Actes du colloque « Prévention et gestion des risques

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Actes du colloque
« Prévention et gestion des risques
psychosociaux dans les mutuelles »
Paris, 23 Juin 2010
Colloque animé par Monsieur Gilles BRIDIER avec la participation de :
Maître Jean-Michel MIR, Cabinet Capstan
Monsieur Dominique VACHER, Conservatoire National des Arts et Métiers
Monsieur Jean-Claude DELGENES, Cabinet Technologia
Madame Marie-Christine ARTHUIS, Déléguée interrégionale de l’UGEM
Monsieur Antoine CATINCHI, Directeur général de la MGEFI
Monsieur Philippe GERBET, DRH de la MGEN
Monsieur Eric GEX-COLLET, Directeur général EOVI Mutuelles Présence
Gilles BRIDIER
La prévention et la gestion des risques psychosociaux n’est pas une « mode ». Didier LOMBARD,
ancien directeur de France Telecom, avait eu l’extrême maladresse d’utiliser ce terme pour
désigner les suicides dans son entreprise. Il est ici question de mal-être au travail et de véritables
pathologies.
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Même si les risques psychosociaux n’aboutissent pas toujours, heureusement, à des actes aussi
désespérés qu’à France Telecom ou au Techno-centre de Renault, ils sont désormais pris en
compte par les autorités sanitaires.
Le Ministère du Travail considère ainsi que les risques psychosociaux mettent en jeu l’intégrité
physique et la santé mentale des salariés et nuisent au bon fonctionnement de l’entreprise. Ils
puisent leur origine dans le stress, le harcèlement, l’épuisement et les violences et peuvent
entraîner des pathologies telles que des dépressions, des problèmes de sommeil ou des maux de
dos.
En France, on estime que plus d’un salarsur deux travaille dans l’urgence et qu’un sur trois a
des rapports tendus avec ses collègues ou sa hiérarchie. Selon une étude de la Fondation de
Dublin sur les conditions de travail, 27 % des salariés européens estiment que leur san est
affectée par des problèmes de stress au travail et un salarié sur quatre pense que le stress au
travail affecte ses conditions de vie. Or le stress n’est qu’un des facteurs de risque. Les
conséquences sont humaines, mais aussi économiques.
Selon le BIT, le coût du stress dans les pays industrialisés représente entre 3 % et 4 % du PIB. En
Europe, l’Agence pour la Sécurité et la Santé a démont que le coût du stress d’origine
professionnelle représentait environ 20 milliards d’euros par an. Pour les entreprises, la prise en
compte des risques est donc un devoir moral vis-à-vis des salariés, mais aussi un élément de
management pour une meilleure efficacité économique.
Nous allons approfondir ces sujets avec nos invités : Marie-Christine ARTHUIS, déléguée
interrégionale, administrateur de l’UGEM et directeur des affaires générales de la mutuelle
Harmonie Atlantique, Antoine CATINCHI, directeur général de la MGEFI, Philippe GERBET, DRH de
la MGEN et administrateur de l’UGEM et Eric GEX-COLLET, Directeur général EOVI Mutuelles
Présence et administrateur de l’UGEM. Pour nous éclairer, nous entendrons également des
experts : Jean-Claude DELGENES du Cabinet Technologia, Jean-Michel MIR du Cabinet Capstan et
Dominique VACHER du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) titulaire de la chaire
Hygiène et Sécurité.
Jean-Claude DELGENES, on vous dit proche des syndicats et vous travaillez sur de nombreux
dossiers (France Telecom, Renault Techno-centre, Total Dunkerque, affaire Kerviel). Existe-t-il des
similitudes entre ces dossiers qui traitent tous des risques psychosociaux ? Pourquoi ces risques
sont-ils aussi médiatisés aujourd'hui ?
Jean-Claude DELGENES
« Il est essentiel de fonder la création de richesse sur le moyen et le long
terme, pour permettre la respiration collective, favoriser la convivialité au
sein des entreprises et l’épanouissement professionnel.
La véritable
question est donc celle du mode de gouvernance
»
Dans un premier temps, il convient de replacer la notion de travail dans notre monde quotidien.
Un pays qui met un signe d’égalité entre le travail et la souffrance ou entre le travail et le
chômage va mal. Il est indispensable de ré-enchanter le travail dans les entreprises, ne serait-ce
que parce qu’il est dans l’intérêt des entreprises d’avoir des salariés heureux au travail.
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Le cabinet Technologia a traité 70 cas de crise suicidaire ces cinq dernières années. Ma vision est
donc spécialisée mais peut-être aussi déformée. Mes propos pourront vous paraître durs, mais
sont liés à la position à partir de laquelle je m’exprime.
Cinq facteurs principaux expliquent le problème des risques psychosociaux, dont le premier est la
pression financière. Depuis une vingtaine d’années, la notion d’entreprise a été réduite à celle
d’actif financier à optimiser. Michel AGLIETTA a récemment publié une étude démontrant que
dans les années 70, 10 % des dividendes aux Etats-Unis revenaient aux sociétés financières.
Aujourd'hui, ces dividendes atteignent près de 50 % et la stimulation du cours de bourse crée un
monde de reporting au quotidien le court-termisme l’emporte. Le second facteur est celui des
nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui ont entraîné une
accélération du temps et une perte de repères. Le troisième facteur est la formation du top
management, sélectionné sur la base d’une note obtenue en mathématiques à 18 ans puis
protégé des aléas tout au long de sa carrière. Dans la société actuelle, ce mode de formation est
obsolète et ne permet pas aux dirigeants de connaître les hommes, les bonnes pratiques et
l’entreprise de l’intérieur, ni de prendre des décisions en adéquation avec la culture de
l’entreprise. Le quatrième facteur des risques psychosociaux est le consumérisme, marqué par
une gradation du rapport client-consommateur-salarié. Enfin, les acteurs de la régulation, DRH,
syndicats et médecins du travail, se sont affaiblis.
L’ensemble de ces facteurs entraîne un rétrécissement des espaces d’épanouissement
professionnel pour les salariés. Il est complexe, dans un tel contexte, de traiter le problème. Pour
les acteurs de la mutualité, la problématique est plus simple car moins soumise au court-
termisme. Il est essentiel de fonder la création de richesse sur le moyen et le long terme, pour
permettre la respiration collective, favoriser la conviviali au sein des entreprises et
l’épanouissement professionnel. La véritable question est donc celle du mode de gouvernance. En
France, les salariés sont très attachés à leur travail. Il faut savoir profiter de cette richesse et leur
permettre de donner le meilleur d’eux-mêmes, en évitant la judiciarisation des relations sociales.
Je conclurai sur le retard de la France dans le traitement de la problématique des suicides.
120 000 tentatives sont dénombrées chaque année, dont 12 000 aboutissent, soit deux fois plus
que dans les autres pays européens. Sur ces 12 000 tentatives abouties, 40 % sont des récidives
que nous sommes dans l’incapacité de prévenir. Or les cidives alimentent le moteur de
l’imitation sociale. C’est une problématique qu’il faut approfondir pour éviter d’alimenter la
mélancolie ambiante et favoriser le retour de la convivialité dans les entreprises.
Gilles BRIDIER
Quelle est l’attitude des syndicats face à ces problèmes et aux DRH ?
Jean-Claude DELGENES
Le risque psychosocial ne peut s’objectiver sans prendre en compte le ressenti des salariés. La
problématique doit donc être traitée avec l’ensemble des acteurs concernés. Il importe de unir
les syndicats et les DRH autour d’une même volonté d’améliorer les conditions de travail et de
favoriser l’implication des salariés. C’est sur cette base que peut être construites l’évaluation des
risques professionnels imposée par la loi et des voies de renforcement de la cohésion sociale dans
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l’entreprise. L’absence des salariés aux négociations risquerait d’entraîner des réponses à
l’enquête d’évaluation des risques conformes aux attentes supposées de la direction, avec un
biais statistique dangereux. C’est ce que j’appelle le « syndrome de Gorbatchev ». Il faut donc
donner la parole aux salariés et faire en sorte que chacun s’exprime librement pour pouvoir
objectiver la situation et construire des plans d’amélioration de la compétence globale.
Gilles BRIDIER
Jean-Michel MIR, vous accompagnez les négociateurs dans le traitement de la problématique des
risques psychosociaux. Quelle est votre position et quel accompagnement proposez-vous ?
Jean-Michel MIR
« Les techniques de management étant reconnues comme pouvant être
pathogènes, la responsabilité directe de l’entreprise est engagée. Dès que
la problématique de harcèlement se pose dans une entreprise, par exemple,
la responsabilité de l’employeur est reconnue »
Sur le plan juridique, il convient de distinguer deux aspects : d’une part, le stress, d’autre part, le
harcèlement moral et la violence au travail. Cette distinction se traduit dans les textes négociés
récemment. Les partenaires sociaux se sont approprié le sujet pour trouver un consensus et
mettre en place des accords professionnels sur ces deux aspects et des thodologies de
prévention.
Dès 1989, une directive européenne indiquait que l’amélioration de la santé ne peut pas être
contrainte par des considérations purement économiques. Il est alors essentiellement question
de santé physique. La France s’est ensuite approprié le sujet : la loi de janvier 2002 sur les
relations sociales introduit la notion de prévention de la santé mentale et la définition du
harcèlement moral. Les partenaires sociaux tentent de traiter les deux problématiques, stress et
harcèlement, au niveau européen.
L’accord interprofessionnel sur le stress de juillet 2008 et l’accord interprofessionnel de mars
2010 sur la prévention du harcèlement et des violences au travail fixent un cadre juridique. Il en
ressort un consensus sur l’existence d’un problème, la nécessité de mettre en place une
méthodologie de prévention et des recommandations. L’accord du 26 mars 2010 recommande
par exemple d’adopter une charte de référence sur le traitement des problématiques de
harcèlement et de stress au travail. Il ne découle de ces accords aucune obligation de négocier
dans les branches professionnelles ou dans l’entreprise, à charge pour chaque branche de
s’approprier le sujet pour élaborer un accord cadre.
Un échange important sur le sujet a été initié par le Ministère du Travail fin 2009, lorsqu’il a
enjoint les entreprises d’engager des négociations et de les avancer suffisamment au
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février 2010. Cette initiative se poursuit sous la forme d’une capitalisation des bonnes
pratiques issues des accords collectifs afin de construire un référentiel.
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Gilles BRIDIER
Dans un cadre juridique n’incluant pas d’obligation de négocier, quelle est la responsabilité légale
des employeurs ?
Jean-Michel MIR
L’entreprise reste soumise à l’obligation pleine et entière, au titre des articles L.4121 du Code du
travail, d’assurer la santé physique et mentale de ses salariés. L’obligation initiale de prévention
se traduit désormais par une obligation de résultat. Dans les arrêts amiante de 2002, la Cour de
Cassation définit cette obligation comme telle. L’employeur doit s’assurer que les produits et
techniques utilisés ne sont pas nocifs pour la santé physique et morale des salariés. Les
techniques de management étant reconnues comme pouvant être pathogènes, la responsabilité
directe de l’entreprise est engagée. Dès que la problématique de harcèlement se pose dans une
entreprise, par exemple, la responsabilité de l’employeur est reconnue. Quand bien même il
aurait mis en place les moyens de prévention disponibles et pris des mesures correctives pour
faire cesser le harcèlement, il est tenu responsable du fait commis. Tout constat de cas de
harcèlement conduit donc à reconnaître la responsabilité civile de l’entreprise.
Gilles BRIDIER
Le préjudice d’anxiété a été reconnu en mai 2010 par la Cour de Cassation. Quelle est sa portée ?
Jean-Michel MIR
On peut se demander s’il marque une étape supplémentaire ou reflète la volonté de la Cour de
Cassation de pondérer son jugement. Quoi qu’il en soit, le préjudice d’anxiété est désormais
reconnu et important. Dans le cadre d’une exposition prolongée à un risque avéré, chacun est
susceptible de l’invoquer.
Gilles BRIDIER
Quel modèle de négociation conseilleriez-vous aux employeurs ?
Jean-Michel MIR
Il n’existe pas d’obligation de négocier sur le sujet, mais l’utilité des négociations est claire : il
s’agit d’obtenir un consensus avec les représentants du personnel. Je recommande aux
entreprises de aliser un diagnostic préalable de la situation, de se fixer un objectif et de finir
une méthodologie pour l’atteindre. Ce diagnostic permet de lancer le débat et d’enrichir l’objectif
et la méthodologie envisagée par les visions complémentaires des représentants syndicaux et du
personnel.
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