaments engendrent nombre de rejets via les urines.
A l’exemple, l’usage de pilules contraceptives génère une concentration anormalement élevée
d’œstrogènes dans les milieux aquatiques, responsable du changement de sexe d’espèces aquatiques.
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Au cours des années 90 les pays de l’OCDE (responsables de 50% des émissions de GES) ont réduit
leurs émissions de dioxyde de soufre, de monoxyde de carbone, et de plomb, mais en revanche la
production de pollution photochimique estivale (O3 troposphérique) due aux émissions d’azote et de
COV augmente. La part des états morbides due à la dégradation de l’environnement dans les pays de
l’OCDE est estimée à 6%, et à 13% dans ceux en développement cause de l’eau principalement).
Par ailleurs, aucune courbe de Kuznets n’a pu être mise en évidence dans les domaines du
changement climatique et de la biodiversité, démontrant qu’il n’est pas possible de simplement
compter sur une élévation du niveau pour voir une baisse des externalités générées.
c)
Prise de conscience de l’enjeu et théorisation du développement
durable.
La prise de conscience des enjeux a eu lieu à la fin des années 60. En 1972, le rapport Meadows
commandé par le Club de Rome, avait pour titre Halte à la croissance et énonce pour la première fois les
notions de développement durable et d’empreinte écologique. Il préconise la croissance zéro, soit la
constance du capital, de la population et des taux d’entrée (natalité, investissement) et de sortie
(mortalité, dépréciation). Ainsi, le développement s’opèrerait par redéploiement, et les activités non
consommatrices d’environnement pourraient elles continuer de croitre. La croissance zéro ne
concerne donc que la démographie et du capital. Ce rapport est vivement critiqué pour ses
exagérations (la fin du pétrole n’a pas eu lieu néanmoins la théorie du peak oil qui en découle atteste
d’une réalité dans les faits). Alfred Sauvy à l’exemple, dénonce en 1973 le traitement de la croissance
démographique qui y est fait et préconise de s’appuyer sur l’investissement, le progrès technique et
une meilleure organisation du travail pour « orienter la croissance dans le bon sens ». Il initie ainsi
l’idée de l’importance d’une croissance qualitative.
Néanmoins, certaines théories plus dures encore ce sont développées, comme celles de la
décroissance (Ilich en 1973, Gorz en 1991). Celles-ci se fondent sur l’idée que l’état stationnaire ne
peut pas être atteint, et que seule la décroissance permettrait d’y parvenir. Ceci passe par la réduction
des besoins des individus et un recentrage des activités de production et distribution voire
l’autoproduction.
La définition couramment admise désormais du développement durable est issue du rapport
Bruntland (1987) : « le développement durable et un développement qui répond aux besoins du présent sans
compromettre la capacité des génération futures de répondre aux leurs. ». Ceci ne tranche pas la polémique pour
autant et s’opposent alors les acceptations des moyens d’accéder à la durabilité. Ainsi, la durabilité dite
faible issue de la théorie néoclassique estime qu’il faut avoir comme objectif l’équité intertemporelle,
c'est-à-dire le maintien de la croissance par tête. Pour ce faire, elle prévoit que l’épuisement et la
dégradation de l’environnement naturel sont compensables par de l’investissement et du progrès
technique. Il s’git donc d’une substituabilité d’un capital par d’autres. En revanche, pour les partisans
de la durabilité forte, qui trouve racine dans la théorie conversationniste, la baisse du capital naturel
contrairement aux autres capitaux n’est pas réversible et le progrès technique est impuissant. Il n’est
pas substituable par d’autres est la croissance est ainsi limitée par la capacité de régénération du capital
naturel.
A partir des années 70, les politiques environnementales voient progressivement le jour. Elles
reposent sur la prise de conscience d’externalités négatives fondées sur l’usage de biens communs ou
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de biens collectifs purs, qu’il est nécessaire d’internaliser, pour générer un gain net de bien-être pour
la société et ainsi se rapprocher de la notion d’optimum parétien. En effet, lorsque par exemple une
entreprise utilise gratuitement la fonction de réservoir de l’environnement (captation des rejets), et
crée de la pollution par son processus de production, elle inflige à la société des coûts non
compensés. Ce sont des coûts externes, des déséconomies externes. C’est donc que l’externalité
négative échappe à l’échange commercial, que le calcul économique ne comprend que ce qui a un
prix, et ne prend ainsi pas ce coût social en compte. En ce sens, l’optimum privé diffère donc de
l’optimum collectif. Ceci est d’autant plus fort que les calculs économiques des entreprises sur l’avenir
se fondent toujours sur un procédé d’actualisation, conférant une préférence pour les gains
courts/moyens termes (un flux perpétuel F tendant vers F/i à l’infini). Alors il est nécessaire que des
politiques environnementales s’attachent à faire tendre les agents économiques vers l’optimum
collectif. Ceci ne signifie pas que l’objectif de pollution zéro soit optimal mais qu’il peut exister un
optimal entre les coûts de pollution et de dépollution, qui dépendra d’un certain nombre de
paramètres : connaissances scientifiques des phénomènes, de leurs conséquences, de leur traitement
capacité à valoriser chaque pan. Il convient donc d’analyser comment les politiques
environnementales peuvent agir pour faire tendre le comportement des agents économiques vers un
développement durable.
II/ …il est nécessaire que les agents économiques internalisent le
coût des dommages environnementaux
a)
Internalisation dans la comptabilité nationale (France)
Les dépenses nationales liées à l’environnement sont divisées en 3 catégories à savoir les dépenses
pour la mobilisation de ressources en eau, celles liées à la récupération (recyclage des déchets) et celles
liées à l’amélioration du cadre de vie (gestion des espaces verts, restauration immobilière). Elles
représentent 3% du PIB. Au total, 41% des dépenses vont à l’assainissement, l’épuration (eau), 32% à
la gestion des déchets et 7% à l’air.
Par ailleurs les agrégats de richesses ne tiennent compte que des flux monétaires, et ne distingue pas la
nature des biens produits. Bertrand de Jouvenel, en 1968, met en lumière le fait que les services
rendus à titre gratuit ne sont pas inclus dans les flux positifs, de même que même que les nuisances ne
sont pas inclues dans les flux négatifs, et les prélèvements sur la nature ne sont comptabilisés qu’à leur
coût d’enlèvement.
Plus encore, les dépenses d’autoprotection des ménages pollués sont inclues dans le PIB
(consommation finale) alors que pour les sociétés pollués, il s’agit de consommation intermédiaires,
abaissant ainsi leur valeur ajoutée, rendant moins compétitive l’entreprise soucieuse de
l’environnement que sa concurrente non soucieuse. Lorsque les dommages environnementaux ne
sont pas corrigés par des dépenses, il n’y a aucun flux monétaire et donc aucune intégration dans les
agrégats.
De plus, la comptabilité nationale se faisant en termes de recettes/dépenses, et non en termes
d’actif/passif, elle omet la dépréciation progressive des actifs naturels. Le capital naturel est ainsi
largement exclu des éléments comptables.
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