RIMBAUD : Lettre à Paul Demeny La lettre du 15 mai 1871 constitue

RIMBAUD : Lettre à Paul Demeny
La lettre du 15 mai 1871 constitue un véritable manifeste au terme d’une révolution existentielle. Le poète
doit abandonner la « fadasse poésie subjective » et trouver une langue capable d’exprimer un tel
bouleversement.
« Je dis qu’il faut être « voyant », se faire « voyant ».
Le Poète se fait « voyant » par un long, immense et raisonné « dérèglement de tous les sens ». Toutes les
formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en
garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine,
où il devient entre tous, le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant ! Car il
arrive à l’ « inconnu » ! (…) et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues !
(…) Donc le poète est vraiment voleur de feu (…)
Trouver une langue. Du reste, toute parole étant idée, le temps d’un langage universel viendra ! (…) Cette
langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la
pensée et tirant.
Alchimie du verbe (Une saison en enfer)
Il s’agit d’un bilan du délire poétique et existentiel de Rimbaud. Cet extrait est une illustration de la lettre à
Demeny, où Rimbaud avait fixé les bases de sa démarche poétique, où voyance, inconnu et nouveau
langage étaient des éléments essentiels. Le titre de cet extrait est significatif : comme l’alchimiste réussit à
fabriquer l’or, objet précieux par excellence, après l’avoir épuré des substances brutes ou impures, ainsi
Rimbaud croit qu’il existe une substance du langage que l’on peut manipuler pour qu’elle devienne autre
chose, ce qu’il a fait avec les voyelles, les sons, les couleurs.
« A moi. L’histoire d’une de mes folies.
Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les
célébrités de la peinture et de la poésie moderne.
J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures
populaires ; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules,
contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs (…)
J’inventais la couleur des voyelles ! A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. Je réglai la forme et le
mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe
poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens (…)
Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixai des vertiges. (…)
La vieillerie poétique avait une bonne part dans mon alchimie du verbe (…). Puis j’expliquai mes sophismes
magiques avec l’hallucination des mots !
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