Page 1 L`hiver de force d`après le roman de Réjean Ducharme mise

L’hiver de force
d’après le roman de Réjean Ducharme
mise en scène et adaptation Lorraine Pintal
du 7 au 17 février 2002
Grande salle
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SSeerrvviiccee ddee PPrreessssee
Lydie Debièvre, Odéon-Théâtre de l’Europe
tél 01 44 41 36 00 - fax 01 44 41 36 56
dossier également disponible sur hhttttpp::////wwwwww..tthheeaattrree--ooddeeoonn..ffrr
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LLooccaattiioonn01 44 41 36 36
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PPrriixx ddeess ppllaacceess (séries 1, 2, 3, 4, 5)
de 5à28(de 32,80F à 183,67F)
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HHoorraaiirreess
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h (relâche le lundi).
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OOddééoonn--TThhééââttrree ddee llEEuurrooppee
1 Place de l’Odéon - 75006 Paris
Métro : Odéon - RER : Luxembourg
oDeoN
THEATRE DE L´EUROPE
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L’hiver de force
d’après le roman de
mise en scène
et adaptation
décor
costumes
éclairages
musique originale et
environnement sonore
avec
Nicole
Laïnou
Roger Degrandpré
Thérèse Brassard dit Sex-Exepl,
l’hôtesse de l’air, Terry
André
Poulette
Catherine dit Petit Ppois
Production : Théâtre du Nouveau Monde - Montréal
Coproduction : le Festival de théâtre des Amériques.
Réalisation : Odéon-Théâtre de l'Europe
Spectacle créé le 13 novembre 2001 au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal
Réjean Ducharme
Lorraine Pintal
Danièle Lévesque
Julie Charland
Michel Beaulieu
Jean-Frédéric Messier
Céline Bonnier,
Anne-Marie Cadieux
Pierre Curzi
Brigitte Lafleur
Alexis Martin
Monique Mercure
Marie Tifo
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oDeoN
THEATRE DE L´EUROPE
Poulette
est arrivée vers onze heures dans sa Triumph au silencieux crevé et au bas des por-
tières rouillé jusqu’à travers. Chapeau de léopard, lunettes fumées, cigarette au bec, elle est
entrée bras en l’air, tout éployée, comme si elle sortait d’un de ces films italiens montrant avec
complaisance la déchéance qui s’est emparée du sang bleu : les comtesses passé mûres qui cou-
chent avec des bommes encore verts, and all that drag… Elle nous a embrassés sur la bouche
avant même de nous avoir regardés, le groin tout mou et tout entrouvert. Quelle haleine fétide !
Qu’est-ce ka mange ? Da marde ? Fuck ! Elle ôta ses verres, la blancheur de nos travaux de res-
tauration la saisit, l’éblouit, ses yeux papillotèrent comme deux protozoaires ciliés mal pris, elle
prit dans ses mains gantées sa face craquelée, elle s’écria, fellinienne :
- Ah j’horreur de cette couleur, ah c’est cruel, ah ça agrandit trop la lumière, ah ça fait ressortir
des ans l’irréparable outrage, ah je sens mon make-up qui cuit et qui forme des grumeaux
comme une mayonnaise ratée ! Je suis pas trop laide ? Pas trop maganée, ravagée, marquée,
pokée ? […]
Tout ce que Poulette voulait semblait vouloir savoir c’était si elle n’était pas trop pokée. Si elle
n’a pas demandé quarante-deux fois
je suis pas trop pokée ?,
je ne sais pas comment je m’ap-
pelle. Et ça ne servait à rien de lui répondre mais non ! mais non ! Elle ne voulait pas du tout nous
croire, l’hostie de chienne sale.
- Je peux bien être pokée, j’ai encore passé la nuit au bout du fil… Ougi ne cesse de m’appeler
pour me tirer les vers du nez !… Il crie, il insiste, il menace… Je ne suis qu’une faible femme…
C’est là qu’on a décroché puis qu’on a jugé bon de s’effacer. Personne n’a essayé de nous rete-
nir. Quand j’ai dit : " Bon eh bien je crois qu’on va aller brûler l’herbe derrière la maison ",
Poulette, qui s’était mise à parler en anglais parce qu’elle s’imaginait qu’on était trop épais pour
être bilingues, murmurait à Catherine : "I have a feeling that Ougi knows that I know, you
know"*, et tout le monde était tellement pris par son sujet que personne n’a entendu la moindre
de mes paroles.
Dehors, on se défrustre en déblatérant à tort et à travers dans les deux langues officielles.
- What is the matter ? (Qu’est-ce que la matière ?)
- La vie, c’est rien aux autres et puis tout aux mêmes : beauté, santé, prospérité, intelligence !
Puis ceux qui ont tout crachent sur tout : c’est tout triste, déçu, désenchanté, spleen, insomnie,
neurasthénie, dégoût. Regarde les Pygmées, par exemple : affreux, petits, pauvres, bêtes à
manger du foin : ils n’ont rien eu du tout. Quelle justice !
- I don’t see your point ! (Je ne vois pas votre point !) It’s totally irrelevant ! (Ce n’est totalement
pas révélateur !)
- I feel bad, that’s all ! (Je sens mauvais, c’est tout !)
Réjean Ducharme :
L’hiver de force
(pp. 242-244)
* J’ai un sentiment qu’il sait que je sais, tu sais ? [Note de l’auteur]
LHIVER DE FORCE
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" Puis demain, 21 juin 1971, l’hiver va commencer, une dernière fois, une fois pour toutes, l’hiver
de force (comme la camisole), la saison où on reste enfermé dans sa chambre parce qu’on est
vieux et qu’on a peur d’attraper du mal dehors, ou qu’on sait qu’on ne peut rien attraper du tout
dehors, mais ça revient au même "… Début des années 70, donc. Bohème québecoise. Entourés
de quelques amis (dont Catherine, alias Petit Pois, Petit Pouah, puis la Toune ; son éditeur et
amant Roger, Ougi pour les intimes, ou encore Laïnou, artiste contemporaine de son état), André
et Nicole Ferron, ex-étudiants des Beaux-Arts, vivent de corrections d’épreuves, cherchent une
place bien payée à ne rien faire dans la publicité, se gorgent de films avec Eddie Constantine et
Edwige Feuillère, se passent du Boris Vian ou des Beatles, ou ne font rien. Mais nous, nous ne
pouvons faire l’économie d’une mise en contexte historique du roman de Ducharme... L’errance
sur place d’André et Nicole, barricadés dans leur appartement, dévoile le désespoir de toute une
génération, celle de la " génération tranquille " (un mouvement contre-culturel qui a agité le
Québec au milieu des années 50). Publié en 1973,
L’Hiver de force
conserve aussi l’écho de la
période mouvementée que venait de traverser la France. Le roman permet de rapprocher les cul-
tures de nos deux pays autour d’événements qui ont transformé le cours de leur histoire, et dont
nous pouvons être les témoins éclairés et visionnaires. Pour certains personnages, la France
n’est d’ailleurs jamais très loin. Laïnou voit enfin sa peinture reconnue en Europe et oscille entre
le luxe mondain qu’elle doit à son succès et le vide qu’elle ressent à être une handicapée de
l’amour. Petit Pois vient d’achever le tournage d’un film sélectionné à Cannes, ce qui réveille en
elle une méchante envie de montrer aux Français ce qu’elle pense de leur culture bourgeoise, si
florissante au Père-Lachaise : " On va leur en faire des colons, de la neige, des Maria Chapdelaine.
Dans dix ans, c’est eux qui vont se mettre à genoux pour qu’on les civilise. Leurs enfants vont
apprendre la grammaire joual puis c’est les pièces de Michel Tremblay qui vont les faire flipper à
la Comédie-Française. Ils sont pas dedans man! "
L’adaptation de Lorraine Pintal paraîtra aux Editions Gallimard
(Le Manteau Arlequin) en février 2002.
LHIVER DE FORCE
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THEATRE DE L´EUROPE
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" Nous voulons changer du tout au doux, nous rebâtir sereins. Alors mettons-nous à tout aimer, à ne
plus choisir du tout, à accueillir tout, même les poissons fabriqués en série, à embrasser tout d'un
cœur égal. Nos horreurs et nos dégoûts ne font qu'empirer le mal qui nous est fait et améliorer le
plaisir de ceux qui nous le font. Alors n'en éprouvons plus; ouvrons-nous; brûlons nos venins, nos
boucliers, nos vêtements; offrons-nous, tendons-nous, donnons-nous, faisons-nous fourrer. "
(André Ferron ,
L’Hiver de force
Je n'ai jamais rencontré Réjean Ducharme. Peu de gens ont eu la chance d'échanger directement
avec lui sur la nature insolite et fascinante de son œuvre et sur la position unique qu'elle occupe
dans le paysage littéraire québécois et international. Enfermé dans un mutisme médiatique depuis
la publication de son premier roman
L’Avalée des avalés
, il nous livre sans concession des images
à la puissance dévastatrice, un langage au souffle ravageur et des personnages d’écorchés vifs dont
la pudeur maladive accentue l'authenticité de son génie.
Le parcours de Réjean Ducharme dans la galaxie de la dramaturgie est celui d'un météorite. Sa traî-
née lumineuse fragmente la profondeur des nuits fauves de Montréal et le choc qu'il provoque cause
tremblements de sens et raz-de-marée de mots. Ces derniers traduisent une émotion si fulgurante
que la grammaire telle que nous l’avons apprise à la petite école, échoue à en contenir l’explosion.
On avale l’oeuvre de Ducharme par le ventre comme Bérénice Einberg, le petit être farouche et sau-
vage de
L’Avalée des avalés
, se sent avalée par le dedans lorsqu’elle évoque le visage trop beau de
sa mère.
C’est d’ailleurs par la serrure du ventre de la mère que je me suis infiltrée dans le monde roma-
nesque de Ducharme pour y découvrir ensuite celui du poète, du parolier, du scénariste, du créateur
de toiles et de sculptures iconoclastes qu’il signe sous le pseudonyme de Roch Plante. Et enfin, sans
crier gare, j’ai été parachutée dans l’appartement frette et blanc comme un lavabo de Sophie et
Roger, les piètres acteurs de HA ha!… Ce théâtre de foire psychologique où la cruauté règne en maî-
tresse absolue sur des couples à la dérive, a marqué un immense tournant dans l'expression de la
culture québécoise et dans le parcours du TNM.
Puis, il y a eu la confrontation avec
Ines Pérée, Inat Tendu
qui raconte la vertigineuse chute sur terre
de deux adolescents qui bouleversent la vie des habitants d'une île perdue, devenue leur asile et leur
tombeau. Dans les deux cas, j’ai procédé à des recoupements, ajouts, collages en puisant à même
les multiples versions signées de la main de Réjean Ducharme. Ce travail d’adaptation m'a permis
d’aborder son œuvre de l’intérieur au point où j'ai ressenti la pressante envie de dépasser le cadre
théâtral et de m'attaquer au roman.
PPoouurr llaa ffoorrccee ddeess ppeerrssoonnnnaaggeess eett llaa bbeeaauuttéé ddee llaa llaanngguuee
" Quand la Toune est partie, tout nous faisait mal: nos yeux saignaient de l'avoir tant regardée sans
trouver où loger, où se reposer assez, comme pour toujours; nos mains étaient couvertes d'ampoules
de n'avoir rien pu saisir, posséder, garder, d'un si grand bonheur si proche. "
André Ferron,
L’Hiver de force
André et Nicole Ferron, les protagonistes centraux de
L’Hiver de force
sont à l'œuvre romanesque
de Réjean Ducharme ce que
Ines Pérée et Inat Tendu
sont à ses textes dramatiques. Même soif
d'amour, même quête de liberté, même rage de vivre en marge de la société établie et même rejet
de l'abrutissement des masses qui emprisonnent leurs rêveries de dormeurs éveillés. Petit Pois,
actrisse vedette et son amant, Roger Degrandpré, éditeur controversé de livres P.Quisses font par-
tie du même clan que Sophie et Roger dans la pièce
HA ha!
…. Les jeux de rôles dans lesquels l'au-
teur les emprisonne confère à ces personnages de roman un caractère hautement théâtral. On
pourrait affirmer que Petit Pois est l'emblème du déchirement entre la vérité du moâ et sa repré-
sentation. Petit Pois, Poulette, Roger, Laïnou, la tante folle des Beaux-Arts, sont tous plus ou moins
condamnés à jouer leur propre vie et la véritable exaltation réside dans le ratage de leur perfor-
mance, ce qui pour Ducharme est l'exploit suprême.
.../...
LHIVER DE FORCE
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