Q
Que pensez-vous des accords
sur les conditions de travail qui
commencent à émerger ?
Tout ce qui concourt à apporter des
améliorations, à parler du travail, à se
mettre autour d’une table, à faire travailler
ensemble directions et organisations
syndicales va dans le bon sens. Et nous
l’encouragerons toujours. C’était une
revendication que nous avons portée au
moment de la conférence nationale sur
les conditions de travail: parler du travail,
penser le travail et le transformer lorsqu’il
engendre pénibilité et mal-être. Mais la
rareté de ces accords est un symptôme
d’un malaise du dialogue social. Nous
avons besoin de changer d’état d’esprit.
Comment surmonter les difficultés
de négociation ?
Le travail n’est pas seulement la chasse
gardée des directions d’entreprises. Il faut
que les organisations patronales, notamment
le Medef, acceptent que les situations de
travail soient analysées, que les conditions
de travail soient discutées. C’est un enjeu
de démocratie. La crise est totale : la
déferlante médiatique autour des suicides
a mis en avant des enjeux de société forts,
un vrai questionnement sur ce qui se passe
dans le monde du travail. Les organisations
syndicales sont interpellées pour agir et
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Cela fait partie de propositions que nous
avons faites et que nous voulons mener. Il
n’y a pas qu’un enjeu revendicatif de la
condition de travail. Devant les défis qui
nous sont lancés, nous pouvons aussi faire
valoir l’enjeu économique induit par de
mauvaises conditions de travail : les
dirigeants commencent à prendre
conscience de cela, face à l’allongement des
carrières et la gestion des âges. Il serait
irresponsable de leur part de ne rien faire.
Les conditions de travail se sont-elles
améliorées ?
Bien sûr! Tout n’est pas noir. Mais, dans
ce monde de la modernité, il ne faut pas
croire que des pénibilités primaires telles
que le bruit, les odeurs, les ports de charge
etc. ont disparu. Des bâtiments neufs sont
construits mais, à l’intérieur, les salariés vivent
des conditions de travail toujours aussi
difficiles. Aussi, si les risques psychosociaux
font l’actualité, nous ne devons pas oublier
nos fondamentaux: travailler le travail, et
agir sur tout ce qui fait souffrance… Je crois
très fortement à l’approche « bassin de
vie » pour se fixer des objectifs atteignables
et travailler ensemble, organisations
syndicales, Aract, médecine du travail,
direction du travail…: transformer le travail
en fonction des situations, des différences
locales; agir de manière positive…
transformer. Stress, pénibilité… Nous osons
penser que nous allons enfin réellement
négocier et aider au changement dans les
entreprises. Il y a urgence à se parler.
Comment faire dans les PME
et TPE où existent peu de moyens
de négociation ?
Les conclusions de la conférence sur les
conditions de travail avaient permis de
valider une proposition: ouvrir le droit au
CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des
conditions de travail) à tous. Comment
être au plus près des besoins des salariés
dans les territoires, et agir sur les champs
professionnels? Nous avons à inventer.
En se fixant des objectifs d’expérimentations
sur de nouveaux territoires de négociation.
à part entière et non considéré – cela est
souvent le cas – comme un « problème »
pour l’entreprise. Les salariés français sont
recherchés car ils sont très bien formés, ils
s’impliquent et placent haut la valeur tra-
vail. Quand nos dirigeants en auront-ils
conscience? Je reste convaincu que, sans
motivation financière, sans démonstration
faite que de mauvaises conditions de tra-
vail ont un coût élevé, rien ne changera.
Comment faire dans les PME
et TPE où existent peu de moyens
de négociation ?
Des leviers existent mais ils ne sont pas
utilisés. La médecine du travail est là, les
préventeurs sont nombreux, peut-être
même trop… Les petites entreprises peu-
vent les interpeller. Le premier levier,
encore une fois, c’est l’incitation finan-
cière. Il faut que le système de tarification
de la branche accidents du travail et mala-
dies professionnelles soit incitatif. Ache-
tons le droit d’esquinter des salariés. Celui
qui se rendra compte que cela lui coûte
cher le fera beaucoup moins… Comment
a-t-on fait baisser le nombre de morts sur
la route ? Grâce à des amendes et des
radars, des bonus et des malus, des limi-
tations… Second levier : la structuration
des services de médecine du travail. Les
médecins du travail sont trop contraints
dans des activités de visites médicales.
Elles sont importantes mais insuffisantes
et, surtout, rarement suivies d’effets. Le
médecin du travail connaît bien les entre-
prises dans lesquelles il intervient. S’il est
alerté, il peut faire venir la Cram, l’Aract,
l’OPPBTP (Organisme professionnel de
prévention du bâtiment et des travaux
publics)… Il sait où sont les leviers et com-
ment les actionner.
Les conditions de travail se sont-elles
améliorées ?
Non, la situation s’est aggravée. Nous devons
désormais faire face à des risques invisibles
ou différés. La charge mentale est égale-
ment plus forte: c’est une pression peu
visible, encore mal définie, difficile à
contrer. Les salariés, eux, font ce qu’on leur
demande, pour garder leur travail. Ce n’est
pas un hasard si la France est l’un des pays
européens le moins syndiqué: les syndica-
listes sont victimes d’une chasse aux
sorcières dès lors qu’ils s’engagent dans
une action revendicative.
JEAN-FRANÇOIS NATON,
conseiller confédéral, représentant
de la CGT (Confédération générale
des travailleurs) à la branche accidents
du travail et maladies professionnelles
de la Cnamts (Caisse nationale
de l’assurance maladie
des travailleurs salariés)