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hec
Les petits pays
face au risque
de désindustrialisation
Ai-Ting Goh
Les petits pays qui ouvrent leur marché doivent-ils craindre la désindustrialisation ? Si ce risque est bien réel sous certaines conditions, Ai-Ting Goh et
Tomasz Michalski montrent qu’il peut toutefois être minimisé. Les deux économistes d’HEC Paris recommandent pour cela aux petits pays de favoriser
l’essor d’une industrie spécialisée dans la production de biens intermédiaires
qui seront ensuite exportés pour alimenter le secteur secondaire.
Tomasz Michalski
BIOGRAPHIES
Ai-Ting Goh a obtenu
son Ph.D. de l’Université
de Pennsylvanie en 1996.
Elle a enseigné
l’économie à la National
University of Singapore
et à l’Université
Catholique de Louvain.
Depuis 2002, elle est
professeur d’économie et
co-responsable de la
majeure économie de
HEC Paris.
Tomasz Michalski,
titulaire d’un Ph.D. en
économie de l’Université
de Columbia à New York,
est professeur
d’économie à HEC Paris.
IV
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•
Faisant suite aux travaux innovants de Paul Krugman (prix Nobel d’économie 2008) sur les rendements d’échelle croissants et la concurrence
monopolistique (nouvelles théories du commerce
international), de nombreux économistes portent
depuis quelques années une attention grandissante aux effets de la libéralisation du commerce
sur les économies, notamment afin de comprendre comment le libre-échange affecte les choix de
localisation des entreprises. L’ouverture au commerce va-t-il conduire les enterprises industrielles
des petits pays à se délocaliser ? Pour répondre à
cette question, Ai-Ting Goh et Tomasz Michalski
ont développé un modèle inédit qui prend en compte,
pour la première fois, les biens intermédiaires.
ET SI LA TAILLE DU MARCHÉ COMPTAIT ?
Considérant l’hypothèse d’un monde à deux
pays, les théories récentes du commerce international montrent qu’en présence des économies d’échelle, les industriels ont tout intérêt
à implanter leur production dans le plus grands
des deux pays pour limiter les coûts de transport. Une logique qui aboutit à une spécialisation du plus petit des pays dans la production
de bien primaires et le conduit à se désindustrialiser. Ce phénomène, connu sous le nom de
“home market effect”, n’est pourtant vrai qu’à
condition que les coûts de transport des biens
primaires soient suffisamment plus faibles que
juin-juillet 2010
ceux des biens secondaires. Une hypothèse que
l’économiste Donald Davis* souligne n’avoir
jamais observé dans la réalité. Le risque de
désindustrialisation des petits pays serait-il
un donc mythe ? Pas forcément, répondent AiTing Goh et Tomasz Michalski qui introduisent
la notion de biens intermédiaires pour montrer que sous certaines conditions, cette désindustrialisation peut effectivement survenir.
LA NOTION DE BIENS INTERMÉDIAIRES
En faisant l’hypothèse d’une économie qui comprend deux variétés de biens intermédiaires tous
deux utilisés dans la fabrication des biens secondaires et produits respectivement dans un des deux
pays (selon la théorie des avantages comparatifs),
les deux économistes montrent que deux forces
La théorie des avantages
comparatifs
Formalisée par David Ricardo en 1817 dans son
ouvrage On the Principles of Political Economy
and Taxation, la théorie des avantages
comparatifs montre que dans un contexte de
libre-échange, chaque pays, s’il se spécialise
dans la production pour laquelle il dispose de
la productivité la plus forte (ou la moins faible),
comparativement à ses partenaires, accroîtra
sa richesse nationale.
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économie internationale
opposées entrent en jeu. D’un côté les producteurs
de biens secondaires souhaitent s’implanter dans
le plus grand pays pour accéder à ce marché tout
en limitant les coûts de transport. D’autre part le
pays le plus grand, ayant besoin de davantage de
biens intermédiaires pour alimenter son industrie,
doit en importer du petit pays.
DÉSINDUSTRIALISATION
OU INDUSTRIALISATION ?
Deux situations sont ainsi envisageables :
• Le “home market effect” entre en jeu et le poids
économique du petit pays diminue à mesure que
le poids du grand pays augmente. Quand le rapport de poids atteint un niveau suffisamment important, le petit pays se spécialise dans la production
de biens primaires et le grand pays dans la production de biens secondaires. Le petit pays risque
alors de se désindustrialiser.
•Si la production de biens secondaires migre intégralement dans le plus grand pays, ce pays a besoin
de davantage de biens intermédiaires produits dans
le petit pays. Ce dernier n’a alors rien à craindre
d’une désindustrialisation.
Par exemple, dans le secteur automobile, de nombreux composants (sièges, vitres, tableau de bord,
moteur, pneus, carrosserie…) entrent dans la fabrication du produit fini. L’industrie automobile peut
alors choisir soit de fabriquer elle-même ces biens,
soit d’en sous-traiter la fabrication (et généralement de les importer). Et si un grand pays (la Chine
par exemple) doit importer des biens intermédiaires
en grand nombre, il tirera la croissance des pays
exportateurs de biens intermédiaires.
ET DANS L’ÉCONOMIE RÉELLE ?
Les chercheurs expliquent que le risque de désindustrialisation d’un petit pays n’intervient que
z MÉTHODOLOGIE
Les deux chercheurs considèrent un modèle à deux pays dont
les économies sont de tailles différentes. Chaque pays produit trois types de bien : primaires, secondaires et intermédiaires (qui entrent uniquement dans la production des
biens secondaires). Tous ces biens peuvent être échangés
librement entre les deux pays. Les coûts de transport sont de
type “iceberg” (une partie du bien échangé disparaît pendant le transport).
sous deux conditions. La première est que la production de biens primaires nécessite moins de
biens intermédiaires que la production de biens
secondaires. La deuxième est que le petit pays ait
besoin d’importer une plus grande proportion de
biens intermédiaires pour produire des biens secondaires que le grand pays. Pour tester cette hypothèse, les chercheurs ont étudié les statistiques
des 36 pays de l’OCDE. Ils observent alors qu’en
moyenne la part de biens intermédiaires nécessaire à la production de biens secondaires est au
minimum deux fois plus importante que la part de
biens intermédiaires utilisés à la production de
biens primaires. Un rapport encore plus élevé quand
il s’agit de très petits pays (comme la Belgique ou
le Luxembourg, par exemple) et qui tend bien à
montrer que les petits pays peuvent être confrontés à un risque de désindustrialisation. ■
D’après un entretien avec Ai-Ting Goh et l’article “Should Small
Countries Fear Desindustrialization?” (à paraître dans Review of
International Economics), coécrit avec Tomasz Michalski.
* Donald Davis, “The Home Market, Trade, and Industrial Structure”, American Economic Review, Vol.
88, pp.1264-76, 1998.
APPLICATIONS POUR LES POUVOIRS PUBLICS
Cette étude peut aider les pouvoirs publics à orienter leur politique d’ouverture commerciale en minimisant
les risques de désindustrialisation. Par exemple, les pays en développement (qui, comme le souligne Ai-Ting
Goh, peuvent être considérés comme des petits pays en raison de la taille réduite de leur marché domestique
par rapport aux pays développés) ont tout intérêt à préférer au protectionnisme le libre-échange, à condition
que cette ouverture soit compensée par la mise en place de politiques publiques visant à développer un
avantage comparatif dans la production de biens intermédiaires. C’est notamment la voie empruntée avec
succès par bon nombre de pays d’Europe de l’Est qui deviennent les sous-traitants des industries d’Europe
de l’Ouest une fois ouverts au commerce international.
juin-juillet 2010
•
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