La médiation culturelle dans un Centre Dramatique National de

publicité
La médiation culturelle au théâtre,
construction d’une croyance
Entre représentations et pratiques, au Théâtre Gérard Philipe,
Centre Dramatique National de Saint-Denis
Mémoire réalisé par Justine Rault, étudiante en 5ème année à l’Institut
d’Etudes Politiques de Toulouse
Sous la direction de Lionel Arnaud, Professeur des Universités en Sociologie,
à l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse
Année universitaire 2015-2016
2
Remerciements
Mes remerciements s’adressent en premier lieu à Lionel Arnaud, pour avoir accepté
de diriger mon mémoire de recherche, pour ses conseils très avisés et sa patience.
Je tiens également à remercier François Lorin, responsable du développement des
publics au Théâtre Gérard Philipe, et mon référent de stage de fin d’études, pour sa
gentillesse, son optimisme et sa confiance.
Un immense merci aux personnes qui ont accepté de m’accorder du temps pour
partager leur expérience, qui ont écouté mes doutes, et qui m’ont aidée à avancer dans ma
réflexion : Caroline Foubert-Gauvineau, Delphine Bradier, Adjera Lakehal et Gwladys
Guillaume.
Je remercie aussi toutes les personnes que j’ai rencontrées durant mon stage de fin
d’études au Théâtre Gérard Philipe, qui m’ont donné l’envie d’écrire sur ce milieu, et d’y
travailler.
Merci, enfin, à mes parents et à mes frères, pour leurs relectures attentives et leur
soutien sans faille.
3
Résumé
Comment se justifie et sur quoi se fonde la « nécessité » d’aller vers les publics dits
« empêchés » dans un théâtre public ? D’où vient cette croyance dans la médiation culturelle
comme le moyen le plus « moral » de gérer l’accessibilité à la culture en France ? C’est à
ces questions que nous essaierons de répondre dans ce mémoire de recherche, en se penchant
sur le cas du Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis. Nous
tâcherons d’analyser et de déconstruire la croyance dans la médiation culturelle, par une
enquête sociologique sur les médiateurs culturels eux-mêmes, en comparant leurs
représentations avec les pratiques, sur le terrain d’une action de médiation.
Mots-clés
Médiation culturelle, culture, théâtre public, politique culturelle, centres dramatiques
nationaux
4
« La pente de la bureaucratie culturelle, si prompte pourtant à
invoquer la défense de la culture contre ses agresseurs mercantiles ou
étrangers, est de brimer la demande de ces publics divers, au nom
d’un non-public anonyme, qu’il faut, malgré lui, amener au théâtre, à
l’opéra, au concert, au musée, à la bibliothèque. Cet impératif abstrait
sacrifie le réel à une entité imaginaire (le suffrage universel de la
Culture), et la qualité à la quantité. On retombe dans ce que l’on
prétendait fuir : la médiocrité du grand commerce, et l’on y retombe
en s’embrouillant dans des contradictions que le grand commerce,
plus naturel dans son ordre, ne connaît pas. »
Marc Fumaroli, L’Etat culturel : une religion moderne,
Editions de Fallois, 1992, 410 p.
5
Sommaire
Remerciements ..................................................................................................................... 3
Introduction ......................................................................................................................... 8
I.
Définitions théoriques et précisions socio-historiques ............................................... 8
II.
Articulation de la problématique et des hypothèses ............................................. 13
III.
Méthodologie : comment étudier une croyance ? ................................................. 17
PARTIE 1
Quelle(s) médiation(s) culturelle(s) ? Eléments de contexte et de définition................ 22
I.
II.
Le « théâtre service public », éléments de contexte ................................................. 22
La médiation culturelle aujourd’hui...................................................................... 32
PARTIE 2
Les représentations de la médiation culturelle au Théâtre Gérard Philipe : analyse
d’une croyance ................................................................................................................... 46
I. La médiation culturelle au Théâtre Gérard Philipe, CDN de Saint-Denis : quelle(s)
croyance(s) ? .................................................................................................................... 47
II.
Quel(s) discours sur la médiation culturelle ?....................................................... 53
PARTIE 3
Socialisation(s) et vocation(s) des médiateurs du Théâtre Gérard Philipe : aux
origines de la croyance ...................................................................................................... 61
I.
Socialisation culturelle et capital scolaire ................................................................ 61
II.
Une « vocation » pour la médiation culturelle ? Entre amour pour l’art et passion
militante ........................................................................................................................... 71
PARTIE 4
Mise en perspective des représentations de la médiation culturelle avec la pratique
sur le terrain ....................................................................................................................... 81
I.
II.
L’importance des « médiatrices-relais » : au plus près du public ............................ 82
Représentations et prise en charge de la distance sociale pendant les actions...... 88
III. Les bilans de la pratique : quelles différences d’interprétation des effets sur les
publics ? ........................................................................................................................... 94
6
Conclusion ........................................................................................................................ 101
Bibliographie .................................................................................................................... 102
Annexes ............................................................................................................................. 108
Table des matières…………………………………………………………………...….145
7
Introduction
Au cours de mon stage au service des relations avec les publics du Théâtre Gérard
Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis, de février à juillet 2016, j’ai vite été
fascinée par ce qui constituait pour moi une contradiction : la recherche de la perfection
artistique d’un côté, qui voulait que les spectacles programmés soient de « bonne qualité »,
mêlée à la volonté de diversifier les publics, soit le fait d’attirer des publics aux profils socioculturels différents. Je me questionnais sur l’intérêt de cette double démarche : pourquoi
vouloir absolument transmettre une culture théâtrale élitiste, souvent difficile d’accès, à des
publics qui, par eux-mêmes, n’iraient pas au théâtre ? Pourquoi dépenser toute cette énergie
à vouloir faire venir au théâtre ces publics dits « empêchés » ? Quelles justifications
objectives à toutes ces ambitions ? Par ces nouvelles interrogations, qui naissaient de mes
observations sur le terrain, je me confrontais à un monument de l’histoire des politiques
culturelles françaises, celui de la médiation culturelle. Et de mon nouvel intérêt pour cette
notion emblématique du système culturel français, théorisée depuis les débuts de la
Quatrième République, m’est alors apparu un « idéal » de gestion de la culture, entièrement
construit par les institutions politiques du 20ème siècle, qui détermine aujourd’hui la relation
qu’entretient l’Etat français avec la culture.
I.
Définitions théoriques et précisions socio-historiques
Définir les termes
Malgré l’importance de la médiation culturelle dans les politiques culturelles
françaises depuis la moitié du 20ème siècle, il est toujours difficile de mettre les mots exacts
sur ce qu’elle est et sur ce qu’elle implique, tant ses attributions et ses utilisations politiques
diffèrent. La « culture » tout d’abord, est une notion qui en complique la définition. Selon
Denys Cuche, le terme de culture comprend deux acceptions1 : une vision ethnologique et
holiste tout d’abord, dans le sens où elle se rapprocherait de la notion de « société » et de
« communauté », et serait l’ensemble des traits caractéristiques d’un groupe ou d’une société
1
CUCHE Denys, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris : La découverte, coll. Repères, 2004,
157 p.
8
(langue, éducation, religion). La culture deviendrait alors un outil de construction identitaire,
facteur d’appartenance et de différenciation. A cette vision sociologique, s’oppose une vision
plus restrictive, développée dans le langage courant : le sens commun adopterait le terme de
culture pour faire référence à l’offre de pratiques et de services culturels dans les sociétés
modernes, en particulier dans le domaine des arts et des lettres. En ce sens, la culture
renverrait aux expressions culturelles, véhiculées par les arts. Dans ce mémoire, nous ferons
plus référence à la culture dans son sens commun, puisque le théâtre est un art, qui donne
lieu à des pratiques culturelles. (Néanmoins, nous utiliserons également l’autre vision de la
culture, quand nous aborderons plus précisément les actions de médiation construites avec
les publics dits « empêchés »). Le terme de médiation, lui, est plus consensuel,
quoiqu’également confus dans son usage. La médiation, selon Serge Chaumier et François
Mairesse, suppose une « mise en relation » entre deux entités qui ne se rencontreraient ou ne
se comprendraient pas de prime abord, et le médiateur interviendrait dans un contexte qui
nécessite une médiation2. Ainsi, l’idée de médiation culturelle part du postulat que la culture,
entendue en son sens commun, ne serait pas accessible à tous les individus immédiatement,
et qu’il convient donc de créer des rapprochements entre les deux. Jean Caune définit la
médiation culturelle comme le fait de « tracer des chemins de traverse entre les institutions
et les territoires des pratiques »3.
J’ai choisi de travailler sur la médiation culturelle dans les centres dramatiques
nationaux de banlieue parisienne pour plusieurs raisons : pour une raison pratique tout
d’abord, puisque j’ai effectué mon stage de fin d’études au Théâtre Gérard Philipe, qui est
un centre dramatique national localisé à Saint-Denis, et que ce théâtre a constitué mon terrain
de recherche. Une autre raison est celle de ma passion pour ces théâtres, qui sont les héritiers
directs des mouvements de décentralisation théâtrale du 20ème siècle, et qui comportent dans
leurs missions, la volonté de s’inscrire sur leur territoire pour favoriser l’accessibilité de cet
art à tous. Ainsi, la médiation culturelle y est prégnante : elle fait entièrement partie du projet
artistique du directeur d’un CDN, la plupart du temps metteur en scène, qui se doit de
réfléchir à un équilibre entre la programmation de son théâtre, et les caractéristiques des
publics du territoire sur lequel il est implanté.
2
CHAUMIER Serge et MAIRESSE François, La médiation culturelle, Editions Armand Colin, 2013, p. 61
CAUNE Jean, « Sens des mots, réalité des processus » In LAFORTUNE Jean-Marie, La médiation
culturelle, le sens des mots et l’essence des pratiques, Ed. Presses Université du Québec, Col. Publics et
Culture, 2012, p.6
3
9
L’appropriation progressive de la question de la culture par le politique
La médiation culturelle est une notion très caractéristique du système culturel
français, qui, au fil de l’appropriation progressive de la question de la culture par l’Etat, est
devenue sujet à de nombreux débats. En effet, la médiation culturelle, puisqu’elle constitue
aujourd’hui un pan de la politique culturelle étatique, est une expression politique importante
qui s’inscrit dans un contexte socio-historique de prise en charge de la culture par la
politique. La relation entre la culture et la politique est née en Occident, où déjà dans les
cours monarchiques, elle occupait une place privilégiée. Comme le montre Michel Foucault,
tout au long du 19ème siècle, la culture est utilisée à des fins d’endoctrinement. A travers
l’éducation notamment, les gouvernements ont permis d’étendre leur pouvoir et leur
influence symbolique4. Dès le début du 20ème siècle, et sous des formes variées selon les
pays, la culture entre progressivement dans la sphère publique, et la France intensifie ses
politiques pour renforcer l’unité culturelle de la nation (à travers la défense de la langue
nationale contre les langues régionales notamment5). Parallèlement, à cette époque, les
classes sociales les plus élevées de la population s’intéressent de plus en plus à la culture, et
effectuent de plus en plus de sorties culturelles. Face à cela, l’Etat va s’approprier la question
du « goût », et va investir dans des institutions publiques porteuses de projets artistiques
(théâtres, musées, bibliothèques nationales…). Le paroxysme de cette appropriation de la
culture par l’Etat est atteint avec la création du Ministère des Affaires Culturelles en 1959,
et à sa tête André Malraux, qui développe notamment l’idée de la démocratisation culturelle,
soit le fait de rendre accessibles à tous les œuvres capitales de l’humanité. A partir de la
décennie Malraux et des événements de mai 68, les questions culturelles deviennent un vrai
enjeu sur la scène politique nationale et locale6, et l’Etat finance et subventionne de plus en
plus d’institutions et d’établissements culturels. Cependant, la légitimité qu’a l’Etat
d’intervenir dans le secteur culturel n’a pas toujours été évidente. Si on parle aujourd’hui
d’ « exception française » quant à la relation qu’entretient l’Etat français à la culture, cette
même relation est ambiguë. Pour certains en effet, l’ingérence de l’Etat dans les domaines
de la création peut représenter un danger pour l’indépendance de l’artiste. C’est le cas de
Marc Fumaroli, qui dénonce le fait que les politiques culturelles soient une « manipulation
4
FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, Paris : Gallimard, 1993, 360 p.
DUBOIS Vincent, La politique culturelle, Genèse d’une catégorie d’intervention publique, Paris, Belin,
coll. « Socio-histoires », 1999, 383 p.
6
POIRRIER Philipe, L’Etat et la Culture en France au 20ème siècle, Le livre de poche, 2000, p.11
5
10
sociologique impulsée par l’Etat, nouveau Leviathan culturel au service d’un parti et d’une
idéologie politique »7. L’avènement de la mondialisation a donné un grand tournant à cette
relation, puisque les échanges de biens et de services culturels entre les pays ont été rendus
possibles. L’idée de dominer le marché culturel international, via l’exportation de ses
propres produits culturels, est devenue le nouveau précepte de la culture liée au politique.
Cette nouvelle tendance a aujourd’hui deux effets contraires : celui de faire rayonner les
cultures nationales, et donc de renforcer le sentiment d’appartenance des individus
nationaux, et celui d’uniformiser les cultures nationales.
La prise en compte de la réception
La question de la médiation culturelle s’inscrit également dans un contexte de prise
en compte progressive de la réception, s’appuyant sur deux grands concepts qui jalonneront
les politiques culturelles du 20ème siècle : la décentralisation et la démocratisation. Les
premiers mouvements de décentralisation théâtrale naissent sous la Quatrième République
sous l’impulsion de Jeanne Laurent, sous-directrice du théâtre et de la musique au Ministère
de l’Education Nationale, qui s’attachera à rééquilibrer la diffusion théâtrale entre Paris et la
province, en soutenant les collectivités locales et en créant les premiers centres dramatiques
(le premier centre dramatique national verra le jour en 1946 à Colmar).
C’est Jean Vilar, nommé à la tête du Théâtre National Populaire au Trocadéro à Paris
par Jeanne Laurent, qui mettra en exergue la question du public, en privilégiant un théâtre
populaire, jonglant entre la culture savante et la culture ouvrière. Il prônera le premier l’idée
d’un « théâtre service public », qui devient dès lors, une institution publique d’ordre moral8.
En créant le Ministère des Affaires Culturelles en 1959, André Malraux fait entrer dans les
missions de l’Etat l’idée de la démocratisation culturelle, en soutenant la thèse du « choc
esthétique ». Pour lui, la médiation culturelle consistait en un simple rapprochement entre
les œuvres d’art et la population, en une rencontre directe, qui devait susciter la « sensibilité
esthétique » de tous les publics. Selon Jean Caune, la démocratisation culturelle a été
envisagée comme l’« accès au plus grand nombre des œuvres artistiques légitimes et comme
FUMAROLI Marc, L’Etat culturel : une religion moderne, Ed. de Fallois, 1992, 410p.
FLEURY Laurent, Le TNP de Vilar, une expérience de la démocratisation de la culture, Presses
universitaires de Rennes, 2007, p. 97
7
8
11
une transmission des valeurs esthétiques telles qu’elles sont définies dans une certaine
histoire de l’art » .9
Néanmoins, cette théorie a été largement remise en cause, notamment par Pierre
Bourdieu et sa théorie de la distinction dès 197910, qui montre que selon les classes sociales,
nous n’avons pas les mêmes capacités à apprécier l’art. Face à cela, naît l’idée d’une
« démocratie culturelle », portée par Jack Lang à son arrivée au Ministère de la Culture en
1981, qui « s’est plutôt développée autour du travail des acteurs artistiques et culturels avec
des populations, autour de la prise de parole, la participation, l’engagement et le processus
créatif »11. La démocratie culturelle soutient l’idée d’une valorisation des cultures
populaires, et de l’expression individuelle. Comme nous le verrons dans ce mémoire, le
théâtre public français d’aujourd’hui se place en héritier des mouvements de décentralisation
théâtrale et de l’idée d’une démocratisation de la culture théâtrale. Cependant, j’ai choisi
d’utiliser l’expression de « médiation culturelle », car il m’a semblé, au travers de mon
expérience au Théâtre Gérard Philipe, qu’elle était aujourd’hui la plus appropriée pour parler
des relations avec les publics des théâtres. Comme l’écrit Jean Caune, la médiation culturelle
est une manière de « dépasser l’opposition duelle entre démocratisation et démocratie
culturelles »12.
La question du public
Dans les années 80-90, on assiste à une « publicisation » de la culture, c’est-à-dire à
une plus grande prise en compte du public, ou des publics, des établissements culturels13.
Les publics, donc, à cette époque, deviennent l’enjeu majeur des politiques culturelles.
Puisque l’objectif principal de ces politiques culturelles est de permettre l’accès de tous à la
culture, la perspective des actions de médiation est la transformation du « non-public »
9
CAUNE Jean, « Processus de politisation dans les cités » In Op.cit. LAFORTUNE Jean-Marie, La
médiation culturelle, le sens des mots et l’essence des pratiques, p.10
10
BOURDIEU Pierre, La distinction, Critique sociale du jugement, Ed. De Minuit, coll. Le sens commun,
1979, 672p.
11
Op.cit. CAUNE Jean, In Op.cit. LAFORTUNE Jean-Marie, La médiation culturelle : le sens des mots et
l’essence des pratiques, p.10
12
Ibid. p.11
13
BORDEAUX Marie-Christine, « La médiation culturelle, conditions d’émergence, enjeux politiques et
théoriques », Actes du colloque international sur la médiation culturelle, Montréal, déc. 2008
12
(terme inventé pendant la déclaration de Villeurbanne en mai-juin 196814) en un public
potentiel, puis en un public tout court. Au-delà du « non-public », l’enjeu des politiques
culturelles est de se rapprocher des publics dits « éloignés » ou « empêchés » de la culture.
Selon le Ministère de la Culture et de la Communication, ces populations sont éloignées pour
« des raisons économiques, sociales, géographiques » et peuvent être des « personnes
handicapées, hospitalisées, détenues en milieu carcéral, personnes en situation d’exclusion
sociale ou géographique »15. Ils sont des publics « spécifiques », que l’Etat, à travers sa
politique culturelle, se lance le défi d’ « ouvrir » à la culture.
Les façons de qualifier le public sont multiples. C’est pour cela que nous avons choisi
dans ce mémoire de parler de « publics » au pluriel. Adopter cette prise de recul sur les
différentes manières d’appréhender les publics est nécessaire pour débuter ce mémoire de
recherche, puisqu’elle permet de rendre compte des fondements de légitimation de la
médiation culturelle. Le fait de différencier les publics en fonction qu’ils soient
« empêchés », « éloignés » ou « spécifiques », implique de fait, une distinction entre les
publics « savants » et « à éduquer », et donc une hiérarchisation des cultures, légitimée et
encouragée par l’Etat.
II.
Articulation de la problématique et des hypothèses
Formulation du problème
Comme nous l’avons vu, la question de la médiation culturelle est un concept devenu
« moral », mais qui a progressivement été construit par les institutions politiques, et qui est
aujourd’hui bien spécifique au système culturel français. Même si l’intervention de l’Etat
dans le domaine culturel semble maintenant être légitimé (en 1992, 80% des français
jugeaient normal que l’Etat contribue au financement de la culture en général, et 68% au
financement du théâtre16), croire en la médiation culturelle comme le moyen le plus moral
de gestion de la culture au niveau national, n’est pas allé et ne va pas de soi.
14
MOULINIER Pierre, Histoire des politiques de « démocratisation culturelle », la démocratisation
culturelle dans tous ses états, Ministère de la Culture et de la Communication, 2011-2012, p.7
15
http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Developpementculturel/Actualite/Introduction
16
D’après un sondage de la SOFRES pour La Croix (7-9 octobre 1992), In Op.cit. POIRRIER Philippe,
p.205
13
D’autre part, puisqu’il apparaît très nettement que ce n’est qu’une certaine partie de
la population qui va au théâtre de son plein gré (le public du théâtre en 2008 est composé à
19% de cadres et de professions intellectuelles supérieures, contre 8% au sein de la
population française17), il convient de penser que les politiques de médiation culturelle
portées par le gouvernement depuis la moitié du 20ème siècle ne sont pas adaptées à leur
objectif fondateur, celui de rendre la culture accessible à tous.
En cela, croire aujourd’hui en la médiation culturelle comme un moyen de réaliser
les bienfaits de la culture sur les publics, et plus particulièrement ici du théâtre, ne va pas
non plus de soi. Devenir médiateur culturel dans une institution théâtrale publique, signifie
donc être persuadé que, malgré la faible représentation des classes populaires dans sa
fréquentation, le théâtre est une bonne chose pour elles. Le « besoin » des classes populaires
de découvrir « leur » théâtre, comme perçu par les médiateurs culturels, apparaît comme une
croyance partagée par une infime partie de la population. D’où la naissance de certaines
contradictions propres au théâtre public et en particulier aux centres dramatiques nationaux
de banlieue parisienne, comme le fait de vouloir concilier une exigence artistique élitiste
avec une volonté croissante de diversification socio-culturelle des publics.
Face à ces constats, nous nous efforcerons dans ce mémoire de recherche, de
déconstruire la croyance dans la médiation culturelle cultivée par les médiateurs culturels
eux-mêmes, en nous interrogeant sur la pertinence des actions de médiation mises en place
auprès des publics dits « empêchés ». Notre problématique est la suivante : d’où vient la
croyance des médiateurs culturels d’un centre dramatique national de banlieue parisienne
dans les bienfaits du théâtre sur les publics ? Comment est-elle mise en pratique sur le
terrain des actions de médiation ? Et cette croyance occulte-t-elle la prise en compte des
réalités du territoire sur lequel le théâtre est implanté ?
Revue de littérature
Pour esquisser les premières réponses et donner à ces constats plus de matière
empirique, nous nous sommes appuyés sur une revue de littérature historique et
sociologique. Afin de contextualiser et d’appréhender au mieux notre sujet, nous avons
BABE Laurent, Les publics du théâtre, Exploitation de la base d’enquête du DEPS, « Les pratiques
culturelles des français à l’ère du numérique – Année 2008 », Enquête de la Direction générale de la création
artistique du Ministère de la Culture et de la Communication
17
14
utilisé l’ouvrage de Philippe Poirrier, L’Etat et la Culture au 20ème siècle18, qui nous a permis
de retracer l’histoire des politiques culturelles et de replacer la médiation culturelle dans un
ensemble d’éléments socio-politiques. Pour aller plus loin et ainsi questionner l’importance
de l’intervention de l’Etat et sa légitimité à s’approprier les questions culturelles, c’est celui
de Philippe Urfalino, L’invention de la politique culturelle19, qui nous a intéressé et qui nous
a permis d’avancer sur l’idée d’étudier une « croyance ». L’ouvrage de Marc Fumaroli,
L’Etat culturel : une religion moderne20, a également été très important pour notre réflexion,
puisqu’il remet en question de manière très engagée la gestion étatique et politique de la
culture. Dans l’idée d’une croyance, en qualifiant la culture de « religion moderne », cet
ouvrage est une référence. Enfin, l’ouvrage dirigé par Jean-Claude Penchenat, Missions
d’artistes, Les centres dramatiques de 1946 à nos jours21, nous a permis de comprendre les
missions exactes et le rôle joué par les centres dramatiques nationaux dans l’évolution et
l’importance de la médiation culturelle.
D’autre part, afin d’étudier toutes les implications de la médiation culturelle, nous
nous sommes appuyés sur un l’article de Marie-Christine Bordeaux, La médiation culturelle
en France : conditions d’émergence, enjeux politiques et théoriques22, qui résume
parfaitement toutes les composantes de la médiation culturelle, en mettant en avant
l’ambiguïté du métier de médiateur. Les ouvrages de Jean Caune, La démocratisation
culturelle, une médiation à bout de souffle23, et celui de Jean-Marie Lafortune, La médiation
culturelle : le sens des mots et l’essence des pratiques24, ont également été des références
pour l’appréhension complète de notre sujet.
Enfin, notre mémoire de recherche, qui se veut être un mémoire de sociologie, a été
fortement inspiré par les théories de Pierre Bourdieu, notamment celle de La Distinction,
Critique sociale du jugement25, qui, en tant qu’ouvrage phare de la sociologie de la culture,
a servi de base à notre réflexion sur la différenciation entre les arts légitimes et illégitimes,
POIRRIER Philipe, L’Etat et la Culture en France au 20ème siècle, Ed. Le livre de poche, 2000
URFALINO Philipe, L’invention de la politique culturelle, La Documentation française, Paris, 1996
20
FUMAROLI Marc, Etat culturel : une religion moderne, Ed. de Fallois, 1992, 410 p., p.152
21
PENCHENAT Jean-Claude (sous la dir. de), Missions d’artistes, les Centres dramatiques de 1946 à nos
jours, Editions Théâtrales, 2006
22
BORDEAUX Marie-Christine, « La médiation culturelle, conditions d’émergence, enjeux politiques et
théoriques », Actes du colloque international sur la médiation culturelle, Montréal, déc. 2008
23
CAUNE Jean, La démocratisation culturelle, une médiation à bout de souffle, Grenoble, Presses
universitaires de Grenoble, coll. Arts et culture, 2006, 205 p.
24
LAFORTUNE Jean-Marie, La médiation culturelle, le sens des mots et l’essence des pratiques, Ed.
Presses Université du Québec, Col. Publics et Culture, 2012
25
BOURDIEU Pierre, La distinction, Critique sociale du jugement, Ed. De Minuit, coll. Le sens commun,
1979, 672p.
18
19
15
et qui nous a permis d’évoquer « l’élitisme » culturel. J’ai tâché d’entreprendre une enquête
à échelle « microsociologique », dans le sens où ce sont les acteurs, et les interactions entre
acteurs d’un même groupe social qui seront étudiés. Ainsi, afin d’étudier plus précisément
les motivations et le « travail de la vocation » des médiateurs culturels, nous nous sommes
beaucoup appuyé sur le livre de Vincent Dubois, La culture comme vocation26. Cet ouvrage,
ajouté à celui de Pierre Bourdieu et de Jean-Claude Passeron Les Héritiers : les étudiants et
la culture27, ont été de véritables supports de réflexion pour l’étude sociologique des
parcours de vie de nos enquêtés.
Hypothèses
Suite à ces diverses lectures, qui nous ont permis d’avancer dans notre réflexion et
d’entrevoir des premiers éléments de réponses, nous avançons les hypothèses suivantes :
-
Le fait de programmer un théâtre exigeant et de vouloir concourir à la
diversification socio-culturelle de son public, rend « nécessaire » la médiation
culturelle, également motivée par la croyance dans les bienfaits du théâtre sur
autrui
-
Le fait de croire dans les bienfaits du théâtre sur les publics, par l’exercice de la
médiation culturelle, repose sur des valeurs subjectives, déterminées par
l’ « habitus » des professionnels de la culture
-
Les médiateurs culturels viennent d’un milieu social dont le capital culturel est
élevé. Leurs familles les ont habitués à aller voir des spectacles, ils ont tous
pratiqué une activité artistique. Ainsi ils ont développé dès l’enfance une
« capacité de juger »28
DUBOIS Vincent, La culture comme vocation, Ed. Raisons d’agir, Coll. « Cours & Travaux », 2013
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, Les héritiers : les étudiants et la culture, Editions de
Minuit, Coll. Sens Commun, 1964
28
BOURDIEU Pierre et DARBEL Alain, L’amour de l’art. Les musées d’arts européens et leur public.
Paris : Éditions de Minuit, 1966, 192 p.
26
27
16
-
Les médiateurs culturels sont motivés aussi bien par leur amour pour l’art
exigeant, dont ils participent à la construction d’un discours élitiste, que par leur
volonté politique de « faire le bien » et de « se sentir utile »
-
En construisant leurs actions de médiation, les médiateurs culturels procèdent à
une classification des populations et donc à une hiérarchisation des cultures. De
plus, l’artiste et son projet artistique sont mis au cœur des actions de médiation,
ce qui renforce la « distance sociale » entre professionnels de la culture et
participants
-
Même si l’artiste et l’œuvre d’art sont le plus souvent mis en avant dans les
actions de médiation, les objectifs de ces actions se confondent parfois avec les
objectifs d’animateurs socio-culturels et de travailleurs sociaux, et tendent vers
de la « démocratie culturelle »
III.
Méthodologie : comment étudier une croyance ?
Identification du terrain de recherche
Le Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis, a constitué
mon terrain de recherche pour ce mémoire. Construit en 1902 par les ateliers de Gustave
Eiffel pour devenir la salle des fêtes municipale, il accueille combats de boxes,
représentations lyriques ou dramatiques, remises de prix… Dans les années 50, le TNP de
Jean Vilar est accueilli au Théâtre Gérard Philipe, qui est encore municipal, mais
l’expérience s’arrêtera sur deux spectacles L’Avare et La mort de Danton, qui n’attireront
que très peu de spectateurs. C’est en 1960 que le Théâtre Gérard Philipe adopte le nom du
comédien décédé l’année précédente, et ce n’est qu’en 1983, que le TGP devient Centre
Dramatique National. Le Théâtre Gérard Philipe a vu se succéder nombre de personnalités
différentes à sa tête : René Gonzalez, Daniel Mesguich, Stanislas Nordey, Christophe
Rauck… Le directeur actuel, Jean Bellorini, metteur en scène de 35 ans, en a pris la direction
début janvier 2014. Au vu de sa localisation, en plein centre-ville de Saint-Denis, ce théâtre
a été témoin et acteur des grands mouvements de décentralisation théâtrale, et également de
démocratisation. Nous pouvons citer par exemple l’expérimentation de Stanislas Nordey,
qui porté par l’ambition d’un « théâtre citoyen », a voulu faire du TGP « un lieu de résistance
17
pour la démocratie »29. Il parie alors sur une ouverture du théâtre toute l’année, un tarif
unique à 50F, la production et l’accueil de jeunes compagnies et de nouveaux auteurs.
Néanmoins, malgré de fortes ambitions politiques et une importante ouverture du théâtre sur
son territoire, il laisse le TGP dans une situation financière assez catastrophique30.
Puisque mon sujet porte sur la croyance dans la médiation culturelle par les
médiateurs culturels eux-mêmes, mon étude n’a porté que sur le service « relations avec les
publics » du Théâtre Gérard Philipe, au sein duquel j’effectuais mon stage. Ils sont trois
permanents dans ce service, qui, pour des raisons de confidentialité, se feront appeler F., D.
et L.
Mon terrain de recherche se porte également sur une action de médiation, celle de la
résidence d’un chorégraphe dans le quartier du Franc-Moisin de Saint-Denis, créée et
imaginée par le TGP. Le projet s’appelle Ses Majestés, et je l’ai choisi pour mon mémoire
parce que j’ai travaillé à sa coordination et à sa gestion tout au long de mon stage, mais aussi
parce qu’il recouvre beaucoup de critères propres à la définition d’une « bonne » action de
médiation : il fait appel à un artiste habitué à travailler avec des publics « spécifiques », il
s’implante dans un quartier aux fortes difficultés socio-économiques et culturelles, il
provoque un « mélange » entre des populations diverses (femmes immigrées, enfants d’un
centre de loisirs, personnes âgées,…) et son objectif final est de créer un spectacle qui sera
présenté dans des conditions professionnelles, après deux ans d’ateliers, dans la grande salle
du TGP. Puisque ce projet est très conséquent, qu’il regroupe beaucoup de partenaires et de
participants, je me suis focalisée sur un groupe seulement : celui des femmes du FrancMoisin, dont l’association partenaire s’appelle Femmes du Franc-Moisin, dirigée par A. Ce
groupe de femmes est emblématique de Ses Majestés, pour leurs origines étrangères, pour
leurs cultures et religions différentes, pour leur rapport très éloigné à la pratique artistique et
à la culture légitime française de manière générale.
Il convient néanmoins d’évoquer les limites de ce terrain de recherche.
Premièrement, il n’est pas suffisamment large pour avoir une vision exhaustive de mon sujet
de mémoire. En effet, il faudrait pouvoir comparer les services de médiation de plusieurs
centres dramatiques nationaux, en fonction qu’ils soient en banlieue parisienne ou bien en
région, car chaque théâtre est influencé dans son fonctionnement par son histoire, par son
Projet artistique Pour un théâtre citoyen… de Stanislas Nordey pour le Théâtre Gérard Philipe, 1998.
CIRET Yann et LAROZE Franck, Passions civiles, Entretiens avec Stanislas Nordey et Valérie Lang,
Editions La passe du vent, 2001
29
30
18
directeur, et par les partenariats qu’il a créés sur le territoire. Deuxièmement, il aurait été
intéressant de s’entretenir avec les dirigeants du Théâtre Gérard Philipe, afin de comparer
leur vision de la médiation culturelle avec celle des médiateurs. Enfin, par manque de temps,
je n’ai pas pu entretenir les participants au projet Ses Majestés, ce qu’il aurait fallu faire pour
aller plus loin dans l’étude de mon sujet et ainsi appréhender la vision des publics ciblés par
les actions de médiation.
Méthodologie d’enquête
Pour écrire ce mémoire de recherche en sociologie, j’ai tâché de réaliser une
recherche qualitative. En ce sens, j’ai effectué 5 entretiens d’une heure environ : un entretien
avec chacun des trois médiateurs du Théâtre Gérard Philipe (F., D., et L.), un entretien avec
la directrice de l’association Femmes du Franc-Moisin (A.), et un entretien avec l’animatrice
de cette association (G.). Grâce à mon stage de six mois au sein du service de médiation du
Théâtre Gérard Philipe, j’ai également nourri mon mémoire de mes propres observations, en
tenant un journal de terrain, sur lequel j’annotais de manière hebdomadaire, mes
observations, mes ressentis et mes analyses de ce qui avait attiré mon attention. Des extraits
de ce journal apparaîtront dans le développement de ce mémoire.
Par ailleurs, en tant que future médiatrice culturelle, j’ai également observé mes
propres attitudes, comportements et façons de penser desquelles j’ai rendu compte dans mon
journal de terrain, afin d’alimenter mes recherches dans une approche participative et
inclusive. Pour cela, j’ai tenté d’avoir une posture la plus réflexive possible sur mon propre
parcours de vie, qu’il convient d’esquisser succinctement ici pour plus de neutralité : j’ai
grandi dans un environnement très stable, un père cadre et une mère agent de maîtrise dans
le privé, dans un village à 10km de Rennes. Les capitaux économique, social et culturel de
ma famille sont relativement très élevés, et même si aucun des membres de ma famille ne
travaillent ni ne s’intéressent vraiment au théâtre et à la culture de manière générale, je pense
quand même avoir été influencée par eux, notamment par le fait qu’ils m’aient encouragée
à faire très tôt de la musique et à pratiquer le théâtre. Cet environnement m’a également
permis de rentrer dans une grande école (Sciences Po Toulouse) tout en continuant à cultiver
ma passion pour le théâtre. Il me semble aussi opportun de préciser que ma famille est très
sensible aux causes relevant du « social » et vote à gauche ; j’ai donc été très tôt
revendicative du système capitaliste. Sans avoir d’étiquette politique ni m’engager dans des
mouvements institutionnels, je milite pour des causes humanistes et féministes.
19
Dans le déroulé de mes entretiens et dans l’étude de ces derniers, j’ai adopté une
démarche compréhensive : j’ai en effet mis l’accent sur les pratiques et les représentations
de mes enquêtés, en me questionnant non seulement sur ce qu’ils disent et sur ce qu’ils font
mais également sur les raisons qui les poussent à dire et à faire ce qu’ils font. J’ai donc tenté
de me baser uniquement sur leurs réponses et leurs explications comme seules justifications
de mes arguments. Il convient néanmoins de replacer ces entretiens dans leur contexte pour
prendre du recul sur ce qui m’a été confié. Tout d’abord, il est important de rappeler que les
trois médiateurs du TGP ont été mes collègues de travail pendant six mois lors de mon stage
de fin d’études. L’un deux a également été mon directeur de stage. Les deux autres enquêtées
ont aussi été des collègues, puisque nous avons beaucoup travaillé ensemble pour la tenue
et la coordination du projet Ses Majestés. Puisque j’avais déjà discuté avec chacun d’ entre
eux, et de plein de choses différentes, les échanges et le langage utilisé pendant mes
entretiens a été quelque peu informel. Il semblait parfois que ni les personnes enquêtées, ni
moi, ne devions nous expliquer, comme si, de surcroît, nous savions que nous allions être
d’accord. Si j’étais relativement à l’aise pendant les entretiens, j’ai essayé au maximum de
ne pas tenir rigueur de notre proximité pendant toute l’analyse de ces derniers, en adoptant
une posture que je voulais la plus neutre possible. Cependant, j’étais également très
angoissée à l’idée d’interviewer mes collègues, justement de manière plus formelle, avec des
questions préparées à l’avance. J’avais peur de les déranger, de leur poser des questions
qu’ils allaient trouver stupides, de ne pas aller dans leur sens parfois, et donc de les
« décevoir ». Je reconnais avoir attendu le dernier moment pour les effectuer, pour toutes les
raisons qui précèdent. Ainsi, deux des entretiens, celui avec L. et celui avec F., ont été
effectués au téléphone, alors qu’on ne travaillait déjà plus ensemble. Celui avec D., s’est
déroulé dans son bureau, un jour où nous n’étions que toutes les deux dans l’open-space du
service médiation. Ceux avec A. et G. ont été plus confortables pour moi, car elles n’étaient
pas mes collègues directes. Je les ai rencontrées dans le local où elles travaillent, dans le
quartier du Franc-Moisin à Saint-Denis.
Pour rendre compte au mieux du développement de notre réflexion quant à la
problématique, nous tâcherons dans un premier temps de contextualiser l’histoire du théâtre
rendu service public, tout en mettant l’accent sur l’importance du rôle des centres
dramatiques nationaux. Dans cette même première partie, nous esquisserons les contours de
la médiation culturelle pour comprendre ce qu’elle représente aujourd’hui, ce qu’implique
20
être médiateur culturel dans un théâtre public, et ainsi voir se dessiner l’émergence d’une
croyance. Dans un second temps, nous nous attacherons à rendre compte des représentations
données à la médiation culturelle au Théâtre Gérard Philipe d’abord, puis, au travers d’une
étude de la façon dont les médiateurs culturels parlent de leur métier et l’appréhendent. La
troisième partie sera focalisée sur les parcours de vie des médiateurs culturels du TGP, en
étudiant d’un côté leurs origines sociales, et d’un autre, les fondements de leur vocation pour
leur fonction de médiateur. Enfin, dans une quatrième partie, nous mettrons en perspective
le discours sur la médiation donné par les médiateurs culturels, avec la pratique sur le terrain
de l’action de médiation Ses Majestés, en étudiant tout d’abord le profil des médiatricesrelais de l’association Femmes du Franc-Moisin, puis regardant au plus près des actions, le
lien entre médiateurs, artistes et publics. Nous ferons ensuite état des discours-bilans de ces
actions pour comparer les effets de ces dernières identifiés par les médiateurs du TGP et les
médiatrices-relais sur le terrain.
21
PARTIE 1 : Quelle(s) médiation(s) culturelle(s) ? Eléments de contexte
et de définition
Afin d’étudier le discours sur la médiation culturelle dans un centre dramatique national,
il convient dans un premier temps de revenir sur le contexte de naissance du théâtre comme
service public. La volonté de Jeanne Laurent, sous-directrice du théâtre et de la musique au
Ministère de l’Education Nationale, de créer dans les années 50 un « vaste théâtre ouvert à
tous et accessible au plus large public » 31, enclenche le renversement du rapport artistepublic dans une plus grande prise en compte de la réception. Par ailleurs, nous nous
intéresserons plus particulièrement aux Centres dramatiques nationaux qui ont une place
fondamentale dans la décentralisation et la démocratisation théâtrale d’aujourd’hui. Puis,
dans une deuxième partie, nous tenterons de donner des éléments de définition de ce qu’est
aujourd’hui la médiation culturelle, en sachant qu’elle est apparue en tant que domaine
professionnel indépendant en réponse au désenchantement des fondements de la politique
culturelle française, visant à rendre les œuvres de qualité accessibles à tous.
I.
Le « théâtre service public », éléments de contexte
« J’affirme que le Théâtre National Populaire est un service public, tout
comme l’eau, le gaz et l’électricité (…) Nous allons réunir dans les
travées de la Communion Dramatique, le petit boutiquier de Suresnes et
le Haut Magistrat, l’ouvrier de Puteaux, l’agent de change, le facteur des
pauvres, le professeur agrégé. »
Jean VILAR, « Le TNP, service public » [1953], Le théâtre, service
public, Gallimard, 1986, p. 173
A. Historique du théâtre comme service public
Les mouvements de décentralisation théâtrale
La double ambition décentralisation/démocratisation de la culture est déjà très
présente dans les esprits après la Libération, et se verra inscrite dans le préambule de la
31
ABICHARED Robert, La décentralisation théâtrale, 1. Le premier âge (1945-1958), Actes Sud Papier
Cahiers théâtre éducation, 1992, 176 p.
22
Constitution du 27 octobre 1946, établissant la 4ème République, avec la garantie de « l’égal
accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la
culture »32. C’est dans ce contexte de prise en charge progressive des missions éducatives
par l’Etat, que naît le mouvement de la décentralisation théâtrale de la Quatrième République
(une autre tentative de décentralisation théâtrale avait débuté sous le régime de Vichy avec
le mouvement Jeune France33), initié par Jeanne Laurent, sous-directrice des spectacles et
de la musique au Ministère de l’Education Nationale. Elle lance en mai 1946 un concours
mettant en lumière le talent de jeunes compagnies de province et permet, grâce à un
partenariat fortifié avec les collectivités locales, d’opérer un rééquilibrage de la diffusion
théâtrale entre Paris et la province. Cette première politique de décentralisation permettra
notamment de refuser le théâtre-marchandise, et d’ouvrir cet art à ses contemporains.
Ce mouvement décentralisateur s’incarnera notamment dans la nomination de Jean
Vilar par Jeanne Laurent à la tête du Théâtre National Populaire, localisé au Palais de
Chaillot au Trocadéro à Paris. Si le rapport entre Paris et la province n’était pas une priorité
pour Jean Vilar, il œuvrait pour un théâtre accessible à tous, menant une reconquête des
publics populaires en s’appuyant notamment sur de nombreux relais militants (comités
d’entreprise, associations…). Avec le TNP, Jean Vilar opère une médiation entre le texte et
le public qui se révèle être une vraie réussite, en mélangeant culture populaire et culture
classique. Le comédien Gérard Philipe, qui s’est autant illustré dans le cinéma populaire que
sur la scène aux côtés de Jean Vilar, incarne bien cette ambition.
C’est donc Jean Vilar, créateur de la Roulotte en 1941, troupe de théâtre itinérante
soutenue par la section théâtrale de l’association Jeune France dont il deviendra le directeur,
qui prônera le premier l’idée du théâtre comme service public, œuvrant pour la « rééducation
du public »34. Le théâtre devient une institution morale et le public, destinataire d’un service.
Et le service public devient alors, après la seconde guerre mondiale et la nomination de Jean
Vilar au TNP, un référentiel et un modèle d’action publique35. Malgré un cahier des charges
écrasant par le Secrétariat des Arts et des Lettres, ainsi qu’un étroit contrôle administratif
(qui lui vaudra d’être accusé de détournement de fonds), Jean Vilar voit ce nouvel état
d’esprit du service public, comme une obligation d’ordre moral. D’après Laurent Fleury, ce
POIRRIER Philippe, L’Etat et la Culture en France au 20ème siècle, Le livre de poche, 2000, p. 54
GOETSCHEL Pascale, « Le premier âge de la décentralisation théâtrale (1945-1958) », Vingtième siècle,
revue d’histoire, 1992, vol. 32 n°1, p 94-95
34
FLEURY Laurent, Le TNP de Vilar, une expérience de la démocratisation de la culture, Presses
universitaires de Rennes, 2007, p. 95
35
Ibid. p. 97
32
33
23
sens du civisme qu’avait Jean Vilar, état dû à son éducation familiale d’une part (parents
commerçants, très républicains et libéraux), à sa socialisation parisienne d’autre part et à ses
premières responsabilités à la tête de Jeune France36. Néanmoins, au vu du contexte de
division de la société et de lutte des classes, le théâtre se revendiquera vite comme un moyen
d’émancipation sociale et politique, qui ne correspondra plus avec la vision du théâtre
défendue par Jean Vilar. Il quitte le TNP en 1963.
A sa mort, en 1971, c’est une ère nouvelle de la démocratisation théâtrale qui voit le
jour. Roger Planchon reprend le TNP à Villeurbanne, puis Patrice Chéreau, Ariane
Mnouchkine crée le Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, on fait naître le
Syndéac et le Jeune Théâtre National. C’est la « génération des jeunes loups », des metteurs
en scène contemporains, qui contesteront plus les occupants du théâtre que les institutions.
Ils ne souhaitent pas aller vers le public, mais faire en sorte que ce public vienne vers eux37.
Dans les années 90, Jack Lang alors ministre de la culture, augmente les subventions
étatiques allouées aux collectivités territoriales : la dépendance aux politiques locales de la
part des institutions culturelles est renforcée et implante la territorialisation des politiques
culturelles en France.
La démocratisation culturelle VS la démocratie culturelle
Il me semblait important de revenir sur ces deux notions dans mon mémoire de
recherche, étant donné le fait que la médiation culturelle d’aujourd’hui est un mélange de
ces deux grands concepts.
« Le ministère chargé des affaires culturelles a pour mission
de rendre accessibles les œuvres capitales de l'humanité, et
d'abord de la France, au plus grand nombre possible de
français ; d'assurer la plus vaste audience à notre patrimoine
culturel et de favoriser la création des œuvres d'art et de
l'esprit qui l'enrichissent.»
Décret du 24 juillet 1959 stipulant les missions attribuées au
nouveau ministère
36
FLEURY Laurent, Le TNP de Vilar, une expérience de la démocratisation de la culture, Presses
universitaires de Rennes, 2007, p. 107
37
PENCHENAT Jean-Claude, Missions d’artistes, les Centres dramatiques de 1946 à nos jours, Editions
Théâtrales, 2006, p. 18
24
C’est en 1959 avec la création du Ministère des Affaires Culturelles et à sa tête André
Malraux, intellectuel proche du Président de Gaulle, que la décentralisation théâtrale est
relancée. André Malraux entraîne une rupture idéologique entre l’éducation et le monde de
l’art, en refusant toute pédagogie et toute connaissance artistique de l’art, au profit de
l’ « amour » de l’art. Il prône au contraire une nouvelle philosophie d’action culturelle,
qualifiée par Philipe Urfalino d’« Etat esthétique »38, qui passe par la présence directe de
l’art auprès du public. Pour lui, l’art, dans sa rencontre directe avec le public, a la vertu de
créer des « chocs esthétiques », permettant le rassemblement et la réunion.
Pour formaliser sa doctrine, André Malraux mettra en place dès 1961 les Maisons de
la Culture, lieux de l’excellence artistique, et signera alors le divorce avec les associations
d’éducation populaire. Les maisons de la culture seront au nombre de sept à la fin des années
70 et le nouveau ministère permettra également le subventionnement de nombreuses troupes
permanentes ainsi que la création de théâtres en banlieue parisienne. Mais pour Philippe
Urfalino39, les maisons de la culture prouvent l’échec de la politique de démocratisation
culturelle initiée par le gouvernement. Elles ont en effet été créées comme des
« cathédrales », et sont dirigées par des artistes, hommes de théâtre, libres de la tutelle des
élus.
Les événements de mai 68 toucheront de plein fouet la décentralisation théâtrale et
la vision de la démocratisation par André Malraux. Les structures culturelles financées par
l’Etat seront qualifiées par les manifestants de représentantes d’une culture d’Etat élitiste.
La même année, vingt-trois directeurs de théâtre et de maisons de la culture se réuniront
autour de Roger Planchon alors directeur du Théâtre de la Cité de Villeurbanne, pour un
comité autour de l’échec de la démocratisation culturelle. Cette réunion devient une plateforme revendicative afin de rédiger la déclaration de Villeurbanne, sur la création et l’action
culturelle40. Ils feront la demande d’une décentralisation plus forte et mieux organisée, d’un
accroissement du budget consacré à la culture et d’une inclusion des enfants dans une
réflexion globale sur la culture. « Ce que nous étions quelques-uns à entrevoir, et sans trop
vouloir nous y attarder, est devenu pour tous une évidence : le viol de l’événement a mis fin
aux incertitudes de nos fragiles réflexions. Nous le savons désormais, et nul ne peut
l’ignorer : la coupure culturelle est profonde, elle recouvre à la fois une coupure économico-
URFALINO Philipe, L’invention de la politique culturelle, La Documentation française, Paris, 1996
Ibid.
40
Op.cit. PENCHENAT Jean-Claude, p. 20
38
39
25
sociale et une coupure entre générations. Et dans les deux cas, c’est – au plan qui nous
concerne – notre attitude même à l’égard de la culture qui se trouve mise en question de la
façon la plus radicale. Quelle que soit la pureté de nos intentions, cette attitude apparaît en
effet à une quantité considérable de nos concitoyens comme une option faite par des
privilégiés, en faveur d’une culture héréditaire, particulariste, c’est-à-dire tout simplement
bourgeoise. » (Extrait de la déclaration de Villeurbanne du 25 mai 1968)
Face à la conception de Malraux de la démocratisation culturelle, vient s’opposer
celle de la démocratie culturelle de Jack Lang. A son arrivée au ministère de la Culture en
1981, Jack Lang redessine les missions du ministère autour du libre épanouissement
individuel dans le respect des cultures de chacun, et veut pouvoir « permettre à tous les
français de cultiver leur capacité d’inventer et de créer, d’examiner librement leurs talents et
de recevoir la formation artistique de leur choix » (décret du 10 mai 1982 définissant les
nouvelles missions du ministère). Cette nouvelle philosophie a permis la reconnaissance de
pratiques culturelles qui avaient été jugées mineures (la bande dessinée, le rock, le tag…),
tout en s’indexant sur les lois du marché de la consommation culturelle. Si certains, comme
Jean Caune, ont qualifié cette politique de « sens perdu » de l’action culturelle41, d’autres au
contraire comme Philippe Urfalino, ont vanté son « vitalisme culturel »42.
L’organisation du théâtre français d’aujourd’hui
Fort des mouvements de décentralisation et de démocratisation théâtrale qui ont
jalonné le 20ème siècle, le théâtre français d’aujourd’hui se divise en plusieurs ensembles :
-
Les trois réseaux institutionnels :
> Les Théâtres nationaux : il en existe 5 en France (4 à Paris et 1 à Strasbourg). Ils sont
entièrement financés par l’Etat et sont dirigés par des artistes. Ils ont chacun leurs propres
missions, adaptées à leur spécificité (pour la Comédie Française par exemple, sa mission est
de faire rayonner le répertoire classique français, au niveau national et international).
> Les Centres dramatiques : il en existe 39 aujourd’hui, qui sont répartis sur l’ensemble du
territoire français. Ils représentent, avec les scènes nationales, l’héritage des mouvements de
41
42
CAUNE Jean, La culture en action, De Vilar à Lang : le sens perdu, Grenoble, PUG, 1999
Op. cit. URFALINO Philippe
26
décentralisation théâtrale. Ils sont dirigés par un artiste, dans un contrat qui le lie avec l’Etat,
et sont financés par l’Etat, la ville, et le département. Ils sont organisés en sociétés privées
dont le PDG est le directeur.
> Les Scènes nationales : elles forment un réseau de 69 théâtres en France et sont des
établissements pluridisciplinaires généralement de coproduction artistique. Elles sont les
héritières directes des maisons de la culture créées en 1961 et sont financées majoritairement
par les collectivités territoriales, et par l’Etat.
- Les théâtres municipaux : ils appartiennent aux villes dans lesquelles ils sont
implantés et ont parfois un statut de centres culturels communaux. Ils peuvent bénéficier de
financements du Ministère de la Culture, au titre de « scène conventionnée ».
- Les scènes conventionnées : elles sont généralement des associations loi 1901 et
sont conventionnées par l’Etat pour assurer un projet artistique en particulier (ex : scène
conventionnée cirque).
- Les compagnies indépendantes : près de 1200 compagnies aujourd’hui qui se sont
déclarées professionnelles et qui sont organisées en associations loi 1901 ou en sociétés. Au
contraire de la troupe, la compagnie ne représente souvent que le cadre légal où s’exerce
l’activité d’un metteur en scène, une structure de production, une équipe d’artistes et de
techniciens pour réaliser un projet artistique commun. Elles peuvent solliciter des
financements de la part de tous les partenaires publics.
-
Les théâtres privés : ils sont 50 en France, dont 48 à Paris, 1 à Lyon et 1 à
Bordeaux. Même s’ils ne touchent pas de subventions directes, ils bénéficient d’aides
financières publiques par le biais d’un fonds de soutien pour l’Association de soutien au
théâtre privé, alimenté par la Ville, le Ministère et une taxe sur les spectacles.
Les théâtres publics français sont soumis à la charte des missions de service public
pour le spectacle, établie en 1998, par Catherine Trautmann, ministre de la Culture de 1997
à 2001. Elle définit « les principes généraux de l’action de l’Etat en faveur du spectacle
vivant » 43, et renforce leurs responsabilités artistique, professionnelle, territoriale et sociale,
par la démocratisation des tarifs et la sensibilisation de publics défavorisés, qui deviennent
des objectifs prioritaires.
43
Charte des missions de service public pour le spectacle, Ministère de la Culture et de la Communication,
1998
27
B. Les centres dramatiques nationaux
Pour leur importance primordiale dans la décentralisation et dans la démocratisation
théâtrale, nous ne nous intéresserons dans ce mémoire de recherche qu’aux centres
dramatiques nationaux et plus particulièrement au Théâtre Gérard Philipe, Centre
dramatique national de Saint-Denis, puisqu’il est mon terrain de recherche.
Le contrat de décentralisation dramatique
Les Centres dramatiques nationaux sont dirigés par des artistes directement
concernés par l’art dramatique (ce sont presque toujours des metteurs en scène). Il leur est
confié une mission d’intérêt public de création dramatique, dans le cadre d’une politique
nationale de développement de l’art du théâtre. Le directeur est nommé par le Ministère de
la Culture et de la Communication, en concertation avec les collectivités locales du territoire
d’implantation du CDN pour un premier mandat de 4 ans renouvelable deux fois pour 3 ans.
Le « contrat de décentralisation dramatique » définit les CDN depuis 1972.
Les missions, le fonctionnement et le mode de désignation des directeurs des CDN
ont sans cesse évolué depuis les origines de la décentralisation dramatique mais sont
aujourd’hui strictement encadrés par le décret et l’arrêté du 2 octobre 1972 et l’arrêté du 25
février 1995 dit « contrat de décentralisation dramatique ». Ce contrat est passé entre le
directeur d’un CDN et le Ministère de la Culture. A la différence des CDN, les centres
dramatiques régionaux (il en existe cinq en France) sont régis par un contrat tripartite liant
le CDN (et non son directeur), l’Etat et la ville, à parts égales44. Dès 1972, les grands axes
majeurs que doivent suivre les CDN sont arrêtés, ils concernant la création, la diffusion,
l’exigence artistique, l’ancrage territorial et le développement des publics
Les centres dramatiques nationaux ont une mission de « création théâtrale
dramatique d’intérêt public » qui s’exerce sur une « zone définie par le contrat de
décentralisation » cosigné par le directeur qui doit : « faire de son centre un lieu de référence
nationale et régionale pour la création et l’exploitation des spectacles créés par son équipe »,
« s’efforcer de diffuser des œuvres théâtrales de haut niveau », « rechercher l’audience d’un
44
Op.cit. PENCHENAT Jean-Claude
28
vaste public et la conquête de nouveaux spectateurs », tout en prêtant « une attention
particulière à la sauvegarde des métiers spécifiques du théâtre » et en accordant « une priorité
à la formation et à l’initiation au théâtre en menant des actions conjointes avec les
établissements scolaires et les universités de sa zone d’activité »45.
Les missions : entre création et démocratisation
« Les centres dramatiques nationaux doivent offrir un théâtre d’art qui
travaille par les formes esthétiques la lecture du monde. Dans leurs
créations, et dans celles des artistes qu’ils ont choisis, ils aiguisent le
sens critique, ouvrent des espaces de liberté mentale, dans le suivi d’un
public, dans l’implantation sur un territoire. L’implantation régionale
n’est pas juste figure imposée de l’aménagement territoire, mais la
nécessité de la création théâtrale en relation avec un public devient partie
prenante de la création. »
Jean-Claude Penchenat (sous la direction de), Missions d’artistes, les CDN de
1946 à nos jours, Editions Théâtrales, 2006
La première responsabilité artistique d’un Centre dramatique national concerne la
production : les CDN s’inscrivent dans une logique de création et de production, ainsi que
de coproduction, avec d’autres structures artistiques aux plans régional, national et
international. Lorsqu’il est nommé, le directeur réunit autour de lui une équipe artistique
attachée à son projet (comédiens, metteurs en scène, auteurs, scénographes). Il s’engage
donc à associer dans la durée des metteurs en scène, à qui il sera confié la réalisation de
productions. Un CDN a également une responsabilité de diffusion des œuvres qu’il a
contribué à créer.
Un centre dramatique national a également pour mission celle assez subjective de
l’exigence artistique. Au-delà du fait que le directeur doit veiller à l’équilibre entre textes du
répertoire et œuvres d’auteurs vivants, il est également soumis à des critères de « qualité »
artistique. En effet, à la fin d’un contrat de décentralisation dramatique, les inspecteurs
généraux du théâtre utilisent une grille d’évaluation pour estimer les bilans d’activité.
L’évaluation de la qualité des spectacles créés par le directeur porte sur l’interprétation
(maîtrise technique, sensibilité, apports du jeu dans la compréhension du texte…), sur la
mise en scène (construction d’un jeu collectif au service de la cohérence du spectacle, parti
45
Décret n°72-904 du 2 octobre 1972 relatif aux contrats de décentralisation, article 1er, dit « contrat de
décentralisation dramatique »
29
pris dramaturgique dans la lecture scénique du texte, style adopté…) et sur le choix du
répertoire (choix des textes créés et l’organisation d’un contexte intellectuel qui justifie la
pertinence de ces choix).46
Un centre dramatique national détient également des responsabilités territoriales. Il
se doit premièrement, de développer toute forme d’action artistique permettant une
sensibilisation de la population, d’expérimenter des voies et formats nouveaux, qui
renforcent les liens entre les œuvres et les publics, notamment en faveur des publics
prioritaires (spécifiques, empêchés…). C’est ce qui justifie la présence d’un service des
relations avec le public au sein d’un théâtre. A Saint-Denis, le travail auprès des publics
spécifiques, empêchés, s’oriente principalement autour de projets mis en place dans les
quartiers éloignés du centre-ville. Il concerne également ce que l’on appelle communément
le « champ social », dont font partie des associations relais telles que Les restos du cœur,
Les petits frères des pauvres…
Enfin, un centre dramatique national doit développer une politique d’éducation
artistique avec les établissements d’éducation et les acteurs artistiques et culturels locaux.
Le but de l’éducation artistique est de permettre l’expression artistique des publics visés.
Pour cela, le Théâtre Gérard Philipe par exemple, emploie un grand nombre d’artistes pour
animer des séances de théâtre voire de danse directement dans les classes (le plus souvent
dans le cadre des options théâtre facultative et obligatoire).
Contradictions liées au statut de CDN
« Les centres dramatiques de la périphérie de Paris sont soumis aux mêmes
missions qui sont exacerbées par le décalage Paris/banlieue. On exige
d’eux des chiffres balancés entre le public parisien et le public local qui
reste sans cesse à conquérir, alors que les barrières sociales se durcissent.
Le théâtre public comme l’école ne peut pas résoudre les crises et les
ségrégations sociales et politiques. Le ‘ce n’est pas pour nous’ frappe de
plein fouet en banlieue où le centre dramatique peut être vu comme un îlot
missionnaire. La population est plus souvent concernée par l’action
culturelle que par la fréquentation. La banlieue fait apparaître le fait que le
théâtre ne peut pas être un art de masse. »
Jean-Claude Penchenat (sous la direction de), Missions d’artistes, les CDN
de 1946 à nos jours, Editions Théâtrales, 2006
46
Op.cit. PENCHENAT Jean-Claude
30
Au cours des saisons 2012-2013 et 2013-2014, une enquête sociologique sur les
publics ayant fréquenté le Théâtre Gérard Philipe a été effectuée conjointement par le théâtre
et la sociologue de la ville de Saint-Denis, Christine Bellavoine. Le rapport de l’enquête47
montre que les spectateurs fréquentant le théâtre habitent pour 37,2% d’entre eux à Paris,
24,8% à Saint-Denis et 4% à Plaine Commune (de ce fait, environ 29% habitent le territoire
dans lequel est implanté le théâtre), enfin 33% disent venir d’ailleurs en France. Il convient
ici de relativiser le statut de public « de proximité », car certains quartiers de Saint-Denis
sont habités par des personnes aux capitaux économique, social et culturel élevés . En effet,
le public que l’on appelle « de proximité » du TGP se compose majoritairement de personnes
plus âgées que la moyenne des habitants de Saint-Denis, aux capitaux cités précédemment
plus élevés.
La première contradiction observée est donc celle de vouloir d’un côté prôner
l’exigence artistique dans sa programmation tout en souhaitant aussi la démocratiser et
diversifier ses publics. Tous les centres dramatiques nationaux de banlieue parisienne
s’imposent la recherche de cet équilibre. Il faut d’un côté favoriser la création
contemporaine, programmer des spectacles qui plaisent à toute l’équipe, participer à la
découverte d’artistes émergents, et d’un autre, attirer de nouveaux publics, faire venir des
personnes qui n’iraient pas d’elles-mêmes au théâtre, et des personnes habitant le territoire
plutôt que Paris. La contradiction repose sur le fait que le théâtre programmé dans un CDN
est souvent un théâtre assez difficile d’accès, aux codes esthétiques exigeants.
L’autre contradiction observée est celle de la prospection des publics d’un côté, dans
le but d’augmenter le nombre d’entrées et le nombre de places achetées, et d’un autre, la
démocratisation des publics, aller chercher des publics aux profils socio-culturels divers,
habitant le territoire. Il y a donc une recherche de profit, liée à la nature des financements,
qui nécessite l’élaboration de stratégies de prospection, mêlée à une mission du théâtre
comme service public, qui se doit d’être ouvert et accessible à tous.
Enquêtes réalisées par le TGP et la ville de Saint-Denis, à partir de chiffres de l’INSEE. Elles ont concerné
deux saisons et 8 spectacles différents. 1200 personnes ont été enquêtées, (837 la première année et 363 la
seconde).
47
31
II.
La médiation culturelle aujourd’hui
La médiation culturelle est censée être un outil à disposition des établissements culturels,
pour satisfaire l’objectif fondateur des politiques culturelles de l’Etat français, d’accessibilité
de tous à la culture. Néanmoins, comme nous l’avons déjà vu, cet objectif qui date du début
des années 60 ne semble toujours pas être accompli au vu de la fréquentation des théâtres
publics en France. Il convient alors de se demander comment se justifie la médiation
culturelle, et pourquoi est-elle encore aujourd’hui un modèle à suivre.
A. Eléments de contour de la médiation culturelle
Des définitions et approches multiples
Il est difficile d’avoir une idée précise de ce qu’est la médiation culturelle, tant sa
définition est multiple et divisible, tout autant que les domaines qui l’emploient, et tant elle
fait référence à d’autres notions assez proches (l’animation culturelle, l’action culturelle, le
développement culturel…). Difficile donc de parler d’une seule et même médiation
culturelle, quand il n’y a pas de matrice réunissant toutes les médiations observables dans
tous les domaines culturels et artistiques. Selon Paul Rasse48, sa définition se décline
néanmoins entre deux extrêmes : d’un côté, une définition très théorique et générale, et d’un
autre, une approche centrée sur les descriptions et des comptes rendus d’expériences
pragmatiques. Comme nous le verrons un peu après, la notion de médiation culturelle est
née d’un besoin récent, et est donc apparue dans la langue française assez tardivement. Serge
Chaumier et François Mairesse la définissent assez largement comme « un ensemble de
pratiques plus ou moins reconnues, entre certaines offres culturelles et une partie du public
à qui elles sont destinées »49. Selon Jean-Marie Lafortune, la médiation culturelle suppose
deux déclinaisons sémantiques, la première concerne les relations interpersonnelles dans des
48
RASSE Paul, « La médiation, entre idéal théorique et application pratique », Recherche en communication,
n°13, 2000, p. 38
49
CHAUMIER Serge et MAIRESSE François, La médiation culturelle, Editions Armand Colin, 2013, p. 6
32
cadres sociaux et culturels (indvidu/groupe, espace/temps), et la deuxième, l’élaboration et
la reconnaissance de valeurs partagées50.
Si la médiation culturelle est difficile à définir, ses activités le sont d’autant plus.
Elles diffèrent en fonction des établissements culturels, selon qu’ils soient théâtraux,
muséaux, musicaux…, mais aussi selon les statuts et les missions des établissements, selon
les territoires sur lesquels ils sont implantés, selon les directeurs, etc. Néanmoins, MarieChristine Bordeaux opère une distinction entre trois types de médiations qui me paraît
intéressante, car assez représentative du travail des médiateurs culturels au théâtre. La
médiation directe d’abord, qui concerne les activités d’interaction, de face-à-face, entre
professionnels de la culture et publics ; la médiation indirecte, différée, qui s’appuie sur les
textes, sur des outils pédagogiques ; et enfin, la coordination, l’administration et la gestion
de projet qui permettent d’organiser la rencontre51.
Dans le milieu du spectacle vivant, la médiation culturelle est souvent confondue
avec la communication52, car l’une des missions principales des médiateurs est de faire venir
le public aux spectacles programmés dans l’établissement. Pourtant, la séparation entre ces
deux domaines s’est opérée à la fin des années 80, décennie d’émergence de la
communication culturelle, alors que l’on se rend compte qu’un « beau matériel graphique »
ne suffit pas pour attirer le public53. La médiation culturelle se distingue donc de la
communication dans le sens où elle se place à la rencontre avec les publics, et cherche le
dialogue.
Il est intéressant également de concevoir la médiation culturelle comme détentrice
d’une forte dimension politique. En effet, le temps de la médiation peut être considéré
comme un temps politique, puisqu’elle intervient dans la trame des rapports sociaux, et que
ses paroles et actions agissent et modifient les relations qu’un individu entretient avec un
autre54.
LAFORTUNE Jean-Marie, La médiation culturelle, le sens des mots et l’essence de pratiques, Ed. Presses
Université du Québec, Col. Publics et Culture, 2012, p. 8
51
BORDEAUX Marie-Christine, « La médiation culturelle, conditions d’émergence, enjeux politiques et
théoriques », Actes du colloque international sur la médiation culturelle, Montréal, déc. 2008
52
Op.cit. CHAUMIER Serge et MAIRESSE François, p. 27
53
Op.cit. PENCHENAT Jean-Claude
54
Op.cit. LAFORTUNE Jean-Marie
50
33
L’émergence de la médiation culturelle
Premièrement, la médiation culturelle est née d’un besoin de garantir l’objectif
fondateur des politiques culturelles : l’accessibilité de tous aux œuvres de qualité. Les
politiques culturelles, censées permettre un accès égal à tous les citoyens à la culture, ont en
effet permis l’émergence de la médiation culturelle, comme moyen de répondre au
désenchantement de cette « utopie fondatrice »55. Face à l’échec de la vision
« malrucienne »56 de la démocratisation culturelle d’un « accès du plus grand nombre aux
œuvres capitales de l’humanité »57 (l’idéologie de Malraux était bien un point de vue sur la
médiation, mais pour lui, la médiation se faisait sans médiateur, sans pédagogie et sans
sensibilisation, juste dans la rencontre avec l’art58), et face à l’émergence de la théorie
bourdieusienne résumée dans son livre La distinction publié en 1979 qui montre que notre
consommation culturelle est orientée en fonction de notre position sociale, la médiation
culturelle est apparue comme un moyen de rapprocher la culture « légitime » de son éventuel
public. Elle est « une manière de nommer à la fois cet objectif non satisfait de justice sociale
dans la répartition des biens culturels, et le besoin de refonder sur d’autres bases le paradigme
général de démocratisation culturelle »59.
La territorialisation des politiques culturelles a aussi permis l’émergence de la
médiation culturelle. En effet, dans les années 80, face à la nouvelle génération de metteurs
en scène, créateurs avant tout, l’équilibre entre créations artistiques et actions culturelles
devient une nécessité pour percevoir et justifier le versement des subventions allouées par
les collectivités territoriales60. Cette volonté d’équilibre permettra une professionnalisation
de l’accueil des publics en renforçant le service des relations publiques au sein des théâtres.
Par ailleurs, cette territorialisation des politiques culturelles renforce les attentes sociales des
collectivités territoriales auprès des structures culturelles subventionnées, qui mènent des
actions de médiation sur des terrains jusque-là pris en charge par le secteur socio-culturel61.
La tendance des collectivités territoriales à se « reposer » sur les établissements culturels
55
Op.cit. BORDEAUX Marie-Christine
ZARADER Jean-Pierre, « L’imaginaire dans la pensée malrucienne de l’art », Europe, vol. 67, 1989, n°
727-728, p. 158-168
57
DJIAN Jean-Michel, Politique culturelle, la fin d’un mythe, Editions Gallimard, 2005, p. 100
58
CAUNE Jean, Pour une éthique de la médiation. Le sens des pratiques culturelles, Grenoble, PUG, 1999,
p.33
59
Op.cit. BORDEAUX Marie-Christine
60
Op.cit. PENCHENAT Jean-Claude
61
Op. cit. BORDEAUX Marie-Christine
56
34
pour prendre en charge des aspects de leur politique sociale, se vérifie largement au sein des
théâtres aujourd’hui. Au cours de mon stage au Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique
national de Saint-Denis, de février à juillet 2016, j’ai pu le remarquer à plusieurs reprises,
quand la mairie de Saint-Denis reprochait au théâtre de rester « enfermé » dans la création
artistique, et de ne pas être assez présent sur le territoire auprès des populations locales.
L’importance donnée aux politiques d’éducation artistique par l’Etat, le rapprochement
institutionnel entre élus locaux et établissements culturels, permet donc aujourd’hui une plus
forte implantation des établissements culturels « légitimes » sur leur territoire.
La méfiance vis-à-vis de la médiation culturelle dans le monde du théâtre
Dans le monde du théâtre et du spectacle vivant de manière générale, la médiation
culturelle suscite souvent une certaine méfiance. Le premier élément qui prouve cette
méfiance concerne les termes désignés pour parler de médiation ; jamais on ne parlera de
« médiation culturelle » au théâtre. La médiation est donc remplacée par les termes de
« relations publiques » ou « relations avec le public » ou encore « relations avec les publics »
(nous reviendrons un peu plus tard sur cette distinction). Il n’existe donc pas de
« médiateurs » à proprement parler dans un théâtre, mais bien de « RP ». Le terme de
médiateur est davantage utilisé dans les musées.
Nous pouvons alors nous demander pourquoi est-ce qu’être « médiateur » au théâtre,
n’est pas assumé comme tel. Il semble en effet que la médiation en tant que telle provoque
un certain mépris dans ce monde, sans doute parce qu’il se réfère au terme d’ « animateur »,
qui semble un peu dégradant pour certains, car il renvoie au monde socioculturel,
complètement exclu du système culturel français62, quand le Ministère des Affaires
culturelles s’est séparé de celui de l’Education nationale, sous le Président De Gaulle et
André Malraux. En avril 1961, face au groupe de travail « action culturelle » du IVème Plan
quinquennal (1966-1970), Pierre Moinot, conseiller au cabinet du Ministère des Affaires
culturelles, dira de l’éducation populaire qu’elle est « une activité périscolaire et postscolaire
éperdue de bonne volonté, pleine d’intentions généreuses mais terriblement isolée des
grandes valeurs littéraires et artistiques de notre pays »63. Pour qualifier la médiation
62
Ibid.
MOULINIER Pierre, Histoire des politiques de « démocratisation culturelle », la démocratisation
culturelle dans tous ses états, Ministère de la Culture et de la Communication, 2011-2012
63
35
culturelle, on retrouve d’ailleurs dans le monde du théâtre deux termes directement dérivés
du vocabulaire utilisé par André Malraux et Jacques Duhamel ensuite : « développement
culturel » et « action culturelle ». On parle en effet plus dans ce milieu de « développement
artistique » ou d’« action artistique » que de médiation culturelle.
La fonction de médiateur est donc souvent jugée secondaire, voire superflue, depuis
les politiques culturelles instituées par André Malraux, car elle remettrait en cause « l’aura »
de l’œuvre d’art64. Les médiateurs travaillent dans l’ombre des créateurs artistiques, et
peuvent être considérés comme des « fidèles messagers du monde supérieur de l’art »65,
chargés de transmettre des informations validées en amont par les experts légitimes (dans le
monde du théâtre : les artistes), au service de l’institution.
« Les responsables du service RP travaillent assez seuls finalement. Ils sont rarement au théâtre, et
ne parlent quasiment jamais avec le service production, qui lui, est beaucoup plus en lien avec
l’artistique. Ils sont isolés aussi dans les bureaux (sur une mezzanine). » 2/03/2016
« La responsable du service RP qui gère le jeune public trouve qu’on en parle pas assez… Elle semble
triste et ça l’énerve beaucoup. C’est vrai qu’en réunion on en parle jamais, comme si le jeune public
était toujours relayé au second plan. » 10/05/2016
« Une subvention qui devait être attribuée au service RP a été avalée par la nouvelle création du
directeur… Tout le monde en RP est super énervé… il va falloir qu’on se débrouille avec le mécénat
maintenant… comme si la création artistique valait plus que l’implantation sur le territoire et le
travail avec le public….» 21/06/2016
Extraits de mon journal de terrain
Cette méfiance vis-à-vis de la médiation est encore plus prégnante au théâtre. En
effet, le théâtre se pense comme un art qui est en soi médiateur, puisque dans la relation
directe avec le public. Le monde du théâtre serait « globalement hostile à ce qui lui paraît
être un écran inutile et nuisible entre les artistes et les publics »66. Les médiateurs du théâtre,
ne travaillent avec les publics qu’à travers la matière artistique, et ils ne peuvent créer sans
les artistes les dispositifs de rencontres et de partage autour de l’esthétique.
« Ben moi mon rôle c’est plus de coordonner, de penser les projets avec les
enseignants, avec les partenaires et ensuite il faut que la rencontre se fasse entre tous
et pour moi après c’est l’artiste qui joue tout son rôle... Je pense que … nous on est
important pour faire de la médiation, mais on est juste le premier contact, la première
strate, mais après ça ne suffit pas, c’est l’artiste qui prend tout son rôle après, l’artiste
64
Op.cit. BORDEAUX Marie-Christine
Ibid.
66
Ibid.
65
36
dans les actions il est essentiel, c’est lui qui crée tout ! Et rien que par le fait qu’il
soit artiste, et par sa présence, et qu’il soit reconnu comme un être exceptionnel... »67
B. Le métier de médiateur : les enquêtés
« Dans les institutions culturelles, les pratiques de médiation se
fondent sur le problème de la séparation des mondes de la création
artistique et de la sensibilité des publics. Les médiateurs se présentent
comme les agents qui disposent des connaissances et des outils
susceptibles de créer les conditions d’une rencontre fructueuse. Par un
travail de diffusion d’information, d’édition et de collaboration avec
des intermédiaires qui connaissent des publics potentiels, ils cherchent
à donner du sens à la relation esthétique qui peut être établie avec les
œuvres. »
Jean-Marie Lafortune, La médiation culturelle, le sens des mots et
essence de pratiques, Ed. Presses Université du Québec, Col. Publics
et Culture, 2012, p.64
Etre médiateur aujourd’hui
Comme nous l’avons déjà vu, le terme de médiation culturelle est très large et revêt
de nombreuses acceptions. Les fonctions du médiateur culturel le sont tout autant. Dans leur
ouvrage, Serge Chaumier et François Mairesse établissent une typologie de quatre grands
ensembles qui rendent compte des fonctions du médiateur, et de la richesse de cette notion68.
Dans un premier temps, ils regroupent les ascendants des positions qu’occupe le médiateur
dans une histoire longue qui remonte à l’antiquité : ils évoquent ainsi l’initiateur religieux,
le négociateur juridique et diplomatique et le traducteur, qui naît de la recherche
sociologique autour des pratiques culturelles et artistiques, et donc de la réflexion autour
d’une « nécessaire » médiation entre une œuvre et un public. Dans un deuxième ensemble
porté sur l’Histoire plus récente, et sur les volontés contemporaines d’éducation, de diffusion
et de partage du savoir, ils regroupent l’instructeur/éducateur, l’animateur et l’informateur.
Le troisième groupe rend compte des influences et transformations récentes, de l’évolution
des rapports entre les individus : le médiateur serait donc devenu vulgarisateur (en cherchant
à mettre le savoir à disposition de tous), accoucheur (car le médiateur dispose de ses propres
savoirs, d’un « habitus » qui lui est propre et qui influence son discours), et interprète (car il
produit des interprétations). Et enfin, dans un quatrième ensemble qui propose une réflexion
67
68
Extrait de l’entretien mené avec D., responsable de l’action artistique au TGP, le 4 juillet 2016
Op.cit. CHAUMIER Serge et MAIRESSE François
37
et des hypothèses sur les évolutions et les transformations de la fonction, le médiateur se
ferait activateur (via ses interprétations, il modifie, crée, transforme), découvreur (il peut
rendre la parole possible, faire naître et croître l’expression) et développeur (il a un rôle de
stimulateur culturel).
Par ailleurs, comme nous l’avons évoqué plus haut, le terme définissant le métier de
médiateur change en fonction des domaines professionnels et en fonction des personnes. Au
théâtre, le médiateur se dénomme « RP » et chaque « RP » utilise la version la plus adéquate
de cette expression pour qualifier son métier. Comme j’ai pu l’observer au cours de mon
stage, le terme de « service des relations publiques » est le plus souvent utilisé dans les
Théâtres Nationaux ; il se réfère en effet à plus de « mondanité »69, aux relations presse, etc.
Dans les centres dramatiques nationaux, où les relations avec le public font entièrement
partie des missions, on utilise le plus souvent l’expression « relations avec le public ». Pour
certains, cela devient « relations avec les publics », quand ils considèrent, de manière un peu
politique, qu’il n’existe pas un public mais que tous les publics sont différents.
« J’ai remarqué que notre métier porte différentes appellations… Quand j’ai demandé aux autres
stagiaires comment elles parlaient de leur mission de stage, une m’a répondu « relations publiques »
et l’autre a directement réagi en disant « ah mais non on dit pas ça, on dit ‘relations avec le public’ ».
Pour s’expliquer, elle a rétorqué « ‘Relations publiques’ ça ne va pas du tout avec ce qu’on fait, nous
on est tournés vers le public ». J’ai l’impression que tout ça est un peu politique… « Relations
publiques » c’est un peu trop formel, ça ne définit pas bien le contenu de nos tâches, nous on s’occupe
de la réception, et donc du public. Mais moi je persiste à parler de ‘relations avec les publics’, parce
que je considère qu’il n’y a pas qu’un public. »
Extrait de mon journal de terrain, le 15 mars 2016, au Théâtre Gérard Philipe, CDN de Saint-Denis
Le métier de médiateur au sein d’un théâtre, et en particulier au sein d’un centre
dramatique national, dont les missions offrent une place importante à la prise en compte des
publics et du territoire (en comparaison avec les Théâtres nationaux dont la mission
principale est de faire rayonner la création artistique, et qui ne bénéficient donc pas de
subventions allouées directement au service des relations avec les publics), revêt de
nombreuses tâches, difficilement définissables, puisque chaque médiateur, en arrivant à son
poste, recrée son métier. Il a donc été difficile pour moi, tout au long de mon stage au Théâtre
69
Op.cit. PENCHENAT Jean-Claude
38
Gérard Philipe, d’identifier les missions de chacun des membres du service. A ce propos, L.,
responsable des relations avec les publics au TGP, m’a confié lors d’un entretien :
« Par exemple moi j’ai pris la suite de la personne avant moi, mais je ne suis pas
elle et donc je ne construis pas la même chose qu’elle, même si c’est censé être le
même métier, le même poste, les mêmes missions. On est tellement dans l’humain
en permanence qu’il faut l’assumer en tant que tel, c’est vraiment une question de
personne en fait. »
Les rôles et missions
Le premier grand objectif des « RP » dans un théâtre est donc de favoriser et de
développer l’accès au théâtre au plus grand nombre. De plus, étant donné les restrictions du
subventionnement public, il permet également d’accroître les ressources financières d’un
théâtre en développant des stratégies de prospection de public, même si cela ne représente
qu’un faible pourcentage de la recette finale. Les principales missions du service des
relations avec les publics sont donc de développer, mais aussi d’entretenir, des relations avec
les diverses populations du territoire sur lequel la structure est implantée.
Au Théâtre Gérard Philipe, le service des relations avec le public se divise en trois
pôles : le responsable du développement des publics et de la billetterie (F.), la responsable
des relations avec le public (L.), la responsable de l’action artistique (D.). Dans son
fonctionnement interne, le service RP du Théâtre Gérard Philipe est assez original et se
distingue d’autres théâtres, puisqu’il n’existe aucun responsable hiérarchique qui soit
directement au sein du service (souvent appelé « directeur des publics »). Chacun est
responsable à sa manière des missions qu’on lui a confiées (et qu’il se confie lui-même).
En tant que responsable du développement des publics et de la billetterie, F. compte
au sein de ses missions l’élargissement du public étudiant, en situation de handicap et salarié
d’entreprise, la mise en place et la coordination de projets de grande ampleur participant au
développement des publics, l’organisation des projets de résidence d’artistes sur le territoire
de Saint-Denis, la prospection du public sur certains spectacles de la saison (que les
responsables se divisent au moment de la création de la programmation de saison), et la
coordination et la gestion de l’équipe de la billetterie.
L., responsable des relations avec le public, crée et coordonne les projets en
établissements scolaires (écoles primaires, collèges et lycées), les projets en familles, et
39
s’occupe de la prospection des publics du champ social et des publics de la programmation
jeune public Et moi alors ? (groupes scolaires, public familial). Elle s’occupe également de
la prospection des publics sur plusieurs spectacles de la saison.
Comme responsable de l’action artistique, D., détient à sa charge toutes les actions
artistiques menées dans le cadre des options théâtre (collèges, lycées). Elle est en lien avec
les professeurs de français, d’histoire et surtout de théâtre, pour mener des projets
pédagogiques avec eux et leurs élèves dans le cadre du temps scolaire. Les artistes
intervenant dans les classes pour les spécialités et options théâtres sont employés par le
TGP ; dans ce cadre, elle gère le budget des actions, la mise en place et le suivi des projets.
Elle s’occupe également la coordination du projet de Jean Bellorini « La Troupe Ephémère »
qui est un atelier de théâtre avec des jeunes amateurs de Saint-Denis, ayant lieu tous les
samedis de la saison. Ces ateliers débouchent sur un spectacle de fin d’année dans la grande
salle du Théâtre Gérard Philipe. Comme les autres responsables du service, elle s’occupe
également de la prospection du public sur différents spectacles de la saison.
C. La médiation culturelle construite comme une croyance collective
L’idée de vouloir travailler sur la « croyance » dans les bienfaits du théâtre sur les
publics ne m’est pas venue par hasard. C’est au cours de mon stage au Théâtre Gérard Philipe
que je me suis longuement questionnée sur l’intérêt de vouloir lier d’un côté la recherche
d’une exigence artistique, et d’un autre, une prospection active des publics, dans un but de
diversification socio-culturelle de ces derniers. A-t-on réellement « besoin » de transmettre
une culture très légitime à des publics qui, par eux-mêmes, n’iraient pas au théâtre ? Que
recherche-t-on là-dedans ? La notion de « besoin » est intéressante ici pour comprendre ce
qui va suivre, puisqu’il ne s’agit en aucun cas de faire dans ce mémoire de recherche le
procès des professionnels du théâtre public, mais bien de comprendre les raisons qui les
poussent, souvent de manière inconsciente, à faire ce qu’ils font. Avant d’entreprendre un
travail d’analyse de mes observations et des entretiens menés avec les responsables « RP »
du Théâtre Gérard Philipe pour essayer de déconstruire cette « croyance » (parties 2 et 3), il
convient d’expliquer, en mobilisant des références bibliographiques, ce que l’on entend par
croyance, et pourquoi on peut l’utiliser ici, pour parler de médiation culturelle.
40
Pourquoi une « croyance » ? Eléments de définition
La « croyance », que le dictionnaire Larousse définit comme « le fait de croire à
l’existence de quelqu’un ou de quelque chose, à la vérité d’une doctrine ou d’une thèse »,
est un terme assez commun qui se réfère souvent à la religion. Néanmoins, la sociologie
évoque assez peu l’idée d’une ou de croyance(s), sans doute parce que ce terme relèverait
de l’irrationnel, du mystique, et que l’on peut difficilement l’expliquer sur la base d’enquêtes
scientifiques. Dans le domaine artistique cependant, la « croyance » a une place non
négligeable, notamment à travers l’idée de « l’art pour l’art », théorisée par Théophile
Gautier au 19ème siècle70, croyance dans l’art comme seule fin de l’art, qui promeut une
conception d’un art radical, dépourvu d’une fonction sociale ou morale. Cette théorie
développe donc une croyance dans l’art qui ne se justifie ni ne s’explique, puisqu’il se suffit
à lui-même, et qu’il n’a aucune intention d’être utile. Si cette acception de l’art a montré
maintes et maintes fois ses limites, les artistes et les personnes travaillant dans le milieu
artistique, puisqu’ils travaillent à son service, pourraient donc développer une croyance dans
ce qui fait/ce que fait l’art. Dans ses Témoignages sur le théâtre71¸ Louis Jouvet disait
« Avoir une conception du théâtre, c’est se limiter, l’appauvrir, c’est fausser l’expérience,
c’est refuser toute découverte et nier la vie même du théâtre. C’est toujours par intuition, et
jamais par système, qu’un homme de théâtre choisit la pièce à monter, se décide sur la
manière de la décorer, de l’habiller, de la faire jouer et de la présenter au public » 72. On voit
bien ici que certains artistes cultivent une croyance dans ce qui fait leur art, et ici, le théâtre.
Cette croyance dans l’art, c’est Pierre Bourdieu qui le premier a mis des mots dessus.
En effet, son concept d’illusio, rend compte des faits de croyance nécessaires à l’insertion
dans un champ d’appartenance social. Ce concept, s’il commence à se dessiner dans son
article « La production de la croyance »73 en 1977 autour de la construction de la valeur des
biens symboliques, apparaît pour la première fois dans son ouvrage La distinction, paru en
1979, pour y désigner « la reconnaissance des jeux et des enjeux culturels »74. « L’illusio,
c’est le fait d’être pris au jeu, d’être pris par le jeu, de croire que le jeu en vaut la chandelle,
« Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid. » GAUTIER
Théophile, Mademoiselle de Maupin, « Préface », 1835, p. 22
71
JOUVET Louis, Témoignages sur le théâtre, Ed. Flammarion, 2002
72
Op.cit. FUMAROLI Marc, L’Etat culturel :une religion moderne
73
BOURDIEU Pierre « La production de la croyance [contribution à une économie des biens symboliques]»,
Actes de la recherche en sciences sociales, 1977, vol.13, n°1, p.3-43
74
BOURDIEU Pierre, La distinction, Critique sociale du jugement, Ed. De Minuit, coll. Le sens commun,
1979, 672p.
70
41
ou, pour dire les choses simplement, que ça vaut la peine de jouer »75. Ce concept permet
d’asseoir le fait qu’un ensemble de schèmes mentaux (qui constituent l’habitus), associé aux
régularités caractéristiques d’un espace social autonome (le champ), conduisent les
personnes qui possèdent déjà une certaine maîtrise de cet espace, à anticiper les évolutions
du jeu (le fonctionnement du champ social). Ainsi, l’illusio appliqué au champ culturel,
permet de comprendre que les personnes ayant déjà intériorisé les règles et les régularités
caractéristiques du champ culturel, sont plus facilement persuadées – voire illusionnées - de
la valeur du jeu et de la validité de ses règles, puisqu’elles participent, en y croyant et en
approuvant, à la constitution de leur intérêt. L’intérêt ne serait donc que croyance, et chaque
enjeu du champ social n’existerait que parce que quelqu’un croit en lui et en sa poursuite.
Ce qui constitue le monde de l’art et la culture, et leur importance, seraient donc seulement
définis et construits par l’appartenance sociale de ses membres à lui.
Selon Matthieu Béra et Yvon Lamy76, Pierre Bourdieu tente de déconstruire le mythe
du créateur pourvu de génie, en réutilisant notamment la théorie de la « magie » de Marcel
Mauss77, qui affirme que le pouvoir du magicien est le fruit d’une croyance collective dans
le pouvoir du magicien. En poursuivant une analyse sociologique de tous ceux qui ont des
intérêts convergents à la croyance dans le génie des artistes, il permet de comprendre ce qui
fait le « pouvoir » du créateur.
La croyance dans la médiation culturelle : une croyance « religieuse »
Comme nous l’avons évoqué plus haut, le terme de croyance est essentiellement
utilisé à des fins religieuses. Mais il est peut être assez pertinent d’exercer une analogie entre
la religion et la médiation culturelle. Pierre Moulinier notamment, souligne le fait que,
comme les évêques, les responsables culturels sont divisés entre leur volonté d’attirer le plus
de personnes possible dans leur établissement, en utilisant la faiblesse des capitaux social,
culturel et économique des milieux populaires, et leur désir de faire vivre leur « foi » de la
manière la plus exigeante. Il compare d’ailleurs les animateurs culturels à des « prêtres
75
BOURDIEU Pierre, Raisons pratiques, Seuil, collections Points, 1996, p.153
BERA Matthieu et LAMY Yvon, Sociologie de la culture, Ed. Armand Collin, coll. Cursus, 2003
77
MAUSS Marcel, « Esquisse d’une théorie générale de la magie », L’Année sociologique, 1902-1903, en
collaboration avec HUBERT Henri
76
42
ouvriers de la culture »78. Dans son ouvrage L’Etat culturel : une religion moderne79, Marc
Fumaroli partage l’idée de Pierre Moulinier. Pour illustrer son argument, il cite les trois
écrivains Danièle Sallenave, Antoine de Saint-Exupéry et Jean Guéhénno, en expliquant leur
point de vue commun sur la culture : tous les trois en ont une vision très spirituelle, la
souhaitent universellement partagée, et la font presque devenir une « propriété du clergé
intellectuel »80. L’auteur parle d’ailleurs de « charité culturelle »81.
Marc Fumaroli va encore plus loin dans cette analyse. Il parle en effet de la prise en
charge de la politique culturelle par l’Etat qui serait le résultat de la quête contemporaine
(post 3ème République) de nouveaux principes et appuis religieux, sociaux et politiques. Pour
illustrer son argument, il compare notamment la culture avec la religion civile du Contrat
social de Rousseau : il dit qu’elle est à son tour « la foi dans une lumière naturelle et
originelle à tous les hommes » 82. Cette nouvelle religion, qui est maintenant culturelle, a
commencé à être partagée et organisée au moment des prémices de la politique culturelle,
quand André Malraux est arrivé au pouvoir en 1959.
Comme le rappellent Lionel Arnaud, Vincent Guillon, et Cécile Martin83, il convient
ici de mentionner Max Weber, pour qui, dans une société capitaliste qui devient de plus en
plus marchande, l’art permettrait d’assouvir un besoin de « délivrance », au même titre que
la religion les siècles derniers84.
Une croyance d’élites
Les manifestants de 1968 ont été les premiers à dénoncer ce qu’ils considéraient être
devenue « croyance ». Pour eux, la démocratisation culturelle est devenue une croyance à
partir du moment où elle a été organisée par l’Etat, dès 1959, en prenant un caractère
78
MOULINIER Pierre, « La dimension territoriale de la démocratisation culturelle » dans le Comité
d’histoire du ministère de la Culture et de la Communication, Centre d’histoire de Sciences-Po Paris, La
démocratisation culturelle au fil de l’histoire contemporaine, Paris, 2012-2014
79
Op.cit. FUMAROLI Marc
80
Op.cit. FUMAROLI Marc, p.119
81
Ibid. p.130
82
Ibid. p.128
83
ARNAUD Lionel, GUILLON Vincent et MARTIN Cécile, Elargir la participation à la vie culturelle :
expériences françaises et étrangères, Rapport d’étude, Observatoire des politiques culturelles, 2015, p.10
84
WEBER Max, « Considération intermédiaire », in Sociologie des Religions, Paris, Gallimard (réédition
[1915], 1996
43
d’évidence et force de loi85. Mais ce qu’ils revendiquaient surtout, était le fait que cette
croyance dans la démocratisation culturelle n’était partagée que par une élite, qui croyait
donc que la culture à diffuser et à partager auprès du peuple était la sienne, une culture élitiste
et légitime. Comme l’écrit Pierre Bourdieu dans La distinction86, plus on s’élève dans la
hiérarchie sociale, plus les goûts en matière de culture relèvent de la culture légitime. Par
ailleurs, il ajoute que l’homogénéité des habitus des membres des classes sociales entraîne
une homogénéisation des goûts au sein de ces classes. Ainsi, puisque la plupart des
gouvernants français appartiennent aux classes les plus élevées de la population, leurs goûts
en matière de culture sont relativement homogènes, et sont représentatifs d’une culture
d’élite. La démocratisation culturelle, directement inscrite dans la politique culturelle
d’André Malraux, était donc perçue par ce dernier comme un « idéal »87, mais de quel idéal
parle-t-on ? André Malraux, proche du Président de Gaulle, s’est passionné très tôt pour le
répertoire classique et s’est formé auprès des grandes institutions culturelles parisiennes
(Musée Guimet, Ecole du Louvre). En arrivant au pouvoir au Ministère des Affaires
Culturelles en 1959, il se fait donc le représentant de la démocratisation d’une culture
française légitime. Marc Fumaroli qualifie cette classe dominante, qui a la faculté de vouloir
diffuser son savoir légitime, de « bureaucratie culturelle »88.
Cette croyance dans la diffusion d’une culture d’élite renforce alors une hiérarchisation
des cultures et donc une distinction de classes entre public cultivé et public « vulgaire »89.
Si la volonté de démocratiser la culture auprès des « masses » relève souvent d’une bonne
volonté, les croyants de cette démocratisation peuvent se faire « messies » d’une culture qui
n’appartient qu’à eux. Marc Fumaroli, à travers les écrits de Gaëtan Picon (directeur général
des Arts et des Lettres sous André Malraux)90, illustre bien cette volonté d’amener la culture
légitime auprès de la population « Une société organique doit prévoir la diffusion de son
contenu spirituel. On voit ce que pourraient donner quelques-uns des moyens que la
technique moderne met à notre portée… N’attendons pas que le public demande autre chose
que les films de M. Fernandel, la grivoiserie du music-hall français, la fastueuse médiocrité
de notre Opéra-Comique : c’est à nous de l’habituer à mieux. »91. Cette croyance dans la
85
Op.cit. URFALINO Philippe, p.215-243
BOURDIEU Pierre, La distinction, Critique sociale du jugement,
87
Op.cit. URFALINO Philippe, p.35
88
Op.cit. FUMAROLI Marc, p.140
89
SELLIER Geneviève et VIENNOT Eliane (Sous la direction de), Culture d’élite, culture de masse et
différence des sexes, Ed. L’Harmattan, 2004, 192 p.
90
PICON Gaëtan, La Vérité et les mythes, entretiens et essais, 1940-1975, Paris, Mercure de France, 1979
91
Op.cit. FUMAROLI Marc, p.126
86
44
démocratisation culturelle par les élites peut être dangereuse selon Marc Fumaroli. Pour lui,
elle est un « impératif abstrait »92, l’incarnation d’un imaginaire inventé par les élites, qui
brime les demandes des publics divers.
Dans cette première partie, nous avons tâché de contextualiser l’idée du théâtre
comme service public, tenté de définir la médiation culturelle et ses enjeux, tout en dessinant
petit à petit les raisons pour lesquelles elle pourrait être qualifiée de « croyance ». En
s’appuyant sur ces éléments de définition et de contour de notre sujet, l’enjeu dans une
deuxième partie est d’appliquer ces concepts à notre terrain de recherche : comment cette
« croyance » dans la médiation culturelle se concrétise-t-elle au sein d’un établissement
culturel public tel que le Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis
? Quelles sont les représentations données à la médiation culturelle au sein de ce théâtre ?
A travers une étude approfondie des entretiens menés auprès des médiateurs du Théâtre
Gérard Philipe, et de mes observations au cours de mon stage de six mois dans ce même lieu,
nous tenterons d’esquisser une déconstruction discursive de cette croyance.
92
Ibid. p.140
45
PARTIE 2 : Les représentations de la médiation culturelle au Théâtre
Gérard Philipe : analyse d’une croyance
« Je ne me sens pas très bien dans cette ambiance. Quel public dans les théâtres nationaux... !! Je ne
me sens pas à l’aise, pas à ma place. Tout est trop beau, les gens sont ont l’air trop riches. C’est pas
pour moi. Et je déteste le spectacle. Dès le début. Pour la première fois de ma vie, je me sens légitime
à partir en plein milieu ! (en même temps ça durait 3h30). Même si c’est Ostermeier avec Tchekhov,
je n’aime pas, je l’assume, et je pars ! Je suis partie de l’Odéon en plein milieu. Normal. Et puis il a
fallu que je me justifie sur le fait que je n’avais pas aimé : il a fallu que je le verbalise. C’était pas
facile de se justifier... c’est « quand même » Ostermeier, c’était comme si je n’avais pas le droit de
ne pas aimer… Du coup, pour me rattraper, il a fallu que j’use d’arguments convaincants. »
Extrait de mon journal de terrain, le 21 mai 2016
Je souhaitais commencer cette nouvelle partie par cet extrait de mon journal de
terrain, parce qu’il me semble assez évocateur de ce qui va suivre. En tant que stagiaire au
Théâtre Gérard Philipe, mais également en tant que future médiatrice culturelle, il a été
difficile pour moi de prendre du recul, et de mener un travail de terrain objectif. C’est donc
de la manière la plus réflexive possible que je me suis incluse dans mon travail de recherche,
et que j’ai observé mes changements d’attitude et mes transformations de penser le théâtre
et la médiation culturelle. Car je me suis vite rendu compte qu’en m’intégrant dans un milieu
aussi fermé, celui du théâtre public, je développais une faculté à croire dans le pouvoir de
l’institution culturelle. J’étais en train d’acquérir les codes de langage, les codes esthétiques,
les codes de goût, les codes relationnels aussi, nécessaires à l’insertion dans ce milieu, qui
légitiment une sorte de volonté « prophétique » de transmettre l’art. J’ai donc souhaité
entreprendre une sorte de « repérage » des termes utilisés pour parler de médiation culturelle,
afin de savoir si ce langage était constitutif d’une croyance, et donc d’une subjectivité, et s’il
influait sur la vision des médiateurs des terrains d’actions artistiques.
Pour cela, j’ai pris soin de m’attacher aux manières de parler de la médiation
culturelle, que j’ai repérées lors des entretiens menés avec chacun des responsables du
service des relations avec les publics du Théâtre Gérard Philipe, et ai continué mes
observations de terrain au cours de mon stage. Je voulais tout d’abord faire un état des lieux
des représentations de la médiation culturelle au TGP, afin d’identifier les premiers éléments
se rapportant à la construction d’une croyance. Puis, j’ai tenté d’analyser les discours sur la
médiation culturelle que j’ai écoutés au cours de mes entretiens, afin de comprendre la
46
codification d’un langage propre à ce milieu, et d’entrevoir les représentations que se font
les médiateurs des terrains de l’action artistique.
I.
La médiation culturelle au Théâtre Gérard Philipe, CDN de Saint-Denis :
quelle(s) croyance(s) ?
En tant que centre dramatique national, le Théâtre Gérard Philipe inclut dans ses missions
le désir d’amener le théâtre à tous. Les directeurs des CDN se doivent donc d’intérioriser
cette ambition dans leur projet artistique et d’encourager leur équipe à travailler pour cet
« idéal », qui veut que le théâtre soit empli de vertus pour les publics.
A. La médiation culturelle inscrite aux fondements du projet artistique
Le projet artistique du directeur du TGP
« On arrête pas de dire autour de moi que le théâtre de J. [le directeur] est très ancré dans les
problématiques d’aujourd’hui, qu’il choisit des textes engagés, qui font référence à ce qui se passe
aujourd’hui… certes j’adore ses créations, mais je ne vois pas du tout en quoi ça peut faire référence
à ce qui se passe dans notre société… Enfin, adapter Victor Hugo, Sophocle ou Dostoïevski… c’est
sûr qu’on peut peut-être y voir des résonnances à des grands thèmes comme l’amour, l’autorité, la
misère, etc. Mais est-ce qu’on peut vraiment penser à des situations contemporaines en voyant ses
spectacles, surtout quand on ne voit jamais de théâtre ? Je pense que les gens les voient que comme
des grandes histoires. Et c’est pas forcément moins bien. »
Extrait de mon journal de terrain, le 13 mai 2016
La médiation culturelle, et ainsi la réflexion sur la relation aux publics du territoire,
est une question primordiale dans un centre dramatique national, car elle fait entièrement
partie de ses missions. Travailler dans un CDN traduit donc une volonté politique de se
mettre à la rencontre entre le contenu artistique et les publics. Cette volonté est motivée par
une croyance dans le fait que le théâtre soit un « art-outil »93 pour faire rayonner le territoire
et participer à l’épanouissement des publics. Néanmoins, la faculté qu’a un CDN de
s’orienter vers son territoire et de travailler avec les publics avoisinants, s’intensifie ou
s’affaiblit en fonction du projet artistique de la personne à la tête du théâtre. Le directeur
Expression utilisée par A., directrice de l’association Femmes du Franc-Moisin, lors d’un entretien le 6
juillet 2016.
93
47
actuel du Théâtre Gérard Philipe, dans son projet artistique pour diriger le théâtre à partir de
janvier 2014, a beaucoup insisté sur les liens du théâtre à l’adolescence et au territoire. Il
souhaitait un théâtre poétique qui soit ouvert et accessible à tous : « Je crois qu’un théâtre
doit être habité par les hommes de demain et qu’il doit aider le monde à se construire.
Commençons par l’accueil des jeunes. Faisons-les rencontrer des artistes. C’est
fondamental. Et puis la pratique artistique ne permet-elle pas aux jeunes de se « réaliser »
véritablement ? »94. Le développement d’une croyance dans les bienfaits du théâtre sur les
publics est présent partout dans son projet artistique, et dans ses discours sur le théâtre,
comme une volonté de justifier que le théâtre ne peut pas/ne doit pas aujourd’hui se suffire
à lui-même, mais doit au contraire, toujours être en lien avec le présent. Comme une
obligation morale de ne faire que du « théâtre citoyen » (théâtre qui se définit par sa
participation dans le débat démocratique). « Les CDN doivent offrir un théâtre d’art qui
travaille par les formes esthétiques la lecture du monde. Dans leurs créations, et dans celles
des artistes qu’ils ont choisis, ils aiguisent le sens critique, ouvrent des espaces de liberté
mentales, dans le suivi d’un public, dans l’implantation sur un territoire. L’implantation
régionale n’est pas juste figure imposée de l’aménagement territoire, mais la nécessité de la
création théâtrale en relation avec un public, devient partie prenante de la création. »95
Médiation d’une culture d’élite ?
Par ailleurs, si l’on reprend les quelques éléments de contour de la croyance dans la
médiation culturelle dessinés dans une précédente partie, on voit bien que la croyance dans
la médiation culturelle est ici induite par un capital culturel élevé. Le directeur du TGP, né
de parents médecins dans un arrondissement très privilégié de la capitale, a fréquenté une
grande école de théâtre parisienne. Selon les théories de Pierre Bourdieu concernant les goûts
culturels des classes sociales élevées, on pourrait s’imaginer que cet homme aurait une
tendance à aimer – ou au moins à connaître – la culture très légitime. Et en effet, les mots et
les références qu’il utilise pour parler du théâtre relèvent de cette culture légitime. Les textes
de présentation de ses spectacles, les éditos de brochure… tous relèvent d’un langage
poétique, très peu descriptif. « Il faut rêver. Rêver les yeux ouverts. Depuis la nuit des temps,
les hommes ont eu besoin de se représenter le monde. Il y a la réalité et il y a la représentation
de cette réalité ; à travers le récit de cette réalité, il y a la poésie. La poésie comme le chemin
94
95
Extrait du projet artistique du directeur du Théâtre Gérard Philipe, CDN de Saint-Denis, en novembre 2013
Op.cit. PENCHENAT Jean-Claude
48
du réel au récit, comme le chemin du regard vers l’intime. »96 La construction d’une
croyance dans les bienfaits du théâtre sur les publics semble donc relever aussi de codes de
langage bien particuliers, propres à ce monde. Nous reviendrons sur ces codes de langage et
de discours un peu plus tard.
L’attachement au territoire
Le Théâtre Gérard Philipe a la particularité de se situer, comme les autres centres
dramatiques nationaux de banlieue parisienne, dans une zone où les difficultés socioéconomiques sont très importantes (le taux de chômage à Saint-Denis en 2012 était de 23,7%
contre 12,3% de moyenne nationale97), où les habitants sont à 30% de nationalité étrangère,
et où l’accès aux infrastructures culturelles est très inégalement réparti. Ainsi, l’enjeu d’un
CDN sur un tel territoire est de permettre un égal accès à l’art pour tous, tout en favorisant
l’intégration sociale et culturelle des populations. La croyance dans la médiation culturelle
se justifie donc aussi par son rapport au territoire, dans une logique d’ « entraide » des
populations. Une logique d’« entraide » motivée par le fait que le théâtre est un outil
permettant de favoriser l’épanouissement des populations.
B. Deux visions de la médiation culturelle au TGP
Pour un théâtre « accessible »
Comme nous l’avons évoqué dans la première partie de ce mémoire de recherche, la
médiation culturelle revêt de nombreuses acceptions, différentes pour chaque médiateur. J’ai
identifié au Théâtre Gérard Philipe deux grandes tendances de médiation caractéristiques
d’un côté, de la vision du théâtre par le directeur, et de l’autre, de la vision de l’art en général
par l’un des médiateurs, F. Ces deux visions de la médiation découlent directement des goûts
et des choix de programmation. Dans un premier temps, on peut distinguer la volonté de
programmer un théâtre dit « accessible », c’est-à-dire un théâtre dont les textes sont
relativement « faciles » à la compréhension de tous.
Extrait de l’edito de la brochure de saison 16/17 du Théâtre Gérard Philipe, CDN de Saint-Denis
Enquête menée par Christine Bellavoine, sociologue de la ville de Saint-Denis, à partir de chiffres de
l’INSEE, en 2015
96
97
49
Au Théâtre Gérard Philipe, l’orientation prise est assez claire : favoriser un théâtre
« accessible », dans lequel tout le monde pourrait se reconnaître, ne pas prendre trop de
risques, programmer un théâtre qui soit poétique et éthique. Le directeur et metteur en scène,
ne monte principalement que des textes de répertoire, et crée des pièces dont la scénographie
est très impressionnante. La musique est un élément essentiel de ses créations, puisqu’elle
est presque toujours jouée en live sur scène par des musiciens. Ses pièces font donc très
souvent l’unanimité puisque tout en étant exigeantes en termes de qualité artistique (jeu des
comédiens, mise en scène, scénographie, lumières…), elles reprennent dans le même temps
des fondamentaux du théâtre populaire, comme on pouvait l’imaginer à l’époque de Jean
Vilar. Néanmoins, comme nous l’avons vu plus haut, la volonté de considérer et de justifier
un théâtre qui soit lié à des problématiques contemporaines, est prégnante.
Pour un théâtre « exigeant »
J’ai eu l’occasion au cours de mon stage de me rendre compte plusieurs fois du
désaccord artistique (et politique) qu’entretenait F. avec le travail du directeur ; son point de
vue sur la médiation culturelle est tout autre puisqu’il milite pour un théâtre plus
« contemporain », plus engagé, et dont le but sera de faire réfléchir, voire de choquer. Selon
lui, il faudrait donc prendre plus de risques à programmer des spectacles qui soient engagés,
voire exigeants d’un point de vue réflexif, pour provoquer un vrai questionnement chez le
public. Programmer du théâtre contemporain pour ne pas avoir comme première condition
le plaisir du public, mais ses questions et ses réflexions. Cependant, pour lui, « dire que les
œuvres sont complexes, c’est une vraie connerie. C’est un mensonge pour entretenir le haut
niveau intellectuel des classes dominantes. »98 Il considère en effet qu’il n’existe pas de
publics qui soient « empêchés », mais que tout le monde est capable de recevoir une œuvre
artistique, car dire qu’elle est difficile reviendrait à alimenter un discours élitiste dominant
sur la culture.
« Moi je l’ai expérimenté pendant 7 ans… bon c’était pas très simple, mais avec des
collégiens, des lycéens sur de la danse contemporaine ultra perchée, avec la nudité,
avec des installations, avec du noir total, une extrême lenteur, des formes abstraites
et conceptuelles, avec le corps pensé comme une architecture et pas comme un
organisme, enfin, tous types de processus, et en une séance ou deux avec des gamins,
ils sont prêts, ils sont plus réceptifs et plus précis dans leur regard que bien des gens
qui enquillent les festivals de danse contemporaine mais qui font leurs trucs à eux »
(F. le 29/07/2016)
Extrait de l’entretien mené par téléphone avec F., responsable du développement de publics au TGP, le 29
juillet 2016
98
50
Pour autant, dans ces deux visions opposées de la démocratisation culturelle, la place du
médiateur est essentielle. Dans la première, le médiateur permet de replacer dans son
contexte la pièce, d’expliquer (s’il y en a) les liens entre le texte d’origine et le contexte
actuel, etc. Dans la seconde, le médiateur permet de « préparer » le public en amont de sa
venue au théâtre pour qu’il soit dans de bonnes conditions pour le recevoir, en ôtant son
appréhension et ses a priori du théâtre contemporain.
C. Identification des bienfaits de la médiation culturelle
Depuis le début de ce mémoire, j’ai beaucoup évoqué la croyance dans les « bienfaits du
théâtre sur les publics », sans pour autant définir ces bienfaits. C’était un choix de ma part
d’attendre cette partie, pour ne les étudier et ne les définir qu’à travers le discours qu’en ont
les médiateurs. Car les bienfaits du théâtre sont relativement subjectifs. S’ils naissent
souvent d’un discours d’expérience de médiateur culturel (au cours des entretiens, les trois
enquêtés ont tous parlé de leurs expériences antérieures pour se souvenir d’actions de
médiation au cours desquelles ils avaient perçu des bienfaits de la médiation sur certaines
personnes), j’ai pu identifier trois types de bienfaits de la médiation culturelle, dont chacun
avait été évoqué par les médiateurs enquêtés pendant les entretiens.
« Réunion…
Le premier des bienfaits identifiés de la médiation culturelle serait celui de « la
réunion ». « Les bienfaits sur les publics ? Ben déjà d’être ensemble. Au même endroit, au
même moment, face à une œuvre qui n’est pas univoque » (F.). « Je pense que le théâtre peut
changer profondément l’humain, parce que ça a toujours existé, et parce que c’est un moyen
de se réunir, d’être ensemble, et d’échanger » (L.).
« Moi ce que j’aime dans le théâtre, ce que je trouve très beau, c’est un des rares
endroits aujourd’hui où on est tous réunis, où il y a une espèce de communion de
quelque chose qui… enfin ce qui m’émeut beaucoup c’est ça c’est le fait qu’à un
moment il y ait des gens qui décident tous ensemble d’aller, enfin individuellement,
mais, reformer une communauté pour juste se confronter à une œuvre, à un propos
artistique avec des gens en face, c’est ça aussi » (D. le 04/07/16)
La faculté du théâtre à réunir et à créer la cohésion est donc le premier bienfait de la
médiation culturelle identifié par les médiateurs, dans une optique sous-jacente de participer
ensemble, à la vie de la cité démocratique, et aux débats qui en découlent.
51
… épanouissement…
Le deuxième bienfait identifié, serait celui de participer à l’épanouissement, et au
développement de l’apprentissage des publics ciblés par les actions de médiation.
« [Les objectifs de la médiation] c’est l’épanouissement, l’apprentissage du travail
collectif, la prise de confiance en soi, la découverte d’un art, d’un monde même. »
(L. le 05/07/2016)
« Nous on est plus là pour transmettre, donner à voir autre chose… éduquer on
pourrait dire aussi, mais il ne s’agit pas de donner une pensée unique au contraire
c’est être dans une diversité d’approches mais…sinon c’est du divertissement. » (D.
le 04/07/2016)
« Je pense que l’art est un des meilleurs outils pour agir ou se poser les bonnes
questions ou… pour se rendre compte au moins qu’il y a des questions. Et ça pour
moi c’est de l’ordre du service public, la transmission de la connaissance » (F. le
29/07/2016).
Ce bienfait identifié relèverait donc d’une visée philanthropique, d’un besoin d’aider les
autres, de leur transmettre des connaissances auxquelles ils n’auraient pas accès… tout en
s’assurant que ces choses que l’on donne à voir ne soient pas univoques, mais qu’elles
permettent l’exposition de différents rapports au monde.
« Les méfaits [de la médiation culturelle] c’est la pensée unique, c’est la
consommation de divertissement, c’est remplacer les problèmes qu’on a dans la vie
par de la distraction facile. » (F. le 29/07/16)
« C’est être confronté à un autre regard, qui est pas forcément le tien mais qui te
permet de penser autre chose, de te confronter à la diversité, à l’altérité, de te mettre
en interaction de ne pas rester seul dans son coin. » (D.le 04/07/16)
…et dépassement »
Enfin, celui que l’on pourrait énoncer comme étant le troisième bienfait de la
médiation culturelle, relève d’une volonté politique de dépasser les clichés concernant la
catégorisation des populations.
« Le type de sociabilité que ça met en jeu aussi, être pris non pas pour un jeune de
quartier mais pour un spectateur, dans des endroits où, on peut l’espérer, il y a un
peu plus de bienveillance. » (F. le 29/07/16)
Et plus encore, la médiation culturelle permettrait d’offrir un tremplin pour des personnes
qui seraient « bloquées » dans des cases sociales.
« Je pense que le théâtre permet de décliver des clivages entre des enfants qui
seraient bons à l’école et d’autres qui ne seraient pas bons, et bien avec le théâtre ça
peut complètement s’inverser, et il peut y avoir des révélations de personnalités, de
52
gens qui sont très puissants alors qu’ils sont en fait très timides... Enfin, du coup je
pense que le théâtre permet de révéler des gens. » (L. le 5/07/2016).
II.
Quel(s) discours sur la médiation culturelle ?
La croyance dans la médiation culturelle se ressent également dans le langage utilisé
pour parler le théâtre. Il semblerait en effet que les médiateurs culturels, et les professionnels
de la culture de manière générale, ont et cultivent des codes esthétiques propres à ce milieu,
qui ont pour conséquence de les enfermer dans ce même milieu99.
A. Codes esthétiques
Codes de langage
« Il m’explique l’essence du spectacle. Je n’y comprends rien… Il me réexplique, je ne comprends
toujours pas. Il parle avec des termes hyper littéraires, abstraits... Il m’explique le tout avec ses
mots à lui, avec sa propre perception du spectacle, avec ce que lui a ressenti. Bref, difficile à suivre.
Mais s’il dit que j’aimerais sûrement alors… »
Extrait de mon journal de terrain, après une discussion avec F. sur un spectacle d’amis à lui qu’il
me conseille d’aller voir, le 13 février 2016
Etudier le discours par les mots employés pour parler du théâtre et de la médiation
culturelle m’a paru essentiel pour comprendre la croyance. En effet, il semble que le rôle du
langage soit particulièrement important dans la détermination de la valeur des biens
culturels100. Et la capacité de « bien parler », qualifiée de « langue d’idées » par Pierre
Bourdieu et Jean-Claude Passeron101, est, selon eux, une aptitude très discriminante, parce
qu’elle serait un obstacle culturel et une source d’inégalités scolaires. En effet, le milieu
social déterminerait en grande partie le niveau de langage des enfants, et fonderait dans le
même temps les choix de scolarité et de pratiques/activités culturelles des enfants. De plus,
99
BOURDIEU Pierre, Langage et pouvoir symbolique, Ed. Fayard, 2001, p.60
BOURDIEU Pierre, « La production de la croyance [contribution à une économie des biens
symboliques] », Actes de la recherche en Sciences sociales, vol. 13, n°1, p.3-43, 1977
101
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, Les héritiers : les étudiants et la culture, Editions de
Minuit, Coll. Sens Commun, 1964, 192 p.
100
53
si les goûts en matière de culture dépendent de notre appartenance à un groupe social 102, le
fait de parler de théâtre et la façon dont on en parle, sont forcément orientés socialement.
Cette volonté de décoder un discours m’est également venue de mes propres
observations au Théâtre Gérard Philipe :
« Il semble qu’il existe une sorte de code pour bien parler le théâtre. Utilisation de mots tels que
‘juste’, ‘cohérent’, ‘esthétiquement bien mené’, etc etc. On fait tous comme si on comprenait. Ce
sont des mots très subjectifs, et je suis sûre qu’on en a chacun notre propre interprétation. Mais je
sens qu’on ne peut pas s’insérer dans ce milieu sans connaître ce vocabulaire. Et d’ailleurs je
commence à l’utiliser moi aussi… Si je ne devais pas faire ce travail de réflexivité, je ne m’en
rendrais même plus compte. Malgré tout je peux pas m’empêcher d’imaginer mes parents, mes amis,
dans un moment comme celui-là. Je suis sûre qu’ils nous prendraient pour des fous. »
Extraits de mon journal de terrain, le 21 mars 2016, après la présentation de la saison 16-17 devant
l’équipe, par le directeur du TGP.
En effet, plus j’avançais dans mon stage, plus je me rendais compte que j’utilisais de
nouvelles expressions pour parler de théâtre. « C’est juste », « c’est cohérent », « c’est fort »,
« c’est bien mené », « c’est très poétique » sont des expressions détournées d’un vocabulaire
assez courant pour qualifier une pièce de théâtre. Elles sont toutes très subjectives, et sont
impossibles à définir. Quand on utilise une expression de la sorte, on assume que la personne
en face la comprendra puisqu’elles ne se réfèrent à aucun critère de jugement objectif. Si la
personne en face objectait, il serait presque impossible de justifier l’utilisation de ces termes.
Je rejoins ici l’idée de Vincent Dubois, qui parle de la capacité des étudiants en formations
culturelles à former un discours sur eux-mêmes, sur leurs motivations et sur leurs parcours103
en essayant d’aller un peu plus loin dans l’analyse pour dire que ces mêmes étudiants, ont
été formés – et socialisés – à parler d’art de la manière la plus légitime possible.
L’essence de la croyance dans les bienfaits du théâtre sur les publics se fonde donc
sur une idée du théâtre, et une façon de le parler, qui est subjective. Par ailleurs, même si le
jugement sur un spectacle en particulier peut différer selon les personnes qui l’ont vu, on
observe quand même une homogénéisation des goûts en matière de « genre » théâtral dans
une institution culturelle telle que le TGP, et surtout, une harmonisation de ce que signifie
la « qualité artistique ». Par exemple, la comédie de boulevard n’est pas un genre de théâtre
qui rentre, selon les dires des enquêtés, dans les critères d’une « bonne qualité artistique ».
102
Op.cit. BOURDIEU Pierre, La distinction, Critique sociale du jugement
DUBOIS Vincent, La culture comme vocation, Ed. Raisons d’agir, Coll. « Cours & Travaux », 2013,
p.104
103
54
Elle devrait plutôt être qualifiée, d’après eux, de « divertissement » voire de « diversion »104.
Ces goûts en matière de théâtre, qui sont donc dépendants de l’origine sociale des
professionnels de la culture et de l’influence de leurs pairs, vont influer sur les actions
artistiques de médiation culturelle menées au sein d’un théâtre.
Une « sensibilité esthétique »105
Pour continuer sur la subjectivité d’un certain rapport au théâtre, il me paraît
important de souligner le rapport à l’affect. Selon Vincent Dubois, les étudiants en filière
culturelle privilégient la volonté d’être « eux-mêmes » au travail, la sensibilité, la
découverte, plutôt que la rémunération et les conditions d’emploi106. Le discours relatif à
l’émotion, à la « sensibilité esthétique », revient beaucoup dans les entretiens menés avec
les enquêtés :
« Il y a deux choses [que j’aime dans le théâtre], une qui peut s’appliquer à tous les
arts mais bon... voilà j’ai une sensibilité artistique, ya quelque chose qui me touche
enfin qui touche à l’émotion… » (D. le 4/07/2016),
« [c’est] un mélange entre de la théorie et de la poésie, c’est un endroit de rencontre
entre de la réflexion et de la construction, et un lâcher-prise poétique. C’est un
endroit où…c’est une fontaine… je m’alimente. En représentations, je m’alimente
en énergie, vraiment, j’ai l’impression d’être une voiture électrique qu’on doit
remplir pour continuer de pouvoir avancer dans ce monde. » (F. le 29/07/2016),
« Je me souviens avoir vu un jour un Cyranno de Bergerac mis en scène par Julie B.
qui n’est pas un grand metteur en scène et qui n’est pas quelqu’un que j’aime
beaucoup, mais qui par le texte m’a complètement transportée et je me suis rendu
compte ‘c’est mon texte préféré’ et je sais pourquoi les textes me font jubiler, parce
que les mots peuvent être une source de jeu et de plaisir incroyable » (L. le
5/07/2016).
Les émotions que le théâtre procure arrivaient en premier quand je demandais à mes enquêtés
ce qu’ils aimaient dans le théâtre. Néanmoins, comme le dénoncent Pierre Bourdieu et Alain
Darbel, la capacité d’un individu à appréhender et à apprécier une œuvre d’art dépend de ses
dispositions sociales107. Leur démarche sociologique vient s’opposer à une idéologie qui
pose l’expérience de l’œuvre d’art comme une « affection » du cœur. Pour eux, la capacité
« Pour moi le théâtre c’est pas du divertissement, divertir pour moi c’est détourner, tu sais divertir, la
diversion c’est détourner les gens de l’essentiel. Et pour moi le divertissement ça existe, les gens peut-être en
ont besoin mais c’est pas l’endroit où les théâtres comme ceux-là [les théâtres publics] doivent être. »
Extrait de l’entretien mené avec D., responsable de l’action artistique au TGP, le 4 juillet 2016
105
Op.cit. URFALINO Philippe, L’invention de la politique culturelle, p.48
106
Op.cit. DUBOIS Vincent, p.167
107
BOURDIEU Pierre et DARBEL Alain (en collaboration avec Dominique SCHNAPPER), L’amour de
l’art : les musées d’art européens et leur public, Editions de Minuit, 1971
104
55
de pouvoir ressentir les effets de l’art sur soi-même est donc le fruit d’une construction
sociale, et n’a rien de naturel.
Cette théorie se différencie entièrement de celle de la démocratisation culturelle d’André
Malraux qui considérait que la sensibilité est la « faculté invoquée parce que la
communication entre les œuvres et les hommes a pour support des sentiments et le partage
d’expériences humaines universelles, comme l’amour et la mort, que l’œuvre exprime et que
les hommes retrouvent en eux par sa révélation. L’homme est sensible à l’art par le
cœur. »108. Le premier ministre de la Culture cultivait la sensibilité artistique comme outil
de médiation, en niant les différences de rapport à l’art induites par les origines sociales. Or,
malgré l’importante littérature de sociologie de la culture et de l’art, cette vision de l’art est
encore prégnante dans les institutions culturelles publiques. La capacité de l’art à émouvoir
est supposée universelle.
« Les œuvres ont une plus grande puissance, elles ont plus de résonnance dès lors
que tu les agis à proximité de gens qui en sont éloignés, qui ne sont pas habitués à
ce type de langage, donc ça... c’est le regard des spectateurs qui fait vivre les œuvres,
c’est une boucle qui se tisse entre d’un côté donner la force des œuvres, faire en sorte
qu’elles soient le plus puissantes possible dans ce monde, et d’un autre côté, activer
la pompe sociale en se disant qu’effectivement il peut y avoir des bienfaits sur les
publics et que ça peut changer des vies, et que ça peut ouvrir des sensibilités,
permettre à des gens de se rendre compte qu’ils sont en train de faire si ce n’est des
erreurs, mais en tout cas en train de se carapater. » (F., le 29/07/2016)
B. La représentation des terrains d’action artistique
Le choix des actions de médiation
Les choix de populations et de quartiers ciblés par les actions de médiation est un
élément qui m’intéressait dans mes recherches, puisqu’ils induisent un certain rapport à la
médiation culturelle. J’ai donc demandé à mes enquêtés lors des entretiens comment ils
procédaient. Tous les trois m’ont répondu que les actions de médiation se mettaient en place
en fonction des relations avec les partenaires. En effet, presque toutes les actions de
médiation mises en place par le TGP passent par des relais. Ils sont professeurs, proviseurs,
directeurs de maisons de quartiers, présidents d’associations locales, animateurs socioculturels… Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les choix de populations/quartiers
108
Op.cit. URFALINO Philipe, p.49
56
émanent souvent de ces relais qui font appel aux médiateurs du TGP pour élaborer des
actions de médiation communes. Au fil de son inscription sur le territoire, le Théâtre Gérard
Philipe a noué beaucoup de liens avec les acteurs locaux (de Saint-Denis et des villes
alentours en Seine-Saint-Denis).
« Souvent c’est des allers-retours parce qu’on est quand même pas mal sollicités par
les profs, les enseignants, donc… par exemple là on va travailler avec l’atelier relais
du collège de Geyter donc c’est des élèves qui sont sortis du collège pour un temps,
pour essayer de les rescolariser... On avait travaillé avec eux il y a plusieurs années,
je pense que c’est une demande de leur part, et puis on a pu travailler avec eux encore
et là à nouveau on a eu une demande. C’est venu d’eux. » (D. le 4/07/2016).
Si les demandes ne viennent pas des relais, certains quartiers de Saint-Denis sont favorisés
dans l’élaboration d’actions pour la longévité des relations tissées et la connaissance de la
vie du quartier :
« Ca se fait surtout par la rencontre plutôt que sur le terrain. On sait qu’à Saint-Denis
il y a plein de quartiers, et il y en a pour qui comme le Franc-Moisin ou Floréal, pour
qui ça marche bien parce que c’est un peu historique parce qu’il s’y passe des choses
et que c’est plus facile de pérenniser des choses quand elles sont déjà construites. »
(L. le 5/07/2016).
Par ailleurs, il semble que ces choix soient également effectués en fonction de
l’affinité avec les partenaires. En fonction de la « rencontre », comme énoncé dans la citation
précédente de L. Cet élément est intéressant puisqu’il montre bien que les choix de quartiers
et de populations pour les actions à mener peuvent être subjectifs, car dans l’affectif. Il est
d’ailleurs assez fréquent que les partenaires-relais finissent par être amis avec les médiateurs
du TGP. Comme nous l’avons vu précédemment, les médiateurs sont assez autonomes dans
la définition de leurs missions, et tous les médiateurs ne font pas le même travail. Ainsi, en
fonction des personnalités de chacun, ils ne nouent pas les mêmes relations et ne travaillent
pas avec les mêmes partenaires. Il en est d’ailleurs de même pour la définition propre des
actions : en fonction de l’affinité de tel médiateur avec tel ou tel spectacle ou avec tel ou tel
artiste, ils déterminent une action à mener.
Il convient de rappeler que les médiateurs culturels du TGP méconnaissent sûrement
toute la vie et toutes les formes de cultures de ces quartiers puisqu’aucun n’y habite (D. et
F. habitent dans le 18ème arrondissement de Paris, et L. dans une ville au sud de Paris). Ils
pourraient alors, en voulant redistribuer la culture de manière équitable dans les quartiers
sensibles voire « prioritaires » (comme définis par l’action publique), procéder à une
57
« discrimination positive territoriale »109, dénoncée dans l’ouvrage de Philippe Chaudoir et
Jacques de Maillard à travers le cadre de la politique de la ville, mais qui peut également
s’appliquer dans ce contexte. Alors même que le but de ces actions est de permettre l’accès
de tous à la culture et à la pratique culturelle, elles pourraient procéder à une sorte de
« stigmatisation » des quartiers ciblés.
Une question de « goûts »
En partant du postulat qu’en fonction des classes sociales, les gens n’ont pas les
mêmes pratiques culturelles110 et n’aiment pas le même genre de théâtre [comme observé
dans une enquête des publics du TGP à laquelle j’ai participé au cours de mon stage en
distribuant des questionnaires et en transcrivant les résultats sur un logiciel de saisie111], les
actions de médiation culturelle, puisqu’elles s’orientent vers un public dit « éloigné » de la
culture (sous-entendue de la culture soutenue par les partenaires publics), doivent être
pensées pour s’adapter à un public qui n’a ni les mêmes pratiques ni les mêmes goûts en
matière de culture. En effet, à Saint-Denis, la population vers laquelle s’orientent les actions
de médiation culturelle est une population qui majoritairement n’irait pas au théâtre d’ellemême.
« Mais c’est pas notre public qui viendrait [au théâtre privé], c’est pas les gens de
Saint-Denis qui vont voir du théâtre privé, en fait je pense qu’ils ont des complexités
économiques et sociales telles que…, et même si la chose qu’on entend le plus
souvent c’est ‘on a besoin de rire au théâtre’ et ça on l’entend très bien, on ne fait
pas que des choses morbides au TGP, mais je pense que les habitants de Saint-Denis,
ce ne sont pas des gens qui vont plus au théâtre Edouard je sais pas quoi ou au théâtre
des Champs Elysées, c’est des gens qui ont besoin qu’on les accompagne quoiqu’il
arrive. Qui ont besoin de médiation de toute façon, et qui ne vont pas pousser plus
les portes d’un théâtre parisien (et encore faut-il qu’ils aillent à Paris) que notre
théâtre à nous, il suffit juste de les accueillir, de les accompagner et de leur expliquer
ce qu’ils vont voir. » (LG le 5/07/2016).
CHAUDOIR Philippe et DE MAILLARD Jacques, Culture et politique de la ville, Editions de l’Aube,
2004
110
DONNAT Olivier, Les pratiques culturelles des français à l’ère numérique, Enquête 2008, Ed. La
découverte, Ministère de la Culture et de la Communication, 2008
111
Enquête menée conjointement par le TGP et la sociologue de la ville de Saint-Denis, Christine Bellavoine,
en février/mars 2016. Les résultats de cette enquête ne sont pas encore exploités mais j’ai pu en voir se dessiner
les grandes tendances en questionnant le public moi-même, et en retranscrivant les résultats. Les réponses aux
questions « Quel métier exercez-vous/avez-vous exercé ? », « Quelles études avez-vous fait ? » « Où habitezvous ? », croisées avec celles aux questions « A quelle fréquence venez-vous voir des spectacles de théâtre ? »,
« Quel(s) type(s) de spectacles préférez-vous aller voir ? », « Quel est le théâtre dont vous vous sentez le plus
proche ? » me permettent d’énoncer cet argument.
109
58
La population vers laquelle s’orientent les actions est principalement issue des quartiers dits
« sensibles » de la ville, dans lesquels l’accès à la culture est très limité.
Néanmoins, agir comme si ces quartiers étaient en « manque » d’une certaine culture,
consiste à nier les nouvelles formes d’expression culturelle (graffiti, rap, danse hip-hop…),
revient à penser qu’il n’existe qu’une seule culture qui soit véritablement légitime, et ainsi à
exercer un jugement de goût, défini, selon Jean Caune, comme le fait d’exercer des « critères
d’évaluation dérivés de la culture légitime, qui ne sont pas adaptés aux objets de la culture
de masse »112. Le jugement de goût serait, d’après lui, une manière de critiquer la culture de
masse, qui deviendrait une forme dégradée de la culture.
Vers une hiérarchisation des cultures ?
Le jugement de goût et le processus de catégorisation des quartiers et des populations
cibles des actions de médiation peuvent induire une certaine hiérarchisation des cultures.
Entre la culture légitime, soutenue par la politique culturelle de l’Etat, et la culture de masse
des classes les plus populaires, dont les logiques de production et de diffusion de la culture
deviennent massives113, la bonne « qualité artistique » est vite dessinée.
Même si les actions de médiation ne sont pas pensées en termes de
démocratisation/démocratie culturelle, ce rapport aux quartiers cibles d’action artistique peut
parfois laisser penser que la démocratisation d’une culture légitime est favorisée dans les
actions de médiation : on fait venir un public dit « éloigné » de la culture au théâtre dans
lequel les spectacles sont programmés par des professionnels de la culture qui partagent la
même vision de l’art, on l’initie par la pratique avec la présence d’artistes-guides (ayant euxmêmes leurs propres visions de ce que doit être l’art)… On privilégie donc la
démocratisation d’une culture choisie par les artistes et les professionnels de la culture.
Cette façon de faire de la médiation n’est pas assumée comme telle par les médiateurs
du TGP, qui considèrent au contraire, permettre l’épanouissement de ces populations par la
découverte d’un art qui les confronte à de nouveaux rapports au monde. Seule L.,
112
CAUNE Jean, La démocratisation culturelle, une médiation à bout de souffle, Grenoble, Presses
universitaires de Grenoble, coll. Arts et culture, 2006, 205 p.
113
Ibid.
59
responsable des relations avec les publics au TGP, a eu un discours peut-être plus réaliste
par rapport à ce qu’on pourrait qualifier de « hiérarchisation des cultures » :
« Ben il faut pas qu’on se mente, on en parlait justement pendant les journées
d’orientation culturelle. Le fait qu’on soit une institution culturelle, il y a de fait une
hiérarchisation. Elle existe, même si on veut la masquer etc, elle existe, par les
moyens qu’on a, par les financements… » (L. le 5/07/2016).
Néanmoins, même si elles sont largement minoritaires, nous verrons un peu plus tard qu’il
existe aussi, aujourd’hui, des formes de médiation culturelle qui relèvent plus de l’expression
des populations locales.
Dans cette deuxième partie, nous avons donc esquissé les représentations que se font
les médiateurs du TGP de la médiation culturelle et des bienfaits du théâtre, qui induisent
différentes manières de concevoir les territoires sur lesquels ils construisent les actions de
médiation. Il me semblait en effet important d’étudier la subjectivité des mots utilisés par les
médiateurs, qui participent à la légitimation de la médiation culturelle.
Pour comprendre d’où vient leur croyance dans les bienfaits du théâtre sur les
publics, et leur rapport au théâtre et à la médiation culturelle, nous allons maintenant nous
intéresser à une étude plus approfondie des entretiens menés avec les médiateurs du TGP. A
travers l’analyse de leurs origines sociales, de leur parcours scolaire, et de leurs motivations
à exercer ce métier, il s’agit dans une troisième partie d’identifier les conditions dans
lesquelles s’inscrivent leurs aspirations et leurs trajectoires, et donc d’analyser le « travail
de la vocation »114.
114
SUAUD Charles, « Contribution à une sociologie de la vocation : destin religieux et projet scolaire »,
Revue française de sociologie, vol.15, n°1, 1974, p.75
60
PARTIE 3 : Socialisation(s) et vocation(s) des médiateurs du Théâtre
Gérard Philipe : aux origines de la croyance
Au fil de mon intégration au Théâtre Gérard Philipe, je me suis rendu compte que
l’acquisition d’un nouveau langage pour parler le théâtre, que mes nouvelles motivations à
croire dans la médiation culturelle comme le seul moyen « moral » de gérer les inégalités
devant l’accès à la culture en France, n’avaient rien de naturel, mais qu’elles étaient au
contraire le fruit d’une socialisation intense aux codes du « champ culturel » (pour reprendre
les termes de Pierre Bourdieu). J’ai donc souhaité m’intéresser de manière un peu plus
approfondie aux origines sociales des médiateurs, qui les poussent aujourd’hui à exiger la
qualité artistique, tout en souhaitant l’amener vers les publics qui en sont jugés « éloignés ».
Il me semblait donc important ici d’inclure une étude de ma propre expérience au
sein du service des relations avec les publics du Théâtre Gérard Philipe, puisqu’au travers
de mes lectures et des entretiens menés avec les médiateurs, je me suis souvent surprise à
reconnaître des éléments de mon environnement et de ma propre construction sociale. Pour
cela, j’ai inséré dans cette partie des extraits de mon journal de terrain, qui se rapportent plus
à des ressentis qu’à des observations.
Pour comprendre d’où viennent leur croyance dans les bienfaits du théâtre sur les
publics, et leur rapport au théâtre et à la médiation culturelle, nous allons maintenant nous
intéresser à une étude plus approfondie des entretiens avec les médiateurs du TGP. Dans un
premier temps, il s’agira de dessiner leur profil sociologique en s’intéressant à leur
socialisation culturelle et à leur parcours scolaire, puis de nous intéresser à la transformation
de ces conditions sociales en motivations à exercer ce métier, qui le rendent « vocationnel ».
I.
Socialisation culturelle et capital scolaire
« La socialisation désigne les mécanismes de transmission de la culture ainsi que la
manière dont les individus reçoivent cette transmission et intériorisent les valeurs,
les normes et les rôles qui régissent le fonctionnement de la vie sociale. »115
115
CASTRA Michel « Socialisation », In Paugam Serge (dir.), Les 100 mots de la sociologie, Paris, Presses
universitaires de France, coll. « Que Sais-Je ? », p. 97-98
61
Puisque, nous l’avons vu, le rapport à la culture et à l’art semble être induit par
l’appartenance à un groupe social (la manière d’en parler, de le ressentir, de l’apprécier…),
il convient ici de s’attarder sur les origines sociales de nos enquêtés afin d’essayer
d’entrevoir les raisons pour lesquelles ils s’intéressent autant au théâtre, et pour lesquelles
ils cultivent une croyance pour la médiation culturelle. Nous nous intéresserons tout d’abord
à leur socialisation, en mettant en avant la socialisation culturelle qu’ils semblent avoir reçue
pendant leur enfance. Puis, nous nous attacherons à leurs parcours scolaires pour entrevoir
l’importance qui a été donnée au capital scolaire dans la vie de nos enquêtés.
A. Une socialisation culturelle
Le capital culturel, qui désigne l’ensemble des ressources culturelles détenues par un
individu et qu’il peut mobiliser, est celui dont nous allons le plus nous intéresser ici étant
donné la nature de la profession de nos enquêtés. Selon Pierre Bourdieu, le capital culturel,
existerait sous trois formes « à l’état incorporé » (dispositions durables de l’organisme
comme la docilité, la disposition à se laisser instruire), « à l’état objectivé » (biens culturels :
bibiliothèques, discothèques…) et « à l’état institutionnalisé » (les titres et diplômes
scolaires)116.
La famille est considérée comme une instance privilégiée de la socialisation
culturelle : elle instaure dès l’enfance un rapport à la culture par l’acquisition d’instruments
qui rendent possible la familiarité avec les œuvres d’art117. C’est la famille qui, en premier
lieu de la socialisation, participe à la construction de l’habitus (« ensemble de dispositions
incorporées et principe générateur de pratiques »118, qui désigne des manières d’être, de
penser et de faire, issues de l’incorporation non consciente des normes et pratiques
véhiculées par le groupe d’appartenance sociale et qui est générateur des pratiques sociales
et culturelles de chaque individu119). Il est donc important d’étudier ici, les origines
familiales de nos enquêtés, pour essayer d’entrevoir la part du capital culturel inculqué par
les familles (et principalement les parents) qui expliquerait leur passion pour l’art, et le
théâtre en particulier, et leur « vocation » pour la médiation culturelle.
116
MAUGER Gérard, « Capital culturel et reproduction sociale », Sciences Humaines, Hors-série n°36, mars
2002
117
FLEURY Laurent, Sociologie de la culture et des pratiques culturelles, Ed. Armand Collin, 2006, p.54
118
LAHIRE Bernard, Le travail sociologique de Pierre Bourdieu, Ed. La Découverte, 1999
119
Op.cit. BOURDIEU Pierre, La distinction, Critique sociale du jugement
62
Une reproduction professionnelle incertaine…
La première chose qui m’a semblé intéressante de relever dans les entretiens que j’ai
menés avec les médiateurs du TGP concernant leurs origines familiales, est le fait qu’aucun
des parents des enquêtés n’a travaillé dans le milieu culturel. Aucun des trois médiateurs n’a
donc suivi la voie de ses parents, perpétuant un schéma familial, et exerçant une reproduction
professionnelle. « Mon père avait une entreprise d’électricité et ma mère était responsable
administrative et financière » m’a confié L., précisant que son père était donc artisan, et sa
mère cadre. Quant aux parents de D., sa mère était infirmière avant d’avoir ses deux enfants
et de devenir femme au foyer, et son père « chef du personnel dans une entreprise, il était
dans les ressources humaines ». Les parents de F. étaient « fonctionnaires tous les deux » :
« mon père était directeur d’une école primaire et ma mère était infirmière ». Sans pour
autant avoir grandi dans des familles à très forts capitaux économique et social, on pourrait
situer les familles des trois médiateurs du TGP dans la classe moyenne élevée. Ils ont tous
les trois grandi dans des milieux péri-urbains, plus « campagne » que ville : « c’était des
petites maisons de lotissement, avec des jardins » (F. le 29/07/2016), « Je suis née à
Besançon et après deux ans, mes parents se sont installés dans le nord, dans un petit bled.
J’ai vécu dans un environnement plutôt…campagne quoi. » (D. le 4/07/2016). « Dans un
petit village à côté de Tours, à 10 minutes du centre-ville » (L. le 5/07/2016).
Même si, à la simple étude des professions de leurs parents, nos enquêtés ne semblent
pas avoir été prédestinés à exercer dans le milieu culturel, nous pouvons quand même
remarquer une certaine prédominance des milieux professionnels de la santé et du social, au
moins pour D. et F., dont les parents étaient d’un côté, infirmière et responsable des
ressources humaines, et de l’autre, infirmière et directeur d’une école primaire. Pour Vincent
Dubois120, l’enseignement, la santé et le social sont des corps de métier assez représentatifs
des parents des étudiants en filière culturelle. Ils permettraient en effet « des dispositions
intellectuelles, et plus largement culturelles, qui peuvent favoriser l’orientation vers les
métiers de la culture »121, ou tout simplement, qui contribuent à faire que la culture soit un
environnement professionnel envisageable. Nous reviendrons un peu plus tard sur cette
acception.
120
121
Op.cit. DUBOIS Vincent, p.76
Ibid. p.76
63
…mais une forte ouverture à l’art et à la culture
Malgré une non-transmission professionnelle (ni le même métier, ni le même milieu
que les parents), j’ai découvert au fil de mes entretiens, que les parents de mes enquêtés
avaient fortement participé à leur ouverture à la culture et à la pratique artistique : tous les
trois m’ont avoué avoir effectué des sorties culturelles en famille. F. allait « souvent » voir
des concerts et au musée avec sa famille, « mes parents m’amenaient beaucoup à l’opéra
aussi ». Pour L., les sorties culturelles étaient régulières :
« Ben déjà moi je faisais beaucoup de danse donc on allait souvent au centre
chorégraphique et puis oui quand même on venait souvent à Paris et à chaque fois
on faisait un musée...oui quand même. C’était pas mensuel mais c’était régulier, on
allait voir des concerts etc. ».
Quant à D. :
« Il y avait de la culture à la maison notamment le cinéma, je ne me souviens
beaucoup de ça parce que mes parents avaient acheté un magnétoscope, et ils
passaient beaucoup de films, c’était vraiment le moment où il y avait beaucoup de
films à la télé, donc du cinéma un peu « classique » quand on était petit. – Et vous
alliez au théâtre un peu ? - Alors en fait on allait pas mal au théâtre mais c’était plutôt
quand on était plus grands et c’était plutôt sous l’impulsion de mon frère. ».
Par ailleurs, pour F. et L., les activités artistiques ont été un élément très important
de leur enfance, qui a fortement façonné leur vision de l’enseignement artistique aujourd’hui.
Selon Vincent Dubois, 85% des étudiants en master administration culturelle interrogés pour
son étude ont suivi pendant leur vie un enseignement artistique122. Suite à nos discussions
informelles, je savais que F. avait fait partie d’une chorale d’enfants, pour laquelle il avait
beaucoup tourné en France. Pendant l’entretien il a ajouté :
« Très vite je suis rentré à 7 ans dans une école de musique, on faisait des concerts
toutes les semaines, on chantait toutes les semaines ou je faisais des concerts de
piano, de clavecin, d’orgue… […] J’ai aussi fait une année de danse classique quand
j’avais 5-6 ans, c’était une catastrophe… (rires) et euh... voilà, et sinon non, c’était
essentiellement beaucoup de musique, mais tu vois au moins 3-4 jours par
semaine… ! ».
L. m’avait également confié avoir passé de nombreuses années au conservatoire de danse
(10 ans), elle avait d’ailleurs longtemps voulu être danseuse. Elle a également fait un peu de
théâtre « Le théâtre, c’était avec un ami de ma prof de danse et j’ai dû en faire 4 ans, entre
11 et 15 ans à peu près ». Quant à D., sa pratique artistique a été plus tardive :
122
Op.cit., DUBOIS Vincent, p.83
64
« Non, pas quand j’étais enfant, j’ai voulu faire de la musique mais…je voulais faire
de la guitare et puis…(rires) ma mère m’a accompagnée et ça a capoté. […] j’ai pas
du tout fait de musique à l’époque, j’en ai fait plus tard. […] Quand j’étais à Sciences
Po j’ai fait du théâtre, j’ai rejoint la troupe, en fait il y a un gars de ma promo qui a
lancé une troupe et je suis rentrée dedans, j’en ai fait deux ans de suite ».
En plus d’avoir permis de les ouvrir à la culture, les trois médiateurs reconnaissent
les bienfaits de la pratique sur leur développement personnel. D. nous explique que la
pratique du théâtre lui a fait « énormément de bien » pour s’ « ouvrir aux autres ». Elle nous
confie en effet avoir été une enfant très renfermée, et dont le théâtre a permis un changement
: « Ouais hyper renfermée, et je me souviens même en famille, ça s’est senti qu’il y avait
quelque chose qui s’était…je sais pas, qui avait changé ». « Mon premier souvenir de théâtre
ou de danse… de danse je dirai c’est quand moi j’ai dansé, je devais avoir 6 ans, devant 200300 parents, etc, c’était incroyable pour nous » (F. le 29/07/2016).
Influences familiales
En analysant les entretiens, j’ai constaté qu’au moins un membre de la famille de
chaque médiateur l’avait fortement influencé à se lancer sur la voie de la culture. Même si
les trois enquêtés m’ont déclaré avoir choisi la filière culturelle de manière autonome (nous
reviendrons un peu plus tard sur cet aspect de leurs parcours), au moins un membre de leur
famille semble avoir été à l’origine de leur passion, soit par sa propre pratique artistique, soit
par son soutien à pratiquer un art.
Pour F., il semblerait que ce soit son père, directeur d’une école primaire, qui ait
fortement participé à sa culture artistique. Seul instituteur d’une petite école, il donnait luimême les classes de théâtre aux élèves, ainsi qu’aux parents d’élèves :
« J’ai des souvenirs de kermesses, très anciens si tu veux, parce que dès ma naissance
j’allais à des kermesses, mon père faisait des ateliers de théâtre aux gamins, des très
beaux spectacles, et il faisait des ateliers de théâtre avec des parents de l’école. Et du
coup les jours de kermesses il y avait les spectacles de gamins le jour et des parents
le soir. Là j’ai des souvenirs très anciens, j’avais 2-3 ans… ».
Quant à L., c’est sa mère qui l’a poussée à faire de la danse :
« En fait c’est ma mère qui trouvait que la danse c’était super, elle nous a inscrites,
on a essayé et on a aimé quoi. Mais c’était assez orienté si tu veux… J’avais pas
d’idée sur ce que je voulais faire et en gros elle nous a proposé ça et ma sœur m’a
suivie derrière. - Et tu penses que c’était dû à quoi ? - Ben en fait concrètement ma
mère elle avait toujours voulu faire de la danse, elle en avait jamais fait et donc voilà.
Le fameux truc familial quoi... ».
65
Sa sœur, même si un peu plus jeune qu’elle, pourrait également avoir joué un rôle d’influence
sur son parcours professionnel. Après avoir fait le conservatoire, elle est rentrée dans une
grande école de danse à Londres et est aujourd’hui danseuse professionnelle.
Pendant tout le début de l’entretien, D. ne m’a fait aucune allusion à l’un de ses
parents qui aurait pu l’influencer dans son choix de s’orienter vers la culture, pourtant, au
bout d’un petit moment, elle s’est rappelée du rêve de sa mère d’avoir voulu, plus jeune,
être comédienne :
« Oui voilà quand il vivait à Paris et même ma mère a vécu à Paris mais elle c’était
moins théâtre quoique NON en fait, ma mère en fait (tu vois j’oublie) mais elle a
toujours voulu faire du théâtre. […] c’est à partir du moment où nous on a commencé
à s’y intéresser qu’elle nous a raconté tout ça peut-être qu’avant c’était pas remonté
si tu veux mais en fait je sais aujourd’hui qu’elle a toujours voulu faire du théâtre
qu’elle en avait parlé à son père mais qu’il n’a jamais voulu ».
Il semble que son grand frère ait également eu une forte influence sur elle :
« - Et du coup toi comment t’as découvert le théâtre ? - Ben moi en fait par mon frère
qui le premier s’est passionné vraiment pour ça. Lui d’emblée il était plus intéressé
par les sciences humaines, l’histoire beaucoup l’histoire, l’histoire de l’art et la philo
et tout ça. Et donc je sais pas il a découvert le théâtre un peu tout seul […] il a rejoint
le Théâtre du Soleil il avait 21 ans […] et il a été embauché vraiment deux ans après
au bureau. Mais du coup il a pas fini ses études il a qu’une licence enfin voilà. - Et
il fait quoi maintenant du coup ? - Ben maintenant il est co-directeur - Ah ouais
quand même ! - Il a commencé au bureau ensuite il est devenu l’assistant d’Ariane
Mnouchkine ».
Le soutien dans l’orientation
Le choix de s’orienter vers cette filière professionnelle semble avoir recueilli, sinon
un soutien, au moins une approbation de la part des parents des enquêtés. Pourtant, le secteur
de la culture est bien connu pour ne pas être celui qui est le plus prolifique : embauche
difficile, salaires relativement peu élevés, forte importance du réseau… Pour lui, F. a fait
son chemin tout seul :
« Ben ils m’ont laissé tout gérer. Ils m’ont mis sur la voie musicale, enfin ils ont
entendu mon désir de musique, clairement orienté par leur mélomanie, et derrière
j’ai tout fait tout seul, mes choix, ils m’ont accompagné en m’aidant financièrement
au début de mes études mais je me revois en 1ère ou en term voir une annonce dans
Télérama parlant de médiation et je me suis dit que c’était ce que je voulais faire […]
tu vois mon père il a pas fait d’études pour être instit, premier poste il était directeur
d’une petite école dans l’arrière-pays niçois, et ma mère ben elle a fait l’école
d’infirmière.. mais à part leur parcours ils n’ont pas de culture de qu’est-ce que c’est
les études, etc ».
66
Pour D. et L., si leurs parents les ont soutenues dans le choix de s’orienter vers cette
filières, elles confient que c’est parce qu’elles étaient « sérieuses » :
« Ils m’ont toujours fait confiance même si je pense que mon père a eu très peur
parce qu’il est très rationnel, très cartésien et il lui faut des choses rassurantes quoi…
du coup comme le milieu de la culture c’est pas le milieu le plus rassurant, mais
quand ils ont compris que j’avais un CDI déjà ils étaient rassurés. » (L. le 5/07/2016).
« Enfin moi en même temps j’ai eu un chemin très sérieux d’une certaine manière,
j’ai fait des études supérieures - Et puis dans une bonne école (rires complices) - Oui
voilà une bonne école donc il n’y avait pas d’inquiétude de ce côté-là et puis je n’ai
pas choisi la précarité enfin je ne suis pas intermittente, je ne vais bosser que dans
des structures institutionnelles... c’est ça aussi je pense » (D. le 4/07/2016).
Le choix d’un métier « stable », en comparaison avec l’intermittence du spectacle par
exemple, et le fait d’avoir obtenu un CDI, semblent donc avoir été des arguments pour
rassurer les parents de D. et L.
Ainsi, les parents des trois médiateurs du TGP les ont très tôt habitués à parler de culture,
à effectuer des sorties culturelles et à fréquenter des lieux culturels. Il semble également que,
même si aucun ne travaille dans le milieu culturel, au moins un membre de leur famille avait
un attachement à l’art, qui a sans doute influencé nos enquêtés vers cette voie, et qui les a
fait se sentir soutenus à s’insérer et à poursuivre dans ce milieu professionnel.
B. L’importance donnée à l’école
Selon Vincent Dubois, pour les personnes travaillant dans les milieux de
l’enseignement, de la santé et du social, le capital scolaire est très important, soit parce que
les positions occupées nécessitent un niveau de diplôme élevé (médecins, enseignants du
secondaire…), soit parce que le capital scolaire prime sur le capital économique dans le
volume global du capital détenu (infirmiers, travailleurs sociaux, enseignants du
primaire…)123. On observe donc, dans ces métiers, une valorisation de l’école qui favorise
des dispositions intellectuelles, et même culturelles, qui peuvent permettre l’orientation vers
des métiers du secteur culturel. Par ailleurs, toujours selon Vincent Dubois, les étudiants en
filière culturelle disposent majoritairement d’un fort capital scolaire : 80% d’entre eux
auraient eu leur bac à l’âge normal voire avec un an d’avance, contre 62% dans la moyenne
123
Op.cit. DUBOIS Vincent, p.76
67
nationale.124 Pour nos enquêtés, l’école a été un véritable moteur de leur passion pour l’art.
Pendant nos entretiens, ils en ont parlé avec beaucoup d’émotion.
L’école « révélatrice »
Dans un premier temps, j’ai remarqué que l’école, et les professeurs, avaient été des
« révélateurs » de leur amour du théâtre. Pour F., cela passe par les kermesses annuelles, qui,
plus que sa passion pour le théâtre, lui ont donné la passion de « l’art, l’organisation, les
rassemblements, tout ça. Les kermesses c’était vraiment très important pour moi, d’année en
année c’était très important ». Ses premiers souvenirs de théâtre correspondent aux
spectacles organisés à l’école pour les kermesses : « Oui j’ai des souvenirs de kermesses,
très anciens si tu veux, parce que dès ma naissance j’allais à des kermesses, mon père faisait
des ateliers de théâtre aux gamins, des très beaux spectacles ». Son père étant directeur et
seul instituteur de toute l’école, ses souvenirs de théâtre, de sorties culturelles en famille, se
confondent avec ceux de l’école.
Pour L., si ses parents lui ont permis de découvrir la danse, c’est l’école qui lui a fait
découvrir le théâtre. Elle en garde un souvenir fort, assez ému :
« Ben en fait ma première expérience du théâtre j’étais en CE2, j’avais une
enseignante fantastique, qui tous les jours nous lisait des livres, un passage, etc. Je
me souviens qu’elle nous avait lu tous les Roald Dahl, d’ailleurs c’est marrant parce
que je les ai tous dans ma bibliothèque depuis. Et elle du coup elle nous faisait faire
du théâtre, et je me souviens très bien de ça, et cette première rencontre avec le
théâtre a été vachement forte pour moi… c’était vraiment la meilleure enseignante
de toute ma vie ».
Comme nous l’avons lu dans la citation précédente, les professeurs jouent souvent le
rôle de « révélateur » et peuvent modifier les choix d’orientation de leurs élèves. Pierre
Bourdieu et Jean-Claude Passeron qualifient cela de « charisme professoral »125. Pour eux,
cette faculté de donner de l’importance à la parole d’un professeur revient principalement
aux étudiants ayant un capital scolaire important et dont les normes et les valeurs culturelles
sont en adéquation avec celles de l’école.
124
Ibid. p.79
BRUNO Alain, Lire Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron. Les Héritiers- Les étudiants et la culture –
Un renouveau de la sociologie de l’éducation, Ed. Ellipses, 2009, p.76
125
68
Pour D., la découverte de son amour pour le théâtre se fera par l’école aussi, mais de
manière plus tardive, quand elle entrera dans les études supérieures, à Sciences Po
Strasbourg.
L’expérience de l’Université
Les possibilités d’études pour devenir médiateur culturel sont très variées. Comme
l’explique Vincent Dubois, c’est la culture en général ainsi que les perspectives personnelles
et professionnelles qu’elle offre, qui sont au principe d’une orientation, plus que les contenus
de l’activité et les caractéristiques d’un emploi126. On n’apprend pas vraiment à être
médiateur culturel. Néanmoins, nos trois enquêtés ont effectué des études longues, allant
jusqu’au master 2. On peut supposer que leurs origines sociales plutôt élevées et leur rapport
à la culture ont pu influencer leurs capacités scolaires, c’est le « privilège culturel »127, qui
se définit par le fait d’avoir intériorisé, dès sa naissance par la transmission de la famille, un
ensemble de savoirs, de savoir-faire et de savoir-dire, qui est en adéquation avec ceux que
l’on demande à l’école.
D. a fait une prépa Sciences Po à Paris avant d’aller étudier à Sciences Po Strasbourg,
quand l’école se faisait encore en 3 ans. C’est durant ces trois premières années qu’elle a
découvert la pratique du théâtre, grâce à une troupe d’étudiants, et qu’elle s’est rendu compte
qu’elle pouvait allier des études théoriques avec sa passion pour le théâtre. « Le fait d’avoir
fait du théâtre dans le cadre de Sciences Po m’a influencé ». Après sa licence, elle a effectué
une maîtrise de science politique à l’Université d’Assas, déménageant à Paris et allant ainsi
de plus en plus au théâtre. Pendant cette année, elle m’explique qu’elle écrivait tous ses
dossiers autour des questions culturelles, pour orienter son profil. Elle a effectué à un stage
à la DRAC et a commencé à construire son projet professionnel à partir de cette expérience.
Elle a ensuite continué avec un DESS Consultant culturel, projets culturels et environnement
social.
Sur le même schéma, L. s’est orientée assez tardivement vers une filière culturelle.
Elle a commencé par deux années en faculté de LEA Anglais-Espagnol à Tours, durant
lesquelles elle est partie étudier en Espagne et en Angleterre. Elle me glisse d’ailleurs :
126
127
Op.cit. DUBOIS Vincent, p.109
Op.cit. BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, p.30
69
« J’avais été voir La Tempête de Shakespeare mis en scène par la troupe qui occupe le Global
Theatre en fait, donc c’était quand même vachement prévu chez moi ». Elle a ensuite
effectué un master 1 et un master 2 en ingénierie culturelle à Angers, au cours desquels elle
a effectué deux stages, l’un à l’ANRAT (l’Association Nationale de Recherche en Action
Théâtrale) et l’autre au Centre chorégraphique de Tours. Elle m’explique avoir « redécouvert
le théâtre en master 1 » quand elle effectuait son stage à l’ANRAT :
« on avait des invitations partout, et donc j’allais au théâtre au moins 2 ou 3 fois par
semaine, et là j’ai vraiment découvert le théâtre à ce moment-là. Du coup en master
1 ça a été ma vraie découverte du théâtre contemporain national ».
Quant à F., il a directement commencé par un double DEUG sociologie et médiation
culturelle/communication à l’Université Lyon 2. Il a ensuite validé une licence métiers des
arts de la culture, avant de travailler pendant deux ans, pour faire un master 1 métiers des
arts et de la culture à dominante anthropologie. Il a travaillé 3 ou 4 ans, avant de finir ses
études par un DESS Management culturel européen, dans le cadre d’un congé de formation.
Il considère avoir construit son projet personnel seul, et assez rapidement ; il m’a confié
vouloir faire de la médiation culturelle dès la 1ère. Ayant davantage un profil « musique »,
il a changé de voie vers le spectacle vivant, après une expérience dans un festival de musique
qui n’avait pas été à la hauteur de ses ambitions.
« Je bossais au Midem à Cannes dans un festival de musique parce que j’avais envie
de bosser dans les labels de musique et puis en bossant sur ce salon je me suis rendu
compte que c’était pas ça que je voulais faire... donc vraiment mes choix je les ai
faits tout seul ».
Il est intéressant de noter que les enquêtés ont tous manifesté le fait d’avoir choisi
leurs études seuls, sans pression familiale. Vincent Dubois a établi quatre profil-types
d’orientation professionnelle vers le secteur de la culture128, qu’il me semble pertinent de
mentionner ici : le rêve d’ascension sociale (plus minoritaire aujourd’hui mais qui a permis
une diversification sociale des professions culturelles), la reproduction professionnelle
(retour des « héritiers », dû à la conjonction d’un côté, de l’élévation des exigences scolaires
et d’un autre, de la diminution des offres d’emploi), un profil d’étudiant dévaluant leur
capital littéraire et réinvestissant dans le capital scolaire (qui ont des pratiques culturelles
plus légitimes et qui sont plus précis dans leurs projets professionnels en termes de secteurs
culturels), et enfin, un dernier profil-type, celui de l’affirmation de soi. C’est ce dernier qui
nous intéresse ici, puisqu’il semble correspondre au profil de nos trois enquêtés. Les
128
Op.cit. DUBOIS Vincent, p.142-152
70
enquêtés paraissent en effet être dans une perspective de mobilité sociale, tout en cherchant
à s’affirmer dans leur milieu social et auprès de leurs parents. Vincent Dubois fait le parallèle
avec les étudiants des IEP, qui ne sont pas contraints par leur passé scolaire, et qui ont la
possibilité d’aller chercher un emploi ailleurs. Il écrit que ces étudiants sont nourris par un
« sentiment de liberté », satisfait par un secteur d’activité qui promet un certain « prestige
social ».
L’importance accordée à l’école et au capital scolaire de la part de nos trois enquêtés
nous a semblé être une des entrées pour comprendre leur volonté de travailler pour la
médiation culturelle. En effet, même si la médiation culturelle se distingue de
l’enseignement, elle porte une volonté de transmettre, de diffuser, et de partager les savoirs
non négligeable, qui est d’ailleurs l’une des raisons invoquées pour justifier l’exercice de ce
métier, sur lesquelles nous allons nous concentrer maintenant.
II.
Une « vocation » pour la médiation culturelle ? Entre amour pour l’art et
passion militante
Après avoir, dans une première partie, étudié les origines sociales de nos enquêtés, en
ayant retenu d’un côté, l’importance de la socialisation culturelle dans la construction de leur
passion pour le théâtre, et d’un autre côté, l’importance donnée à l’école qui a sans doute
façonné leur rapport à la médiation, il convient maintenant d’analyser le « travail de la
vocation », c’est-à-dire, la « transformation de ces conditions en motivations »129. Quelles
sont les raisons qui font, qu’aujourd’hui, les médiateurs culturels exercent cette fonction ?
Quelles sont leurs motivations, comment sont-elles construites et comment en arriver à parler
de « vocation » ?
129
Op.cit. SUAUD Charles, p.75
71
A. Un amour de l’art exigeant
Un métier « vocationnel »
Le milieu du théâtre, et plus généralement le milieu culturel, est un domaine
d’activités que l’on peut qualifier de « vocationnel ». Vincent Dubois définit la vocation
comme une combinaison de trois éléments : premièrement, le travail de la vocation résulte
de la réalisation d’investissements, qu’ils soient relationnels, scolaires ou culturels, qui
permettent aux individus de considérer leur orientation comme un choix délibéré.
Deuxièmement, la vocation induit un rapport particulier au travail qui fait que les individus
considèrent leur activité professionnelle comme une réalisation personnelle. Troisième et
dernier élément, le rapport au travail « vocationnel » intègre une certaine « croyance » qui
pousse à considérer son activité professionnelle comme correspondant à des valeurs et des à
des fonctions sociales universelles130. L’auteur mobilise ici la notion d’illusio théorisée par
Pierre Bourdieu, sur laquelle nous nous sommes attardés dans une précédente partie.
Le registre de la « vocation » est très présent dans les entretiens que j’ai menés avec
les médiateurs du Théâtre Gérard Philipe. « J’écoutais pas trop ce qu’il y avait au fond de
moi en fait » me confie D. lors de notre entretien, convaincue qu’elle a fait passer ses études
avant sa passion pour le théâtre pendant quelques années. Nous observons le même type de
discours chez L., quand elle m’explique, que même à Londres alors qu’elle était en fac de
LEA, elle était allée voir un spectacle de théâtre : « Donc c’était quand même vachement
prévu chez moi ». F., lui, ne s’est pas justifié sur sa « vocation », il semble que sa passion
pour l’art l’a toujours animé, et l’a conduit presque logiquement à faire ce métier
aujourd’hui.
Durant mon stage au Théâtre Gérard Philipe, j’ai expérimenté la vie dans un service
où l’activité professionnelle et la carrière de chacun deviennent des objectifs de vie à part
entière. Pour reprendre les termes de Vincent Dubois, leur travail est une « réalisation
personnelle ». Les membres du service des relations avec les publics semblent partager la
même envie de faire vivre le théâtre, l’art, la culture, et s’investissent dans leurs tâches avec
toujours beaucoup d’envie, de motivation, d’excitation... « C’est un métier dans lequel je ne
130
Op.cit. DUBOIS Vincent, p.9-10
72
m’ennuie jamais, dans lequel j’ai vraiment des convictions, et pour lequel je sais vraiment
pourquoi je suis là et il y a pas un matin où j’ai pas eu envie d’aller travailler.. », m’explique
L. lors de notre entretien. Ils conçoivent leur métier comme un « destin d’exception » 131, et
cette fonction réclame « un investissement total de l’individu ». En effet, le travail lié à la
passion n’est plus perçu comme une activité contraignante, mais comme un outil
d’accomplissement personnel, qui justifie que l’on s’investisse totalement et entièrement à
sa tâche. Les heures supplémentaires deviennent presque « normales », tout comme d’être
d’astreinte le week-end et le soir, de travailler de chez soi… Les travailleurs culturels
cultivent un « rapport au travail dans lequel les frontières entre la vie personnelle et la vie
professionnelle deviennent poreuses »132. Sur ce même registre, la rémunération est un sujet
assez sensible dans le milieu culturel. Si ce milieu est connu pour manquer de moyens, ce
fait est socialement accepté par les travailleurs culturels, qui acceptent les conditions de
travail et de rémunération, car ils se considèrent chanceux de faire de leur passion leur
métier. Je me rappelle d’une remarque que m’avait faite F., lors d’une discussion informelle :
« Notre salaire devient presque symbolique en fait, on sait pourquoi on travaille, et c’est pas
pour l’argent. C’est un luxe aujourd’hui ».
Le théâtre dans un CDN
« Discussion informelle avec mon responsable de stage. Il m’avoue – presque comme si c’était une
faute – qu’il n’aime pas le travail de Jean Bellorini. ‘Mais j’aime le bonhomme quand même hein !’
Waouh. Alors on peut travailler dans un établissement culturel sans en aimer la programmation qui
est presqu’exclusivement fabriquée par la direction. G., une chargée de production, avait pourtant
affirmé le contraire lors d’une rencontre avec des étudiants : ‘le jour où je n’aimerais plus le projet
artistique d’un endroit dans lequel je travaille, je m’en irai’ »
Extrait de mon journal de terrain, le 22 mars 2016
« Qu’est-ce que tu aimes dans le théâtre ? Pourquoi vas-tu au théâtre ? Qu’y ressenstu ? » Voici les questions que je posais à mes enquêtés pour évaluer et comprendre leur
passion pour le théâtre. Et je me suis rendu compte que c’est en premier lieu l’art théâtral en
tant que tel qui les anime pour travailler dans ce milieu.
131
SUAUD Charles, « Contribution à une sociologie de la vocation : destin religieux et projet scolaire »,
Revue française de sociologie, vol.15, n°1, 1974, p.75
132
Op.cit. DUBOIS Vincent, p.167
73
« Je travaille pour le théâtre parce que je me suis rendu compte que le théâtre c’est
un art plus complet, à travers le corps la parole, le texte, et ce qui me manquait avec
la danse. Je trouvais que la danse, malgré toutes les formes qui existent que c’était
un art qui était limité et je me suis rendu compte aussi à quel point moi j’aime les
textes. […] Donc moi je défends cette idée du théâtre comme un passeur à travers
les mots.» (L. le 5/07/2016).
« C’est le regard des spectateurs qui fait vivre les œuvres, c’est une boucle qui se
tisse entre d’un côté donner la force des œuvres, faire en sorte qu’elles soient le plus
puissantes possible dans ce monde » (F. le 29/07/2016).
Si c’est pour le théâtre que les médiateurs culturels du TGP travaillent avant tout, ils
ne travailleraient pas pour n’importe quel théâtre. Vincent Dubois a évoqué le fait que bien
souvent, les médiateurs culturels font ce métier de manière militante pour compenser un
manque de culture familiale133. Dans le cas de nos enquêtés, cette acception ne se vérifie
pas. En effet, la question de l’exigence artistique, de la « bonne qualité » artistique est
prégnante et dépasse la volonté d’un simple partage équitable de la culture. L’idée de
travailler dans un théâtre de service public, un centre dramatique national de banlieue
parisienne, est lourde de sens pour eux.
« Vu qu’un CDN est un service public, notre mission c’est de (bon c’est hyper
prétentieux de dire ça) mais c’est d’essayer d’amener les gens vers le haut. L’idée
c’est pas de tirer les gens vers le bas, c’est pas notre rôle » (L. le 5/07/2016).
« Les CDN c’est des lieux de création, où il y a un travail qui se fait sur la durée…
enfin ouais c’est cet endroit de communion, de communauté, recréer une
communauté éphémère, pour vivre un truc ensemble qui va pas se reproduire » (D.
le 4/07/2016).
D’après Jean-Marie Lafortune, les médiateurs culturels veulent « transmettre et faire
connaître ce qui les passionne. Ils ressentent un intérêt fort pour la vocation de
l’institution »134. Ils cultivent une telle croyance dans ce qu’ils font, que le centre dramatique
national, puisqu’il intègre dans ses missions le rapport au public et au territoire, est la
structure idéale pour eux :
« ce qu’on dit à Saint-Denis ça marche pas à l’odéon, ça marche pas à… dans plein
d’autres endroits tu vois. Parce qu’un jeune des quartiers est encore plus renvoyé au
fait que ce soit un jeune des quartiers dans certains théâtres que dans la vraie vie
peut-être » (F. le 29/07/2016).
Selon eux, l’exigence d’un art de qualité est donc une condition sine qua non de la médiation
culturelle. Ils croient dans le pouvoir du « bon » art.
« Moi je pense qu’il faut pas abaisser nos exigences parce que c’est important de
donner à voir des visions du monde, des paroles d’artistes singulières, etc. Donc
133
134
Op.cit. DUBOIS Vincent
Op.cit. LAFORTUNE Jean-Marie, p.53
74
effectivement ça va pas accueillir les tous venants comme ça par contre ça va nous
permettre de travailler en profondeur et de construire les choses, sinon on fait du
divertissement » (D. le 4/07/2016).
« Je pense que l’art est un des meilleurs outils pour agir ou se poser les bonnes
questions ou... pour se rendre compte au moins qu’il y a des questions. Et ça pour
moi c’est de l’ordre du service public, de la transmission de la connaissance » (F. le
29/07/2016).
« Donc je pense qu’on a quand même la chance d’être dans un lieu qui est exigeant
mais où il y en a quand même pour tous les goûts, et on n’est pas obligés de tomber
dans la médiocrité, ou dans la facilité pour que les gens viennent » (L. le 5/07/2016).
Ce qui nous est apparu comme une contradiction, entre exigence artistique d’un côté et
diversification socio-culturelle des publics d’un autre, ne l’est pas du tout pour eux :
« ça ça fait partie des questionnements au quotidien… mais oui enfin moi
l’expérience me fait dire que c’est pas du tout une contradiction, c’est-à-dire qu’en
fait, en étant très pragmatique, je pense qu’il faut se dire qu’il y a des choses, genre
Karamazov par exemple, ne pourront pas être vues par tout le monde. Je pense qu’il
faut l’accepter comme ça » (L. 5/07/2016).
« Effectivement ce serait plus facile de faire venir des gens avec un humoriste sauf
que du coup c’est pas intéressant enfin... de donner à voir des gens que les gens
voient déjà à la télé » (D. le 4/07/2016).
B. Une dimension militante : « faire le bien »
« Se sentir utile »
« Je sors du week-end de restitutions de Ses Majestés… J’en reviens pas de tout ce qui s’est produit.
C’est ma première vraie reconnaissance professionnelle. Pour la première fois de ma vie j’ai
l’impression d’avoir été utile pour quelqu’un, d’avoir permis, le temps d’un week-end, de donner du
sens à ce que je faisais, à ce pourquoi j’étais là. Toute cette solidarité, toute cette passion… Voilà
pourquoi j’ai choisi de faire ce métier, et vraiment, ça fait du bien de se le rappeler de temps en
temps. »
Extrait de mon journal de terrain, le 29 mai 2016
Outre leur attachement à l’art, l’autre motivation principale des médiateurs culturels
du TGP est plus personnelle. Elle repose sur une des caractéristiques des travailleurs sociaux
et culturels de valoriser la « chose humaine » (l’altruisme, le relationnel) à la « chose
matérielle »135, mais ajoute une dimension morale : « Je sens que ça a du sens, que je me
135
Op.cit. DUBOIS Vincent, p.76
75
sens utile » m’expliquait D. lors de notre entretien. Cela rejoint ce que l’on évoquait dans
une précédente partie, concernant la difficile distinction entre la vie privée et la vie
professionnelle des travailleurs culturels, mais cette indistinction prend ici une dimension
politique, puisque ce sont les valeurs morales de chacun qui sont confrontées à leur activité
personnelle. « J’ai l’impression de faire le bien » m’a confié L. Cette manière de concevoir
son travail est à mettre en lien avec l’ « éthique de la besogne » de Max Weber, qui considère
que la difficile distinction entre le professionnel et le personnel est un nouvel élément
constitutif de la formation du capitalisme136. Si ces personnes recherchent l’adéquation entre
leurs valeurs personnelles et leurs activités professionnelles, les secteurs artistiques et
culturels apparaissent en effet comme l’idéal de la satisfaction au travail, puisqu’ils
permettent des formes multiples de rétributions (autres que les gratifications monétaires et
symboliques)137.
Faire de la médiation culturelle permet de se sentir utile, mais également de se sentir
« efficace ». Dans une institution culturelle comme le TGP, les projets se construisent dans
un temps relativement court, ce qui permet d’observer les effets et les conséquences des
actions artistiques assez rapidement. F. m’a expliqué que la médiation culturelle dans un
centre dramatique national à Saint-Denis permettait de :
« Donner du sens à ma propre vie, enfin je pense, d’être à un endroit où on se sent
en cohérence avec sa pensée politique, et en capacité d’agir, tu vois j’ai fait des
projets en Afrique, en Mauritanie, et ça avait du sens mais j’avais vraiment
l’impression que je ne pouvais pas agir en fait… je me suis rendu compte que ça
n’avait aucun effet et que c’était perdu d’avance quoi ».
Dans l’opposition politique
Outre une ouverture culturelle, les parents des enquêtés semblent également leur
avoir donné une ouverture politique. Tous m’ont confié qu’ils parlaient de politique chez
eux quand ils étaient enfants.
« On parlait politique à table ouais, surtout quand il y avait la famille élargie, les
tontons, le grand-père qui lui était gaulliste, donc effectivement on avait des
discussions politiques, mais c’était souvent des engueulades… » (F. le 29/07/2016)
136
137
WEBER Max, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Ed. Flammarion, coll. Champs, 1999
BAUDELOT Christian et GOLLAC Michel, Travailler pour être heureux ?, Ed. Fayard, 2003
76
D. m’explique qu’il y avait chez elle un « discours humaniste » porté sur le respect des
traditions.
« Moi je me souviens (je raconte vraiment les détails) mais je me souviens avoir posé
des questions à mon père sur ce que c’était la droite et la gauche quand j’étais petite,
il m’avait expliqué : voilà c’est quoi la droite, la gauche, et je lui avais dit ben oui
c’est bien la gauche, tout de suite et il me dit : c’est vrai t’as raison mais c’est plus
compliqué que ça… ».
Au vu de leur engagement quotidien, je m’étais imaginé à tort, que leurs parents devaient
voter à gauche, leur ayant transmis des idées d’altruisme, de justice sociale, d’équité… Mais
je m’étais trompée, puisque tous les parents de nos enquêtés ont voté à droite, dans une
tradition gaulliste.
« Mon père a voté Sarkozy quand même aux dernières élections... Mais bon il a voté
Mitterrand en 81 donc c’est pas la droite dure quoi. - C’est un peu genre droite
gaulliste ? - Ah bah oui, de Gaulle c’est son héros ! Tous les bouquins qui sont sortis
sur de Gaulle il les a dans sa bibliothèque si tu veux donc voilà c’est un passionné
de de Gaulle… » m’a confié L.
« Mes parents voilà ils ont voté Chirac….. en 88, et moi ça m’a vraiment marqué. Je
pense pas qu’ils aient voté Mitterrand en 81, je sais pas. Mais en 68 mon père il était
à l’armée … enfin tu vois le genre… » (F. le 29/07/2016).
Une chose semble se vérifier pour les trois médiateurs du TGP : ils ont construit leurs
opinions politiques en opposition avec celles de leurs parents. Tous m’ont admis voter à
gauche, voire à l’extrême gauche, et avoir été en confrontation avec leurs parents à cause de
leurs idées. L. est très lucide quant à l’influence qu’ont eu ses parents sur son développement
personnel et son orientation professionnelle. Elle avoue qu’elle ne serait sûrement pas là
aujourd’hui si ses parents avaient eu les mêmes opinions qu’elle :
« Mes parents étaient de droite et puis moi quand j’étais jeune à partir de 15 ans
j’étais convaincue que l’avenir c’était la gauche et j’avais un petit ami qui était
d’extrême gauche […] du coup je me suis construite avec lui et en opposition à mes
parents. Parce que mes parents ils n’ont pas l’idée du partage ou du travail collectif
et de comment l’art peut t’amener à te grandir, et à devenir quelqu’un de bien […]
mais d’une certaine manière ils m’ont influencée quand même du coup. »
F. m’explique que c’est lui, qui, au lycée, parlait beaucoup de politique à la maison, amenant
ses parents sur des terrains glissants, puisqu’il savait qu’ils étaient en désaccord :
« Au lycée en gros c’est moi qui parlais politique euh… racisme, tout ça, en
opposition avec mes parents […] ils avaient dans leur langage un discours raciste
passif. Comme beaucoup.. comme beaucoup de gens dans le sud […] ce qui moi me
foutait en rogne et contre quoi je me suis fortement opposé ».
D. et F. m’ont néanmoins raconté que leurs parents avaient aujourd’hui changé
d’orientation politique. D. m’explique que son père, plutôt libéral, ne se retrouvait pas dans
77
les idées de la gauche, mais maintenant que « la gauche s’est transformée », selon ses dires,
il a un peu changé d’avis. Pour F. aussi, c’est le Parti Socialiste qui a changé. Mais il se peut
que les opinions divergentes des enfants, ainsi que leur activité professionnelle, aient eu une
influence notoire sur les opinions des parents. F. avoue d’ailleurs « on les a pas mal
changé… ». Les trois médiateurs du TGP se distinguent donc par leur fort intérêt et
engagement pour la politique, construit en opposition avec ceux de leurs familles.
Faire de la politique « autrement »
« Je suis étonnée de voir qu’aucun membre du théâtre (mis à part un ou deux) ne soit mobilisé pour
les manifs de la loi travail… On est censés être dans un endroit assez militant, tout le monde est très
critique du gouvernement, assume avoir des valeurs de gauche… Alors pourquoi on ne fait pas tous
grève ? Pourquoi on ne se mouille pas pour faire un communiqué ? Surtout qu’on peut bien se passer
de nous… Ok on a plein de boulot mais on n’est pas complètement indispensables à la société, en
tout cas pas pendant quelques heures… J’aimerais bien y aller moi mais j’ai peur que ce soit mal
vu. »
Extrait de mon journal de terrain, le 26 mai 2016
Comme nous l’avons déjà souligné, la médiation culturelle comporte une dimension
politique à ne pas négliger. En effet selon Jean Caune, la médiation culturelle est une
médiation politique puisqu’elle intervient dans la trame des rapports sociaux qu’elle peut
modifier, transformer138. Si l’on se rapporte à la typologie de Serge Chaumier et de François
Mairesse139, le médiateur culturel produirait des interprétations de ce qu’il entend et de ce
qu’il voit, par le prisme de sa propre construction sociale, de son environnement et de ses
opinions. Plus qu’un discours neutre sur l’art (s’il en existe), il véhiculerait plutôt une
manière de le concevoir. Par ailleurs, les travailleurs culturels de manière générale, en
envisageant leur travail sous l’angle de l’épanouissement et de la créativité140, cultiveraient
un rapport « artiste » au politique. Cette façon d’entrevoir leur activité professionnelle, les
conduirait à appréhender la politique « autrement » que par les formes instituées de la
politique, comme les organisations partisanes, envers lesquelles ils semblent méfiants.
Cette façon d’entrevoir la politique et de considérer son travail comme un moyen de
s’accomplir, nous rappellent la théorie de Luc Boltanski et d’Eve Chiapello, concernant la
Op.cit CAUNE Jean, Edito de La médiation culturelle : le sens des mots et l’essence des pratiques, de
LAFORTUNE Jean-Marie
139
Op.cit. CHAUMIER Serge et MAIRESSE François, p.61
140
Op.cit. DUBOIS Vincent, p.177
138
78
critique « artiste » du capitalisme, qui dénoncerait l’étouffement des capacités créatives de
l’individu dans la société marchande141. La critique « artiste » du capitalisme aurait été
réutilisée par les nouvelles formes de management post 1968, en réhabilitant l’intuition
créatrice dans les entreprises, la conduite de projets personnalisés, etc.
Comme l’explique Vincent Dubois, la croyance dans la démocratisation culturelle,
qui est l’une des motivations principales des médiateurs culturels, si elle a été construite par
les artistes et les intellectuels pour faire de la politique contre les représentants politiques en
allant directement vers le peuple, est aujourd’hui institutionnalisée par les politiques
culturelles étatiques. Exercer ce métier signifie donc de se conformer à la légitimation de ces
politiques et des institutions publiques142. Par ailleurs, il me semble que le militantisme dans
sa forme la plus traditionnelle est aujourd’hui limité dans le théâtre public, notamment parce
qu’il est difficile de s’opposer aux financeurs, dont le principal est l’Etat via le Ministère de
la Culture et de la Communication.
Dans cette troisième partie, nous avons essayé de déconstruire l’émergence d’une
croyance dans les bienfaits du théâtre sur les publics auprès de nos enquêtés, les médiateurs
culturels du Théâtre Gérard Philipe. Après avoir dessiné les contours des représentations de
la médiation culturelle au TGP dans une deuxième partie, il nous paraissait en effet important
d’éclairer ces représentations par le prisme de plusieurs éléments de la construction sociale
des enquêtés : la famille tout d’abord, puisqu’elle est le premier lieu de la socialisation, et
qu’elle détermine les goûts en matière de culture, les pratiques artistiques et culturelles,
l’orientation professionnelle… Leur rapport affectif à l’école ensuite, puisque, comme nous
l’avons vu, le capital scolaire est déterminant pour la construction d’une croyance dans la
médiation culturelle. Enfin, nous avons tenté de comprendre sur quelles motivations se
reposait la « vocation » pour la médiation culturelle que nous avons pu regrouper en deux
ensembles : d’un côté une passion pour l’art et le théâtre plus particulièrement, qui se doit
d’être exigeant, à la hauteur d’un service public. Et d’un autre, une volonté politique de « se
sentir utile », de « faire le bien » pour être en adéquation avec ses valeurs personnelles.
141
BOLTANSKI Luc et CHIAPELLO Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, coll. NRF Essais,
1999
142
Op.cit. DUBOIS Vincent, p.182
79
Pour cette quatrième et dernière partie, nous avons voulu croiser l’analyse des
représentations de la médiation culturelle et des actions artistiques de nos enquêtés, avec une
étude de terrain d’une action de médiation du Théâtre Gérard Philipe, une résidence de
chorégraphe, nommée Ses Majestés. Pour penser la médiation culturelle dans son entièreté,
il convient en effet de confronter les théories pensées par les médiateurs, éclairées dans les
parties précédentes par un travail sociologique, aux réalités du terrain 143. Pour cela, nous
nous intéresserons dans un premier temps au rôle des médiatrices-relais, présentes sur le
territoire au plus près des publics. Puis, nous analyserons la prise en charge de la distance
sociale qui pourrait faire barrière entre les intervenants artistiques et les publics. Et enfin,
nous étudierons les discours-bilans des actions de médiation, en fonction qu’ils soient
médiateurs culturels médiatrices-relais, pour comparer les conséquences perçues sur les
publics ciblés par cette action.
143
CAUNE Jean, « Sens des mots, réalité des processus » In Op.cit. LAFORTUNE Jean-Marie, p.8
80
PARTIE 4 : Mise en perspective des représentations de la médiation
culturelle avec la pratique sur le terrain
Analyse d’une action de médiation du Théâtre Gérard Philipe : Ses Majestés
« Ne pas se cramponner à l’impatience des résultats, mais à l’enfance,
aux commencements, quel que soit l’âge des participants.
Travailler sur ce qu’on ne sait pas. Pas encore.
Continuer à faire des gestes, des traversées qui heurtent l’espace, qui
lèvent les souvenirs et font vivre les corps. »
Note d’intention de Thierry Thieû Niang pour le projet Ses Majestés, dans
la brochure 15-16 du Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de
Saint-Denis
Depuis 4 ans, le Théâtre Gérard Philipe propose à des artistes de s’implanter sur le
territoire de Saint-Denis, et particulièrement dans le quartier du Franc-Moisin, dans le cadre
de résidences de longue durée, divisées en plusieurs étapes-projets. Le projet Ses Majestés
a été imaginé par le Théâtre Gérard Philipe et le chorégraphe Thierry Thieû Niang. Il consiste
en une résidence de ce dernier sur le quartier du Franc-Moisin, autour de trois grands ateliers.
Le premier regroupe des dionysiens de tous âges, allant de 11 à 75 ans. Il se déroulait environ
un week-end par mois pendant la saison. Le deuxième, des femmes immigrées en cursus
d’alphabétisation de l’association Femmes du Franc-Moisin, qui se réunissaient avec
l’artiste presque tous les jeudis de la saison, autour d’ateliers d’expression corporelle et orale.
Le troisième enfin, des enfants du centre de loisirs René Descartes du quartier du FrancMoisin. Les ateliers avec les enfants ne s’organisaient que pendant les vacances scolaires,
sur une semaine, tous les matins et après-midis. Ils réunissaient environ 15 enfants par jour
sur la semaine.
Ce projet théâtral et chorégraphique intergénérationnel a plusieurs finalités : celle de
réunir des personnes socialement éloignées autour d’un projet artistique commun, celle de
faire s’exprimer par le corps des personnes souvent éloignées de la pratique artistique, celle
de donner à des personnes de niveaux socio-économiques assez faibles la possibilité d’aller
voir des spectacles de théâtre et de danse, et celle de créer ensemble un spectacle qui sera
l’aboutissement de deux ans de travail dans la grande salle du TGP devant 400 spectateurs
par soir. Presque tous les jeudis de la saison, Thierry Thieû Niang anime un atelier de deux
81
heures avec les femmes de l’association Femmes du Franc-Moisin. Le but de ces ateliers est
de les faire parler français, en échangeant elles sur leurs cultures, leurs religions, leurs
langues… Ce n’est pas vraiment un atelier de théâtre ou de danse à proprement parler, mais
un laboratoire d’expressions diverses.
Pendant mes six mois de stage au Théâtre Gérard Philipe, j’ai assisté mon
responsable à l’organisation et à la gestion du projet, à la coordination entre tous les
participants (artiste-relais-participants), à la mise en place d’une campagne de
communication pour les restitutions publiques et à la recherche de financements. Ce projet
regroupe beaucoup des critères modèles d’une action de médiation : artiste intervenant
connu pour travailler avec des publics amateurs, implantation sur un territoire aux difficultés
socio-économiques importantes, mélange de différents publics, gratuité (pour la
participation au projet mais également pour des places de spectacles au TGP et dans d’autres
théâtres), créations artistiques de « qualité »…
C’est donc pour cette raison, et parce que je le connais bien, que j’ai choisi ce projet
pour mon mémoire de recherche, afin de mettre en perspective le discours sur la médiation
culturelle des médiateurs enquêtés du Théâtre Gérard Philipe, avec la pratique sur le terrain.
Pour cela, nous étudierons dans un premier temps le rôle et l’importance des médiatricesrelais sur cette action de médiation. Nous nous concentrerons principalement sur un groupe
ayant nécessité la présence d’un relais : le groupe des femmes immigrées de l’association
Femmes du Franc-Moisin. Celles que nous appelons les « médiatrices-relais » sont la
directrice de l’association (A.), ainsi que l’animatrice de l’association (G.), toujours présente
sur les ateliers.
I.
L’importance des « médiatrices-relais » : au plus près du public
Si le terme de « médiatrices-relais » n’existe pas en tant que tel, je l’ai inventé pour
ce mémoire car c’est l’expression qui m’a paru la plus adéquate pour qualifier le rôle des
partenaires du projet Ses Majestés. En effet, en plus d’être des relais entre le Théâtre Gérard
Philipe et les publics participant au projet, A. et G. sont également des médiatrices,
puisqu’elles participent, en étant au plus près des publics sur le territoire, à l’appréhension
et à la compréhension du projet par ces derniers. Elles sont connues du Théâtre Gérard
82
Philipe depuis plusieurs années déjà, puisque ce n’est pas le premier projet monté par le TGP
dans le quartier du Franc-Moisin.
L’association Femmes du Franc-Moisin sur laquelle nous allons nous concentrer, est
née en 1980, et a pour objectif l’insertion sociale et professionnelle de femmes étrangères et
de leurs familles dans le quartier de Saint-Denis et dans les villes limitrophes. Ces femmes,
de toutes origines, ont en moyenne 34 ans, et sont pour la plupart des mères de familles qui
ne travaillent pas ou peu. L’association intervient pour l’apprentissage du français, la tenue
d’une permanence pour l’accès aux droits sociaux, aux soins, à l’aide à la parentalité et les
cas de violences conjugales. A. y travaille depuis 1984 et en est la présidente depuis 1988.
G. y est animatrice depuis septembre 2015. Depuis 4 ans, le TGP monte des projets avec
cette association, pour favoriser et développer l’expression orale et corporelle, l’accès à la
culture, le décloisonnement social.
A. Caractéristiques sociales et vocation
Milieu social et parcours personnels
Ce qui caractérise en premier lieu le milieu social des deux médiatrices-relais de
l’association Femmes du Franc-Moisin concerne leurs origines : elles sont toutes les deux
d’origine étrangère, issues de l’immigration. Ce sont leurs parents qui ont immigré en France
dans les années 50, d’Algérie pour A., et de Guyane, pour G. Elles viennent d’un milieu
populaire, « Mon père était ouvrier, ma mère femme au foyer […] c’était un milieu ouvrier,
l’usine Shell… » me confie A., qui a grandi dans un village à 40km au Nord de Marseille et
qui habite maintenant à Saint-Denis. « Ma mère était secrétaire, et mon père était… voyou »,
me glisse G., en riant. G. a grandi à Villetaneuse en Seine-Saint-Denis dans une résidence
1% patronal « à l’abri des ‘tentations’ » selon elle. Elle vit actuellement à Epinay sur Seine,
également en Seine-Saint-Denis.
En ce qui concerne leurs parcours personnels, A. (56 ans) a commencé à travailler
très jeune (à 17 ans), et n’a pas eu son bac. C’est au cours de sa carrière professionnelle au
sein de l’association Femmes du Franc-Moisin, dans laquelle elle a commencé à travailler
en 1984, qu’elle a décidé de reprendre des études. Elle a ainsi obtenu, une maîtrise de
psychologie sociale, un DESU de thérapie familiale, avant d’entrer dans une école de 4 ans
83
en thérapie familiale, dispensée en cours du soir. Quant à G. (39 ans), elle a obtenu son bac
avant de devenir vendeuse. Elle m’explique que si elle travaille aujourd’hui dans une
association c’est parce qu’il y a eu un « accident de parcours » :
« Après un licenciement économique j’ai voulu faire une remise à niveau des
matières générales pour me remettre dans le bain, j’ai voulu passer un diplôme, j’ai
passé ce diplôme-là dans une association qui après m’a embauchée. Et du coup j’ai
mis le nez dans l’associatif et j’en suis pas sortie ».
Elle a travaillé pour plusieurs associations d’aide à l’insertion professionnelle, et de lutte
contre les violences conjugales.
Vocation politique et militante
Le rapport au militantisme est prégnant pour les deux enquêtées, qui travaillent sur
un territoire aux difficultés socio-économiques très importantes. Comme les médiateurs
culturels du TGP, l’adéquation entre les valeurs personnelles et la vie professionnelle est un
élément très important de leur rapport au travail :
« Moi je n’arrive pas à faire la différence entre...tu sais c’est pour ça que j’ai duré
aussi longtemps à l’association, c’est que ce boulot m’a permis à la fois de concilier
une vie professionnelle et une vie militante » (A. le 07/07/2016)
Dans sa vie personnelle, A. a été très militante, notamment dans des actions anti-racisme,
comme la Marche des Beurs à laquelle elle a participé au comité de préparation. Par ailleurs,
travailler pour une association prend du sens pour elle, qui n’aurait pas pu travailler
directement pour l’Etat :
« Il est arrivé un moment où mon parcours universitaire m’aurait amenée
naturellement à rentrer dans la fonction publique et de prendre en charge une
direction de centre… mais c’était pas possible pour moi tu vois, je ne pouvais pas
travailler pour une mairie qui à un moment donné va me faire travailler selon des
directives sur lesquelles je ne suis pas d’accord. ».
Pour A., son militantisme est tel, qu’il conditionne sa vie personnelle. « Mais ça tu le payes
financièrement… à un moment donné travailler pour une asso... mais en même temps c’est
un super luxe parce que c’est en adéquation avec des valeurs. » La dimension militante de
sa fonction est le premier élément de motivation qu’A. m’a donné quand je lui ai demandé
ce qu’elle aimait dans son métier. Ceux qui viennent après sont un « résultat valorisant tout
de suite […] quand tu as une femme qui arrive et qui parle pas français et au bout de trois
ans tu la vois elle se débrouille très bien, elle participe à des trucs… il y a quelque chose…
te dis voilà pourquoi je travaille. » et puis une « dimension humaine […] j’ai travaillé dans
des équipes très différentes où les gens s’entendaient bien ».
84
Concernant G., son rapport au politique est également très important. Lors de
discussions informelles que nous avons eues toutes les deux, elle confiait être très engagée,
de front pendant les manifestations contre la loi travail, répondre à l’appel des militants
quand un événement se passait mal... Elle avait également un discours très négatif sur les
forces de l’ordre. Pendant l’entretien, elle m’a dit ne « pas avoir d’étiquette », et ne pas non
plus s’engager auprès de structures institutionnelles. Elle m’explique s’engager dans ce qui
lui semble être juste :
« Non j’ai pas d’affiliation, ils parlent beaucoup en ce moment de la convergence
des luttes moi j’y crois beaucoup, là où on a besoin de soutien et que je pense que
c’est important utile et juste, je m’engage ».
Ses valeurs morales semblent donc prendre le pas sur la façon qu’elle a de s’engager. Les
raisons invoquées pour justifier ce qui lui plaît dans son métier sont « la polyvalence, le fait
de travailler en équipe », de nouer des partenariats avec d’autres structures pour « construire
sur le local ». J’ai été surprise qu’aucune d’elles ne me réponde instantanément qu’elles
faisaient ce métier pour aider les autres, dans un esprit de don de soi, parce que pour avoir
beaucoup travaillé avec elles pendant mon stage, j’étais très impressionnée par leur travail.
C’est comme si cette réponse était évidente. Après sa réponse, j’ai rajouté à G. presque sans
réfléchir, « Et aussi pour des valeurs sociales j’imagine, le fait d’aider les gens et tout », elle
m’a regardé en rigolant : « Bah oui évidemment ! », je me suis sentie bête : « Oui bien
sûr… ».
B. Le rapport à l’art
La découverte du théâtre
Leur rapport à l’art et au théâtre est très différent de celui des médiateurs culturels.
Puisque les capitaux culturel, économique et social qu’on leur a transmis étaient nettement
plus faibles, les pratiques, sorties artistiques et culturelles étaient donc beaucoup moins
fréquentes quand elles étaient enfants.
« Est-ce que quand tu étais petite vous aviez avec tes parents des pratiques
culturelles ? Est-ce que vous faisiez des sorties culturelles ? - Non c’était le milieu
ouvrier euh... d’origine étrangère, donc tout ce qui était culturel, théâtre, cinéma,
non. ». (A. le 07/07/2016)
85
Si sa pratique de la lecture était très importante pendant son enfance, notamment grâce à son
grand frère qui lui « passait des bouquins », A. me confie avoir d’abord découvert le théâtre
à la télé :
« Nous on allait pas au théâtre, mais on avait la télé. Et à l’époque il y avait une
émission qui s’appelait… Au théâtre ce soir, c’était le vendredi soir et je ne ratais
pas ça. »
C’est quand elle a commencé à travailler à Paris que ses sorties au théâtre sont devenues plus
récurrentes :
« ça coûtait cher mais chaque fois que j’avais des invits… j’avais une copine qui
travaillait comme ouvreuse à Chaillot et de temps en temps je pouvais avoir des
places. […] c’était une question de fric. Quand j’ai commencé à travailler c’était plus
facile ».
La question de la barrière économique est prédominante dans sa pratique culturelle.
Aujourd’hui, A. fréquente beaucoup les lieux culturels et les théâtres : « Je lis beaucoup
encore oui, donc musées… les lieux artistiques de manière générale, les expos etc. La
musique, on va voir des concerts… », elle me dit aller au théâtre plus de 10 fois par an.
Concernant G., son rapport à l’art et à la pratique culturelle est encore différent. Si
sa vie a été bercée par la musique « Alors ouais la musique il y en avait tout le temps chez
nous […] La musique c’est ma vie, je me lève en musique, je me couche en musique », me
confie-t-elle, elle ne va presque jamais au théâtre. Plus qu’une contrainte économique, pour
elle, c’est une question de temps :
« - Est-ce que maintenant tu vas au théâtre ? - Ben nan parce que j’ai pas de temps,
j’ai pas beaucoup de temps, après ça m’arrive de temps en temps d’aller voir une
expo… »
mais aussi de connaissance :
« Nan c’est juste qu’au théâtre il faut être courant de ce qui se voit, de ce qui se fait
en ce moment, les expos tu vois c’est, tu les vois sur les bus, il y a plus de pub que
pour les théâtres… ».
Elle m’explique néanmoins qu’elle allait quelques fois au musée avec sa mère qui avait des
places offertes par le comité d’entreprise, et qu’elle lisait beaucoup étant enfant : « ma mère
lisait beaucoup donc moi aussi ça m’a influencé ».
Si l’on reprend la théorie de La Distinction de Pierre Bourdieu144, leur faible
fréquentation des lieux culturels et artistiques et leurs faibles pratiques quand elles étaient
144
Op.cit. BOURDIEU Pierre, La Distinction, critique sociale du jugement
86
enfants, mis à part une pratique de la lecture assez importante, ont déterminé un autre rapport
à l’art, et au théâtre particulièrement puisque c’est un art que l’on peut qualifier de
« légitime », approprié aux classes supérieures145, très différent de celui des médiateurs
culturels du TGP.
Le rapport au théâtre
Aujourd’hui, A. va voir beaucoup de théâtre, et ses goûts se sont affinés. Pour elle,
c’est une question d’habitude :
« Il fut un temps où certaines pièces étaient un peu ardues pour moi, le théâtre très
intello, très contemporain… j’avais un peu de mal mais en vérité tu t’habitues et tu
as du plaisir vraiment… donc c’est aussi un travail. »
Etant donné le fait qu’elle a grandi dans un milieu où ni le capital scolaire ni les pratiques
culturelles étaient valorisés, c’est un travail d’ « acculturation »146 à la culture légitime qu’a
dû réaliser A. Son rapport au théâtre, plus intellectualisé, est d’ailleurs le fruit de cette
acculturation : pour elle, le théâtre permet « une plus grande ouverture, plus d’intelligence,
des manières de voir le monde, d’appréhender le monde, qui sont différentes, qui permettent
de réfléchir ». Si elle ressent le fait que le théâtre soit un endroit d’émotions, de sensibilités,
ces sensations-là lui sont venues plus tardivement, à force d’aller en voir et de s’ouvrir à cet
art.
« Quand on n’a pas eu l’habitude d’aller au théâtre, et ça j’en suis convaincue parce
que moi je viens d’une famille qui n’allait pas au théâtre, et je vois bien que la
pratique d’y aller régulièrement fait que pour moi, au même titre que... en termes
d’intérêt hein pas de plaisir, au même titre que d’aller voir un film, quand tu vas voir
un film tu ne te dis jamais ‘ah bah c’est long c’est fatigant c’est je sais pas trop quoi’,
tu y vas parce que il y a une histoire et que tu te fais happé par l’histoire, quand je
vais au théâtre, aujourd’hui j’ai le même plaisir ». (A. le 07/07/2016)
Contrairement aux médiateurs du TGP, la notion de plaisir pour A. ne repose pas sur une
sensibilité irrationnelle, mais bien sur une habitude, sur une pratique régulière.
Quand j’ai demandé à G. de m’expliquer ce qu’elle ressentait au théâtre, elle n’a pas
su me répondre, « Ben pour moi je ne saurais pas les identifier [les bienfaits] parce que moi
j’ai un problème avec me regarder moi et à dire... », elle m’a quand même dit « ça me fait
du bien, ça me fait plaisir ». J’étais pour la première fois depuis le début de mes recherches,
145
146
Ibid.
Op.cit. BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, Les Héritiers, p.37
87
confrontée à une personne qui n’arrivait pas à verbaliser son rapport au théâtre. Elle était
gênée, se frottait les mains sur ses cuisses, comme si elle ne se sentait pas légitime à répondre
à cette question. Quand je lui ai demandé si les spectacles qu’elle était venue voir au TGP
dans le cadre du projet Ses Majestés avec les femmes de l’association lui avaient plu, elle
m’a répondu « Ouais carrément trop cool, j’étais super contente ». D’après ce qu’elle m’a
confié, les sorties au théâtre semblent lui plaire, et elle semble y prendre un certain plaisir.
Néanmoins, sa façon de raconter son expérience ne semble pas avoir été autant construite,
ou intellectualisée.
II.
Représentations et prise en charge de la distance sociale pendant les actions
Puisque j’ai été au cœur des ateliers de cette action de médiation pendant mon stage
de fin d’études, j’ai pu observer les relations qui se tissaient entre médiateurs culturels,
artistes et participants aux ateliers. J’étais intéressée par la prise en charge de la distance
sociale entre tous, afin de savoir si elle était conscientisée, et si oui, de comprendre comment
elle était dépassée dans ce type d’actions, puisque le but de la médiation culturelle est
d’abolir la barrière établie entre l’art et les publics dits « empêchés ». Afin de satisfaire
l’objectif d’accessibilité de la culture à tous, l’enjeu des actions de médiation pour les
médiateurs est donc de faire en sorte que ces publics se rendent compte que l’art nous
concerne tous. Pour cela, sur le terrain, il leur revient d’ « adapter » leurs discours.
A. Une barrière sociale à dépasser
« Si la médiation se définit à travers les concepts de décalage et de
communication, ceci exprime deux conceptions : premièrement, elle
contribue à renforcer la perception de l’artiste en tant qu’être
problématique au sens psychologique ; deuxièmement, elle réduit le
public à une masse incapable de comprendre. Si on part du principe que
la médiation a une fonction d’intermédiaire, cela doit permettre de
développer davantage la valeur d’échange. »
Antigone Mouchtouris, Sociologie du public dans le champ culturel et
artistique, Ed. L’Harmattan, 2003, p.103
88
L’incompréhension
« Semaine d’ateliers avec un chorégraphe en résidence au TGP. Ateliers avec des enfants dans une
cité de Saint-Denis. Une animatrice est là aussi, elle reste à l’atelier pour faire le lien avec les enfants.
Elle écrit sur son portable toute la journée, soupire.
J’essaye de parler avec elle, des enfants, de l’école, de danse… On accroche assez bien toutes les
deux, et elle m’avoue ne pas comprendre le projet de danse qu’on mène ici. Elle-même est animatrice
danse. Je lui explique que c’est plus de l’expression corporelle, que ça ne donnera pas un spectacle
chorégraphié comme un gala de danse. Et puis, un peu plus tard, je suis assise derrière elle et ai donc
une vue sur son portable… Par curiosité, j’ai lu les messages qu’elle envoyait à un ami, avec des
vidéos des enfants en train de danser. Elle lui écrivait ‘on dirait une secte, ce mec est timbré’. Bref.
Je n’en ai parlé à personne, quoique même si j’en avais parlé, on m’aurait dit ‘mais c’est pas grave,
même si elle ne comprend pas, c’est pas le but de toute façon de tout comprendre’. Mais quand même,
grosse remise en question de notre travail. A quoi ça sert tout ça si des gens comme elle, des enfants
de cette école, ne le comprennent pas ? »
Extrait de mon journal de terrain, le 25 avril 2016
xtr
Lors de la tenue du projet Ses Majestés, je remarquais qu’en plus de la barrière de la
langue entre les médiateurs, l’artiste et les femmes de l’association, il y avait une forte
barrière sociale et culturelle. Quand nous discutions tous ensemble, nous sentions bien que
nous n’avions pas le même rapport à l’art, pas le même rapport à la religion, à la famille, à
l’argent, et que nos parcours de vie, nos normes et nos valeurs étaient très différents.
Certaines avaient mon âge, et je me souviens m’être fait la réflexion qu’il aurait été difficile
pour moi de devenir amie avec elles. Non pas parce qu’on ne s’entendait pas, mais parce que
nos vies étaient tellement différentes qu’il aurait été difficile de partager autre chose que du
respect et de la politesse.
Lors de mes observations sur l’action de médiation Ses Majestés, je me suis rendu
compte parfois de l’incompréhension de certaines femmes de l’association envers le projet
artistique de l’intervenant. Plus que du théâtre ou de la danse, l’artiste chorégraphe
intervenait pour de l’expression corporelle très contemporaine, qui les bousculait dans leur
vision de l’art. A ce propos, G. m’a confié « Les femmes elles ont eu un souci, elles ne
comprenaient pas le projet, le but du projet à un moment ». Dans le cadre de la résidence,
nous avons inventé un concept de représentation : les apprentis danseurs dansaient sous la
grande scène d’un spectacle qui était en train de se jouer au-dessus au même moment.
Personne dans la grande salle ne savait ce qui était en train de se passer au-dessus d’eux,
seul un public limité était venu pour participer à l’expérience. Les femmes de l’association
89
ont eu du mal à comprendre ce qui était en train de se faire, ont trouvé cela « étrange » selon
les dires de G. pendant notre entretien, car cela ne rentrait pas dans les codes d’une
représentation traditionnelle. Quand j’ai abordé cet événement avec A. la directrice de
l’association, elle m’a répondu :
« On n’a pas poussé après parce que je me suis dit c’est compliqué, ça n’a pas de
sens pour elles, je ne peux pas les pousser dans des trucs qui n’ont pas de sens pour
elles […] elles sont revenues en disant ‘On a aimé le faire, mais on sait pas ce que
ça a pu donner. Ca correspond pas à notre vision du théâtre’ ».
Pour A., le fait de participer à ce genre d’expériences artistiques non-traditionnelles a
permis de développer une « intelligence intuitive » chez les femmes de l’association.
Comme si la rationalité du plaisir, de la pratique artistique, disparaissait au profit d’un
« laisser-aller », d’un abandon de soi. Comme si l’essence même d’une pratique artistique,
son étape ultime, devait être l’incompréhension. Le fait de ne pas mettre de mot sur ce que
l’on vit, pour laisser le corps parler. Ce rapport intuitif, sensible à la pratique, que souhaitait
transmettre l’artiste intervenant, rentre dans les codes d’une vision élitiste de l’art en général.
Aller au-delà des différences
Comment alors mener une action artistique, créer collectivement une expérience
artistique, sans empiéter sur les cultures et coutumes de chacun ? Comment faire face à
l’incompréhension sociale et culturelle entre groupes sociaux – voire entre classes sociales
? Mise à part la présence des médiatrices-relais qui font le lien entre les femmes de
l’association et les médiateurs du TGP, pendant les actions l’artiste s’engage à faire
apprendre, à faire découvrir, tout en veillant à ne pas infantiliser, à rester dans le dialogue et
la discussion ouverte. D’après Antigone Mouchtouris, la médiation culturelle ne peut se
considérer que comme un médium, ayant une valeur d’échange, sinon elle « se réduira à un
être un acteur qui répond à une des instances de légitimation en excluant les autres et se
trouvera en train d’annuler sa fonction sociale au profit des autres »147.
Quand j’ai abordé ce sujet lors de mes entretiens avec les médiateurs culturels du TGP,
tous ont mentionné l’importance du rôle de l’artiste intervenant dans les actions mais aucun
ne m’a parlé de sa propre perception de cette distance sociale. D’après D., médiatrice
culturelle au TGP, « il ne faut pas faire comme si ça [la distance sociale] n’existait pas ».
MOUCHTOURIS Antigone, Sociologie du public dans le champ culturel et artistique, Ed. L’Harmattan,
2003, 130 p., p.105
147
90
Mais elle relativise, en m’expliquant qu’il ne faut pas schématiser les parcours de vie, qui,
d’un milieu à un autre, peuvent être similaires. Elle pense par exemple à une comédienne
avec qui elle travaille beaucoup pour des actions de médiation, marocaine d’origine, qui a
été une adolescente très difficile et qui a sa propre manière de s’adresser aux publics, de « les
mettre à son niveau ». Pour elle, dès lors qu’un dialogue s’installe entre l’artiste et les
participants, l’artiste perd un peu de son aura, et s’adapte au public qu’il a en face de lui.
L’important pour elle est de « valoriser ce qu’ils pensent, ce qu’ils font quand ils prennent
la parole, quand ils sont sur scène ».
La notion de « dialogue » revient également dans le discours de F. pour aller au-dessus
d’une certaine barrière sociale. Pour lui, la barrière se dépasse par la médiation, qui est en
soi un dialogue, et qui doit avancer progressivement, il parle de « graduation de la
médiation », « c’est sûr qu’on ne peut pas tout de suite aller voir du Claude Régy » me ditil.
Selon L., la prise en charge de cette distance sociale sur les actions de médiation se fait
par la connaissance du terrain : « quand on présente les groupes des enfants et des adultes
[aux artistes intervenants] on leur dit très clairement les choses ». Pour elle, tout dépend de
la façon dont on explique le terrain à l’artiste intervenant. Et tout dépend de la propre
perception de l’artiste de son action.
B. L’importance du rôle de l’artiste
« Pour moi l’artiste il est au cœur d’une action, enfin c’est quand même lui qui la
pense, lui qui la crée, la fait, bien sûr épaulée par nous parce qu’il a quand même
besoin de soutien, mais pour moi l’artiste il est central, c’est par lui que tout passe »
(L. le 5/07/2016).
Comme je l’ai évoqué un peu plus haut, l’artiste a une place plus qu’importante dans les
actions de médiation. Il y est au cœur, et sa façon de la gérer détermine si c’est une « bonne »
ou si c’est une « mauvaise » action de médiation. Pourtant, les artistes ne sont pas formés ni
à la pédagogie ni à la communication. Selon les médiateurs néanmoins, tout repose sur le
choix qu’ils font de l’artiste intervenant, et sur sa façon de se placer envers les participants.
91
Le choix de l’artiste par les médiateurs
Le choix de l’artiste intervenant repose sur un « pressentiment » de la part des
médiateurs qui doivent estimer si cela va bien se passer ou pas. Le choix d’un artiste se fera
sur la vision qu’il a de son art et de la médiation culturelle :
« On choisit des gens qui vont dans la même direction que nous […] les artistes avec
qui on travaille au TGP particulièrement, ont quand même cette appétence pour le
travail avec le public, et ceux qui ne l’ont pas, ils ne font pas de projets. Il faut quand
même avoir un goût particulier pour la transmission. » (L. le 05/07/2016)
Comme pour les partenaires d’actions artistiques, le choix des artistes sur les actions se fait
aussi souvent par affinité : « au TGP on a à faire des gens [des artistes] que l’on connaît bien,
on leur donne des petits trucs et puis on élargit » (F. le 29/7/2016). Pendant mon stage, je
me suis rendu compte que les artistes intervenants étaient souvent les mêmes, qu’ils soient
des collaborateurs artistiques ou des comédiens du directeur, des artistes vivant à Saint-Denis
et cultivant depuis longtemps des étroites relations avec le territoire… Ils diffèrent
néanmoins en fonction de chaque médiateur et de ses projets. Chacun a « ses » artistes
référents. L’artiste intervenant pour le projet Ses Majestés est un ami de F., référent du projet.
Ils avaient déjà beaucoup travaillé ensemble avant, et F. l’a choisi car il connaissait la qualité
de son travail avec les amateurs.
Les artistes choisis pour être intervenants sur des actions de médiation au TGP
doivent être intéressés par les types de publics avec lesquels le Théâtre travaille, c’est-à-dire,
par des publics amateurs, d’origines sociales et culturelles différentes, de milieux sociaux
très différents :
« On sent si c’est des gens qui ont l’envie, ou si c’est des gens qui ne connaissent
pas la diversité, si c’est des gens que ça intéresse pas aussi, parce qu’il y en a qui
n’en ont rien à faire de ces publics-là, donc c’est vraiment là où nous notre rôle est
crucial, de savoir estimer comment la rencontre va se faire ». (L. le 05/07/2016)
Par ailleurs, il faut que la rencontre se fasse entre les artistes et les médiateurs-relais sur le
territoire « je rencontre toujours les personnes avec qui on va travailler avant parce que déjà
il faut que ça passe avec moi » m’explique A.
92
La place de l’artiste dans les actions
Le choix de l’artiste intervenant est déterminant pour la bonne tenue d’une action de
médiation, mais c’est surtout la façon dont il se place envers les participants pendant les
ateliers qui est un critère de « réussite ». Selon G., animatrice de l’association Femmes du
Franc-Moisin, l’intervenant sur le projet Ses Majestés « met tout le monde en avant […] il
laisse les gens s’exprimer à leur manière, et en plus il a un œil qui fait qu’il est toujours en
train de les valoriser [les femmes], de les féliciter, toujours en train de de les encourager ».
Selon les médiatrices-relais du projet, le fait de ne pas se mettre en avant et d’être « à l’égal
des autres » est un élément indispensable pour le bon déroulé d’un atelier
« Il faut que je sente que la personne va être à même de se mettre, je veux pas dire
au même niveau mais de respecter ce que sont les femmes, de faire avec ce qu’elles
sont. Sinon c’est pas possible. »
A. avoue également que pour elle en revanche, « ce n’est pas une question d’affinité ».
Les médiateurs culturels sont très attachés à la figure de l’artiste ; quand je leur faisais
remarquer pendant les entretiens que c’était parfois étonnant que ce soit les artistes qui
tiennent les projets d’action artistique seuls, ils me répondaient par leur « foi » en l’artiste
comme un médiateur, un pédagogue, par son simple statut d’artiste :
« C’est des gens qui sont attentifs à l’expression, c’est des gens qui n’ont pas besoin
de formation pour être de bons pédagogues, par contre ils ont besoin d’expérience et
de bouteille parce que c’est difficile de gérer un groupe », m’explique F., en parlant
des artistes « intègres ».
Selon D., parce qu’ils restent dans leur rôle d’artiste et qu’ils sont créateurs, ce sont « les
meilleurs médiateurs », :
« C’est pour ça que c’est compliqué les artistes profs, enfin c’est compliqué le théâtre
au lycée, parce que du coup, l’artiste son rôle il se modifie, parce qu’il est plus
enseignant que créateur ».
Pour avoir assisté à tous les ateliers du projet Ses Majestés pendant mon stage, et
pour avoir été souvent seule avec l’artiste intervenant et les participants, j’ai su déceler ses
techniques d’approche, ses façons de ne pas trop s’impliquer, tout en étant toujours dans la
discussion et le dialogue. Je sentais que tout cela était pensé, qu’il avait une expérience telle
qu’il savait comment faire pour impliquer tous les participants dans le projet, pour s’adapter,
aussi bien avec les femmes immigrées, qu’avec les enfants ou les personnes âgées. Il les
93
valorisait, les convainquait que le moindre petit mouvement était un moment de grâce, un
mouvement dansé. Il les amenait progressivement vers ce qu’il imaginait, tout en
construisant son projet artistique en fonction des corps, des propositions de chacun.
Néanmoins, il cultivait l’image de l’artiste inaccessible, « perché » pour reprendre le terme
utilisé par G. en riant « je le voyais regarder et voir des choses que moi je ne voyais pas,
donc tu te dis le gars est perché, mais c’est un artiste donc voilà ». C’est aussi ce que pensait
l’animatrice du centre de loisirs, comme écrit dans l’extrait de mon journal de terrain reporté
p.72. Malgré le fait que j’aille souvent au théâtre, et que je sois habituée à voir de la danse
contemporaine, je me suis retenue plusieurs fois de rire pendant les premiers ateliers. Je
trouvais l’utilisation de son vocabulaire exagérée, presque ridicule, et je ne pouvais
m’empêcher d’imaginer ma famille ou mes amis d’enfance s’ils avaient été présents :
qu’auraient-ils dit ? qu’auraient-ils pensé ? Il existe une certaine censure à parler de l’art
quand on ne se sent pas légitime à en parler, et on peut se convaincre d’aimer quelque chose
parce que ceux qui sont légitimes pour en parler l’apprécient.
III.
Les bilans de la pratique : quelles différences d’interprétation des effets sur les
publics ?
Il semblerait que les deux médiatrices-relais de l’association Femmes du Franc-
Moisin, se reconnaissent plus dans un modèle d’éducation populaire, détaché de l’action
culturelle, laquelle avait été prônée par André Malraux à son arrivée au Ministère des
Affaires Culturelles. C’est lui qui distinguera ces deux notions, procédant à une séparation
entre l’animation socio-culturelle de l’éducation populaire et la démocratisation par l’action
culturelle. Si le but de l’action culturelle est d’élargir le public de la culture
« légitime », l’animation socio-culturelle se voudrait plus « démocratique », médiatrice
entre la culture savante et la culture ouvrière dans un but d’ « éducation du peuple ». Ces
deux notions se rapprocheront néanmoins à la fin des années 90, grâce au développement du
concept de « médiation », qui multiplie les services d’éducation dans les établissements
culturels. La culture devient alors un moyen de servir plusieurs aspects de la société :
94
économique, social et éducatif148. Aujourd’hui, si les établissements culturels publics
travaillent en étroit partenariat avec des associations d’animation socio-culturelle, leurs rôles
sont quand même très distincts : d’un côté, la mise en avant de l’art et de la culture comme
principal appui de développement, et d’un autre, l’utilisation secondaire de l’art et de la
culture pour participer au développement de la société.
Les bienfaits du théâtre sur les publics perçus par les médiatrices-relais semblent
donc directement découler des valeurs de l’animation socio-culturelle. Loin de prôner la
« qualité » et la sensibilité artistique, les conséquences perçues relèvent de l’observation
directe d’améliorations concrètes de la vie quotidienne des publics cibles.
A. Les bienfaits sur les publics perçus par les médiatrices-relais
La cohésion de groupe et les rencontres
Alors que le premier bienfait du théâtre sur les publics invoqué par les médiateurs du
TGP était la cohésion, la communion, dans les salles de spectacles et pendant les ateliers, les
médiatrices-relais de l’association femmes du Franc-Moisin n’en ont pas la même
perception :
« Dans la salle tu le vois bien hein, les publics sont différents, moi je vois bien quand
je vais au théâtre avec les femmes les regards qu’on nous jette, le théâtre c’est à eux,
c’est leur espace et quand ils nous voient arriver, c’est les pauvres qui
débarquent… »
A. considère donc que le théâtre en tant qu’établissement culturel public n’est pas accessible
à toutes les personnes de tous les milieux sociaux. Elle soutient l’idée d’un art qui se veut
élitiste, légitime, et qui est l’incarnation d’un entre-soi. Pour G., ça ne peut être un moment
de cohésion, puisque les différences d’interprétation freinent le vivre-ensemble :
« Moi si je suis au théâtre, même si je suis avec 4-5 potes justement on va tous le
vivre différemment donc pour moi il y a pas de cohésion, alors après on se retrouve
tous au même endroit et c’est vrai pour la même chose, mais bon… ».
148
MOULINIER Pierre, « Action culturelle et éducation populaire », [en ligne] Centre de recherches du
comité d’histoire du Ministère de la Culture et de la Communication sur les politiques, les institutions et les
pratiques culturelles, 2015
95
Néanmoins, le discours n’est pas le même concernant le déroulé des ateliers
artistiques. D’après A :
« Dans les projets en eux-mêmes qu’on monte, moi je n’arrête pas de le dire mais
c’est les seuls moments où j’ai l’impression qu’on sort de l’entre-soi […] les
moments où il y avait les regroupements, avec les autres groupes ».
Les moments de réunion entre les trois groupes de danseurs, apparaissent alors comme des
moments de communion, de cohésion, où les différences sont oubliées :
« Quand tu voyais des femmes avec le voile qu’arrivaient à être confrontés avec
d’autres hommes, d’autres personnes sans se dire ‘attends il va me toucher’, ben c’est
quelque chose quoi » (G. le 13/07/2016).
Et ces moments de regroupements, ont été facteurs de rencontres individuelles, qui pour A.,
peuvent changer encore plus changer l’opinion que l’on a l’un de l’autre :
« Il y a vraiment des rencontres comme ça, il y a des gens où il y aura pas de
rencontres individuelles mais c’est pas grave, il y a eu des rencontres en tout cas sur
tous les projets […] quelques soient les différences, ce que pensent les uns et les
autres, cet espace permet une rencontre sur un projet, une rencontre parce que comme
il y a à voir avec l’intime etc, et tu te dis, le truc collectif… ».
L’objectif est donc de favoriser les rencontres entre personnes de différents milieux, dans un
but politique de dépassement des différences, et d’amélioration du vivre-ensemble.
Au-delà des rencontres amicales, il semblerait, comme l’explique A., que la pratique
artistique collective, parce qu’elle n’est plus rationnelle mais qu’elle devient « intuitive »,
renforce les liens entre les individus très rapidement. Je l’ai également observé pendant les
ateliers du projet Ses Majestés, puisque pendant tout le déroulé l’intervenant faisait se
toucher, se confronter les corps, les participants ont vite été complices et tactiles entre eux :
ils se serraient dans leurs bras, se prenaient par les épaules, etc. L’euphorie de l’atelier et des
restitutions a également renforcé les liens entre femmes et hommes, adultes et enfants,
comme s’ils se connaissaient depuis longtemps, ils riaient, bavardaient ensemble. Même si
je ne participais pas aux ateliers en tant que participante, j’ai ressenti moi aussi ce lien fort
qui nous unissait après les représentations, et c’était impossible de l’expliquer.
L’ « équité » culturelle
Pour les deux médiatrices-relais, un autre bienfait du théâtre sur les publics concerne
l’ « ouverture » culturelle dans un but d’accès équitable de tous à la culture :
96
« Quand je travaille et qu’on monte des projets comme ça, je sais pourquoi je le fais,
je le fais parce que, non pas en me disant, pas avec un aspect paternaliste, mais plus
avec une optique science populaire, éducation populaire… […] il y a des choses qui
existent et elles doivent être à la portée de tout le monde », m’explique A.
Elle travaille donc notamment pour un idéal de démocratisation culturelle défendu en
premier lieu par les mouvements d’éducation populaire. Le but n’était pas de provoquer la
« sensibilité artistique » ou de faire découvrir les grandes œuvres françaises, mais bien de
permettre à tous d’émettre un avis, de développer son esprit critique :
« Ils ont expérimenté, mais ont dit que c’était pas leur truc, m’enfermer dans une
salle pour aller voir des gens gigoter c’est pas mon truc, je préfère la musique, etc.
parce qu’ils ont eu cette possibilité, mais quand t’as pas eu cette possibilité, comment
tu peux choisir, il y a pas de choix ». (A. 07/07/2016)
Un autre objectif très important pour elles, est de faire connaître l’environnement où
les femmes vivent, pour qu’elles se sentent « chez elles » : « l’objectif principal c’est ça.
C’est de dire on est dans un environnement, il faut le connaître. On est à Saint-Denis on a
un monument qui est le TGP, il faut une fois au moins aller voir une pièce », m’explique A.
G. parle d’ « ouverture culturelle », de découverte de la culture du pays dans lequel elles
vivent, pour s’y intégrer, ou s’y sentir plus intégrées.
Insertion professionnelle et prise de confiance
Le troisième bienfait perçu par les médiatrices-relais, est celui de l’apprentissage du
français qui permet de favoriser l’expression et l’insertion professionnelle. Selon A. « Elles
font des progrès considérables en français, ce type de projet permet une accélération ».
Puisqu’un projet comme Ses Majestés les poussent à s’exprimer devant un public, que ce
soit par la parole ou par le corps, cela permet qu’elles se sentent plus à l’aise dans la vie de
tous les jours. A ce propos, G. m’explique :
« Ca les aide pour la langue, et ça les aide aussi personnellement, ça les aide à
prendre la parole en public, à exprimer leurs opinions, donc ouais c’est super
important ».
De manière plus concrète, A. ajoute :
« Ca veut dire que quand elles ont des démarches à faire, elles n’ont pas la trouille
de parler parce qu’elles ont parlé devant 50 personnes à un spectacle, donc une fois
que tu as cette expérience-là t’as pas la trouille d’aller à la mairie demander ton
papier ou d’aller voir la prof de ton enfant ».
Et cela permet également qu’elles prennent confiance en elles et en leur parole :
97
« Découvrir que ce qu’elles disent, que leur parole a de l’intérêt et que... ben pour le
moment les fautes c’est pas grave, du coup ça leur donne de l’énergie, et elles n’ont
plus peur de parler, et n’ayant plus peur de parler, et bien tu avances plus vite ».
Par le biais de la pratique, le théâtre et la danse sont des outils pour permettre d’avancer sur
des aspects très pratiques du quotidien de ces femmes. Plus qu’une « réflexion », qu’une
« cohésion », les médiatrices-relais identifient des conséquences concrètes de ces actions
artistiques, qui justifient qu’elles continuent à mener des projets comme ceux-là, car ils
semblent être efficaces.
B. Les bilans du médiateur : une objectivité limitée ?
Des bilans abstraits
Contrairement au discours-bilan des médiatrices-relais de l’association Femmes du
Franc-Moisin sur les bienfaits de la pratique auprès des participantes, celui des médiateurs
du TGP, puisqu’ils ne travaillent pas toujours avec les mêmes publics, ne peuvent constater
les effets de leurs actions sur le long terme. Ils préfèrent donc un discours plus abstrait pour
parler des objectifs et du bilan des actions. Le registre du « sensible » est particulièrement
représenté, comme celui de l’ « épanouissement » personnel, mais peu d’exemples concrets
sont donnés. Ce sont les médiateurs culturels eux-mêmes qui rédigent des petits bilans de
leurs actions qui sont souvent plus qualitatifs que quantitatifs.
Par ailleurs, il semble qu’il existe une sorte de « pression » à ce que les projets
d’action artistique se déroulent bien. Les difficultés rencontrées sont parfois évincées au
profit des côtés positifs de l’action. Il faudrait pouvoir continuer les recherches dans ce sens
pour essayer de comprendre d’où vient cette volonté de cacher les aspects négatifs d’un
projet, qui peut parfois empêcher une réflexion sur son amélioration. Pour les médiateurs
culturels, cela peut peut-être être expliqué par leur croyance dans les bienfaits du théâtre et
dans leur métier, qui façonne un point de vue indétrônable sur les bienfaits des actions qu’ils
mettent en place.
D’autre part, la « qualité » artistique est un élément encore important dans le bilan
des actions, qui sont d’autant plus valorisées si les restitutions sont de ce qu’ils considèrent
d’une « bonne qualité ». Difficile cependant d’évaluer cette qualité au vu des différents
enjeux des projets. Pour un projet comme Ses Majestés, il semblerait que la cohésion et
98
l’épanouissement des participants prime sur le rendu. Mais l’objectif final de cette résidence
est de créer un spectacle qui sera donné dans la grande salle du TGP à la fin de la saison
2016-2017, et qui donne une nouvelle dimension à l’ensemble. En effet, ce spectacle, au
même titre que les autres de la saison, fera l’objet d’une prospection des publics, d’une
campagne de communication élaborée, et donc d’une recherche de profit dans les entrées,
qui demanderont un travail considérable aux médiateurs.
Vers une complémentarité des objectifs ?
Néanmoins, la bonne volonté et la conscientisation des objectifs par les médiateurs
culturels, poussent à croire que les actions artistiques tendent à devenir des projets favorisant
le vivre-ensemble et l’expression des cultures locales. Comme j’ai pu l’observer pendant
mon stage au Théâtre Gérard Philipe, les médiateurs culturels sont convaincus de la force
des projets plutôt relatifs à de la démocratie culturelle. Ils encouragent les actions où la parole
des individus est valorisée, où l’esprit critique est encouragé, où les objectifs artistiques
s’adaptent aux envies et aux besoins des participants, etc. Ces nouveaux enjeux sont de plus
en plus en adéquation avec les associations d’animation socio-culturelle du territoire qui
valorisent le développement des habitants en passant par des activités culturelles. Comme
l’expliquent Lionel Arnaud, Vincent Guillon et Cécile Martin, depuis les années 70-80, les
nombreuses critiques de l’accès à la culture basées sur les théories de la distinction et de la
légitimité de Pierre Bourdieu, ont permis une plus grande prise en compte des « cultures
minoritaires »149, une valorisation des différences, dans les stratégies d’action publique.
La médiation culturelle d’aujourd’hui peut être considérée comme le reflet d’un
retour aux principes d’éducation populaire qui avaient été refoulés à partir des années 60. La
politique culturelle fondée sur une certaine conception de l’excellence artistique a écarté les
pratiques qui permettaient de garder le contact entre des populations et des zones éloignées
socialement et culturellement. Dans un contexte de désenchantement des politiques
culturelles françaises, les médiateurs culturels, qui se rendent compte quotidiennement des
limites de la non-considération de la diversité culturelle dans les actions valorisant
exclusivement la diffusion d’œuvres d’art légitimes, peuvent donc être qualifiés d’ « agents
149
ARNAUD Lionel, GUILLON Vincent et MARTIN Cécile, Elargir la participation à la vie culturelle :
expériences françaises et étrangères, Rapport d’étude, Observatoire des politiques culturelles, 2015
99
de ce retour »150, en utilisant des techniques d’intervention qui ressemblent souvent à celles
utilisées dans le cadre d’actions d’éducation populaire.
La communion et la cohésion lors des ateliers de pratique semblent être les premiers
objectifs dans la théorie comme dans la pratique, aussi bien pour les médiateurs culturels
que pour les médiateurs sur le terrain. Cette cohésion implique, selon les deux points de vue,
une volonté de dépasser les différences et les catégorisations de populations. Un deuxième
objectif est celui de l’épanouissement des publics ciblés par les actions, qui, pour les
médiateurs culturels, passe par la révélation d’une sensibilité et l’exposition à d’autres
regards sur la société, et qui pour les médiatrices relais, passe par l’apprentissage de la langue
et la prise de confiance en soi. Si la notion de « rencontre » a été évoquée aussi bien par les
médiateurs culturels que par les médiatrices-relais, pour les premiers, la rencontre importante
pendant les spectacles et les ateliers concerne celle entre l’art et le public. Pour les
deuxièmes, les rencontres importantes sont celles qui se font entre les individus, qui
n’auraient souvent pas été amenés à se rencontre dans un autre contexte.
Au-delà d’une distinction duelle entre l’action culturelle d’un côté et l’animation
socio-culturelle d’un autre, les objectifs de médiation d’un établissement culturel public
comme le TGP et ceux d’une association comme les Femmes du Franc-Moisin, tendent donc
aujourd’hui à se compléter. Le premier a besoin du deuxième pour faire la médiation directe
entre son art et les publics du territoire, et le deuxième a besoin de l’expertise du premier
dans le domaine artistique et culturel. Comme l’explique Jean Caune, la médiation culturelle
dans
tout
ce
qu’elle
représente,
peut
permettre
d’échapper
à
l’opposition
démocratisation/démocratie culturelle151.
150
Op.cit. Marie-Christine BORDEAUX
CAUNE Jean, « Desaffection des normes et ouverture des domaines » In LAFORTUNE Jean-Marie, La
médiation culturelle, le sens des mots et l’essence de pratiques, Ed. Presses Université du Québec, Col.
Publics et Culture, 2012, p.13
151
100
Conclusion
Le « théâtre service public », comme théorisé par Jean Vilar, a progressivement
conditionné la relation qu’entretient l’Etat français à la gestion de la culture. La dimension
morale de la médiation culturelle, qui permet de satisfaire l’objectif fondateur des politiques
culturelles, est donc devenue la norme du système français. Ce mémoire de recherche partait
d’une contradiction observée dans le fonctionnement des théâtres publics : celle de vouloir
d’un côté prôner l’exigence artistique propre à une culture d’élite, tout en voulant procéder
à une diversification socio-culturelle des publics. L’objectif de ce mémoire était donc de
rendre compte et de déconstruire la croyance dans la médiation culturelle au travers d’une
enquête sociologique auprès des médiateurs culturels d’un centre dramatique national de
banlieue parisienne, le Théâtre Gérard Philipe.
Pour cela, nous avons procédé en quatre temps : dans une première partie, nous avons
contextualisé l’idée du théâtre comme service public, en retraçant son histoire et l’émergence
de la question de la médiation, et en mettant en avant le rôle des centres dramatiques
nationaux dans cette histoire. Puis, nous avons défini la médiation culturelle, dans ce qu’elle
représente aujourd’hui, dans ce qu’implique le fait d’être médiateur, pour voir se dessiner
une croyance dans les bienfaits du théâtre, et dans la médiation culturelle pour réaliser ces
bienfaits. Dans un second temps, nous avons esquissé les représentations de la médiation
culturelle aujourd’hui, dans ce qu’elle est au Théâtre Gérard Philipe, et dans le discours
qu’en ont les médiateurs culturels. Nous avons tenté de mettre en lumière les codes utilisés
pour en parler, et ce que cela détermine sur les actions de médiation. La troisième partie se
concentre sur une déconstruction sociologique des origines de la croyance dans la médiation
culturelle, en évoquant tout d’abord l’importance de la socialisation culturelle inculquée aux
enquêtés par leurs familles et du capital scolaire incorporé, puis, en identifiant les
motivations à exercer ce métier, conditionnées par les origines sociales, qui le rendent
« vocationnel ». Enfin, dans une quatrième partie, nous avons effectué une mise en
perspective du discours et des représentations de la médiation culturelle par les
professionnels de la culture et en particulier par les médiateurs culturels, avec les pratiques
sur le terrain d’une action de médiation, intitulée Ses Majestés. Au travers d’entretiens menés
avec deux médiatrices-relais présentes sur le terrain, nous avons tenté de comparer les
101
visions de chacun des deux groupes, pour mettre en lumière les différences d’interprétation,
déterminées en partie par leurs origines sociales différentes.
Ainsi, par une enquête sociologique nourrie d’entretiens et d’observations, nous
avons démontré que la croyance dans les bienfaits du théâtre sur les publics et dans la
médiation culturelle n’était pas « naturelle » mais qu’elle était au contraire déterminée par
les origines sociales assez élevées et les parcours de vie des médiateurs culturels. D’autre
part, il semble que la vision malrucienne de l’art et de la démocratisation culturelle, celle
prônant la sensibilité esthétique universelle, est toujours prégnante au Théâtre Gérard
Philipe. Car même si les pratiques de médiation sont plus élaborées, l’art et l’artiste sont au
cœur de toutes les actions, et sont encore considérés comme les meilleurs médiateurs.
Néanmoins, le but n’était pas de faire le procès de nos enquêtés, car si tout cela n’est
que croyance, elle ne semble pourtant pas être infondée. Les bienfaits du théâtre sur les
publics identifiés par les médiateurs culturels, rejoignent en partie ceux identifiés par les
agents sur le terrain, directement confrontés aux difficultés socio-économiques des publics
ciblés par les actions de médiation. Par ailleurs, l’expérience professionnelle des médiateurs
culturels permet également de fonder leur discours dans des cas observés sur le terrain. Si
leurs discours sont parfois idéalisés, et même s’il est difficile de faire du seul cas du Théâtre
Gérard Philipe une généralité, il convient de rappeler la « bonne volonté », qui relève
presque d’une ambition politique, avec laquelle ils conduisent leurs projets.
« L’avenir de la médiation culturelle ne serait-il pas de reprendre les
fonctions de transmission et d’appropriation des langages artistiques
pour permettre à l’homme ordinaire de trouver sa place comme sujet
de parole et sujet d’action, bref, comme sujet politique ? »
Jean Caune « Pluralité des pratiques et diversité des fonctions » In
Jean-Marie Lafortune, La médiation culturelle, le sens des mots et
l’essence de pratiques, Ed. Presses Université du Québec, Coll.
Publics et Culture, 2012, p.13
102
103
Bibliographie
-
Ouvrages :
ABICHARED Robert, La décentralisation théâtrale, 1. Le premier âge (1945-1958), Actes
Sud Papier Cahiers théâtre éducation, 1992, 176 p.
ARNAUD Lionel, GUILLON Vincent et MARTIN Cécile, Elargir la participation à la vie
culturelle : expériences françaises et étrangères, Rapport d’étude, Observatoire des
politiques culturelles, 2015
BABE Laurent, Les publics du théâtre, Exploitation de la base d’enquête du DEPS, « Les
pratiques culturelles des français à l’ère du numérique – Année 2008 », Enquête de la
Direction générale de la création artistique du Ministère de la Culture et de la
Communication
BEAUD Stéphane et WEBER Serge, Guide de l’enquête de terrain, Ed. La découverte (4e
édition), coll. Grands Repères, 2010, 336 p.
BERA Matthieu et LAMY Yvon, Sociologie de la culture, Ed. Armand Collin, coll. Cursus,
2003
BOLTANSKI Luc et CHIAPELLO Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, coll.
NRF Essais, 1999
BOURDIEU Pierre et PASSERON Jean-Claude, Les héritiers : les étudiants et la culture,
Editions de Minuit, Coll. Sens Commun, 1964
BOURDIEU Pierre et DARBEL Alain, L’amour de l’art. Les musées d’arts européens et
leur public. Paris : Éditions de Minuit, 1966, 192 p.
BOURDIEU Pierre, La distinction, Critique sociale du jugement, Ed. De Minuit, coll. Le
sens commun, 1979, 672p.
BOURDIEU Pierre, Les règles de l’art : genèse et structure du champ littéraire, Ed. Seuil,
coll. Libre examen politique, 1992, 480 p.
BOURDIEU Pierre, Langage et pouvoir symbolique, Ed. Fayard, 2001
BRUNO Alain, Lire Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron. Les Héritiers- Les étudiants
et la culture – Un renouveau de la sociologie de l’éducation, Ed. Ellipses, 2009
CASTRA Michel « Socialisation », In PAUGAM Serge (dir.), Les 100 mots de la
sociologie, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que Sais-Je ? », p. 97-98
CAUNE Jean, La démocratisation culturelle, une médiation à bout de souffle, Grenoble,
Presses universitaires de Grenoble, coll. Arts et culture, 2006, 205 p. CAUNE Jean, La
démocratisation culturelle, une médiation à bout de souffle, Grenoble, Presses universitaires
de Grenoble, coll. Arts et culture, 2006, 205 p.
CAUNE Jean, La culture en action, De Vilar à Lang : le sens perdu, Grenoble, PUG, 1999
104
CHAUDOIR Philippe et DE MAILLARD Jacques, Culture et politique de la ville, Editions
de l’Aube, 2004
CHAUMIER Serge et MAIRESSE François, La médiation culturelle, Editions Armand
Colin, 2013
CIRET Yann et LAROZE Franck, Passions civiles, Entretiens avec Stanislas Nordey et
Valérie Lang, Editions La passe du vent, 2001
CUCHE Denys, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris : La découverte, coll.
Repères, 2004, 157 p.
DONNAT Olivier, Les pratiques culturelles des français à l’ère numérique, Enquête 2008,
Ed. La découverte, Ministère de la Culture et de la Communication, 2008
DUBOIS Vincent, La culture comme vocation, Ed. Raisons d’agir, Coll. « Cours &
Travaux », 2013
DUBOIS Vincent, La politique culturelle, Genèse d’une catégorie d’intervention publique,
Paris, Belin, coll. « Socio-histoires », 1999, 383 p.
FLEURY Laurent, Le TNP de Vilar, une expérience de la démocratisation de la culture,
Presses universitaires de Rennes, 2007
FLEURY Laurent, Sociologie de la culture et des pratiques culturelles, Ed. Armand Collin,
2006
FOUCAULT Michel, Surveiller et punir, Paris : Gallimard, 1993, 360 p.
FOURTEAU Claude (sous la direction de), Les institutions culturelles au plus près du
public, Paris : La documentation française, 2002, 279 p.
FRECHURET Laurent, Habiter un théâtre, inventer et partager un centre dramatique
national à Sartrouville, Ed. Les solidaires intempestifs, 2012, 107 p.
FUMAROLI Marc, L’Etat culturel : une religion moderne, Ed. de Fallois, 1992, 410p.
GAUTIER Théophile, Mademoiselle de Maupin, « Préface », 1835, p. 22
JOUVET Louis, Témoignages sur le théâtre, Ed. Flammarion, 2002
LAFORTUNE Jean-Marie, La médiation culturelle, le sens des mots et l’essence des
pratiques, Ed. Presses Université du Québec, Col. Publics et Culture, 2012
LAHIRE Bernard, Le travail sociologique de Pierre Bourdieu, Ed. La Découverte, 1999
MOUCHTOURIS Antigone, Sociologie du public dans le champ culturel et artistique, Ed.
L’Harmattan, 2003, 130 p.
PENCHENAT Jean-Claude (sous la direction de), Missions d’artistes, les Centres
dramatiques de 1946 à nos jours, Editions Théâtrales, 2006
POIRRIER Philipe, L’Etat et la Culture en France au 20ème siècle, Le livre de poche, 2000
105
SELLIER Geneviève et VIENNOT Eliane (Sous la direction de), Culture d’élite, culture de
masse et différence des sexes, Ed. L’Harmattan, 2004, 192 p.
URFALINO Philipe, L’invention de la politique culturelle, La Documentation française,
Paris, 1996
WALLACH Jean-Claude, La culture pour qui ?, Ed. de l’attribut, 2006, 128 p.
WEBER Max, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Ed. Flammarion, coll.
Champs, 1999
WEBER Max, « Considération intermédiaire », in Sociologie des Religions, Paris, Gallimard
(réédition [1915]), 1996
-
Articles :
BORDEAUX Marie-Christine, « La médiation culturelle, conditions d’émergence, enjeux
politiques et théoriques », Actes du colloque international sur la médiation culturelle,
Montréal, déc. 2008
BOURDIEU Pierre, « La production de la croyance [contribution à une économie des
biens symboliques] », Actes de la recherche en Sciences sociales, vol. 13, n°1, p.3-43,
1977
GOETSCHEL Pascale, « Le premier âge de la décentralisation théâtrale (1945-1958) »,
Vingtième siècle, revue d’histoire, 1992, vol. 32 n°1, p 94-95
MAUGER Gérard, « Capital culturel et reproduction sociale », Sciences Humaines, Horssérie n°36, mars 2002
MAUSS Marcel, « Esquisse d’une théorie générale de la magie », L’Année sociologique,
1902-1903, en collaboration avec HUBERT Henri
MOULINIER Pierre, « La dimension territoriale de la démocratisation culturelle » [en
ligne] Centre de recherches du comité d’histoire du ministère de la Culture et de la
Communication, Centre d’histoire de Sciences-Po Paris, La démocratisation culturelle au
fil de l’histoire contemporaine, Paris, 2012-2014
MOULINIER Pierre, « Action culturelle et éducation populaire », [en ligne] Centre de
recherches du comité d’histoire du Ministère de la Culture et de la Communication sur les
politiques, les institutions et les pratiques culturelles, 2015
MOULINIER Pierre, « Histoire des politiques de « démocratisation culturelle », la
démocratisation culturelle dans tous ses états », Ministère de la Culture et de la
Communication, 2011-2012,
106
RASSE Paul, « La médiation, entre idéal théorique et application pratique », Recherche en
communication, n°13, 2000, p. 38
VILAR Jean, « Le TNP, service public » [1953], Le théâtre, service public, Gallimard, 1986,
p. 173
ZARADER Jean-Pierre, « L’imaginaire dans la pensée malrucienne de l’art », Europe, vol.
67, 1989, n° 727-728, p. 158-168
-
Documents officiels :
Décret n°59-889 du 24 juillet 1959 relatif à l’organisation du Ministère chargé des Affaires
Culturelles
Décret n°82-390 du 10 mai 1982 relatif à l’organisation du Ministère de la Culture
Décret n°72-904 du 2 octobre 1972 relatif aux contrats de décentralisation, article 1er, dit
« contrat de décentralisation dramatique »
Cahier des missions et des charges des centres dramatiques nationaux, Ministère de la
Culture et de la Communication
Charte des missions de service public pour le spectacle, Ministère de la Culture et de la
Communication, 1998
-
Sitogaphie :
http://fresques.ina.fr/en-scenes/parcours/0028/les-grandes-institutions-theatrales-lacreation-des-theatres-nationaux-et-des-centres-dramatiques-nationaux.html
http://www.liberation.fr/tribune/2001/07/09/le-temps-des-programmateurs_370938
http://www.lascene.com/a-la-une/infosscenes/11759-enquete-sur-les-programmateurs--lunmetier-prestigieux-et-rarefier
http://www.observatoire-culture.net/fichiers/files/etude_complete_telecharger_2.pdf
107
Annexes
-
Annexe 1 (p.109) : Liste des personnes entretenues
-
Annexe 2 (p.110) : Grille d’entretien avec les médiateurs culturels du Théâtre
Gérard Philipe
-
Annexe 3 (p.112) : Grille d’entretien avec les médiatrices-relais de l’association
Femmes du Franc-Moisin
-
Annexe 4 (p.113) : Retranscription du premier entretien avec D.
-
Annexe 5 (p.124) : Journal de terrain
108
-
Annexe 1 : Liste des personnes entretenues
D., responsable de l’action artistique, au Théâtre Gérard Philipe. Entretien le 4 juillet 2016
L., responsable des relations avec les publics au Théâtre Gérard Philipe. Entretien le 5
juillet 2016.
F., responsable du développement des publics au Théâtre Gérard Philipe. Entretien le 29
juillet 2016.
A., directrice de l’association Femmes du Franc-Moisin. Entretien mené le 7 juillet 2016.
G., animatrice à l’association Femmes du Franc-Moisin. Entretien mené le 13 juillet 2016.
109
-
Annexe 2 : Grille d’entretien pour les médiateurs culturels du Théâtre Gérard
Philipe
-
Origine sociale
Que faisaient tes parents quand tu étais enfant ?
Où as-tu grandi ?
Allais-tu souvent au théâtre/au musée/voir des concerts avec tes parents ?
As-tu des frères et sœur ? Que font-ils aujourd’hui ?
Pratiquais-tu une activité artistique/culturelle quand tu étais enfant ? Si oui, tes parents ontils été à l’origine de ce choix ?
Tes parents ont-ils une opinion politique/un engagement politique défini ?
-
Vocation
Comment as-tu découvert le théâtre ?
Quel est ton premier souvenir de théâtre ?
Quelles études as-tu fait ?
Crois-tu que tes parents t’ont influencé dans ton choix d’exercer ce métier ? Crois-tu que
leurs opinions politiques t’ont influencé ?
Tes parents t’ont-ils soutenu dans ton choix de t’orienter vers le théâtre/la culture ?
-
Vision de la médiation culturelle
Qu’aimes-tu dans le théâtre ?
Quels sont pour toi les bienfaits du théâtre/de la danse ?
Quels sont pour toi les principaux objectifs de la médiation culturelle ?
Pourquoi avoir choisi les relations avec le public plutôt que la production ou
l’administration par exemple ?
Quelles sont tes motivations personnelles à exercer ce métier ? Quelle part à ton
épanouissement personnel ? Quelles sont les raisons qui font que tu continues à exercer ce
métier malgré (on le voit bien dans la fréquentation des publics individuels) l’échec des
politiques de démocratisation ?
Quel est ton rapport à l’exigence artistique vis-à-vis de la diversification des publics ?
Pourquoi crois-tu que l’on doive amener le public à l’exigence artistique ?
110
-
Représentation du terrain
Pourquoi exerces-tu le métier de RP en banlieue parisienne, auprès d’un public
dit « empêché » ?
Comment définis-tu les terrains de tes projets d’action artistique ? Pourquoi un quartier
plutôt qu’un autre ?
Quel est pour toi le rôle de l’artiste dans les actions artistiques ?
Pourquoi crois-tu que le public touché par les actions ait besoin d’un rapprochement à
l’artistique ?
Comment crois-tu dépasser la barrière sociale de l’artistique vis-à-vis du public ?
Quels sont pour toi les impacts des actions artistiques sur le territoire ? Quels bienfaits ?
111
-
Annexe 3 : Grille d’entretien avec les médiatrices-relais de l’association Femmes
du Franc-Moisin
Origines sociales :
Que faisaient tes parents quand tu étais petite ?
Où as-tu grandi ? Où vis-tu maintenant ?
T’ont-ils emmenée au théâtre, au musée, voir des concerts ?
Pratiquais-tu une activité artistique/culturelle quand tu étais enfant ? Si oui, tes parents ontils été à l’origine de ce choix ?
As-tu fait des études ? Si oui lesquelles ?
Pourquoi fais-tu ce métier ? Quelles sont tes motivations personnelles ? Les objectifs de
ton métier ?
Pratiques :
Vas-tu voir souvent du théâtre ? Si oui combien de fois par an ?
Si tu ne vas pas au théâtre, as-tu d’autres pratiques culturelles ?
Quels sont pour toi les bienfaits du théâtre ?
Crois-tu dans les bienfaits du théâtre comme réunificateur, facteur de cohésion, etc ?
Impacts sur le territoire :
Identifies-tu des impacts positifs des actions de médiation (telle Ses Majestés) sur les
femmes ?
Des impacts négatifs ?
Quels sont pour toi les intérêts à mener des actions de médiation sur un territoire comme
celui de Saint-Denis ? Les enjeux ?
Trouves-tu que le langage entre les personnes du théâtre et les bénéficiaires de l’action soit
décalé ? Trouves-tu qu’il y a une sorte de distance entre eux ?
Comment considères-tu la place de l’artiste dans l’action ? Prend-il trop de place ? Ou bien
arrive-t-il à se mettre à l’égal des autres ?
Trouves-tu que les codes artistiques utilisés pour le projet aient été un peu trop
« inaccessibles » ? Dans le sens où la compréhension était difficile ?
Penses-tu que la pratique artistique comme pour Ses Majestés à un effet sur les
bénéficiaires ? Est-ce que ça peut marquer leur vie ? Dans quel sens ?
S’il y en a : quelles seraient selon toi les choses à changer dans ce type d’actions ?
112
-
Annexe 5 : Retranscription du premier entretien avec D., responsable de l’action
artistique au Théâtre Gérard Philipe
-
Je travaille sur la construction sociale dans la croyance dans les bienfaits du théâtre
et pour ça je bosse sur les observations que j’ai faites dans le service et sur mes
observations dans ses majestés puisque je mets en perspective le discours sur la
croyance etc avec ce qui se passe sur le terrain. J’ai besoin du coup de faire une
sorte de profil sociologique des gens avec qui je travaille du coup. Que faisaient tes
parents quand tu étais enfant ?
Comme métier ? Ma mère était femme au foyer et mon père était chef du personnel
dans une entreprise, il est dans les ressources humaines, il a toujours été dans ces
métiers là.
IL était genre DRH ?
Euh bah il l’a été, il a été d’abord je en sais pas quel métier, mais il a gravi les
échelons dans ce domaine-là.
Il était cadre quoi.
Au tout début je pense pas, quand je suis né il avait son premier boulot je pense pas
qu’il était cadre mais après j’ai toujours entendu dire drh.
T’as grandi où ?
Dans le nord pas de calais.
Ok à Lille ?
Euh je suis née à Besançon et après deux ans, mes parents se sont installés dans le
nord, dans un petit bled. J’ai vécu dans un environnement plutôt…campagne quoi.
Et je suis arrivée à Paris après mon bac.
Ok dacc et là toi t’as fait sciences po.. ?
D’abord j’ai fait une prépa sciences po à Paris, ensuite j’ai eu sciences po
strasbourg, et je suis partie 3 ans là-bas. Après je suis revenue pour faire une
maitrise à Assas et ensuite j’ai fait un DESS en deux ans, à Nanterre, qui s’appelait
Consultant culturel, projets culturels et environnement social.
OK dacc très bien. Est-ce que tes parents t’emmenaient au théâtre, au musée, est-ce
que vous aviez des pratiques culturelles ?
Ben en fait quand j’étais petite je pense pas trop.. yavait de la culture à la maison
parce que… euh..
Parce que tes parents s’y intéressaient ??
Oui voilà, enfin euh oui yavait de la culture notamment cinéma, je ne me souviens
beaucoup de ça parce que mes parents avaient acheté un magnétoscope, et ils
passaient beaucoup de films, c’était vraiment le moment où yavait beaucoup de
films à la télé, donc du cinéma un peu « classique » quand on était petit.
Vous alliez au théâtre un peu ?
Alors en fait on allait au théâtre mais c’était plutôt quand on était plus grands et
c’était plutôt sous l’impulsion de mon frère.
Parce que ton frère… ?
Parce que mon frère était assez passionné de théâtre, enfin c’est venu je ne sais pas
trop comment.. euh…
Il l’a découvert à l’école ?
-
-
-
-
-
113
-
-
-
-
Ouais plutôt quand il était au lycée.. et du coup je sais qu’ils avaient un
abonnement avec mon père au théâtre de Lille mais que moi je n’avais pas pris. Ils
allaient eux et moi si j’ai dû y aller avec le lycée aussi mais j’ai aps le souvenir
d’avoir eu une pratique de spectatrice très intense pendant toute ma scolarité.
Et toi tu faisais du théâtre, t’avais des pratiques… ?
Non aps du tout. Pas quand j’étais.. là on parle vraiment de l’enfance ? Non pas
quand j’étais enfant, j’ai voulu faire de la musique mais euhh je voulais faire de la
guitare et puis euhh (rires) ça a capoté parce que ma mère m’avait accompagnée à
l’école de musique, j’avais réclamé une guitare, j’raconte tout hein haha, j’avais
réclamé une guitare à mes parents car je voulais absolument jouer de la guitare et
ils m’avaient achetée une guitare mais en jouet, en plastique, et j’étais ravis, et ma
mère m’emmène à l’école de musique dans le bled d’à côté pour m’inscrire au
cours et j’ai eu la honte de ma vie parce que je suis venue avec ma guitare en
plastique hahahaha mais je ne sais pas quel âge j’avais, j’étais encore dans mon
ancienne maison, donc avant mes 10 ans, vers 8 ans. Et en fait, on m’a ouvert la
porte de la salle où il y avait le cours de guitare et c’était plutôt des ados, des
adultes, enfin j’ai le souvenir qu’ils étaient plusieurs, et puis bien sûr ils ont rigolé
en me voyant avec ma guitare en plastique moi pensant qu’ils se foutaient de moi
alors que j’imagine que c’était trop drôle, et ça m’a un peu..traumatisée ouais, mais
en tout cas apparemment j’étais trop petite donc ma mère nous a mis tous les deux
avec mon frère au piano mais ça nous plaisait pas on était.. jsais pas, on était pas
dans le truc, donc on l’a fait quelques mois et on a arrêté et moi j’ai pas du tout fait
de musique à l’époque, j’en ai fait plus tard.
Et tu ne faisais pas de danse non plus, enfin pas de pratiques artistiques quand
t’étais plus jeune ?
Non, un peu de tennis, des petits stages par ci…mais j’étais pas du tout sportive
donc voilà haha.
Euhh est-ce que tes parents avaient une opinion politique, un engagement
politique ?
Pas d’engagement militant, par contre moi ma famille elle est plutôt de droite, enfin
de droite, tradition De Gaulle, Chirac.. peut-être plus par tradition familiale, plutôt
du côté de mon père..
Donc tes parents aussi ils votent à droite ?
Ben ils ont changé maintenant ils votent à gauche.
Depuis que tu travailles dans la culture ? haha
Ben non depuis…ils ont voté chirac aux présidentielles et après il y a eu qui ?
Ben il y a eu Sarkozy
Ben depuis Sarkozy en fait.
OK dacc c’est intéressant.
Oui donc voilà ils ont voté Hollande euh..
Donc pas de discours militant à la maison ?
Non mais un discours humaniste, enfin, moi je me souviens (je raconte vraiment les
détails) mais je me souviens avoir posé des questions à mon père sur ce que c’était
la droite et la gauche quand j’étais petite, il m’avait expliqué : voilà c’est quoi la
droite, la gauche et je lui avais dit ben oui c’est bien la gauche, tout de suite et il me
dit : c’est vrai t’as raison mais c’est plus compliqué que ça… donc plutôt une droite
114
-
-
-
-
-
-
de tradition un peu gaulliste, humaniste. Donc humaniste mais valeur un peu
libérales quand même, pour mon père.
Oui de par son métier peut-être
Oui donc c’est pour ça plutôt de droite. Pas du tout du tout mitterrand, mais par
contre mon père plutôt libéral d’un point de vue fonctionnement de la société,
économique et tout ça. Mais bon il est revenu un peu dessus, mais en même temps
la gauche s’est transformée aussi hein donc bon..
Oui c’est clair
Voilà.
Parce que du coup toi t’es née en quelle année ?
75
Et du coup toi comment t’as découvert le théâtre ?
Ben moi en fait par mon frère qui le premier s’est passionné vraiment pour ça. Lui
d’emblée il était plus intéressé par les sciences humaines, l’histoire beaucoup
l’histoire, l’histoire de l’art et la philo et tout ça. Et donc je sais pas il a découvert le
théâtre un peu tout sreul
Peut-être avec l’école aussi
Oui peut-être il avait une prof de philo très branchée théâtre donc qui l’a sûrement
influencé. Et donc du coup j’ai découvert comme ça mais tardivement càd que
quand j’ai commencé mes études je ne savais pas du tout ce que je voulais faire.
Moi j’ai fait en plus un bac scientifique donc voilà moi en fait j’avais besoin de me
rassurer de rassurer mes parents, j’avais besoin de suivre un peu une voie,
J’écoutais pas trop ce qu’il y avait au fond de moi en fait.
Et comment ça t’est venu du coup ?
Ben après du coup, quand j’étais à Sciences Po j’ai fait du théâtre, j’ai rejoint la
troupe, en fait ya un gars de ma promo qui a lancé une troupe dans je suis rentrée
dedans, j’en ai fait deux ans de suite, pas la première année, la première année
c’était dur pour moi mais la deuxième et la troisième année, j’ai fait deux ans de
théâtre et ça m’a fait un bien énorme. Pour me sentir mieux avec les autres,
m’ouvrir..
T’étais timide un peu ?
Ouais hyper renfermée, et je me souviens même en famille, ça s’est senti qu’il y
avait quelque chose qui s’était… voilà. Et donc voilà j’ai fait du théâtre et pendant
mes études à Sciences Po du coup j’ai commencé à me rendre compte que mes
études ne seraient pas forcément inutiles pour aller dans ce milieu. Donc c’est
l’année d’après quand j’ai fait une maitrise parce qu’on avait pas forcément accès
au DESS avec Sciences po sttrasbourg parce que c’était pas Sciences Po Paris étant
donné que c’est 3 ans et pas 4 an du coup j’ai refait une maîtrise de Sciences Po à
Assas (j’ai pas choisi la fac hein c’est tombé un peu comme ça) et là du coup
pendant cette maitrise où du coup j’avais fait beaucoup de choses que j’avais déjà
faites tous les dossiers à rendre je les faisais autour de questions culturelles, et j’ai
fait un stage à la DRAC donc c’est là où j’ai commencé à construire mon projet
professionnel où je me suis dit tiens, et c’est pour ça que j’ai fait après ce dess. Et
du coup le fait d’avoir fait du théâtre dans le cadre de Sciences Po m’a influencé.
Donc toi tu penses que c’est plutôt ton frère qui t’a influencé vers ce métier plutôt
que tes parents ?
115
-
-
-
-
-
-
-
Oui, après, comme je te dis yavait de la culture à la maison mais plutôt littéraire,
classique, le théâtre donc mon père avait prévu à Paris donc voilà, il disait, ma
grand-mère, le festival d’Avignon, c’était des endroits qu’ils avaient fréquentés,
Ah oui d’accord
Ou le TNP, Jean Vilar et tout ça, ils connaissaient quand même, mais après ça ne
m’a pas été transmis très directement parce qu’il n’y avait pas de pratique vraiment
parce que quand on était petits mon père bossait pas mal..
Parce que ton père du coup c’est quand il était jeune, enfin quand il vivait à Paris
qu’il allait au théâtre
Oui voilà quand il vivait à Paris et même ma mère a vécu à Paris mais elle c’était
moins théâtre quoique NON en fait, ma mère en fait (tu vois j’oublie) mais elle a
toujours voulu faire du théâtre. Ma mère en fait elle était infirmière, elle a arrêté de
travailler quand elle nous a eus avec mon frère et elle nous a toujours raconté, mais
toujours j’en sais rien parce que peut-être que c’est à partir du moment où nous on a
commencé à s’y intéresser qu’elle nous a raconté tout ça peut-être qu’avant c’était
aps remonté si tu veux mais en fait je sais aujourd’hui qu’elle a toujours voulu faire
du théâtre qu’elle en avait parlé à seon père mais qu’il n’ jamais voulu.
D’accord, parce que c’était un peu précaire en fait
Ben c’était surtout qu’il fallait qu’elle apprenne un vrai métier, elle elle a vécu en
province à Montarlier et elle avait un père d’origine italienne un peu strict bon voilà
et du coup elle a fait des études d’infirmière, mais en fait elle a toujours voulu faire
ce métier là
Du coup ils t’ont soutenue quand tu leur as dit que tu voulais faire ce métier il n’y
avait pas de
Pas eu du tout.. enfin moi en même temps j’ai eu un chemlin très sérieux d’une
certaine manière, j’ai fait des études supérieures
Et puis dans une bonne école
Oui voilà une bonne école donc il n’y avait pas d’inquiétude de ce côté-là et puis je
n’ai pas choisi la précartié enfin je ne suis pas intermittente, je ne vais bosser que
dans des structures institutionnelles.. voilà aussi je pense
C’est dû au statut aussi, avoir un CDI
Après mon frère il a fait ce choix là lui
IL est intermittent ?
Non mais il bosse au théâtre du soleil, il a rejoint le théâtre du soleil il avait 21 ans,
il était étudiant à paris et il y est allé au moment de la déclaration à Avignon là
quand ils se sont engagés pour la Bosnie pour proposer son aide en tant que
bénévole. Il avait vu les spectaces du théâtre du soleil quand il était à paris et il
avait fait une découverte incroyable et du coup il est allé et il a été embauché
vraiment deux ans après au bureau. Mais du coup il a pas fini ses études il a qu’une
licence enfin voilà
Et il fait quoi maintenant du coup ?
Ben maintenant il est co-directeur
Ah ouais quand même
Il a commencé au bureau ensuite il est devenu l’assistant d’ariane mnouchkine
Ah ouais je savais pas c’est dingue
116
-
-
-
-
-
-
Et maintenant il est l’un des collaborateurs les plus proches d’ariane mnouchkine.
Mais bon du coup es parnets l’ont toujours laissé
Oui c’est ça il n’y avait pas de méfiance
Non enfin mes prants c’est plutôt du genre à faire qu’on soit
Qu’on soit heureux
Oui qu’on soit bien donc du coup il n’y a pas eu d’inquiétude à ce moment-là
Ouais ok. Bon du coup là je vais passer à des questions plus sur le théâtre, sur ta
vision du théâtre. Toi qu’est-ce que t’aimes dans le théâtre de manière générale ?
pourquoi tu travailles dans le théâtre ? C’est un peu large
Ya deux choses, une qui peut s’appliquer à tous les arts mais bon.. voilà j’ai une
sensibilité artistique , ya quelque chose qui me touche enfin qui..
Qui touche à l’émotion quoi, à l’émotif
Oui mais après moi ce que j’aime dans le théâtre, ce que je trouve très beau, c’est
un des rares endroits aujourd’hui où on est tous réunis, où il y a une espèce de
communion de quelque chose qui.. enfin ce qui m’émeut beaucoup c’est ça c’est le
fait qu’à un moment yait des gens qui décident tous ensemble d’aller, enfin
indiiduellement masi reformer une communauté pour juste se confronter à une
œuvre, à un propos artistique avec des gens en face, c’est ça aussi
Oui le spectacle vivant quoi
Oui voilà dans le spectacle vivant, après tu me diras ça marche aussi dans la
musique et tout ça
Mais il y a le côté histoire aussi
Oui voilà raconter une histoire
Travail en collectif aussi plus que la musique peut-être
Oui peut-être, après c’est parler au-dessus de ça mais genre les CDN c’est des lieux
de création, où il y a un travail qui se fait sur la durée.. enfin ouais c’est cet endroit
de communion, de communauté, recréer une communauté éphémère, pour vivre un
truc ensemble qui va pas se reproduire
Oui ok. Et du coup les bienfaits du théâtre sur le public ça correspond à ça, à cette
espèce de cohésion.. ?
Oui je pense qu’il y a de ça enfin si ya une.. parce que malgré tout ben oui on dira
on pourra se retrouver au stade, okk c’est vivre une émotion collective à plusieurs
et en même temps dans le théâtre c’est que chacun vit la chose aussi différement,
que chacun reçoit différemment et que c’est possible aussi.. donc les bienfaits du
théâtre, ben je pense que cette communion..
Le fait du créer du lien social quoi
Crée aussi plein de choses. A partir du moment où ça a lieu, il y a une croyance
dans chacun de nous qu’on est à ntore place qu’on a le droit d’être là et en même
temps il y a aussi la place laissée à la sensibilité de chacun à la.. donc je trouve que
c’est.. qu’est-ce que c’est les bienfaits..
Ben c’est déjà pas mal hein ! haha c’est déjà bien ! beaucoup de bienfaits !
Et puis bien sûr parce que.. enfin si c’est essentiellement ça parce que si après ça
apprend des choses, ça permet d’avoir un autre regard
Pour une mémoire aussi
117
-
-
-
-
-
-
-
-
-
Oui voilà on a un autre regard sur le monde, c’est être confronté à un autre regard,
qui est pas forcément le tien mais qui te permet de penser autre chose, de te
confronter à la diversité, à l’altérité, de te mettre en interaction de ne pas rester seul
dans son coin
Et du coup pourquoi plus les RP que la prod ?
Ben parce que j’ai l’impression qu’aux RP on pense quand même jstement, le cœur
du truc c’est la rencontre avec le public, enfin en prod aussi, mais tu travailles avec
les professionnels t’essayes de vendre un spectacle, les tournées les machins les
trucs, voilà donc bien sûr c’est dans une visée d’élargir les publics mais c’est pas,
enfin ce qui est travaillé c’est pas ça. Moi ce qui m’intéresse dans les RP c’est pas
ça, ce qui m’intéresse aux rp c’est qu’on se pose la question en permanence de
comment on crée cette rencontre quoi.
Une vision peut-être plus politique de ce qu’est le théâtre
Oui enfin c’est le cœur du problème quoi. C’est à cet enroit-là qu’on peut se
demander vraiment pourquoi ça ne marche pas, comment faire pour aller vers les
publics, enfin voilà.
Et du coup toi, tes motivation personnelles à faire ce métier ? au-delà du fait que
t’aimes le théâtre etc, pourquoi tu continues à faire ce métier, même si ya des
conditions qui sont un peu difficiles, quelle part à ton épanouissement personnel en
fait ?
Ben moi ce qui compte, enfin voilà travailler à Saint denis en RP, je sens que ça a
du sens. C’est-à-dire que bon moi je suis beaucoup dans l’action artistique donc
aussi travailler à la rencontre entre les artistes, les œuvres et le public mais pas
forcément juste à l’endroit de la représentation aussi à l’endroit, des projets, des
actions, des écoles…
Donc toi tu te sens utile en fait
Oui voilà je sens que ça a du sens, que je me sens utile oui, notamment je le sens
particuièrement avec des publics jeunes parce que je suis quand même beaucoup làdessus, et qu’en fait malgré tout c’est à cet âge-là que c’est le lus important parce
que ça les accompagne parce que ça leur donne cette ouverture, suffisamment tôt
pourque peut-être ça puisse changer les choses ou les orienter, ou juste leur donner
une réflexion peut-être différente sur…enfin c’est parce que voilà je sens que ça a
du sens. Après pour moi perso c’est sur que moi j’ai besoin de me sentir portée par
un projet artistique dont je me sens proche. Je ne peux pas faire ça si derrière
Si derrière le projet
Si derrière le projet je le.. déf.. enfin si on peut dfenere tous les projets dans un
certaine mesure, mais moi comme je te disais tout à l’heure, je fonctionne beaucoup
à.. faut que ça me touche quoi. Et moi la démarche de Jean, les spectacles de Jean
voilà, ils me touchent quoi. Je dis pas que c’est que le théâtre que j’iame, ya
d’autres théâtres que j’aime, mais quand même j’y crois, en tout cas ça me parle
Ok.. et toi quel est ton rapport au fait que d’un côté il y ait l’exigence artistique et
de l’autre cette espèce de diversification socio culturelle des publics ou en tout une
recherche de cette diversification, est-ce que tu trouves que..
Je te parlais de l’exigence artistique vis-à-vis de la diversification socioculturelle
des publics parce qu’en fait moi c’est un truc que..enfin je crois complètement au
fait que l’exigene artistique soit hyper importante dans un lieu comme un CDN etc
118
-
-
mais je trouve que parfois fin..ça rentre en contradiction en fait parfois parce qu’en
fait tu te rends compte que les politiques de démocratisation ne marchent pas
vraiment et que parfois il suffirait de programmer quelqu’un, un humoriste ou quoi,
pour ramener tout saint-denis.. enfin tu vois ce que je veux ire ?
Oui bon après voilà, on peut faire venir plein de grns comme ça, et encore... à voir.
Parce que du coup on est aussi un lieu identifié, un peu aprticulier, cee serait quand
mêe incongru.. mais admettons que ce soit dans les habitudes, effectivement ce
serait plus facile de faire venir des gens avec un humoriste sauf que du coup c’est
pas intéressant enfin.. de donner à voir des gens que les gens voient déjà à la télé ou
déjà qu’ils peuvent voir dans d’autres lieux spécialisés là-dedans,après tu vois, on
pourrait se dire qu’on est un théâtre de proximitéet qu’il y a des gens qui de toute
façon ne vont pas avoir de pratiques ailleurs. Et du coup ceux l) pour pouvoir les
attirer qui a priori sont faciles, mais du coup qu’est-ce qu’on construit derrière ça ?
Moi je pense qu’il faut pas abaisser nos exigences parce que c’est important de
donner à voir des visions deu monde, des paroles d’artistes singulières, etc. Donc
effectivement ça va pas accueillir les tous venant comme ça par contre ça va nous
permettre de travailler en profondeur et de construire les choses, sinon on fait du
divertissement. Et pour moi le théâtre c’est pas du divertissement, divertir pour moi
c’est détourner, tu sais divertir, la diversion c’est détourner les gens de l’essentiel.
Et pour moi le divertissement ça existe, les gens peut-être en ont besoin mais c’est
pas l’endroit où les théâtres comme ceux-là doivent être. Nous on est plus là pour
transmettre, donner à voir aute chose.. éduquer on pourrait dire aussi mais il ne
s’agit pas de donner un pensée unique au contraire c’est être dans une diversité
d’approches mais euh.. sinon c’est du divertissement, il peut avoir des théâtres de
divertissement, mais je trouve que des lieux comme ici, des lieux de service public,
on a une mission on a un devoir..de donner cette ouverture là parcre que si c’est pas
fait par des endroits comme celui-là et ben c’est fait par qui ? Bon ya encore l’école
mais sinon le théâtre doit encore remplir cette mission.
- Et du coup pour toi les objectifs de la médiation culturelle ? C’est ça c’est
éduquer, tout ce que tu m’as dit avant ? Vraiment sur la médiation là du coup.
- Oui effectivement c’est faire comprendre à tout à chacun que l’art est accessible, à
partir du moment où on modifie peut-être un peu son positionnement, où on accepte
de... comment dire.. d’être peut-eêtre un peu chamboulés... déjà il faut accepter de
penser que c’est pour soi. De ne pas rester dans cette idée que ce n’est pas pour soi,
que c’est trop intellectuel, accepter que ça pusise te parler, et qu’il y a pas besoin
d’avoir un bagage culturel ou voilà.. après bien sûr le médiateur il doit orienter.
Nous voilà par exemple quand on travaille avec des élèves on va pas d’emblée si
c’est la première fois qu’il vont au théâtre les mettre devant un spectacle de 5h, il
faut créer de l’accompagnement mais il faut aussi être assez fin dans le parcours,
dans les propositions... je pense qu’il faut faire comprendre que voilà c’est pour
eux, et à partir du moment où ils acceptent ça, c’est qu’eux ils puissent accueillir,
cette ouverture, cette diversité... et puis après voilà être dans l’accompagnement,
l’échange, toujours valoriser la perception de chacun
Oui pas faire de hiérarchisation..
Non voilà, pas dire voilà ça ça veut dire ça, si t’as pas compris ça t’es nul. Non
c’est chacun comme je disais au début, chacun peut avoir sa conception des choses,
sa réception, et ça peut être différent de ce que pense le voisin et ce qui compte
119
-
-
-
-
-
-
c’est que l’œuvre ait traversé la personne d’une manière où d’une autre donc peutêtre la médiation c’est... encore une fois, permettre cette rencontre, permettre que la
rencontre existe. Pas seulement mettre quelqu’un dans une salle de théâtre et voilà
mais que faire tout ce qu’il faut autour pour qu’au maximum ça existe. Bon après il
y a les artistes aussi, qui font de la médiation, ya pas que les artistes, et c’est aussi
ce que pense Jean je crois. Et que effectivement la rencontre humaine, càd que s’il
y a des artistes qui vont rencontrer un groupe avant qu’ils voient le spectacle qu’il y
a une reconnaissance sur le plateau de telle ou telle personne, ça aide en fait. Et
finalement il y a plein de moyens, plein d’entrées possibles.
Du coup, sur la représentation du terrain, bon là on y est venus un peu mais
justement je me posais la question du rôle de l’artiste dans la médiation artistique,
est-ce que tu le vois plus comme..enfin comment est-ce qu’il se place dans
‘laction ? est-ce qu’il guide ? est-ce qu’il laisse faire ?
Ben moi mon rôle c’est plus de coordonner, penser les projets avec les enseignants,
avec les partenaires et ensuite il faut que la rencontre se fasse entre tous et pour moi
après c’est l’artiste qui joue tout son rôle... Je pense que .. nous on est important
pour faire de la médiation, mais on est le premeir contact, la première strate mais
après ça ne suffit pas, c’est l’artiste qui prend tout son rôle après, l’artiste dans les
actions il est essentiel, c’est lui qui crée tout ! et rien que par le fait qu’il soit artiste,
et par sa présence, et qu’il soit reconnu comme un être exceptionnel...
Un peu messianique !
Ouais voilà, enfin c’est « ouais et du coup mais euh t’es comédien ? tu fais que ça ?
ah ouais ? tu gagnes combien ? » ya tout de suite toute une mythologie autour de
l’artiste, autour de l’acteur..
Et pourtant les artistes sontpas censés.. enfin leur métier c’est pas d’être
pédagogue !
Non pas du tout mais justement du coup ils restentent dans leur rôle d’artiste, enfin
leur métier c’est de créer et tout ça, et c’est parce qu’ils sont créateurs qu’ils se font
médiateurs, et les meilleurs médiateurs ! Et c’est pour ça que c’est compliqué les
artistes profs, enfin c’est compliqué le théâtre au lycée parce que du coup, l’artiste
son rôle il se modifie, parce qu’il es plus enseignant que créateur, mais par exemple
si les élèves voient le spectacle dans l’année dans lequel joue l’artiste qui travaille
avec eux, à mon avis ça modifie énormément les choses.
Ouais ok.. est-ce que, comment est-ce que toi dans les actions artistiques avec des
jeunes qui ont des capitaux sociaux culturels économiques un peu plus faibles, au
sens vraiment des difficultés socio-économiques, au sein de ces actions là comment
est-ce que l’artiste fait pour dépasser cette barrière sociale ? une sorte de distance
entre deux milieux vraiment sociaux hyper différents ?
Ben je pense qu’il ne faut pas faire comme si ça n’existait pas, et puis après tout est
relatif parce que oui i y a des milieux différents mais il y a aussi des parcours qui
peuvent être proches.. dans un sens où l’autre.. par exemple je pense à Karyll El
Grichi quand elle raconte comment elle est venue au théâtre enfin, elle est
marocaine d’orgine, c’était pas du tout présent dans sa famille, que c’était une ado
vraiment difficile, et puis sa manière de s’adresser aux jeunes, de les mettre
vraiment à son niveau, enfin bon.. après c’est des personnalités. Mais du coup le
statut d’artiste qui peut avoir une aura un peu supérieure en fait..à partir du moment
120
-
-
-
-
où il y a un dialogue voilà ça change, et puis en fonction de la personnalité des
artistes. Après ça peut être un problème, travailler avec des artistes qui sont dans
quelque chose de plus intellectuel, tu sens qu’ils sont plus dans un parcours un peu
classique... Mais en fait ça peut marcheer aussi, parce que sans le cacher ils peuvent
en jouer aussi.. et puis face à des groupes (moi je pense vraiment aux jeunes là) je
pense que ce qui compte surtout c’est de créer le dialogue, de se mettre à leur
niveau (enfin c’est pas vraiment ce que je veux dire) mais de valoriser les jeunes en
fait. De valoriser ce qu’ils pensent, ce qu’ils font quand ils prennent la parole,
quand ils sont sur scène, et jamais être dans ce truc de « moi j’ai des trucs à
t’apprendre donc écr..enfin tais-toi et écoute-moi » ça, ça marche pas. Donc
quelque soit en fait le parcours de l’artiste, à partir du moment où il se met dans
cette relation-là, c’est pas un problème pour moi.
Et du coup comment est-ce que, quand tu crées un nouveau projet d’action
artistique, tu définis les terrains d’action ? comment est-ce que tu sais quelles
écoles ? est-ce que c’est un relais avec les profs parce que tu les connais, ou est-ce
que c’est parce qu’il y a un territoire en aprticulier qui mérite une action.. ?
Après souvent c’est des allers-retours parce qu’on est quand même pas mal
sollicités par les profs, les enseignants, donc.. par exmple là on va travailler avec
l’atelier relais du collège de geyter donc c’est udes élèves qui sont sortis du collège
pour un temps, pour essayer de les rescolariser.. On avait travaillé avec eux il y a
plusieurs années, je pense que c’est une demande de leur part, et puis on a pu
travailler avec eux encore et là à nouveau on a eu une demande. C’est venu d’eux.
Maintenant comme on l’a refait cette année. Moi la première fois qu’on l’a fait
c’était la première ou la deuxième année qu’on était là donc je n’avais pas
forcément la même expérience, pas conscience des enjeux, cette année j’étais
beaucoup plus dans le dialogue avec la prof, beaucoup plus à proposer, à
comprendre aussi peut-être, les endroits.. voilà
Ça se joue à l’expérience quoi
Oui et du coup j’ai je pense su trouver la bonne personne pour intervenir à cet
endroit-là
Parce que du coup c’était qui là l’artiste ?
Béatrice Chéramy
Ah oui ok.
qui est vraiment mais déjà à 1000% qui y croit à fond, et qui au contact des jeunes
est hyper hyper juste, elle va pas essayer à tout prix d’imposer une vision des
choses, où de dire « bon voilà je vais travailler sur telle chose et je vais aller
jusqu’au bout » non elle les a rencontrés, en fonction de ça elle a modifié, donc
voilà c’était super. Et du coup voilà j’ai pu réagir plus, et je me suis rendu compte
que c’était des endroits où il fallait qu’on soit. Parce qu’en fait c’est des structures
qui existent quasiment plus, qui sont en grande difficulté et tout çet si il y a un
edoinr toù on peut intervenir et accompagner les enfants vers du mieux, ben c’est
hyper important quoi. Donc là il faut que je le relance à la rentrée mais je pense
qu’il sera partant. Donc tu vois..
en fait c’est plus une histoire de personnalité avec les profs ou avec les artistes ou..
Ben c’est.. après tu vois les écoles d’à côté, à un moment où on discutait avec les
proviseurs on se disait que ce serait bien d’imaginer un parcours théâtre dans les
121
-
-
-
-
collèges etc, et tout d’un coup oui la prxomité fait que ya une évidence à travailler
avec ces élèves-là, parce que c’est des enfants qui vivent dans le secteur, qui ont
des parents, qui ne fréquentent sûrement pas le TGP, donc là aussi, je sors un peu
du terrain mai c’est aussi la rencontre avec les gens qui te fait te rendre compte tout
à coup « ben alors là oui c’est un endroit où intervenir ». Donc là il y a cette
évidence, parce que c’est la proximité, et l’cole Valès par exemple, d’un point de
vue socio-économique c’est vraiment très faible.. Il y a des familles qui vivent à je
sais pas combien dans des surfaces minimales, enfin tu sais que c’est des contextes
difficiles. Et l’école peut pas tout non plus donc si on peut intervenir à cet endroitlà. Donc tu vois c’est ça, écoute du territoire, expérience, rencontre avec les gens, et
effectivement desfois on a des sollicitations où on se dit que là c’est en trop, déjà
parce qu’on a pas les forces humaines et puis voil on peut pas intervenir partout, et
ya peut-être des choses qu’on va privilégier parce que ça nous semble avoir plus de
sens.
Et du coup dernière question, pour toi quels sont les impacts des actions artistiques
sur le territoire, qu’est-ce que tu sens que ça change ? Quels sont les changements
pour toi au niveau vraiment du territoire ?
Ben sur le territoire, ben pour les gens qui travaillent à saint-denis dans les assos,
les structures de quartier, je pense qu’il y a.. et encore il y a du travail à faire suite
aux echos qu’on a eus, mais je pense qu’il y a une reconnaissance du travail qu’on
fait et de là où on est même si c’est vrai qu’il faut tout le temps communiquer,
informer, se justifier... c’est un peu pénible. Donc c’est pour ça jepense que sur le
territoire, ya une vraie reconnaissance de notre travail, après pour les gens pour
eux-mêmes, je pense que c’est les gens qui pourront à un moment donné être
touchés par une action qui pourra..
Qui pourra les faire revenir vers le théâtre ou..
Oui voilà ou qui.. en tout cas voilà, soit effectivement c’est des gens qui peut-être
reviendront d’eux-mêmes soit des gens qui garderont cette expérience dans leur
mémoire, et dans leur.. qui changera peut-être quelque chose, et même si ça ne
change pas ça reste du vécu, et je trouve ça hyper important, parce qu’on vit au
présent donc tout ce qui est de l’ordre vécu est forcément poteuse de quelque chose,
d’émotions.. même si.. Ca peut être éphémère mais ça peut aussi marquer
profondément. C’est pour ça que voilà, l’impact il est divers. Moi perso je ne
cherche pas à tout prix à ce que..
à ce que ça change quelque chose de manière structurelle quoi
à ce que ça change quelque chose si, mais pas forcément à ce que je retrouve telle
ou telle personne l’année d’après au TGP sans qu’on ait eu le besoin d’aller le
chercher, même si c’est génial quand ça arrive, quand on voit des jeunes et qu’ils
nous disent « ah madame, j’ai pas refait du théâtre, mais je me souviens c’était
super la semaine etc » des choses comme ça ou malgré tout je me dis que ça a
existé dans leurs vies. Après il faut pas forcément se contenter de ça hein, c’est pas
l’idée non plus, mais dans le parcours d’une vie je trouve ça déjà exceptionnel
d’avoir vécu des expériences, tu vois mêmes les jeunes dont je te parlais, ben tu
vois malgré tout il y en a un dans la classe qui a fait option théâtre. Et il y a une
fille au début de l’année elle disait « mais jamais vous m’obligerez à monter sur
scène mais jamais » mais vraiment la fille.. «et sa mère pareil « ma fille jamais
122
vous la verrez sur scène » vraiment genre je sais ce que je veux dans la vie, et ben
en fait c’était la première à être sur scène, c’est elle qui a présenté le projet, elle a
mis une robe enfin elle était donc tu vois, ya des choses comme ça.. Après on peut
pas tout savoir, on les suit pas les gens, on peut pas savoir ce qu’ils font dans leurs
vies...
123
-
Annexe 5 : Journal de terrain
Journal de bord
Mémoire Justine Rault
Master SOPOREC
Date
6/11/2015 : 1er
entretien avec
Lionel Arnaud
Observations
Cafétéria de l’IEP
bruyante. Grand écart
entre lui et moi.
Lui semble calme et
posé. Je bois mon café
et ne sais pas trop quoi
faire de mes mains.
Ressentis
Je n’osais pas lui proposer
un autre endroit, par peur
que ce soit trop informel.
Du mal à savoir où je dois
regarder quand je lui parle.
Stress, je n’ai pas préparé
grand chose, je suis perdue
et prends un café pour
avoir de la contenance. Je
ne me suis sûrement pas
assez posée de questions...
pas assez réfléchi. J’ai
l’impression de ne pas être
à la hauteur de ce que l’on
demande de moi.
Il me rassure un peu,
repère que je suis
anxieuse. Je suis
impatiente que ce soit fini.
Analyses
Relation prof/élève,
difficile à dépasser.
Habitude d’être dans
un rapport d’autorité,
un rapport
d’évaluation.
6/11/2015 : le
soir.
Je vais au TNT pour
voir un spectacle
(Meursaults) avec un
ami. Les hôtesses
d’accueil ne sont pas
en costume. Elles
semblent très à l’aise,
et rigolent avec
d’autres personnes du
personnel. Moi je me
suis bien habillée, je
vais au théâtre après
tout.
9/11/2015
Cours avec Mme
Cabrit
(administratrice de
Je me sens assez bien
dans cet endroit. Comme
si j’accédais enfin à
quelque chose qui ne
correspond pas à mes
origines sociales, qui me
rend unique parce que
c’est MA passion, pas
celle de mes parents, pas
celle de mes ami-e-s, la
mienne. Le fait que j’y
aille pour faire un stage
me rend aussi plus
légitime. J’observe avec
un regard plutôt positif
en me disant que
bientôt, j’appartiendrai à
ce monde.
Je me sens bien à ce
cours, je participe car je
connais déjà : les statuts
Revenir sur les
origines sociales du
personnel du
théâtre, sur leurs
carrières, sur leurs
études, comment
sont-ils arrivés là ?
Subjectivité  je
me sens bien parce
que je fais partie du
même monde, que
ce sont les gens de
mon entourage de
sciences po. Lire
socio de l’action
publique sur les
agents en tant
qu’acteurs.
Faire des entretiens
avec n’importe qui
du TNT pour avoir
124
production au TNT).
Elle est un peu
bohème (elle croise
ses jambes sous ses
fesses sur sa chaise...)
j’aime bien son
attitude, elle semble
sympathique. C’est
un cours de
financement et
montage de projets.
Je ne m’attendais pas
à ce que ce soit
quelqu’un du TNT.
De 17h à 20h  il
fait déjà nuit, on est
tous fatigués (on a eu
3h de cours juste
avant) mais on est là
car c’est un nouveau
cours.
11/11/2015
Jour férié, jour
travaillé. Je travaille
tard à mon bureau. Je
dois lire les textes
envoyés par L.
Arnaud
17/11/2015
Je vais au TNT avec
ma classe. Je me fais
« belle » (rouge à
lèvres etc)
17/11/2015
Cours avec mlle
Comet du Conseil
Régional. Elle nous
parle des
financements
différents des théâtres,
leurs fonctionnement,
l’histoire de la création
des CDN... J’ai lu tout
ça, je me suis
renseignée, parce que ça
m’intéresse. Je suis
contente car c’est un
cours où je me sens
presque « intelligente »,
dans lequel j’ai des
choses à dire, où je peux
être complice avec la
prof « on va être
collègues ». Je me sens
aussi rassurée sur le
profil des gens du TNT,
elle a l’air plutôt
« cool » (comparée à
mes tutrices de stage que
j’ai vues à l’entretien, en
talons, chemisiers, et
tout et tout)
Beaucoup de mal à m’y
mettre... je doute
beaucoup, n’ai pas
l’impression d’être dans
mon domaine
d’expertise, ni d’être
passionnée par ce que je
fais.
J’ai l’impression que
l’on entre dans mon
domaine, celui où je me
sens reconnue. Mais j’ai
quand même l’envie de
« paraître ». Ca me fait
me questionner sur la
raison pour laquelle moi,
qui vient d’un milieu pas
du tout habitué au
théâtre, je m’y sens si
bien, d’où ça me vient ?
Est-ce que d’autres
ressentent ça aussi ?
J’ai la tête ailleurs, mais
je sens que je devrais
plus m’intéresser au
cours... Surtout sur le
rôle de la région.
125
des infos sur le
financement.
Importance de
l’esprit d’équipe
dans les théâtres.
Pas de critique des
directeurs 
hiérarchie pas
remise en cause, pas
de remise en cause
non plus des
décisions prises.
Importance donc des
relations interservices et entre
collègues pour la
viabilité du projet et
des objectifs
(exemple : directeur
peut changer
d’équipe quand il
arrive au poste)
Lire La vocation de
P-E Sorignet.
Les partenaires de
projets culturels : le
1er = communes,
puis conseils
départementaux,
régionaux de la
culture. Je trouve ça
soporifique... Il est
19h, grosse journée.
Et puis il y a le
rassemblement au
Capitole pour les
attentats...
20/11/2015
Cours de Lionel
Arnaud sur
l’historique des
politiques culturelles
en France.
23/11/2015
Je suis dans ma
chambre. Il est tard.
Week-end pas
travaillé DU TOUT.
Je relis péniblement
les cours dans
lesquels j’ai retenu
des éléments pouvant
m’intéresser. Pas
envie de m’y mettre
mais je me plonge
dans des choses
intéressantes.
1er week-end
de décembre
Je monte à Paris et
râte du même coup
l’exposé pour le
cours d’Impacts...
dommage... Mais il
fallait que je vienne,
j’ai un entretien au
Théâtre Gérard
Philipe, CDN de StDenis.
J’ai pas trop envie d’être
là car ma mère vient
d’arriver à Toulouse...
Mais je trouve ça
passionnant, d’autant
plus que je suis en train
de lire L’Etat et la
Culture au XXème siècle
de Philippe Poirrier, ça
raisonne. Ca me rappelle
l’importance de
l’approche historique de
la création des CDN.
Je me sens vraiment
désemparée. Je n’arrive
pas à trouver une
problématique... Oui les
CDN sont coincés entre
déconcentration et
décentralisation de
l’Etat... mais quelles
conséquences ? A quoi
ça rime ?
Mais.. et si les CDN
étaient plutôt coincés
entre leur héritage et la
situation actuelle de la
culture ?
puis EPCI...
Politique
volontariste des
régions pour le
financement de la
culture. Pas de
prérogatives
directes. Dépend de
l’assise financière de
la région.
Se renseigner sur la
gouvernance =
association de
plusieurs acteurs au
processus de
décision. Très
important !
Lire le contrat de
décentralisation
dramatique des
CDN.
Les CDN ont une
mission de référence
nationale et
régionale. Ils
doivent allier la
notion d’exigence
artistique
(clairement la vision
malrucienne de la
culture) avec la
démocratisation et la
médiation.
Sentiment d’étouffement Le territoire déteint
à Toulouse et dans mes
vraiment beaucoup
études de manière
sur le centre
générale. J’en peux plus, dramatique national,
je veux partir. Je me
qui doit absolument
réjouis donc à l’idée de
le prendre en
faire mon stage dans un compte. Un CDN à
nouvel endroit.
St-Denis...voilà qui
L’entretien se passe à
prend tout son sens.
merveille pas du tout la
Il y en a beaucoup
même sensation qu’en
autour de Paris,
126
L’entretien se passe
dans le théâtre. Je
marche dix minutes
pour y arriver en
sortant de la gare. StDenis. J’arrive avec
15 minutes d’avance,
je m’assois sur les
marches du parvis du
théâtre. La façade du
théâtre est
gigantesque (elle a
été construite par les
ateliers Eiffel au
début des années
1900). Elle fait
presque tâche avec
son environnement.
C’est très imposant.
N’ose pas fumer par
peur de sentir la
cigarette à l’entretien,
pourtant j’en aurais
besoin pour me
détendre. Il est
l’heure, je sonne à
l’interphone, on
m’ouvre et François
Lorin vient me
chercher. Il est grand,
une trentaine
d’années des petites
lunettes, l’air serein.
Je monte dans les
bureaux on passe
plusieurs portes à
digicodes. J’arrive
dans un grand
bureau, tout le monde
est affairé, c’est un
openspace avec une
grande mezzanine.
Tout est rouge est
gris, les couleurs du
TGP. Tout le monde
me dit bonjour,
souriant. Les gens
sont si jeunes ! Je
rentre dans le bureau
de la secrétaire
sortant du TNT. J’ai
l’impression qu’ils
avaient déjà décidé de
me prendre avant
l’entretien. Il faut dire
que je me suis déplacée
de Toulouse exprès, ils
m’avaient dit qu’ils ne
pouvaient pas faire
d’entretiens par skype
ou par téléphone. Ils ne
prennent donc
normalement que des
personnes habitant Paris
ou ses alentours. Une
ambiance détendue,
avec des gens gentils.
On sent qu’ils ont envie,
et qu’ils aiment bosser
ici. Ils me le disent
d’ailleurs. Ils sont
convaincus de leurs
missions et des
problématiques du
territoire, qu’ils
prennent vraiment en
compte. Ca me plaît, je
veux bosser là. Je sors
de l’entretien détendue,
contente. Dommage que
je ne puisse pas venir le
soir j’aurais aimé voir la
nouvelle création du
directeur du TGP,
j’aurais aimé leur
montrer ma motivation.
Je suis réellement
motivée. Je me sens
légitime à travailler avec
eux, ce qui ne m’était
pas arrivé au TNT. Je
suis presque sûre qu’ils
vont me prendre, je le
sens vraiment bien.
127
chaque CDN est
donc attaché à un
territoire délimité et
plus petit. C’est le
problème des CDN
en régions, qui
doivent faire
rayonner une culture
locale certes, mais
une culture locale
bien élargie. Même
si la programmation
ne tient pas vraiment
compte du public, il
y a teeellement
d’actions artistiques
proposées au TGP...
François Lorin me
donne les
programmes, celui
de la programmation
générale et celui de
la programmation
jeune public. Je
l’épluche dans le
RER.
17-01-2016
générale, et passe
l’entretien avec elle
et François Lorin. Ils
me mettent à l’aise,
me proposent un café
que j’accepte
volontiers. La
secrétaire générale
est tout sourire, elle
me met en confiance.
L’entretien se passe
très bien, je réponds
naturellement. Je fais
tout de même
attention à comment
je me tiens, ne pas
paraître trop à l’aise,
ne pas paraître trop
gênée. Ils me
confient leur amour
pour le théâtre, et en
particulier le plaisir
qu’ils ont à travailler
tous ensemble au
TGP. A la fin de
l’entretien, on
m’invite pour le
spectacle du soir,
avec une détax pour
si quelqu’un veut
m’accompagner. Je
leur dis que je vais
essayer de venir, tout
en sachant que je ne
pourrais pas, ayant
déjà prévu quelque
chose le soir.
Ca fait très
longtemps... Je
reviens de
Montpellier où j’ai
passé deux jours.
Entre temps il y a eu
les rendus de travaux,
le grand oral, les
révisions, Noël, la
nouvelle année, les
partiels. Je suis super
fatiguée. Mais ça y
est, tout le monde
Je me sens un peu
désemparée, il faut que
je m’y mette mais je n’ai
aucune motivation…
aucun intérêt pour mon
sujet. Je suis très mal
partie, et retarde le
moment de m’y plonger.
Je me force quand
même, et mon cerveau
est en ébullitions depuis
la montagne de travail
que l’on a eue avant. Je
128
Je lis des articles sur
le mémoire, sur
comment choisir son
terrain, sur comment
élaborer une
problématique. Par
ailleurs je suis en
train de lire
L’invention de la
politique culturelle
de Urfalino, qui me
passionne.
s’affaire à son
mémoire.
22-01-2016
27-01-2016
décide de revenir à un
thème plus orienté vers
les publics et la politique
culturelle car c’est ça
qui me passionne :
l’histoire des politiques
culturelles. Je dois donc
revenir sur un thème qui
traite de l’héritage de
Malraux, appliqué au
théâtre public. La
question primordiale
est : quel terrain ?
Je prends un café
Pourquoi n’y ai-je pas
avec une copine une
pensé avant ? Faire une
fois rentrée chez mes étude par rapport à des
parents en Bretagne.
personnes ! Il y a là un
Ca fait longtemps que rapport à la sociologie
je ne l’ai pas vue, et
que je sens plus proche
on parle de nos
de moi et de ce que j’ai
mémoires respectifs. appris, j’ai plus de
Elle a travaillé sur la références sur la
relation entre
sociabilité des individus
programmateurs et
que sur la sociologie des
programmation.
organisations. Mais
comment l’appliquer
aux CDN et à la
politique culturelle ? Les
programmateurs (qui
dans le cas des CDN, en
sont également les
directeurs) sont les fers
de lance, les petites
mains de la politique
culturelle. Je me
rappelle de l’importance
d’Agathe Mélinand et de
Laurent Pelly au TNT.
Ils organisent leur
équipe, et tout le monde
leur doit « allégeance »,
toute l’équipe est
convaincue de leur
travail.
Suis en train de lire le Je suis un peu stressée
programme du TGP
avant le début. J’étudie
avant le début de
le programme, et ne
mon stage.
connais rien de ce qui
passe. Ai-je vraiment
choisi la bonne voie ? Je
129
Lire sur les
programmateurs de
manière générale.
Qui sont-ils ?
Comment accède-ton à la profession ?
Je lis un article sur
la fabrique de la
programmation
culturelle (conseillé
par cette amie).
C’est très
intéressant.
Lire les éditos des
programmes
d’autres CDN. On y
trouve plein
d’informations très
intéressantes. Par
reconnais le nom de Pio
Marmaï, un acteur. Seul
nom connu de la liste
car il a joué dans
beaucoup de films, et
des films grand public.
04-02-2016
1er jour de stage ! Je
viens juste
d’emménager à Paris.
Pour mon premier
jour, je prends au
moins 20 min
d’avance, on ne sait
jamais. Et je fais
bien, panne de
métro… La vie
parisienne commence
bien. J’arrive quand
même à l’heure, en
même temps que
François Lorin, mon
futur responsable de
stage, qui m’ouvre la
porte tranquillement.
Pour commencer, il
me propose de filer
voir le spectacle
jeune public qui
commence
maintenant.
Commencer son
stage de fin d’études
par un spectacle…
quel beau métier. La
salle où on va est la
moyenne (180
places), elle est
accueillante. Les
sièges sont en bois,
avec des coussins
rouges. L’ambiance
est cosy. Le théâtre
en lui-même est
décoré dans une
ambiance un peu
industrielle, gris,
blanc, rouge. Des
J’ai beaucoup réfléchi à
ma tenue… Ne pas en
faire trop. Mais je me
rends vite compte que
les gens autour de moi
sont « à la cool ».
Aucune prise de tête. Je
me sens presque décalée
avec mon nouveau
manteau en cuir… Tout
le monde m’accueille en
souriant, en me faisant
la bise. On me présente
à énormément de monde
et je ne retiens pas tous
les noms. Ce que j’ai
remarqué c’est qu’il y a
plusieurs directrices
déléguées. Ce théâtre est
un labyrinthe, j’ai
l’impression que je ne
m’y retrouverais jamais.
Spectacle jeune public :
c’est de la danse, et je
trouve ça plutôt
sympathique, joli. Le
public est composé
d’enfants de 5 ans en
moyenne. Ils n’ont pas
les codes pour se tenir
au théâtre, ils parlent
fort, ils rigolent, ils
tapent des pieds, ils se
lèvent… les comédiens
doivent accepter cela, et
l’intégrer dans leur
spectacle. C’est un bel
échange. On me
demande mon avis sur le
spectacle en sortant, je
suis contente d’avoir
130
ailleurs, la question
de la légitimité à
bosser dans un
théâtre, me fait
penser à relire ou à
approfondir ma
lecture de La
distinction de
Bourdieu.
07-02-2016
petites guirlandes
lumineuses un peu
partout. Une grande
librairie trône dans le
hall : des livres en
lien avec les
spectacles
programmés ou avec
le théâtre de manière
générale. C’est
accueillant,
chaleureux.
On est dimanche. Je
travaille. Enquête sur
les publics avant les
deux spectacles à
l’affiche. Le matin on
fait une visite du
théâtre pour
personnes
malvoyantes (on
avait testé la visite en
se bandant les yeux
pendant mon premier
jour de stage).
aimé, et de ne pas avoir
eu à mentir.
Connais l’histoire du
Théâtre. Mais pas celle
de ce théâtre. Me rends
compte que l’histoire de
chaque théâtre est hyper
importante pour
comprendre ses
problématiques
actuelles.
Pendant l’enquête des
publics, je questionne
les gens, et tombe sur un
ancien ministre de la
Par ailleurs je fais la
culture : Mr Donnedieu
rencontre de Jean
de Vabres. Je ne l’avais
Bellorini, le directeur pas reconnu… et je me
du TGP. Je le
sens un peu honteuse.
reconnais alors qu’il
Mais il est plutôt gentil !
est dans son bureau.
C’est impressionnant de
Il semble un peu
travailler dans un
ailleurs, concerné par endroit où circulent de
quelque chose. Il
telles personnalités.
parle avec François
Je questionne également
d’un spectacle qu’ils une professeure de
avaient prévu de
théâtre, qui me tient un
programmer la saison discours hyper raciste
prochaine mais qu’ils sur St-Denis, sur le
vont devoir annuler
communautarisme, je
car il ne l’a pas aimé. me retiens de ne pas
Il est allé le voir, et
m’énerver. Il ne s’agit
dit l’avoir « détesté ». pas de faire un scandale,
Le reste de l’équipe,
mais comment on peut
qui est également allé dire des âneries pareilles
le voir, est scindé en
devant ses élèves ? Ya
deux groupes. Ceux
vraiment des cons
qui ne l’ont pas aimé, partout. J’en parle aux
et ceux qui l’ont
ouvreurs, tous
131
Je me dois de
connaître l’histoire,
le territoire, la
politique des villes
dans lesquelles les
CDN sont implantés,
je le savais déjà
mais je me rends
compte aujourd’hui
à quel point c’est
important. St-Denis
est une ville
communiste depuis
la 1GM ! QUE des
maires
communistes ! Et
cela influe
forcément sur les
actions mises en
place par le TGP…
Lire Le politique,
l’artiste et le
gestionnaire de
Dubois. 100 000
habitants à St-Denis.
Une basilique
connue, où sont
inhumés les rois de
France. Une
population
majoritairement
immigrée. Des
affiches de la fête de
l’huma et de Force
Ouvrière partout. On
s’y sent plutôt bien.
adoré. C’est la
décision de Jean
Bellorini qui prime
bien sûr.
dyonisiens, tous noirs ou
d’origine maghrébine,
ils ont l’air blasé par
ça….
Ca valide mes
hypothèses de
primauté de la
qualité artistique,
mais ce dont je me
Jean Bellorini n’est
Jean Bellorini est jeune, rends compte que
jamais là. Il part en
mais impressionnant.
maintenant c’est que
tournée, il prépare ses Malgré tout je me sens
la programmation
spectacles à droite à
très à l’aise avec lui. Ca est élaborée à
gauche. Il ne
me surprend d’ailleurs,
plusieurs. Tout le
s’occupe que de
enfin, c’est pas
monde donne son
l’artistique en fait…
n’importe qui… ce mec avis, lui tranche. Le
Il pose son nom sur
a monté sa première
goût, la subjectivité,
un théâtre.
pièce à 26 ans…Il parle passe avant tout.
de cette fameuse pièce à Mais on réfléchit
annuler dans la
aussi aux publics,
programmation de
« des lycéens ne
l’année prochaine. Le
pourront jamais
fait d’avoir promis à
apprécier » dit mon
cette compagnie de la
responsable de
programmer ne dérange stage, aux relations
pas pour annuler au
avec les publics.
dernier moment « je vais Ca me fait penser à
passer pour un connard
un texte de Menger
je sais mais tant pis »
(à vérifier… ?) sur
dit-il.
les critères de
sélection : qui les
Je me sens impliquée
élabore ? les goûts
dans ces choix. Moi
sont bien
aussi je juge sur la
évidemment
qualité. Et mes goûts ne construits
sont pas seulement
socialement, ainsi
orientés selon le jeu des que les critères de
acteurs, mais également qualité.
selon la scénographie, la
mise en scène, qui sont
des éléments subjectifs,
qui dépendent
entièrement d’un choix
artistique.
Je n’ai jamais vu aucun
spectacle de Jean
Bellorini, mais tout le
monde m’en parle et
bizarrement je « sens »
que je vais aimer, que ça
va correspondre à mes
attentes de spectacles. Je
ne le connais pas mais je
132
Même jour
10-02-2016
Le soir, rencontre
avec Pio Marmaï, le
metteur en scène, les
autres comédiens et
le public. Juste après
le spectacle que je
n’ai pas encore pu
aller voir.
Je vais voir le
spectacle Roberto
Zucco avec mon
père. On mange
ensemble avant au
restaurant du théâtre
et on y croise tous les
comédiens du
spectacle. Je viens
juste de finir ma
journée de travail qui
a été épuisante.
me sens presque fière de
travailler pour lui…
Il correspond aux
« clichés de l’acteur » à
200%. Il est dédaigneux,
méprisant, se croit
partout chez lui. Bref,
fin d’un mythe. C’est
dingue comme il y a une
grosse différence entre
le monde artistique et le
monde de
l’administration
artistique. On a
décidément pas du tout
les mêmes codes.
Je suis fière de lui
montrer là où je
travaille. Lui fait
semblant de se sentir « à
l’aise ». Il aperçoit Pio
Marmaï, et je sens qu’il
se sent privilégié de
rencontrer des personnes
connues. Comme une
volonté d’accéder à la
« haute », c’est ce qui
me motive moi aussi à
vrai dire… Depuis
toujours je suis attirée
par les grandes choses,
les grandes personnes,
les grands projets,… Ca
me vient sûrement de
lui.
Roberto Zucco : oui
c’est pas mal, mais
vraiment pas génial.
Mais on ne s’autorise
pas à se le dire, on ne
peut pas, on ne se sent
pas assez légitimes pour
ça. Il y a de bons
acteurs, une belle mise
en scène, il a été
programmé dans la
grande salle… Même
s’il n’a pas adoré, mon
père ne l’admettra pas.
133
Lire Les Héritiers.
Les étudiants et la
Culture de Passeron
et Bourdieu.
11-02-2016
13-02-2016
Et moi, je le ferai avec
mes collègues de travail.
Ce midi on a mangé
Je me sens à l’aise avec
au resto avec mes
elles, on parle aussi de
collègues. On parle
tout et de rien.
de Richard III de
Je me rends compte que
Thomas Jolly que
je ne peux plus
certaines sont allées
participer à la
voir la veille, et
conversation parce que
d’autres spectacles
je n’ai pas vu assez de
qui nous ont
théâtre… elles sont plus
« bouleversées ».
âgées que moi aussi, je
Elles racontent
me rassure avec ça. En
qu’elles n’arrivent
même temps je ne sais
plus à voir de théâtre, pas si j’ai très envie
qu’elles en sont
d’être blasée par ce que
vraiment blasées,
je fais. C’est assez
qu’elles ont du mal à condescendant, et triste
aimer un spectacle
à la fois. En fait, elles
maintenant parce
dissocient complètement
qu’elles en ont « trop leur métier de la
vu ». Sauf Richard
pratique théâtrale. Elles
III, l’une d’entre elles sont toutes permanentes
dit que ce spectacle
en relations avec les
« l’a obsédée », qu’il publics, et ce poste ne
a « changé sa vie ».
touche que très peu à
l’artistique. Mais elles
sont quand même
obligées d’aller en voir,
pour participer à
l’élaboration de la
programmation.
On est samedi, je
Il m’explique l’essence
travaille.
du spectacle. Je n’y
J’accompagne un
comprends rien… Il me
atelier
réexplique, je ne
chorégraphique avec comprends toujours pas.
des gens ayant de 12 Il parle dans des termes
à 80 ans. Je suis dans hyper littéraires,
la voiture, en chemin abstraits.. Il m’explique
vers la salle de
le tout avec ses mots à
l’atelier, avec mon
lui, avec sa propre
responsable de stage. perception du spectacle,
Il m’explique qu’il a avec ce que lui a
peut-être trouvé un
ressenti. Bref, difficile à
remplaçant pour le
suivre. Mais s’il dit que
spectacle annulé de la j’aimerais sûrement
saison prochaine.
alors…
« des amis », qui sont
vraiment forts, selon
134
L’après-midi
j’étudie les
programmes des
CDN. Je note dans
mon agenda les
spectacles que je
pourrais aller voir.
Lire à propos de
l’économie des
biens symboliques
de Bourdieu,
comment les biens
symboliques
trouvent leurs
valeurs.
lui. Il dit « je suis
sûre que Jean va
aimer », et « même si
tout le monde n’aime
pas, tant pis, je trouve
que ça correspond
bien à l’esprit du
TGP, c’est
intelligent, fin,
réfléchi, mais en
même temps très
accessible »
Date
Observations
Ressentis
Analyses
15-mars
J’ai remarqué que
notre métier porte
différentes
appellations…
Quand j’ai demandé
aux autres stagiaires
comment elles
parlaient de leur
mission de stage,
une m’a répondu
« relations
publiques » et
l’autre a
directement réagi en
disant « ah mais
non on dit pas ça,
on dit ‘relations
avec le public’ ».
Pour s’expliquer,
elle a rétorqué
« ‘Relations
publiques’ ça ne va
pas du tout avec ce
qu’on fait, nous on
est tournés vers le
public »
J’ai l’impression que tout
ça
est
un
peu
politique… « Relations
publiques » c’est un peu
trop formel, ça ne définit
pas bien le contenu de nos
tâches, nous on s’occupe
de la réception, et donc du
public. Mais moi je
persiste à parler de
‘relations
avec
les
publics’, parce que je
considère qu’il n’y a pas
qu’un public.
Se renseigner sur els
différentes manières de
considérer les publics.
Public empêché, éloigné,
caractéristique ? Qu’estce que ça veut dire et
d’où ça vient ?
21 mars
Présentation de
saison 16-17 à
l’équipe par la
direction.
On est tous assis en
rond dans le hall de
Il existe une sorte de
code pour bien parler le
théâtre. Utilisation de
mots tels que « juste »,
« cohérent »,
« esthétiquement bien
Lire sur la construction
sociale du vocabulaire
de la culture.
135
l’administration.
Jean Bellorini est
sur le canapé, il ne
semble pas hyper à
l’aise en fait. Il
utilise des mots
artistiques, des mots
poétiques pour
décrire son projet,
sa programmation.
mené » etc etc. On fait
tous comme si on
comprenait. Ce sont des
mots très subjectifs, et je
suis sûre qu’on en a
chacun notre propre
interprétation.
Je sens qu’on ne peut pas
s’insérer dans ce milieu
sans connaître ce
vocabulaire. Et si je ne
devais pas faire ce travail
de réflexivité, je ne m’en
rendrais même plus
compte. Malgré tout je
ne peux m’empêcher
d’imaginer mes parents,
mes amis dans un
moment comme celui-là.
Je suis sûre qu’ils nous
prendraient pour des
fous.
Bon je ne me sens pas
très utile mais contente
de voir toute l’équipe
réunie pour la première
fois.
Malgré tout, je sens une
sorte de discorde entre la
production d’un côté, et
les relations avec le
publics d’un autre. On ne
parle que très peu de
démocratisation ou de
développement des
publics, tout ne semble
être qu’exigence
esthétique, poésie… Où
se place le public dans
tout ça ?
22-03
Discussion
informelle avec
mon responsable de
stage. Il m’avoue –
Waouh. Alors on peut
travailler dans un
établissement culturel
sans en aimer la
136
25-03
3-04
presque comme si
c’était une faute –
qu’il n’aime pas le
travail de Jean
Bellorini. « Mais
j’aime le
bonhomme quand
même hein ! »
programmation qui est
presqu’exclusivement
fabriquée par la
direction.
Délégation de la
fabrication de la
programmation.
C’est une chargée
de production,
Rebecca qui
s’occupe de la
programmation
jeune public.
Sur quelles
compétences ? du vécu ?
de l’expérience ? du
réseau ?
Je suis allée voir un
spectacle à l’Opéra
Garnier avec mon
responsable de
stage. Il avait des
invitations, on était
idéalement placés.
C’était de la danse
contemporaine, et
c’était la première
fois que j’allais en
voir dans de telles
conditions. Une
chorégraphe très
connue
(apparemment, je
J’étais complètement
fascinée par le lieu et par
nos places. Les gens à
côté avaient dû payer très
très cher… Je me suis
sentie importante.
Gwenola, une chargée de
production, avait
pourtant affirmé le
contraire lors d’une
rencontre avec des
étudiants « le jour où je
n’aimerais plus le projet
artistique d’un endroit
dans lequel je travaille, je
m’en irai »
La programmation
s’élabore donc de
manière collective, les
responsables RP ont
demandé d’aller voir des
spectacles pour y
participer. Mais cela
suppose donc que toute
l’équipe soit ok autour
des mêmes spectacles…
J’étais aussi contente de
partager ça avec mon
maître de stage qui avait
l’air d’être hyper fan de
cette chorégraphe. Je suis
sortie du spectacle un
peu déboussolée, je ne
savais pas vraiment si
j’avais aimé ou pas, en
137
Continuer de lire sur la
démocratisation
culturelle, sur la
médiation.
Jean caune : la
démocratisation
culturelle, une médiation
à bout de souffle ?
Lire sur les différentes
acceptions de la
démocratisation, du
développement local des
publics. Comment un
projet artistique est
motivé par le biais des
publics ? Quel discours
10-04
ne la connaissais
pas, mais mon chef
en était dingue)
tout cas je n’arrivais pas
à le verbaliser.
Je lis un article sur
la démocratisation
culturelle qui
s’appelle : la
dimension
territoriale de la
Bim, révélation
(divine ?) c’est
exactement ça. Il a tout
compris, j’arrivais pas à
mettre des mots dessus,
mais on parle bien d’une
Mon chef était aux
anges, il avait adoré.
Nous sommes allés boire
une bière après et il m’a
expliqué son rapport à
l’art. Il m’explique donc
que pour lui, la danse est
plus forte que le théâtre,
quil n’y a pas besoin de
texte pour comprendre ce
qui veut être compris. Il
m’explique que pour lui,
on ne doit pas rendre le
théâtre accessible, mais
qu’on doit donner accès
aux gens pour qu’ils
comprennent l’œuvre
dans son entièreté. Ou
même qu’ils ne la
comprennent pas
d’ailleurs, il parle
d’émotions, de
ressentis… Je lui dis que
personnellement je n’ai
pas ressenti tout ça, que
j’ai eu envie d’analyser
intellectuellement tout ce
qui s’était passé. Mais je
comprends son point de
vue sur la médiation.
Pour lui, il faut faire en
sorte que les gens n’aient
plus peur d’aller voir des
spectacles comme ceuxlà, en les préparant en
amont, en les
accompagnant…
138
par rapport au public ?
Quelle place pour le
développement des
publics locaux dans un
projet artistique ?
Il faut que je relise
Heinich et la gloire de
Van Gogh, en parlant de
construction d’un
mythe…
25-04
démocratisation
culturelle par Pierre
Moulinier. Le
chapitre sur l’EtatNation évoque une
division des 3
missions du
Ministère de la
Culture,
correspondant
presque à celles du
clergé, de la
noblesse et du tiersétat. Il fait un
parallèle entre le
terme de
démocratisation et
le cham lexical qui
s’en réfère avec
celui de la grâce
religieuse… Selon
lui, les responsables
culturels seraient
partagés entre
exploiter la « piété
populaire » et la
volonté de faire
vivre leur foi de la
manière la plus
exigeante.
croyance. Une croyance
dans les bienfaits du
théâtre (public hein bien
sûr) sur les masses. On
croit dans le théâtre,
alors on aimerait que tout
le monde aille en voir.
Mais pourquoi au juste ?
Pourquoi moi à un
moment donné, j’ai eu
envie d’aller voir du
théâtre ? Pourquoi je vais
voir 2 ou 3 spectacles par
semaine alors que peu de
spectacles me plaisent
vraiment ? Pourquoi estce qu’on mène des
projets d’action
artistique ? pourquoi
pourquoi pourquoi ?
Semaine d’ateliers
avec un
chorégraphe en
résidence au TGP.
Ateliers avec des
enfants dans une
cité de saint-denis.
Une animatrice est
là aussi, elle reste à
l’atelier pour faire
le lien avec les
enfants. Elle écrit
sur son portable
toute la journée,
soupire.
J’essaye de parler avec
elle, des enfants, de
l’école, de danse… On
accroche assez bien
toutes les deux, et elle
m’avoue ne pas
comprendre le projet de
danse qu’on mène ici.
Elle-même est animatrice
danse. Je lui explique
que c’est plus de
l’expression corporelle,
que ça ne donnera pas un
spectacle chorégraphié
comme un gala de danse.
Et puis, un peu plus tard,
La croyance dans les
bienfaits du théâtre, et
une certaine pipolisation
du monde théâtral, ne
dépasserait-elle pas
l’essence même de la
démocratisation ?
139
Encore une fois, on subit
le certain échec des
politiques de
démocratisation
artistique et culturelle.
Mais on se rassure en se
disant que les enfants
ont l’air de passer un
bon moment, ils
n’arrivent pas à mettre
de catégories sur ce
qu’ils font : danse ?
théâtre ? mais ils
s’amusent.
je suis assise derrière elle
et ai donc une vue sur
son portable… Par
curiosité, j’ai lu les
messages qu’elle
envoyait à un ami, avec
des vidéos des enfants en
train de danser. Elle lui
écrivait « on dirait une
secte, ce mec est
timbré ». Bref. Je n’en ai
parlé à personne,
quoique même si j’en
avais parlé, on m’aurait
dit « mais c’est pas
grave, elle ne comprend
pas, c’est pas son truc ».
Mais quand même,
grosse remise en
question de notre travail.
A quoi ça sert tout ça si
des gens comme elle, des
enfants de cette école, ne
le comprennent pas ?
Ce projet permet aussi
de se faire rencontrer
différents « groupes » de
personnes, et c’est
l’échange et le partage
entre tous, plus que la
pratique artistique, qui
rend le projet intéressant.
2 mai
On travaille
beaucoup au
Théâtre... les
stagiaires sont
mobilisées pour
rester plus tard,
pour rester les
week-ends. On ne
rattrape pas toutes
nos heures...
J’accepte presque
volontiers de faire des
heures supplémentaires.
Je me convainc qu’il n’y
a qu’en restant plus tard,
en étant présente tout le
temps, en allégeant
l’emploi du temps des
responsables, que je
m’intègrerais dans ce
milieu.
Lire sur la vocation,
l’acceptation de
conditions de travail pas
possibles avec comme
justification la passion
10-mai
Réunion RP-Comm,
tout le monde parle
des actions à mettre
en place sur la
prochaine saison.
La responsable du
service RP qui gère le
jeune public trouve
qu’on en parle pas
assez… Elle semble
triste et ça l’énerve
beaucoup. C’est vrai
qu’en réunion on en
parle jamais, comme si le
jeune public était
Pourquoi une
dévalorisation du jeune
public ? Comme si ce
public n’était pas assez
« légitime »
140
toujours relayé au second
plan
13-mai
Troupe éphémère.
Représentation
d’Antigone par les
jeunes amateurs de
la troupe. Ils sont
une vingtaine. C’est
une grosse création
dirigée par le
directeur du
Théâtre. Toute
l’équipe du théâtre
est là pour voir ce
spectacle.
Conditions
professionnelles. Il
y a beaucoup de
jeunes dans la salle,
des amis des jeunes
qui jouent. Ils font
beaucoup de bruit.
Le bruit est
insupportable. Je n’arrive
plus à concevoir qu’on
puisse faire du bruit dans
une salle de spectacle.
Suis-je devenue réac ?
Surtout que ce sont des
jeunes qui n’ont pour la
plupart pas l’habitude
d’aller au théâtre, des
jeunes de saint-denis,
d’origine étrangère... Ils
sont sur leur téléphone
tout le spectacle malgré
les consignes. Et ça
m’éneeerrve. Et je vois
bien que ça en énerve
beaucoup d’autres. Mais
que dire ? Ils sont là, on
fait tout pour que eux
soient là, dans une salle
de spectacle, à voir un
spectacle de « qualité ».
Ils se lèvent à la fin et
applaudissent super fort.
Ils sont super contents.
Mais du coup, est-ce
qu’ils ont aimé ? ils ont
aimé alors qu’ils étaient
sur leur portable toute la
soirée ?
La contradiction
développement des
publics/milieu élitiste de
qualité artistique me
frappe en plein fouet.
D’ailleurs, on arrête pas
de dire autour de moi que
le théâtre de J. [le
directeur] est très ancré
dans les problématiques
d’aujourd’hui, qu’il
choisit des textes
141
Lire spécifiquement sur
la contradiction qualité
artistique/développement
et diversification des
publics... comment
s’organise la médiation ?
engagés, qui font
référence à ce qui se
passe aujourd’hui…
certes j’adore ses
créations, mais je ne vois
pas du tout en quoi ça
peut faire référence à ce
qui se passe dans notre
société… Enfin, adapter
Victor Hugo, Sophocle
ou Dostoïevski… c’est
sûr qu’on peut peut-être
y voir des résonnances à
des grands thèmes
comme l’amour,
l’autorité, la misère, etc.
Mais est-ce qu’on peut
vraiment penser à des
situations
contemporaines en
voyant ses spectacles,
surtout quand on ne voit
jamais de théâtre ? Je
pense que les gens les
voient que comme des
grandes histoires. Et
c’est pas forcément
moins bien.
20-mai
C’est la première
d’un spectacle
d’Ostermeïer au
Théâtre de l’Odéon.
On a réservé nos
places très à
l’avance avec mes
collègues. Tout le
beau monde est
présent : Claire
Chazal, Barbier.. on
est au cœur de
l’entre-soi.
Je ne me sens pas très
bien dans cette
ambiance. Quel public
dans les théâtres
nationaux... !! Je ne me
sens pas à l’aise, pas à
ma place. Tout est trop
beau, les gens sont ont
l’air trop riches. C’est
pas pour moi.
Et je déteste le spectacle.
Dès le début. Pour la
première fois de ma vie,
je me sens légitime à
partir en plein milieu !
(en même temps ça
durait 3h30). Même si
c’est Ostermeier avec
142
Tchekhov, je n’aime pas,
je l’assume, et je pars !
Je suis partie de l’Odéon
en plein milieu. Normal.
Et puis il a fallu que je
me justifie sur le fait que
je n’avais pas aimé : il a
fallu que je le verbalise.
C’était pas facile de se
justifier... c’est « quand
même » Ostermeier,
comme si je n’avais pas
le droit de ne pas aimer.
Du coup, pour me
rattraper, il faut que j’use
d’arguments
convaincants.
26-mai
Manifs contre la loi
travail. Seules un
intermittent et une
personne à l’accueil
font grève pour y
aller. J’ai pensé à y
aller mais on n’en
parle pas.
Je suis étonnée de voir
qu’aucun membre du
théâtre (mis à part un ou
deux) ne soit mobilisé pour
les manifs de la loi
travail… On est censés être
dans un endroit assez
militant, tout le monde est
très critique du
gouvernement, assume
avoir des valeurs de
gauche… Alors pourquoi
on ne fait pas tous grève ?
Pourquoi on ne se mouille
pas pour faire un
communiqué ? Surtout
qu’on peut bien se passer
de nous… Ok on a plein de
boulot mais on n’est pas
complètement
indispensables à la société,
en tout cas pas pendant
quelques heures…
J’aimerais bien y aller moi
mais j’ai peur que ce soit
mal vu.
29-mai
Fatiguée… Je sors du
week-end de
restitutions de Ses
Majestés.
J’en reviens pas de tout ce
qui s’est produit. C’est ma
première vraie
reconnaissance
professionnelle. Pour la
143
Engagement politique
des médiateurs culturels
qui s’arrête aux bords de
l’engagement
institutionnel. Comme si
leur travail sur le terrain,
au pplus près des gens,
était plus légitime que
les manifestations très
encadrées, un peu
« macro ». Différence
travail
social/militant/artistique
et culturel ?
première fois de ma vie j’ai
l’impression d’avoir été
utile pour quelqu’un,
d’avoir permis, le temps
d’un week-end, de donner
du sens à ce que je faisais,
à ce pourquoi j’étais là.
Toute cette solidarité, toute
cette passion… Voilà
pourquoi j’ai choisi de faire
ce métier, et vraiment, ça
fait du bien de se le
rappeler de temps en
temps.
21-juin
Tout le monde est
super stressé avec
Avignon. La
production du
directeur prend plus
de temps et d’argent
que prévu…
L’ambiance est
tendue dans les
bureaux, surtout
entre la prod et les
RP. Une subvention
qui devait être
attribuée au service
RP a été avalée par
la nouvelle création
du directeur…
Tout le monde en RP est
super énervé… il va
falloir qu’on se
débrouille avec le
mécénat maintenant…
comme si la création
artistique valait plus que
l’implantation sur le
territoire et le travail
avec le public….
144
Table des matières
La médiation culturelle dans un Centre Dramatique National de banlieue parisienne,
déconstruction d’une croyance ........................................................................................... 1
Entre représentations et pratiques au Théâtre Gérard Philipe, Centre Dramatique
National de Saint-Denis ....................................................................................................... 1
Remerciements ..................................................................................................................... 3
Introduction ......................................................................................................................... 8
I.
Définitions théoriques et précisions socio-historiques .............................................. 8
Définir les termes....................................................................................................... 8
L’appropriation progressive de la question de la culture par le politique ............... 10
La prise en compte de la réception .......................................................................... 11
La question du public .............................................................................................. 12
II.
Articulation de la problématique et des hypothèses ................................................ 13
Formulation du problème ........................................................................................ 13
Revue de littérature .................................................................................................. 14
Hypothèses .............................................................................................................. 16
III.
Méthodologie : comment étudier une croyance ? ................................................. 17
Identification du terrain de recherche ...................................................................... 17
Méthodologie d’enquête .......................................................................................... 19
PARTIE 1 : Quelle(s) médiation(s) culturelle(s) ? Eléments de contexte et de
définition ............................................................................................................................. 22
I.
Le « théâtre service public », éléments de contexte ................................................ 22
A.
Historique du théâtre comme service public ..................................................... 22
Les mouvements de décentralisation théâtrale ........................................................ 22
La démocratisation culturelle VS la démocratie culturelle ..................................... 24
L’organisation du théâtre français d’aujourd’hui .................................................... 26
B.
Les centres dramatiques nationaux ................................................................... 28
Le contrat de décentralisation dramatique ............................................................... 28
Les missions : entre création et démocratisation ..................................................... 29
Contradictions liées au statut de CDN ..................................................................... 30
La médiation culturelle aujourd’hui ........................................................................ 32
II.
A.
Eléments de contour de la médiation culturelle ................................................ 32
Des définitions et approches multiples .................................................................... 32
L’émergence de la médiation culturelle .................................................................. 34
La méfiance vis-à-vis de la médiation culturelle dans le monde du théâtre ............ 35
145
B.
Le métier de médiateur : les enquêtés ............................................................... 37
Etre médiateur aujourd’hui ...................................................................................... 37
Les rôles et missions ................................................................................................ 39
C.
La médiation culturelle construite comme une croyance collective ................. 40
Pourquoi une « croyance » ? Eléments de définition .............................................. 41
La croyance dans la médiation culturelle : une croyance « religieuse » ................. 42
Une croyance d’élites .............................................................................................. 43
PARTIE 2 : Les représentations de la médiation culturelle au Théâtre Gérard Philipe
: analyse d’une croyance ................................................................................................... 46
I. La médiation culturelle au Théâtre Gérard Philipe, CDN de Saint-Denis : quelle(s)
croyance(s) ? .................................................................................................................... 47
A.
La médiation culturelle inscrite aux fondements du projet artistique ............... 47
Le projet artistique du directeur du TGP ................................................................. 47
Médiation d’une culture d’élite ?............................................................................. 48
L’attachement au territoire ...................................................................................... 49
B.
Deux visions de la médiation culturelle au TGP ............................................... 49
Pour un théâtre « accessible ».................................................................................. 49
Pour un théâtre « exigeant » .................................................................................... 50
C.
Identification des bienfaits de la médiation culturelle ...................................... 51
« Réunion… ............................................................................................................. 51
… épanouissement… ............................................................................................... 52
…et dépassement » .................................................................................................. 52
II.
Quel(s) discours sur la médiation culturelle ? ......................................................... 53
A.
Codes esthétiques .............................................................................................. 53
Codes de langage ..................................................................................................... 53
Une « sensibilité esthétique » .................................................................................. 55
B.
La représentation des terrains d’action artistique .............................................. 56
Le choix des actions de médiation........................................................................... 56
Une question de « goûts » ....................................................................................... 58
Vers une hiérarchisation des cultures ? ................................................................... 59
PARTIE 3 : Socialisation(s) et vocation(s) des médiateurs du Théâtre Gérard
Philipe : aux origines de la croyance ................................................................................ 61
I.
Socialisation culturelle et capital scolaire ............................................................... 61
A.
Une socialisation culturelle ............................................................................... 62
Une reproduction professionnelle incertaine… ....................................................... 63
…mais une forte ouverture à l’art et à la culture ..................................................... 64
146
Influences familiales ................................................................................................ 65
Le soutien dans l’orientation ................................................................................... 66
B.
L’importance donnée à l’école .......................................................................... 67
L’école « révélatrice » ............................................................................................. 68
L’expérience de l’Université ................................................................................... 69
II. Une « vocation » pour la médiation culturelle ? Entre amour pour l’art et passion
militante ........................................................................................................................... 71
A.
Un amour de l’art exigeant ................................................................................ 72
Un métier « vocationnel » ....................................................................................... 72
Le théâtre dans un CDN .......................................................................................... 73
B.
Une dimension militante : « faire le bien » ....................................................... 75
« Se sentir utile » ..................................................................................................... 75
Dans l’opposition politique ..................................................................................... 76
Faire de la politique « autrement » .......................................................................... 78
PARTIE 4 : Mise en perspective des représentations de la médiation culturelle avec la
pratique sur le terrain ....................................................................................................... 81
L’importance des « médiatrices-relais » : au plus près du public ........................... 82
I.
A.
Caractéristiques sociales et vocation ................................................................. 83
Milieu social et parcours personnels ....................................................................... 83
Vocation politique et militante ................................................................................ 84
B.
Le rapport à l’art ................................................................................................ 85
La découverte du théâtre.......................................................................................... 85
Le rapport au théâtre ................................................................................................ 87
II.
Représentations et prise en charge de la distance sociale pendant les actions ........ 88
A.
Une barrière sociale à dépasser ......................................................................... 88
L’incompréhension .................................................................................................. 89
Aller au-delà des différences ................................................................................... 90
B.
L’importance du rôle de l’artiste ....................................................................... 91
Le choix de l’artiste par les médiateurs ................................................................... 92
La place de l’artiste dans les actions ....................................................................... 93
III. Les bilans de la pratique : quelles différences d’interprétation des effets sur les
publics ? ........................................................................................................................... 94
A.
Les bienfaits sur les publics perçus par les médiatrices-relais .......................... 95
La cohésion de groupe et les rencontres .................................................................. 95
L’ « équité » culturelle............................................................................................. 96
Insertion professionnelle et prise de confiance........................................................ 97
147
B.
Les bilans du médiateur : une objectivité limitée ? ........................................... 98
Des bilans abstraits .................................................................................................. 98
Vers une complémentarité des objectifs ? ............................................................... 99
Conclusion ........................................................................................................................ 101
Bibliographie .................................................................................................................... 104
Annexes ............................................................................................................................. 108
Table des matières ........................................................................................................... 145
148
149
Téléchargement