MASTER I ECONOMIE ET GESTION Spécialité Management des

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MASTER I ECONOMIE ET GESTION
Spécialité Management des Organisations de la Net-Economie
Module UE2-2
Le contrôle de direction appliqué au management interculturel
INTRODUCTION
1. LES METHODES CLASSIQUES D'ORGANISATION ET DE CONTROLE
2. ORTHOPEDIE ORGANISATIONNELLE ET EMERHGENCE DE LA CULTURE DU RESULTAT
3. VERS UNE CULTURE DU RESULTAT, UN CHANGEMENT DE CIVILISATION ?
4. POUR UN CONTROLE DE DIRECTION ORIENTE SUR LE MANAGEMENT INTERCULTUREL
Auteur : M. Ramdane Mostefaoui
: [email protected]
CONTROLE DE DIRECTION ET MANAGEMENT
INTERCULTUREL
Le contrôle de direction
appliqué au management
interculturel
INTRODUCTION
Le SENS donné aux concepts de contrôle, de performance et de responsabilité diffère
selon les cultures.
Ils revêtent des connotations négatives ou positives suivant les sociétés.
De la même façon, les problèmes de régulation des comportements et de coordination
se posent différemment suivant les cultures, les civilisations et les niveaux de
développement économique…
Ainsi, dans les sociétés occidentales, le passage d‛une économie de masse à une
économie de variété a rendu obsolètes les modèles tayloriens et bureaucratiques sur
lesquels s‛est appuyée la révolution industrielle.
Des phénomènes extraordinairement identiques se produisent dans des pays en voie de
développement, comme l‛Algérie qui ont adopté des institutions (North, 1990) et
organisé des activités industrielles et/ou administratives sous les modèles évoqués
précédemment (Mostefaoui, 2007, 2008).
Dans les pays ouverts à l‛économie de marché, la réussite des entreprises n‛est plus
fondée sur la production ou la vente de biens et de services standardisés, mais sur la
capacité à offrir des biens et des services « sur mesure ».
Dans la nouvelle civilisation, ce n‛est plus au consommateur de s‛adapter au produit
comme c‛est le cas dans les économies administrées ; c‛est tout au contraire à
l‛entreprise de réajuster continuellement son offre pour garder ses clients.
La globalisation des marchés a rendu la tâche encore plus difficile ; d‛où la nécessité
pour ces entreprises de révolutionner leurs méthodes de direction et de contrôle pour
sortir de l‛impasse et dépasser les effets contre-productifs du modèle fondé sur la
logique de la prescription et de l‛obéissance et aller vers un modèle plus favorable à la
créativité et à l‛innovation.
Une véritable révolution managériale fondée sur la créativité et l‛autonomie des
acteurs locaux est nécessaire pour permettre d‛introduire ou de réintroduire la
souplesse nécessaire dans les rouages des machines gestionnaires trop complexes.
L‛adaptabilité aux contextes culturels locaux est à ce prix.
Dans cette perspective, le rôle des dirigeants est décisif.
Ce qui implique de faire évoluer ce rôle.
Les compétences interculturelles nécessaires à cette évolution doivent être acquises et
traduites quotidiennement dans les pratiques managériales de ces dirigeants.
LES METHODES CLASSIQUES D'ORGANISATION ET DE CONTROLE
Les méthodes issues du taylorisme et du fordisme ont permis une baisse considérable
des coûts de revient tant par l‛amélioration de la productivité que par l‛utilisation d‛une
main d‛œuvre peu ou pas qualifiée.
Taylor (1957) et Ford (1927) ont contribué significativement au passage du travail
artisanal au travail industriel, à la production en série.
En effet, le contrôle opérationnel issu des principes tayloristes, en découpant le travail
en gestes élémentaires et en poussant jusqu‛aux moindres détails l‛analyse du contenu
des postes et le chronométrage des temps a permis une meilleure organisation et la
suppression des mouvements inutiles.
De la même façon, les normes du contrôle opérationnel issues du fordisme ont permis la
standardisation de la production et le principe de la chaîne de continue dans
l‛automobile.
Parallèlement à ce mouvement de rationalisation des activités de production (connu
sous le nom d‛Organisation Scientifique de Travail, OST), s‛est développé un autre
courant de normalisation des fonctions de direction des entreprises désigné sous le
vocable d‛OAT (pour Organisation Administrative du Travail).
L‛OAT a été marqué par les travaux de Fayol (1956). Fayol s‛est intéressé à l‛étude des
structures formelles de l‛organisation et à l‛analyse de la fonction de direction en
fondant sur sa propre expérience à la tête d‛une compagnie minière.
Ces auteurs partageaient la même croyance : l‛existence d‛une « bonne » façon
d‛organiser et de diriger les entreprises ; pour cela, il suffirait d‛appliquer des
principes valables en toutes circonstances qu‛ils se sont appliqués à expliciter.
L‛idée de base commune a été de considérer que grâce aux moyens illimités de la
science, il serait possible d‛organiser de façon scientifique, rationnelle une entreprise
ou toute autre entité sociale ; pour lui permettre d‛atteindre le meilleur résultat
compte tenu des contraintes.
Dans cette représentation, la science permet de trouver la meilleure façon d‛organiser
tous les moyens y compris les ressources humaines.
Cette conception s‛appuie principalement sur deux postulats :
●
●
le postulat du « one best way », postulat selon lequel il existerait pour toute
activité une façon optimale et une seule de s‛y prendre. Dans cette perspective,
l‛organisation est conçue comme une mécanique, un agencement de postes de
travail dont on peut décrire et normaliser les tâches de manière scientifique. Il
suffirait pour cela de mettre en place des dispositifs de contrôle appropriés et
de sélectionner de bons candidats suivant des profils de postes soigneusement
élaborés par des spécialistes, de sorte que les tâches soient exécutées de la
meilleure manière possible.
le 2ème postulat correspond à la théorie de l‛homo-économicus, représentation
selon laquelle l‛individu au travail est traité comme un être interchangeable à
qualification égale et comme acteur obéissant de manière prévisible à des stimuli
économiques. Sa seule motivation est d‛optimiser ses gains économiques.
Dans ce schéma, il suffirait de payer plus le salarié pour qu‛il accomplisse mieux et plus
vite son travail. Ces auteurs ont contribué à préfigurer dès 1920 la forme classique
d‛organisation du travail industriel qui a permis que des biens d‛équipement comme
l‛automobile ou l‛électroménager fassent l‛objet d‛une consommation de masse.
Par exemple, Ford en standardisant les tâches pour construire des voitures, en mettant
en place le principe de la chaîne continue a réduit le temps de montage d‛une automobile
de 12h30 à 1h30, soit un gain de 11 heures ; gain qui a permis de baisser le coût de
revient d‛un véhicule de 950 à 200 dollars tout en augmentant le résultat d‛exploitation
de l‛entreprise et les salaires des personnels car les salaires ont toujours été négociés
chez Ford.
En revanche, l‛organisation fondée sur la séparation du travail de conception du travail
d‛exécution n‛était pas négociable, comme c‛est le cas dans de nombreuses
organisations. Dans ces organisations, les dirigeants et dans une certaine mesure les
cadres sont payés pour penser et les salariés subalternes, pour exécuter. Cette
rationalisation des relations et de l‛organisation du travail s‛appuie sur des dispositifs
de régulation (mécanismes de gouvernance) et de contrôle (contrôle de gestion et
contrôle opérationnel) « classiques ».
L‛objet de ce système était (et est toujours dans de nombreuses organisations de part
le monde) de traduire en pratiques effectives les principes organisationnels issus de
l‛OST et de l‛OAT dont la logique est complètement tournée vers le produit. Pour faire
correspondre les comportements réels des acteurs aux comportements postulés par les
décideurs, le système de régulation s‛appuie sur des mécanismes de gouvernance pour
l‛encadrement des pouvoirs des dirigeants et sur des dispositifs de contrôle de gestion
et de contrôle opérationnel pour la régulation des comportements des cadres et des
salariés subalternes.
L‛ensemble du système de régulation forme une pyramide allant du contrôle de
direction (contrôle qui concerne les niveaux gouvernance et dirigeance) au contrôle
opérationnel en passant par le contrôle de gestion (qui se rapporte aux managers et aux
collaborateurs).
Toute une panoplie d‛instruments de gestion (Berry, 1983) et de dispositifs de contrôle
sont mobilisés par les organisations (tableaux de bord, standards, règlements, manuels
des procédures, indicateurs de résultat…).
La mobilisation de ces instruments de gestion, en introduisant une grande transparence
encadrent (voire « dressent » au sens de Michel Foucault, 1975) les comportements.
Ces dispositifs opèrent comme une orthopédie. Ils rythment les cadences de travail et
« brident » les comportements. Ceci a permis de réduire la « flânerie » et d‛augmenter
la productivité. D‛ailleurs l‛adoption de ces miraculeux instruments de régulation et de
contrôle s‛est répandue partout dans le monde à la vitesse du feu. Mais le système a
engendré de gros problèmes (monotonie générée par la spécialisation et la
parcellisation des tâches, accroissement du contrôle…) dus aux effets pervers des
dispositifs et méthodes ainsi mobilisés. Le verrouillage des initiatives des acteurs
locaux (« héros locaux ») entraîne irrémédiablement des rigidités, des blocages et des
crises multiples… L‛effet de mode aidant, les modèles « prêts-à-penser » étaient
plaqués sur des réalités organisationnelles (sociales donc culturelles) sans que les
décideurs se soient interrogés sur la congruence ou non congruence des greffes. Ceci a
été à l‛origine de nombreuses déceptions et de vives réactions de salariés et de
syndicats.
Partout dans le monde, le système évoqué montre des signes d‛essoufflement. En effet,
la logique fondée sur l‛obéissance et la prescription a changé depuis les deux dernières
décennies et a mis à mal cette vision « disciplinaire » du travail et du contrôle dans les
organisations.
ORTHOPEDIE ORGANISATIONNELLE ET EMERHGENCE DE LA
CULTURE DU RESULTAT
A l‛orthopédie organisationnelle, au dressement par des règlements et des normes de
toutes sortes succède une vision fondée sur le culte du résultat. Son but : rompre avec
la logique du système précédemment évoqué et mettre en place un management postindustriel. C‛est ainsi que se met en place dans toutes sortes d‛organisations publiques
et privées, y compris les administrations ou les universités, une nouvelle « technologie
invisible » fondée sur la culture du résultat. Cette culture du résultat dérive de la
nature même du mode de gouvernance anglo-saxonne : une gouvernance juridicofinancière tournée exclusivement vers la valeur actionnariale (cf chapitre précédent).
Cette culture du résultat bouleverse la donne pratiquement partout dans le monde et
singulièrement en France.
De nouvelles règles de jeu sont adoptées. Ces règles sont le plus souvent en
contradiction avec les méthodes de management et les modes de gouvernances déjà en
place et plus proches des visions partenariales, notamment dans les organisations qui
disposent de représentations syndicales relativement bien organisées.
Ces règles de jeu butent sur de puissantes normes culturelles et professionnelles des
parties prenantes (cas des organisations comme les universités ou le Centre National
de la Recherche Scientifique en France).
De très nombreux exemples dans le monde – qui pourraient du reste susciter des
sujets de mémoires intéressants – peuvent étayer cette hypothèse de crises
organisationnelles à la suite à de changements institutionnels…visant la performance «
économique » stricto sensus par l‛injection de la culture du résultat.
Les leçons tirées de la majeure partie des recherches menées dans cette visée
montrent que ces expériences butent sur des crises sous-tendues par des résistances
culturelles.
VERS UNE CULTURE DU RESULTAT, UN CHANGEMENT DE
CIVILISATION ?
L‛ère postindustrielle a rendu complètement obsolètes les modes de gouvernance, de
dirigeance et de management fondés sur la logique de la prescription et de l‛obéissance
à des règlements.
Dans la nouvelle civilisation qui vient du monde anglo-saxon, ce qui compte c‛est le
résultat, c'est-à-dire la valeur actionnariale, les moyens passent au second plan.
Dans cette vision de l‛économie et du management, la logique de la prescription
demeure bien entendu, mais elle ne repose plus sur des règlements comme dans l‛OST
ou l‛OAT, mais sur de performance, la mesure des résultats rapportés à des objectifs
préalablement fixés. Ces objectifs sont essentiellement quantitatifs, dans la mesure où
il n‛est pris en compte que se qui se prête à quantification.
Les dispositifs de quantification essentiellement financiers et comptables vont des
cours boursiers, aux taux de marge opérationnelle, part de marché, taux de rendement
sur le court terme etc….
L‛élément structurant dans cette culture est le client et non plus le produit comme
dans l‛ère précédente.
Retournement de situation donc sur deux plans principaux :
●
●
les solutions managériales préétablies sur le mode déductif sont dépassées avant
d‛être mises en œuvre ; la complexité et la rapidité des processus nécessite de
faire du sur-mesure;
ce n‛est plus au consommateur de s‛adapter au produit en série, mais plutôt le
contraire.
La difficulté majeure est que les exigences des clients ne sont pas les mêmes en
Europe, en Afrique ou en Asie, d‛une part et les attentes sont évolutives, de l‛autre.
Pour trouver acheteurs, les produits doivent être adaptés aux caractéristiques
spécifiques de chaque demande locale. Ces changements en cours mettent en crise le
système fondé sur la logique de la prescription et de l‛obéissance et interpellent les
chercheurs et les consultants en gestion. A la faveur de la concurrence internationale,
la pression sur les dirigeants et les simples salariés est partout croissante.
Toute une panoplie d‛instrument de gestion allant de l‛entretien annuel pour le
personnel à la démarche 360° feedback pour l‛appréciation des dirigeants est proposée
aux organisations publiques et privées. Le but affiché est de les aider à aller dans la
bonne direction : atteindre les résultats escomptés.
Dans cette perspective, les résultats sont mesurés et rapportés à des objectifs
quantifiables préalablement fixés à chaque membre de l‛organisation, dans le cadre d‛un
contrat entre un salarié et son supérieur.
Le contrat comme référent essentiel dans la culture américaine (d‛Iribarne, 1989) est
au cœur de la logique qui sous-tend cette nouvelle civilisation. L‛idéologie managériale
actuelle dominante tend à faire admettre que ce dispositif est plus légitime que tout
autre. Son opposée démystifie l‛idéologie managériale et attire l‛attention sur les
dangers du processus en cours vers l‛américanisation de la société… (Boltanski &
Chiapello, 1999; de Gaulejac, 2005).
Dans bon nombre d‛organisations des pays développés comme la France, l‛Italie ou
l‛Espagne mais aussi dans des pays en voie de développement comme l‛Algérie,
apparaissent des pratiques fondées sur le contrat, sur la culture du résultat. En
pratique, dans les entreprises, les dirigeants concluent des contrats d‛objectifs avec le
conseil d‛administration qui convient lui-même au préalable d‛une stratégie d‛ensemble
avec l‛assemblée des actionnaires.
Les universités en France concluent depuis la fin des années 1980, sur des bases
identiques, des contrats quadriennaux avec l‛Etat (le ministère de tutelle). Dans les
entreprises, les objectifs se déclinent en des ratios, parts de marché, marges
opérationnelles ou tout autre indicateur chiffré en fonction des activités. En France,
les universités s‛engagent (contrat quadriennal) sur des objectifs relativement à un
programme en deux volets : formation et recherche, et, en contrepartie, l‛Etat
s‛engage à le financer.
Cette logique de culture des résultats s‛appuie sur de nouvelles normes, de nouvelles
institutions comme la LOLF pour Loi Organique relative aux Lois de Finances de 2001 en
France largement inspirée du Government Performance Results Act voté en 1993 aux
USA.
La LOLF rénove la gestion budgétaire de l‛Etat: dorénavant les crédits sont attribués
au regard de programmes déclinés en objectifs clairement définis et les résultats sont
évalués en fin d‛exercice.
La nouvelle culture tend à remplacer une focalisation sur les moyens par une
focalisation sur les résultats. Ainsi par exemple, si les agents des services publics
passaient beaucoup de temps à examiner la légalité d‛un acte, dorénavant ils passeront
encore plus de temps : à l‛examen des actes sous l‛angle de la régularité s‛ajoute l‛audit
de la performance comme le signalent à raison Potier &Tomarchio (2008).
Des effets pervers risqueraient de conduire à une espèce de gouvernement par des
juristes doublés de comptables, à des arbitrages incompréhensibles au regard d‛un
autre système d‛évaluation respectueux de critères et d‛enjeux déclarés plus
importants sur les plans éthique et social par exemple.
D‛autres aberrations pourraient apparaître concernant la sur-utilisation des machines
de production ; ou plus grave encore, on pourrait même craindre le pire et penser que
des chirurgiens soient amenés à conduire systématiquement leurs patients au billard
pour des pathologies ne nécessitant pas de telle procédure. Comment savoir lorsque l‛on
sait la terrible affaire du sang contaminé en France. Il n‛ y avait vraisemblablement pas
qu‛un manque d‛information derrière, mais une logique aveugle et meurtrière : des
stocks de sang à écouler, des objectifs chiffrés à réaliser …à n‛importe quel prix ?
POUR UN CONTROLE DE DIRECTION ORIENTE SUR LE
MANAGEMENT INTERCULTUREL
1. Problématique et principe de base
Les questions précédemment évoquées se conjuguent avec des problèmes inhérents aux
interférences multiculturelles.
Ceci complique l‛analyse des phénomènes en œuvre.
Dans le cadre présent, je propose d‛ouvrir une fenêtre de tir sur les nouveaux rôles en
termes de contrôle que devrait assurer « l‛échelon supérieur » pour faire émerger dans
les organisations un management plus respectueux des personnes, dans la perspective
de l‛héritage des Lumières qui prône le respect, l‛égalité de tous les hommes et l‛égalité
de toutes les cultures.
Dans cette conception, c‛est l‛Homme qui constitue l‛élément essentiel des enjeux du
management et non pas la création de valeur pour l‛actionnaire comme le postule
l‛approche anglo-saxonne.
Ceci correspond au choix, à l‛orientation donnée à ce cours, en étant complètement
d‛accord avec ce qu‛a suggéré Weber (1965, p.126) : « ce qui est avant accessible à
l‛examen scientifique, c‛est la question de la conformité des moyens quand le but est
donné ».
La science peut seulement aider à trouver les moyens les plus à même de parvenir aux
fins que s‛assignent les hommes.
La science ne peut se substituer à eux pour fixer les finalités, dire le beau, le vrai, le
légitime ou le juste.
Le but de la démarche de contrôle de direction est de supprimer ou à défaut de
réduire les risques d‛incompréhension, les problèmes humains et gestionnaires
inhérents au management interculturel.
Le contrôle de direction devrait être conçu en tant que système de régulation à
géométrie variable. C‛est un mode radicalement différent du modèle qui prône le
plaquage de méthodes universelles, l‛uniformisation.
L‛uniformisation ou dit plus simplement l‛américanisation ne s‛adaptant pas aux cultures
locales et /ou professionnelles, il en résulte des rejets, des crises, des souffrances et
partant des pertes de compétitivité pour l‛organisation concernée.
D‛ailleurs de nombreux échecs dans les rapprochements et les acquisitions s‛expliquent
par des incompatibilités culturelles.
Des problèmes de cet ordre sont fréquents dans les cas d‛incompatibilité culturelle
entres membres de mêmes équipes de travail. Là aussi, les dirigeants auront à tenir
compte de la différence des sensibilités culturelles en présence.
Des dispositifs de régulation à géométrie variable existent déjà dans des entreprises
comme Saint-Gobain (Berry, 1994).
Dans cette vision du contrôle de direction, les modèles de management et de régulation
des comportements s‛apprécient à l‛aune de leur congruence ou non congruence
relativement à la culture des Hommes auxquels ils s‛appliquent.
2. Définition et objet de la démarche de contrôle de direction
Le contrôle de direction tel que je le conçois constitue le 3ème étage de la fusée «
système de régulation des comportements » avec le contrôle de gestion (2ème) et le
contrôle opérationnel (1er).
Pour aller dans cette voie, les décideurs et les dirigeants ont de nouveaux rôles à jouer
et de nouvelles responsabilités à assumer.
Alors que le 1er et le 2ème s‛intéressent au « faire » et comment « mieux faire », au
substrat matériel des processus organisationnels, à l‛état du navire, le 3ème consiste à
s‛occuper de l‛état l‛équipage.
Appliqué au management interculturel, il consiste pour les dirigeants à s‛occuper du
climat général, de l‛atmosphère de travail (Mayer, 1985), de la qualité des
communications.
Cette perspective adopte résolument une théorie de l‛individu plus riche et plus
éclairante me semble-t-il : la personne est à la fois acteur au sens crozierien (Crozier &
Friedberg, 1977) du concept, mais également et même avant tout une subjectivité, une
sensibilité, c‛est à dire un SUJET.
Dans cette visée, le contrôle de direction a, comme le préconisent Fiol et Joucault
(1991, p.83) « une fonction d‛appropriation interne des enjeux et de recherche
d‛harmonie, de collégialité de l‛équipe dirigeante et de complicité avec l‛ensemble des
membres de l‛organisation ».
Ce contrôle vient justement compléter le contrôle stratégique qui vise le meilleur
couplage de l‛organisation avec son environnement.
Ceci implique avant tout que les dirigeants soient à l‛écoute de leur organisation et qu‛ils
possèdent les qualités humaines et les compétences interculturelles nécessaires.
L‛écoute concerne les messages qui viennent autant de l‛environnement global de
l‛organisation que de ses membres et partenaires sociaux.
L‛objectif étant ici de s‛assurer que ces messages sont bien compris par leurs
destinataires ; que la pensée des expéditeurs de ces messages n‛est pas déformée et
que le SENS que ces derniers sont supposés véhiculés est bien saisi.
Cette démarche nécessite comme le font remarquer à raison Fiol & Jouault (1991, p.
86) que « ce qui est fait par l‛équipe dirigeante est en accord avec les discours de la
direction » et « que ce qui est demandé au personnel de l‛entreprise est demandé en
priorité aux membres de l‛équipe de direction qui doivent donner l‛exemple ».
L‛objet justement du contrôle de direction mobilisé dans cette perspective est
d‛identifier les problèmes culturels et de mettre à jour les biais culturels, les distances
culturelles et les conflits culturels.
Ce type de contrôle vise aussi à attirer l‛attention sur les erreurs à éviter et à
proposer des moyens de faire évoluer les perceptions et les systèmes de références de
toutes les parties prenantes dans les organisations.
L‛objectif est ici de parvenir à une meilleure compréhension entre les cultures, à
développer le respect et la tolérance pour éviter les souffrances et les chocs des
civilisations.
Car la diversité des cultures comporte aussi des risques de mésententes et de conflits
ainsi qu‛il a été évoqué précédemment.
Ceci nécessite de nouvelles compétences en management interculturel afin de faire
évoluer les rôles de dirigeants dans le bon sens.
3. Nouveaux rôles et nouvelles compétences en management interculturel
Les compétences requises en ce domaine concernent en premier lieu la nécessaire
ouverture aux autres, l‛écoute, l‛empathie et la connaissance des autres cultures et des
autres civilisations.
Cette connaissance de l‛autre permet d‛avoir une meilleure connaissance de soi, de
relativiser les choses et de découvrir bien d‛autres choses sur un monde infiniment plus
complexe que ne le représentent toutes les théories produites jusque là par l‛humanité.
Les champs de recherche sont infinis…
Comme le suggère Meier (2006), p. 186), la compétence interculturelle peut-être
définie « comme la capacité d‛un individu à savoir analyser et comprendre les situations
de contact entre personnes (et entre groupes) de cultures différentes, puis à les gérer
et valoriser dans les sens des objectifs de l‛entreprise ».
Je compléterais cette définition par une petite précision: dans le sens des intérêts de
ses partenaires, de tous ses partenaires.
Meier (ibidem) précise en outre qu‛il s‛agit là « d‛un savoir-être, d‛une compétence de la
personne fondée sur des expériences vécues et analysées dans des contextes
interculturels et sur la prise en compte des répercussions identitaires de ces
expériences ».
Chevrier (2003, p. 113) note précise en outre que « le point clé du management culturel
n‛est pas de gommer les différences, ni de niveler les cultures, une entreprise
probablement vouée à l‛échec, mais d‛identifier des manières de faire qui paraissent
légitimes pour tous, même si cette légitimité se fonde sur des lectures très
différentes des parties prenantes ».
Il faudrait aussi comme l‛enseigne Charles Coquebert (1794) « Se défier du ton
d‛assurance qu‛il est si facile de prendre et si dangereux d‛écouter ».
Ce positionnement éthique et philosophique concerne tous les participants, quelque soit
le niveau de responsabilité.
Les dirigeants sont en premiere ligne bien entendu : ils doivent donner l‛exemple ; cela
d‛autant plus qu‛ils ont un pouvoir de décision sur la gestion des carrières des membres
de leurs équipes.
Pour être crédibles aux yeux de leurs collaborateurs et des autres partenaires avec
lesquels ils sont en relation, ce qu‛ils font ne devrait pas être en contradiction ou en
décalage avec leurs discours.
Le contraire traduirait une « hypocrisie organisationnelle » au sens de Brunsson (1989)
et leur ferait perdre leur légitimité.
Rompre avec les pratiques du modèle de la prescription et de l‛obéissance (« modèle de
la marmite » selon une belle métaphore de Michel Berry), le rôle des membres de
l‛échelon consistera dans la nouvelle civilisation à animer, former, et faciliter le travail
des collaborateurs. Il consistera à être avec les collaborateurs et non pas au-dessus
d‛eux.
Cette vision du management n‛est pas encore dans les programmes des universités et
des grandes écoles.
Elle n‛est pas encore dans bon nombre de sociétés qui ont plutôt une conception élitiste
du travail.
Pourtant la préparation des dirigeants au management interculturel et au contrôle de
direction orienté dans cette optique devrait se faire dans ces institutions.
4. Formation et préparation au management interculturel
L‛objectif central est de faire prendre conscience du rôle que joue la culture dans la
compréhension des modes de raisonnement et de fonctionnement des sociétés.
En effet, pour accéder à cette intelligence de l‛autre, de culture différente, il faudrait
comprendre le SENS qu‛il donne à ce qu‛il fait, à ce qu‛il ne parvient à faire ou à ce qu‛il
refuse de réaliser.
Il faudrait comprendre ce que cela signifie très exactement pour lui.
Il ne s‛agit pas de se substituer à lui pour trouver un sens. Cette démarche pose
naturellement de grosses difficultés de méthode (Mostefaoui, 2006).
Les formations en gestion devraient être renforcées par des enseignements plus
ouverts sur la société, la psychologie, la philosophie et l‛éthique.
L‛héritage des Lumières constituent à cet égard des gisements insuffisamment
employés.
Des stages pratiques dans des entreprises à l‛étranger dès les premières années
aideraient les étudiants à acquérir d‛autres modes de raisonnement et de véritables
expériences humaines.
Ces jeunes approfondiraient ainsi leurs connaissances dans les langues étrangères et
maîtriseraient mieux les éléments non verbaux du langage (signes, silences et non-dits).
Des programmes de formation au management interculturel sont proposés depuis
quelques dans les universités et les grandes écoles pour préparer les participants au
management d‛équipe multiculturelle (exemple le Master 2 de management interculturel
de Jean-François Chanlat à l‛Université Paris IX Dauphine).
Des formations ponctuelles sont aussi le plus souvent nécessaires pour les salariés
expatriés et leur famille (sensibilisation au style de vie, codes de conduites, rapport au
travail… du pays d‛accueil).
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