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CÉLÉBRER LE MONDE COMMENTAIRESUJET 2
La poésie
Le théâtre
Convaincre… Le roman
Sujets d’oral
Les réécritures
Attention ! Les indications en couleurs ne sont qu’une aide à la lecture et ne
devraient pas figurer dans votre rédaction.
Introduction
En réaction contre les envolées lyriques et les épanchements sentimentaux
des romantiques, le Parnasse, autour de Théophile Gautier et de Leconte de
Lisle, assigne à la poésie une fonction purement esthétique et défend l’art
pour l’art. Heredia, érudit et amateur d’art, s’inspire, pour écrire ses Tro-
phées, de ses lectures, de ses impressions personnelles afin de créer de
beaux tableaux, souvent pittoresques. Après avoir évoqué les civilisations
passées, il s’inspire, dans la section « La Nature et le Rêve », des paysages
de la Bretagne. Dans son sonnet « Midi », il peint un paysage « accablé de
soleil » dans une description qui sollicite tous les sens et transmet au lecteur
de pures sensations d’art. Mais, en même temps, par la magie de l’écriture
et des images poétiques, il transfigure la réalité et crée un monde dans
lequel se fond toute la création – végétale, animale et humaine.
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I. Un paysage appréhendé par tous les sens :
l’omniprésence du monde sensible
C’est par tous les sens que le poète et, à travers lui, le lecteur appréhendent
ce paysage de « Midi » écrasé par le « soleil ».
1. Quatre sens…
Dans ce paysage de torpeur, où « tout dort », les sons sont presque
absents. Or, paradoxalement, alors même qu’il les nie en les mentionnant
négativement (« Pas un… »), le poète les fait en quelque sorte exister ; du
reste, s’il y avait des bruits, ils seraient ténus, à peine perceptibles, comme
le vol d’un « insecte » ou d’une « abeille ». En fait, à y regarder – ou à y
écouter – de plus près, une oreille attentive distinguerait le bruit d’ailes de
l’« essaim » de « papillons » suggéré par le verbe « vole » : les sonorités des
mots reproduisent le bruit léger de l’air remué, avec les consonnes labiales
v et f et la liquide l : « Vers la gaze de feu […] Vole le fle essaim… ». Ce
tableau sonore donne une impression de paix et de calme.
Les sensations tactiles, beaucoup plus présentes, sont essentiellement liées
à la mention du « soleil » et de la chaleur qu’il verse à profusion ; cette cani-
cule, évoquée par la métaphore du « feu », est d’autant mieux mise en
valeur qu’elle contraste avec l’« ombre », le « feuillage épais » ou les
« mousses » qui suggèrent la fraîcheur. Mais au-delà des réalités évoquées,
certaines images poétiques sollicitent elles aussi, au second degré, les sens
du lecteur : le « jour » est comparé à du « velours […] doux » et les rayons
du soleil « trament » une « gaze », étoffe légère sur la peau, ou un « filet
subtil ». Enfin, les « doigts » – partie du corps particulièrement sensible – du
poète « saisissent chaque fil » de ce « filet ».
La chaleur intensifie les odeurs et les « parfums des sèves » créent une
atmosphère capiteuse qui endort (« Tout dort ») ou font tourner la tête des
« papillons », les « enivrent ». Curieusement, ce dernier verbe est à double
entente et peut renvoyer aussi bien à l’odorat qu’au goût (il suggère une
sorte de vin de vigueur qui étourdit).
2. … et par-dessus tout la vue : un beau tableau
Mais son sujet – le mot « lumière » auquel il est associé – donne à ce verbe
une troisième signification qui, alors, sollicite aussi la vue : c’est en effet
surtout un tableau visuel que Heredia peint ici.
Il n’aime pas les ombres et les ténèbres ; il leur préfère le plein soleil – que
suggère le titre même du sonnet : « Midi », répété au vers 5 – et la « lumière »
crue et resplendissante. Celle-ci prend diverses formes et inonde tout le
poème, à travers l’hyperbole « mille éclairs » (soutenue par un jeu savant
d’allitérations en l, f et r : « mille éclairs furtifs forme »), et les mots
« rayons », « feu » et « or », qui font imaginer de merveilleux reflets. Au milieu
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de ce flamboiement de chaude clarté, dans ce ruissellement d’or fauve, le
poète introduit des couleurs éclatantes en fort contraste, en les mentionnant
soit explicitement – c’est le rouge foncé d’un « réseau vermeil » –, soit à
travers les images : les « mousses » sont vert « émeraude ». Encore plus
implicitement, il fait voir au lecteur mille couleurs à travers la mention des
« riches papillons », l’adjectif prenant ici un sens figuré (riches de couleurs).
Toutes ces couleurs, en opposition violentes de tons, sont mises en valeur
par le fort contraste qu’elles produisent avec des termes comme « épais »,
« obscur », « sombre » et « ombre » – qui se font écho –, en nette minorité.
Çà et là, apparaissent des formes : celle du « dôme obscur » (mollement
ronde) ou des lignes, surtout verticales (celles des « rayons » ou du « filet »),
qui complètent ce tableau inondé de lumière. Quelques mouvements, mais
doux et comme feutrés, sont évoqués : le « réseau […] s’allonge et se
croise », le « frêle essaim […] vole ».
Tout ce qui n’est pas lumière et couleur est flou et « tamisé », aux contours
dissipés, comme vu à travers une « gaze », ce qui correspond tout à fait à
l’effet que produit la lumière qui filtre à travers un épais feuillage.
Pour intensifier l’impression de langueur qui touche les sens et le monde,
Heredia recourt à toutes les ressources de l’écriture poétique : les multiples
enjambements successifs impriment à la description un rythme paresseux
et ralenti, et les vers s’appellent l’un l’autre sans heurt. Chaque strophe se
termine par une rime féminine qui prolonge l’impression, se dissout dans
l’air mort et abolit le temps.
II. La transfiguration de la vision du monde
Mais cette évocation de « Midi » dépasse la simple peinture et le poète, par
son écriture, surpasse le peintre en transfigurant, comme magiquement, le
monde.
1. Un monde féerique
Heredia transporte le lecteur dans un monde féerique de richesse et d’abon-
dance, de beauté, qui pourrait être celui des contes : la profusion du
« feuillage épais », l’immensité des « grands bois », les « riches papillons »,
l’« émeraude » (pierre précieuse), mais aussi les belles étoffes comme le
« velours » ou les tissus raffinés comme la « gaze », le « vermeil » (qui désigne
non seulement une couleur signe de richesse et de puissance, mais aussi un
alliage précieux d’or et d’argent), les « mailles d’or » et enfin « le parfum »,
tout cela renvoie à un monde merveilleux. L’hyperbole « mille (éclairs) » ne fait
qu’accentuer cette impression d’exubérance. Le cadre même pourrait être
celui d’un conte : les « bois » y sont un lieu privilégié et « le dôme obscur »
peut évoquer dans l’esprit du lecteur quelque monument royal. Enfin, l’ivresse
(« enivrent ») a quelque chose de magique, qui nous emmène loin de la réalité.
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2. Un monde animé et vivant : images poétiques
De fait, comme dans les contes, se produisent, au fil du sonnet, d’étranges
transformations.
Personnification du monde inanimé
Tous les éléments naturels, à travers des personnifications, sont dotés
d’une vie presque humaine.
Sur cet univers semble régner « Midi » ; la majuscule transforme le mot en
nom propre et le moment de la journée en une sorte de roi « splendide ». Le
verbe « cribler », qui signifie « percer de trous », associé au verbe « rôder »,
semble le métamorphoser, par métaphore, en une sorte de chasseur qui,
curieusement, trouve son écho dans le qualificatif que s’attribue le poète au
dernier vers, devenu « chasseur […] de rêves ».
Une métaphore filée – sans jeu de mots – transforme d’abord « Midi » et les
« rayons » du soleil en une sorte de tisseuse ou de fileuse qui tisse un textile
merveilleux ou un « filet ». De nombreux mots, par connotation, appartien-
nent au champ lexical de la tapisserie ou du tissage : « réseau »,
« trament », « mailles », « fil » ; rétrospectivement le mot « velours » et les
verbes « s’allonge et se croise » prennent un double sens et viennent
compléter l’image.
Les manifestations du soleil se voient aussi dotées de traits humains : les
« éclairs », « furtifs », sont discrets comme des voleurs ; le « réseau » de
« rayons » « s’allonge et se croise ».
Le monde végétal et animal prend une dimension humaine : les « bois » sont
« accablés » ; les insectes sont « en maraude », comme des soldats prêts à
voler leur subsistance ; les « papillons » sont ivres.
Le paysage s’anime, à travers toutes ces personnifications, d’une vie
grouillante et merveilleuse.
Comparaisons et métaphores, parfois en cascade
Par ce jeu des comparaisons ou des métaphores, il semble que l’impalpable
devienne palpable : le « jour » devient « mousse », d’autant plus aisément
que les deux mots comportent une sonorité identique (« ou ») ; le « soleil »
devient métal précieux sous forme de « mailles d’or » et, au-delà, barreaux
d’une prison (dorée) à travers le verbe « emprisonne » au dernier vers.
La transfiguration du monde est d’autant plus étrange que Heredia fait
rebondir ou se croiser les images en cascade, une transformation en entraî-
nant plusieurs autres. Ainsi, le premier quatrain est très complexe : le
« jour » est comparé aux « mousses », elles-mêmes assimilées par méta-
phore à du « velours doux » (pour leur texture) et à une « émeraude » (pour
leur couleur). Le réseau d’images est savamment soutenu par des échos de
sonorités, notamment, ici, par le son ou.
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3. Un monde de nature dans lequel l’homme se fond
Heredia mélange les règnes – végétal, animal, humain – et les images poéti-
ques bouleversent l’ordre habituel du monde : c’est l’élément naturel (« La
Nature », évoquée dans le titre de cette partie du recueil) qui règne et dicte
sa loi. Les animaux, endormis ou « frêle(s) », sont relégués au second plan.
Alors que, chez les romantiques, l’homme est presque toujours au premier
plan, dominant de sa volonté tous les êtres, Heredia le subordonne aux forces
naturelles qui régissent l’univers. C’est la nature qui domine l’homme et non
l’inverse, c’est elle qui est vivante tandis que l’homme, le poète solitaire et
perdu dans ce paysage, est presque réduit à l’état inanimé ; il n’est plus le point
central vers lequel tout converge, il s’harmonise avec les grandes lois rythmi-
ques qui régissent le monde : « chasseur harmonieux ». Il est qualifié par son
état de langueur, les « cils mi-clos alanguis de sommeil », ou la subtilité de ses
« rêves ». Les deux vers qui marquent sa présence (v. 6 et 14) le présentent,
soit par métonymie – ses cils –, soit par métaphores : celle du chasseur ou
encore celle, suggérée, du prisonnier qui se soumet très volontiers à sa prison
« dorée ». Le pronom de la première personne du singulier se réduit à un « j’ » à
peine perceptible. Il ne subsiste de lui que ce qui lui permet de voir ce tableau
magnifique pour en faire la description : les yeux que suggère le mot « cils ».
Au dernier tercet, Heredia lui-même se fond dans le paysage et, d’abord
« chasseur », il devient tisserand poète et tisse les « fils » de lumière et
aussi, magiquement, le poème même que nous lisons.
Du reste que « chasse-t-il » ? Des souvenirs, de beaux tableaux à « empri-
sonner » dans des sonnets ? Des « rêves » qui ne s’élancent pas dans de
vastes horizons infinis mais qui sont domestiqués par ce monde ?
En tout cas, tout cela n’est que « rêves », dernier mot du sonnet, dont le e
muet final laisse la rêverie vagabonder et se dissoudre dans l’air « chaud »
et semble en prolonger la durée : le lecteur se trouve hors du temps et de
l’espace.
Conclusion
Heredia avait sans doute lu le poème « Midi » que Leconte de Lisle, son
maître en poésie, avait écrit en 1852 dans son recueil Poèmes antiques. Il y
a trouvé la sérénité contemplative devant la nature dans sa plénitude et son
mystère, et y a peut-être inconsciemment puisé des bribes de vers : « Midi,
Roi des étés, épandu par la plaine, / Tombe en nappes d’argent […] / Tout
se tait. […] La lointaine forêt, dont la lisière est sombre, / Dort là-bas, immo-
bile, en un pesant repos… ». Cependant, chez Heredia, nul pessimisme,
mais l’impression d’une incitation au bonheur, suggérée par l’intense beauté
de ce paysage : « La Nature et le Rêve ».
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