Manager les conditions de travail

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N O 320 JUILLET/AOÛT 2008
Revue de la qualité de vie au travail
Travail
&CHANGEMENT
Manager
Man
Man
nager
g
less conditions
ns
s
de
travail
e
• des accords
d'entreprise
a
• dess outils de pilotage
• dess formations adaptées
es
ARGUMENTS (P.
4 À 6)
Pierre Chartron (UIMM) ;
Jean-François Naton (CGT) ;
Bernard Salengro (CFE-CGC)
Norbert Alter (Université
Paris 9 - Dauphine et directeur
du Cerso), Thierry Montfort
(cabinet conseil Équidistance,
président du CA d’Aravis).
CÔTÉ ENTREPRISES (P. 07-12)
Industrie
Manager les managers
Énergie
Les centres d’appel d’EDF
sur une nouvelle ligne
managériale
BTP
Sur la bonne voie avec GPS
Pays anglo-saxons
Le poids de la balance
Bimestriel du réseau Anact pour l’amélioration des conditions de travail
TRAVAIL ET CHANGEMENT
N°320 juillet/août 2008
ENJEUX
Manager les conditions
Les conditions de travail doivent devenir une clef essentielle du management global des
entreprises. À de nouveaux outils mis en application dans certaines entreprises s’ajoutent ceux
qui, existant déjà, nécessitent un travail de coordination et de croisement de données.
Quelques traces à suivre pour voir se profiler les managers de demain.
L
Par Thierry Rochefort
(département changements
technologiques et organisationnels
de l’Anact) et Michel Weill
(directeur général adjoint de l’Anact)
Coordinateurs de ce dossier
es conditions de travail sontelles les parents pauvres du
management ? Variables
d’ajustement, regardées a
posteriori ou tardivement voire pas
du tout, elles échappent le plus souvent à la vigilance des managers. Et
si, au contraire, elles devenaient une
clé essentielle du management global
des entreprises et ouvraient une nouvelle voie pour piloter différemment
le travail ? Deux avantages à cela :
hiérarchiser les actions à mener face
aux nouveaux enjeux économiques et
sociaux et articuler des pratiques de
management déjà existantes, comme
les ressources humaines, la santésécurité et la production. Comment
faire ? Certaines entreprises, petites
et grandes, ont commencé à chercher d’autres outils de pilotage, à travers des accords ou des observatoires
sur les conditions de travail, préalablement négociés autour de sujets
précis ou sensibles.
> Des priorités
mieux ciblées
Premier intérêt d’un management
par les conditions de travail : apporter
Accords et observatoires des conditions
de travail : ça démarre.
Ils ne sont pas encore très nombreux
mais gagnent du terrain… Les accords
et observatoires des conditions de travail
émergent. On peut citer, à partir
d’une préoccupation « gestion des âges »,
l’accord Adapei de l’Ain dans le secteur social,
l’accord national de la branche papier carton
(Formapap) qui fait le lien entre les parcours
et les questions de santé ou encore, avec des
perspectives de performance en toile de fond,
l’accord d’entreprise au sein de la direction
Commerce d’EDF. La construction
d’observatoires des conditions de travail
ou de la qualité de vie au travail (EDF, ANPE,
ST-Micro…) est aussi utilisée pour mettre
en place des outils d’observation de l’évolution
du travail et des conditions de travail, pour
partager des diagnostics entre partenaires
sociaux, voire construire des orientations,
des stratégies ou des plans d’action.
page 2
des réponses aux évolutions et aux
préoccupations nouvelles concernant
le travail.
L’enjeu actuellement le plus fort: celui
des seniors. La mise en œuvre de la
réforme des retraites et l’allongement des carrières supposent d’améliorer leurs conditions de travail pour
permettre leur maintien dans l’emploi. Aménagements de postes, d’horaires, de statut, valorisation de
l’expérience : les seniors sont des
atouts que les entreprises ont tout
intérêt à jouer. Autre urgence: celle de
la prévention de l’usure prématurée
pour tous les salariés. Précarité, forte
exposition aux risques professionnels, accès insuffisant à la formation :
certains cumulent les difficultés.
Rendre employables les salariés, c’est
aussi préserver leur santé au travail.
Troisième enjeu : l’amélioration des
conditions de travail renforce l’engagement des salariés. Ouvrir le débat
sur les organisations, les styles et les
contraintes de management, l’articulation vie au travail et hors-travail et
la reconnaissance peut contribuer à
résoudre des problèmes rarement
abordés. Enfin, l’accélération de la
compétition économique complète le
tableau. Pour attirer et garder les
meilleurs, le niveau de qualité de vie
au travail devient déterminant, au
moins autant que la seule préoccupation de rémunération.
> Du trois en un
Ces enjeux incitent à regarder plus
souvent ce qui se passe dans le travail
réel et quotidien des salariés. Les
entreprises le font déjà mais de manière
éclatée et cloisonnée, à travers trois
types de management.
Le management de la production est
le plus ancien. Niveaux de charge,
standards de temps, ressources en
termes d’effectifs: il envisage le travail
ÉDITORIAL
Jean-Baptiste Obéniche,
directeur général
de l’Anact
de travail
Un master pour manager
les conditions de travail
En fin d’année, l’Anact et l’université Paris
Dauphine proposeront aux professionnels
(managers, partenaires sociaux,
consultants, préventeurs…) une
formation diplômante : « Management,
travail et développement social ».
Objectifs : articuler apports et outils
sous forme d’opérations facilement
décomposables en tâches. Ses limites:
les questions d’innovation, de service,
de délais, de qualité, d’interaction
entre les collectifs sont peu ou mal
prises en compte.
des sciences de gestion et sciences
humaines, construire, animer
et coordonner des dispositifs
d’observatoire des conditions de travail,
ancrer les conditions de travail dans
un management global de l’entreprise.
lité de vie au travail (voir encadré p.3).
La formation des managers aux conditions de travail ou la structuration
d’une fonction « management du travail » est également un levier puissant qu’expérimente l’ANPE et que le
Manager les conditions de travail, c’est un moyen
anager les conditions
de travail ? Ils vont
encore faire un observatoire
et pfuitt ! comme d’habitude,
plus rien. Et puis c’est bon
pour les grandes boîtes, mais
dans une PME, c’est impossible. »
Manager les conditions de travail…
Est-ce difficile ? Comment faire
pour avancer concrètement
et utilement sur la question ?
Insensiblement, la valeur ajoutée
« M
« Piloter la performance,
c’est donc aussi piloter le
travail et ses conditions. »
de réunir et de croiser ces différents regards et d’avoir
ainsi une approche pluridisciplinaire, globale, du travail.
Le management des ressources
humaines, lui, confond implicitement
travail, emploi et personnes.
Rémunérations, compétences, carrières: des outils et des démarches individuelles (entretien d’évaluation,
référentiels métiers…) en permettent
le suivi. Mais le travail reste encore et
toujours en arrière-plan, angle mort
des démarches de GRH.
Le management de la santé-sécurité au
travail est plus récent. Normalisation et
réglementation l’ont porté, permettant
de professionnaliser la fonction et de diffuser des référentiels connus des managers. Mais le travail est analysé sous
l’angle unique de potentiels risques
professionnels et non d’un potentiel
levier de développement des hommes
et des organisations.
Manager les conditions de travail,
c’est un moyen de réunir et croiser
ces différents regards, de les coordonner pour les piloter ensemble en
les rendant cohérents et d’avoir ainsi
une approche pluridisciplinaire, globale, du travail.
Des entreprises ou des branches ont
déjà exploré des pistes: accords sur les
conditions de travail, observatoires
des conditions de travail ou de la qua-
Réseau Anact va développer à destination de professionnels, avec l’université Paris Dauphine (voir encadré p.2).
> L’efficacité en quatre
modalités
Un bon management du travail et des
conditions de travail est possible,
même pour une PME ou une TPE, aux
moyens plus limités, moins outillée, s’il
réunit quatre modalités :
• l’engagement de la direction de l’entreprise pour manager le travail et le
piloter sur la durée: un gage de pérennité pour le développement social et la
performance de l’entreprise ;
• l’ouverture du champ du management du travail simultanément à la
santé, la sécurité, l’organisation, les
compétences, la qualité de vie, la production, la performance… pour
construire un dispositif de suivi large
mais précis ;
• l’élaboration des constats et des
actions dans la concertation ;
• la formation des managers aux questions du travail, voire l’invention d’une
nouvelle fonction de management des
conditions de travail dans l’entreprise,
lorsque sa taille le permet… ■
page 3
du travail ne se repère plus dans
la seule production visible mais
dans des interstices d’innovation
et de régulation. Pour « voir cet
invisible » qui impacte les résultats
des ventes ou de la productivité,
il devient nécessaire de manager
les conditions de travail dans la durée.
Piloter la performance,
c’est donc aussi piloter le travail
et ses conditions. Pas si simple,
effectivement… Mais des solutions
existent, ce numéro en propose
un premier aperçu.
Plus fondamentalement,
le management des conditions
de travail n’est pas réservé à quelques
élites en mal de nouvelles
problématiques RH. Il est
une question d’avenir pour
les entreprises de notre pays,
une des conditions de l’attractivité
des emplois et de la performance
des entreprises sur les marchés
nationaux et internationaux.
Celles qui ne relèveront pas
ce défi auront-elles des regrets ?
Rendez-vous dans dix ans.
TRAVAIL ET CHANGEMENT
N°320 juillet/août 2008
ARGUMENTS
Les conditions de travail
sont-elles négociables ?
Les discussions entre partenaires sociaux pour aboutir à des accords sur les conditions de
travail reflètent indéniablement des différences de perception : culture de la négociation,
difficultés à surmonter, vision de la situation… CGT, CFE-CGC et UIMM en témoignent.
Le point de vue des partenaires sociaux Propos recueillis par Béatrice Sarazin (rédactrice en chef)
représentant de l’UIMM (Union des
industries et métiers de la métallurgie)
au sein de l’observatoire prospectif
des métiers et qualifications
Q
Que pensez-vous des accords
sur les conditions de travail qui
commencent à émerger ?
Les conditions de travail recouvrent un
large spectre du travail qu’il est difficile
d’appréhender complètement dans un
accord de branche ou d’entreprise. Les
négociations autour des conditions de
travail, au sens « exécution du travail »,
dépendent beaucoup du contexte propre à
l’entreprise. Celles que nous avons menées
au niveau de la branche sont ciblées sur
des sujets bien précis et communs à
plusieurs entreprises : le temps de travail,
l’organisation, le travail posté, de nuit,
etc. L’amélioration des conditions de travail
d’un poste ou d’une équipe ne se réalise
pas au niveau d’une branche mais au sein
de l’entreprise.
Comment aborder le sujet dans
les entreprises et avec le management ?
Il faut qu’il y ait une prise en compte des
conditions de travail par le management,
c’est évident et c’est déjà bien souvent le
cas. C’est un état d’esprit que le manager
doit intégrer dans sa pratique. Il faut faire
de la sensibilisation, mobiliser des aides
au bon moment et si nécessaire. En
revanche, imaginer une fonction dédiée
au management des conditions de travail
ne me paraît pas une solution très
convaincante sauf, peut-être, quand la
taille de l’entreprise le justifie. On peut
aider les dirigeants à réfléchir, leur
transmettre des méthodes, mais les
réponses adaptées aux difficultés de
terrain ne s’inventent pas à l’université.
N’oublions pas que les progrès dus aux
cercles de qualité et, depuis, à tous les
dispositifs d’amélioration permanente
que l’on trouve quasiment partout dans
les industries, viennent avant tout des
personnes travaillant dans l’entreprise.
Comment faire dans les PME
et TPE où existent peu de moyens
de négociation, peu d’outils ?
Nous travaillons avec les PME pour les
accompagner dans cette prise en compte
des conditions de travail. Cela peut être un
regard extérieur, soit en posant un
diagnostic, soit en les orientant vers la
prestation qui leur permettra de traiter
tel ou tel problème, avec, le cas échéant,
un dossier de financement. Cela peut être
une intervention d’un ingénieur sécurité…
Il existe une gamme de services de plus
en plus utilisée par nos adhérents. Par
ailleurs, la négociation collective peut
effectivement être le bon vecteur lorsqu’il
s’agit d’améliorer, par exemple, des
secrétaire national confédéral
de la CFE-CGC (Confédération française
de l'encadrement - Confédération
générale des cadres)
Q
Que pensez-vous des accords
sur les conditions de travail qui
commencent à émerger ?
C’est un phénomène microscopique, reflet
d’un dialogue social en panne, problème
numéro un en France. Nous vivons dans
un pays soumis et nobiliaire : les cadres
sont managers par héritage familial ou
issus de grandes écoles, très rarement
des entreprises. Le dialogue social ne fait
pas partie de leur culture, ils le voient
page 4
conditions de travail à caractère collectif
dans une entreprise, ou dans des structures
différentes partageant la même difficulté.
Les conditions de travail se sont-elles
améliorées ?
Oui, nettement. Mais comme les aspirations
évoluent et que les exigences de bienêtre augmentent aussi, la tendance est
toujours à croire que rien n’a été fait. Il est
évident que les nouvelles générations
placent plus haut les valeurs de confort, de
convivialité… C’est un phénomène global
de société que l’on retrouve dans la façon
d’appréhender le travail. Les dirigeants
d’entreprises en sont tout à fait conscients,
et notre rôle est de les aider à cette prise
en compte et à les outiller. Certes, il y a
encore des efforts à faire pour intégrer
l’enjeu d’amélioration des conditions de
travail, le plus en amont possible, dès la
conception de machines. Mais il y a eu
beaucoup de progrès en la matière.
même avec une certaine condescendance.
Dans ce contexte, les accords se négocient
en fonction du bon vouloir du chef d’entreprise. C’est le « fait du prince ».
BERNARD
SALENGRO,
© V. Jacob
PIERRE CHARTRON,
Comment surmonter les difficultés
de négociation ?
Le management doit être mieux formé.
En cela, la création d’un diplôme de management du travail que proposeront bientôt Paris Dauphine et l’Anact est d’un grand
intérêt. La formation initiale est fondamentale et elle permettra de faire bouger les choses. Car ce n’est pas lorsque
le manager a 50 ans et des habitudes du
même âge qu’il peut changer. Mieux manager les conditions de travail et mieux les
négocier passent aussi par une autre
approche du salarié. Il doit être un sujet
page 4
Q
Que pensez-vous des accords
sur les conditions de travail qui
commencent à émerger ?
Tout ce qui concourt à apporter des
améliorations, à parler du travail, à se
mettre autour d’une table, à faire travailler
ensemble directions et organisations
syndicales va dans le bon sens. Et nous
l’encouragerons toujours. C’était une
revendication que nous avons portée au
moment de la conférence nationale sur
les conditions de travail : parler du travail,
penser le travail et le transformer lorsqu’il
engendre pénibilité et mal-être. Mais la
rareté de ces accords est un symptôme
d’un malaise du dialogue social. Nous
avons besoin de changer d’état d’esprit.
Comment surmonter les difficultés
de négociation ?
Le travail n’est pas seulement la chasse
gardée des directions d’entreprises. Il faut
que les organisations patronales, notamment
le Medef, acceptent que les situations de
travail soient analysées, que les conditions
de travail soient discutées. C’est un enjeu
de démocratie. La crise est totale : la
déferlante médiatique autour des suicides
a mis en avant des enjeux de société forts,
un vrai questionnement sur ce qui se passe
dans le monde du travail. Les organisations
syndicales sont interpellées pour agir et
à part entière et non considéré – cela est
souvent le cas – comme un « problème »
pour l’entreprise. Les salariés français sont
recherchés car ils sont très bien formés, ils
s’impliquent et placent haut la valeur travail. Quand nos dirigeants en auront-ils
conscience ? Je reste convaincu que, sans
motivation financière, sans démonstration
faite que de mauvaises conditions de travail ont un coût élevé, rien ne changera.
Comment faire dans les PME
et TPE où existent peu de moyens
de négociation ?
Des leviers existent mais ils ne sont pas
utilisés. La médecine du travail est là, les
préventeurs sont nombreux, peut-être
même trop… Les petites entreprises peuvent les interpeller. Le premier levier,
JEAN-FRANÇOIS NATON,
conseiller confédéral, représentant
de la CGT (Confédération générale
des travailleurs) à la branche accidents
du travail et maladies professionnelles
de la Cnamts (Caisse nationale
de l’assurance maladie
des travailleurs salariés)
transformer. Stress, pénibilité… Nous osons
penser que nous allons enfin réellement
négocier et aider au changement dans les
entreprises. Il y a urgence à se parler.
Comment faire dans les PME
et TPE où existent peu de moyens
de négociation ?
Les conclusions de la conférence sur les
conditions de travail avaient permis de
valider une proposition : ouvrir le droit au
CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des
conditions de travail) à tous. Comment
être au plus près des besoins des salariés
dans les territoires, et agir sur les champs
professionnels ? Nous avons à inventer.
En se fixant des objectifs d’expérimentations
sur de nouveaux territoires de négociation.
encore une fois, c’est l’incitation financière. Il faut que le système de tarification
de la branche accidents du travail et maladies professionnelles soit incitatif. Achetons le droit d’esquinter des salariés. Celui
qui se rendra compte que cela lui coûte
cher le fera beaucoup moins… Comment
a-t-on fait baisser le nombre de morts sur
la route ? Grâce à des amendes et des
radars, des bonus et des malus, des limitations… Second levier : la structuration
des services de médecine du travail. Les
médecins du travail sont trop contraints
dans des activités de visites médicales.
Elles sont importantes mais insuffisantes
et, surtout, rarement suivies d’effets. Le
médecin du travail connaît bien les entreprises dans lesquelles il intervient. S’il est
alerté, il peut faire venir la Cram, l’Aract,
page 5
Cela fait partie de propositions que nous
avons faites et que nous voulons mener. Il
n’y a pas qu’un enjeu revendicatif de la
condition de travail. Devant les défis qui
nous sont lancés, nous pouvons aussi faire
valoir l’enjeu économique induit par de
mauvaises conditions de travail : les
dirigeants commencent à prendre
conscience de cela, face à l’allongement des
carrières et la gestion des âges. Il serait
irresponsable de leur part de ne rien faire.
Les conditions de travail se sont-elles
améliorées ?
Bien sûr ! Tout n’est pas noir. Mais, dans
ce monde de la modernité, il ne faut pas
croire que des pénibilités primaires telles
que le bruit, les odeurs, les ports de charge
etc. ont disparu. Des bâtiments neufs sont
construits mais, à l’intérieur, les salariés vivent
des conditions de travail toujours aussi
difficiles. Aussi, si les risques psychosociaux
font l’actualité, nous ne devons pas oublier
nos fondamentaux : travailler le travail, et
agir sur tout ce qui fait souffrance… Je crois
très fortement à l’approche « bassin de
vie » pour se fixer des objectifs atteignables
et travailler ensemble, organisations
syndicales, Aract, médecine du travail,
direction du travail…: transformer le travail
en fonction des situations, des différences
locales ; agir de manière positive…
l’OPPBTP (Organisme professionnel de
prévention du bâtiment et des travaux
publics)… Il sait où sont les leviers et comment les actionner.
Les conditions de travail se sont-elles
améliorées ?
Non, la situation s’est aggravée. Nous devons
désormais faire face à des risques invisibles
ou différés. La charge mentale est également plus forte : c’est une pression peu
visible, encore mal définie, difficile à
contrer. Les salariés, eux, font ce qu’on leur
demande, pour garder leur travail. Ce n’est
pas un hasard si la France est l’un des pays
européens le moins syndiqué : les syndicalistes sont victimes d’une chasse aux
sorcières dès lors qu’ils s’engagent dans
une action revendicative.
TRAVAIL ET CHANGEMENT
N°320 juillet/août 2008
ARGUMENTS
Manager les conditions de
travail : immersion dans le réel
Le management des conditions de travail n’en est qu’à ses balbutiements. Il nécessite une profonde
réflexion sur les relations à entretenir avec les femmes et les hommes dans leur milieu professionnel.
Une approche qui va, grande première, jusqu’à être désormais enseignée en université.
Les invités du réseau Anact Propos recueillis par Muriel Jaouën (journaliste)
THIERRY MONTFORT,
président fondateur du cabinet
conseil Équidistance et président du
conseil d’administration d’Aravis (Agence RhôneAlpes de valorisation de l’innovation sociale)
L
Le management des conditions
de travail a-t-il un sens ? Si oui, peut-on
le formaliser dans l’entreprise ?
Je pense qu’il faut considérer l’amélioration
des conditions de travail dans une logique
contractuelle. Toutes les avancées sociales
ont un coût. Celui-ci doit être connu de tous dans
l’entreprise, donc expliqué. C’est la condition
du dialogue, lui-même condition de tout accord
d’entreprise. D’où l’importance cruciale des
instances représentatives du personnel.
Vous avez été en charge de la politique
sociale de Boiron, entreprise souvent citée
comme référence en matière d’accords
sociaux…
J’y ai en effet travaillé vingt-deux ans, dont huit
à la tête de la filiale américaine et douze à la
direction générale. Le chantier social chez
Boiron a débuté dans les années 1970. Le
premier accord d’entreprise (l’un des tout
premiers en France), qui porte sur la préparation
à la retraite, a été signé en 1976. Depuis, 24
autres accords ont été validés, dont beaucoup
liés aux conditions de travail : intéressement,
temps partiel, formation, individualisation,
flexibilité des horaires, 35 heures, aide à
l’engagement dans la vie politique, aide aux
projets personnels… À la base de l’édifice, il
y a une réflexion radicale sur le financement
des avancées sociales, qui débouche sur la
notion de productivité. L’idée centrale étant
d’indexer cette productivité sur le nombre
d’heures travaillées et non sur le nombre de
personnes. Lorsqu’on raisonne en heures
travaillées, on s’autorise une vision beaucoup
plus souple du temps de travail, avec une plus
grande ouverture sur le temps partiel, ce qui
est socialement pertinent dans une organisation
employant à 80 % des femmes. L’entreprise a
défini un seuil minimal de productivité, audelà duquel tout gain se partage et se répartit
sur des avancées sociales en fonction
d’indicateurs choisis par les salariés euxmêmes (hausse des salaires, réduction du
temps de travail, préparation à la retraite...).
C’est à partir de ces indicateurs que les accords
d’entreprise ont été définis.
Quels sont selon vous les conditions
d’une politique d’avancées sociales ?
Il faut faire preuve de discernement, établir en
commun des points de repères et partager
une conception de l’entreprise. Et une entreprise,
ce sont des hommes et des femmes qui
travaillent ensemble pour faire avancer un
projet. Il faut se départir de toute vision
angélique. Les conditions de travail sont une
conséquence, pas un objectif. Le social, c’est
du pragmatique : concilier les aspirations des
salariés et les contraintes de fonctionnement
de l’entreprise.
NORBERT ALTER,
professeur de sociologie à
l’Université Paris 9 - Dauphine,
directeur du Centre d'étude et de recherche
en sociologie des organisations (Cerso)
L’
L’université de Paris Dauphine et l’Anact
ouvrent en novembre 2008 un master
« management, travail et développement
social ». C’est une première ?
Sans doute. Il s’agit d’un cursus en formation
continue de quatre cents heures, dispensé en
quatorze mois. ll s’adresse à des professionnels occupant des fonctions de management, aux experts (consultants, syndicalistes),
aux techniciens (médecins, ergonomes, psychologues…) et, de manière plus générale, à
tous ceux qui s’intéressent au développement social des établissements. C’est à ce
jour la première formation construite autour
de la nécessité d’une articulation entre management et travail.
page 6
Il y avait urgence ?
On managera toujours mal les hommes et
les organisations si on ne comprend pas la
valeur réelle du travail. D’un côté, on demande
aux salariés de prendre de plus en plus d’initiatives, de l’autre, on exige d’eux qu’ils respectent un nombre toujours plus astronomique de règles. Bref, on met les gens sous
tension. Or, il n’y a pas de développement
économique sans développement social. En
France, dans les pratiques managériales
des entreprises comme dans les enseignements, on associe volontiers le management aux ressources humaines, ou encore
aux organisations. Mais jamais au travail.
Et lorsque nous parlons de travail, il ne s’agit
pas de ce qu’on appelle le travail prescrit,
c’est-à-dire tel qu’il est formellement décrit
dans la fiche de poste ou le contrat. Nous
parlons du travail réel. Ce qui nous intéresse, ce sont les interactions entre le management et le travail tel qu’il est exercé concrètement : activation des ressources effectives
comme le réseau, initiatives, prises de risques,
capacités d’innovation…
Et ce travail réel n’est pas pris
en compte dans les entreprises ?
Aujourd’hui, les actions et dispositifs mis
en œuvre par les entreprises s’inscrivent
davantage dans une logique curative, avec
pour finalité une action sur les symptômes.
Mais les baromètres sociaux, qui existent
au demeurant depuis trente ans, n’ont d’utilité que si on les exploite pleinement. En
fait, la question qu’il faut poser en priorité
est celle de la relation sociale au travail. Il
s’agit d’intervenir en amont de problématiques comme celle de la santé. Le master
de Dauphine va dans ce sens. L’idée est d’accompagner les participants dans l’accomplissement d’une réflexion approfondie et
de faire en sorte qu’ils soient reconnus
comme des experts et des professionnels
de cette articulation entre management et
travail. D’une certaine manière, il s’agit de
jeter les bases d’un métier qui n’existe pas
encore : manager du travail.
TRAVAIL ET CHANGEMENT
N°320 juillet/août 2008
CÔTÉ ENTREPRISES
Grâce à un dialogue instauré sur les compétences, un bilan d’étape chez Novoferm donne à voir
une amorce de management du travail. Mais l’entreprise doute du type de management attendu
et se rend compte du soutien qu’elle doit apporter aux managers.
Manager les managers
L
Par Antoine
Masson
(Aract des
Pays de la Loire)
POUR ALLER
PLUS LOIN :
des témoignages
vidéo du DRH de
Novoferm et d’un
chercheur sont sur
le site www.demarchecompetence.com
Lorsque Novoferm lance une
démarche compétence (projet de développement et de
valorisation des compétences), la
volonté de la direction est d’aider
à structurer le développement de
cette PME de Machecoul (LoireAtlantique) récemment intégrée
dans un groupe international. La
croissance est forte et les défis nombreux (qualité, flexibilité, étoffement de l’organigramme, etc.).
Deux ans après le déploiement du
projet, la direction demande à l’Aract
des Pays de la Loire et à une équipe
de recherche (université de Nantes)
de réaliser un bilan d’étape. Trentecinq personnes sont interviewées,
des opérateurs au comité de direction. Si l’appréciation des salariés
est diversifiée vis-à-vis des impacts
du projet compétences, l’avis de six
chefs d’ateliers, sortis du rang et
encadrant 15 à 35 personnes, est
cohérent et homogène du point de
vue des conséquences de la
démarche sur leur fonction. Mais
sont-ils à la hauteur ? Quelles clés
leur permettraient de mieux manager le travail, le management des
compétences ayant déjà apporté sa
NOVOFERM
Secteur : industrie
Activité : fabrication de portes de garages
et de portes coupe-feu
Effectifs : 280 salariés
Région : Pays de la Loire
pierre à l’édifice ? L’entreprise s’interroge et comprend qu’elle doit
accompagner aussi ses managers.
Une amorce de
management du travail
Les six chefs d’atelier partagent
le même constat : la réalisation
périodique d’entretiens individualisés a modifié leur manière d’appréhender les individus dans
l’équipe. Ces entretiens constituent
des temps de dialogues respectés.
Ils y collectent les besoins de formation et proposent des évolutions
de compétences. Mieux, les augmentations individuelles des
ouvriers, décidées auparavant
deux niveaux hiérarchiques audessus d’eux, ont été déléguées
aux chefs d’atelier qui disposent
Lorsque que le doute s’installe
Les modifications profondes
de l’organisation sur plusieurs
points sont sans doute à l’origine
des profonds questionnement
des personnes du management.
Tout d’abord, la mise en place
d’un progiciel de gestion intégré
a chamboulé leur travail
et a fortement chargé leurs journées.
L’encadrement a dû aussi prendre
en main une démarche
d’amélioration continue (réunion
de cinq minutes, résolution
de problèmes). Mais la liste
de dysfonctionnements à régler par
les services techniques s’allonge…
Enfin, la prime de productivité
est calculée différemment.
Elle n’est plus basée sur
des indicateurs sensibles pour
les ateliers et motive donc moins.
Chaque mois, elle doit être
réexpliquée par les managers…
Un contexte qui montre que
l’encadrement est surchargé,
car il est le creuset de tous les
projets actuels de l’entreprise.
page 7
d’une enveloppe annuelle. Le
management des compétences a
donc permis à l’encadrement de
production de s’engager dans un
rôle de manager plus complet, qui
facilite le dialogue sur les conditions de travail, les contraintes
d’organisation, les façons de faire
face aux difficultés.
Les clés de
l’organisation
Il n’en demeure pas moins qu’un
doute est très souvent exprimé
par la direction et surtout par les
chefs d’atelier eux-mêmes sur
« leur capacité à réaliser le poste
de manager de terrain » (voir
encadré).
Un plan d’action est donc ensuite
mis en place par l’entreprise, qui
vise à structurer un soutien organisationnel… aux managers euxmêmes : décentralisation de la
prime de productivité, meilleur
suivi local de la qualité, allocation
de ressources en atelier sur le
remplissage du progiciel de gestion intégré. Il s’agit finalement de
donner aux responsables les vraies
clés pour agir avec leurs équipes
dans les projets d’entreprise.
L’entreprise doit donc enrichir et
décentraliser ses projets pour
permettre aux chefs d’ateliers de
continuer à être des ressources
pour les salariés, dans leur travail et leur évolution professionnelle. Manager le travail, c’est
donc surtout avoir les clés de
l’organisation. ■
TRAVAIL ET CHANGEMENT
N°320 juillet/août 2008
CÔTÉ ENTREPRISES
Les centres d’appel d’E
sur une nouvelle ligne
La division commerce d’EDF a signé un accord sur les conditions de travail avec les cinq
organisations syndicales. Celui-ci fait du management un axe majeur du mieux-être au travail.
Des observatoires régionaux sont chargés de sa bonne application.
D
epuis le 1er juillet 2007 et
l’ouverture à la concurrence
des marchés de l’énergie,
EDF a perdu son monopole de fournisseur de l’électricité auprès des
particuliers. Deux mois et demi plus
tard, elle lançait « Bleu Ciel » pour
à la fois garder ses clients particuliers et reconquérir ceux qui seraient
partis à la concurrence. À la division Particuliers et Professionnels
(DP&P) d’EDF Commerce, cette libéralisation s’est accompagnée de la
mise en place d’une nouvelle organisation : près de 6 000 personnes
ont rejoint la relation clients, s’ajoutant aux 3000 agents déjà en poste.
Et la fonction de conseil a cédé la
place à la fonction de vente.
«
EDF COMMERCE
Secteur : énergie
Activité : commercialisation auprès
des particuliers et des professionnels
Effectifs : 9 000 salariés,
dont 7 000 dans la relation clients
France entière
C’est dans ce contexte que la DP&P
et ses partenaires sociaux ont
entamé, en avril 2007, des négociations sur l’amélioration des conditions de travail. Le 22 février 2008,
elles ont abouti à la signature d’un
accord sur le sujet. Particularité à
souligner, car très rare à EDF, les
cinq organisations syndicales y ont
chacune apposé leur paraphe. Il pose
QUESTIONS À HERVÉ BERTIN,
Des managers
de tous niveaux
animateur fédéral CGT pour l’ensemble du commercial du secteur de l’énergie
Pourquoi avoir signé l’accord ?
Au départ, nous n’étions pas pour la signature
d’un accord, qui ne nous semblait pas répondre
suffisamment aux préoccupations des agents,
comme, par exemple, celle du nombre d’heures
passées au téléphone. Ceci étant, les retours
que nous avons eus de notre consultation auprès
des agents étaient plutôt favorables à ce que l’on
a signé. En outre, seuls les signataires peuvent
participer aux observatoires régionaux.
Comment concevez-vous votre rôle
au sein de ces observatoires ?
À partir du moment où nous allons au plus près
des agents, c’est mieux. Ce n’est pas du national
que nous réglerons les choses, même s’il y a
des questions très sensibles comme celle
des effectifs. De même, pour la pause entre
deux appels, cela ne peut venir que d’une directive
nationale. Toutefois, plus nous aurons
une demande « en bas », plus nous serons
efficaces « en haut ». Ces observatoires vont
permettre de révéler certains dysfonctionnements.
La question maintenant reste de savoir comment
répondre à ces différentes attentes. Un accord
n’est viable que si on a les moyens d’y répondre.
C’est l’interrogation que nous avons.
Quelle est votre principale
préoccupation ?
Aujourd’hui, l’accord n’a pas changé l’organisation
du travail. Or c’est cette organisation qui génère
un certain stress. Il faut être attentif à la façon dont
le management est mis en exergue. Il ne faudrait
pas que la direction reporte la responsabilité
de ce qui ne va pas sur les managers
intermédiaires. C’est aussi notre rôle
d’organisation syndicale de veiller à cela.
page 8
comme principe que bien-être et
performance au travail sont intimement liés. Quatre thématiques
sont abordées, qui expriment autant
d’objectifs à atteindre : travailler
ensemble, mieux organiser l’activité, favoriser un meilleur équilibre entre vie professionnelle et
vie privée et, enfin, encourager les
parcours professionnels, ce dernier point ayant été ajouté au cours
des négociations, à la demande des
syndicats.
»
L’accord se veut un outil d’évolution
du modèle managérial de la division
commerce d’EDF. De fait, le rôle
du management dans l’amélioration
des conditions de travail est particulièrement mis en avant. Il lui
incombe d’assurer la cohésion des
équipes et d’instaurer un climat de
confiance favorisant l’écoute des
agents. Des formations doivent être
mises en place pour aider les managers à accomplir leur mission, leur
professionnalisation constituant
un axe important de l’accord. Celuici déclare en outre la nécessité
qu’« émergent des managers de
tous niveaux qui soient issus du
métier de conseillers clients ». Un
référent RH aura pour tâche d’informer les agents des possibilités
DF
managériale
d’évolution professionnelle.
Des mesures concrètes visent à
améliorer la visibilité qu’ont les
salariés sur leur travail. Les plannings, affichés à l’avance, permettront aux agents de savoir à
quelle activité ils sont affectés.
pause est au libre choix de l’agent,
qui devra cependant respecter la
courbe d’appels et le bon équilibre
avec les autres membres de l’équipe.
La responsabilité individuelle et
collective est ainsi posée comme
un axe majeur de l’accord.
Avec cet accord, le rôle du management
dans l’amélioration des conditions de travail est
particulièrement mis en avant.
Une vision annuelle des jours de
forte intensité téléphonique, avec
mise à jour mensuelle, sera communiquée aux personnels des
centres d’appels afin de mieux
anticiper et gérer le nombre de
requêtes des clients. La question
des challenges commerciaux est
aussi évoquée, certains personnels désapprouvant ce type de pratique jugée trop commerciale.
L’accord stipule que les organisations syndicales et les agents seront
informés au préalable de la tenue
de ces challenges mais, plus encore,
que ceux-ci « ne peuvent être un
mode permanent d’animation des
centres de relations clients ». Une
charte éthique des challenges est
en cours d’élaboration, en association avec les organisations syndicales signataires.
60-40, la bonne cote
Concernant l’organisation de l’activité, l’accord indique que le modèle
d’activité du métier de conseiller
client doit tendre vers 60% du temps
de travail à s’occuper de l’accueil
client au téléphone, les 40% restant
étant consacrés à gérer les dossiers, le management devant veiller
à cette alternance. L’accord reconnaît, en outre, la nécessité d’une
pause (hors pause physiologique
et pause méridienne), dont la durée
est de l’ordre de quinze minutes
par demi-journée. Le moment de la
Une volonté commune est aussi
affichée pour développer les crèches
d’entreprise, les services à la personne et les plans de déplacement
d’entreprise. Sur ces sujets, les
situations varient souvent d’une
région à l’autre, la division com-
«
merce en comptant huit. Des observatoires régionaux des conditions
de travail – composés de représentants syndicaux, de représentants de la direction de vente et de
la DRH – seront chargés de suivre
la bonne application de l’accord,
et d’échanger sur les bonnes
pratiques. Un comité de suivi
national se réunira également tous
les trimestres. Pour l’heure, les
efforts se concentrent sur le déploiement de ce qui est convenu avec,
notamment, un kit de communication distribué aux managers.
L’enjeu est déterminant afin que
chacun des acteurs en ait une vision
partagée. ■
Caroline Delabroy (journaliste)
QUESTIONS À MARTIN LEŸS,
directeur des ressources humaines et de la conduite du changement de la DP&P
Pourquoi cet accord ?
Dès 2006, nous avons souhaité afficher notre
ambition sociale; EDF a été le premier opérateur
important des centres d’appel à obtenir le label
« responsabilité sociale ». Lors de la préparation
de l’ouverture des marchés, nous avons négocié
un volet social pour accompagner l’entrée
de 6000 personnes dans la fonction clientèle.
Dans ce cadre, les organisations syndicales
ont demandé l’ouverture d’une négociation
sur les conditions de travail. En 2008, notre projet
managérial est d’améliorer celles-ci,
ce qui atteste du volontarisme de notre démarche.
Quel était votre mandat
de négociation ?
Nous n’avons pas voulu faire un accord
« classique », mais une déclinaison de notre projet
social, qui est de concilier la performance sociale
et économique, parce que nous croyons que
l’une ne va pas sans l’autre. Nous ne souhaitions
pas de mesures trop statiques, et surtout pas
de mesures figées comme, par exemple,
ce que demandaient certaines organisations:
« Pas plus de quatre heures de téléphone par jour. »
page 9
Qui, au sein de l’entreprise,
va être chargé de la bonne
application de l’accord ?
Sa bonne application repose sur le management
de proximité, notamment sur les responsables
des centres d’appel. Les résultats sociaux
seront inclus dans l’appréciation de la
performance du management. Dans le contrat
de performance d’une entité, le domaine social
pèse 9 % du contrat, dont 5 % pour la bonne
application de l’accord, ce qui atteste
l’importance que nous y apportons.
In fine, comment mesurer l’évolution
des conditions de travail ?
Nous avons mis en place un outil de suivi sous
la forme d’un baromètre social trimestriel,
enquête anonyme et confidentielle menée
par Ipsos auprès de tous les conseillers clients.
Pour le management, c’est un outil essentiel,
qui permettra à chaque chef de centre d’appel de
mesurer l’efficacité de ses actions et ses impacts
sur le climat social. Pour le personnel,
c’est un moyen d'exprimer ses attentes et de
contribuer à l'évolution des conditions de travail.
»
TRAVAIL ET CHANGEMENT
N°320 juillet/août 2008
CÔTÉ ENTREPRISES
Sur la bonne voie
avec GPS
Évaluer la perception qu’ont les salariés de leurs conditions de travail : c’est la vocation de
la Gestion des perspectives sociales (GPS), dispositif conçu par l’Aract Aquitaine et qu’a
testé Secma, entreprise de BTP, auprès de ses collaborateurs.
I
nitier et mettre en œuvre une
politique de gestion des compétences et d’amélioration des
conditions de travail, rien n’est
moins évident pour une PME. Il en
est ainsi pour Secma : créée en
1972, implantée à Bordeaux. Secma
est une PME indépendante, spécialisée dans la construction, la
rénovation et l’entretien de bâtiments industriels, commerciaux
ou collectifs. Ses trente-neuf salariés travaillent en majorité sur les
chantiers, pour le compte d’une
clientèle essentiellement girondine, partagés entre marchés privés (70 %) et publics (30 %).
Comme toute entreprise soucieuse
de s’inscrire dans une stratégie
de performance et d’assurer son
développement, Secma est
confrontée à des enjeux de fidélisation de ses effectifs, mais aussi
de recrutement. Attractivité et
rétention des collaborateurs, un
double objectif qui nécessite des
moyens de management adaptés.
Une attente
insoupçonnée
C O N TA CT
Jean-François Thibault,
Aract Aquitaine :
[email protected]
Or les méthodes, outils et prestations disponibles sur le marché
répondent essentiellement aux
besoins et capacités d’entités suffisamment structurées pour administrer des processus lourds. Pour
sa part, le PDG de Secma n’a pas les
moyens de mettre sur pied une
usine à gaz. Il recherche un outil pratique, léger et compréhensible par
tous. Après un premier contact
avec l’Aract Aquitaine, il sera décidé
SECMA
Secteur : BTP
Activité : construction, rénovation
et entretien de bâtiments
Effectifs : 39 salariés
Région : Aquitaine
d’adopter la méthode GPS. « L’outil
nous a intéressés pour plusieurs raisons : rapidité de mise en œuvre,
objectivité, garantie de confidentialité
pour les salariés, qui ont pu trouver
ici la possibilité de s’exprimer sans
contrainte et sans peur d’être
jugés », explique Jean-Yves Ségura,
travaux, chefs de chantier et
ouvriers. Une population souvent
issue d’une première génération
d’immigration et ne maîtrisant pas
toujours les subtilités de la langue
française. « C’est sans doute la
principale limite de cet outil : la
conception du questionnaire,
Pour sa part, le PDG de Secma n’a pas les moyens
de mettre sur pied une usine à gaz. Il sera décidé
d’adopter la méthode GPS.
chef de projet chez Secma. La
direction, épaulée par les représentants du personnel, a réuni
l’ensemble des salariés pour présenter l’outil, sa finalité, ses modalités d’administration et les
garanties de confidentialité associées. Et chacun est reparti avec un
questionnaire en poche.
Première surprise pour la direction:
la rapidité et l’ampleur de l’écho
rencontré : « En moins de quinze
jours, près de 70 % des collaborateurs avaient répondu », commente le chef de projet. Surprise
d’autant plus forte que les effectifs de Secma se composent en
grande partie de conducteurs de
page 10
explique Jean-Yves Ségura. Nos
salariés de chantiers sont d’origines différentes, ont quitté assez
tôt le milieu scolaire, et certains ont
été rebutés par la complexité des
questions. » Clause de confidentialité oblige, la direction s’est
trouvée dans l’impossibilité d’aider
les collaborateurs en difficulté
devant la formulation des items –
notamment devant certaines tournures négatives. « Certains se
sont fait assister par leurs
enfants », raconte le chef de projet.
Second facteur d’étonnement : le
contenu des réponses. Un bilan
global en décalage assez radical,
non seulement avec le niveau de
perception communément véhiculé autour des entreprises et
métiers du bâtiment, mais aussi
avec les moyennes cumulées par
l’ensemble des entreprises ayant
décliné l’outil GPS, tous secteurs
confondus. « 75 % de nos salariés
pensent que l’entreprise est
capable d’assurer leur avenir,
contre 47 % pour le total de la
base de données GPS », relève
Jean-Yves Ségura.
Un outil pour des
mesures concrètes
Le questionnaire a également
permis de pointer quelques potentielles améliorations : politique
d’intéressement, rôle et importance des délégués du personnel,
gestion des compétences et perspectives d’évolution dans l’entreprise, la communication interne…
Secma va de fait lancer un train
de mesures concrètes. En dégageant des investissements conséquents : aménagement d’un
réfectoire, de sanitaires et douches,
achat de mobiles de chantier comprenant kitchenette, réfectoire,
douches, sanitaires, achat de vêtements de travail, renouvellement
du parc de fourgons. Mais aussi
en engageant des mesures managériales inédites pour la PME :
signature d’un contrat de prévention avec la Cram Aquitaine, et
mise en place d’une formation de
l’ensemble du personnel à la prévention des risques professionnels, conception d’un livret d’accueil
pour les intérimaires et nouveaux
entrants, signature d’un accord
d’intéressement des salariés aux
résultats. « Nous avons également défini les divers postes de
l’entreprise et mis en place des
entretiens individuels avec grille
d’évaluation, recensement des
besoins de formation, plan de formation annuel en concertation
avec les délégués du personnel »,
développe Jean-Yves Ségura.
La démarche GPS a en outre incité
la direction à programmer des
réunions mensuelles d’information avec l’encadrement et les délégués du personnel, ainsi que des
débriefings bimensuels avec les
chefs de chantiers pour faire le
point sur le fonctionnement de
LA GPS, UNE BOUSSOLE POUR LES RH
La GPS, quèsaco ?
GPS : un sigle
de trois lettres
facilement
mémorisable
– la résonance
avec la technique
bien connue
de géolocalisation n’est pas anodine –
pour désigner le dispositif de mesure
de satisfaction professionnelle, défini
et animé par l’Aract Aquitaine. GPS,
pour « Gestion des perspectives
sociales ». Objectif : mesurer le degré
de satisfaction des salariés envers
l’entreprise, le travail, le relationnel
et les perspectives individuelles. La GPS
repose sur deux outils complémentaires :
un baromètre, dédié à l’évaluation,
et une base de données, baptisée Géode.
Celle-ci compile l’ensemble des données
barométriques recueillies au fil
des applications pour offrir
un référentiel. Il permettra à chaque
entreprise de projeter ses propres
résultats sur une moyenne globale, et
de se positionner au regard d’un certain
nombre d’indicateurs spécifiques.
Le baromètre
est articulé autour
d’un questionnaire
validé, disponible
et immédiatement
opérationnel,
permettant
aux acteurs de l’entreprise de fixer
des objectifs opérationnels pour
la performance de l’entreprise,
la démarche qualité et, de manière
plus générale, la qualité de vie au travail
par l’amélioration des conditions
de travail. L’outil va également apporter
des informations sur les attentes
des salariés, par exemple en termes de
carrière et de perspectives d’évolution.
Il s’agit, entre autres,
de se donner les moyens de prévenir
les conflits et la dégradation du climat
social dans l’entreprise, de circonscrire
rapidement les priorités, d’aider
à la décision pour créer un contexte
apaisé de dialogue social.
Concrètement,
comment ça marche ?
Dans l’entreprise,
le pilotage de la mesure
relève d’un comité
de quatre à douze
personnes représentant
la direction et les
salariés. Mission dudit
comité: communiquer auprès des salariés,
distribuer les questionnaires et
les enveloppes T, impulser les retours vers
l’Aract, analyser et restituer aux salariés
les résultats du baromètre. La mise
en œuvre et la réalisation de la mesure sont
de la responsabilité de l’Aract Aquitaine,
qui garantit une totale confidentialité des
réponses de chacun, l’impartialité vis-à-vis
des directions et des salariés, et l’objectivité
des résultats restitués au comité
de pilotage sous forme d’un CD-Rom.
Combien ça coûte ?
Hors cofinancement
possible des
pouvoirs publics,
le coût moyen
de la mesure
barométrique
s’élève pour
l’entreprise à 1 500 €, forfait auquel
il faut ajouter 9 € par salarié.
Voir réf. site GPS page 15.
l’entreprise. Enfin, la société bordelaise a créé ex nihilo une société
de services, Secma Logistic, dédiée
à l’amélioration de l’accueil et du
confort des travailleurs sur les
chantiers du BTP, de l’industrie
et de l’événementiel.
« L’outil GPS fournit une photographie des conditions de travail et
de leur perception dans l’entreprise, à un instant T, avec un angle
de vue assez large. Pour nous, ça
page 11
aura été un élément déclencheur
important dans notre politique
d’optimisation des ressources
humaines », énonce Jean-Yves
Ségura. Un levier d’action que
Secma pourrait bien réarmer fin
2008 ou début 2009, afin d’établir
des premiers constats d’évolution
et, partant, de mesurer les effets
de la stratégie mise en œuvre. ■
Muriel Jaouën (journaliste)
TRAVAIL ET CHANGEMENT
N°320 juillet/août 2008
CÔTÉ ENTREPRISES
Manager les conditions de travail: un objectif que les entreprises anglo-saxonnes poursuivent aussi,
à travers notamment le Work-Life Balance, ou comment trouver la façon de mieux équilibrer vie
professionnelle et vie privée. Au Canada, il existe même, au sein des entreprises, une fonction dédiée…
Pays anglo-saxons,
le poids de la balance
D
Par Julien
Pelletier
(responsable
veille et
prospective
internationale
de l’Anact)
epuis vingt ans, l’opposition
entre travail et vie personnelle ne cesse d’augmenter,
jusqu’à devenir l’un des principaux
problèmes rencontrés par les managers : c’est ce que démontrent de
multiples enquêtes au RoyaumeUni, au Canada, en Australie et aux
États-Unis. Dans ces pays anglosaxons, le Work-Life Balance (WLB),
qui permet de trouver l’équilibre
entre la vie privée et la vie professionnelle, est l’une des clés du management de la qualité de vie au travail. Les transformations
spectaculaires de la main-d’œuvre
(féminisation, vieillissement, attentes
des jeunes…) et des modes de vie
(loisirs, place de la famille, soins
aux aînés, transport…) incitent
entreprises et gouvernements (voir
encadré) à mettre en place de nouveaux équilibres entre sphère privée et sphère professionnelle.
Sur tous les fronts
Du côté des entreprises, on constate
que le management du WLB mobilise une grande diversité de pratiques et mesures ayant trait aux
avantages sociaux, comme des
services de garderie en milieu professionnel, des salles de conditionnement physique, un aiguillage
vers des services de soins pour
personnes âgées, des programmes
de promotion de la santé, la retraite
graduelle et le partage de l’emploi… À ces « services », les entreprises incluent parfois des actions
sur l’organisation du travail en
envisageant la charge qu’il représente, et en préférant le travail en
équipe; elles interviennent aussi sur
les responsabilités et la rémunération, l’environnement physique du
travail, le télétravail, l’aménagement
du temps de travail, la gestion de
carrière… En résumé tout ce qui se
rattache à la gestion de l’activité professionnelle entre dans les préoccupations des entreprises, qui,
avec le WLB, ont envisagé une
démarche globale.
Certaines ont même créé un poste
de responsable du WLB. Comme
Kraft Canada, où il existe un
manager « harmonie travail-vie
et mieux-être » chargé de concevoir, de manière participative, un
programme WLB et de le mettre en
Comment fonctionne le WLB
dans les politiques publiques ?
Du côté des gouvernements, on trouve généralement trois types de programmes d’appui :
☛ des études et les enquêtes visant à suivre l’évolution des besoins des salariés sur ce sujet ;
☛ des programmes et politiques de management du WLB au sein du secteur public ;
☛ la valorisation des bonnes pratiques des entreprises et l’encouragement à la négociation
sociale sur le sujet. Par exemple, au Canada, il existe le ministère des Ressources humaines
et du Développement social (voir sur le site www.rhdsc.gc.ca) dont l’objectif est d’« aider
les Canadiennes et Canadiens à faire les bons choix afin que leurs vies soient productives
et gratifiantes, et d’améliorer leur qualité de vie ».
page 12
œuvre : enquêtes, groupes de discussion, évaluation de la charge
de travail, simplification des tâches,
création d’un « conseil travailvie » (constitué de douze personnes démographiquement
représentatives de tous les secteurs), formations… Le dispositif est
de taille.
Un effet neutre
sur la productivité
Objectif premier de ces nouvelles
pratiques managériales : marier
la diversité des attentes des salariés et les besoins de flexibilité de
l’entreprise. Est-ce que cela a un
effet positif sur la productivité ?
Une étude récente(1) auprès de 732
entreprises (États-Unis et RoyaumeUni essentiellement) indique qu’il
n’y a pas de corrélation significative entre un bon WLB et la productivité. Les entreprises ayant
progressé dans l’équilibre travailvie ont tantôt connu une meilleure
p ro d u c t i v i t é , ta n t ô t n o n . E n
revanche, on constate une relation positive entre un management
de qualité et une meilleure conciliation profession - sphère privée,
c’est-à-dire que les entreprises
ayant des pratiques diversifiées
et cohérentes de management du
WLB sont aussi celles où cet équilibre est, d’après les salariés, le
mieux atteint. Des résultats qui
montrent qu’une bonne harmonie
travail-vie est socialement désirable puisqu’appréciée par les
salariés tout en demeurant neutre
sur le plan de la productivité. ■
Work-Life Balance, Management Practices
and Productivity, Nick Bloom, Center for
Economic Performance de la London School
of Economics, 2006.
TRAVAIL ET CHANGEMENT
N°320 juillet/août 2008
ALLER PLUS LOIN
POINTS DE VIGILANCE
1
FORMER LES MANAGERS OU LES ACTEURS DE L’ENTREPRISE
Fédérer les énergies et les expertises autour du travail en formant, ou au moins
en sensibilisant, ceux qui, dans l’entreprise, peuvent agir :
• QUI
– les managers d’équipes confrontés
aux changements d’organisation
– les managers « fonctionnels »
accompagnant les changements
– les représentants du personnel,
en particulier ceux des CHSCT
– les consultants et les acteurs
de la prévention des risques
psychosociaux
• QUOI
• COMMENT
comprendre les nouvelles
problématiques de l’entreprise :
– les nouvelles formes d’organisation
– l’articulation travail et hors-travail
– les identités professionnelles
et les transformations des métiers
– les nouveaux risques (stress, risques
psychosociaux, usure prématurée,
vieillissement…)
– les liens entre travail et performance
globale
– articuler données et diagnostics
de santé, de GRH, de production
– analyser les situations de travail
– concevoir des stratégies d’action
et des dispositifs de suivi
E Cette étape de formation permet d’articuler les apports et outils des sciences de gestion
et des sciences humaines pour construire une compétence d’analyse et d’intervention.
2
PILOTER ET SUIVRE
• DES PRÉALABLES :
– l’identification des situations de travail clés
et l’anticipation des nouveaux risques
– la mise en débat et la concertation sur des sujets
précis ou sensibles
• DES OUTILS
– des accords sur les conditions de travail ou sur la qualité
de vie au travail autour de sujets précis
– des observatoires nationaux ou régionaux, d’entreprises
ou de branches
– des outils et des questionnaires de diagnostic
pour connaître la situation de l’entreprise. Un exemple :
la Géode des perspectives sociales (GPS) : se connaître
et se situer par rapport à un secteur, un bassin d’emploi,
des entreprises de même taille, etc.
E Ces outils permettent essentiellement
de comprendre les situations de travail
et d’accompagner le développement social
de l’entreprise.
3
ÉVALUER
RÉGULIÈREMENT
• METTRE EN RAPPORT COÛT ET VALEUR
DU TRAVAIL
– mesurer les coûts directs du travail dans les prix de revient
– mesurer les coûts indirects liés à l’absentéisme, aux
maladies professionnelles, à la gestion des remplacements
– mesurer les gains de performance liés à un investissement
dans les conditions et la qualité de vie au travail: fidélisation
des clients/innovation/baisse de non-qualité…
– inclure le management du travail dans l’évaluation
des managers
• PRENDRE LA TEMPÉRATURE
DE L’ENTREPRISE À INTERVALLES
RÉGULIERS
– construire le suivi avec un groupe de travail dédié
– réorganiser la concertation et la négociation
– informer et communiquer régulièrement
– rediscuter autour des accords et des observatoires
les sujets de la négociation
E L’évaluation des actions permet
une adaptation aux contraintes économiques
et sociales. Elle inscrit la démarche
dans une gestion globale de l’entreprise
par la qualité de vie au travail.
page 13
TRAVAIL ET CHANGEMENT
N°320 juillet/août 2008
ALLER PLUS LOIN
MANAGEMENT À CONTRESENS :
COMBIEN COÛTE LA DÉMOTIVATION ?
C’est un mot à la mode mais il y a une raison à cela : la démotivation serait le nouveau
mal des entreprises, se répandant comme une traînée de poudre… Un tableau noir
dans lequel le management joue un rôle, produisant le contraire de ce qu’il devrait être :
mobilisateur et fédérateur. Mais la force de l’ouvrage d’Anne Dousset est de ne pas
s’arrêter à ce sombre constat mais d’en analyser les causes profondes. Puis de proposer
des solutions pour tordre le cou (le coût ?) au « management à contresens ».
à lire
Management à contresens : combien coûte la démotivation ?,
par Anne Dousset, éditions d’Organisation, 2007
Mettre le plaisir de travailler au poste de commande
pour gagner en efficacité? Voilà la thèse audacieuse
qu’Anne Dousset développe dans son ouvrage Management
à contresens: combien coûte la démotivation? Elle parle
d’expérience, elle qui a occupé pendant une quinzaine
d’années des postes de DRH ou de conseil dans
des environnements très concurrentiels et, même
dans un lointain passé, quelques temps à l’Anact…
Si le plaisir est le moteur de l’action, le moteur serait-il
grippé? Nous serions en tout cas, d’après Anne Dousset,
en phase de rendement fortement décroissant.
Elle l’attribue essentiellement à trois raisons:
la centralisation des décisions, la pression du court terme
et la distanciation des pouvoirs. Le changement rapide
« pour s’adapter, pour anticiper, pour inventer avant
et mieux que les concurrents » est confondu avec
un « bal des girouettes » qui systématise le « faire
différemment des précédents ». Face à cette situation,
« les salariés éprouvent le sentiment douloureux
que l’entreprise est dans l’erreur, que leur avis
n’est pas important, que leur apport est de peu de valeur
et que leur engagement est sans effet ».
Bref, elle constate qu’un fossé contre-productif se creuse
entre les stratèges siégeant dans des technostructures
matricielles et les opérationnels de terrain.
Un modèle pour convaincre ?
L’originalité de l’ouvrage tient dans le fait qu’il combine
des éléments rarement réunis.
Il illustre tout d’abord ce phénomène de déplaisir
du travail, à travers la présentation de trois cas individuels
qui fleurent bon leur vécu et démont(r)ent les mécanismes
par lesquels la démotivation, le désengagement, voire
le divorce, s’installent entre l’entreprise et ses salariés.
page 14
Mais, chaque fois, le « comment aurait-on pu éviter cela? »
incite à réfléchir positivement sur les conduites à tenir.
Fidèle à sa préoccupation économique, mais aussi
consciente de ce qui peut toucher les managers, l’auteure
propose ensuite un « modèle pour chiffrer le taux
de productivité du facteur humain ». Tant pour mesurer
le coût du désengagement que le bénéfice de l’engagement
individuel et collectif. Un modèle pour convaincre? Même
pas. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: si on additionne
l’impact du management sur le présentéisme, l’efficacité
collective et « l’énergie motivationnelle individuelle »,
on arrive facilement à des écarts de 200 % entre
une situation initiale où l’on aurait fait confiance aux
personnes concernées pour trouver une solution adaptée
et une situation finale, à laquelle on est arrivé par un tout
autre chemin… Pour beaucoup, cet écart représente
le coût de l’incapacité à fidéliser ou du remplacement
d’un employé ou d’un cadre ancien et expérimenté.
Une troisième partie, très substantielle, le tiers
de l’ouvrage, propose enfin trois clés pour faire renaître
l’engagement: créer une identité d’entreprise qui donne
envie d’en être acteur; créer une relation de confiance
qui conduit au dépassement de soi; enfin, impliquer les
personnes dans les différents processus de l’entreprise, en
redonnant corps à l’initiative individuelle et à l’expression
de l’intelligence collective, en jouant la transparence.
On est frappé par le contraste entre le tableau sombre
dressé au début de l’ouvrage et la lumière qui se dégage
progressivement de l’analyse et des propositions:
pessimisme de l’intelligence et optimisme de la volonté?
Rassurez-vous: dans les propositions aussi, il y a de
l’intelligence!
Michel Weill
ARTICLES
Le travail, un défi pour la GRH,
« Schneider met un pilote
dans son accord», Patricia Sudolski,
Entreprise & carrière, n° 895,
26 février 2008, p. 17.
Rachel Beaujolin-Belletn,
Michel Parlier et Pierre Louart,
éd. De l’Anact, 2008, 270 p.
Qualité de vie et santé au travail
- Guide pour le management
et la négociation des conditions de
travail dans la société d'information,
Yves Lasfargue et Pierre Mathevon,
Octares Éditions, 2008, 306 p.
Le Capitalisme d’héritiers : la crise
française du travail,
Thomas Philippon, éd. du Seuil, coll.
«La république des idées», 2007, 109 p.
Les Compétences managériales :
enjeux et réalités, Françoise
Dupuich-Rabasse, éd. L’Harmattan,
2007, 313 p.
Le Carnet de bord du manager
de proximité, Pascal Poudereaux,
éd. d’Organisation, coll. «Livres outilsEfficacité professionnelle», 2007.
L’Entreprise réconciliée. Comment
libérer son potentiel économique
et humain, Jean-Marie
Descarpentries et Philippe Korda,
éd. Albin Michel, 2007, 254 p.
Management de la santé et
de la sécurité au travail : un champ
de recherche à défricher, Emmanuel
Abord de Chatillon, Olivier Bachelard,
Jean-Marie Peretti, éd. L’Harmattan,
coll. «Conception et dynamique
des organisations», 2006, 467 p.
Les Enjeux sociaux de l’innovation,
Yves Lasfargue, éd. Images pour
la formation, coll. «CJD», 2006.
Manager par le sens : les clés
de l’implication au travail,
David Autissier et Frédéric Wacheux,
éd.d’Organisation, 2006, 246 p.
Le Manager au quotidien :
les 10 rôles du cadre, Henry
Mintzberg, éd.d’Organisation, coll.
«Références Poche», 2006, 283 p.
Changer le travail… Oui mais
ensemble, Henri Rouilleault
« Management participatif.
Les salariés de la RATP écrivent le
plan stratégique de l’entreprise »,
Entreprise & carrière, n° 898,
24 mars 2008, p. 14 à 16.
« Un salarié au conseil
d'administration », Pierre Alanche,
Alternatives économiques, n° 241,
décembre 2007, p. 74 et 75.
« Le travail contemporain
est insuffisamment managé »,
Entreprise & carrière, n° 869,
août 2007, p. 17.
« Le management intermédiaire
en transformation »,
Christian Mahieu, Revue française de
gestion, n° 172, mars 2007, p. 49 à 61.
« Les relations sociales,
oubliées du programme
des grandes écoles »,
Liaisons sociales, n° 83, juin 2007,
p. 42 à 44.
« Manager le changement :
comment impliquer son
personnel », L’Expansion
management review, complément
rédactionnel au n° 119,
décembre 2005, p. 30 à 32.
« Des observatoires de branche
pour montrer le cap »,
Chantal Attane, Entreprises formation,
n° 145, octobre 2004, p. 34 et 35.
« Changement : nouveaux défis,
nouveaux outils », dossier
de L'Expansion management review,
n° 113, juin 2004, p. 41 à 86.
« Mise en œuvre des accords
européens sur les conditions
de travail dans le rail »,
Liaisons sociales Europe, n° 97,
5 février 2004, p. 4.
sur le web
à lire
OUVRAGES
Consultez toutes les ressources
sur la qualité de vie au travail
et l’amélioration des conditions
de travail et le contenu
pédagogique ainsi que
les modalités d’inscription au
master « management, travail
et développement social » sur
www.anact.fr
Tout sur la Géode des
perspectives sociales (GPS)
mise en œuvre par l’Aract
Aquitaine… Renseignements
pratiques, ressources
et pilotage, perspectives :
www.gps-aract.fr
FAIRE FACE
AUX EXIGENCES
DU TRAVAIL
CONTEMPORAIN
Les entreprises, les organisations syndicales, mais
aussi les pouvoirs publics
n'ont pas le choix: il faut
analyser le travail pour mieux en comprendre
les nouvelles exigences. Là où les interprétations les plus courantes parlent d'intensification du travail, cet ouvrage propose
une grille de lecture revisitée des conditions de travail. Ce faisant, il s'interroge sur
les conditions nouvelles dans lesquelles on
demande aux gens de travailler. Les clés? Du
côté des travailleurs mais aussi du côté du
management : comment l'activité est-elle
organisée? Sait-on gérer la montée des exigences ? Afin d'éviter de s'enfermer dans
la seule dénonciation du sort vécu par les salariés, l'auteur a construit une perspective
analytique qui fait se croiser les évolutions
des stratégies d'entreprise, les transformations de l'activité de travail et les effets
des outils de gestion.
Faire face aux exigences du travail
contemporain, Pascal Ughetto,
éd. de l’Anact, mai 2007, 157 p.
et Thierry Rochefort éd. de l’Anact,
2005, 509 p.
TRAVAIL ET CHANGEMENT , le bimestriel du réseau Anact pour l’amélioration des conditions de travail.
Directeur de la publication: Jean-Baptiste Obéniche – directeur de la rédaction: Gilles Heude – responsable des éditions: Sylvie Setier –
rédactrice en chef: Béatrice Sarazin, [email protected]
Contributeurs au dossier : Antoine Masson, Julien Pelletier, Thierry Rochefort, Michel Weill.
Réalisation Reed Publishing – chef de projet : B. Lacraberie ; journalistes : C. Delabroy ; M. Jaouën ; secrétaire de rédaction : G. Hochet ; illustrateur : Tino ; directrice artistique :
A. Ladevie ; fabrication : P. Spadari – 2, rue Maurice-Hartmann, 92133 Issy-Les-Moulineaux – impression : Imprimerie Chirat, 744, rue Sainte-Colombe, 42540 Saint-Just-La-Pendue.
Dépôt légal : 3e trimestre 2008. Une publication de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, 4, quai des Étroits, 69321 Lyon Cedex 05, tél. : 04 72 56 13 13.
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