par la méthode critique. Car, «l’histoire n’est que la mise en
œuvre de documents »[30, p. 275] sélectionnésdefaçon perti-
nente et épurés par la méthode «critique ». Reste enfin àétablir
des relations entre les faits ainsi vérifiés, cela sous la forme d’un
récit chronologique àla fois impersonnel et neutre. L’école
méthodique entend ainsi imposer une recherche scientifique
refusant toute spéculation philosophique (que ce soit celle de
la théologie de l’histoire àla manière de Bossuet ou celle de la
philosophie de l’histoire selon Hegel ou Comte) et visant à
l’objectivitéabsolue dans le domaine de l’histoire [8].
«Politique d’abord ».—Comme le feront remarquer ses détrac-
teurs, la méthode critique favorise deux genres historiques :
«d’une part l’histoire événementielle ou historisante, vouéeau
récitatif politique et biographique, d’autre part l’histoire-tableau
qui range les faits dans un questionnaire universel oùdominent
le politique et l’institutionnel…»[9, p. 428]. Le primat accordéà
l’événementiel politique —que Lucien Febvre dénoncera, en
1935, par une formule sarcastique «Politique d’abord »—se
comprend pourtant assez aisément. Disposant «d’un stock de
documents limité» [30, p. 275], l’histoire prônéeparl’école
«méthodique »privilégie les traces écrites et les témoignages
volontaires de l’histoire politique nationale : chartes, décrets,
lois, chroniques, correspondances. C’est àl’ensemble fini des
documents entreposés dans les fonds d’archives publiques (qui
font, àla même époque, l’objet d’un classement auquel les histo-
riens méthodiques contribuent) et sur les rayonnages des
grandes bibliothèques que s’adresse prioritairement l’école
«méthodique ». Cette sacralisation de l’« archive »qui se fait
alors au détriment des autres sources historiques (témoignages
oraux, vestiges archéologiques…) favorise une très forte inégalité
face àl’histoire : seuls les acteurs historiques les plus impor-
tants, principalement les acteurs institutionnels ou étatiques,
laissent des traces suffisantes pour appartenir au territoire de
l’historien «méthodique ». Cette frilositédocumentaire et la
primautéaccordéeipso facto aux sources de l’histoire politique
sont considérées comme la condition d’une histoire scientifique.
Fustel de Coulanges le reconnaît lorsqu’il écrit dans les premières
pages de La Monarchie franque (Hachette, 1888, p. 1) : «L’histoire
est une science : elle n’imagine pas ; elle voit seulement ; et pour
qu’elle puisse voir juste, il lui faut des documents certains. »
MÉTHODE HISTORIQUE ET SCIENCE DU POLITIQUE 7