Cas clinique Journal Marocain des Sciences Médicales 2014, Tome XIX ; N°3 METASTASE ATYPIQUE DU CANCER DU REIN AU NIVEAU DU SCALP. A PROPOS D’UNE OBSERVATION ET REVUE DE LA LITTERATURE. Z. Bouabdallah1, A. Bouchaouch2, I. Bouchaouch3, A.Nfifakh1, M. Rahmani1, H. El Sayegh1, A. Iken1, L. Benslimane1, Y. Nouini1. 1. Service d’urologie A, Hôpital Ibn Sina, Rabat. 2. Service de neurochirurgie, Hôpital Ibn Sina, Rabat. 3. Service de chirurgie plastique, Hôpital Ibn Sina, Ra RESUME : Key words : renal cancer ; metastasis ; scalp. Les métastases cutanées du carcinome à cellules rénales (CCR) surviennent dans 3% à 6% des cas avec environ une trentaine de cas de métastases au niveau du cuir chevelu rapportées dans la littérature. Elles peuvent être révélatrices ou survenir à un stade avancé de la maladie métastatique et sont de mauvais pronostique. Nous rapportons le cas d’une patiente de 51 ans traitée 9 mois auparavant pour un cancer rénale par néphrectomie élargie gauche et hémi-colectomie et qui s’est présentée pour une masse pariéto-occipitale dont l’étude histologique après exérèse chirurgicale a objectivé une métastase d’un CCR avec composante sarcomatoïde.Ces métastases peuvent survenir plusieurs années après le diagnostic initial et peuvent se présenter sous de nombreuses formeset imiter de nombreuses autres affections dermatologiques. Il est donc important non seulement pour l'urologue, mais également pour les médecins généralistes et les dermatologues d’être vigilant devant toute nouvelle lésion cutanée chez un patient traité pour cancer du rein. INTRODUCTION : Le cancer du rein est situé au troisième rang des cancers urologiques et représente 3 % des cancers de l’adulte. Il est caractérisé par une évolution clinique imprévisible. Approximativement un tiers des patients sont déjà métastatiques au moment du diagnostic [1, 2]. Les sites métastatiques habituels sont les poumons, le foie, l’os, le cerveau et les surrénales mais le cancer du rein et plus précisément le carcinome à cellules claires peut métastaser à n’importe quel organe [3]. Des métastases ont été rapportées au niveau du tube digestif, des organes génitaux, des muscles, du cœur, du cou, des seins et de la peau [1]. Les métastases au niveau du scalp sont très rares avec moins de 30 cas rapportés dans la littérature [4]. Nous rapportonsune observation originale d’une métastase isolée au niveau du cuir chevelu d’un carcinome rénal à cellules claires chez une femme de 51 ans avec une revue de la littérature. Mots clés :cancer du rein ; métastase ; scalp. OBSERVATION : ABSTRACT : Atypical metastasis to scalp of renal cancer. A case report and litterature revue. Skin metastasesfromrenalcellcarcinoma (RCC) occur in 3% to 6% withapproximatelythirty cases of scalp metastasisreported in literature. Theycanoccurat an advanced stage of metastaticdisease and are with a poorprognostic. We report the case of a 51 yearsold patient treatedninemonthsearlier for a kidney cancer by enlargednephrectomy and lefthemicolectomywhichispresented for a parietal occipital mass whichhistologicalexaminationaftersurgicalresectiono bjectified a metastasis of RCC withsarcomatoid component. Thesemetastasesmayoccurmanyyearsafter the initial diagnosis, canbe in manyforms and mimicother skin conditions. It istherefore important not onlyfor the urologist, but also for generalpractitioners and dermatologists to be vigilant for any new skin lesion in a patient treated for kidney cancer. M. B.Z, âgée de 51ans, ayant comme antécédent une néphrectomie totale élargie avec hémi colectomie gauche pour un cancer du rein. A l’étude histologique il s’agissait d’un carcinome rénal à cellules claires du rein gauche grade III de Führmaninfiltrant la surrénale ainsi que la paroi colique gauche avec la présence de foyers sarcomatoïdes. Elle a été revue en consultation 9 mois après pour une lésion du cuir chevelu occipital, évoluant depuis 3 mois et augmentant progressivement de volume. A l’examen clinique il s’agissait d’une masse pariéto-occipitale du cuir chevelu, mesurant 10x5cm, de la couleur de la peau, fixe par rapport à la voute, indolore et saignant (figure 1). 33 Cas clinique Journal Marocain des Sciences Médicales 2014, Tome XIX ; N°3 Figure 3a Figure 1 : Aspect clinique de la masse. Il n´y avait pas de pouls ou de thrill à la palpation. Les ganglions régionaux n’étaient pas palpables. Une tomodensitométrie complétée par une imagerie par résonnance magnétique cérébrale ont objectivé un processus lésionnel expansif de 10.5cm x 5.5cm x 5.5cm au niveau des parties molles pariétooccipitales bilatérales à prédominance gauche se rehaussant de manière hétérogène après injection de produit de contraste et renfermant des foyers de nécrose en faveur d’une localisation secondaire de la voute et du cuir chevelu sans extension encéphalique (figures 2 et 3). Figure 3b Figure 3 : Imagerie par résonnance magnétique du processus lésionnel. (a) coupe transversale (b) coupe sagittale. Figure 2 : Image scannographique de la lésion. Le scanner thoraco-abdomino-pelvien ne montrait pas de récidive locale ou d’autres localisations à distance. La patiente a subi une exérèse large mais incomplète de la tumeur en raison d’une infiltration duremérienne avec un lambeau de recouvrement.L’examen anatomopathologique a confirmé la métastase d’un carcinome rénale à cellules claires avec une composante pseudosarcomatoïde. Les limites latérales étaient saines mais la limite profonde arrivait au contact de la lésion.La lésion a récidivé et la patiente est décédée 4 mois après. DISCUSSION: Le carcinome rénal à cellules claires peut récidiver chez 20 à 40% des patients traités par néphrectomie pour une maladie cliniquement localisée et la plupart des récidives surviennent au cours des trois premières années [5] même si des récidives tardives 34 Cas clinique Journal Marocain des Sciences Médicales 2014, Tome XIX ; N°3 peuvent survenir 10 ans ou plus après le diagnostic initial. Le taux de récidive tardive est estimé à 11%. Il a même été rapporté un cas de récidive 45ans après la néphrectomie [4]. Dans notre cas il s’agissait d’une métastase de survenue précoce.Les sites habituels de récidive sont les poumons (75%), les ganglions lymphatiques locaux, l’os, le foie, le cerveau et le rein controlatéral avec environ 2% à 10% des patients qui développent des métastases surrénaliennes [4]. Les métastases cutanées sont rares. Elles ne se voient que dans 10% des carcinomes viscéraux. Il s’agit le plus souvent de cancers mammaires (50%), bronchiques ou de mélanomes et plus rarement d’un cancer du rein qui ne représente que 6.8% [6, 7]. Le tronc et l’abdomen sont les plus touchés alors que la face et le cuir chevelu sont les moins atteints [4]. Ces métastases surviennent plus fréquemment chez les hommes et se voient aux stades avancés de la maladie dans un contexte multi-métastatique le plus souvent mais peuvent être isolées dans 1.6 à 3.6% des cas seulement [2, 8]. Chez notre patiente la métastase était isolée et apparue six mois après la néphrectomie. Les métastases au niveau du cuir chevelu résultent d’une dissémination hématogène en raison de la vascularisation riche de la région [4]. Cette dissémination peut se faire via une invasion des veines vertébrales (ou plexus de Batson) qui avec leur faible pression et l'inversion de la circulation conduisent à la localisation préférentielle dans la colonne vertébrale, la thyroïde et le système nerveux centra, ce qui peut expliquer les métastases au niveau de la tête et du cou. De même une petite embolie métastatique peut passer à travers une communication inter-auriculaire infra clinique ou peut ne pas être filtrée par les poumons [9]. Le diagnostic des métastases cutanées du CCR peut être difficile car la présentation de la métastase peut imiter d'autres lésions dermatologiques tels que les angiomes, les dermato-fibromes, le cylindrome, les kystes cutanés, le granulome pyogénique, le sarcome de Kaposi, les lymphomes cutanés et les réactions xantho-granulomateuses [10]. Cependant, les métastases du CCR sont fréquemment très vascularisés et pulsatiles et le clinicien doit avoir une suspicion chaque fois qu’il y a apparition d'une nouvelle lésion cutanée chez un patient ayant une tumeur rénale associée[9]. Toutefois, le diagnostic repose sur la biopsie exérèse ou la biopsie à l’aiguille. Histologiquement, les métastases peuvent ressembler à la lésion primaire mais sont le plus souvent mal différentiées. Les cellules ont tendance à être claires, de coloration pâle et remplies de lipides et de glycogène intra-cytoplasmique enclavés dans un stroma fibreux très vascularisé [11]. L’immunohistochimie montre une positivité aux marqueurs épithéliaux, à la kératine, à l’antigène de la membrane épithéliale, à l’antigène carcinoembryonnaire et à la vimentine [10]. Le traitement repose sur l’exérèse et peut être curatif en cas de lésion unique ou palliatif en cas de maladie métastatique disséminée. L’excision chirurgicale des métastases cutanées du CCR permet une survie durable sans progression. Ainsi, l'excision des lésions métastatiques solitaires du CCR survenant après la néphrectomie donne des taux de survie de 41% à 2 ans et 13% à 5 ans, tandis que les patients présentant des métastases multiples au moment du diagnostic auraient 0 à 7% de survie à 5 ans [12]. Et si dans le passé, les options thérapeutiques efficaces pour le CCR disséminé étaient limitées et que traditionnellement le CCR était décrit comme étant radio-résistant. Il est cependant actuellement prouvé que la radiothérapie peut aider à dévasculariserla lésion et peut même entrainer une réduction partielle du volume tumorale si onaugmente la fraction de dose délivrée à la lésion de 180-200 cGy [12].Un seul cas a été rapporté de métastase du cuir chevelu ayant répondu complètement à la radiothérapie hypo-fractionnée en combinaison avec le sorafenib [13]. La radiothérapie peut aussi être utilisé comme un traitement palliatif des lésions cutanées et si nécessaire en combinaison avec l'excision [4]. Du point de vue chimiothérapie, le cancer du rein est chimio résistant et les résultats avec le 5fluorouracile n’ont pas été satisfaisant avec des taux de réponse partielle maximale de 5 à 20% [14]. Ainsi jusqu'en 2006, les thérapies systémiques principales pour le cancer du rein métastatique ont été l’interféron-α et l'interleukine-2 mais depuis, plusieurstraitements anti-angiogéniquesparmi eux ceux ciblant les récepteurs du facteur de croissance endothélial vasculaires, les anticorps monoclonaux anti facteur de croissance vasculaire ainsi et les analogues de la rapamycineont montré une activité anti-tumorale et un bénéfice clinique chez les patients avec des métastases du CCR [12].Enfin, un seul cas de régression spontanée complète d'une métastase du cuir chevelu d’un CCR a été rapporté par Chang et al [15]. Dans notre cas la tumeur n’était pas complétement extirpable et la patiente n’avait pas les moyens de se procurer un traitement anti-angiogénique. CONCLUSION : Nous avons présenté un cas inhabituel d'une métastase au niveau du cuir chevelu d’un carcinome rénal à cellules claires. Et si le carcinome rénal métastatique au scalp est rarement cliniquement suspecté, il est important que les médecins doivent être conscients de cette entité qui peut métastaser à n’importe quel organe y compris la peau. Ceci dit le pronostic reste pauvre malgré le traitement. 35 Cas clinique Journal Marocain des Sciences Médicales 2014, Tome XIX ; N°3 REFERENCES 1. Vidart, A., K. Fehri, and C. Pfister, [Unusual 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. metastasis of renal carcinoma]. Ann Urol (Paris), 2006. 40(4): p. 211-9. Pan, D., et al., Isolated scalp nodule in patient with undiagnosed RCC. ScientificWorldJournal, 2006. 6: p. 2430-2. Terada, T., Cutaneous metastasis of renal cell carcinoma: a report of two cases. Int J Clin Exp Pathol, 2012. 5(2): p. 175-8. Smyth, L.G., R.G. Casey, and D.M. Quinlan, Renal cell carcinoma presenting as an ominous metachronous scalp metastasis. Can Urol Assoc J, 2010. 4(3): p. E64-6. Chin, A.I., et al., Surveillance strategies for renal cell carcinoma patients following nephrectomy. Rev Urol, 2006. 8(1): p. 1-7. Paez Borda, A., et al., [Cutaneous and gynecologic metastases disclosing renal-cell carcinoma: the diagnostic and therapeutic implications]. Arch Esp Urol, 1992. 45(4): p. 341-5. Barry Delongchamps, N., et al., [Renal cancer presenting as an isolated cutaneous metastasis]. Prog Urol, 2004. 14(4): p. 538-9. Porter, N.A., H.L. Anderson, and S. Al-Dujaily, Renal cell carcinoma presenting as a solitary cutaneous facial metastasis: case report and review of the literature. Int Semin Surg Oncol, 2006. 3: p. 27. 9. Snow, S., et al., Renal cell carcinoma metastatic to the scalp: case report and review of the literature. Dermatol Surg, 2001. 27(2): p. 192-4. 10. Garcia Torrelles, M., et al., [Cutaneous metastases of renal cell carcinoma]. Actas Urol Esp, 2007. 31(5): p. 556-8. 11. Peris, K., et al., Unusually large cutaneous metastases of renal cell carcinoma. Acta Derm Venereol, 2001. 81(1): p. 77-8. 12. Anzalone, C.L., et al., Mohs surgery in metastatic cancer: renal cell carcinoma solitary cutaneous metastasis and visceral tumor metastases to skin treated with microscopically controlled surgical excision. Int J Dermatol, 2013. 13. Gay, H.A., et al., Complete response in a cutaneous facial metastatic nodule from renal cell carcinoma after hypofractionated radiotherapy. Dermatol Online J, 2007. 13(4): p. 6. 14. Pritchyk, K.M., et al., Metastatic renal cell carcinoma to the head and neck. Laryngoscope, 2002. 112(9): p. 1598-602. 15. Chang, K.C., K.L. Chan, and C.W. Lam, Spontaneous regression of renal cell carcinoma metastases. Hong Kong Med J, 1999. 5(1): p. 72-75. 36