Impôt sur la dépense
« Une égale justice implique aussi l’égale imposition des taxes : l’égalité de celle-ci ne dépend pas de
l’égalité des fortunes, mais de celle de la somme dont chacun est redevable à la République pour sa défense.
[…] En effet les impôts que le pouvoir souverain réclame des gens ne sont rien d’autre que le salaire dû à
celui qui tient le glaive public pour défendre les particuliers dans l’exercice de leurs divers métiers ou
professions. Et étant donné que l’avantage que chacun en reçoit, c’est de pouvoir jouir de la vie, qui est
également chère aux pauvres et aux riches, la somme que doit le pauvre à ceux qui défendent sa vie est la
même que celle dont le riche est redevable pour la défense de la sienne. […] Ceci étant considéré, l’égalité
d’imposition repose davantage sur l’égalité de ce qui est consommé que sur l’égalité de fortune de ceux qui
consomment ces choses. Pour quelle raison en effet, celui qui travaille beaucoup et qui, épargnant les fruits
de son travail, consomme peu, serait-il plus imposé que celui, vivant à ne rien faire, a de faibles revenus et
les dépense entièrement, alors que l’un ne reçoit pas de la république plus de protection de l’autre ? Quand
les impôts sont assis sur ce que les gens consomment, chacun paye également pour ce dont il use. »
Hobbes, Leviathan, chap. 30, p. 368-369.
« Les droits sur les marchandises sont ceux que les peuples sentent le moins, parce qu’on ne leur fait pas
une demande formelle. Ils peuvent être si sagement ménagés, que le peuple ignorera presque qu’il les paye.
[…]
Règle générale : on peut lever des tributs plus forts à proportion de la liberté des sujets ; et l’on est forcé
de les modérer à mesure que la servitude augmente. Cela a toujours été et sera toujours. C’est une règle tirée
de la nature et qui ne varie point. […] Il y a dans les États modérés un dédommagement pour la pesanteur
des tributs : c’est la liberté. Il y a dans les États despotiques un équivalent pour la liberté : c’est la modicité
des tributs. […]
L’impôt par tête est plus naturel à la servitude ; l’impôt sur les marchandises est plus naturel à la liberté,
parce qu’il se rapporte d’une manière moins directe à la personne. »
Montesquieu, De l’esprit des lois, XIII, 10-14.
Impôt sur les successions
« Toujours le bon sens des peuples a mis une différence entre les biens patrimoniaux, transmis à titre
gratuit, et les biens acquis, soit par un travail personnel, soit du moins par l’épargne faite sur les fruits du
patrimoine. […] Le droit sur les biens patrimoniaux est donc d’une autre nature que celui qu’on a sur les
biens acquis. […] Toute réelle est inviolable qu’elle soit, la propriété des biens patrimoniaux ne s’étend point
jusqu’à frustrer les générations futures. Là finit l’usage légitime et commencerait le plus révoltant des abus.
La plus simple équité demande que tout homme laisse après lui, pour servir à ses successeurs, au moins
l’équivalent de ce qu’il a reçu de ses prédécesseurs. […]. Ce droit naturel de succession n’eût point été
méconnu des habitants de notre île. […] La loi, chez eux, décide sans difficulté qu’à chaque décès, les parts
libres du patrimoine général reviennent également à tous les jeunes travailleurs. […]
Fruits personnels du travail et de l’épargne, les biens acquis diffèrent des autres par leurs destination
autant que par leur origine. Celui qui les a créés a droit de les consommer et, généralement, c’est pour lui
qu’il les crée. Mais s’il peut les consommer lui-même, ne pourrait-il s’en dépouiller en faveur d’autrui ?
[…] Qui oserait défendre à un père de travailler pour ses enfants ? Qui ne respecterait l’épargne que l’ami
destine à l’ami, l’homme généreux au malheur ou au mérité délaissé ? […]
[Mais] est-il compris, dans l’idée de donation, qu’elle doive être perpétuelle, c’est-à-dire toujours
particulière à quelques uns, jamais générale ou bienfaisante pour tous ? […] La limitation est déjà de droit du
côté du donateur. Nul travail, nul mérite de sa part, n’a pas lui conférer sur les choses ce droit de suzeraineté
suprême, ce droit plus que divin de les soustraire à tout usage social. Le travail s’incorpore aux matières
premières, originairement et essentiellement communes. […] Du côté des donataires et légataires la
limitation se légitime non moins naturellement. Il y a une chose que le donateur, quoi qu’il fasse, ne peut leur
transmettre : c’est sa qualité de producteur et créateur de la richesse. Ils ne possèdent donc point au même
titre que lui. Ce qui, entre ses mains, était un bien acquis, devient pour eux un bien transmis : donc, à leur
mort, matière à succession. […]
Ramenés à leur usage légitime, les donations et testaments augmentent sans cesse le patrimoine général et
deviennent un puissant véhicule du progrès matériel. Les affections s’accordent avec l’humanité. Je donne à
un enfant, à une épouse, à un ami, mais je donne en même temps à tous les hommes. Qui ne bénirait de si
salutaires coutumes ? Oh ! donnez, testez sans scrupule ; amassez pour cela des millions ; bientôt il en
rentrera une bonne partie dans le fleuve fertilisant de la succession commune. »
FRANÇOIS HUET [1814-1869], Le règne social du Christianisme, livre III, chap. 7.