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la revue du trombinoscope l Avril 2013
tribunes
La  Commission  européenne  a  publié 
en juillet 2012 son nouveau projet de 
règlement  relatif  aux  essais  cliniques 
de  médicaments  à  usage  humain.  Je 
soutiens ce projet de règlement, qui se fonde 
sur les principes d’harmonisation et de sim-
plification des procédures et qui garantit, dans 
le même temps, un haut niveau de protection 
des patients et de fiabilité des données.
Il  est  urgent  de  réviser  la  directive 
2001/20/CE.  En  effet,  la  recherche  clinique 
européenne se meurt. Elle doit faire face à de 
nombreux dysfonctionnements : diminution 
de  plus  de  25%  du  nombre  de  demandes 
d’essais cliniques entre 2007 et 2011,  dimi-
nution  du  nombre  de  patients  inclus  dans 
les  essais  cliniques,  tendance  croissante  à 
la  délocalisation  de  la  recherche  clinique 
européenne vers des pays tiers, augmentation 
de la charge administrative et des coûts liés à 
l’évaluation et à la conduite des essais clini-
ques multicentriques.
L’une des principales avancées de ce projet 
de  règlement  est  la  rédaction  d’un  article 
spécifique sur les essais cliniques en situation 
d’urgence (article 32 du projet de règlement). 
Dans  la  législation  française,  ces  cas  sont 
couverts depuis 1988 et repris par la loi Jardé 
de 2012, loi qui va même plus loin puisqu’elle 
couvre les cas d’urgence « vitale immédiate » 
et permet une dérogation supplémentaire. En 
droit  français,  l’article  L-1122-1-1  du  Code 
de  la  santé  publique  (CSP)  dispose  qu’il  est 
obligatoire  de  recueillir  le  consentement 
préalable libre, éclairé et écrit du patient avant 
la  conduite  de  toute  recherche  biomédicale. 
Cependant,  l’article  L-1122-1-2  prévoit  des 
dispositions  dérogatoires  au  principe  du 
consentement  préalable  pour  les  essais  cli-
niques en situation d’urgence. Il autorise les 
médecins à inclure un patient dans un proto-
cole de recherche en situation d’urgence sans 
son consentement préalable. En contrepartie, 
le  législateur  a  assorti  cette  dérogation  de 
plusieurs conditions protectrices.
Les  dispositions  dérogatoires  prévues  par 
le CSP sont indispensables pour le maintien 
de  la  recherche  biomédicale  en  situation 
d’urgence qui ne peut se plier aux règles du 
consentement  préalable.  Il  est  en  pratique 
Essais cliniques en situation 
d’urgence, ne régressons pas 
par Philippe Juvin
Il y a une inadéquation entre la 
fenêtre d’inclusion des patients 
dans un protocole de recherche 
en situation d’urgence souvent 
très courte [...] et la procédure 
d’information et de recueil du 
consentement, nécessairement 
plus longue 
Philippe JUVIN
quasi impossible de respecter les dispositions 
de  l’article  L-1122-1-1  du  CSP,  et  ce  pour 
deux raisons principales. Tout d’abord, l’état 
des  patients  qui  se  trouvent  pour  la  plupart 
hors d’état de consentir. En outre, il y a une 
inadéquation  entre  la  fenêtre  d’inclusion 
des patients dans un protocole de recherche 
en  situation  d’urgence  souvent  très  courte 
(de  quelques  minutes  à  quelques  heures 
seulement)  et  la  procédure  d’information  et 
de recueil du  consentement, nécessairement 
plus longue.
À  la  lecture  de  l’exposé  des  motifs,  l’ap-
proche  du  règlement  européen  semble  très 
positive  pour  le  maintien  de  la  recherche 
clinique  européenne  en  situation  d’urgence. 
Néanmoins, après une lecture plus approfon-
die, plusieurs  dispositions  de  l’article 32  du 
projet de règlement me semblent être problé-
matiques  et  en  complète  contradiction  avec 
les  situations  d’urgence  auxquelles  doivent 
faire  face  les  investigateurs  en  réanimation. 
En pratique,  le maintien  de  ces  dispositions 
dans  le  texte  final  représenterait  un  recul 
inacceptable pour la France. Je citerai les deux 
plus problématiques.
L’article 32.1 b) dispose qu’un essai clinique 
en situation d’urgence peut être conduit sans 
le  consentement  préalable  du  participant  si 
« aucun représentant légal n’est disponible ».
Or, cette disposition est trop restrictive car elle 
ne  prend  pas  en  compte  les  cas  d’urgences 
vitales  immédiates,  cas  dans  lesquels  même 
lorsque la famille est  présente, l’urgence est 
telle qu’il est techniquement impossible pour 
l’investigateur  de  solliciter  le  consentement 
de la famille.
L’article 32.1 e) dispose qu’un essai clinique 
en situation d’urgence peut être conduit s’il 
« comporte un risque minimal, et impose une 
contrainte  minimale  pour  le  participant  ».
Cette  disposition  est  irréaliste.  Limiter  les 
cas  de  recherches  en  situation  d’urgence  à 
celles ne comportant qu’un risque minime ne 
prend pas en compte les situations concrètes 
auxquelles  doivent  faire  face  les  médecins 
en  réanimation.  Cette  disposition  exclurait 
de  façon  automatique  toutes  les  recherches 
sur des produits innovants. Les médicaments 
utilisés dans le cadre de l’urgence sont forcé-
ment associés à des risques plus que minimes, 
puisqu’il  s’agit  de  maintenir  les  fonctions
vitales  dans  un  contexte  de  défaillance 
majeure. Pour ces cas d’urgence, il est indis-
pensable  de  prendre  en  compte  la  balance 
risques/bénéfices.
L’enjeu sur les essais cliniques en situation 
d’urgence  étant  de  taille,  je  ferai  tout  mon 
possible, au cours des négociations, pour que 
ce projet de règlement s’aligne sur la loi Jardé 
de 2012.