Croire en l'histoire
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François Hartog
Croire en l'histoire
- Service de presse - Histoire - Histoire contemporaine -
Publication date: lundi 1er avril 2013
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Croire en l'histoire
François Hartog occupe la chaire d'historiographie antique et moderne à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Ses travaux portent sur l'histoire intellectuelle de la Grèce antique (sa thèse, Le Miroir d'Hérodote. Essai sur la représentation de
l'autre est parue chez Gallimard, dans la collection « Folio » en 2001), mais aussi sur l'historiographie (Le XIXe siècle et
l'histoire. Le cas Fustel de Coulanges, nouvelle édition, Le Seuil, coll. « Points », 2001 ; Évidence de l'histoire. Historiographie
ancienne et moderne, Gallimard, coll. « Folio », 2007) ; mais il est surtout connu aujourd'hui pour ses travaux les plus récents sur
les formes historiques de temporalisation. Il est l'un des créateurs du concept de « régime d'historicité », explicité dans son livre
majeur publié au Seuil en 2003, Régimes d'historicité. Présentisme et expériences du temps (édition augmentée publiée dans la
collection « Points » en 2012, (compte rendu dans la revue « Temporalité » : http://temporalites.revues.org/794). Le concept de
régime d'historicité a rencontré un réel succès et suscité de nombreux débats. Il s'est diffusé en France et à l'étranger et s'est
trouvé mobilisé dans de nombreux champs disciplinaires autres que l'histoire.
L'ouvrage que François Hartog publie aujourd'hui se situe dans la continuité de sa pensée et de ses travaux sur les régimes
d'historicité. Il est d'un abord difficile, compte tenu de l'immense érudition historiographique, historique, philosophique et
littéraire de l'auteur et du fait que cet ouvrage prolonge les précédents, supposant du lecteur qu'il en connaisse les contenus. Il me
semble donc nécessaire de commencer par rappeler ce qu'a été l'apport de François Hartog à l'historiographie et, plus
globalement, à la pensée de notre époque. Je présenterai ensuite la structure de cet ouvrage, avant d'en aborder le contenu.
Le concept de « régime d'historicité »
Dans une société donnée, un régime d'historicité est la manière d'articuler le passé, le présent et l'avenir. François Hartog montre
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que leurs articulations ont varié selon les lieux et selon les époques. Pour définir les différents régimes d'historicité, François
Hartog utilise les concepts élaborés par l'historien et philosophe allemand Reinhart Koselleck, « champ d'expérience » (qui
résulte du passé) et « horizon d'attente » (qui concerne l'avenir) (in, Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps
historiques, éditions de l'EHESS, 1994). À l'état premier, une communauté ou une société a besoin de fonder son sentiment
d'unité sur un passé qui informe totalement le présent : les dieux ou les héros qui ont fondé la société sont toujours présents pour
défendre, sanctionner ou infléchir les actions du présent. Il n'y a pas de distinction entre le présent et le passé, pas plus qu'il
n'existe une distinction claire entre l'action de la société sur elle-même et l'intervention des dieux et des héros. Seule la
conscience prise d'une distance entre le présent et un passé révolu permet de sortir de ce premier régime d'historicité. À l'époque
moderne, vers la fin du XVIIIe siècle, le passé selon Reinhart Koselleck commença à être considéré comme un « champ
d'expérience » qui, au lieu de répéter ce qui était déjà connu, ouvrait sur la nouveauté et l'incertain : le futur avait un avenir est
créait par la même un « horizon d'attente ».
François Hartog revient dans Croire en l'histoire sur le cas de Chateaubriand qu'il avait développé dans son ouvrage fondateur, et
dont il montre qu'il illustre le régime moderne d'historicité. Chateaubriand a vécu l'effondrement du monde dans lequel il était né.
Il a vu surgir des temps nouveaux. Il se situe sur une « brèche » du temps, entre deux rives, où il peut encore se souvenir d'un
passé révolu, mais qui ne sert plus de guide au présent, et s'interroger sur les révolutions présentes qui rendent l'avenir
imprévisible. Le passé n'éclaire plus le présent. C'est la génération suivante, celle des historiens de la période de la Restauration
et de la Monarchie de juillet, qui reconstruisent un nouvel ordre du temps : le passé contient un destin (par exemple l'avènement
du prolétariat) que le présent fait entrevoir et que l'avenir accomplira. Étudier le passé devient un moyen de dessiner un futur et
par là même de fixer un but aux actions et aux décisions du présent. Le régime moderne d'historicité se définit par son caractère
futuriste.
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François Hartog étudie ensuite la crise du régime moderne d'historicité et l'entrée dans un nouveau régime, celui qu'il baptise du
terme de « présentisme ». Dorénavant, le passé n'est plus considéré comme l'annonciation du progrès. Les choses du passé, tels
que les souvenirs d'événements mémorables, les monuments et les personnages illustres sont à conserver, à préserver et à
transmettre pour leur valeur intrinsèque en tant que trace du passé mais non pas en raison du message qu'elles seraient supposées
délivrer. Un basculement s'est opéré de la conception futuriste vers la conception présentiste du passé. François Hartog montre
que les Lieux de mémoire dirigés par Pierre Nora sont le symbole et le vecteur du présentisme. Ils ont analysé tous les
événements, personnages, monuments et institutions venus du passé et encore présent dans la mémoire. La mémoire a servi de
critères de sélection à l'historien. Celui-ci n'est plus un « pontife » construisant un pont entre le passé et l'avenir, mais un simple
auditeur de la présence du passé. La lumière projetée depuis le passé vers notre futur est de plus en plus faible, considérée
comme trompeuse ou vaine c'est de notre présent, via la mémoire, que nous choisissons les choses du passé qui sont dignes d'être
remémorées. À la limite, le passé tout entier n'est plus conçu que comme un patrimoine.
Une enquête et une réflexion sur l'évolution du concept d'histoire
Croire en l'histoire est qualifié par son auteur comme une « enquête » et une « réflexion ». Il est désormais possible d'en
présenter la problématique, sans craindre d'utiliser la quatrième de couverture. « L'histoire fut la grande puissance et la grande
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croyance des temps modernes. Véritable théologie, elle organisait le monde, lui donnait un sens. On se mit à son service, au
point de s'aveugler, voire de commettre le pire en son nom. Juge suprême des conduites et des événements, elle enthousiasma et
terrifia. Affaire des historiens, elle ambitionna d'être une science, tandis que les romanciers s'attachèrent à dire ce monde saisi
par l'Histoire. » C'était au temps du régime moderne d'historicité. Qu'en est-il au temps du présentisme ? Peut-on encore croire
en l'histoire ? Y croire implique-t-il de croire qu'elle a un sens ? Qui fait l'histoire et qu'est-ce qu'écrire l'histoire ? Le concept
moderne est-il définitivement dépassé ? François Hartog montre comment l'évolution du concept d'histoire est significative du
basculement progressif de notre rapport au temps : on assiste à une fermeture du futur et à l'essor d'un présent omniprésent, mais
aussi à la montée de la mémoire.
L'ouvrage est composé de quatre chapitres, que sépare un « intermède » emprunté à l'histoire de l'art. Sous le titre « La montée
des doutes », le premier chapitre analyse la conjoncture contemporaine, plus particulièrement la montée du présent et la poussée
de la mémoire. Reprenant du philosophe Paul Ricoeur l'expression « l'inquiétante étrangeté de l'histoire », le second chapitre, «
un peu plus technique » selon l'auteur, « rouvre le débat proche encore, sur histoire, rhétorique et politique ». Je l'ai trouvé très
difficile. L'intermède est une incursion dans le monde de l'art, il donne à voir trois allégories de l'histoire qui permettent à l'auteur
une lumineuse démonstration sur « la trajectoire du concept moderne d'histoire » entre le début du XIXe siècle et la fin du XXe
siècle. Les deux derniers chapitres intitulés « Du côté des écrivains : les temps du roman » et « Du côté des historiens : les
avatars du régime moderne d'historicité » ont pour objectif de « scruter le concept moderne d'histoire et les croyances qu'il a
suscitées en interrogeant le traitement respectif du temps par les romanciers et par les historiens, ou, pour le dire autrement,
d'examiner comment historiens et romanciers se positionnent par rapport au régime moderne d'historicité ».
L'émergence du phénomène mémoriel caractérise le présentisme
François Hartog part du constat que quelques mots sont devenus omniprésents dans toutes de les formes de discours, « les
prononcer suffit désormais, sans plus avoir à les expliquer » : mémoire, commémoration, patrimoine, identité, crimes contre
l'humanité, victime, témoin. « Formant plus ou moins système, ces mots, qui n'ont ni la même histoire ni la même portée,
renvoient les uns aux autres sont devenus des repères tout à la fois puissants et vagues, des supports pour l'action, des slogans
pour faire valoir des revendications, demander des réparations (...) Si l'historien, moins que quiconque, ne peut les ignorer, il
doit, plus que quiconque, les questionner : en saisir l'histoire, en tracer les usages et les mésusages, avant de les reprendre dans
son questionnaire. »
Le milieu des années 1980 a coïncidé avec la pleine émergence du phénomène mémoriel dans l'espace public : littérature,
philosophie, sciences sociales, discours politiques lui ont fait une place de plus en plus grande. L'auteur estime que « ce
glissement de l'histoire à la mémoire indiquait (...) un changement d'époque. » Alors que pendant longtemps l'histoire à imposé
sa loi, « tournée vers le futur, portée par le progrès », la mémoire est désormais « devenue ce maître mot qui dispense d'en dire
plus : elle est un droit, un devoir, une arme. » En même temps, « le patrimoine a surgi, s'est rapidement imposé, avant de
s'installer. Il s'est diffusé dans tous les recoins de la société, du territoire, à mobilisé, a été porté et à porté des associations
multiples, à innervé le tissu associatif, a été institutionnalisé. » Le concept moderne d'histoire incorporait la dimension du futur,
établissait que le passé était du passé et que le patrimoine était un dépôt à transmettre alors que la conception récente du
patrimoine lui donne pour fonction de rendre plus habitable le présent, sans que le futur ne soit au rendez-vous.
L'historien a cédé la place au journaliste, au juge, au témoin, à l'expert et à la victime
L'historien n'est plus un acteur majeur du présent : il a cédé la place au journaliste, au juge, au témoin, à l'expert et à la victime.
Les témoins ont pris une place grandissante, au point que l'historienne Annette Wieviorka a pu retracer la montée de ce qu'elle a
nommé « l'ère du témoin », qui s'est ouverte en 1961, avec la tenue du procès Eichmann à Jérusalem. Le témoin est alors devenu
la voix et le visage de la victime. François Hartog analyse « la mutation de la victime » : longtemps la victime apparaissait
comme se sacrifiant, aux dieux puis à la patrie et la guerre de 1914-1918 a été « grande consommatrice de sacrifice ». Mais après
1945, cette figure de la victime n'est plus acceptable face a des dizaines de millions de morts et de disparus « à qui nul n'avait
jamais songé à demander leur avis sur la question ». La victime n'est plus un héros et, « pour une victime, le seul temps
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