Référentiel National de Cancérologie Digestive Chirurgie de l’adénocarcinome gastrique Pr Almou - Pr Raiss - Pr Elmalki - Dr Souadka 1. Introduction Le cancer de l’estomac est la deuxième cause de mortalité par cancer dans le monde. Ils sont plus fréquents au japon en Chine, au Chili. L’incidence annuelle du cancer de l’estomac est en diminution constante depuis vingt ans. Incidence standardisée sur la population marocaine est de 3,5 (1) à 3,9 (2) par 100.000 habitants. La classification UICC 2009 considère comme cancer de l'estomac toutes les tumeurs de l'estomac sans extension œsophagienne (sans critère de distance par rapport au cardia). La prise en charge du cancer de la Jonction Oeso-Gastrique Siewert III rejoint en tout point celle du cancer de l’estomac proximal.Ce référentiel ne traitera que l’adénocarcinome gastrique (en excluant les tumeurs stromales, lymphomes, tumeurs neuroendocrines). Ce référentiel traite toutes les étapes diagnostiques et thérapeutiques du cancer de l’estomac. Les chapitres de l’oncologie médicale et de radiothérapie seront cités, au fur-à-mesure en attendant qu’ils soient développés par les spécialistes correspondants. Les recommandations suivantes ont été établies sous l'égide de la Société Marocaine de Chirurgie et la Société Marocaine de Chirurgie Digestive. La méthodologie d'adaptation a été utilisée, telle qu'elle a été proposée et décrite par le groupe ADAPTE Collaboration (www.adapte.org). Elles sont issues de l'adaptation au contexte Marocain des recommandations pour la pratique clinique des sociétés savantes françaises (SFCD, ACHBT, FFCD). 2. Eléments nécessaires pour la décision thérapeutique Dans le cadre de l’adénocarcinome gastrique, le bilan pré-thérapeutique doit être adapté à l’état général et aux propositions thérapeutiques. a. Diagnostic positif Fibroscopie oesogastrique: indispensable pour le diagnostic positif, les biopsies et les mesures de distance de la tumeur par rapport au cardia et au pylore. Au moins 8 biopsies doivent être faites sur les anomalies de relief muqueux et atteindre autant que possible la sous-muqueuse. Les biopsies sont utilisées pour la définition du type histologique, de la différenciation et la classification de Lauren, mais également pour la recherche d’une hyperexpression de HER2 en immunohistochimie. Des biopsies antrales à la recherche d’une infection à Helicobacter pylori sont utiles. b. Bilan d’extension tumorale i. Standards Tomodensitométrie thoraco-abdomino-pelvienne (TDM TAP): indispensable pour le bilan de résécabilité et la recherche de métastases hépatiques et pulmonaires. La dilatation gastrique à l’eau sensibilise l’examen pour évaluer l’infiltration tumorale pariétale et détecter des adénopathies périgastriques. L’échoendoscopie est utile: en cas de suspicion de linite avec hypertrophie des plis gastriques sans histologie positive. pour évaluer l’extension des lésions sur l’oesophage, le pylore et le duodénum en cas de linite. pour évaluer les tumeurs superficielles afin de déterminer les indications de mucosectomie. pour déterminer l'infiltration pariétale d’une tumeur toutes les fois que le malade est un candidat à un traitement néoadjuvant et que les images de la TDM ne permettent pas de prendre une décision. Cette échoendoscopie doit être réalisable dans des délais raisonnables (moins de 2 semaines), dans le cas contraire une chimiothérapie préopératoire peut être proposée sur les données du scanner. ii. Options 1. Laparoscopie exploratrice: elle peut être utile en cas de tumeur volumineuse dont la résécabilité est douteuse sur le scanner, pour diagnostiquer une carcinose péritonéale limitée ou de petites métastases hépatiques périphériques ou ADK à cellules indépendantes (haut risque de carcinose péritonéales). 2. TOGD: non systématique . Sa valeur diagnostique s’efface derrière celle de l’écho endoscopie pour le diagnostic de linite. 3. Echographie abdominale: non systématique. Elle peut aider à caractériser des images hépatiques dépistées au scanner. Elle peut mettre en évidence des signes directs (nodules) ou indirects (minimes épanchements péritonéaux) de carcinose. 4. IRM: elle n’est pas indiquée dans le bilan d’extension loco régionale mais peut aider au diagnostic de lésions non caractéristiques au scanner. 5. Tomographie par Emission de Positons (TEP): sa place dans la prise en charge des adénocarcinomes gastrique n’est pas définie et sa prescription doit être discutée au cas par cas. 6. Marqueurs Tumoraux: aucune étude méthodologiquement correcte n’a été réalisée sur l’utilité du dosage des marqueurs tumoraux. Leur dosage est optionnel lorsqu’ils peuvent être utiles à l’évaluation d’une thérapeutique. 7. Consultation oncogénétique: en cas de survenue d’un adénocarcinome gastrique avant 40ans et en cas de suspicion de formes familiales de cancers gastriques (Le diagnostic doit être évoqué lorsqu'il existe dans une famille au moins 2 cas de cancer gastrique de type diffus chez des apparentés au 1er ou au 2ème degré, dont un cas diagnostiqué avant 50 ans, ou bien 3 cas chez des apparentés de 1er ou2ème degré quel que soit l’âge. c. Classification UICC 2009 actualisée (7ème Edition) T: Tis: Tumeur intra-épithéliale sans invasion de la lamina propria. T1: Tumeur limitée à la muqueuse ou à la sous-muqueuse (cancer superficiel). T1a: Tumeur envahissant la lamina propria ou la musculaire muqueuse. T1b: Tumeur envahissant la sous muqueuse. T2: Tumeur étendue à la musculeuse. T3: Tumeur envahissant la sous séreuse (y compris ligament gastrocolique ou gastro-hépatique ou grand epiplon). T4: Tumeur perforant la séreuse ou envahissant les organes de voisinage. T4a: Tumeur perforant la séreuse. T4b: Tumeur envahissant un organe de voisinage (rate, côlon transverse, foie, diaphragme, pancréas, paroi abdominale, surrénale, rein, intestin grêle, retropéritoine). N: N0: pas d’envahissement ganglionnaire (noter combien de ganglions ont été examinés). Nx: ganglions non évalués ou moins de 15 ganglions examinés. N1: 1 à 2 ganglions régionaux métastatiques. N2: 3 à 6 ganglions régionaux métastatiques. N3: plus de 6 ganglions régionaux métastatiques. N3a: 7 à 15 ganglions métastatiques. N3b: plus de 15 ganglions métastatiques. M: M0: Pas de métastase. M1: Métastase à distance (dont ganglions rétro-pancréatiques, mésentériques, para-aortiques, sus- claviculaires). Stades Stade 0: Tis N0 M0. Stade IA: T1N0M0. Stade IB: T1N1M0 ; T2N0M0. Stade IIA: T1N2M0 ;T2N1M0 ;T3N0M0. Stade IIB: T1N3 M0 ;T2N2M0 ;T3N1M0 ;T4a N0M0. Stade IIIA: T2N3M0 ;T3N2M0 ;T4aN1M0. Stade IIIB: T3N3M0 ;T4a N2M0 ;T4b N0,N1M0. Stade IIIC: T4a N3M0 ;T4b N2,N3 M0. Stade IV: Tous T, tous N, M1. d. Discussion thérapeutique Les dossiers doivent être discutés en réunion de concertation pluridisciplinaire avant toute décision thérapeutique. 3. Traitements a. Bilan préopératoire De l'état général (échelle OMS et ASA). Du statut nutritionnel (pourcentage d’amaigrissement, bilan biologique comportant protidémie et albuminémie). De l’état cardiologique (ECG, échocardiographie), pulmonaire (EFR) en fonction du terrain et des traitements envisagés (chimiothérapie cardiotoxique). de la fonction rénale. et enfin un bilan hématologique de crase. b. Préparation préopératoire La Haute Autorité de Santé française recommande l’administration pendant les 7 jours préopératoire d’ORAL IMPACT® (3 briquettes par jour) avant toute chirurgie digestive majeure quel que soit l'état nutritionnel du patient. Ce produit n’est pas disponible au Maroc pour le moment. c. Résection chirurgicale i. Etendue de l’exérèse (1) Résection curative Pour les cancers de l’antre non linitique une gastrectomie des 4/5 est la référence. La ligne de section va du bord droit de la jonction oesogastrique sur la petite courbure à la terminaison de l’arcade gastro-épiploïque sur la grande courbure. La marge de sécurité macroscopique in situ doit être au moins de 5 centimètres. Pour les linites antrales la gastrectomie totale est le traitement de référence. La marge de résection duodénale doit être de 1 centimètre sur pièce fraîche. Pour les cancers proximaux la gastrectomie totale est préférable à la gastrectomie polaire supérieure. Pour les cancers du corps gastrique la gastrectomie totale est l’intervention de référence. Pour les cancers envahissant les organes de voisinage l’exérèse doit être monobloc sans dissection ni rupture de la pièce. (2) Chirurgie palliative La chirurgie palliative de l’estomac ne doit s’envisager, en réunion de concertation pluridisciplinaire, que pour les tumeurs symptomatiques (dysphagie, saignement, perforations) chez des malades en bon état général (espérance de vie supérieure à 6 mois). La gastrectomie est préférable à la dérivation toutes les fois qu’elle est techniquement possible. Dans les autres cas les traitements endoscopiques et/ou médicaux doivent être discutés. Pour les cancers localement évolués, de résection macroscopiquement incomplète, les résidus macroscopiques doivent être clippés pour faciliter une éventuelle irradiation postopératoire. La résection des métastases hépatiques doit être discutée au cas par cas selon les possibilités techniques, le bilan des lésions, l’état général du malade et uniquement si toutes les métastases sont résécables. Si le malade est laparotomisé (ou en cas de laparoscopie diagnostique) un contrôle anatomopathologique est indispensable pour les métastases non résécables. Les métastases ovariennes doivent être réséquées si une gastrectomie est réalisée. ii. Rétablissement de la continuité Rétablissement de la continuité : quelle que soit la gastrectomie il n’y a aucun standard de rétablissement de continuité. Celui-ci est laissé au choix du chirurgien. Le statut nutritionnel des malades traités pour cancer gastrique doit être amélioré ou préservé pendant toute la prise en charge. Une alimentation entérale par sonde ou jéjunostomie est préférable à la nutrition parentérale, qui n’est envisageable que dans la période péri-opératoire. iii. Etendue du curage (1) Classification des relais ganglionnaires La Japanese Research Society for Gastric Cancer (JRSGC) a défini en 1981 les règles générales de la chirurgie du cancer gastrique en donnant à chaque groupe ganglionnaire une numérotation individuelle. Les ganglions lymphatiques regionaux, sont subdivisés en 16 groupes ganglionnaires de la JRSGC(cf shema). ces groupes sont ensuites reuniés en 3 régions permettant de definir 3 niveaux de curages ganglionnaires : D1, D2 et D3 (cf Tableau). Schéma du drainage lymphatique de l’estomac selon la JRSGC «J de chirurgie 2009». Première région: groupe 1: para-cardial droit - groupe 2: para-cardial gauche - groupe 3: groupe petite courbure gastrique - groupe 4: grande courbure gastrique- groupe 5: artère pylorique – groupe 6: artère gastro-épiploïque droite. Deuxième région: groupe 7: artère coronaire stomachique - groupe 8: artère hépatique commune - groupe 9: tronc coeliaque droit et gauche - groupe 10: hile splénique - groupe 11: artère splénique. Troisième région: groupe 12: pédicule hépatique - groupe 13: pré et rétro-pancréatique - groupe 14: artère mésentérique supérieure - groupe 15: artère colicamédia - groupe 16: latéro-aortiques droit et gauche. Tableau: groupes ganglionnaires devant être réséqués pour un curage D1, D2 et D3 en fonction du type de gastrectomie. (2) Standards Lors du traitement chirurgical d’un adénocarcinome gastrique, un curage D2 avec splénectomie n’est pas recommandé. Malgré l’absence d’étude le comparant au curage D1, le curage communément appelé «D1,5» (D1 + curage coeliaque coronaire stomachique hépatique, et en cas de gastrectomie proximale splénique sans splénectomie) est recommandé afin d’obtenir un staging ganglionnaire suffisant. Il est aussi recommandé qu’un tel curage emporte au moins 25 ganglions. Des essais comparant un tel curage D1,5 au curage D1 sont souhaitables.Un curage D1 peut être recommandé pour les cancers de stade I, et aux patients à risque opératoire élevé. Il est recommandé que le curage D1 emporte au moins 15 ganglions. Un curage plus étendu que D2 (D2+, D3, D4), ne peut être recommandé en dehors de protocoles d’études cliniques. 4. Cas particulier du Cancer superficiel de l’estomac La prise en charge du cancer superficiel de l’estomac doit être discutée en RCP en présences de chirurgiens et gastroentérologues. Une mucosectomie endoscopique peut être proposée aux patients avec un risque opératoire important en cas de tumeur usT1N0M0 (explorée par écho-endoscopie et ne dépassant pas la musculaire muqueuse) et aux dysplasie de haut grade. L’examen de la pièce en anatomopathologie est fondamental afin de confirmer que la lésion est bien superficielle et a été réséquée en totalité. Si elle est infiltrante, une chirurgie complémentaire doit être discutée car le risque d’envahissement ganglionnaire est important. Références 1. Registre des Cancers à rabat. Incidence des cancers 2006-2008.ed 2012. 2. Registre des Cancers à rabat. Incidence des cancers 2005. Ed 2009.