961L’ENSEIGNEMENT DES FINANCES PUBLIQUES A
`L’UNIVERSITE
´
Pourquoi la France n’a-t-elle donc pas fait pour ses administrateurs ce qu’elle
a su re
´aliser pour ses inge
´nieurs ? (...). On souhaite une administration efficace
et rationnelle, mais on redoute que son organisation sur le mode des grands
corps techniques et militaires ne la constitue en force trop inde
´pendante (...).
Les conservateurs au pouvoir craignent qu’une administration trop inde
´pen-
dante ne vienne pratiquement limiter leurs pre
´rogatives de gouvernants, et
les milieux d’opposition redoutent une force qui serait insuffisamment contrô-
le
´e par le pouvoir le
´gislatif » (7). Cette de
´fiance à l’e
´gard de l’administration
est la raison pour laquelle ont e
´choue
´les tre
`s nombreuses tentatives de cre
´ation
d’une e
´cole d’administration spe
´cialise
´e. Elle explique sans doute aussi la
difficulte
´à introduire l’enseignement de la science politique dans les faculte
´s
de droit : dans celles-ci, « (..) au de
´but de la III
e
Re
´publique, pour ce qui est
des cours “re
´glementaires” obligatoires (car les faculte
´s proposent çà et là
des cours comple
´mentaires, dont le nombre est surtout important à Paris), le
droit romain et le droit prive
´constituent la quasi-totalite
´de la matie
`re des
cours de droit. » (8).
Mais le de
´sastre militaire de Sedan et ses suites vont faire prendre conscience
de la ne
´cessite
´d’un changement du syste
`me universitaire français. La de
´faite
de 1870 et la Commune de Paris seront ainsi comprises comme une faillite
de la formation des « e
´lites ». Ainsi, dans son ouvrage de 1871 sur La re
´forme
intellectuelle et morale, Ernest Renan conside
`re que « Dans la lutte qui vient
de finir l’infe
´riorite
´de la France a e
´te
´surtout intellectuelle » et il propose
de « supprimer (..) les e
´coles spe
´ciales, E
´cole polytechnique, E
´cole normale,
etc., institutions inutiles quand on posse
`de un bon syste
`me d’universite
´s, et
qui empêchent les universite
´s de se de
´velopper. », afin de « former par les
universite
´s une tête de socie
´te
´rationaliste, re
´gnant par la science, fie
`re de
cette science et peu dispose
´e à laisser pe
´rir son privile
`ge au profit d’une foule
ignorante ».
Ami de Taine, Emile Boutmy, qui doit à ses relations une chaire d’histoire
des civilisations à l’E
´cole spe
´ciale d’architecture, lance en 1871 Quelques
ide
´es sur la cre
´ation d’une faculte
´libre d’enseignement supe
´rieur, essai qui
est fonde
´sur le constat suivant : « C’est l’universite
´de Berlin qui a triomphe
´
à Sadowa, on l’a dit avec une raison profonde ; et il faudrait être aveugle
pour ne pas voir l’ignorance française derrie
`re la folle de
´claration de guerre
qui nous a conduits où nous sommes ». La même anne
´e Boutmy parvient à
cre
´er L’E
´cole libre de sciences politiques qui devient rapidement une ve
´ritable
e
´cole professionnelle d’administration qui doit former une e
´lite à même de
re
´sister aux faiblesses du corps le
´gislatif. « Le rôle des leaders, la crise de
(7) Pierre Rosanvallon, L’E
´tat en France, chapitre V, « L’administration comme
proble
`me », Seuil, 1990, p. 63-68.
(8) Pierre Favre, Naissances de la science politique en France, 1870-1914, Fayard,
1989, p. 91-92.
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o
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