Kasboui et Nechad

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Les politiques d’intégration de l’économie informelle au Maroc : Aspects juridiques et
institutionnels
Tarik Kasbaoui1, Université Chouaib Doukkali El Jadida, Abdelhamid Nechad2, Université Hassan IIMohammedia, Maroc.
Résumé
Notre article pourrait s’articuler autour de deux axes principaux. Le premier traitera de l’existence des politiques
d’intégration de l’économie informelle au Maroc. En effet, il semblerait pertinent de s’interroger sur l’existence de ces
politiques en avançant les arguments de l’affirmation de cette existence mais aussi de sa négation. L’existence de ces
politiques ne dépend pas uniquement de l’attitude de l’Etat mais aussi des acteurs de la société civile. Le second axe
sera une réponse au premier. Ainsi, seront proposés les instruments juridiques et institutionnels à mettre en œuvre
afin d’intégrer l’informel.
Mots clés : économie informelle, politiques d’intégration, Maroc, Etat, instruments juridiques, instruments
institutionnels.
JEL : O1 17
The integration of the informal economy policy in Morocco: Legal and Institutional Aspects
Abstract
This article could be structured around two main axes. The first will deal with the existence of the integration of the
informal economy policy in Morocco. Indeed, it seems appropriate to question the existence of these policies in
advancing arguments asserting the existence but also its negation. The existence of these policies depends not only
on the attitude of the state but also civil society. The second axis is a response to the first. And will be offered legal
and institutional instruments to implement in order to integrate the informal sector.
Keywords : Informal Economy, integration policies, Morocco, state, legal instruments, institutional instruments.
1
2
Faculté Polydisciplinaire D’El Jadida. [email protected]
FSJES d’Ain Sebâa. [email protected]
1
Introduction
Economie officieuse, économie parallèle, économie souterraine…nombreuses sont les dénominations
servant à désigner les actes économiques marchands qui échappent aux normes légales en matière fiscale,
sociale ou d’enregistrement statistique1, appelés communément l’économie informelle. Depuis son
apparition dans le fameux rapport du BIT en 1972 sous l’appellation « secteur informel », ce concept a
suscité des débats quant à la terminologie utilisée, ses origines et ses fonctions. Cette définition a connu de
fortes critiques tenant principalement à l’inadéquation des termes et des critères utilisés. La définition ainsi
proposée ne permettait guère une approche globale du secteur informel mais donnait lieu à la collecte des
données quantitatives. De même, la dénomination secteur informel fut fortement critiquée car jugée
confirmer l’approche dualiste qui oppose le secteur informel à celui dit formel. Les critiques furent
tellement nombreuses que le bureau international du travail finira par adopter, depuis la conférence
internationale de juin 2001, le concept d’économie informelle au lieu du secteur informel. Les études
récentes dans le domaine adoptent la même dénomination.
Le Maroc, à l’instar des pays en voie de développement, connut l’émergence de l’économie informelle à
partir des années 80. C’est sous l’effet conjugué de l’évolution démographique, de l’exode rural et de
l’incapacité du secteur moderne à apporter une réponse positive aux besoins sociaux que ce secteur
s’installa dans le contexte socio-économique marocain, et devint, de ce fait, une préoccupation chez les
intellectuels, les organisations syndicales mais aussi chez l’Etat. Depuis, l’économie informelle ne cessa de
croître. Elle devient une composante dynamique et durable de l’économie marocaine.
Les politiques d’intégration de l’économie informelle ne sont pas entendues comme étant les diverses
actions ou campagnes de lutte contre des formes de l’informel occasionnées par certains événements. Loin
de là, elles visent un ensemble d’actions concertées, menées par les différents départements
gouvernementaux, animées par une stratégie globale dont les axes sont clairement définis. Cette stratégie
doit, évidemment, déterminer les actions de chaque autorité, afin d’éviter tout chevauchement de
compétences, et par-là, le défaut ou l’excès d’intervention. De même, toute politique dite d’intégration de
l’économie informelle, doit nécessairement prévoir des mesures d’accompagnement au profit des parties
qui seraient touchées par la dite politique.
L’intégration peut revêtir plusieurs formes : sociale, financière, juridique, institutionnelle. Seules ces deux
formes feront l’objet de notre développement. Parmi les questions autour desquelles s’articule le débat sur
les politiques d’intégration juridique et institutionnelle de l’économie informelle au Maroc on peut avancer
celle relative à l’existence de telles politiques, d’une part, et ses modalités, d’autre part. Autrement dit, est
ce qu’il existe une politique d’intégration de l’économie informelle et quel est l’apport des instruments
juridiques et institutionnels à une telle politique ? Ainsi, on est en droit de s’interroger sur l’existence
effective de véritables politiques d’intégration de l’économie informelle au Maroc. Est-ce que les actions
menées par les différents départements découlent d’une politique générale dont les axes et les objectifs
sont tracés par le gouvernement ? Ou bien, à l’inverse, ces départements agissent, chacun dans la sphère
de ses compétences, sans dénoter une politique globale d’intégration de ce secteur ? D’autre part, il serait
légitime de tenter de savoir quelles sont les caractéristiques d’une telle politique ? Vise-t-elle l’éradication
de l’économie informelle, considéré comme une économie en marge de la légalité dont il faut précipiter la
disparition ? Ou répondent-elles à une approche sociologique de l’informel en prônant, non sa résorption,
mais son intégration en créant les conditions favorables de son développement ? Dans la seconde
hypothèse, faut-il l’intégrer dans le cadre général ou, par contre, élaborer un cadre spécifique plus adapté à
ses particularités ? Nombreuses sont donc les questions qu’on tentera d’étudier, animés par l’intérêt que
revêt ce sujet. Certes, le choix de ce thème n’est pas fortuit. Il constitue une réponse académique au
développement considérable que connaît l’informel et ce de par le monde.
1. L’intégration de l’économie informelle : Existence contestée
La contribution de l’informel au P.I.B et à l’emploi étant considérable, la recherche d’une alternative fait
partie intégrante à des politiques d’intégration de l’économie informelle. Cela étant dit, notre interrogation
quant à l’existence de ces politiques suppose la recherche des éléments d’affirmation de cette existence,
mais aussi les arguments de sa négation.
2
1.1
Existence affirmée
On pourrait, à première vue, affirmer l’existence des politiques d’intégration de l’économie informelle en
relevant le cadre réglementaire applicable à cette forme d’économie. Ce constat est d’autant plus confirmé
par l’examen de certaines mesures concrètes menées par les pouvoirs publics.
1.1.1
Affirmation par l’existence d’un cadre juridique
Juridiquement parlant, l’économie informelle n’est pas une branche distincte de droit (Rimbert, 2002, 41).
Il n’existe pas une réglementation spécifique propre au secteur informel. En effet, les dispositions
applicables aux unités de production et de commercialisation informelles sont celles qui ont trait à
l’organisation du commerce en général. Certaines spécificités sont retenues quant au fonctionnement des
petites entreprises.
1.1.1.1 Les normes relatives à l’organisation du commerce
Au Maroc, les dispositions relatives à l’organisation du commerce sont diverses. Elles se regroupent dans
ce que l’on appelle le droit des affaires qui englobe le code de commerce, la loi 17-95 relative aux sociétés
anonymes, la loi 5-96 relative à la SARL… Les règles générales se trouvent dans le code de commerce,
lequel, impose aux commerçants deux obligations loin d’être respectées par les opérateurs informels.
L’obligation de tenir une comptabilité régulière s’impose aussi bien aux grands commerces qu’aux petits.
Ainsi, l’article 19 de la loi 15-95 impose aux commerçants de tenir une comptabilité conforme aux
dispositions de la loi 9-88 relative aux obligations comptables du commerçant. Cette indifférenciation
quant à la taille de l’entreprise serait la raison principale du non-respect de cette obligation. Certes, les
petits commerçants démunis de la qualification nécessaire ne seraient en mesure de tenir une comptabilité
en bonne et due forme. Quant au registre du commerce, 87% des entreprises informelles n’y sont pas
enregistrées. Interrogés sur les raisons de non enregistrement, les opérateurs informels avancent le
caractère non obligatoire de l’enregistrement ou le manque d’information (Direction de la statistique, 2000,
106).
De même, l’enregistrement au registre du commerce ne peut être accompli que si l’unité de production
informelle a été patentée3. Démarche qui n’est effectuée que par 23% des unités informelles (Direction de
la statistique, 2000, 106). Si ces dispositions s’appliquent à tous les opérateurs économiques, certaines sont
propres aux entreprises de petite et moyenne taille.
1.1.1.2 Les normes spécifiques aux petites entreprises
Tenant compte des spécificités que peuvent représenter les petites entreprises et leur importance
qualitative mais aussi quantitative dans le tissu économique marocain, le législateur a prévu un régime
spécifique de comptabilité au profit des petites entreprises. Il est évident que les petits commerçants,
souvent d’un niveau d’instruction assez bas, ne peuvent se doter d’une comptabilité régulière. Ils se voient,
de ce fait, priver des avantages de cette comptabilité, à savoir la preuve en cas de contestation4.
Pour remédier à cette situation, les petits commerçants peuvent faire tenir leur comptabilité par des
centres de gestion de comptabilité agrées5. Ces centres, crées par la loi n° 57-90, relevant des chambres de
commerce, d’industrie et de services, tiennent la comptabilité des petits commerçants. Ces derniers, pour
les encourager à recourir à ces centres, bénéficient d’un abattement de 15% de la base imposable. De
même, ils échappent au contrôle de l’administration des fiscs (Maalal, 2001, 99). La deuxième obligation
du commerçant, étant l’inscription au registre du commerce, ne connaît aucun allégement spécifique aux
petites entreprises. Tous les commerçants, personnes physiques ou morales, marocaines ou étrangères
sont assujetties à cette inscription dès qu’ils disposent d’un local au Maroc.
L’inscription au registre local doit être effectuée, pour tous les commerçants, auprès du greffe du tribunal
de commerce. Le registre central, quant à lui, est tenu par l’office marocain de la propriété industrielle et
Article 76 du code de commerce
Article 19 al 2 du code de commerce
5 Les centres de gestion de comptabilité agrées ont été crées par la loi n° 57-90 du 12-07-1991 promulguée par le Dahir n° 1-91228 du 9-11-1992 (B.O.n°4183 bis du 30-12-92) institue les C.G.C.A. D’autres textes la complètent, il s’agit notamment du : Décret n°2-96-333 du 31-10-1997 fixe les conditions d'agrément des sociétés exploitant les C.G.C.A. - Arrêté n°167-98 du 28-091998 fixe les modalités de dépôt et d'instruction des demandes d'agrément des sociétés exploitant les C.G.C.A.
3
4
3
commerciale6. Il a pour fonction principale la centralisation des informations relatives aux entreprises, il
est constitué grâce aux doubles des déclarations remises aux greffiers. Il permet de surveiller la tenue des
registres locaux et de donner aux administrations et aux organismes intéressés les renseignements qui leur
sont nécessaires.
1.1. 2
Affirmation par l’entreprise des démarches concrètes
"Dès lors où on adopte une position négative face à l'informel, le problème est dores et déjà mal posé (...) La question n'est d'y
voir un mal à éradiquer, encore moins un bien qui ne ferait que consacrer des pays comme le Maroc dans leurs situations
actuelles, mais un secteur qui a son importance dans le tissu économique et qu'il faut amener vers le formel" Le témoignage
est de Ahmed Lahlimi Alami, haut commissaire au plan7. Une telle déclaration révèle une prise de
conscience chez les pouvoirs publics de l’ampleur que prend l’informel et la nécessité d’une stratégie de
lutte contre ce phénomène de plus en plus grandissant. Cette prise de conscience est d’autant plus
confirmée par les actions concrètes vis à vis de l’informel. Ces actions peuvent s’analyser comme des
actions de lutte contre certaines formes de l’informel et d’intégration d’autres formes.
1.1.2.1 La lutte contre l’informel : cas de la contrebande
Juridiquement, la contrebande se définit comme étant l’introduction sur le territoire assujetti d’une
marchandise qui n’est pas passée par un bureau de douanes ou qui y a été dissimulée pour ne pas être
aperçue par les agents de douane. Est également contrebande, la non présentation de certaines
marchandises ou de documents justificatifs de leur détention régulière (Louchahi, 2003, 96) (Article 282 du
code des douanes et des impôts indirects). En pratique, la contrebande est largement exercée dans les
zones frontalières du royaume. Ainsi, dans la région de Tanger-Tétouan, elle continue de drainer une part
importante des richesses de la région, elle constitue près de 45% du produit intérieur de la zone (Abjiou,
2004, 56). Cela semble être du, entre autres, au faible développement de ces régions et la séduction
qu’exercent les produits étrangers, souvent d’une qualité meilleure que ceux nationaux et à des prix plus
compétitifs. La contrebande, phénomène en pleine expansion, ne pouvait laisser indifférents les autorités
concernées à savoir l’administration des douanes et des impôts indirects. Celle-ci a entamé une série
d’actions tant sur le plan organisationnel que sur le plan opérationnel. Si la contrebande doit, selon
l’administration des douanes, être éradiquée, certaines activités informelles ne se prêtent pas à la
suppression totale et nécessitent, par contre, une stratégie d’intégration et de restructuration. L’exemple du
commerce ambulant est, à ce niveau, plus qu’édifiant.
1.1.2.2 L’intégration de l’informel : cas du commerce ambulant
La multiplication des marchands ambulants et leur omniprésence dans le décor quotidien des villes sont
telles, que ce phénomène a tendance à s’imposer comme composante fondamentale du paysage de nos
villes. Le commerce ambulant pose actuellement de nombreux problèmes, car ne répondant pas aux
normes en matière d’urbanisme et d’exercice des activités économiques. De là, ses acteurs se trouvent en
conflit, non seulement avec les autorités locales, mais aussi avec les commerçants organisés, avec qui ils
feraient double emploi (Salahdine, 1991). De ce fait, toute stratégie d’intégration devrait tenir compte des
intérêts contradictoires des deux catégories d’acteurs. Dans ce sens, l’Etat a entrepris une série de mesures
qui s’avèrent, cependant, sans grand effet. L’approche sécuritaire étant inadéquate vu que le commerce
informel reste un secteur refuge pour les sans-emploi. Il contribue à atténuer les méfaits du chômage pour
beaucoup de personnes ayant ou non des diplômes. Ainsi, une enveloppe budgétaire qui monte à 105
millions de DH a été allouée au programme de sédentarisation des vendeurs ambulants élaboré en
collaboration avec les walis et gouverneurs. Elle sera consacrée à la construction de 130.000 locaux
commerciaux au profit des commerçants ambulants (Dref, 2009). Mais, encore faut-il que ces locaux
soient accordés aux méritants et ne soient pas abandonnés par les bénéficiaires.
On en conclura que les pouvoirs publics sont fermement déterminés à éradiquer ou intégrer, selon les cas,
le phénomène de l’informel qui constitue un véritable manque à gagner à l’économie structurée. Mais, on
peut légitimement se demander si ces actions, partiellement entamées, peuvent être qualifiées de stratégie
Article 31 du code de commerce tel que modifié par la loi 13-99 portant création de l’office marocain de la propriété industrielle
et commerciale.
7 M.E. Formaliser l’informel. Page consultée le 24/07/2012. http: //www.menara.ma
6
4
de lutte ou d’intégration de l’informel ou s’agit-il simplement de mesures conjoncturelles que le
gouvernement dévoile à l’occasion de certains incidents.
1.2
Existence infirmée
Si à travers le cadre juridique et les démarches concrètes vis à vis de l’informel, on peut espérer l’existence
des stratégies de structuration de l’économie informelle, cette aspiration se trouve démentie par la
tolérance que montre l’Etat à l’égard de certaines activités informelles. D’autant plus que les actions sus
examinés se caractérisent par un fractionnement certain.
1.2.1
Infirmation par la tolérance des pouvoirs publics
Le secteur informel est une réalité sociale, économique et politique dont il faut mesurer la portée sur le
plan de l’emploi, de la production et de la politique. Toute intervention étatique doit prendre en
considération ces dimensions et ne peut, de ce fait, s’inscrire dans une optique purement sécuritaire. De
même, dans certains cas, l’Etat se trouve dans l’impossibilité de circonscrire le phénomène dans sa
globalité.
1.2.1.1 Tolérance choisie
Si l’informel est perçu comme un manque à gagner à l’Etat, une économie en marge de la loi…il ne faut
pas oublier qu’il remplit une fonction sociale, économique mais aussi politique. En effet, les statistiques
montrent que l’informel contribue à 25% dans le PIB. De même, l’emploi dans le secteur informel
représente 48,6% de l’emploi non agricole (hors administrations et collectivités locales) dont 54,9% dans le
milieu rural. Il participe pour 39% à l’emploi non agricole total et pour 20,3% à l’emploi total. La
participation de l'informel à la production nationale est de près de 94 milliards de dirhams (Direction de la
statistique, 2007, 81).
L’informel dispose de larges capacités de régulation sociale en termes d’emploi, de revenus, de
formation…Dans un contexte de crise d’emploi dans le secteur moderne, l’informel qui dispose de marges
importantes de flexibilité peut être le réceptacle des travailleurs débauchés dans le secteur structuré ou en
quête d’un premier emploi (Ammor, 2008). De même, l’économie informelle offre aux consommateurs
des produits et des services à bas prix qui correspondent au pouvoir d’achat d’une large couche de la
société. Ces produits, bien que d’une qualité médiocre, permettent aux consommateurs défavorisés de
subvenir à leurs besoins et d’acquérir des biens auxquels ils n’auraient pas accès dans les circuits formels.
Par exemple, le logement clandestin a permis d’éponger le manque de logements fournis par le circuit
formel.
Devant cette situation, les autorités sont prises dans une contradiction entre le libéralisme et
l’interventionnisme ; d’un côté, elles cherchent à codifier, à normaliser, à légaliser les activités qui
échappent à son contrôle, qui ne payent pas les impôts, ne respectent pas le code du travail, ne répondent
pas aux normes de sécurité et de salubrité et concurrencent les systèmes industriels. Elles prennent ainsi
des mesures de déguerpissement ou d’interdiction d’activités informelles. Mais, d’autre part, elles savent
que se créent à la périphérie des habitats spontanés, des commerces non patentés (Hugon, 1990, 45)…
Dans certains cas, ces activités se multiplient à l’insu de l’Etat et par complicité d’autres acteurs.
1.2.1.2 Tolérance subie
La prolifération de l’informel n’est pas le fruit uniquement de la latitude des autorités. D’autres facteurs
viennent se greffer à celle-ci et qui se rapportent à l’attitude qu’adopte chaque composante sociale face à
l’informel. En effet, certains aspects de l’informel sont encouragés par la complicité collective des
commerçants, des transporteurs, des intermédiaires mais aussi des consommateurs, utilisateurs finaux des
produits informels (Louchahi, 2008, 76).
L’exemple classique est du commerce ambulant. Non seulement les sans emploi y ont recours, mais aussi
les commerçants du secteur structuré mettent sur place un réseau de vendeurs ambulants qui exercent
pour leur compte (Jafry, 2009). Les consommateurs, de leur part, préfèrent s’approvisionner du marché
informel vu les prix compétitifs qu’il offre par rapport aux circuits formels. L’approvisionnement auprès
de l’informel n’est pas propre aux consommateurs. Même certaines entreprises y ont recours en cas de
pénurie. D’autre part, la complaisance et l’indélicatesse de certains agents de l’administration sont
désignées du doigt comme étant la cause principale de propagation de l’informel notamment la
contrebande (Louchahi, 2008, 76). Dans ce sens, un rapport de la banque mondiale sur le développement
5
dans le monde a mis le point sur le fléau de la corruption comme obstacle majeur à la création d’un climat
sain de l’investissement au Maroc (SA, 2009, 68). Il ressort de ce qui précède que la tolérance des pouvoirs
publics à l’égard de l’informel n’est pas toujours un choix stratégique de l’Etat qui essaie de concilier les
intérêts des protagonistes.
1.2.2
Infirmation par la catégorisation des actions gouvernementales
Il n’y a pas à proprement parler de secteur ou d’économie informelle, il y a des pratiques informelles qui
sont présentes à des degrés différents dans tous les pans de la société. Cela ne saurait être sans effet sur les
actions étatiques à l’égard de ce secteur.
1.2.2.1 Les facteurs de la catégorisation
L’économie informelle marocaine a fait preuve d’un dynamisme certain ces dernières années. Les activités
de production de biens et de services et de leur commercialisation n’ont pas cessé de se multiplier,
constituant ainsi une échappatoire à la population défavorisée (Zouiten, 2005, 109). Ces activités sont
diverses et relèvent de plusieurs branches d’activités de commerce d’industrie et de services. Autrement
dit, l’informel englobe toutes les activités non agricoles et non modernes. On y intègre aussi bien le
contrebandier que le cireur de chaussures ou le menuisier à la tête d’une micro entreprise d’une dizaine de
salariés (Sboui, 2008, 31). Devant cette dissimilitude des composantes de l’informel, il apparaît difficile de
cerner le phénomène et de lui proposer, de ce fait, une stratégie de lutte ou d’intégration uniforme. Ainsi,
diverses typologies ont été proposées par les théoriciens et qui tiennent notamment aux caractéristiques
distinctes qui pourraient individualiser chaque catégorie.
On distingue alors les activités de survie caractérisées principalement par la facilité d’accès, l’utilisation des
ressources locales, la quasi-absence de qualification et un marché très ouvert à la concurrence. Les activités
artisanales, quant à elles, nécessitent un minimum de qualification et un capital de départ. La dernière
catégorie, étant les activités transitionnelles, exige une qualification, un capital assez élevé et un esprit
d’entreprise. Ces dernières activités ont de fortes chances de passer à l’économie dite formelle (Salahdine,
2008, 191).
1.2.2.2 Les manifestations de la catégorisation
Il est évident que face à la grande hétérogénéité des activités informelles et leur développement persistant,
l’intervention étatique ne peut qu’être sectorielle. La manifestation la plus éloquente de cette
sectorialisation réside dans la multiplicité des acteurs gouvernementaux ayant compétence en matière
d’économie informelle. On peut citer, entre autres, l’administration des douanes, la direction générale des
impôts, le ministère du commerce et d’industrie, le ministère des finances…Ces autorités interviennent
chacune dans sa sphère d’action et entament des actions de lutte ou d’intégration selon les cas sans
coordination aucune avec les autres autorités. Cette sectorialisation est d’autant plus accrue par la
nécessaire intervention de l’ordre judiciaire dans certains cas pour réprimer les pratiques économiques
frauduleuses (La contrefaçon). Cette intervention est jugée efficace car elle permet la répression pénale des
pratiques informelles et, par là, la mise en œuvre des normes ayant vocation à s’appliquer en la matière
(SA, 2009). Or, l’autre face de la médaille montre l’accumulation d’une intervention étatique
supplémentaire, laquelle, procède d’une logique différente, celle de la répression et de l’application
rigoureuse des lois.
En conclusion de cette 1ère partie, on ne peut que démentir l’existence d’une véritable politique
d’intégration de l’économie informelle au Maroc. Ce constat se dégage de plusieurs raisons d’une part,
l’absence d’actions concrètes qui matérialisent les discours officiels d’intégration et de restructuration de
l’informel et d’autre part la divergence et l’occasionnalisme des campagnes de lutte contre l’informel
menées de temps à autre par les autorités en réaction à certains événements.
2. L’intégration de l’économie informelle : Exigence impérieuse
Durant les premières années de son apparition, l’économie informelle était considérée comme un résidu
des modes de développement qui est appelé à disparaître progressivement. Les intellectuels, les pouvoirs
publics et les organisations internationales avaient tendance à considérer l’informel comme une anomalie
passagère qui s’estomperait dès que les modes de développement atteignent leurs objectifs (Ammor, 2005,
58). Or, force est de constater que loin de disparaître, l’informel ne fait que croître. Les activités de
production des biens et des services et de leur commercialisation n’ont pas cessé de se multiplier,
6
constituant ainsi une échappatoire à la population défavorisée (Zouiten, 2005, 231). Conscients de cela, les
décideurs ne prônent plus l’éradication de l’informel, mais plutôt son intégration. En effet, l’un des grands
problèmes de l’économie informelle réside dans sa faible intégration au tissu économique. La rigidité du
cadre réglementaire et institutionnel est jugée être la première responsable de cette situation. Nombre
d’études soulignent que l’informalité est encouragée par le poids excessif de l’Etat et par une
réglementation souvent impropre et myope eu égard aux réalités locales. Cela étant dit, l’intégration
pourrait s’articuler autour de deux axes principaux. Le premier relatif au dispositif juridique à mettre en
œuvre ou à créer afin de s’adapter aux réalités de l’économie informelle. Ce cadre juridique devrait prendre
en considération les particularités de l’économie informelle en assouplissant les obligations à la charge des
unités de production informelles et aussi en simplifiant les procédures auxquelles ces dernières sont
assujetties. Ce dispositif juridique devrait être renforcé par un cadre institutionnel adéquat. Il est évident
que le succès de tout plan d’intégration juridique est tributaire des structures administratives qui auraient
pour mission d’appliquer ce plan.
2.1
L’intégration par la réglementation
Juridiquement parlant, les micro-entreprises ne font pas l’objet d’une réglementation spéciale. Elles sont
soumises à la même réglementation que la grande industrie mais elles ne peuvent pas bénéficier des
avantages accordés à celle-ci, notamment à cause de la taille des entreprises (Faiblesse du capital et de
l'investissement). L'absence de législation est probablement justifiée par la conviction chez les décideurs
que le secteur moderne finira par absorber totalement le secteur informel (Benzakoure, 2002, 15). Par
conséquent, Toute tentative d’intégration devrait avoir pour fondement les différents textes, lesquels, bien
que ne s’intéressant pas directement à l’économie informelle, pourraient servir de fondement de son
intégration.
2.1.1
Les normes relatives à la protection du consommateur
La protection du consommateur est devenue l’une des préoccupations majeures des législations modernes.
Celles-ci renferment des lois et règlements spécifiques aux transactions entre les professionnels et
consommateurs. Pourtant, dans l’ordre juridique marocain, le droit de la consommation n’est pas une
branche autonome du droit. Les normes relatives à la protection du consommateur puisent leur source
dans des textes épars. Il est souvent fait appel au Dahir des obligations et des contrats, la loi 13-83 relative
à la répression des fraudes, la loi 06-99 sur la liberté des prix et de la concurrence… Si certains
mécanismes sont concrétisés dans l’ordre juridique Marocain à travers des textes juridiques et des
institutions, d’autres sont en cours de devenir une nécessité pour tout opérateur désirant s’ouvrir sur les
marchés extérieurs. Il s’agit plus précisément de la traçabilité et de la normalisation ; la mise en œuvre de
ces deux mécanismes contribuera également à l’intégration de l’informel.
2.1.1.1 La traçabilité, mécanisme d’intégration de l’informel
Dans un contexte de concurrence internationale croissante, la traçabilité ne doit pas être considérée
comme un simple phénomène de mode, mais une nécessité primordiale pour les industriels désirant
opérer sur le marché international. La traçabilité est définie par la norme ISO 9000 comme étant l’aptitude
à retrouver l’historique, la mise en œuvre ou l’emplacement de ce qui est examiné. C’est un procédé dont
l’objectif est de fournir des informations pertinentes aux acheteurs et aux consommateurs ; elle renforce la
sécurité des produits en permettant de suivre des effets à long terme, en facilitant le retrait du marché des
produits susceptibles de présenter un risque (SA, 2009). Par conséquent, les industriels marocains devront
être en mesure d’établir un processus de traçabilité de leurs produits de la matière première jusqu’au
consommateur. Sur un autre plan, celui de l’intégration de l’informel, l’exigence de traçabilité permettrait
l’exclusion du marché de tous les produits dont la chaîne de production et de commercialisation ne peut
être identifiée. Grâce à la traçabilité qui permet l’identification du fabricant, il plus facile de remonter la
chaîne de production et de commercialisation. Certes, les produits commercialisés dans les circuits
informels ou même ceux produits par les unités de production informelles ne portent aucune mention
assurant la traçabilité (Lahlou, 2009, 79).
La traçabilité est assurée grâce aux normes d’étiquetage dont la mission première, outre la formalisation du
marché, est de protéger les consommateurs. Celles-ci trouvent leur fondement, dans l’ordre juridique
7
marocain, dans divers textes notamment la loi 06-99 relative à la liberté des prix et de la concurrence8. Il
est à constater que la dite loi institue l’étiquetage afin d’assurer l’annonce des prix ; son but premier est
d’assurer la transparence du marché et de permettre ainsi le développement de la concurrence. Aussi, le
décret n°2-01-10-16 datant du 4 juin 2002 relatif à l’étiquetage des denrées alimentaires et à leur
présentation indique les mentions obligatoires qui doivent figurer sur les emballages des produits
importés. Ce texte vient en réponse aux inquiétudes développées par l’abondance des produits étrangers
sur le marché national et leurs risques potentiels surtout que le Maroc est signataire d’un certain nombre
d’accords internationaux de commerce.
2.1.1.2 La normalisation, mécanisme d’intégration de l’informel
Dans une première approche, on relève que la normalisation constitue un procédé de développement des
opérations commerciales par l’amélioration des conditions techniques de production et de
commercialisation qui favorise, par là de même, le renforcement des facteurs et des éléments de
concurrence (Alami Machichi Drissi, 2009, 174). Originairement, la normalisation avait pour but principal
d’assurer la compatibilité des produits. Elle servait d’instrument de dynamisation des transactions et
promotion des ventes. En dépit de leur caractère facultatif, les professionnels respectent généralement les
normes car ils y trouvent leur intérêt : un produit conforme aux normes est plus demandé par les
consommateurs (Calais Auloy, 2007, 208).
De nos jours, le respect des normes est devenu aujourd’hui un réel moteur pour l’intégration de
l’économie mondiale. Sur un autre plan, la normalisation ne présente pas moins d’intérêt pour la
protection du consommateur. La dite protection peut être envisagée d’un double point de vue : D’abord,
la normalisation cherche à définir des produits et services conformes aux attentes des utilisateurs, et ne
présentant pas de dangers pour la santé et la sécurité des consommateurs. La conformité d’un produit aux
normes n’est pas un signe de qualité supérieure, elle garantit néanmoins l’aptitude du produit à l’emploi et
sa sécurité (Calais Auloy, 2007, 209). Ensuite, la généralisation de la normalisation implique une restriction
et une élimination des produits et services non normalisés qui deviennent peu offerts ou peu demandés.
Les instances internationales s’efforcent d’unifier et d’imposer des normes techniques de fabrication dans
tous les secteurs afin de lutter contre le phénomène de la contrebande (Alami Machichi Drissi, 2009, 174).
Certes, les biens offerts sur le marché informel sont loin de répondre aux normes aussi bien marocaines
qu’internationales ; les premières sont élaborées et harmonisées aux secondes. Les unités de production
informelles fabriquent leurs produits en l’absence de toute référence à des normes de qualité ou de
sécurité. Seules les connaissances de la main d’œuvre sont employées ; le plus souvent, ces connaissances
sont acquises par voie d’apprentissage.
Il apparaît ainsi que des mécanismes dont le but premier est la protection des consommateurs peuvent
s’avérer d’une grande utilité dans l’intégration de l’informel. Secteur multiforme dont les conséquences
dépassent le contenu, il serait logique de s’appuyer sur divers textes pour l’intégrer. Mais, encore faut il que
ces mécanismes soient mis en œuvre et atteignent leur objectif principal celui de la protection du
consommateur, avant d’être usités à d’autres fins. Le bilan de la pratique de la normalisation au Maroc est
dérisoire : le nombre des normes homologuées depuis 1970 ne dépasse pas 960, les normes ne sont
obligatoires qu’à l’égard de certaines entreprises (Boudahrain, 1999, 151). De même que la traçabilité
demeure une stratégie commerciale plutôt qu’une obligation légale protectrice des consommateurs. Les
entreprises opérant sur les marchés extérieurs assurent la traçabilité de leurs produits en vue de se placer
sur un marché où les consommateurs sont de plus en plus sensibles aux concepts de qualité et de sécurité
des produits.
2.1.2
Les normes relatives à l’organisation de la concurrence
Dans le contexte marocain, l’émergence du droit de la concurrence est relativement récente. Elle fut
matérialisée par la loi du 12 Octobre 1971 sur la réglementation et le contrôle des prix qui fut modifiée et
complétée à maintes reprises jusqu’à son abrogation par la loi 06-99 relative à la liberté des prix et de la
concurrence (Louchahi, 2008, 7). Or, un domaine aussi vaste et diversifié que la concurrence ne peut être
L’article 47 de la loi 06-99 dispose que « tout vendeur de produit ou prestataire de services doit par voie de marquage,
d’étiquetage, d’affichage ou par tout autre procédé approprié, informer le consommateur sur les prix et les conditions particulières
de vente ou de la réalisation de la prestation. Les modalités d’information du consommateur sont fixées par voie réglementaire »
8
8
réglementé par une seule loi ; l’appel à d’autres règles est dès lors indispensable (La loi 17-97 relative à la
protection de la propriété industrielle, le Dahir des obligations et des contrats, le code de commerce…).
2.1.2.1 La protection des droits de propriété intellectuelle pour lutter contre l’informel
La contrefaçon et le piratage, pratiques courantes dans le contexte marocain, sont une tache noire qui
marque l’économie marocaine et la prive d’investissements directs étrangers. Le Maroc, signataire de
l’accord de partenariat avec l’Union européenne et d’un accord de libre échange avec les Etats-Unis ne
peut plus tolérer chez lui un marché informel alimenté par la contrefaçon. Ainsi, le Maroc a-t-il réagi en se
dotant d’une loi moderne visant à atténuer l’ampleur de ce phénomène, soutenu par des réseaux assez
influents, enracinés dans les grandes villes du pays. En effet, la loi 17-97 institue un régime d’interdiction
et d’incrimination de la contrefaçon des créations utilitaires mais aussi des signes distinctifs dont la
marque. Les contrefacteurs se verront appliquer des peines d'emprisonnement variant d'un mois à deux
ans, selon la gravité des délits et les domaines concernés.
Or, dans la pratique, et en dépit de l’arsenal répressif mis en place par la loi 17-97, la contrefaçon demeure
largement pratiquée dans le contexte marocain. La forme la plus courante est la contrefaçon des marques
qui comprend la reproduction de la marque pour des produits et services similaires, l’usage de la marque
reproduite, l’apposition de la marque, l’usage de la marque sans reproduction illicite préalable, l’imitation
de la marque pour des produits identiques ou simplement similaires (Paulaud Dulian, 1999, 935). Celle-ci,
contrairement à la contrefaçon des brevets et des certificats des dessins et modèles industriels, ne nécessite
pas des connaissances techniques, est peu coûteuse et rentable. En atteste le nombre des décisions
jurisprudentielles rendues à l’occasion des litiges opposant des marques en comparaison avec ceux
concernant les brevets. Toutefois, et nonobstant l’arsenal juridique et les conventions auxquelles le Maroc
a adhéré, le piratage est pratiqué à des taux assez élevés (73 % pour le piratage des logiciels et 70 % pour le
piratage audio vidéo) (Gattoui, 2009). Certes, la lutte contre la contrefaçon et la piraterie ne peut se réduire
à une incrimination légale non appliquée sinon appliquée occasionnellement.
2.1.2.2 L’interdiction des pratiques déloyales pour lutter contre l’informel
Le marché informel est un champ florissant d’exercice des pratiques commerciales déloyales. Les
commerçants informels usent et abusent de la concurrence déloyale, des pratiques restrictives de
concurrence (La sous facturation, le stockage clandestin, le refus de vente…). Ces pratiques, bien
qu’expressément interdites par la loi 06-99 et par d’autres textes, sont tellement pratiquées sur le marché
marocain qu’elles en deviennent une caractéristique marquante.
Ainsi, la concurrence déloyale, sous ses diverses formes, est d’abord un fait générateur de responsabilité
civile. Toute entreprise victime d’un détournement de clientèle légitimement constituée peut agir en
responsabilité délictuelle sur la base de l’article 84 du D.O.C ou encore de l’article 185 de la loi 17-97
(Alami Machichi Drissi, 2009, 153). Cependant, il n’est pas toujours aisé d’identifier les entreprises
contrevenantes ; celles-ci s’ingénieront à éviter de laisser de traces, elles changent constamment de raison
sociale. Souvent, le marché est envahi de produits qui ne contiennent aucune indication quant à leur lieu
de provenance. Aussi, certaines pratiques restrictives de concurrence deviennent, dans le marché informel,
un instrument de concurrence que détiennent certaines entreprises au détriment des autres. L’exemple
classique est du stockage clandestin. Il est clair que le stockage de marchandises n’a rien de déloyal, il fait
partie intégrante aux modalités de gestion de l’entreprise. Mais, dès que ce stockage est effectué à des fins
spéculatives ou par des personnes n’ayant pas la qualité de commerçant ou d’artisan, ce stockage se place
sous le signe de la déloyauté et devient répréhensible. Les commerçants informels, non inscrits au registre
du commerce, procèdent au stockage clandestin des marchandises, relatives ou étrangères à leurs activités.
De même, et en dépit de son caractère obligatoire entre professionnels, la facturation n’est pas une
pratique courante chez les commerçants marocains et en particulier les commerçants informels. Le coût
relativement élevé de la facture pour les petites entreprises et l’analphabétisme répandu dans un grand
nombre d’entreprises traditionnelles semblent être les causes principales (Alami Machichi Drissi, 2009, 66).
Certes, la mise en œuvre de l’obligation de facturation pourrait contribuer résolument dans la lutte contre
l’informel. Les opérateurs informels se trouveraient dans l’impossibilité de délivrer des factures en bonne
et due forme conformément aux dispositions de l’article 51 de la loi 06-99. Celui-ci indique les mentions
obligatoires qui doivent figurer sur la facture dont le numéro d’immatriculation au registre du commerce,
numéro d’identification fiscale, numéro d’article à l’impôt des patentes…La facture pourrait alors être
substituée par un ticket de caisse ou tout autre document tenant lieu. Le législateur, tout en tolérant cette
9
pratique dans les relations entre professionnels et consommateurs, ne le permet entre professionnels que
s’il s’agit des règlements mensuels à condition que la facture soit délivrée à la fin de chaque mois. Or, le
législateur aurait dû faire preuve de plus de réalisme en étendant les dispositions de l’article 48 aux
relations entre professionnels. En guise de conclusion, on avancera que l’informel attentatoire à la
concurrence saine et efficace ne peut être lutté que par des règles dont l’objectif est la préservation même
de cette concurrence. Assurément, la mise en œuvre de ces règles est toujours en gestation au Maroc ; la
loi sur la liberté des prix et de la concurrence ne datant que de l’an 2000. S’inspirant largement de
l’ordonnance française du 1er décembre 1986, la loi sur la liberté des prix et de la concurrence pose encore
une fois le problème de transposition des normes dans le contexte marocain caractérisé essentiellement
par la prédominance des petites et moyennes entreprises.
2.2
L’intégration par l’institutionnalisation
Il y a peu de réflexions sur les formes d’intervention institutionnelle en faveur de l’économie informelle et
peu de perspectives stratégiques en la matière. Du fait de son caractère jugé illégal, l’économie informelle
se voit interdire l’accès à plusieurs avantages tels que l’octroi des crédits bancaires, l’accès à certains
marchés publics (Maldonado, 2010). Ces restrictions institutionnelles ne peuvent qu’entraver la promotion
de l’économie informelle et gêner sa tendance vers la formalisation. Par conséquent, l’Etat ne peut se
contenter de réglementer le secteur informel à coup de prescriptions, d’interdits et de répression. Bien au
contraire, il devrait apporter son aide à l’économie informelle, composante dynamique de l’économie
marocaine (Ammor, 2005, 65). Les efforts de l’Etat doivent s’articuler autour de deux axes principaux :
D’abord, la création des structures étatiques qui œuvreraient à faciliter la concertation entre l’Etat d’une
part et les opérateurs informels d’autre part ou encore l’actualisation de certaines instituions, lesquelles de
par leurs attributions sont censées faciliter l’intermédiation entre l’Etat et les opérateurs informels.
Ensuite, le soutien des organismes para-étatiques dont l’action pourrait contribuer à l’intégration de
l’économie informelle. La méfiance que montrent les opérateurs informels à l’égard de toute structure
étatique pourrait être remédiée par la constitution des organismes para-étatique dont le rôle est le soutien
des unités informelles et la contribution à leur conversion vers la formalisation. La prolifération de
l’informel n’étant pas l’affaire exclusive de l’Etat ; la concertation des ONG est dès lors indispensable.
2.2.1
L’institutionnalisation étatique
Les rapports entre l’Etat et les unités informelles sont caractérisés par l’absence d’un cadre institutionnel
ayant spécifiquement compétence en la matière. La multiplicité des acteurs étatiques s’intéressant à
l’économie informelle (Ministère du commerce, ministère de l’intérieur, ministère des finances,
administration des douanes…) accroît la méfiance des opérateurs informels à l’égard de l’Etat et entrave
toute démarche assurant la légalité de leurs activités. D’où l’intérêt de la mise en place d’une institution
ayant compétence exclusive en la matière. Bien que l’économie informelle ne se réduit pas à la micro
entreprise, celle-ci en occupe une place primordiale. Elle fait partie de ce que l’on appelle le secteur
informel de transition dont les composantes ont de fortes chances de passer à l’économie formelle
(Salahdine, 2008). Ce passage serait assuré avec le concours d’une structure administrative ayant
compétence exclusive en la matière. L’agence de promotion des PME est censée remplir ce rôle qui sera
d’autant plus renforcé par une réforme de son statut qui élargirait ses attributions.
2.2.1.1 Le rôle actuel de l’agence de promotion des PME
Conscients de l’importance et du rôle que joue la petite et moyenne entreprise dans la croissance
économique, la création d’emplois et le développement régional et local, les pouvoirs publics n’ont pas
manqué de lui apporter l’appui nécessaire tant sur le plan juridique qu’institutionnel9. Cet appui s’est
matérialisé par l’adoption de la loi 53-00 formant charte de la petite et moyenne entreprise et portant
création de l’agence nationale pour la promotion de la PME. Etablissement public doté de la personnalité
morale et de l’autonomie financière, l’agence est chargée d’une double mission :
- A l’égard de l’Etat : Participer à la mise en œuvre de la politique de promotion et de soutien des PME et
apporter l’assistance technique aux différents départements de l’Etat dans les domaines relatifs à la PME.
9
Préambule de la loi n°53-00 (23 Juillet 2002) formant charte de la petite et moyenne entreprise.
10
- A l’égard des PME : Apporter l’assistance aux PME en termes d’expertise, de formation, d’information
et de concertation avec les autres organismes publics10.
Sur un autre plan, celui du financement, l’agence accorde, au nom de l’Etat des subventions aux PME en
cours de création ou encore celles désirant améliorer la qualité de leurs services et produits11. L’entreprise
bénéficiaire doit remplir un certain nombre de conditions ayant trait notamment au chiffre d’affaires, qui
doit être compris entre dix millions de dirhams et soixante quinze millions de dirhams, et au nombre du
personnel qui doit varier entre vingt et deux cents personnes. Or, le chiffre d’affaires des entreprises
informelles ne dépasse pas 134 885 dirhams par unité (Direction de la statistique, 2007, 44). De même que
l’une des caractéristiques principales des unités informelles est le nombre du personnel ne dépassant pas
dix employés (Abzhad et al., 1999, 355). De même que les avantages prévus sont accordés aux entreprises
à la condition que leur projet d’investissement soit déposé auprès de l’administration qui vérifie sa viabilité,
sa conformité aux conditions arrêtées par la loi. Une telle exigence est dissuasive car non seulement le type
d’activités concernées peut ne pas répondre aux normes d’agrément, mais le surcroît de la lenteur des
procédures administratives pourrait porter atteinte à une activité en cours de maturation (Elalaoui et al.,
2007, 51). Il apparaît ainsi que le rôle de l’agence devrait prendre une nouvelle dimension axée
principalement sur les petites et moyennes entreprises de l’informel qui désirent formaliser leurs activités.
2.2.1.1 Le rôle attendu de l’agence de promotion des PME
Le statut légal d’exercice des activités économiques est régi par un ensemble d’enregistrements
administratifs qui attribuent aux unités économiques la légalité vis-à-vis du système juridique et de
l’administration publique. Ces procédés s’articulent autour de l’enregistrement à la patente, l’inscription au
registre du commerce et l’affiliation à la caisse nationale de la sécurité sociale. Interrogés sur les raisons de
non enregistrement, la plupart des opérateurs informels avancent le manque d’information, la complexité
de la procédure et le coût de l’enregistrement (Direction de la statistique, 2007, 56). D’où l’intérêt de la
mise en place d’une seule instance administrative qui jouerait le rôle d’interlocuteur unique vis-à-vis des
unités économiques.
Les unités économiques de petite ou moyenne taille accompliraient les procédures administratives auprès
de l’agence nationale de promotion de la PME, laquelle œuvrerait d’ailleurs à entreprendre toute action de
sensibilisation, d’information des opérateurs économiques des démarches administratives assurant la
légalité de leurs activités. Le problème d’information est crucial ; souvent de bonnes mesures n’ont pas
d’effet car les personnes concernées ne sont pas au courant. Aussi l’agence devrait apporter son appui au
niveau de la formation ; le petit producteur ou artisan est souvent handicapé par l’ignorance des données
les plus simples en matière de gestion. Or, c’est la connaissance de ces données qui transforme un
artisan/ouvrier en chef d’entreprise (Zouiten, 2005).L’agence pourrait alors concevoir des formations
courtes, adaptées et modulées selon le secteur et les personnes. Cette formation doit essentiellement
revêtir un aspect empirique, doit porter sur un produit ou un secteur bien défini (Ammor, 2005, 66). En
effet, les difficultés auxquelles sont affrontées les unités informelles ne se réduisent pas à un manque de
financement, mais plutôt un manque d’intégration dans le système juridique et institutionnel. C’est ce
manque que l’agence est censée combler en assurant l’intermédiation entre les opérateurs informels et leur
entourage juridico-institutionnel. Les expériences étrangères en la matière, notamment celle égyptienne,
dénotent l’efficience de la mise en place d’une institution, auprès de laquelle les micro-entreprises
effectueront toutes les démarches nécessaires à la légalité de leur activité économique12.
Faire le constat de l’inefficacité du rôle actuel de l’agence nationale pour la promotion de la PME, c’est
aussi s’interroger sur la validité de ce cadre institutionnel ou encore son adaptation aux unités informelles.
La perception que se font les autorités de la PME est très différente du monde des micro-entreprises de
l’informel. Or, certaines de celles-ci présentent de fortes chances de convertibilité en PME. C’est dire que
Les encouragements de l'État, très importants théoriquement, sont mal orientés, mal appliqués voire
inappliqués par ignorance (faiblesse du niveau d'instruction de l'entrepreneur) et par mauvaise
transmission de l'information économique parmi les intéressés.
Article 5 de la loi 53-00 formant charte de la PME.
Article 23 de la loi 53-00 formant charte de la petite entreprise.
12 Il s’agit du centre de développement économique et social auprès duquel les petites et moyens entrepreneurs entreprennent
toutes les démarches nécessaires à la légalité de leurs actions en l’occurrence l’inscription au registre du commerce, le paiement des
impôts…c’est en quelque sorte un guichet unique implanté originairement dans les régions égyptiennes qui connaissent un faible
niveau de développement afin de promouvoir l’investissement dans ces régions.
10
11
11
2.2.2
L’institutionnalisation para-étatique
Face à un secteur aussi vaste et diversifié qu’est l’informel, l’Etat, pour aussi puissant qu’il puisse prétendre
être, ne peut tout faire. La pluriactivité, la segmentarisation de ce secteur le rend immaîtrisable.
De même, la méfiance que montrent les opérateurs informels à l’égard de l’Etat risquerait de réduire la
portée des actions de celui-ci et d’en limiter l’efficacité. Cette méfiance qualifiée par certains auteurs de «
Phobie de l’Etat » amène les opérateurs économiques à soustraire leur activité, même si elle n’a rien
d’illicite, au contrôle et à la surveillance de l’Etat (Kosslas et al., 2008, 22). En effet, le rôle que devrait
jouer les opérateurs para-étatiques serait primordial. Rôle que pourrait assurer les opérateurs informels eux
même ou d’autres acteurs notamment sur le plan financier.
2.2.2.1 l’institutionnalisation interne des opérateurs informels
Les petits producteurs pâtissent surtout de leur isolement, de leur extrême dispersion et de l’absence
d’organisation. Ce manque d’organisation augmente la vulnérabilité des activités informelles et les prive
d’avantages et de droits, auxquels ils auraient facilement accès dans un cadre coopératif ou associatif. Le
groupement des opérateurs informels pourrait revêtir diverses formes et remplir un rôle capital en termes
d’organisation, de représentativité et de soutien aux unités informelles. Or, la constitution et la pérennité
dudit groupement ne sont pas souvent aisées.
2.2.2.1.1
Les formes d’institutionnalisation des opérateurs informels
2.2.2.1.2
Les entraves à l’institutionnalisation des opérateurs informels
Le secteur informel se présente concrètement comme un monde où les identités et les orientations
tendent à devenir fortement individualistes. Cette tendance individualiste nous amène à nous interroger
sur l’organisabilité même de ce secteur jugé être anarchique et démuni de toute forme d’organisation. Or,
la réalité démontre que dans les pays où l’informel prend une expansion considérable, le groupement
devient un intérêt évident aussi bien pour les pouvoirs publics, le secteur structuré que pour le secteur
informel lui-même (Galin, 2003). Dans le contexte marocain, on dénote une absence de toute forme
ostensible d’organisation des opérateurs informels. Le secteur informel est conçu comme un ensemble de
formes d’organisation économiques hétérogènes et multiples.
De même que le regroupement des opérateurs informels prend souvent une forme occulte. Le secteur
informel dit réseauté est constitué par de véritables entités individuelles ou collectives ayant leurs propres
réseaux de production, d’approvisionnement et de distribution. Il a aussi ses ramifications informelles
dans les administrations et dans le secteur financier (Toujgani, 2006, 64). De ce fait, toute politique
d’organisation des opérateurs informels doit être spécifique selon les types d’activités. Elle doit prendre en
compte la très grande hétérogénéité des situations et œuvrer sur le regroupement sur des bases
professionnelles.
Toutefois, il est essentiel de garder sinon de promouvoir le caractère endogène de ces politiques de
regroupement ; il est possible de les inciter, de les accompagner mais non de s’y substituer (Hugon, 1999,
175). C’est dire que le rôle de l’Etat se limiterait à l’incitation et l’appui au regroupement des opérateurs
économiques du secteur informel par type d’activités ou corps de métiers. L'intérêt de ces regroupements
à caractère associatif ou coopératif est double : défendre la profession en interdisant l'accès au métier des
"intrus" non qualifiés, et indirectement défendre le consommateur en assurant une qualification minimum
de chaque entrepreneur en activité. Par ailleurs, ces groupements peuvent jouer le rôle d'une centrale
d'achat des matières premières et de l'équipement, proposer des réformes fiscales à l'État et se constituer
en groupe pour obtenir des contrats d'assurances intéressants pour chaque entreprise. Ces conseils
peuvent également jouer un grand rôle dans la vulgarisation et la diffusion de l'information juridique et
économique (Benzakour, 2008, 89).
En dépit de ses vertus certaines, le regroupement des opérateurs informels demeure un vœu pieux.
Organiser les opérateurs informels est plus facile à dire qu’à faire. Cette situation est animée par plusieurs
raisons dont notamment la prédominance de la compétitivité entre les opérateurs informels aux dépens de
la culture associative et coopérative, la méfiance des opérateurs informels à l’égard de toute forme
d’organisation et le manque d’appui externe à ces regroupements. Primo, en dépit d’une profonde
tradition d’entraide et de solidarité communautaire, la culture associative et le travail collégial n’est pas
chose courante dans le contexte marocain en général et dans le milieu informel en particulier (Ammor,
2005, 85). Les opérateurs informels agissent sans coordination aucune entre eux-mêmes. Ils s’entraident en
12
période de crises et de mutations économiques affectant leurs activités mais sans que cette entraide ne
dépasse le stade de la simple sympathie, animée essentiellement par des considérations sociales plutôt
qu’économiques. Secundo, les unités de production et de commercialisation informelles montrent une
méfiance démesurée à toute forme officielle d’organisation et d’institutionnalisation. Celle-ci étant
synonyme de l’Etat. Les opérateurs informels sont confondus par l’idée selon laquelle toute institution est
de nature étatique. Tertio, ces groupements à titre coopératif ou associatif ont besoin d’être appuyés par
l’Etat afin d’assurer l’efficacité de leurs actions. Cet appui doit avoir lieu en termes de reconnaissance de
leur légalité. Aussi, l’appui de l’Etat doit consister à assurer des formations techniques, juridiques et
commerciales au profit des opérateurs. Même s’il connaît son métier, le petit producteur ou artisan est
handicapé par l’ignorance des données les plus simples en matière de gestion, d’obligations juridiques
(Zouiten, 2005, 232)…
2.2.2.2 L’institutionnalisation externe aux opérateurs informels : Cas des institutions financières
L’institutionnalisation, mécanisme d’intégration de l’informel, ne se limite pas à la création de structures
représentant les intérêts des opérateurs informels ou leur soutien. Loin de là, l’institutionnalisation signifie
l’implication d’autres institutions dont l’action pourrait contribuer résolument à l’intégration de l’informel.
Il s’agit des institutions opérant dans des domaines ayant une importance capitale dans la promotion de
l’informel et de son passage vers la sphère de l’économie formelle. Il en est ainsi des instituions financières
; les circuits formels de financement étant inadaptés au monde de l’informel, on assiste à l’émergence d’un
nouveau type de financement qualifié de semi-formel.
2.2.2.2.1
L’inadaptation des institutions formelles de financement
2.2.2.2.2
L’émergence des institutions semi-formelles de financement
L’inadaptation des circuits formels de financement est due principalement aux difficultés d’accès des
unités informelles au financement formel. L’étude sur le terrain permet de constater que le problème
principal concernant les entreprises du secteur informel est le financement de leurs activités. En premier
lieu, parce qu’il existe une méfiance réciproque entre les opérateurs de l’informel et les circuits de
financement formels de type banque commerciale. Ces dernières considèrent comme trop risqués les
investissements dans les activités informelles tandis que les entrepreneurs des micro-entreprises, souvent
analphabètes, se heurtent à des procédures trop coûteuses et compliquées (Maldonado, 2008, 56). En
effet, Les banques classiques ne connaissent ni les spécificités de chaque activité informelle, ni les
problèmes économiques quotidiens auxquels sont confrontés les entrepreneurs. Elles agissent avec les
micro et petites entreprises comme si elles étaient structurées et capables de présenter un schéma de
financement, de faire des calculs de coût et prix de revient (Benzakour, 2007, 34)... De ce fait, la grande
majorité des micro-entreprises (91,9 %) financent la création de leur activité à partir de fonds propres. Ces
fonds incluent l’épargne personnelle, les emprunts familiaux, les crédits fournisseurs… Aussi, le recours
aux autres formes de financement informel est fort pratiqué par les entrepreneurs informels. Ces formes,
dont les banquiers clandestins ou les usuriers, les opérations pseudo commanditaires, les opérations
pseudo hypothèque immobilière, les associations rotatives d’épargne et de crédit, augmentent la fragilité
des micro-entreprises de l’informel car elles se font à coût élevé. Les taux d’intérêt peuvent atteindre 10 %
sur trois semaines, ce qui représente en termes annuels, quelques 173 % (Mourji, 2005, 105).
Face à l’exclusion des unités informelles des circuits de financement formel et à leur fragilisation par les
systèmes informels en usage, l’émergence des institutions de micro-crédit est perçue comme une
alternative assurant aux micro-entrepreneurs de l’informel des sources pérennes de financement.
En effet, depuis l’expérience pionnière de “Grameen Bank“ au Bangladesh, le micro-crédit a connu un
essor phénoménal et ce de par le monde. Il constitue un instrument d’insertion sociale des personnes
économiquement faibles et de consolidation d’emplois (Ammor, 2006, 51). Au Maroc, la pratique du
micro-crédit fut introduite par certaines ONG avant d’être encadrée légalement avec la promulgation de la
loi 18-97 relative au micro-crédit. Celle-ci fixe les conditions dans lesquelles sont constituées les
associations de micro-crédit qui octroient des crédits n’excédant pas 50000 dirhams dont l’objet peut être,
entre autres, permettre aux personnes économiquement faibles de créer ou de développer leur propre
activité de production ou de service en vue d’assurer leur insertion économique13. Ainsi, les opérateurs
13
Article 2 de la loi 18-97 relative au micro-crédit. Bulletin officiel 1/4/1999
13
informels pourraient bénéficier du financement de leurs activités auprès des associations de micro-crédit
agréées par le ministère des finances.
Contrairement au financement informel qui se fait à des taux assez élevés, le taux d’intérêt maximum
applicable aux opérations du micro-crédit est fixé par arrêté du ministre des finances après consultation du
conseil consultatif du micro-crédit14. Les entrepreneurs informels se verront donc appliquer à leurs crédits
des taux d’intérêt mesurés ; les taux excessifs pratiqués dans les circuits informels de financement
augmentent d’autant plus la vulnérabilité des micro-entreprises. Cependant, les conditions du micro-crédit
ne semblent pas toujours adaptées aux opérateurs de l’informel étant donné que le besoin de capitaux
d’investissement sont beaucoup plus élevés que ceux fournis par les associations du micro-crédit. Souvent
présentée comme un succès au regard de ses acquis notables au fil des dernières années, la profession de la
micro-finance se heurte toutefois, selon les opérateurs, à plusieurs écueils. D’une part, les organismes de
microcrédit, surtout les petits d’entre eux, sont en manque de sources de refinancement, leur accès au
marché financier étant très limité. D’autre part, l’offre en général reste loin de satisfaire une demande de
plus en plus croissante, mais aussi exigeante en termes de souplesse, de coût et de diversification
(Chahboune, 2004, 15).
Il serait donc nécessaire que les opérateurs informels s’organisent et créent leurs propres services
financiers, lesquels auront pour mission de collecter l’épargne des membres et de la leur restituer sous
forme de crédits d’investissement et de fonctionnement destinés à développer leur micro-entreprise
(Zouiten, 2004, 67). Or, ces groupements financiers seraient exposés aux mêmes entraves que les
groupements à caractère associatif ou coopératif. Il apparaît ainsi que l’institutionnalisation de l’économie
informelle dépend essentiellement de l’organisation interne de ses opérateurs. Cette organisation serait
plus ajustée aux besoins spécifiques des unités informelles, lesquels sont méconnus de la part des
institutions aussi bien étatiques que para-étatiques.
Nombreux sont donc les mécanismes juridiques et institutionnels qui peuvent être usités afin d’intégrer
l’informel. Or, la mise en œuvre de ces mécanismes n’est pas souvent une tâche aisée. Ainsi, le droit de la
consommation, dont certaines normes peuvent être d’une grande utilité à la fois pour la protection du
consommateur et l’intégration de l’informel, demeure un vœu des acteurs concernés par la protection du
consommateur notamment le mouvement consumériste. Cependant, l’option du Maroc de s’ouvrir sur les
marchés extérieurs par la signature d’un certain nombre d’accords internationaux de commerce rend
l’adoption d’un droit de la consommation une nécessité imposée par le respect des engagements
internationaux du Maroc. Le droit de la concurrence, quant à lui, est une branche relativement récente
dans l’ordre juridique marocain. Il révèle la volonté du législateur marocain d’assurer un climat d’affaires
rassurant pour les investisseurs étrangers. Il sauve les apparences du Maroc face à ses partenaires
internationaux sans pour autant dénoter la moindre effectivité. Sur le plan institutionnel, la multitude des
autorités ayant compétence directe ou indirecte en la matière est le premier obstacle à combattre pour
encourager la tendance des opérateurs informels vers la formalisation et l’exercice de leurs activités dans la
légalité. Dans ce contexte, l’intégration de l’informel ne serait pas un objectif réalisable à court terme ; elle
dépend essentiellement des mutations qui affecteront aussi bien l’économie marocaine et son entourage
juridico-institutionnel.
Conclusion
Au terme de cette étude, on ne peut prétendre aboutir à une conclusion contenant tous les éléments de
réponse aux questions qui y étaient posées ; de nombreux obstacles s’y opposent. L’hésitation étatique face
à la prolifération de l’informel conduit à la négation de l’existence des politiques d’intégration de l’informel
au Maroc. Toutefois, ce constat pourrait être démenti par l’entreprise des actions éparses d’intégration ou
de lutte contre certaines activités informelles. Ces actions, loin de découler d’une véritable politique
d’intégration de l’informel ne font que compliquer davantage la situation des opérateurs informels et
accroître leur méfiance à l’égard de toute forme d’intervention étatique. A chaque fois qu’il s’agit de lutte
contre l’informel, c’est d’opérations de contrôle et de saisie dont il est question. C’est aussi s’interroger sur
la pertinence d’une telle attitude à l’égard d’un secteur qui constitue un moyen de survie pour une grande
marge de la population. Quel choix entre l’éradication de l’informel et le maintien de la paix sociale ?
Force donc est de constater que l’approche sécuritaire n’est nullement opportune. La lutte contre ce fléau
doit se faire en termes d’intégration moyennant, entre autres, des mécanismes juridiques et institutionnels,
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Article 8 de la loi 18-97 relative au micro-crédit.
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lesquels, bien que leur but premier ne soit pas l’intégration de l’informel, s’avéreraient d’une grande
efficacité en la matière. Le choix du Maroc d’adhérer pour une économie libérale ouverte sur le marché
extérieur rend l’adoption de certaines législations et l’actualisation d’autres une exigence découlant du
respect des engagements internationaux. Autrement dit, au fur et à mesure que s’effectueront les réformes
juridiques nécessaires à l’ouverture du Maroc sur l’économie mondiale et son intégration à la globalisation
de l’économie, aura lieu une intégration progressive de l’informel. C’est dire que si l’économie informelle
s’est installée dans les pays en voie de développement en réponse à un choix maladroit des modèles de
développement, elle sera contrainte à disparaître dès que ces pays atteignent le niveau de développement
souhaité.
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