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Afrique contemporaine
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aussi une déformation de la perception. Ainsi, les avis d’experts sembleraient,
selon Mireille Razafindrakoto et François Roubaud, évaluer la gravité de la
corruption nationale au prisme de la mauvaise réputation du pays « hôte »
aux yeux du monde extérieur, en matière de bonne gouvernance économi-
que. En effet, la corruption est souvent couplée, pour certains producteurs de
nomenclatures, à l’échec économique et au besoin de se justifier devant
l’étranger : « La corruption constitue un frein à la croissance économique,
elle décourage l’investissement privé étranger et réduit les ressources dispo-
nibles pour le développement. Elle rend par conséquent le pays plus pauvre
encore. D’où l’urgence de doter la Commission (anticorruption) des moyens
de son ambition »
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.
Une fois construite, la mauvaise réputation du mauvais sujet doit être ins-
crite dans un classement, un
rating
, selon la terminologie bancaire, qui la
hiérarchise, du médiocre au pire. La Banque mondiale prescrit une batterie
d’indicateurs de gouvernance dont le curseur est animé par la collecte d’avis
indépendants.
Transparency International
(TI) dresse un palmarès mondial
de la corruption et, avec ses correspondants dans chaque pays, se tisse une
toile de dénonciations et de compromis avec les gouvernements mis au pi-
lori.
Pourtant, on pourrait faire l’hypothèse qu’il y a, au sens d’Althusser, de la
bévue dans les enquêtes auprès des ménages, comme des fulgurantes cota-
tions de TI en matière de corruption. La perspective qui est tracée n’appré-
hende pas le sens de la rupture de pans entiers d’activités d’avec un régime
fiscal et légal étatique. Cet inframonde relève d’un autre répertoire, peut
suggérer des conduite qui procèdent d’un autre contexte que celui de la cor-
ruption. En effet, la contrebande, la fraude, le banditisme, qui peuvent être
trop rapidement rattachés à la racine d’une corruption institutionnalisée,
donc étatique, véhiculent d’autres sens et posent les questions de l’historici-
té et de la transitivité de la différence entre légal et illégal. Le refus, de plus
en plus fréquent et organisé, de céder au prélèvement étatique paraît s’an-
crer dans une autre rationalité que celle des corruptions. L’extension de
l’économie souterraine, la généralisation d’un domaine privatif, reflètent
sans doute d’autres choses qu’un laissez faire de l’État incapable et inéquita-
ble. C’est ce que Janet Roitman (2005) a identifié comme une désobéissance
fiscale, ce que l’on pourrait appeler une sécession d’avec l’économie du pou-
voir.
4. La Commission nationale de lutte contre la non-transparence, la corruption et la concussion n’a été saisie d’aucun cas
de corruption. Est-elle en train de faillir à sa mission ? Quoi qu’il en soit, la profonde léthargie dans laquelle elle se trouve
n’a rien de rassurant. Ndakhté M. Gaye, Dakar, Sénégal (WAL FADJRI), 13 septembre 2005.