7 LE DROIT DES MARCHES PUBLICS

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LE DROIT DES MARCHES PUBLICS
( Rapport Introductif)
Néji BACCOUCHE
Professeur à la Faculté
de Droit de Sfax
1- L’obligation de bonne gouvernance qui pèse désormais sur
l’Etat bouscule le régime juridique des marchés publics. Le droit des
marchés publics se réinvente et se réajuste régulièrement, y compris
dans les Etats qui avaient la réputation d’être les pays du droit écrit et
stable.
2- Sous l’effet de facteurs internes et externes multiples, le
périmètre des marchés publics varie et tend plutôt à s’étendre puisque
la personne morale de droit public et les prérogatives de puissance
publique ne constituent plus des critères déterminants pour identifier
les marchés publics parmi la masse des contrats conclus par les entités
juridiques qualifiées de publiques : les collectivités publiques, les
établissements publics et les entreprises publiques. Le juge des
marchés publics n’est plus nécessairement le juge administratif
puisque les marchés publics ne comportent plus nécessairement des
prérogatives de puissance publique. L’équation « marché public contrat administratif » fut inacceptable pour le Tribunal des Conflits1
avant d’être consacrée par le législateur français2. Une doctrine
autorisée avait parlé alors de «l’administrativisation» des marchés
publics3.
3- La notion de marchés publics est forcément hétérogène
compte tenu à la fois du droit qui la régit et des variétés des contrats
qu’elle couvre. D’une part, le droit des marchés publics est
partiellement de valeur législative et essentiellement réglementaire.
Des lois multiples prévoient les principes directeurs des marchés
publics (Code de la comptabilité publique, loi sur les entreprises
publiques, lois sur les collectivités locales,…) et des décrets innombrables concernant notamment les marchés de certaines entreprises
1
2
3
Conclusions Remy SCHARTZ sur TC du 5 juillet 1999, Commune de
Sauve/Sté Gestetner, RFDA, 1999, p.1163.
L’article 2 de la loi MURCEF, JCP, 2002, act. 71.
F. MODERNE, Faut-il vraiment «admnistrativer» l’ensemble des marchés
publics ? AJDA, 2001, p. 707
7
publiques ou des universités4. Le Conseil constitutionnel vient de
reconnaître au pouvoir réglementaire général la compétence de
légiférer en la matière à la condition, disait-il, de respecter les
principes de transparence, de concurrence et d’égalité des candidats à
la commande publique5. D’autre part, les marchés conclus par les
entités publiques sont très variables. Les modes de passation ne
contribuent nullement à leur homogénéisation. La réglementation
tunisienne vient d’enrichir ces modes en 2004 par l’introduction de la
consultation élargie et le droit communautaire institue, quant à lui, le
dialogue compétitif6.
4- Est-ce pour autant le désordre juridique ? Absolument
pas, puisque, comme on le verra dans ce colloque, les dénominateurs
communs qui fédèrent les marchés publics résistent à la fois aux
particularités de chaque marché et aux particularités nationales. Audelà des particularités multiples, les marchés publics obéissent à des
principes directeurs même si la lecture de ces derniers peut varier d’un
contexte à l’autre.
5- Le droit des marchés publics se renouvelle à un rythme
effréné. Il est devenu instable. Durant les deux dernières décennies, la
législation régissant les marchés publics n’a pas cessé de subir les
révisions aussi bien au niveau national que supranational et
international en raison des pesanteurs qui la conditionnent et des
enjeux économiques, financiers et politiques qui sous-tendent lesdits
marchés.
6- À l’échelle mondiale, il n’a pas été possible de faire
accepter aux Etats membres fondateurs de l’OMC un accord
multilatéral sur les marchés publics. Les accords de Marrakech
GATT/OMC ont dû se contenter d’un accord plurilatéral sur les
marchés publics auquel 38 Etats seulement (dont les 27 Etats de l’UE)
ont adhéré jusque là sur les 150 membres de l’OMC. La Commission
des Nations Unies pour le commerce international continue à se
pencher sur les marchés publics pour contribuer à favoriser la
4
5
6
Le décret n°2663 du 29 novembre 2004 fixant la composition et la compétence
de la commission des marchés créée auprès de chaque université.
Avis n° 59-2006 sur le projet de loi relatif à l’établissement de l’économie
numérique JORT, 2007 n° 16, p. 565.
Article 1.10.c de la directive 2004/18/CE relative à la coordination des
procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de
services.
8
juridicisation et la rationalisation des marchés publics. En témoigne,
les publications régulières de rapports des groupes de travail sur la
question.
7- À l’échelle communautaire, l’Union Européenne, qui est le
grand partenaire de nos trois pays, a élaboré « six directives»
concernant les marchés publics au cours des années 19907. Ce
dispositif multiple a fait l’objet de deux séries de modifications
puisque deux directives adoptées en 2004 ont remplacé celles de 1992
et de 1993. L’effort de mettre en place un droit européen des marchés
publics vise à créer un marché intérieur dans le domaine des marchés
publics, c’est-à-dire créer « une zone sans frontières internes dans
laquelle les biens, les personnes, les services et les capitaux peuvent
circuler librement entre les Etats membres dans le domaine des
marchés publics » 8qui représentent 15 % du PIB communautaire.
8- À l’échelle des Etats, les codes des marchés publics se
succèdent à un rythme infernal pour le juriste. Depuis six ans, la
France est à son troisième code des marchés publics. La législation
tunisienne n’est pas plus stable que son homologue française, puisque
le décret de 1989 régissant les marchés publics (et qui a remplacé
celui de 1974) fut modifié sept fois avant d’être abrogé par l’actuel
décret du 17 décembre 2002. Ce dernier, qui constitue de droit
commun des marchés publics, a déjà fait l’objet de quatre
modifications9. L’Algérie et le Maroc sont-ils à l’abri de ces
turbulences que connaît le droit des marchés publics qui interpellent le
juriste généralement habitué à une certaine stabilité du droit des
contrats comme nous le dira le Professeur MAHFOUDH? Nos
collègues algériens et marocains nous apporteront l’éclairage
nécessaire sur l’état de la législation de leurs pays respectifs.
9- Les marchés publics sont, un peu partout, une question
d’actualité d’autant plus qu’ils sont souvent l’objet de suspicion. Cette
suspicion pèse sur l’acheteur public qu’on accuse, à tort ou à raison,
de favoritisme et de corruption. Dans tous les pays, y compris le notre,
ces suspicions ne sont pas toujours infondées. Certaines affaires
7
8
9
Les procédures de passation des marchés de la Commission Européenne et de la
Banque Européenne d’investissement, publication de la représentation de la
France auprès de l’Union Européenne, les éd. Du CFCE 1997.
Commission des Nations-Unies pour le droit commercial international, travaux
de la 36ème session, juin – juillet 2003 (A/CN. 9/539) § n° 16.
La dernière est intervenue le 4 juin 2007.
9
dévoilées, y compris dans les pays démocratiques où les mécanismes
de contrôle fonctionnent, montrent la gravité de l’opacité du processus
de passation et d’exécution des marchés publics. L’absence de
neutralité ou la partialité de l’acheteur public peut conduire à écarter
injustement les concurrents qui, à leur tour, sont loin d’être des anges
puisque, dans certains cas, ils recourent aux méthodes les plus
blâmables pour obtenir les marchés publics.
10- C’est dire les difficultés auxquelles le droit des marchés
publics est confronté. C’est un droit qui se doit de concilier des
considérations économiques et principes juridiques difficilement
conciliables. C’est un droit appelé à réguler une concurrence féroce
entre des intérêts financiers antinomiques à une époque où l’exigence
d’ouverture est érigée en dogme. L’ouverture des marchés nationaux à
la concurrence internationale devait inévitablement se répercuter sur
les marchés publics dont l’importance est liée à celle des services
publics et des ouvrages publics. Cette ouverture des marchés publics
met en cause un certain nationalisme économique et réduit encore plus
la marge de manœuvres des gouvernants élus pour réaliser des
promesses.
11-Est-ce à dire qu’on évoluera vers un droit standardisé des
marchés publics ? Cette branche de droit sera-t-elle uniformisée pour
respecter les exigences de la concurrence et l’égal traitement par
l’acheteur public des candidats à la commande publique ? Ou bien estce que le droit des marchés publics va pouvoir résister à cette vague de
mondialisation ? Les particularités nationales et l’instrumentalisation
des marchés publics à des fins de développement économique, un peu
à l’américaine, vont-ils constituer le prélude à une exception
nationale ?
Par ailleurs, la complexité technique des achats publics, la
dématérialisation de l’économie alors même que l’administration est
en voie d’appauvrissement des experts compétents, essentiellement en
raison du système de rémunération égalitariste, ne constituent-elles
pas des défis et des équations difficiles à résoudre pour les autorités
publiques ?
12- C’est à cet ensemble d’interrogations complexes que notre
colloque tentera d’apporter des pistes de réflexions et non des
réponses. Mais si le droit des marchés publics suppose tant
d’exigences (II), c’est en raison des enjeux multiples qu’il engage (I)
dans une économie qui se globalise. Pour éviter les répétitions et
10
interférences inutiles, je limiterai mon propos introductif à ces deux
dimensions.
I- LES ENJEUX
13- Les enjeux des marchés publics sont à la fois considérables
et multiples. Ils sont d’ordre économique et financier (A) et d’ordre
politique et juridique (B).
A- Les enjeux économiques et financiers
14- Les marchés publics absorbent entre 10 % et 15 % du PIB
des Etats. Cette variété de l’importance des marchés publics d’un Etat
à l’autre s’explique par la différence quant au degré de l’interventionnisme de l’Etat dans la vie économique et sociale. Dans les Etats qui
prennent en charge un grand nombre de services publics (Etats de
l’Union Européenne en particulier), le volume des dépenses publiques
par le biais des marchés publics est naturellement plus élevé que celui
enregistré dans les Etats qui limitent leur interventionnisme à
l’infrastructure et à quelques services publics essentiels (Etats-Unis et
Japon).
15- Dans nos pays Maghrébins, l’Etat prend en charge les
services publics et le développement économique et social. On est
plutôt proche du modèle européen d’autant plus que l’infrastructure et
les ouvrages publics restent à faire. Dans un pays comme l’Algérie,
qui dispose depuis quelques années de ressources financières
considérables, les marchés publics doivent occuper une importance
financière beaucoup plus accentuée qu’ils ne l’ont au Maroc et en
Tunisie. Dans ces deux derniers pays, l’Etat gère la rareté des deniers
publics. Néanmoins, la rareté des deniers publics qui a caractérisé les
finances en Tunisie et au Maroc et qui est devenue une nouvelle
donne, y compris pour les pays riches de l’Union Européenne, impose
une rationalité de gestion et une rigueur qui s’imposent comme une
exigence constitutionnelle selon les termes du Conseil constitutionnel
tunisien (Cf. 2ème partie).
16- Compte tenu du volume des dépenses publiques engagées
par voie de marchés publics, ces derniers sont l’objet de convoitise
d’autant plus que les entités publiques sont généralement de « bons
payeurs ». Même si les entreprises privées se plaignent, à juste titre
d’ailleurs, de certains retards quant au payement de leurs créances au
titre de l’exécution des marchés publics, l’acheteur public présente
l’avantage de la sécurité pour le titulaire d’un marché public. Ce
11
dernier arrive facilement à monnayer son marché en procédant à son
nantissement auprès de sa banque et à obtenir ainsi des facilités
financières non négligeables.
17- Les marchés publics ne constituent pas que des enjeux
financiers aussi bien pour la puissance publique que pour les
entreprises privées candidates. Ils constituent un instrument de
politique économique. Ils peuvent être utilisés par les pouvoirs
publics pour stimuler les petites entreprises (cas américain) ou pour
stimuler les entreprises opérant dans les secteurs jugés prioritaires par
les pouvoirs publics. Le but du « Small Business Act », loi pour
laquelle les Etats-Unis ont obtenu une dérogation auprès de l’OMC,
est de soutenir les petites entreprises. « Le congrès américain déclare
que le gouvernement doit aider, conseiller, assister et protéger les
intérêts des PME de façon à préserver la compétition et s’assurer
qu’une part équitable des achats publics soit attribuée aux PME »10.
Le code Français des marchés publics de 2006 a, selon une doctrine
autorisée, consolidé la discrimination positive au profit des PME11 à
travers la consécration de l’allotissement et la fixation de quota de
PME admises à présenter une offre qui s’ajoutent à la sous-traitance
qui est favorable aux PME.
18- La législation tunisienne a intégré l’allotissement
obligatoire lorsqu’elle est de nature à favoriser « les entreprises
nationales », (article 19 du décret du 17 décembre 2002).
L’allotissement est facultative pour les groupements des achats : « la
répartition de la commande en lots doit tenir compte des moyens des
participants potentiels, leur capacité ainsi que leurs références et
notamment de celles des petites et moyennes entreprises » (article 27).
19- La sous-traitance telle que régie par l’article 20 répond au
même souci d’encouragement des entreprises locales. Il est également
fait obligation aux entreprises étrangères opérant dans le domaine
informatique et des technologies de la communication d’associer les
entreprises tunisiennes spécialisées, c’est-à-dire de faire de la
cotraitance (article 25). De même, la modification de 2006 du régime
des marchés publics a fixé des quotas pour certains marchés au profit
des artisans. Cette technique sera probablement développée au profit
10
11
J-D.DREYFUS, code des marchés publics et PME : le choix de la discrimination positive, AJDA 2006, p. 1769.
J-D. DREYFUS, code des marchés publics, précité.
12
des PME compte tenu de l’importance des petites entreprises dans la
stratégie politique du gouvernement tunisien.
B- Les enjeux politiques et juridiques
20- Ces enjeux peuvent être réduits à trois qui nous paraissent
les plus essentiels :
-
l’ouverture des marchés publics,
la transparence de gestion et la lutte contre la corruption,
et la lutte contre les pratiques dolosives des entreprises.
21- L’instrumentalisation des marchés publics à des fins
économiques est liée à la volonté irrésistible des gouvernants
nationaux de préserver entre leurs mains un levier de politique
économique interne pour exercer un pouvoir dans les jeux
d’influences. C’est pourquoi l’ouverture des marchés publics à la
participation des opérateurs économiques extérieurs rencontre une
résistance farouche même si le droit des marchés publics subit une
sorte de dénationalisation notamment dans les petits pays, c’est-à-dire
ceux qui subissent la pression des grands pays ou des grands blocs.
Les cas de trois pays Maghrébins me paraissent illustratifs à cet égard.
22- Outre la lutte d’influence entre les Etats qui se livrent à une
compétition féroce, le droit des marchés est chargé d’une autre
signification politique, celle de la lutte contre la corruption et le
favoritisme. Les gouvernements des Etats peu démocratiques se
soucient, de plus en plus, de soigner leur image car ils sont accusés, à
tort ou à raison, de favoriser la corruption et le favoritisme.
23- Une autre dimension juridique et politique des marchés
publics et qui s’ajoute aux deux précédentes, est celle relative à la
protection des deniers publics contre les pratiques dolosives des
soumissionnaires qui peuvent se livrer à des ententes nocives aux
deniers publics. Ces ententes engendrent un surcoût pour la
collectivité et de réels dommages à l’économie. Mais elles ne sont pas
faciles à établir. Normalement, l’instance de régulation de la
concurrence ; le Conseil de la concurrence, doit être en mesure de
réprimer ce type de pratiques12. Un système politique démocratique ne
peut plus se désintéresser de la corruption, des ententes ou des
influences hégémoniques extérieures. Le droit des marchés publics est
12
En France, Cf. Valérie Michel AMSELLEM, La Revue administrative, n° 129,
2002, p. 14.
13
le lieu de ce type de tensions que le droit se doit de gérer. Le droit se
doit de moraliser les marchés publics. Il s’agit là d’un souci déclaré.
La sincérité des autorités en cette matière est une autre histoire.
24- Toutes ces considérations expliquent qu’aujourd’hui le
droit des marchés publics subit régulièrement des modifications au
rythme des changements de majorité dans les pays démocratiques et
au rythme des doléances formulées par les instances financières
internationales ainsi que par les partenaires économiques de nos trois
pays maghrébins. L’Accord d’association entre la Tunisie et l’Union
Européenne signé le 17 juillet 1995 a pris la peine, dans son article
41, de prévoir que « les parties se fixent comme objectif une
libéralisation réciproque et progressive des marchés publics » et que
« le conseil d’association prend les mesures nécessaires à la mise en
œuvre » de cet objectif.
25- La législation tunisienne régissant les marchés publics, loin
d’être une législation homogène et simple, se devait de se mettre en
conformité avec les engagements internationaux de notre pays et avec
le statut d’un partenaire de l’Union Européenne qui se veut crédible,
d’un membre fondateur de l’OMC et d’un Etat qui respecte les
principes fondateurs de l’Etat de droit. Ce dernier, solennellement
proclamé par l’article 5 de la constitution depuis sa révision en 2002,
impose une série d’exigences difficilement contournables.
II- LES EXIGENCES
26- La complexité des enjeux et des domaines engagés par les
marchés publics impose aux gouvernants un professionnalisme pour
concevoir et mettre en œuvre les marchés publics en respectant trois
principes essentiels : la transparence, la concurrence et l’efficacité.
Ces trois principes viennent d’être rappelés par le Conseil
Constitutionnel dans un avis fort intéressant rendu à propos du projet
de loi relatif à l’établissement de l’économie numérique13.
A- La transparence
27- La transparence est la condition à effets multiples
puisqu’elle permet à la fois de moraliser les marchés publics et de
garantir un minimum d’efficacité de la commande publique. Elle
s’impose aussi bien aux pouvoirs publics qu’aux soumissionnaires.
13
Avis n° 59-2006, JORT du 23 février 2007, p. 2007.
14
28- La transparence signifie que les mêmes règles s’appliquent
à tous les soumissionnaires et que ces règles doivent être rendues
publiques et qu’elles constituent la base et le seul référentiel des
décisions de passation du marché public. La transparence signifie
aussi que l’acheteur public a l’obligation impérative de publier des
avis suffisamment clairs destinés à faire connaître aux entreprises les
conditions du marché. Les besoins de l’acheteur public doivent être
définis avec précision et selon des conditions portées à la
connaissance du public d’une manière égale14.
29- Le marché doit être porté à la connaissance du public. Il
doit être pénétrable, intelligible et soumis à des règles normalement
non modifiables depuis le déclenchement du processus de l’achat
public. En un mot, la transparence est le contraire de l’opacité et de la
confidentialité qui, loin de disparaître, constituent un problème
majeur et hypothèquent les réformes des textes.
30- La législation tunisienne a fini par consacrer explicitement
le principe de transparence dans l’article 7 du décret du 17 décembre
2002 même si les textes précédents prévoyaient les règles censées
garantir la transparence. Cet article 7 peut être perçu comme une
déclaration d’allégeance de notre droit aux principes démocratiques.
Pour garantir la transparence, le décret du 17 décembre 2002 impose :
«- le suivi de procédures claires et détaillées de toutes les étapes de
conclusion du marché et l’information des candidats de ces
procédures à temps.
- La généralisation de la communication des réponses et
explications quant aux observations et éclaircissements demandés par
les candidats dans un délai minimum de 10 jours avant l’expiration de
la date limite de réception des offres ». De même, le décret prescrit la
non discrimination entre les candidats.
31- Les moyens de publicité se sont enrichis car, à côté de
l’affichage, de la publication des annonces de presse sur les journaux
et magazines, est venu s’ajouter le réseau Internet qui permet un accès
aux sites des acheteurs publics. Le développement des techniques de
télécommunication et la dématérialisation qui s’ensuivra poseront
d’autres difficultés auxquels le droit des marchés publics doit trouver
les solutions appropriées.
14
Salma KAMMOUN, Concurrence et transparence dans le droit des marchés
publics, mém. Master, droit public et commerce international, Fac. Droit Sfax,
2007.
15
32- Le Conseil Constitutionnel tunisien vient de rappeler dans
l’avis concernant le projet de loi relatif à l’établissement de
l’économie numérique que si les règles de procédures des marchés ne
sont pas du domaine de la loi, « cela, ne dispense pas pour autant le
pouvoir réglementaire général de se conformer aux normes prévues
par la législation relative à ce domaine et, notamment, par le projet
de loi soumis, tels que les principes d’égalité, de transparence,… et
qui sont à même de garantir le choix des solutions les plus
appropriées… ».
33 - La transparence est pour l’essentiel une transparence des
procédures suivies par l’acheteur public. Mais son importance est
considérable car elle suppose la détermination, avec suffisamment de
précision, des besoins de l’acheteur public sans pour autant orienter le
marché vers un produit particulier ou une prestation particulière.
L’excès de détail dans la description peut avoir pour effet d’exclure
des produits ou prestations similaires.
34 - Cette transparence garantit la concurrence entre les
candidats et constitue désormais un facteur d’attraction des
investissements étrangers. Les instances financières internationales
(BIRD et FMI) ne cessent de rappeler l’importance de ce principe
directeur sans lequel la concurrence ne sera pas effective.
B - La concurrence
35- La concurrence est le principe cardinal qui gouverne à la
fois l’univers économique et l’univers politique. Elle suppose, en
matière de marchés publics, la compétition entre les agents
économiques pour décrocher le marché. A cet effet, le décret du 17
décembre 2002 pose que la passation des marchés publics est régie par
le recours à la concurrence. Cette dernière est intimement liée à la
transparence car l’acheteur public a l’obligation d’informer les
candidats potentiels à une commande publique. Elle exige, en
conséquence, que l’acheteur public procède à une analyse de façon
comparative et égalitaire15.
36- Pourquoi la concurrence est érigée en principe cardinal ?
Trois raisons essentielles expliquent cette quasi sacralisation de la concurrence. D’abord, parce qu’elle renvoie au mérite.
Ensuite, parce qu’elle renvoie à l’égalité en tant que valeur
15
M. GUIBAL, Mémento des marchés publics, Paris, Le moniteur 1996, p. 991.
16
fondamentale de notre temps. Enfin, parce qu’elle est très utile pour
les deniers publics.
37- La concurrence doit être saine et doit se dérouler sous le
contrôle vigilent à la fois de l’acheteur public qui doit être à la fois
impartial et professionnel et du juge de la concurrence. Ce dernier
veillent au respect des règles de la concurrence par les candidats et par
les acheteurs publics.
38- Le non respect des règles de la concurrence par l’acheteur
public peut être sanctionné pénalement. Le favoritisme et la corruption
sont incriminés par la loi pénale. Les juridictions pénales et les
juridictions financières (Cour des comptes et Cour de discipline
financière) sont, selon leurs compétences respectives, compétentes
pour réprimer les manquements aux règles de la concurrence
commises par les ordonnateurs, les comptables, les gestionnaires
publics et même les soumissionnaires.
C- L’efficacité
40- La passation de marchés publics selon les règles de
transparence et de concurrence répond à un souci de réduire les
gaspillages budgétaires inutiles beaucoup plus qu’à celui d’une
demande du secteur privé. Le contribuable, qui finance par ses
contributions les dépenses publiques, exige que les gouvernants
fassent une utilisation économe des deniers publics. L’efficacité n’est
plus une valeur étrangère au service public. Ce dernier se réconcilie
avec l’économie du marché. Le Conseil Constitutionnel lui-même
s’est converti à cette valeur puisque, dans son avis portant sur le
projet de loi relative à l’économie numérique, il a posé d’une manière
claire ce qui suit : «Considérant que l’efficacité des commandes et des
dépenses publiques implique, entre autres, que les conventions comme
celles prévues par le projet soient soumises à un principe de base,
celui de l’égalité entre les candidats à ces conventions, et ce, d’une
part en permettant la concurrence entre eux et, d’autre part, en
garantissant la transparence des procédures ».
41- Au total, la maîtrise des marchés exige beaucoup de
professionnalisme qui fait souvent défaut aux acheteurs publics.
Les marchés publics sont par ailleurs un enjeu de pouvoir
notamment lorsqu’ils atteignent une taille importante. Le droit fait ce
qu’il peut. Mais, si le juge n’est pas en mesure de sanctionner les
17
infractions dans les affaires de « gros sous », le droit risque de rester
stérile.
Or, il faut savoir que lorsque le droit cesse d’avoir une emprise
sur une réalité si juteuse, la voie est ouverte aux turbulences et aux
aventures politiquement très graves dont les marchés publics peuvent
constituer le fait générateur.
18
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