Dr GRANATO Philippe "La souffrance des soignants" le 11 décembre 1997 LA SOUFFRANCE DES SOIGNANTS Au-delà de la technicité médicale, qui trouve ses limites dans les maladies incurables et dans la mort, il arrive que nous nous retrouvions seuls dans un face à face difficile avec le malade. Nous sommes alors en constat d'échec, fragilisés par le regard et le questionnement du patient. Nous entrons dans un dialogue le plus souvent infra-verbal où le regard, les émotions, et la gestuelle deviennent plus signifiants que des mots. Il en découle des difficultés relationnelles, professionnelles et personnelles de la part des soignants. La confrontation avec le malade nous met en résonance avec lui et sa souffrance. Il s'en suit des modifications psychologiques qui nous permettent de nous adapter à cette situation de crise ou alors de fuir en quittant rapidement la chambre du malade et évitant de croiser son regard. Cependant, la non-maîtrise de ces modifications psychologiques sont susceptibles de nous desservir. Aussi, ce travail n'a pour vocation que de nous permettre de nous interroger sur notre relation avec le malade lorsque les thérapeutiques sont inefficaces et qu'il ne reste que le lien communicationnel. Nous allons donc tenter de repérer les principales modifications psychologiques qui gouvernent cette relation: - la toute-puissance, - le clivage face à la mort, - la fausse réassurance du patient, - la projective, - et l'évitement. Il ne faut pas oublier le cas des soignants qui font preuve d'un dévouement extrême, d'un " don de soi ", apparemment gratuit. Ce constat, nous interroge. Sont-ils dans: - un désir de réparation? - la reproduction d'un schéma familial? - la satisfaction inconsciente d'un masochisme? - un étayage narcissique? Ces questions font partie du domaine privé du soignant que nous n'aborderons pas aujourd'hui. Les soignants qui travaillent dans certains services doivent faire preuve de compétences non seulement techniques mais aussi de compétences dans le domaine des relations humaines et de la communication. En effet, il existe un retentissement psychologique sur les professionnels de la santé qui ont à prendre en charge des patients au pronostic létal. Il s'agit du syndrome de burn out "qui associe stress, surinvestissement relationnel, de culpabilité syndrome dépressif... La résonance affective est inéluctable dans l'interrelation entre le Moi professionnel et le Moi personnel. Il s'en suit une interpénétration avec une émergence de difficultés dans chacune des deux situations. Les troubles peuvent apparaître autant sur un plan personnel, familiale, que sur son travail de soignant, avec de l'équipe ou pour une question d'éthique. Différents questionnements et constatations sont repérables dans cette résonance: - la maladie incurable, la mort de l'autre nous renvoie à notre propre mort ou à celle d'un de nos proches, - les débuts enthousiastes dans la profession alternent avec des phases de lassitude proches de l'épuisement étayées d'un sentiment d'impuissance, - comment maintenir une relation soignant-soigné sans éviter un face à face avec un patient qui exprime révolte et injustice dans l'attente d'une mort inévitable. Autrement dit, accepter sa propre impuissance de soignant, - la projection sur le médecin de sa propre impuissance, et de celle de la médecine, - intérêt d'une relation de vérité avec le patient, mais quelle est sa réalité à lui ? Comment saisir et décoder le désir de l'autre ? Autrement dit, à partir d'une relation de confiance qui s'est instaurée entre un soignant et un soi9né jusqu'où peut-on respecter le désir de l'autre quand ce désir est de ne pas savoir et/ou de pas mourir. MECANISMES DE DEFENSES Le clivage "Je suis soignant, donc protégé de la maladie et ce pouvoir par extension profite à ma famille". Cette pensée magique est le propre de chacun de nous. Elle représente une pensée conjuratoire qui permet de compartimenter en deux espaces notre vision du monde. Notre condition de soignant se représente le monde en "malade" ou "non-malade". Néanmoins, le clivage est un mécanisme psychique nécessaire qui permet à chacun d'être assuré que le malade c'est l'Autre et non soi-même. Le soignant est en difficulté lorsqu'il voit apparaître les symptômes d'une maladie, passant ainsi dans un statut à la fois de soignant et de soigné "Je suis de l'autre coté de la barrière". La souffrance est d'autant plus grande que sa frontière entre "malade" et" non-malade" est rigide. Ce mécanisme a souvent comme conséquence extrême le refus puis la répression (parfois le refoulement) de toutes les réactions émotionnelles et affectives du soignant face à la souffrance du patient "je me refuse de compatir à ta souffrance car je m'identifierais à toi ". Ce mécanisme de défense limite, sinon bloque les capacités de fonctionnement psychique. La toute puissance Il s'agit de pouvoir répondre aux besoins et à la demande de l'Autre sans faille. Cette position flatteuse de toute puissance nous est induite par la Société mais surtout par les familles. Cela équivaut à la non prise en compte de ses propres limites ou le refus de les respecter avec comme corollaire l'incapacité d'assumer cette mission en raison de la gravité insoupçonnée de la maladie. Ce mode de fonctionnement dans la "toute-puissance", allant de pair avec la pensée magique entraîne une décompensation dépressive dans les situations d'échec. Puisque le soignant n'a pas était capable d'éviter ce pourquoi il a été investit. Néanmoins, cette situation est génératrice pour beaucoup de soignants d'un désir de réparation qui peut être le moteur de leur carrière. La projection Il s'agit d'un mécanisme qui permet de rationaliser une situation difficile et culpabilisante par la faillite d'un tiers. La connaissance et la maîtrise de ce mécanisme son nécessaire pour éviter une réaction dépressive du tiers et/ou un conflit de service. Cette attitude permet une déculpabilisation des soignants qui conduit à la création d'un pôle négatif dans service. Ce dernier étant utile pour le bon fonctionnement du service. Malheureusement, ce mécanisme de fonctionnement est archaïque et il conduit souvent à des difficultés de fonctionnement. REM FDES Il est nécessaire d'aboutir par le biais d'un travail individuel et bu institutionnel à certaines évolutions psychologiques: - la verbalisation des difficultés personnelles face au malade permet à certains participants de se libérer d'une charge affective trop forte, qui entravent leur possibilité de recul et d'analyse. - la déculpabilisation, parfois partielle, parfois intellectuelle, entraînent malgré tout un soulagement, - la métabolisation des expériences affectives difficiles, - assouplissement des défenses face à l'impuissance de la maladie et de la mort,