CORRIGÉ
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CÉLÉBRER LE MONDE • COMMENTAIRE • SUJET 2
La poésie Le théâtre
Convaincre… Le roman
Sujets d’oral Les réécritures
3. Un monde de nature dans lequel l’homme se fond
Heredia mélange les règnes – végétal, animal, humain – et les images poéti-
ques bouleversent l’ordre habituel du monde : c’est l’élément naturel (« La
Nature », évoquée dans le titre de cette partie du recueil) qui règne et dicte
sa loi. Les animaux, endormis ou « frêle(s) », sont relégués au second plan.
Alors que, chez les romantiques, l’homme est presque toujours au premier
plan, dominant de sa volonté tous les êtres, Heredia le subordonne aux forces
naturelles qui régissent l’univers. C’est la nature qui domine l’homme et non
l’inverse, c’est elle qui est vivante tandis que l’homme, le poète solitaire et
perdu dans ce paysage, est presque réduit à l’état inanimé ; il n’est plus le point
central vers lequel tout converge, il s’harmonise avec les grandes lois rythmi-
ques qui régissent le monde : « chasseur harmonieux ». Il est qualifié par son
état de langueur, les « cils mi-clos alanguis de sommeil », ou la subtilité de ses
« rêves ». Les deux vers qui marquent sa présence (v. 6 et 14) le présentent,
soit par métonymie – ses cils –, soit par métaphores : celle du chasseur ou
encore celle, suggérée, du prisonnier qui se soumet très volontiers à sa prison
« dorée ». Le pronom de la première personne du singulier se réduit à un « j’ » à
peine perceptible. Il ne subsiste de lui que ce qui lui permet de voir ce tableau
magnifique pour en faire la description : les yeux que suggère le mot « cils ».
Au dernier tercet, Heredia lui-même se fond dans le paysage et, d’abord
« chasseur », il devient tisserand poète et tisse les « fils » de lumière et
aussi, magiquement, le poème même que nous lisons.
Du reste que « chasse-t-il » ? Des souvenirs, de beaux tableaux à « empri-
sonner » dans des sonnets ? Des « rêves » qui ne s’élancent pas dans de
vastes horizons infinis mais qui sont domestiqués par ce monde ?
En tout cas, tout cela n’est que « rêves », dernier mot du sonnet, dont le e
muet final laisse la rêverie vagabonder et se dissoudre dans l’air « chaud »
et semble en prolonger la durée : le lecteur se trouve hors du temps et de
l’espace.
Conclusion
Heredia avait sans doute lu le poème « Midi » que Leconte de Lisle, son
maître en poésie, avait écrit en 1852 dans son recueil Poèmes antiques. Il y
a trouvé la sérénité contemplative devant la nature dans sa plénitude et son
mystère, et y a peut-être inconsciemment puisé des bribes de vers : « Midi,
Roi des étés, épandu par la plaine, / Tombe en nappes d’argent […] / Tout
se tait. […] La lointaine forêt, dont la lisière est sombre, / Dort là-bas, immo-
bile, en un pesant repos… ». Cependant, chez Heredia, nul pessimisme,
mais l’impression d’une incitation au bonheur, suggérée par l’intense beauté
de ce paysage : « La Nature et le Rêve ».
LivreSansTitre2.book Page 40 Mercredi, 30. juillet 2008 6:55 18
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