Lettre dite du voyant ( 1871)
Arthur Rimbaud
(poésie)
L'auteur
Arthur Rimbaud est un poète de la deuxième moitié du XIX ième siècle, siècle des révolutions
(Restauration juillet 1830, Commune de Paris en 1871). Il est né en 1854 et mort en 1891 (37
années de vie).
Élève précoce, il ne manqua pas de très tôt se faire remarquer pour ses talents rhétoriques, ses
dons en Latin ainsi que son goût de la révolte et sa soif d'évasion. Il écrivit les plus grands de ses
poèmes dans sa jeunesse et abandonna l'écriture à l’âge de 21 ans pour s’engager dans l'armée
hollandaise, puis entamer une carrière dans le commerce en Éthiopie. Cet homme a beaucoup
voyagé au cours de sa vie. Il est le premier poète français à utiliser le vers libre et il a une
prédilection pour la prose. Ce qui compte pour Rimbaud c'est la puissance de l'imagination. Il
travaille à faire exploser le monde par la violence de son imagination.
L'œuvre de Rimbaud se situe dans le courant littéraire du symbolisme, qui privilégie la
sensibilité et l'irrationnel. Effectivement pour les symbolistes le monde ne se limite pas au plan
matériel et aux phénomènes physiques, mais au delà de ces réalités concrètes il leur semble exister
un monde secret d'idées plus profondes et mystérieuses. Le symbole est l'outil du poète pour
atteindre par analogie ces vérités inaccessibles au raisonnement logique.
Le symbolisme est une école poétique qui est née en réaction contre le naturalisme et souhaitant
réhabiliter l’approche sensible de la réalité. Les poètes emploient le vers libre, la prose et les
symboles en recherche de musicalité.
Quelques auteurs symbolistes :
P . Verlaine ( 1844-1896)
S. Mallarmé ( 1842-1898)
C. Baudelaire (1821-1867)
Lettre dite du voyant (1871) p. 438 du manuel scolaire
Rimbaud est tout juste âgé de 17 ans. Il adresse une lettre au poète Paul Demeny dans laquelle il
expose sa conception de la poésie : l'évolution de celle-ci à travers les âges et le rôle qu'il se sent
d'investir à son époque avec la poésie.
1) La question de la créativité
Introduction (lignes 1 à 14)
Dans le début de sa lettre et en guise d'introduction, Rimbaud dresse un grand historique de la
poésie.
Il part de la poésie antique qu'il définit comme harmonieuse car ses rythmes et sa musicalité sont
inhérents à la vie. Il en vient à la poésie du Moyen-âge à laquelle il reproche d'avoir perdu toute la
créativité dans le langage au profit de la forme. Puis il dénigre la poésie classique pour sa solide
structure (technique) mais son contenu vide. Ces deux derniers âges ont fait de la poésie un
domaine à part : un jeu, dépourvu de créativité, où seules les techniques d'écriture prévalent.
Pour finir sa frise chronologique, il parle des romantiques auxquels il reproche de ne pas avoir
conscience de ce qu'ils disent, laissant aux critiques (gens de métier) le soin de juger leur travail
tout en reconnaissant un certain processus artistique à leur pratique, puisqu’il utilise la métaphore
filée de la musique pour donner sa vision de l’Eclosion du Verbe, processus pour lequel le poète est
à la fois lieu de surgissement et celui qui l’orchestre.
Autrement dit, quelque chose s’est perdu car on voir un processus de distanciation de la vie. Et
même les romantiques n’ont pas retrouvé cette globalité qu’avait la poésie antique, lorsqu’elle était
la vie.
2) La question de la créativité amène la question du Moi :
Dédoublement de l’être du poète (lignes 15 à 18)
« Car Je est un autre ». Le « je » en poésie c'est la conscience du poète. C'est elle qui parle.
Ce « Je » pour Rimbaud signifie ce que le poète a ressenti et qu'il a compris. En opposition aux
romantiques où le « je » sous-entend l’être ressentant du poète.
Dans la « Préface de Cromwell » (p. 414 du manuel), Victor Hugo expose sa vision du poète qui est
totalement romantique :
le poète se fait porte-parole des événements vécus par tout le monde, c'est la voix qui dit
les choses car il a une sensibilité particulière et il possède l'art de dire les choses.
Ceci confirme les dires de Rimbaud !
Dans ce paragraphe, donc, Rimbaud montre en 4 étapes (comme dans le poème « Le désir de
peindre » de Baudelaire) que le processus créatif et artistique est quelque chose de donné. Il formule
cela par une métaphore filée de la musique : « si le cuivre s'éveille clairon » (l.15), « la symphonie
fait son remuement dans les profondeurs ou vient d'un bon sur la scène » (l.17), tel est bien le rôle
du poète, mais il met cela en opposition avec une activité réelle de l’Homme.
3) Ceci l’amène à parler de l’activité de l’Homme :
Lignes 19 à 22 :
Rimbaud traite de « vieux imbéciles » ceux qui mettent de la prose en rime.
Par la métaphore « balayer ces million de squelette » (l.20) il exprime la quantité de textes qui
n'ont que structure et pas de vie (squelette : une structure sans vie). Il dit de ces gens (auteurs) qu'ils
sont borgnes (« borgnesse »). ils n'ont vu qu'une partie de la poésie. Et s’ils avaient eu sa
conscience, on n'aurait pas aujourd'hui tant de textes sans valeur. Ces auteurs ont cantonné le
concept du Moi à l’activité intellectuelle.
Rimbaud est dans l'exagération ici et cela témoigne combien il est passionné par son rôle et
combien il le prend comme une grande responsabilité.
Opposition entre ce qui est « naturel » et ce qui est « travail » de l'homme (lignes 23 à 30)
Rimbaud reprend sa première idée de la transformation de la poésie dans le temps. Une poésie
inhérente à la vie, qui « rythme l'Action » de la vie (poésie antique) à la poésie qui devient un loisir,
un avachissement.
Il s'occupe dans ce paragraphe de « l’intelligence universelle » ( et non de la pensée). Cette
intelligence a toujours existé et l'homme ne fait que ramasser une raison offerte par la nature (image
d’une moisson).
Il reproche à l'Homme de s’être toujours attaché au côté intellectuel des choses : ce n’est que
toucher à la surface de l’être, les courants profonds restent inexplorés (sensibilité, émotions). En se
cantonnant à l'esprit intellectuel, on n'accède pas jusqu'à la sphère de l'inconscient.
l.28 le mot « s'éveil » signifie pour Rimbaud prendre conscience des choses complètement
inconscientes.
En énonçant ce qui n'existe pas encore (l.29-30) il définit quel est son rôle à lui maintenant.
4)Cultiver son âme, un processus rigoureusement défini, et pourtant ouvert :
Le poète doit cultiver son âme (ligne 31 à 37)
Être poète relève d'un choix, d'une volonté ( « qui veut être poète » l.31).
Le premier travail pour cet homme qui désire être poète c'est le travail d'approche de l’âme.
« Connaître » son âme et la cultiver. On retrouve là la démarche du poème « Désir de peindre » de
Baudelaire : une démarche d'apprentissage.
-1ère étape : recherche, « on la recherche »
-2ème étape : face à face, « il l'inspecte »
-3ème étape : un échange fructueux, « il la tente, il l'apprend ».
Quand le poète a fait cet apprentissage et connaît son âme, il doit la cultiver, au risque de la
perdre. Il parle de la langue de l’âme comme d'une langue étrangère.
Ce processus d'apprentissage peut « sembler » simple. Rimbaud montre le début de la démarche,
puis expose bien vite les déviations qui peuvent suivre. Il dévie vers le négatif pour finir par
dénoncer les procédés artificiels et amoraux des intellectuels (l.35-36) qui déforment l’âme, en font
commerce et l’abîme (« la couvrent de verrues »)
Le poète et son rôle de voyant (lignes 38 à 48)
« Il faut être voyant » : le poète est celui qui voit l’âme.
« se faire voyant » : il y a deux significations possibles :
-se rendre visible
-devenir un voyant.
On trouve dans ce paragraphe tout le manifeste de l'activité de poète.
- Le poète explore jusqu'au plus profond sa propre connaissance :
il développe les perceptions sensorielles, « dérèglement de tous les sens »
il explore son ressenti jusqu'à l’extrême : hygiène de vie, « poison »:un moyen de s'explorer
lui même dans de nouveaux ressentis.
Engagement du potentiel humain : « souffrance », « torture »
Le poète dans sa démarche abîme sa santé (« souffrance ») et son image (poètes maudits,
marginalisés).
Il commence le paragraphe en se disant voyant et finit en savant : celui qui sait !
Pour finir sa lettre il regarde l'avenir de la poésie ; il y aura toujours des hommes touchés par le
pouvoir des mots et prêts à de telles souffrances pour prendre la relève. Il y a donc une réelle
croyance en la force idéologique de cette démarche.
Conclusion
C'est un texte engagé, qui décrit comment Rimbaud recherche une nouvelle dimension dans le
travail de poète. Il pressent qu’au-delà des limites connues existe un monde pour lequel il engage
dramatiquement son existence.
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