France, de monter, aux frais d ' un Etat dont le chef nous a confié dans ses mémoires qu'il s'était, toute sa vie, fait
une certaine idée de la France, qu'il ne devenait pas, dis-je, de monter, aux frais de contribuables dont certains ont
eu la douleur de perdre un fils en Algérie,
une pièce comme Les Paravents.
M. André Chandernagor.
Vous jouez les Madame de Maintenon!
M. Christian Bonnet.
Telles sont les explications que je devais à l'Assemblée avant de défendre un amendement qui fait preuve de
mesure puisque, ayant eu connaissance, depuis le débat devant la commission des finances, du montant exact du
devis de la création des Paravents sur la scène du Théâtre de France, j'ai limité à ce chiffre l'abattement que je
proposerai à l'Assemblée d'adopter.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du centre démocratique, de l'U. N. R: U. D. T. et du groupe des épublicains
indépendants .)
…/…
M. Bertrand Flornoy.
Je remercie tout d 'abord M . Vivien qui a bien voulu me laisser utiliser son temps de parole qu ' il destinait aux
problèmes de la radio et de la télévision.
Mesdames, messieurs, c'est à André Malraux plus qu 'au ministre des affaires culturelles que je voudrais
m'adresser. Nous avons tous profondément conscience des luttes, des efforts et des souffrances qui ont été
nécessaires pour que soit acquis le droit aux libertés fondamentales, dont la liberté d'expression. Mais, aujourd'hui,
il nous faut constater que les agressions les plus vives, et souvent les plus vénales, sont commises contre une
société, la nôtre, issue de cette liberté. Je parle de toutes les formes d'agressions, sous prétexte d'érotisme dans
les cinémas, par simple médiocrité sur certaines antennes radiophoniques, par rentabilité du scandale dans une
certaine presse, agressions certes plus brutales, plus pernicieuses que celles des spectacles présentés dans deux
théâtres de Paris : Les Paravents et Marat-Sade.
Mais l'Etat donnant -- comme la capitale — un acquit officiel à ces salles de spectacles et sa responsabilité étant
par conséquent engagée, il était normal que notre Assemblée s'en préoccupât.
En effet, alors que l'armée combattante est présentée chez M. Barrault sous un aspect sordide, le Christ crucifié
reçoit chez M. Julien l'hommage surprenant d'une copulation générale. Au nom de l'art, bien sûr, et de la liberté
d'expression ; on n'ose quand même pas dire au nom de la liberté de pensée.
Et des millions de jeunes Français qui ne seront pas les spectateurs de ces pièces, c ' est vrai, sauront néanmoins
— car il n'y a plus ni compartimentage ni spectacles réservés, ni « carré blanc », et tout se dit, tout se sait dans
notre monde d'aujourd'hui — que l'Etat et la plus importante des villes françaises acceptent de favoriser l'agression
de la scatologie et de l'insulte.
Pendant ce temps, nous parlementaires, nous discutons — car nous en avons la responsabilité — de l'affectation
de milliards de francs de crédits, fruit du travail de tous les citoyens français, pour que soient assurés l 'éducation,
la formation professionnelle, la promotion sociale, les loisirs de nos enfants, pour que soient construites les
maisons de la culture — oeuvre .admirable, monsieur le ministre — les maisons de jeunes et les foyers, en un mot
pour que soit intensifiée l'oeuvre que la Veme République a entreprise en faveur de notre jeunesse.
Pendant ce temps, oui ! Nous prenons au sérieux la société de demain, nous essayons de la rendre fraternelle pour
les jeunes et non odieuse et méprisable. Nous avons, en effet, pleine conscience de la transformation que vit notre
pays. Nous ne sommes pas seuls ; des éducateurs, des enseignants, laïcs ou prêtres, communistes ou gaullistes,
consacrent toutes leurs forces, à chaque heure de leur vie, à apprendre l'espoir à des millions de jeunes, à les
convaincre que leur société n'est pas condamnée à se détruire ni à se vomir. Ce sont ces jeunes, monsieur le
ministre, qui visitent déjà et qui visiteront demain vos musées et vos maisons de la culture et c'est à eux, j 'en suis
sûr, que l'Assemblée pense d'abord.
Alors je m'interroge. N'est-ce -pas le rôle de l'Etat d'aider et d'aider exclusivement — je dis bien exclusivement —
ces initiatives, ces efforts, ces dévouements? N'est-ce pas le rôle de l'Etat de faire les choix fondamentaux ?
Dans le cas des deux spectacles dont j'ai parlé, n'aurait-il pas été préférable de leur laisser courir leur chance dans
des théâtres privés puisqu'ils ont un public, ce fameux public prétendu parisien, qu'on estime à 45 .000 personnes?
Mais 45 .000, c'est aussi le nombre annuel des jeunes délinquants en France . Triste équilibre auquel il faut penser
et dont les sociologues se sont inquiétés avant moi ! De toute façon, la police est là pour protéger les loisirs des
uns, pour surveiller les autres.
Mais nous avons à faire un choix. C' est un choix difficile, André Malraux, parce que vous êtes là, que nous vous
estimons profondément, que nous avons en vous une confiance totale. Et sans doute est-ce votre présence qui
inspirera notre vote.