Appendice au chapitre 7
Lecture suivie :
JP SARTRE, L'existentialisme est un humanisme.
In Lire les philosophes, Gérard Chomienne, Hachette éducation, pages
529-533.
Plan de lecture :
§1 Objet de cette conférence : expliquer la formule « l'existence précède
l'essence. » (formulation équivalente : « il faut partir de la subjectivité »).
§2-§5
L'existence fait de l'homme un être à part, les conceptions
philosophiques de l'homme ont ignoré ce fait, et ne l'ont pas pensé.
L'existentialisme est cette philosophie qui en tire toutes les conséquences.
(Attention : dans ce qui suit, 1/, 2/, 3/ etc. désignent les moments successifs du
raisonnement d'ensemble ; §2, §3 etc. renvoient au §§ numérotés dans le livre)
§2 1/ nous avons un modèle qui influence notre façon de penser les êtres
existant : « une vision technique du monde, dans laquelle on peut dire que la
production précède l'existence ».
(Ainsi un objet fabriqué est produit suivant une idée préalable, celle de
l'ingénieur ou de l'artisan.)
§3 2/ les conceptions théologiques de l'homme (ex Descartes, Leibniz)
suivent exactement la même logique : Dieu est l'artisan créateur de
l'homme, Dieu crée l'homme suivant l'idée qu'il s'en fait.
La notion de nature humaine désigne l'essence de l'homme telle qu'elle
est pensée par Dieu.
« L'homme individuel réalise un certain concept qui est dans
l'entendement divin. »
§4 3/ les penseurs athées (comme Diderot, Voltaire, Kant) se sont
débarrassés de la théologie, mais ils ont conservé l'idée que l'homme
possède une nature déterminée. ( = ils n'ont fait que la moitié du chemin !)
« L'homme est possesseur d'une nature humaine ; chaque homme est
un exemple particulier d'un concept universel, l'homme. »
« Ainsi, là encore, l'essence de l'homme précède cette existence
historique (de l'homme) que nous rencontrons dans la nature. »
§5 4/ D'où un premier résultat : il faut être cohérent jusqu'au bout : « il
n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir. »
5/ Conséquence : l'homme est « un être qui existe avant d'être défini
par aucun concept »
(« L'homme », Heidegger dit « Dasein » que Sartre traduit « réalité
humaine » - Dasein se traduit mot à mot « être-là »)
6/ Seconde conséquence : « L'homme »... « n'est d'abord rien. Il ne sera
qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait ». « tel qu'il se conçoit, tel qu'il se
veut. = « premier principe de l'existentialisme : l'homme n'est rien d'autre
que ce qu'il se fait. »
7/ La subjectivité : c'est ce qui distingue l'homme des autres êtres
(lesquels sont des objets et non des sujets) ; la subjectivité se conçoit
comme un élan vers l'existence, et cet élan vise une essence comme un
horizon de possibilités d'être ceci ou cela.
§§6 – 8 Approfondissements : l'être en projet, la responsabilité.
§6 1/ « l'homme est
d'abord
ce qui se jette vers un avenir
et ce qui est conscient de se projeter dans l'avenir. »
= pro-jet (sujet/objet)
2/ ne pas confondre le projet et la volonté : l'existence constitue un
projet qui se joue à la racine de notre être, bien avant les décisions de la
volonté (les décisions de la volonté manifestent « un choix plus originel,
plus spontané que ce qu'on appelle volonté »).
(Dans un autre texte Sartre analyse le choix volontaire : on a toujours
choisi avant de choisir c'est ce qui montre qu'un élan précède mes choix,
m'élance vers des choix possibles et déjà plus ou moins orientés.)
ex : vouloir adhérer à un parti, vouloir écrire un livre, vouloir se marier.
§7 3/ Ainsi se dégage une étrange et fondamentale responsabilité : « la
démarche de l'existentialisme est de mettre tout homme en possession de
ce qu'il est et de faire reposer sur lui la responsabilité totale de son
existence. »
Il faut pouvoir être ce soi-même qu'on se fait ; il faut pouvoir assumer
pleinement, jusqu'aux racines de notre existence ce soi-même qu'on se fait
( = la sagesse !)
4/ Cette responsabilité n'est pas seulement individuelle mais
universelle.
La subjectivité est indépassable = je me choisis => je choisis tous les
hommes. On ne peut pas imaginer déterminer une humanité objective, tout
commence et se termine à moi-même par le détour de tous les hommes (et
non pas : je fais comme tout le monde, je ne suis pas responsable).
§8 5/ éclaircissement du point 4/ : nos actes « en créant l'homme que
nous voulons être » « crèe en même temps une image de l'homme tel que
nous estimons qu'il doit être. »
Une responsabilité de fond (puisqu'elle émane d'une orientation que
prend notre existence, pas seulement notre volon cela engage non pas
seulement nos actes mais notre être !) qui s'étend à l'humanité tout entière.
=> une responsabilité terrifiante, énorme.
6/ reprise des exemples : l'ouvrier qui adhère à un syndicat chrétien
plutôt que communiste choisit la résignation et l'espoir d'un autre monde
et choisit au nom de l'humanité tout entière;
Je veux me marier => je prône la monogamie.
7/ formule de conclusion : « en me choisissant, je choisis l'homme. »
Avant de continuer la lecture suivie :
Précisions sur la subjectivité :
subjectif / objectif
L'objectivité : un regard objectif = un regard sur un objet qui respecte cet
objet en tant que tel. Un regard subjectif = un regard sur un objet qui fait de
l'objet un miroir du sujet.
Une photographie exprime-t-elle un regard objectif sur un objet ?
Le baiser de Doisneau – photo mythique : elle retentit sur ses spectateurs,
elle s'adresse à leur « subjectivité », c'est-à-dire leur conscience et la
« couleur » de leur conscience.
Toute conscience développe un monde extraordinairement riche qu'on
nomme la « subjectivité ».
La photo du lycée sur le carnet de corresp. est subjectivement muette, et
objectivement elle montre la configuration physique de l'établissement.
Les sciences : la méthode scientifique nous recommande l'objectivité.
Comment atteindre l'objectivité scientifique ? C'est la rationalité qui paraît
nous garantir l'objectivité : c'est rationnel donc c'est dans l'objet. Rationnel
= on cherche des rapports de nombre, des rapports logiques. Même en
Sciences économiques on cherche une garantie d'objectivité en prenant des
mesures et rendant ces mesures signifiantes (par des équations, des lois sous
forme mathématique).
Toutefois dans les sciences humaines plus difficiles comme
l'anthropologie, on ne parvient pas à l'objectivité :
L'anthropologie c'est l'étude de l'homme.
Objectiver l'homme pour en faire un fait objectif, un fait observable, ça
se heurte à une difficulté majeure : l'homme dans ce qu'il a de
fondamentalement intéressant n'est pas un objet mais un sujet.
Et donc pour connaître un sujet, ce n'est pas une connaissance d'objet
qu'il me faut mais une connaissance SUBJECTIVE.
Danse avec les loups (avec K. Costner)
Quand l'anthropologue veut étudier les Sioux, il quitte toute objectivité si
au lieu de noter les éléments objectifs de la culture sioux, il devient lui-
même un Sioux;
Mais devenu un Sioux, on admettra qu'il est le mieux placé pour savoir ce
que c'est la culture sioux. Il a une connaissance subjective. Et l'ennui c'est
qu'il ne peut la partager ni l'enseigner à personne.
Une science = un savoir objectif qui s'enseigne
Une expérience personnelle = un savoir subjectif, une compréhension.
On peut évoquer ce que l'on sait subjectivement, on peut difficilement
transmettre ce qu'on a compris subjectivement.
Une conscience, c'est le lieu de développement du savoir subjectif.
Pour conclure : la dignité des hommes se trouve dans le fait qu'ils sont
des consciences. Ils peuvent enrichir leur personnalité en construisant leur
subjectivité.
Et donc, quand Sartre dit que la subjectivité est indépassable, il veut dire
que c'est la conscience et la liberté qui seules décident de la valeur de notre
existence, y compris universellement.
Ne pas confondre subjectif et relatif !
Suite de la lecture suivie :
§§ 9-12 l'angoisse – cet affect est à la racine de l'existence humaine
§9 1/ Agir c'est
a/ s'engager totalement, puisque pour un homme agir c'est devenir « celui
qu'il choisit d'être » ;
b/ être « un législateur choisissant en même temps que soi l'humanité
entière » (= « la subjectivité est indépassable ») ;
conséquence : l'homme ne peut pas « échapper au sentiment de sa totale
et profonde responsabilité » = l'angoisse.
L'angoisse est l'affect fondamental de la subjectivité.
2/ « Même lorsqu'elle se masque l'angoisse apparaît. »
La « mauvaise foi » : une défense subjective pour dénier angoisse et
responsabilité : « tout le monde ne fait pas comme ça ! »
ex le menteur qui s'autorise un mensonge en disant ce n'est pas grave
puisque tout le monde ne fait pas comme ça => en fait son excuse prouve le
caractère indépassable de la subjectivite ; son excuse n'est qu'une
dénégation. Elle masque l'angoisse (un masque révèle qu'il y a un visage
caché).
(Remarque hors texte : il y a aussi le conformisme pour dénier l'angoisse
et la responsabilité : « tout le monde fait comme ça ; on a toujours fait
comme ça ».)
§10 3/ Kierkegaard et « l'angoisse d'Abraham » : K a montré que la foi
d'Abraham est colorée d'angoisse ; il ne sait pas si l'ange est ange, ni même
si lui Abraham est « Abraham » (celui auquel Dieu envoie des anges).
Abraham va pour égorger son fils et si l'ange ne l'arrêtait pas il l'égorgerait
bel et bien !
=> personne n'est sûr d'aucun engagement – il faut s'engager
4/ Une folle et ses hallucinations
5/ ligne 146 retour au cas général :
« Qui prouve que je suis bien désigné pour imposer ma conception de
l'homme et mon choix à l'humanité ? Je ne trouverai aucune preuve, aucun
signe pour m'en convaincre. »
« Rien ne me désigne pour être Abraham, et pourtant je suis obligé à
chaque instant de faire des actes exemplaires. »
« Et chaque homme doit se dire : suis-je bien celui qui a le droit d'agir de
telle sorte que l'humanité se règle sur mes actes ? Et s'il ne se dit pas cela,
c'est qu'il se masque l'angoisse. »
§11 6/ exemple de la responsabilité du chef militaire
« Tous les chefs connaissent cette angoisse. Cela ne les empêche pas
d'agir, au contraire, c'est la condition même de leur action ; car cela suppose
qu'ils envisagent une pluralité de possibilités, et lorsqu'ils en choisissent une,
ils se rendent compte qu'elle n'a de valeur que parce qu'elle est choisie. »
L'angoisse « n'est pas un rideau qui nous séparerait de l'action, mais elle
fait partie de l'action même. »
§§ 12-14 le délaissement où se trouve la conscience humaine
être délaissé = être laissé seul, être abandonné
§12 1/ le délaissement : la conséquence du fait que Dieu n'existe pas. Il
faut faire face à cette réalité, il faut assumer notre délaissement.
2/ Pas de place alors pour une « morale laïque », un « radicalisme » (= la
pensée républicaine en France entre 1870 et 1940, représentée en politique
par Clémenceau et en philosophie par Alain)
La morale laïque « voudrait supprimer Dieu avec le moins de frais
posssible ».
Principe de cette morale : « il est nécessaire, pour qu'il y ait une morale,
une société, un monde policé, que certaines valeurs soient prises au sérieux,
et considérées comme existant a priori. » (exemples: l'honnêteté, la véracité,
la non-violence, la fécondité...)
Cette morale promeut des normes d'honnêteté, de progrès, d'humanisme.
Remarque 1 : c'est aussi notre morale sociale aujourd'hui. Les normes
culturelles et sociales sont pour nous celles de cette « morale laïque », et elle
est en conflit plus ou moins ouvert avec des morales « religieuses » qui
défendent des normes différentes.
Remarque 2 : cette morale « laïque » s'inspire elle-même de la morale de
Kant :
il est impossible de démontrer l'existence de Dieu au moyen de la raison.
Mais l'idée de Dieu a un usage pratique, elle donne sa cohérence et sa
possibilité à un usage pratique de la raison. = l'idée de Dieu est régulatrice,
elle donne sa règle à la raison dans son usage pratique.
Remarque 3 : on voit qu'en morale on hésite entre deux conceptions : soit
on a des comptes à rendre à la société, à la communauté etc. En ce sens les
devoirs sont des contraintes. Soit on n'a de comptes à rendre qu'à soi-même,
en conscience, et dans ce cas nos devoirs sont des normes que nous voulons
librement.
Désobéir aux devoirs sociaux et culturels ça coûte cher, mais désobéir à
soi-même c'est toujours facile => le devoir purement moral n'est pas
contraignant (il est seulement angoissant).
§13 3/ « il ne peut plus y avoir de bien a priori, puisqu'il n'y a plus de
conscience infinie pour le penser. »
« il n'est écrit nulle part que le bien existe, qu'il faut être honnête, qu'il ne
faut pas mentir, puisque précisement nous sommes sur un plan il y a
seulement des hommes. »
4/ Référence à Dostoïevsky : « si Dieu n'existait pas, tout serait permis. »
Tout est permis effectivement puisque Dieu n'existe pas => l'homme est
délaissé : « il ne trouve ni en lui, ni hors de lui une possibilité de
s'accrocher. » ; et il ne trouve pas « d'excuses ». « Nous sommes seuls, sans
excuses. »
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