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Le cabinet Technologia a traité 70 cas de crise suicidaire ces cinq dernières années. Ma vision est
donc spécialisée mais peut-être aussi déformée. Mes propos pourront vous paraître durs, mais
sont liés à la position à partir de laquelle je m’exprime.
Cinq facteurs principaux expliquent le problème des risques psychosociaux, dont le premier est la
pression financière. Depuis une vingtaine d’années, la notion d’entreprise a été réduite à celle
d’actif financier à optimiser. Michel AGLIETTA a récemment publié une étude démontrant que
dans les années 70, 10 % des dividendes aux Etats-Unis revenaient aux sociétés financières.
Aujourd'hui, ces dividendes atteignent près de 50 % et la stimulation du cours de bourse crée un
monde de reporting au quotidien où le court-termisme l’emporte. Le second facteur est celui des
nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui ont entraîné une
accélération du temps et une perte de repères. Le troisième facteur est la formation du top
management, sélectionné sur la base d’une note obtenue en mathématiques à 18 ans puis
protégé des aléas tout au long de sa carrière. Dans la société actuelle, ce mode de formation est
obsolète et ne permet pas aux dirigeants de connaître les hommes, les bonnes pratiques et
l’entreprise de l’intérieur, ni de prendre des décisions en adéquation avec la culture de
l’entreprise. Le quatrième facteur des risques psychosociaux est le consumérisme, marqué par
une dégradation du rapport client-consommateur-salarié. Enfin, les acteurs de la régulation, DRH,
syndicats et médecins du travail, se sont affaiblis.
L’ensemble de ces facteurs entraîne un rétrécissement des espaces d’épanouissement
professionnel pour les salariés. Il est complexe, dans un tel contexte, de traiter le problème. Pour
les acteurs de la mutualité, la problématique est plus simple car moins soumise au court-
termisme. Il est essentiel de fonder la création de richesse sur le moyen et le long terme, pour
permettre la respiration collective, favoriser la convivialité au sein des entreprises et
l’épanouissement professionnel. La véritable question est donc celle du mode de gouvernance. En
France, les salariés sont très attachés à leur travail. Il faut savoir profiter de cette richesse et leur
permettre de donner le meilleur d’eux-mêmes, en évitant la judiciarisation des relations sociales.
Je conclurai sur le retard de la France dans le traitement de la problématique des suicides.
120 000 tentatives sont dénombrées chaque année, dont 12 000 aboutissent, soit deux fois plus
que dans les autres pays européens. Sur ces 12 000 tentatives abouties, 40 % sont des récidives
que nous sommes dans l’incapacité de prévenir. Or les récidives alimentent le moteur de
l’imitation sociale. C’est une problématique qu’il faut approfondir pour éviter d’alimenter la
mélancolie ambiante et favoriser le retour de la convivialité dans les entreprises.
Gilles BRIDIER
Quelle est l’attitude des syndicats face à ces problèmes et aux DRH ?
Jean-Claude DELGENES
Le risque psychosocial ne peut s’objectiver sans prendre en compte le ressenti des salariés. La
problématique doit donc être traitée avec l’ensemble des acteurs concernés. Il importe de réunir
les syndicats et les DRH autour d’une même volonté d’améliorer les conditions de travail et de
favoriser l’implication des salariés. C’est sur cette base que peut être construites l’évaluation des
risques professionnels imposée par la loi et des voies de renforcement de la cohésion sociale dans