La protection des personnes dans la recherche biomédicale

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La protection des personnes dans la recherche biomédicale
Première partie : Fondements éthiques et grands principes[1]
Éthique
É thique
# G. Moutel*
FONDEMENT HISTORIQUE
DE LA PROTECTION DES PERSONNES
C’est dans la Grèce antique que notre civilisation voit naître le
premier chaînon de la notion de personne. En grec ancien, à
côté des mots anthropos (l’homme en général) et soma (l’individu animé, parfois même pourvu d’une individualité juridique),
existait le terme prosôpon, qui a d’abord désigné la face, le visage
humain, l’autre comme entité à part entière, consciente et libre.
C’est avec Cicéron que la plénitude de la signification du mot
latin persona se met en place avec des repères textuels incontestables : rôle en justice, rôle social, réalité collective, personnalité
marquante, personne juridique par opposition aux choses. Dans
la civilisation tant latine que hellénique, c’est donc la dimension
ontique de persona (qui relève de “l’étant”, du “je suis”) qui s’est
peu à peu imposée, persona signifiant l’individu concret, singulier, rencontré tous les jours dans sa proximité. En France, c’est
Descartes qui expose la notion de sujet pensant, sujet qui s’assure de son existence personnelle; il en découvre la certitude au
terme du doute méthodique ; et dans l’action, le sujet cartésien
exerce son libre arbitre, cette liberté de la volonté. Kant infléchit
quant à lui le concept de personne vers sa dimension essentiellement morale, car l’attribut essentiel qu’il reconnaît est celui de
l’autonomie. L’autonomie forge la personnalité du sujet moral,
assure sa dignité, le rendant capable de se constituer législateur
de sa propre loi et d’en faire, par la suite, son devoir.
La notion de protection des personnes dans les pratiques de
recherche, telle qu’on l’entend aujourd’hui, apparaît dans les
années 1930. L’éthique de la recherche est à cette époque un
concept issu de la République de Weimar en Allemagne, avant
la Seconde Guerre mondiale, mais le triste revers de l’histoire a
fait que la prise de conscience réelle dans ce domaine a eu lieu
après la guerre, lors du procès de Nuremberg. En effet, après
les expériences atroces pratiquées sur l’homme dans les camps
nazis, le code de Nuremberg issu du procès des médecins nazis
introduit la nécessité d’affirmer des principes éthiques clairs qui
doivent s’imposer à tous les chercheurs et tous les médecins lors
d’une recherche biomédicale.
Plusieurs thèmes principaux interdépendants sont à la base de
ce code : le respect du sujet de recherche au travers, notamment, de l’information et du consentement ; les responsabi* Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale, faculté de médecine, université Paris-5,
Paris ; secrétaire général de la Sffem, Société française et francophone d’éthique médicale.
www.ethique.inserm.fr
[1] Cet article donnera suite à un second volet intitulé “La protection des personnes dans la
recherche biomédicale : règles pratiques pour les promoteurs et les investigateurs d’un projet
de recherche clinique et nouveaux éléments de débat”, article qui sera publié dans le prochain numéro de La Lettre du Pneumologue.
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lités du chercheur à son égard ; l’expérience doit éviter toute
souffrance et tout dommage non nécessaires ; tout risque de
provoquer des blessures, l’invalidité ou la mort doit a priori
être rejeté ; le sujet ne doit être invité à une recherche que si
elle s’inscrit dans une démarche scientifique rigoureuse ; le sujet doit être libre avant et pendant l’expérience et doit pouvoir
l’interrompre s’il estime avoir atteint l’état mental ou physique
au-delà duquel il ne peut aller.
Dans les années 1960, une nouvelle prise de conscience a lieu
dans la mesure où la communauté médicale apprend que des
essais sont encore pratiqués en dehors des règles éthiques élémentaires, à peine 20 ans après la fin du procès de Nuremberg.
En 1966, le Dr Henry Beecher, occupant la chaire de recherche
en anesthésie de l’université de Harvard, publie à ce propos dans
le New England Journal of Medicine un article répertoriant 22 recherches effectuées aux États-Unis au mépris des principes éthiques énoncés précédemment. Il rapporte, par exemple, ainsi :
– l’injection de cellules cancéreuses vivantes à des personnes
âgées et séniles placées en institution, injection réalisée pour
analyser les résistances immunologiques ;
– la privation de pénicilline pour des syphilitiques d’un groupe
témoin participant à une étude de longue durée sur l’évolution
de la syphilis avec et sans traitement ;
– l’insertion d’un cathéter dans la vessie de 26 nouveau-nés,
avec prise d’une série de radiographies pour analyser le remplissage et la vidange vésicale.
Pour ces raisons, la communauté internationale promulgue
dès 1964 un texte adopté par les États démocratiques à Helsinki. La déclaration d’Helsinki a depuis été adaptée et ratifiée
par de nombreux pays.
La plus récente version comporte les fondements suivants :
Il est d’abord souligné que le médecin doit exercer la plénitude de son savoir et que dès lors il est obligé, pour contribuer
au progrès médical, d’effectuer des recherches diagnostiques,
thérapeutiques et dans le domaine de la prévention.
La notion de risque est reconnue mais, toutefois, la recherche doit protéger au maximum la santé des participants, bien
avant de servir les intérêts de la science ou de la société.
La validité scientifique doit être assurée par les prérequis
consistant en l’étude des publications scientifiques portant
sur des recherches en laboratoire et sur l’animal, par l’écriture
d’un protocole expérimental valide, et par un encadrement
assuré par des médecins et des scientifiques compétents et
pleinement responsables de l’étude.
Un comité doit examiner le protocole ; ce comité doit être
indépendant pour éviter les conflits d’intérêts avec les financeurs et les investigateurs.
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É thique
Quoi qu’il en soit et en toute circonstance, le médecin doit protéger la vie, la santé, la dignité et l’intimité de la personne ainsi que
son équilibre physique et psychologique.
La balance bénéfice/risque doit être évaluée et jugée acceptable
par le comité. Toutefois, la recherche sur volontaire sain ou une
prise de risque sur des patients consentants est possible, à condition que l’importance de l’objectif recherché soit médicalement
et humainement supérieure aux contraintes subies et aux risques
encourus par le sujet.
La recherche menée au cours d’un traitement n’est valable que
dans un possible intérêt diagnostique, thérapeutique ou de prévention, si les méthodes existantes sont insuffisamment efficaces :
il s’agit là de la reconnaissance de la valeur de l’innovation thérapeutique, qui offre un espoir de sauver des vies ou de soulager la
souffrance de malades. Mais cette reconnaissance ne peut avoir
lieu que si cette innovation s’inscrit dans une démarche respectant les principes éthiques de toute recherche. La méthodologie
doit, de plus, impérativement comparer le nouveau traitement au
traitement de référence.
L’information doit être appropriée, claire, compréhensible et
complète sur les objectifs, les risques et les contraintes ; en outre,
le médecin doit s’assurer de sa bonne compréhension.
Le médecin doit expliquer la prise en charge au patient en différenciant clairement celle liée aux soins de celle liée à la recherche,
tout en préservant la même relation médecin-malade à tout moment, quelle que soit la réponse du patient.
Après l’information, le consentement écrit doit être obtenu de
manière libre, c’est-à-dire sans aucune pression. En cas de protocole concernant des personnes en état d’impossibilité juridique de
consentir, il faut que plusieurs conditions soient réunies : le choix
de cette population doit être justifié, la recherche doit leur apporter un bénéfice, il faut l’accord du comité et l’accord du représentant légal, qui doit consentir en lieu et place du patient.
En France, les principes d’Helsinki sont reconnus comme essentiels. Au début des années 1980, un groupe de travail – constitué
de membres du Conseil d’État, de professeurs de médecine, de
droit et de membres de la Cour de cassation et dirigé par Guy
Braibant en lien avec le Pr Jean Bernard (président du Comité
consultatif national d’éthique) – a affirmé la nécessité d’une loi en
raison d’une contradiction :
Le fait de porter atteinte au corps d’autrui sans finalité thérapeutique était sanctionnable en droit. La recherche sans intérêt
thérapeutique avait été jugée illicite par la cour d’appel d’Angers
en 1978 et le Code de déontologie, dans son article 19, précisait
que les recherches étaient nécessaires à condition de présenter un
intérêt direct pour la personne.
Or, l’ordonnance du 23 septembre 1967 concernant les autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments stipulait
que le fabricant devait avoir vérifié l’innocuité des produits, dans
des conditions normales d’emploi, et que leur mise en œuvre devait préalablement nécessiter des recherches sur volontaires sains.
De plus, le concept même de recherche médicale sur tout patient,
mais en particulier sur des volontaires sains, ne permet pas toujours d’assurer qu’il y aura un intérêt direct pour les personnes.
Le 2 juin 1988, le Pr Claude Huriet dépose au Sénat une pro-
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position de loi relative aux essais chez l’homme. Le Sénat, dans
sa séance du 12 octobre 1988, adopte une proposition de loi
“relative à la protection des personnes qui se prêtent à la recherche biomédicale”, transmise à l’Assemblée nationale. La
loi n° 88-1138 est adoptée le 20 décembre 1998 et publiée au
Journal officiel le 22 décembre 1988. Cette loi lève les contradictions antérieures et place la France en conformité avec les
règles d’Helsinki. Elle instaure dans chaque région des Comités consultatifs de protection des personnes qui se prêtent à la
recherche biomédicale (CCPPRB). Ces CCPPRB deviendront
en 2004, lors de l’adaptation de la loi Huriet à la directive européenne, des Comités de protection des personnes (CPP). Les
CPP perdent donc leur caractère uniquement consultatif, c’està-dire que leur rôle de passage obligatoire est renforcé, et que le
contrôle de l’Etat l’est également. Les CPP acquièrent ainsi un
nouveau statut dans lequel la responsabilité de l’État est engagée en cas de faute des comités et où les avis et recommandations prennent désormais un caractère officiel avec possibilité,
si besoin, de suivi des protocoles, en particulier pour les effets et événements indésirables. De plus, les CPP feront l’objet
d’une évaluation de leur activité et de leurs compétences.
RÔLES ET OBLIGATIONS DES PROMOTEURS
ET DES INVESTIGATEURS, GARANTS DE LA
PROTECTION DE PERSONNES DANS LA RECHERCHE
On appelle promoteur “la personne physique ou morale qui
prend l’initiative d’une recherche biomédicale” (personne
physique ou morale qui se porte garant de l’initiative de la
recherche et de ses conséquences, avec en particulier une
obligation d’assurance). Le ou les investigateurs sont “la ou les
personnes physiques qui dirigent et surveillent la réalisation
de la recherche.”
Le promoteur a des obligations bien précises :
Il doit s’assurer que les objets matériels ainsi que les médicaments ou produits expérimentés ou utilisés comme référence dans le cadre d’une recherche biomédicale sont fournis
gratuitement, ou mis gratuitement à disposition pendant le
temps de la recherche par le promoteur.
Il prend en charge les frais supplémentaires liés à d’éventuels examens ou fournitures spécifiquement requis par la recherche ou pour la mise en œuvre de celle-ci. Lorsque l’essai
est réalisé dans un établissement de soins, la prise en charge
de ces frais fait l’objet d’une convention conclue entre le promoteur et le représentant légal de cet établissement.
Il a obligation de souscrire une assurance en cas d’accident
ou de faute entraînant un préjudice lors du protocole (contrat
d’assurance garantissant les conséquences pécuniaires de la
responsabilité civile du promoteur).
L’investigateur a également des obligations :
Il doit être (sauf exception) un médecin garant de la protection des personnes, de la qualité des soins et de toute la prise
en charge. Il doit respecter avant tout les règles déontologiques et faire primer le soin sur la recherche.
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Il doit respecter les décisions et avis du CPP et les principes du
Code de déontologie médicale, qui priment en toute situation.
Il est également garant du respect des droits des patients en
termes : d’information ; de consentement ; de vérification de
la situation du patient sur le fichier national des personnes qui
se prêtent à des recherches biomédicales (période d’exclusion
et montant des indemnités perçues) ; d’arrêt du protocole sur
la personne en cas de dangerosité ou d’aléas ; de respect de la
volonté du patient de se retirer du protocole à tout moment
sans préjudice et avec prolongation des soins.
INFORMATION ET CONSENTEMENT
“Préalablement à la réalisation d’une recherche biomédicale
sur une personne, le consentement libre, éclairé et exprès de
celle-ci doit être recueilli.”
Conformément aux principes philosophiques et dans le respect
des textes fondateurs de l’éthique de la recherche, le consentement de la personne doit être recueilli, gage de la reconnaissance de son autonomie, quand celle-ci est effective. Les termes de
la loi imposent de recueillir ce consentement par écrit (sauf impossibilité). Si la personne est mineure ou en situation d’incapacité, l’accord sera recueilli par le représentant légal, sans exclure
pour autant le patient du processus d’information. En l’absence
de représentant légal, le débat est ouvert sur la légitimité d’avoir
ou non recours à la personne de confiance, personne que le patient aurait préalablement désignée. La personne de confiance
est, en effet, depuis la loi du 4 mars 2002, une personne que le
patient désigne pour l’accompagner dans son parcours médical
et être l’interlocuteur des soignants.
Quoi qu’il en soit, toute procédure de consentement, dans ses
modalités et dans sa forme, doit recevoir une validation par le
CPP. Le sujet se prononce après un processus d’information
(sans lequel le consentement est caduque) par lequel l’investigateur lui fait connaître clairement : l’objectif de la recherche, sa
méthodologie, sa durée et les bénéfices attendus ; les contraintes et les risques prévisibles ; les conditions d’arrêt de la recherche avant son terme ; son droit de refuser de participer à une
recherche ou de retirer son consentement à tout moment sans
encourir aucun préjudice ou responsabilité.
Signalons par ailleurs que, pour des personnes vivant en établissement sanitaire et social, le consentement devra être recueilli
par un médecin indépendant de l’institution. En cas de recherches biomédicales en situations d’urgence ou de troubles de la
conscience qui ne permettent pas de recueillir le consentement
préalable, sera sollicité l’avis de ses proches s’ils sont présents
ou celui de la personne de confiance. L’intéressé sera informé
dès que possible et son consentement lui sera demandé pour
la poursuite éventuelle de cette recherche. La procédure devra
recevoir l’avis du CPP.
Enfin, un point essentiel mérite d’être mentionné, celui de
l’évolution du droit à l’information durant le protocole et à
l’issue de celui-ci. En effet, durant la recherche, les personnes
doivent être informées du déroulement et des évolutions du
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protocole ainsi que des éventuelles nouvelles orientations (le
CPP doit d’ailleurs être saisi en cas de réorientation majeure de
la recherche). De plus, à l’issue de la recherche (loi du 4 mars
2002 relative aux droits des patients), les patients ont le droit
d’être informés des résultats globaux de la recherche.
La question de la communication des résultats individuels
reste en débat et n’a pas été tranchée par la nouvelle loi : d’un
point de vue scientifique, il s’agit de résultats de recherche
(donc pas toujours valides d’un point de vue technique et méthodologique), mais des représentants de patients plaident le
fait que, plutôt que d’éviter de transmettre des informations
jugées non pertinentes, il serait préférable de les donner en
expliquant pourquoi elles ne le sont pas. Les associations s’appuient en outre sur la loi de 2002, selon laquelle un patient a
droit à toute information concernant sa santé.
Éthique
É thique
CONCLUSION
Ces grands principes de l’éthique de la recherche biomédicale
et de la protection des personnes débouchent aujourd’hui sur
de nouvelles règles suite à la récente modification réalisée en
2004 de la loi Huriet de 1988, et dont les décrets d’application
ont été publiés cette année.
Les règles pratiques et les nouvelles régulations de la recherche dans le cadre des CPP, indispensables pour tout clinicien
participant à un programme de recherche clinique, seront
exposées prochainement dans un second article intitulé “La
protection des personnes dans la recherche biomédicale : règles
pratiques pour les promoteurs et investigateurs d’un projet de
recherche clinique et nouveaux éléments de débat”.
POUR EN SAVOIR PLUS...
RRubrique éthique de la recherche sur www.ethique.inserm.fr, version 2006.
RFrance, loi n° 2002-302 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, Journal officiel du 5 mars 2002,
www.legifrance.gouv.fr
RFrance, loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé
publique (modifiant notamment la loi Huriet relative à la recherche
biomédicale, intégrée pour cette partie au Code de la santé publique,
articles L. 1121-1 et suivants), Journal officiel du 11 août 2004, www.
legifrance.gouv.fr
RDe Montgolfier S, Moutel G, Duchange N et al. Evaluation of biobank
constitution and use: multicentre analysis in France and propositions for
formalising the activities of research ethics committees. Eur J Med Genet
2006;49(2):159-67.
R Fauriel I, Moutel G, Callies I, Hervé C. Study over 10 years of 622
protocols receiving unfavourable reports from 19 research ethics committees. Therapie 2005;60(2):159-65.
RFauriel I, Moutel G, Duchange N, Francois I, Hervé C. Evaluation of
decision-making by CCPPRBs. Therapie 2004;59(4):389-94.
R Moutel G, de Montgolfier S, Duchange N, Sharara L, Beaumont C,
Hervé C. Study of the involvement of research ethics committees in
the constitution and use of biobanks in France. Pharmacogenetics
2004;14:195-8.
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