C’est aux États-unis dans les années 1920 que l’on trouve l’origine du consommationnisme.
Les industriels de l’époque se demandèrent comment trouver des acheteurs pour tout ce que
l'industrie pouvait produire. Edward Barnays, neveu de Freud , leur donna la réponse. Pour lui, si
les besoins des gens sont limités par nature, leurs désirs sont par essence illimités. Pour les
libérer il suffit d‘accepter l'idée selon laquelle les achats des consommateurs ne correspondent pas
à des besoins pratiques et à des considérations rationnelles. « C'est aux ressorts inconscients,
aux motivations irrationnelles, aux fantasmes et aux désirs inavoués des gens qu'il fallait faire
appel. Au lieu de s'adresser, comme elle l'avait fait jusque-là, au sens pratique des acheteurs, la
publicité devait contenir un message qui transforme les produits même les plus triviaux en
vecteurs d'un sens symbolique. Il fallait en appeler aux « émotions irrationnelles », créer une
culture de la consommation, produire le consommateur type qui cherche, et trouve, dans la
consommation, un moyen d'exprimer son Moi le plus intime. » (1) Une nouvelle race d'acheteurs
est née qui n'a pas besoin de ce qu'elle désire et ne désire pas ce dont elle a besoin. Le
consommationnisme est ainsi le moyen de produire les consommateurs conformes à la définition
des exigences du modèle dominant. Sa fonction est de fabriquer des désirs, des images de soi et
des styles de vie dont l’intériorisation par chacun permet la substitution de consommateurs dociles
aux citoyens potentiellement dangereux pour l'ordre établi.
Le consommateur contre le citoyen
L’individualisation du consommateur est par conséquent conçue comme l’opposé du citoyen. Elle
est le repoussoir de l'affirmation collective de besoins collectifs, du désir de changement social et
de l’attention au bien commun. La publicité et la panoplie des techniques du marketing ont dès lors
une fonction à la fois économique et politique. Elles remplacent l'imagination et les désirs de tous
par ceux de chacun. Elles ne promettent pas aux consommateurs une condition commune
meilleure mais à chacun de se soustraire à la condition commune. Celui qui peut s'offrir un bien
nouveau, distinctif et rare ne devient-il pas un heureux privilégié. Le consommationnisme fait
miroiter la possibilité de solutions individuelles aux problèmes collectifs. Chacun est incité à rejeter
son existence sociale alors qu'il reste pourtant un individu social. On a affaire ici, comme le dit
André Gorz, à une socialisation antisociale. Les techniques audiovisuelles du marketing participent
forcément à ce processus de singularisation/uniformisation. L’histoire de chaque individu étant de
moins en moins différente de celle des autres parce que son histoire se forme sans cesse davantage
dans les images et les sons que les médias déversent dans sa conscience, tout comme dans les objets
et les rapports aux objets que ces images le conduisent à consommer. Il perd la réalité de sa
singularité tout en gardant l’illusion d’être singulier. Ainsi se renforce le divorce entre le
consommateur artificiellement libre de ses choix et le citoyen nécessairement pourvu de son libre
arbitre et d’un esprit critique lui permettant d’espérer comprendre l’impact social et
environnemental de sa consommation.
La tyrannie des firmes et de leurs marques
La production d'images de marque est aujourd’hui la source la plus profitable de l'économie
immatérielle. Elle confère aux firmes qui les génèrent de très confortables rentes de monopole. La
marque attribue au produit une valeur symbolique difficilement mesurable monétairement, mais qui
prend le pas sur sa valeur utilitaire et d'échange. Le capital immatériel des firmes comprend
désormais leur notoriété et leur prestige. Comme véhicule privilégié de normes acceptées par les
consommateurs, l'image de marque permet au capital immatériel de prendre le pouvoir sur les
espaces publics (à commencer par celui de l’École), sur le quotidien des individus, mais aussi sur
l'imaginaire social. De surcroît, le capital symbolique des firmes est mis en valeur par leurs