Lajos Kossuth naquit le 19 septembre 1802 à Monok
dans le comitat de Zemplén. La famille Kossuth
figurait parmi les plus anciennes de la noblesse
moyenne de Haute-Hongrie. Le premier document d'archives la
concernant date de 1263. Le père de Lajos Kossuth, László, était
en 1763 dans le comitat de
Turóc. Dans les années 80 du 18e
siècle, il s'installa dans le
Zemplén, il devint d'abord
receveur de l'enregistrement, puis
procureur du domaine des
Andrássy à Monok. Il se maria
relativement tard, aux alentours de
1800, et il épousa Karolina, la fille
d'András Weber de Tyrling, maître
de poste luthérien à Olaszliszka.
Lajos Kossuth fit de brillantes
études dans les villes de
Sátoraljaújhely, Eperjes et
Sárospatak. Plus tard, il travailla
en tant que clerc d'avoué à Eperjes
et à Pest. C'est également à Pest
qu'il acquit ses premières
expériences politiques. Lors de ses
études, il avait appris le latin,
l'allemand et le français et
commencé l'anglais. Il obtint son
diplôme d'avocat en septembre
1823, puis retourna dans le
comitat de Zemplén pour y
exercer son métier. En 1828-29, il participa au recensement des
contribuables dans le comitat de Zemplén. En 1830-31, aux
réunions du Conseil général, il intervint plusieurs fois comme
membre de l'opposition réformiste, et il joua un rôle important
dans la répression de la révolte du choléra. C'est grâce à la fermeté
de son action que les paysans insurgés n'avaient pas dévasté la ville
de Sátoraljaújhely. Dès cette époque, il se fit remarquer par les
conservateurs locaux par ses déclarations en tant que membre de
l'opposition. Au tournant des années 1831-32, à cause de sa
négligence dans la gestion d'un legs, il perdit toute chance de
réussir au niveau local.
En 1832-36, il représentait
plusieurs aristocrates du Zemplén
à la Diète de Pozsony. En tant que
délégué des absents (ablegatus
absentium), il était placé à la
Chambre basse où il prit la parole
à plusieurs reprises. Pour
informer ses mandants puis
l'opinion publique nationale,
Kossuth lança un journal
manuscrit, Országgyûlési
Tudósítások (Chroniques de la
Diète). Diffusé par
correspondance, ce journal fut le
premier à communiquer, en
déjouant la censure, des
informations détaillées sur le
fonctionnement de la Diète.
C'était déjà suffisant pour s'attirer
la colère des détenteurs du
pouvoir de l'époque. C'est cette
entreprise qui le fit connaître dans
le pays et qui le mit en contact
avec les personnages éminents de
l'opposition, notamment Ferenc
Kölcsey (1790-1838) et Miklós Wesselényi (1796-1850). En
revanche, István Széchenyi (1791-1860), la plus importante figure
de l'opposition, se montra réservé à l'égard de Kossuth.
Après la clôture de la session de la Diète, Kossuth lança un autre
journal manuscrit, intitulé Törvényhatósági Tudósítások
(Chroniques des autorités territoriales), qui informait ses abonnés
Lajos Kossuth
(1802-1894)
MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES BUDAPEST
No 3/2002
sur le déroulement des réunions du Conseil
général. C'est dans ce journal qu'il relata les
protestations de l'opposition provoquées par
les procès intentés contre les personnalités
de l'opposition siégeant à la Diète de 1832-
36. Le pouvoir réagit en sommant Kossuth
de cesser ses activités, puis en décidant de le
traduire en justice pour crime de lèse-
majesté. Arrêté le 5 mai 1837, il fut
condamné à plusieurs années de prison.
L'arrestation de Kossuth suscita une
consternation générale. L'intervention
vigoureuse du régime provoqua toute une
série d'actions protestataires. En prison,
Kossuth ne passa pas tout son temps à
élaborer sa défense. Peu après son
arrestation, il demandait déjà à sa mère de
lui envoyer des livres. Ainsi s'efforçait-il de
rester en contact avec le monde extérieur. Il
perfectionna aussi ses connaissances
d'anglais. Il traduisit et adapta de l'allemand
l'ouvrage de Samuel Wilderspin sur
l'éducation des enfants en bas âge et
commença aussi à traduire Macbeth de
Shakespeare. Afin de se tenir au courant de
la politique, il lisait régulièrement une
demi-douzaine de journaux hongrois et
allemands. Les lettres écrites à ses parents
de sa prison constituent les pièces majeures
de son uvre littéraire, certaines d'entre
elles sont de véritables essais.
La captivité ne brisa donc pas Kossuth et
grâce aux changements politiques, il ne dut
pas purger sa peine de quatre ans. Trois
mois après sa condamnation, la nouvelle
Diète se réunit le 2 juin 1839. Profitant
d'une erreur politique commise par le
gouvernement, la Chambre basse réclama
dans une adresse la cessation des poursuites
contre Wesselényi, Kossuth et László
Lovassy (1815-1892), ainsi que leur
libération. La Cour fut contrainte de céder,
et le 10 mai 1840 Kossuth fut libéré. Le 9
juin 1840, à la réunion du Conseil général
du comitat de Pest, Kossuth remercia la
population du comitat de l'avoir soutenu
avec tant de persévérance et d'efficacité.
Durant sa captivité, il avait perdu son
père László Kossuth, le 13 juin 1839.
Désormais, il devait subvenir seul aux
besoins de la famille Kossuth. Il se produisit
encore un autre changement important dans
la vie privée de Kossuth. En été 1840, il fit
la connaissance de Terézia Meszlényi,
originaire d'une famille catholique noble de
Transdanubie. Peu de temps après, le 9
janvier 1841, Kossuth épousait sa fiancée.
Après sa libération, il ne se retira point
de la vie politique. A Vienne aussi, on
préférait l'avoir à l'oeil; ainsi Lajos
Landerer (1800-1854), propriétaire d'une
imprimerie, fut-il autorisé à lui confier la
rédaction du Pesti Hírlap (Journal de Pest).
Il remplit cette fonction du 2 janvier 1841
au printemps de 1844. Dans de nombreux
articles, il propagea des idées réformistes
en démontrant le caractère intenable du
régime féodal en place. Dans la rédaction
du journal, il s'appuyait également sur les
membres de l'opposition. C'est lui qui a
écrit le premier éditorial de la presse
hongroise, ce qui montre bien la modernité
de son journal. (C'est encore lui qui a créé
l'équivalent hongrois du mot éditorial.)
Passé de 60 à 5000, le tirage de cette
publication était le plus fort dans la
monarchie des Habsbourg. Son poste de
rédacteur permit aussi à Kossuth de
consolider sa situation matérielle.
C'est au sujet des articles parus dans
Pesti Hirlap que s'engagea le grand débat
entre Kossuth et Széchenyi sur la tactique à
suivre par l'opposition réformiste.
Széchenyi désapprouvait l'attitude trop
ferme et trop critique de Kossuth et
s'opposait à la détérioration des rapports
avec l'Autriche. Il attaqua Kossuth dans
son livre Kelet népe (Le Peuple de l'Est),
puis dans une douzaine d'articles.
Kossuth et les premiers billets de banque hongrois
« Lajos Kossuth veille au pays »- caricature
Cependant Kossuth sortit vainqueur de la
polémique en démontrant que la plupart
des allégations de Széchenyi n'étaient pas
pertinentes. La majorité de l'opposition
soutint Kossuth dans le débat.
A la fin de 1843, on en eut assez à
Vienne des activités du journaliste Kossuth.
Landerer reçut l'injonction de renvoyer son
rédacteur. Il provoqua alors un conflit
d'ordre financier, à l'issue duquel Kossuth
démissionna et tenta d'obtenir, en vain,
l'autorisation d'éditer un autre journal.
Comme le régime la lui refusait, Kossuth
dut se trouver d'autres activités. Il dut
abandonner la propagation par écrit des
idées réformistes. Ainsi devint-il le
promoteur de différentes entreprises
économiques. La plus importante était la
Ligue nationale Országos Védegylet,
fondée en 1844, qui cherchait à promouvoir
le développement de l'industrie et du
commerce nationaux par une politique
douanière protectionniste. En effet, Kossuth
craignait l'adhésion de l'Autriche à l'union
douanière allemande (Zollverein) et, de ce
fait, l'incompétitivité de l'industrie et du
commerce hongrois face aux produits
allemands de meilleure qualité. C'est la
raison pour laquelle il préconisait une
politique protectionniste. La plupart des
initiatives économiques de Kossuth
aboutirent à un échec ou à un succès
modéré. Cependant, elles renforcèrent
quand même l'organisation de l'opposition.
Kossuth était convaincu que, pour
l'instauration d'une société bourgeoise en
Hongrie, il fallait abolir le servage. Selon lui,
c'était le seul moyen d'éviter une guerre civile
qui aurait mis en danger l'existence même de
la noblesse et du pays. L'objectif du
programme de conciliation des intérêts,
élaboré en partie par Kossuth, consistait à
réaliser l'instauration d'une société
bourgeoise en Hongrie sous la direction de la
noblesse hongroise et en maintenant
l'indépendance du pays. Lorsque les
conservateurs hongrois fondèrent leur propre
parti, Kossuth décida d'organiser un parti
d'opposition unifié et d'élaborer le
programme de l'opposition, dans la rédaction
duquel il joua un rôle important avec Ferenc
Deák (1803-1876) . Lajos Batthyány (1806-
1849) fut élu président du nouveau parti
d'opposition. Kossuth participa à la Diète de
1847-1848 comme député du comitat de
Pest. Le régime en place avait fait son
possible pour empêcher l'élection de
Kossuth, mais en vain. A la Chambre basse,
l'opposition était majoritaire, mais la
résistance de la Chambre haute ne lui permit
pas de profiter de cette situation.
L'opposition luttait pour la réalisation des
réformes sous la direction de Kossuth à la
Chambre basse, et sous celle de Batthyány à
la Chambre haute. En janvier-février 1848,
une partie de l'opposition aurait été prête à
passer un accord spécial avec Vienne, mais à
la suite de l'intervention de Kossuth, l'union
de l'opposition se rétablit rapidement.
Les révolutions européennes de 1848
provoquèrent une situation favorable à la
Hongrie. Les chefs radicaux de l'opposition,
Kossuth et Batthyány, estimaient qu'il fallait
profiter de l'affaiblissement de l'Empire des
Habsbourg afin de réaliser le programme de
!
Kossuth prononce un discours de recrutement en automne 1848
Kossuth présente au Parlement, le 8 octobre 1848, les drapeaux pris à l'ennemi à Ozora
l'opposition réformiste. Dès la fin de février,
ils voulaient demander à l'Empereur
d'inciter le gouvernement à ramener la paix
et « de ne pas faire couler le sang hongrois
pour opprimer la liberté italienne ». Pour ce
faire, il devait doter les peuples d'une
Constitution. Cette revendication illustrait à
la fois le bon sens et la largeur d'esprit de
l'opposition en matière de politique
extérieure. Batthyány et Kossuth savaient
que la liberté de la Hongrie était liée à
l'existence d'un régime constitutionnel dans
les provinces héréditaires, car les intérêts
divergents des différentes parties de
l'Empire ne pouvaient être conciliés que
dans le cadre d'un régime politique
identique. La proposition de Kossuth fut
alors rejetée même par la majorité de
l'opposition. Or, l'intuition de Kossuth fut
confirmée par la nouvelle de la révolution
de Paris parvenue à Pozsony quelques jours
plus tard, le 1er mars. Le 3 mars, Kossuth
présenta une motion historique à la réunion
régionale de la Chambre basse en exhortant
la Diète à « élever sa politique au niveau des
circonstances ». Il exigeait pour le moment
à mots couverts la participation égale aux
charges publiques, un système politique
représentatif, l'égalité des droits politiques
et l'instauration d'un gouvernement national
indépendant en Hongrie. Mais il ne s'arrêta
pas là. Conscient de ce que c'étaient les
changements survenus dans la situation
politique extérieure qui avaient permis de
formuler ces revendications, il exigea
également une Constitution pour les
provinces héréditaires de l'Empire des
Habsbourg.
Certes, les détenteurs du pouvoir étaient
effrayés par les nouvelles de la révolution de
Paris et la situation financière de l'Empire
était critique  ni pour la première, ni pour la
dernière fois d'ailleurs , mais ils pouvaient
toujours compter sur l'aide du tzar Nicolas Ier
(1796-1855) et de son armée. Cependant, le
discours de Kossuth, dans lequel il exigeait
une Constitution pour les provinces
héréditaires de l'Empire également, fut
traduit et imprimé en allemand et provoqua
une telle fermentation à Vienne qu'une
réaction violente devint impossible. Le 13
mars, la révolution éclata à Vienne. Le
chancelier omnipotent Klemens Metternich
(1773-1859) dut démissionner et s'enfuir,
tandis que l'empereur promettait une
Constitution aux peuples de l'Autriche.
La révolution de Vienne eut lieu au
meilleur moment pour l'opposition libérale
hongroise, car l'adresse formulée d'après le
discours de Kossuth avait été mise de cô
par la Chambre haute. De plus, les
aristocrates fidèles à la Cour se rendirent en
masse à Vienne pour empêcher la
convocation de la Chambre haute. En sa
qualité de délégué du roi et de fondé de
pouvoir, István Széchenyi, adversaire
impitoyable de Kossuth, proposa même
d'employer la force militaire contre
l'opposition réformiste. Toutefois, la
révolution de Vienne changea la situation.
Le 14 mars, les aristocrates adoptèrent le
projet d'adresse de Kossuth qu'une
délégation de la Diète porta à Vienne le
"
La bataille de Kápolna, le 27 février 1849
lendemain. Le monarque et son entourage
tentèrent de résister, mais le 17 mars
Ferdinand V (1793-1855) accepta la
nomination de Lajos Batthyány au poste de
premier ministre. La révolution qui éclata à
Pest le 15 mars influença, bien entendu,
l'entérinement de cette nomination et la
satisfaction des revendications hongroises.
Après le retour de la délégation à
Pozsony, la Diète adopta en quelques
semaines les lois permettant l'instauration
d'une société bourgeoise dans le pays. La
mise en uvre rapide et ferme de ces cadres
était facilitée aussi par des faux bruits selon
lesquels Sándor Petõfi (1823-1849), chef de
la révolution de Pest, campait sur le champ
de Rákos à la tête de 40 000 paysans
armés de faux. La promulgation des articles
de la loi se heurtait cependant à de sérieux
obstacles. A Vienne, les membres de la
Conférence d'État essayaient de réduire le
plus possible les compétences du ministère
hongrois. Grâce à son excellente
préparation aux négociations et au fait que
les mouvements de masse soutenaient
toujours ses revendications au meilleur
moment, la délégation de la Diète hongroise
réussit à vaincre l'autre partie sur la plupart
des points essentiels.
Kossuth joua un rôle important dans la
formulation des lois d'avril, qui permirent à
la Hongrie féodale de se transformer en un
Etat de type bourgeois.
Le 10 avril, le roi Ferdinand V nomma le
gouvernement hongrois présidé par le
comte Lajos Batthyány, et le lendemain il
promulgua les articles de loi formulés par la
Diète de Pozsony. Ces articles régissaient la
formation d'un gouvernement indépendant
et responsable, l'abolition du servage,
l'introduction de la contribution égale aux
charges publiques et de l'égalité des
citoyens devant la loi, ainsi que la mise en
place d'un Parlement représentatif.
La création de la gestion financière
indépendante est liée au nom de Kossuth,
ministre des Finances du gouvernement. Le
Trésor public était presque vide lorsque
Kossuth entra en fonctions, mais il maîtrisa
rapidement la situation. D'abord, il essaya
de stabiliser la situation financière du pays
par l'émission de bons du Trésor productifs
d'intérêts, puis il eut recours à l'émission
indépendante de billets de banque. Le 5
août 1848, la Banque de Commerce émit
les premiers billets de deux forints. Ce
billet, comme les autres coupures mises en
circulation après septembre 1848, reçut le
nom de "billet Kossuth". Le manque
d'argent expliquait en partie pourquoi le
gouvernement refusait de participer au
déficit astronomique de l'État autrichien. Il
estimait en effet que la Hongrie n'avait pas
été consultée pour les dépenses et qu'elle
n'en avait pas été bénéficiaire.
Kossuth fut le porte-parole du
gouvernement lors de la session du
Parlement représentatif en juillet 1848. C'est
qu'il connut un de ses plus grands succès
en tant qu'orateur. Le 11 juillet, c'est à la
suite de son intervention que le Parlement
offrit 200 000 soldats et 40 millions de
forints pour la défense du pays. Kossuth
était d'avis que la nation devait se préparer à
une offensive de la part de la réaction.
Lorsque le gouvernement Batthyány
démissionna le 11 septembre 1848, Kossuth
garda son portefeuille, mais le lendemain il
soutenait déjà Lajos Batthyány, nommé de
nouveau premier ministre. Entre le 16 et le
21 septembre, il fut élu membre de la
commission parlementaire qui devint par la
suite le Comité de Défense nationale, à
laquelle devait rendre des comptes le
premier ministre. Après son élection le 24
septembre, il alla recruter des soldats dans
l'Alföld (la Grande Plaine). Lors de ses
deux tournées de recrutement, il prononça
des discours devant des foules énormes.
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L'Empereur d` Autriche et le tzar de Russie achèvent l'hydre de la révolution
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