Forum Med Suisse 2011 ;11(11):192–195 192
cabinet
Comment un médicament atteint-il
son site d’action dans l’œil?
Philipp B. Bänninger,Christoph N. Becht
Augenklinik, Luzerner Kantonsspital, Luzern
Introduction
Pour administrer correctement les médicaments ophtal
mologiques dans la pratique, il faut connaître la pharma
cocinétique de leurs différentes formes d’application.
Cet article s’adresse aux nonophtalmologues et a pour
objectif d’expliquer les processus impliqués et de don
ner des conseils pratiques sur l’application correcte des
substances actives.
Pharmacocinétique: comment
le médicament pénètre-t-il dans l’œil?
Les principaux processus pharmacocinétiques auxquels
un médicament est soumis dans l’œil sont l’absorption,
la distribution, le métabolisme et l’élimination.
L’ absorption oculaire est définie comme étant le pro
cessus de pénétration du principe actif dans l’humeur
aqueuse, resp. dans le corps vitré, à travers la cornée
ou la conjonctive/sclérotique (fig. 1 x). La biodisponi
bilité y est déterminée par les propriétés physicochi
miques de la substance active et la perméabilité des
barrières anatomiques. Les facteurs précornéens
comme la sécrétion lacrymale ou le drainage naso
lacrymal diminuent nettement l’absorption. Le débit
continu de la sécrétion lacrymale se situe à 1,2 µl/min,
mais il peut s’élever jusqu’à 400 µl/min en cas d’irrita
tion oculaire. Le médicament appliqué est alors soumis
à une dilution constante et, en parallèle, à une évacua
tion accrue hors du culdesac conjonctival. Le culde
sac conjonctival peut contenir environ 10 µl de liquide
au total, soit environ 20% du volume d’une goutte de
collyre [1], et le flux du drainage nasolacrymal est cent
fois plus élevé que celui de l’absorption cornéenne. Par
conséquent, le médicament ne reste dans le culdesac
conjonctival que pendant trois àcinq minutes, et seule
unefraction de la dose appliquée pénètre dans la cornée.
Pour pénétrer dans la chambreantérieure, le médica
ment doit passer trois barrières cornéennes impor
tantes: l’épithélium, le stroma et l’endothélium. La bar
rière la plus difficile àfranchir est celle des jonctions
serrées de l’épithélium. Dans l’épithélium, le transport
des molécules est transcellulaire ou paracellulaire. En
raison du caractère lipophile de ce tissu, la plupart des
substances actives suivent un passage transcellulaire.
Les médicaments hydrophiles sont les seuls àeffectuer
le passage de façon paracellulaire, malgré la capacité li
mitée de cette voie de transport. Le fait que le stroma soit
composé de 78% d’eau et que l’endothélium soit une mo
nocouche de cellules facilite la pénétration des médica
ments hydrophiles dans ces couches. Le médicament
idéal doit par conséquent avoir des propriétés àlafois
lipophiles et hydrophiles. Même en conditions optimales,
ces barrières empêchent la cornée d’absorber plus de 1
à10% de la substance active appliquée [2]. L’ absence de
jonctions serrées rend les barrières de la conjonctive et
de la sclérotique plus perméables aux médicaments
hydrophiles que l’épithélium de la cornée. De plus, les
médicaments appliqués empruntant les réseaux artériels
de la conjonctive et de la sclérotique parviennent directe
ment dans le corps ciliaire et l’uvée. Ainsi les substances
actives atteignent leur site d’action avec une concentra
tion plus élevée que si elles pénètrent par la cornée.
Dans l’œil, la distribution depuis le compartiment cen
tral vers un compartiment périphérique correspond au
passage du médicament de l’humeur aqueuse dans les
tissus environnants de l’iris, du corps ciliaire, du cris
tallin, de l’uvée et du corps vitré. En principe, trois pro
cessus peuvent faire obstacle à cette distribution: la
fixation active du médicament à la mélanine de l’iris et
du corps ciliaire, la fixation à des protéines de l’humeur
aqueuse, et l’élimination rapide due à la vitesse élevée
du renouvellement de l’humeur aqueuse, dont le flux
(du corps ciliaire vers la chambre antérieure de l’œil)
s’oppose à celui du médicament.
Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article
à la page 186 ou sur Internet sous www.smf-cme.ch.
Quintessence
PUn traitement ophtalmologique efficace doit tenir compte des prin
cipes régissant la pharmacocinétique oculaire des différentes formes
d’application des substances actives.
PPour améliorer l’observance des patients, il faut leur expliquer la ma
ladie et la façon d’appliquer correctement le médicament, et prévenir les
effets indésirables au niveau local ou systémique.
PL’ application de collyres s’effectue comme suit: tirer la paupière infé
rieure vers le bas et laisser tomber une goutte dans le culdesac conjonc
tival en évitant tout contact, puis fermer les paupières et boucher le point
lacrymal afin de prolonger le contact entre la cornée et le médicament et
d’éviter les effets indésirables systémiques.
Philipp B.
Bänninger
Les auteurs
certifient
qu’aucun conflit
d’intérêt n’est lié
à cet article.