dissertation

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Conférence de Politique Economique de M. Fabrice Bittner
Séance n°13 : Les inégalités internationales, les politiques du développement et la gouvernance économique mondiale.
Dissertation –Le développement durable : quels enjeux ? – Marie Petit
Développement durable : quels enjeux ?
«Ce qui appartient à tout un chacun est le plus négligé car tout individu prend le plus grand soin de ce qui lui
appartient en propre, quitte à négliger ce qu’il possède en commun avec autrui. » Aristote, La Politique.
Les biens naturels ont la particularité de bénéficier à chacun, et ainsi, de souffrir des négligences de
tous. En effet, les prélèvements et les rejets effectués dans le capital naturel ne sont historiquement
pas intégrés dans la réflexion économique des agents économiques et des Etats. La raison à cela est
que jusqu’à récemment, la population humaine sur Terre ne rencontrait pas de limites à la capacité à
prélever ou rejeter dans la nature, cette dernière étant en mesure par ses propres cycles de retourner à
l’équilibre. Toutefois, la croissance démographique exponentielle couplée à l’avènement d’un modèle
économique internationalisé et intensif en capital naturel des dernières décennies, met un terme à
cette ère d’abondance. Ainsi, pour faire face à cette nouvelle rareté grandissante, la notion de
développement durable a vu le jour dans les années 70, avec comme objectif la mutation du modèle
de croissance actuel de sorte qu’il permette aux générations futures de bénéficier d’un bien-être
équivalent à celui des générations présentes.
La question est donc de savoir si les agents économiques sont en mesure d’amorcer le changement de
paradigme par eux-mêmes ou si l’intervention des Etats est nécessaire –sous quelle forme– pour
pallier la situation décrite par Aristote. De plus, la pollution de l’air et de l’eau ne connaissant pas de
frontières, il est également question de savoir si ce tournant peut s’opérer à l’échelle de l’enjeu, soit
mondialement.
Pour ce faire, dans un premier moment il s’agit de faire le constat de la situation actuelle permettant
de cerner la dimension des enjeux (I), avant d’analyser ensuite les moyens à disposition des Etats pour
faire internaliser les externalités négatives que sont les dommages à l’environnement (II) puis de
discuter la volonté des Etats à collectivement opérer le changement de paradigme (III).
I/ Pour que le bien-être des générations présentes ne remette pas
en cause celui des générations futures…
a) Accélération des rythmes de croissance démographique et
économique
La croissance démographique, économique, les nouvelles technologies et l’évolution des modes de
consommation sont les grandes causes des bouleversements de l’environnement naturel. A partir du
moment où les flux entre l’activité économique et la biosphère dépasse la capacité de régénération de
cette dernière, les ressources s’épuisent et le bien-être des générations futures est menacé.
Il y avait 1 milliard d’habitants sur Terre au début du XIXème et désormais nous sommes plus de 6
milliards. La croissance démographique attendue pour les décennies à venir devrait être très
hétérogène d’une région à une autre : forte pour nombre de pays en développement (TMCA de 2,9%
pour l’Afrique), très modérée pour les pays occidentaux (TMCA de 0,2% pour les pays de l’OCDE) et
maitrisée pour la Chine (TMCA de 0,60%). Cette croissance induit une croissance de l’économie qui
impacte fortement l’environnement, à la fois de part les prélèvements de ressources naturelles et de
part les rejets dans l’environnement (eau, terre, air).
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Les habitants de pays occidentaux prélèvent historiquement plus de ressources naturelles et sont
responsables de plus de rejets que ceux des pays en développement. En effet, avec les révolutions
industrielles des XIXème et XXème siècles, les matières minérales ont supplanté celles végétales, et
l’énergie se fonde alors sur des ressources limitées et épuisables. Certes les énergies fossiles sont
renouvelables, mais leur cycle de régénération est de l’ordre des millions d’années. Avec le XXème
siècle arrive également la production de matières synthétiques (tissus, caoutchouc, pesticides, lessives,
détergents, médicaments…) qui sont rejetés en masse et ne peuvent pas nécessairement être assimilés
par les cycles naturels. A cela s’ajoute les émissions de gaz (des machines et du bétail), les déchets
ménagés, les eaux usées, rejetant nombres d’autres molécules et particules dans l’atmosphère, la terre
et l’eau.
La mondialisation a favorisé l’extension de ce modèle économique fondé sur la production d’énergie
et la consommation à travers le globe. Toutefois, il existe un effet d’apprentissage au fil des décennies,
permettant d’augmenter l’efficience énergétique de la production. Néanmoins, ce gain énergétique est
contrebalancé par la croissance des volumes de production, et particulièrement dans les régions du
globe en développement, à forte population ou à forte croissance démographique. Pour l’heure, les
effets d’échelles priment donc sur l’efficience écologique. Ainsi, l’accélération des rythmes de
croissance démographique et économique ont dépassés la capacité de la nature à les suivre.
Depuis toujours, la nature est un support fondamental à l’économie, dans la mesure où elle génère des
ressources et est capable d’assimiler des rejets. Or il apparait que ces capacités sont sujettes à un
certain nombre d’effets limitatifs. Ainsi, les effets de seuil font qu’il existe des points critiques (de
prélèvements comme de rejets) par delà lesquels il ne lui est plus possible de retourner à l’équilibre
dans ses cycles, voire des effets irréversibles qui détruisent des cycles. A cela s’ajoute des effets
d’hystérésis importants, faisant que malgré l’arrêt d’une cause génératrice de perturbations, les
conséquences perdurent et deviennent la cause même du phénomène. Enfin, la nature peut souffrir
d’effets de synergie, faisant que si elle est capable d’absorber certains composants de manière séparée,
leur présence combinée s’avère toxique ; et d’effets d’amplification faisant qu’une unité
supplémentaire de rejet d’un composant s’avère plus toxique que le précédent.
b) Dangerosité des externalités induites
Le développement économique qui s’est opéré n’a pas pris en compte les effets induits sur la nature.
Certes depuis les classiques le capital naturel était évoqué, mais il ne prenait en compte que ce qui
était quantifiable par des flux monétaires et donc, occultait les effets particuliers dont il est sujet et
particulièrement la question des rejets. Ainsi, l’économie ne s’est pas souciée pendant longtemps
d’externalités générées par la production et les modes de consommation. Le type d’externalités et
leurs effets peuvent être analysés par un tour d’horizon des domaines de l’industrie primaire, des
industries employant des matières synthétiques, des activités de transport et/ou d’usage d’énergies
fossiles et des modes de consommation.
Les méthodes de production agricoles intensives accroissent l’usage d’énergie, d’eau et de matière
synthétiques (engrais, pesticides…) qui génèrent une pollution de l’air (méthane, hémioxyde d’azote),
des sols et de l’eau (nitrates, azote). Ceci engendre à la fois une perte de biodiversité et un
renforcement génétique des nuisibles par adaptation aux intrants. S’agissant de la pêche,
l’intensification de la pêche (fruit d’une compensation de la faible rentabilité du secteur par le volume)
conduit à surexploiter les ressources halieutiques et mettre en danger leur capacité de régénération.
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Concernant le domaine forestier, si les pays de l’OCDE ont appris à gérer le phénomène de
régénération et de biodiversité du secteur, cela n’est pas le cas dans les forêts tropicales, qui
concentrent une plus grande biodiversité, et souffrent désormais d’une pollution industrielle couplée à
la plantation mono-spécifique d’arbres. Ceci engendre entre autre une érosion des sols et des
glissements de terrains.
Les rejets de molécules et de particules par les industries fabriquant/utilisant des matières
synthétiques sont à l’origine de pollution photochimique, aux conséquences majeures. Les COV
(composés organiques volatils) et les NOx rejetés participent aux réactions photochimiques dans la
basse atmosphère, engendrant une anormale concentration d’O3 dans la troposphère. Autant l’03 dans
la stratosphère permet d’absorber une partie des UV solaires, responsables de cancers de la peau entre
autre, autant celui dans la troposphère est un superoxydant qui engendre des troubles respiratoires
divers (asthme, maladies pulmonaires). De plus, les COV, suite à leur inhalation, ont un impact
sanitaire majeur, les études démontrant leur nocivité envers le foie, le cœur, la moelle osseuse et les
testicules. Par ailleurs, le rejet de CFC (Chloro-fluoro carbures) de dérivés bromés, de NOx influent
sur la réduction de l’03 stratosphérique créant le fameux trou de la couche d’ozone au dessus des
pôles, engendrant des phénomènes d’hystérésis.
Les transports et l’usage d’énergies fossiles engendrent des émissions de polluants atmosphériques,
responsables de conséquences climatologiques globales et sanitaires locales et globales. Les GES (gaz
à effet de serre) que sont principalement la vapeur d’eau, CO2, le CH4, l’hémioxyde d’azote et les CFC
sont venus renforcer la rétention des rayonnements de corps noir dans la basse atmosphère,
engendrant une élévation de température. Tous les GES n’ont pas le même pouvoir de rétention, et
ceux induits par l’activité humaine ont un pouvoir très important (le CH4 impacte 21 fois plus
fortement que le CO2). L’augmentation de la température à la surface de la Terre engendre une
dilatation de l’eau, et la fonte de la calotte polaire, du permafrost (phénomènes qui perdurent par
hystérésis à cause de la présence de clathrates, de même qu’au fond des océans) et donc
l’augmentation du niveau des mers et océans. Cette augmentation a deux conséquences
particulièrement préjudiciables pour les pays : l’arrivée de sel dans les terres cultivées des iles ou delta
(régions forts habitées en Asie par exemple), donc un problème de culture, engendrant un problème
de transfert de populations (le statut de réfugiés climatiques a été développé comme pour les
habitants de l’ile de Tuvalu par exemple). L’augmentation de la température engendre par delà les
bouleversements des cycles de reproduction végétale, la diffusion de maladies par propagation à de
nouveaux continents (comme l’Europe, l’Amérique du Nord) de nombre d’animaux porteurs
(moustiques), de bacilles et de protozoaires. De plus, la pollution de l’air engendre des pluies acides
responsables de l’eutrophisation des sols et de l’eau.
Enfin, les modes de consommation sont à l’origine de nombreux dommages environnementaux. La
consommation croissante de viande, par delà les problèmes grandissant de cholestérol, nécessite une
production agricole supérieure (aux effets précédemment évoqués), puisqu’il faut plusieurs kilos de
céréales pour produire un kilo de viande. L’importance des déchets générés, produisent des réactions
chimiques ayant des effets de synergies et d’amplification sur la nature, causant un certain nombre de
mutations génétiques observables à proximité des déchèteries. Leur incinération génère des émissions
de particules nocives dans l’atmosphère. Les médicaments engendrent nombre de rejets via les urines.
A l’exemple, l’usage de pilules contraceptives génère une concentration anormalement élevée
d’œstrogènes dans les milieux aquatiques, responsable du changement de sexe d’espèces aquatiques.
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Au cours des années 90 les pays de l’OCDE (responsables de 50% des émissions de GES) ont réduit
leurs émissions de dioxyde de soufre, de monoxyde de carbone, et de plomb, mais en revanche la
production de pollution photochimique estivale (O3 troposphérique) due aux émissions d’azote et de
COV augmente. La part des états morbides due à la dégradation de l’environnement dans les pays de
l’OCDE est estimée à 6%, et à 13% dans ceux en développement (à cause de l’eau principalement).
Par ailleurs, aucune courbe de Kuznets n’a pu être mise en évidence dans les domaines du
changement climatique et de la biodiversité, démontrant qu’il n’est pas possible de simplement
compter sur une élévation du niveau pour voir une baisse des externalités générées.
c) Prise de conscience de l’enjeu et théorisation du développement
durable.
La prise de conscience des enjeux a eu lieu à la fin des années 60. En 1972, le rapport Meadows
commandé par le Club de Rome, avait pour titre Halte à la croissance et énonce pour la première fois les
notions de développement durable et d’empreinte écologique. Il préconise la croissance zéro, soit la
constance du capital, de la population et des taux d’entrée (natalité, investissement) et de sortie
(mortalité, dépréciation). Ainsi, le développement s’opèrerait par redéploiement, et les activités non
consommatrices d’environnement pourraient elles continuer de croitre. La croissance zéro ne
concerne donc que la démographie et du capital. Ce rapport est vivement critiqué pour ses
exagérations (la fin du pétrole n’a pas eu lieu néanmoins la théorie du peak oil qui en découle atteste
d’une réalité dans les faits). Alfred Sauvy à l’exemple, dénonce en 1973 le traitement de la croissance
démographique qui y est fait et préconise de s’appuyer sur l’investissement, le progrès technique et
une meilleure organisation du travail pour « orienter la croissance dans le bon sens ». Il initie ainsi
l’idée de l’importance d’une croissance qualitative.
Néanmoins, certaines théories plus dures encore ce sont développées, comme celles de la
décroissance (Ilich en 1973, Gorz en 1991). Celles-ci se fondent sur l’idée que l’état stationnaire ne
peut pas être atteint, et que seule la décroissance permettrait d’y parvenir. Ceci passe par la réduction
des besoins des individus et un recentrage des activités de production et distribution voire
l’autoproduction.
La définition couramment admise désormais du développement durable est issue du rapport
Bruntland (1987) : « le développement durable et un développement qui répond aux besoins du présent sans
compromettre la capacité des génération futures de répondre aux leurs. ». Ceci ne tranche pas la polémique pour
autant et s’opposent alors les acceptations des moyens d’accéder à la durabilité. Ainsi, la durabilité dite
faible issue de la théorie néoclassique estime qu’il faut avoir comme objectif l’équité intertemporelle,
c'est-à-dire le maintien de la croissance par tête. Pour ce faire, elle prévoit que l’épuisement et la
dégradation de l’environnement naturel sont compensables par de l’investissement et du progrès
technique. Il s’git donc d’une substituabilité d’un capital par d’autres. En revanche, pour les partisans
de la durabilité forte, qui trouve racine dans la théorie conversationniste, la baisse du capital naturel
contrairement aux autres capitaux n’est pas réversible et le progrès technique est impuissant. Il n’est
pas substituable par d’autres est la croissance est ainsi limitée par la capacité de régénération du capital
naturel.
A partir des années 70, les politiques environnementales voient progressivement le jour. Elles
reposent sur la prise de conscience d’externalités négatives fondées sur l’usage de biens communs ou
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de biens collectifs purs, qu’il est nécessaire d’internaliser, pour générer un gain net de bien-être pour
la société et ainsi se rapprocher de la notion d’optimum parétien. En effet, lorsque par exemple une
entreprise utilise gratuitement la fonction de réservoir de l’environnement (captation des rejets), et
crée de la pollution par son processus de production, elle inflige à la société des coûts non
compensés. Ce sont des coûts externes, des déséconomies externes. C’est donc que l’externalité
négative échappe à l’échange commercial, que le calcul économique ne comprend que ce qui a un
prix, et ne prend ainsi pas ce coût social en compte. En ce sens, l’optimum privé diffère donc de
l’optimum collectif. Ceci est d’autant plus fort que les calculs économiques des entreprises sur l’avenir
se fondent toujours sur un procédé d’actualisation, conférant une préférence pour les gains
courts/moyens termes (un flux perpétuel F tendant vers F/i à l’infini). Alors il est nécessaire que des
politiques environnementales s’attachent à faire tendre les agents économiques vers l’optimum
collectif. Ceci ne signifie pas que l’objectif de pollution zéro soit optimal mais qu’il peut exister un
optimal entre les coûts de pollution et de dépollution, qui dépendra d’un certain nombre de
paramètres : connaissances scientifiques des phénomènes, de leurs conséquences, de leur traitement
capacité à valoriser chaque pan. Il convient donc d’analyser comment les politiques
environnementales peuvent agir pour faire tendre le comportement des agents économiques vers un
développement durable.
II/ …il est nécessaire que les agents économiques internalisent le
coût des dommages environnementaux…
a) Internalisation dans la comptabilité nationale (France)
Les dépenses nationales liées à l’environnement sont divisées en 3 catégories à savoir les dépenses
pour la mobilisation de ressources en eau, celles liées à la récupération (recyclage des déchets) et celles
liées à l’amélioration du cadre de vie (gestion des espaces verts, restauration immobilière). Elles
représentent 3% du PIB. Au total, 41% des dépenses vont à l’assainissement, l’épuration (eau), 32% à
la gestion des déchets et 7% à l’air.
Par ailleurs les agrégats de richesses ne tiennent compte que des flux monétaires, et ne distingue pas la
nature des biens produits. Bertrand de Jouvenel, en 1968, met en lumière le fait que les services
rendus à titre gratuit ne sont pas inclus dans les flux positifs, de même que même que les nuisances ne
sont pas inclues dans les flux négatifs, et les prélèvements sur la nature ne sont comptabilisés qu’à leur
coût d’enlèvement.
Plus encore, les dépenses d’autoprotection des ménages pollués sont inclues dans le PIB
(consommation finale) alors que pour les sociétés pollués, il s’agit de consommation intermédiaires,
abaissant ainsi leur valeur ajoutée, rendant moins compétitive l’entreprise soucieuse de
l’environnement que sa concurrente non soucieuse. Lorsque les dommages environnementaux ne
sont pas corrigés par des dépenses, il n’y a aucun flux monétaire et donc aucune intégration dans les
agrégats.
De plus, la comptabilité nationale se faisant en termes de recettes/dépenses, et non en termes
d’actif/passif, elle omet la dépréciation progressive des actifs naturels. Le capital naturel est ainsi
largement exclu des éléments comptables.
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Modifiés les agrégats de la comptabilité nationale permettrait aux décideurs de prendre consciences de
l’impact quantifiés des dommages environnementaux et donc d’agir différemment. La croissance
deviendrait un objectif en termes quantitatif et qualitatif. La formation de capital nette pourrait être
modifiée par intégration du capital naturel et de ses dépréciations, une nouvelle balance pourrait être
mise en place, des comptes satellites pourraient être montés ainsi que des inventaires physiques
lorsque la traduction monétaire n’est pas possible.
Enfin, l’étalon de mesure pourrait être revu ou un nouveau pourrait être développé en complément.
En effet, quand bien même l’étalon monétaire parle à tous, il n’a parfois guère de sens, et tout n’est
pas aisément valorisable, ou sa valorisation varie d’un pays à l’autre. L’énergie pourrait faire un bon
étalon puisqu’elle est universelle et permet de quantifier les coûts de production, de création et de
déperditions.
b) Les propositions de droits de propriété de Coase (1960) et de taxe
pigouvienne (1920)
Les biens environnementaux ont la particularité d’être soit des biens communs sur lesquels il peut
donc y avoir rivalité d’usage (le poisson, les espèces animales sauvages…) et où le fait de puiser dans
la ressource crée un dommage aux autres, soit des biens collectifs purs (éclairage public, qualité de
l’air…). Aristote disait dans la Politique que « ce qui appartient à tout un chacun est le plus négligé car tout
individu prend le plus grand soin de ce qui lui appartient en propre, quitte à négliger ce qu’il possède en commun avec
autrui. » Les biens privés sont ainsi mieux protégés, à condition qu’ils aient une valeur pour leur
propriétaire et que le propriétaire prenne en compte le bien-être des générations futures.
Ceci fait estimer à R. Coase, dans The problem of Social Cost (1960), que l’existence de droits de propriété
aurait permis, par leur échange sur un marché, d’atteindre l’optimum en internalisant les coûts
sociaux. Pour lui, les externalités sont réciproques, c’est à dire que si un médecin est gêné par le bruit
d’une usine, celle-ci ne peut pas fonctionner sans faire de bruit, et que l’un est l’autre on un intérêt à
trouver un compromis : la recherche du meilleur produit net. L’optimum pourrait donc être atteint
sans avoir recours à l’intervention de l’Etat, excepté dans l’institutionnalisation des droits de
propriété. Aussi, l’affectation initiale des droits ne modifierait l’optimum. En revanche, il précise que
s’il existe des coûts de transactions, alors le marché ne fonctionne pas parfaitement, et l’intervention
étatique devient souhaitable, sous condition que le coût de celle-ci soit inférieur à celui proposé par le
marché.
Or certains dénoncent l’impossible réalisation d’un tel marché, les biens environnementaux n’étant
pas aisément divisibles. De plus, ce marché, sans assurer l’utilisation efficace des ressources, pourrait
engendrer un rationnement par les prix, des inégalités d’usage, alors que les biens environnementaux
sont des biens communs. Il faut donc trouver un moyen de gestion qui préserve à la fois l’efficacité et
l’équité de l’usage. Qui plus est, l’existence d’effets de revenu remet également en question
l’hypothèse de Coase selon laquelle l’optimum de pollution n’est pas dépendant de la répartition
initiale des droits. En effet, si les pollués sont détenteurs des droits, ils vont avoir tendance à vouloir
toujours plus recevoir, donc a exiger une qualité environnementale toujours meilleure, alors que les
pollueurs seront de moins en moins enclins à payer. A l’inverse, si les pollués payent pour être
dépollués, les pollueurs seront de plus en plus prêts à recevoir alors que les pollués seront de moins
en moins enclins à payer pour être dépollués. Ainsi, lorsque les propriétaires de l’environnement sont
les pollueurs, l’optimum correspond à un niveau de pollution supérieur à ce qu’il serait si les
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propriétaires étaient les pollués. De plus la réalité démontre que les coûts de transaction peuvent être
très importants. En effet, il n’y a pas que les entreprises qui dégradent l’environnement, les pollueurs
sont pollués par d’autres et vice-versa. La transaction peut donc nécessiter une recherche
d’information, de collecte, de regroupement de pollués, de surveillance de bonne exécution, qui coûte
in fine plus cher que le bénéfice environnemental attendu. La théorie de Coase ne peut alors pas
s’appliquer dans les cas où l’externalité négative est un mal géographiquement diffus.
Les taxes pigouviennes (Pigou, 1920) consisteraient à combler l’écart entre coût privé et coût social.
La taxe, équivalente à l’écart entre ces 2 coûts, engendrerait une montée des prix unitaires, et donc
une réduction de la quantité de demande. Ainsi, l’entreprise produirait moins, et la situation
environnementale retournerait à l’optimum. Il s’agit donc d’un mécanisme d’incitation par les prix qui
modifie les comportements des agents économiques en rétablissant le prix à hauteur du coût social.
Ces taxes sont supposées permettre un double dividende, sous hypothèse de niveau de prélèvements
totaux constant (impliquant de revoir la fiscalité pour supprimer certaines taxes) : le premier étant de
moins imposer un facteur (travail ou capital), le rendant ainsi plus attractif, et le second étant un gain
écologique. Les taxes environnementales permettent ainsi de limiter les prélèvements au coût social
élevé et générer des gains d’efficacité.
Mais la mise en place de ces taxes suppose que l’on sache évaluer au préalable le coût social des
dommages. De plus, Sandmo démontre en1975 que la taxe environnementale optimale est la
moyenne pondérée de l’inverse de l’élasticité prix en valeur absolue et du dommage social marginal.
Par ailleurs, la réussite de telles taxes est assurée seulement si la seule distorsion dont souffre le
marché soit celle des externalités. Dès lors qu’il y a interaction avec d’autres prélèvements, le résultat
devient bien plus incertain. Aussi, l’analyse théorique du double dividende n’est pas arrivée à un
résultat suffisamment concluant pour s’assurer de la réalité du phénomène, d’autant que ces taxes
arrivent comme « second best », et que donc le dividende de baisse de distorsion sur un facteur n’est
pas certain comparé à celui d’amélioration de la qualité de l’environnement. Enfin en termes d’équité,
ces taxes posent problème. En effet, si la taxe vise le producteur, il est fort probable qu’il la répercute
sur le consommateur, sinon sur les fournisseurs, les salariés … En déformant ainsi la structure de prix
relatifs, la fiscalité écologique montre un impact régressif, touchant relativement plus fortement les
consommateurs à bas revenus. Ainsi, pour pouvoir appliquer des taxes pigouviennes, il faudrait un
Etat omniscient (sachant tout du comportement des agents économiques, de leur fonction de
production et d’utilité), désintéressé et infaillible. Or le marché n’est pas parfait, l’Etat non plus,
chacun ont leurs défaillances.
c) Enjeux des politiques environnementales à l’échelle nationale :
mesures d’action en aval (normes, taxes, primes, permis)
Depuis les années 60 jusque dans les années 90, l’approche réglementaire a été privilégiée à celle
économique, et demeure toujours prédominante. La réglementation permet d’interdire, d’autoriser et
de sanctionner la dégradation environnementale. Il existe pour ce faire 4 types de normes. La norme
d’émission vient limiter quantitativement les rejets. Si elle s’impose également à tous, alors elle
favorise les entreprise pour lesquelles le coût marginal de dépollution est moindre, soit la plus grosse,
ce qui renforce la tendance monopolistique. Une individualisation des normes d’émission permettrait
d’éviter cela, mais serait particulièrement délicate à mettre en place. Les normes de produits
(carburants, véhicules, bruits…)
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Réglementent les caractéristiques des produits et doivent donc être définis industrie par industrie. Les
normes de procédés obligent l’usage de procédés de production ou de dispositifs anti-pollution qui
eux sont fonction du choix de la technologie de référence à employer. Il s’agit dans ce cas d’une
obligation de moyen. Enfin, le principe de précaution, qui interdit certaines productions lorsque le
risque induit semble être inacceptable aux effets irréversibles. Il peut être levé ou confirmé à mesure
du développement de la connaissance scientifique.
L’expérience américaine (années 70, normes d’émission) démontre que les industries arrivent
aisément à s’opposer aux normes, retardant leur entrée en vigueur et diminuant leurs objectifs.
L’expérience japonaise (normes d’émissions, même période) démontre en revanche que grâce à une
coopération forte entre Etat et entreprises pour financer la R&D et les projets, les normes peuvent
rapidement être appliquées.
Ceci révèle une préférence des agents économiques pour la norme face à la taxe. En effet ils estiment
pouvoir peser d’avantage sur la réglementation, en retarder l’arriver, et craignent que la taxe leur coûte
plus que la mise aux normes. De plus, les normes apparaissent comme une somme d’information
plus conséquente que la taxe, qui inquiète en conséquence. Les normes sont effectivement beaucoup
plus faciles à comprendre que les mécanismes par les prix, pour les entreprises et l’opinion publique.
Ceci arrange d’autant plus l’Etat que l’administration maitrise déjà l’exécution des normes.
Néanmoins, la lenteur de révision et donc le non encouragement aux améliorations technologiques, la
lourdeur administrative, le risque de fraude et de marchandage, la difficulté de contrôle qu’elle
implique sont autant de freins à une politique environnementale efficace.
Le recours aux instruments économiques s’est véritablement fait à partir des années 90, avec des taxes
et redevances qui procèdent plus d’une logique incitative que fiscale, le calcul économique incitant les
agents économiques à dépolluer. L’Europe de l’ouest (France, Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Italie,
UK…) utilise beaucoup ce système pour l’eau. La Suède et la Norvège l’applique pour certains
polluants atmosphérique (dioxyde de soufre), la France, la Suisse ou encore le Japon l’utilise
également sur les bruits des avions. Sur les produits, elles visent les contenus (quantité de plomb dans
le carburant qui a permis de faire évoluer la consommation vers le sans plomb), et agit comme une
taxation différentielle permettant au consommateur d’orienter ses choix autrement.
La taxation optimale devrait porter sur les sources fixes d’émissions dont la mesure est facile, non pas
la production, sinon elle limiterait l’investissement technologique permettant de réduire les émissions.
Si l’émission est indissociable de la production, alors la taxe mérite d’être partagée entre le producteur
et le consommateur, ce qui aura pour effet de diminuer la quantité consommée/produite. Par ailleurs,
les recettes engendrées par la taxe ne devraient pas servir à indemniser les pollués ou à dépolluer
puisque ceci risquerait de conduire les agents à ne plus chercher à s’auto-protéger, voire à promouvoir
la pollution pour en tirer profit. La taxe nécessite également de connaitre le coût marginal de
dépollution à l’optimum. Contrairement à la norme, la taxe incite à l’investissement dans le progrès
technique.
La force de la taxe environnementale réside dans sa capacité incitative, capable de modifier les
comportements des agents économiques. A l’inverse de celles-ci, les primes à la dépollution amènent
à la perduration des comportements des agents économiques, en donnant l’illusion d’atteindre
l’optimum. En effet, si la dépollution vaut moins chère que la prime, alors la collectivité opère un
transfert monétaire, une redistribution vers le pollueur, ce qui revient à lui accorder les droits de
propriété environnementale.
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Selon le même principe de la taxe, les péages comme ceux à l’entrée de centre ville (Londres,
Singapour…) permettent d’instaurer un prix à l’usage de l’espace routier jusqu’à présent gratuit bien
qu’engendrant des pollutions de l’air. Ceci a d’intéressant qu’il permet de ne pas pénaliser la propriété
mais son usage. Toutefois, ils ne peuvent être mis en place sans la proposition en même temps de
substituts adaptés (transports en commun).
Entre la norme et la taxe, certaines entreprises peuvent préférer l’approche contractuelle, qui permet
de garantir une meilleure application de la norme fixée puisqu’elle est le fruit d’une négociation avec
contreparties (aides, subventions, appels d’offre…). Des contrats de branches ont été mis en place en
France (industries pâte à papier, sucrerie, distilleries et féculeries), des contrats d’agglomération au
Japon, pour réduire la pollution atmosphérique. Des contrats d’entreprise sont passés entre les Etats
et les grandes entreprises, comme entre l’Etat français et Péchiney ou EDF (réduction des émissions
de dioxyde de soufre).
Une autre mesure est la mise en place d’un mécanisme des permis négociables qui consisterait à ce
que le pollué accepte de vendre son permis lorsque le prix est supérieur au coût marginal de la
pollution, et le pollueur accepte de l’acheter lorsque le prix est inférieur au coût marginal de
dépollution. L’Etat fixe alors un nombre total de permis, correspondant donc à une quantité de
pollution, et impose un objectif de dépollution, c'est-à-dire son optimum. Ainsi les pollueurs ne
polluent qu’à mesure de leurs permis, au-delà desquelles ils doivent dépolluer. Les permis
négociables, contrairement aux taxes, ne nécessitent pas de connaitre le coût marginal de dépollution
mais simplement l’objectif global de dépollution. Toutefois ce mécanisme est sujet à la pression des
industries. En effet, le système d’attribution des permis en France, à la discrétion des régions, s’est
trouvé sous la pression des industries qui menaçaient de se relocaliser sur le territoire, et négociaient
ainsi un nombre de permis équivalent à leurs besoins. De fait, les objectifs de dépollution par ce
système sont minimes, et les permis se négocient à très faible valeur.
Au finale, pour que l’intervention étatique puisse déterminer le bon niveau de taxe, de prime… il faut
qu’elle ait l’information sur les dommages et les coûts, détenus par les pollueurs qui en dégagent une
rente informationnelle. Pour que les entreprises n’aient pas intérêt à cacher la vérité, il faut qu’il y ait
un transfert monétaire en leur sens supérieur à la rente informationnelle. Néanmoins, une fois ceci
réglé, il est nécessaire de s’assurer ex post que la mise en œuvre soit respectée, sans fraude ni tricherie.
Pour décourager les agents économiques d’un tel comportement, il faut un mécanisme prohibitif
accroissant le coût de la fraude et la probabilité de contrôle. Mais ces contrôles ont un coût. Pour
limiter ce dernier, les pénalités monétaires ont intérêt à être importantes et les contrôles peu
fréquents. Dans la réalité, elles sont peu fréquentes et faibles.
La difficulté globale de tous ces instruments est la baisse d’efficacité environnementale potentielle due
à l’incertitude de l’évaluation des dommages marginaux et des coûts marginaux. Les niveaux sont
fixés ex ante alors que l’évaluation se fait ex post, et il peut donc exister un écart entre les deux. Si les
coûts sont surestimés, il y a baisse de surplus social, s’ils sont sousestimés, les pollués ne bénéficieront
pas du bien-être attendu en terme de dépollution. Par ailleurs les pollueurs n’ont pas intérêt à révéler
toute leur information concernant leur coût marginal de dépollution, soit pour être moins taxé, soit
pour bénéficier de plus de prime. Ainsi, en cas de surestimation des coûts de dépollution, la régulation
préférable est celle par les quantités, alors qu’en cas de sousestimation, celle par les prix est préférable.
Roberts et Spence en 1976 ont proposé un système mixte d’intervention pour parer au double risque
de sur et sous estimation. Il s’agirait de permis négociables, délivrés pour correspondre au plafond
d’émission. Les pollueurs pourraient émettre/rejeter au-delà de ce plafond à condition de payer une
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taxe unitaire sur les unités de pollution supplémentaire. A l’inverse, s’ils n’utilisent pas tous leurs
permis, ils perçoivent une subvention pour chaque unité non consommée. Ainsi, si les coûts de
dépollution ont été surestimés, la subvention incite à faire mieux que la norme, et s’ils ont été
sousestimés, les polleurs peuvent tout de même émettre en payant une taxe. Pour pallier à la fois les
défaillances du marché et de l’intervention publique il apparait enfin préférable d’agir par paquets de
mesures environnementales.
La meilleure incitation semble alors être celle du choix du consommateur, qui détermine le capital
réputation de l’entreprise. C’est pourquoi un autre levier de politique environnementale est
l’éducation, en ce sens qu’elle permet de modeler le rapport des consommateurs aux entreprises
polluantes et orienter le paradigme technologique à venir. La labellisation peut également jouer un
rôle auprès de l’opinion publique en étant source de profits commerciaux. Pour ce faire elle doit être
rigoureusement encadrée pour limiter la multiplication des labels source de confusion. Il en existe
déjà dans de nombreux pays de l’OCDE (NF environnement en France, Ange bleu en Allemagne,
Ecomark au Japon…). La demande est volontaire, et label est attribué pour une durée limitée et
repose sur la prise en compte de l’impact environnemental tout au long de la chaine de fabrication, de
distribution et d’élimination/retraitement.
Enfin, il est à noter que les pays d’Europe du Nord emploient également nombre de systèmes de
consignation, pour divers types de déchets, récompensant des comportements qui leur permettent de
recycler. Ceci fonctionne d’autant plus que la capacité technique de recyclage est grande et qu’elle
s’intègre parfaitement dans le circuit de production des entreprises nationales.
d) Enjeux des politiques environnementales à l’échelle nationale :
mesures d’action en amont (fiscalité et paradigme technologique)
Contraindre les entreprises à intégrer les coûts de dépollution dans leurs business plan est un levier
correctif. Promouvoir un paradigme technologique orienté vers le développement durable est un
objectif par anticipation. Ceci passe par des politiques d’éducation (dont éducation supérieure), de
soutien à la recherche et une remise à plat de la fiscalité.
Le concept de paradigme technologique (Dosi, 1982, Le Bas, 1991) fait apparaitre que l’évolution
technologique est sélective, finalisée (par les contraintes du marché) et cumulative (axe d’effort
d’apprentissage). Les entreprises sont ainsi conditionnées par leurs choix technologiques et
économiques passés. Pour que le développement durable soit intégré, il faut donc qu’une action soit
menée sur les procédures de sélection technologique, favorisant les trajectoires technologiques
soutenable. Les changements technologiques sont principalement cumulatifs et incrémentaux, les
innovations se développent en grappes dans une relation de dépendance avec les techniques et les
formes d’organisation productive. Le grand enjeu du développement durable n’est donc dans la
capacité de régulation des émissions, mais est d’arriver à insuffler un nouveau paradigme
technologique, dont le résultat soit l’innovation propre. Ceci nécessite tout d’abord de connaitre le
contenu des processus de formation de pollution et de savoir en mener l’expertise et le diagnostic. La
première difficulté est que ce domaine requière une forte interdisciplinarité, et une couverture aux
échelles régionales, nationale et internationale. Pour amorcer cela, il est nécessaire que l’Etat
développe une politique d’éducation supérieure en conséquence, ainsi que des programmes de
recherche. Ensuite, l’Etat peut développer des normes, réglementer les aides à la création, les
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agréments, développer des zones dédiées à fiscalité avantageuse…pour programmer le paradigme
technologique à venir.
Le paradigme du développement durable peut s’appliquer à nombre de secteur d’activité. A l’exemple
du BTP (économie d’énergie), du génie civil (traitement des eaux), de la mécanique et la plasturgie
(recyclage) ou encore de l’industrie de mesure (nouveaux instruments de contrôle de la pollution).
De plus, l’innovation technologique peut être stimulées par la demande des pollués (matériaux HQE,
énergies renouvelables, automobile peu consommatrice…) ou des Etats (appels d’offre dans le BTP),
et celles stimulées par la pression de l’offre (matériaux recyclable des véhicules pour faire face à la
monter des cours des matières premières). Qui plus est, l’innovation technologique propre peut être
un avantage comparatif, d’autant plus à mesure que les taxes environnementales engendrent des
distorsions dans les prix entre un produit et ses substituts où que le cours des matières premières
augmentent. La protection de l’environnement peut donc entrer dans la stratégie des firmes, à la fois
leur R&D et leur communication.
Pour s’assurer que les entreprises soient en mesure d’entrer dans ce nouveau paradigme, il est
nécessaire de repenser la fiscalité pour s’assurer qu’elle lui soit propice. En effet la France a longtemps
eu une fiscalité à contre courant du développement durable. Par exemple, jusqu’en 1991, une
exonération de taxe foncière existait sur les propriétés non bâties qui procédaient au dessèchement
des marais alors que les zones humides sont celles qui regorgent de la plus grande biodiversité, ou
encore l’exonération trentenaire des espaces ensemencés, plantés ou replanté en bois. Il pourrait être
intéressant de modifier la fiscalité des entreprises pour basculer d’une taxation du capital à une
taxation de la pollution. Ainsi, les entreprises propres seront moins imposées que les autres.
Néanmoins, pour s’assurer de recettes fiscales pérennes, des taxes sur des biens massivement
consommés (énergie) dont l’élasticité prix est importante pourraient être mises en place. Pour
provoquer le changement de paradigme dans les comportements des consommateurs, des taxes
pourraient voir le jour sur de petites assiettes, à taux élevé. Ces dernières recettes fiscales auront donc
vocation à diminuer rapidement dans le temps, à l’image par exemple de la taxe irlandaise sur les sacs
de caisse, qui a disparu en quelques années.
Les politiques environnementales ont donc la capacité de générer un nouveau paradigme
technologique propre sur leur territoire. Toutefois, la question se pose de savoir la poursuite d’un tel
objectif est compatible avec la compétitivité internationale de son économie.
III/…et ce à l’échelle mondiale
a) Politique environnementale nationale Vs. développement et
compétitivité internationale
L’impact des échanges commerciaux d’un pays à l’autre, varie en fonction de la nature de son export
et de son import. L’asymétrie induite (pays vendeurs de services, importateurs de matières polluantes
par exemple) fait que certains pays sont plus enclins à fournir des biens à la production polluante,
débarrassant ainsi son partenaire à l’échange des externalités négatives induites. Si les prix reflétaient
ces externalités, il est probable que les échanges soient bien différents. Pour comprendre les intérêts
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qui guident les pays, deux théories s’opposent : celle du havre de pollution et celle de la dotation en
facteurs (H-O-S).
Selon l’hypothèse du havre de pollution, les pays ayant une politique environnementale laxiste se
spécialisent dans l’industrie polluante. Ainsi, les pays ayant une faible consommation énergétique,
c'est-à-dire principalement des pays en développement n’ont pas encore saturées les capacités
d’assimilation de leur nature, détiennent un avantage comparatif et peuvent être des havres potentiels.
Néanmoins, il apparait que les flux récents d’investissements étrangers concernaient des industries
très capitalistiques et polluantes montraient une délocalisation à l’intérieur de leur pôle de la Triade
respectif, n’ayant pas d’intérêt à trouver de la main d’œuvre à bas coût. De plus, nombre d’entre elles
conservent les mêmes procédés de production que dans leur pays d’origine pour éviter d’être tenus
coupables par les consommateurs.
En revanche, selon la théorie des dotations de facteurs, les politiques environnementales ont peu
d’effet sur la spécialisation (seules les taxes, qui visent à instaurer des distorsions dans les choix de
consommation, pour les réorienter vers des substituts plus propres en baissant la productivité dans les
entreprises ciblées) qui se fonde sur la dotation en facteurs du pays. Il apparait ainsi que les
différences de politiques environnementales ne sont pas suffisantes à l’explication de délocalisation
d’industries polluantes mais que le facteur premier est celui de la dotation de facteurs. Ce qui fait
qu’un pays riche particulièrement doté en facteur intéressant des industries polluantes ne les verra pas
quitter son territoire. Donc les industries polluantes qui se délocalisent pour ce motif nécessitent
d’être en quête de ressources naturelles et de main d’œuvre peu qualifiée, et la réalité démontre que
nombre de ces industries nécessite du personnel qualifié. Néanmoins, il est observé que les
durcissements de réglementations environnementales à l’intérieur des Etats fédérés américains
impactent négativement la décision de localisation d’entreprises polluantes qui préfèrent s’installer
dans d’autres Etats, les dotations de facteurs étant uniforme sur l’ensemble du pays.
Les études ne tranchent pas entre ces deux théories. Toutefois, il est vraisemblable que les coûts
actuels liés aux politiques environnementales pour les entreprises occidentales sont encore trop faibles
pour être un facteur de localisation/délocalisation prépondérant. De plus, les industries les plus
polluantes (sidérurgie, raffinerie, minéraux, bois, verre…) sont les moins mobiles, et sont les plus
réglementées. De fait, l’hypothèse du havre de pollution ne rencontre pas encore des politiques
environnementales occidentales assez forte (nombre de secteurs touchés, poids des mesures) pour
pouvoir être analysée correctement.
Les règles de l’OMC (et anciennement du GATT) ne facilitent pas la transition de paradigme. A
l’exemple les normes de procédés et de celles d’émissions qui ne sont pas sujettes au principe de nondiscrimination contrairement à celles de qualité ou de produit. Ceci favorise la compétitivité des pays
ne fixant pas/peu de ce type de normes et est donc susceptible de promouvoir un dumping
environnemental. Par ailleurs, la consolidation des droits de douanes implique que ceux-ci soient
progressivement démantelés, et sont encore autorisés comme ultime rempart protectionniste. Ainsi, si
des pays surexploitants cherchent à mettre en place des systèmes de quotas par exemple, ils se
retrouveraient rapidement à perdre en ORD. C’est ainsi à l’exemple que l’Indonésie surexploite ses
réserves forestières. Depuis peu néanmoins, l’OMC, en même temps qu’elle vise à abaisser les
barrières au libre échange, prend conscience des enjeux environnementaux et reconnait de plus en
plus les politiques environnementales comme exceptions au principe de non discrimination. Ceci fait
que les politiques économiques peuvent alors être employées comme outils de politique commerciale
protectionniste. A l’exemple, soit deux pays qui cherchent à internaliser leurs externalités en mettant
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en place une taxation environnementale. Si ces nations font commerces, elles chercheront à
développer des politiques commerciales favorisant l’échange, donc l’abaissement des barrières
douanières. De fait, pour augmenter leur compétitivité, elles utiliseront leur politique
environnementale pour améliorer les termes de l’échange, par subvention. Alors, les politiques
environnementales se transforment en substituts des politiques commerciales. Par ailleurs, si
l’équilibre entre les deux pays n’est pas coopératif (réaction de dilemme du prisonnier de la théorie
des jeux), pour favoriser les termes de l’échange, un pays pourra décider d’abaisser ses taxes
environnementale.
Cette crainte de situation de théorie des jeux conduit les pays à la frilosité en matière de promotion
active du développement durable. Pourtant la théorie de Vernon de cycle de produit peut être reprise
dans le cadre de la production d’innovations propres. En effet, si celles-ci percent, alors les firmes
pionnières alimenteront cumulativement une diffusion internationale des innovations propres par la
concurrence, par surenchères successives. Ce faisant, les pays initiant le paradigme technologique du
développement durable pourraient installer ce dernier à l’échelle internationale. Malgré cela, il apparait
que la défiance à l’engagement collectif international prime.
b) Une action collective des Etats très frileuse.
Les premiers textes internationaux relatifs au développement durable sont apparus dans les années 70.
A partir de 1972 ont eu lieu toutes les décennies des Sommets de la Terre. Celui de 1982 n’est pas
resté dans les annales, la Guerre Froide détournant les esprits de l’enjeu du développement durable.
En 1992, le Sommet de Rio voit plus d’une centaine de chefs d’Etat participer et signer l’Agenda 21.
La lutte contre le changement climatique y est alors amorcée, via la volonté d’éliminer certains
produits toxiques et limiter les émissions de GES, préparant ainsi le protocole de Kyoto de 1997.
Les pays signataires du protocole de Kyoto (172, les USA ne sont pas du nombre et représentent 23%
des émissions de C02), entré en vigueur en 2005, ont pour objectif de réduire les émissions de 6 GES.
Pour que le protocole puisse entrer en vigueur, il aura fallut qu’au moins 55 pays représentant 55%
des émissions de CO2 de 1990 le ratifient, ce qui ne fut le cas qu’en novembre 2004 avec l’entrée de la
Russie (17% des émissions mondiales). Les objectifs se répartissent en 2 catégories : le groupe A (38
pays industrialisés) qui doivent réduire de 5,2% ces émissions en 2012 par rapport à 1990, et le groupe
du G77 qui n’a pas d’engagements quantifiés. Ceci démontre que pour les pays en développement, le
développement durable est une contrainte qui ne peut être la priorité. Par ailleurs, le taux de réduction
des GES se fonde sur l’année 1990, qui marque la fin de la Guerre Froide, et la chute de l’URSS, soit
le paroxysme des émissions de GES des pays occidentaux. Ainsi, il apparait que les pays développés
sont également frileux à s’engager à réduire leurs émissions, craignant une contrepartie économique
défavorable. De fait, un mécanisme de MDP (mécanismes de développement propres) a été mis en
place pour permette aux Etats occidentaux de réaliser une partie de leurs objectifs via des
investissements écologiques dans les pays en développement. Ils représentaient 5,4mds$ en 2006.
Nombres de critiques visent les MDP, dont les objectifs sont parfois trompeurs.
Le Sommet de la Terre de Johannesburg en 2002, la plus grande rencontre jamais organisée par les
Nations-Unis avec toujours plus d’une centaine de délégués traita principalement des questions de
l’eau, l’énergie, la production agricole, la biodiversité et la santé. La conférence de Bali (inter-Sommet
de la Terre) en décembre 2007, visant à discuter de l’après Kyoto (2012) n’aura eu que peu d’effets :
bien que les USA aient accepté de rentrer dans le protocole Kyoto+ à terme, les pays ne sont pas
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parvenus à des engagements chiffrés. Ceci démontre l’inquiétude de ces derniers pour leur économie,
incompatible avec la prise en compte de l’enjeu du développement durable : les Etats ne sont pas tant
intéressés par l’objectif de durabilité que par l’estimation du coût d’entrée dans le mécanisme et les effets
positifs/négatifs sur la structure de leur économie/industrie.
Pour finir, la question de la position des USA mérite d’être analysée plus en profondeur. En effet, leur
refus de s’engager dans des accords internationaux ne signifie pas qu’ils ne sont pas proactifs en
matière de développement durable. Les USA se sont opposées à l’entrée dans le protocole sous les
mandatures Clinton et Bush, justifiant que la Chine était en passe de devenir le plus gros émetteur de
GES (ce qui est le cas depuis 2006) et que son industrie est énergétiquement bien moins efficace
comparée à celle américaine, et qu’elle n’acceptait aucun engagement chiffrés malgré cette position. A
titre illustratif, si population chinoise devait avoir un taux d’automobile par foyer similaire à celui
occidental, il faudrait doubler la taille du parc automobile mondiale. Ceci signifierait une
augmentation du cours des matières premières (métal, pétrole), un doublement des émissions de GES
dus au transport des particuliers. Le choix de la politique américaine est un choix d’opposition, à
l’inverse des européens qui cherchent plutôt à faire entrer la Chine dans des instances de négociation,
quitte à être souple. Néanmoins, il faut être lucide sur le fait que le seul pays de taille à négocier avec
le géant chinois est bien les USA.
La logique des USA est de préférer plaider pour le développement de technologies propres, et il est
vrai que le green investment est originaire d’Amérique du Nord, et que malgré l’importance de leurs
émissions, nombre de chercheurs, d’entrepreneurs travaillent dans le secteur et nombres de
réglementations environnementales sont mises en place dans les Etats fédérés. A l’exemple certains
nombres de villes et d’Etats se sont imposés des objectifs équivalents voir supérieurs à ceux de
Kyoto, et par delà 2012. Ils sont d’ailleurs les plus anciens à avoir mis en place une politique
environnementale de protection de l’air : le Clean Air Act, supervisé par l’EPA (Environnement
Protection Agency). Il est voté en 1970, et concerne 5 polluants, auxquels sont attribués des quotas
d’émission. Puis en 1974 est mise en place la possibilité d’échanger les quotas d’émission. A côté de
cela sont mises en place des normes techniques pour les techniques de dépollution. En 1977, la loi est
à nouveau revue pour édicter de nouvelles normes, étendre les délais de mise en conformité et les
modes d’échanges (par bulles). Des systèmes de compensation sont également mis en œuvre pour
permettre de nouvelles sources d’émission à condition que le volume total ne soit pas modifié à la
hausse. En 1990 de nouveaux polluants sont agrégés à la loi et l’approche par le marché est incitée.
Un cadre prohibitif vient pénaliser les pollueurs émettant supérieurement à leurs droits. Le système
démontre une capacité à favoriser les économies –grâce aux bulles- en répartissant de manière
optimale le coût de dépollution. Cette politique aura également permis une certaine flexibilité grâce
aux méthodes de compensation. Néanmoins, ce mécanisme est couteux (administratif, délai, difficulté
de contrôle) et ne permet pas de réduire l’intervention de l’Etat. Pour l’heure, il s’agit d’une des
politiques environnementales les plus abouties au monde.
En conclusion, l’enjeu majeur du développement durable est d’arriver à faire opérer un virage à 90°
aux économies nationales de sorte qu’elles soient capables s’assurer aux générations futures un bienêtre au moins équivalent à l’actuel. Ceci passe parce la capacité des Etats à faire internaliser les coûts
relatifs à l’utilisation du capital naturel aux agents économiques, qui sans intervention, perdureraient
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dans leur préférence pour le court/moyen terme (à l’échelle du temps de la régénération des
ressources naturelles). Toutefois, si pour les pays occidentaux l’enjeu est de préserver le niveau de
bien-être de leurs populations, pour les pays en développement, l’enjeu est d’assurer la croissance du
bien-être de leurs populations. Et ces derniers représentent près des trois-quarts de la population
mondiale. De fait, la mise en place de politiques environnementales proactives ne peut exister que
dans les pays occidentaux, qui craignent de dégrader leur compétitivité si tous n’entrent pas dans un
schéma d’échange international coopératif. Il ne faut néanmoins pas taxer les pays en développement
de non prise en compte de leur empreinte écologique, certes certains n’ont pas les moyens (expertise,
administration, pouvoir de l’Etat, finances…) mais d’autres, comme la Chine, cherchent à contrôler
certains effets de leur développement. En effet, le gouvernement chinois, de même que d’autres
gouvernements asiatiques (Taiwan, Singapour) réglementent fortement les pratiques ayant lieu
pendant le Ghost Month (mois des fantômes, 7ème mois du calendrier chinois où les populations font
des offrandes journalières qu’elles brûlent dans les rues) ou encore la Moon Fest (fête de la Lune,
pendant laquelle les populations achètent des Moon cakes nécessitant l’incinération de tonnes de
cartons d’emballage a posteriori). Ceci démontre combien la capacité des Etats à s’impliquer pour le
développement durable est une question de niveau de développement déjà atteint et de finances
nationales.
Références bibliographiques :
-
Economie de l’environnement, Annie Vallée, Edition du Seuil, 2002
Economie de l’environnement, Abdelmalki & Mundler, Hachette, 1997
Politiques environnementales et compétitiivité, Dominique Bureau et Michel Mougeot,
Conseil de l’analyse economique, La documentation française, 2004
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